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Full text of "Études franciscaines"

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Princeton University Libr 


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e_— 


ÉTUDES FRANCISCAINES 


E. F. — XXIX. — 1 


ÉTUDES 


FRANCISCAINES 


REVUE MENSUELLE 


Tome XXIX — JANVIERJUIN 1913 


Administration. Direction. 
LIBRAIRIE SAINT-FRANÇOIS MAISON SAINT-ROCH 
4, RUE CASSETTE, PARIS, VI° COUVIN, BELGIQUE 


LIBRAIRIE B. HERDER, FRIBOURG-EN-BRISGAU, 
BERLIN, CARLSRUHE, MUNICH, STRASBOURG, VIENNE ET ST-LOUIS, M° 


_ TAMINES (BELGIQUE). — 1IMPRIMERIE DUCULOT-ROULIN. 


5Co/ 
. 724 
V,29 


(/4:2) 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


Les légendes naissent vite et se propagent rapidement, même 
en notre siècle, ami, jusqu’au fanatisme, du document écrit, du 
texte décisif. 

Depuis quelques années, il s’en forme une, autour du nom et 
des doctrines de Duns Scot. A plusieurs reprises, des écrivains 
catholiques ont, dans des périodiques ou des livres, affirmé que 
la pensée du docteur subtil était apparentée avec celle de Kant 
et par le Kantisme, avec le modernisme. Contre ces insinua- 
tions déguisées et ces affirmations explicites, nous avons déjà 
protesté, ici même, dans un travail sur « la Philosophie critique 
de Duns Scot et le criticisme de Kant. » (1) 

Mais les légendes ont la vie dure. Un article publié par la 
Revue Thomiste (Juillet-Août 1912) nous oblige à revenir sur 
cette question. Le respect dû à la vérité et le devoir qui incom- 
be à tout Ordre religieux de défendre la réputation de ses fils 
injustement attaqués, même de ceux dont la carrière est depuis 
longtemps achevée, ne nous permet pas de nous taire. 

L'article de la Revue T'homiste auquel je fais allusion porte 
le titre : « La scolastique et le modernisme. » L'auteur M. T. 
Richard, y veut « mettre en saillie l’antagonisme profond et 
irréductible qui existe entre la scolastique et le modernisme, 
entre les deux doctrines et les deux méthodes. » Toutefois 
la scolastique dont il entend parler « n'est pas autre pour le 
fond et la forme que celle de saint Thomas. » De ce choix ex- 
clusif, M. Richard allègue deux motifs, l’un d'autorité, l’autre 
de raison. 

Motif d'autorité. I1 se résume dans les directions du Saint- 


(1) Cf. Études Franciscaines, Août, Septembre, Novembre, Décembre 1900. 


02501 


6 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


Siège, spécialement du Souverain Pontife Pie X. N'a-t:il pas 
écrit dans l’Encyclique Pascendi les paroles célèbres : « Quand 
nous prescrivons la philosophie scolastique, ce que nous enten- 
dons surtout par là — ceci est capital — c’est la philosophie que 
nous a léguée le Docteur Angélique. » Ce motif a de la valeur. 
Je n'ai pas à le discuter. L'esprit laissé par saint François à ses 
enfants, est un esprit de trop respectueuse et filiale obéissance à 
l'égard du Vicaire visible de Jésus-Christ sur la terre, pour 
qu'ils veuillent juger ses actes. D'ailleurs les directions données 
par nos Supérieurs et la formation que j’ai reçue de Maîtres vé- 
nérés m'en enlèvent même la pensée. 

Aussi je reconnais fort simplement que les documents ponti- 
ficaux font à la doctrine de saint Thomas une place privilégiée. 
Je veux bien avouer qu’à ce point de vue on puisse légitimement 
critiquer un jugement de Marion écrivant dans son Histoire de 
l'Église : « l’École scotiste garde toute son autorité. » Je consens 
même à ne pas chercher noise à M. Richard, sur la raison de 
haute sagesse qu'il invoque, pour expliquer les directions ro- 
maines et qui serait la nécessité de faire l'unité dans l’enseigne- 
ment philosophique et théologique, (1) car il est possible que ce 
soit là l’objectif poursuivi par le Saint-Père. Mais à ces raisons 
d'autorité l’auteur de l’article : « La scolastique et le modernis- 
me » en ajoute d’autres qui, étant personnelles, ne sont plus 
couvertes par le très haut crédit de l’Église. | 

Motifs de raison. Avec beaucoup d’assurance, M. Richard 
écrit : « Nulle autre scolastique que celle de saint Thomas ne peut 
être considérée comme l’opposé et le remède du modernisme. » 
Et pour que l’on ne setrompe pas sur ses intentions, il souli- 
gne sa pensée : « nulle autre, disons-nous, pas même la scolas- 
tique scotiste.» Fidèle à l’axiome qui veut que le sage prouve ses 
affirmations, il continue : « D’autres que nous l’ont remarqué, 
cette dernière, par quelques-unes de ses théories, n’est pas sans 
quelque affinité avec certaines aberrations modernistes, par 
exemple le primat de la volonté et de l’action. Faire de la théo- 
logie une science simplement pratique, c'est poser un principe 


(1) « Qui ne voit du reste que le grand effort de l'Eglise vers l'unité de son ensei- 
gnement philosophique et théologique aurait complètement manqué son but, s'il 
avait consisté simplement à nous recommander ex-aequo, saint Thomas et Duns 
Scot. Il n’est pas nécessaire de s'être livré à une étude bien approfondie de la doc- 
trine du Docteur subtil, pour savoir qu'elle est le plus souvent, dans les grandes 
comme dans les petites questions, la négation même de celle du Docteur angélique.» 


pag. 453. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 7 


dont il n’est pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectu- 
alistes. On sait que ces conclusions, des auteurs plus ou moins 
modernistes les ont tirées. (1) 

Ce procès de tendance jugé en six lignes, M. Richard livre au 
Docteur angélique tout le domaine de la vérité. « Rien de sem- 
blable n’est à craindre avec la doctrine de saint Thomas. Son 
opposition radicale au modernisme est manifeste à première 
vue. » Toutefois si cet « antagonisme est d’une manière générale 
assez évident au premier abord » l’auteur ne croit pas inutile 
d’en dégager nettement et d’en étudier les éléments principaux. » 
De là, quatre paragraphes où il démontre que la scolastique — 
sous-entendue thomiste — « s'oppose au modernisme, en tant 
que rationnelle, objective, traditionnelle et didactique. » Jbid. 

I] y a, dans ce passage de l’article dela Reyue thomiste, deux 
idées assez distinctes. 1° La scolastique scotiste loin de pouvoir 
s'opposer victorieusement au modernisme en est plutôt l’alliée. 
Cette première assertion est fausse. 2° La scolastique thomiste 
doit être regardée comme un obstacle puissant à l'invasion 
moderniste parce que rationnelle, objective, traditionnelle, di- 
dactique. Cette affirmation est vraie. Mais la scolastique scotiste 
a la même valeur pour les mêmes raisons et M. Richard se 
trompe si, conformément aux désirs exprimés plus haut, il veut 
exclure, par son exposé, les droits et l’orthodoxie de la philoso- 
phie et de la théologie du docteur subtil. C’est ce que nous 
espérons montrer au cours de cet article. 


A — FAUSSES ACCUSATIONS CONTRE LA SCOLASTIQUE SCOTISTE 


« La piperie des mots » est toujours à redouter dans les 
controverses philosophiques religieuses et sociales. Cependant 
on peut s'étonner qu'un esprit, aussi familiarisé avec les mé- 
thodes rigoureuses de la scolastique que doit l’être M. Richard, 
s’y soit laissé prendre à ce point. Il faut bien l’avouer, dans les 
deux accusations de modernisme qu'il porte contre la doc- 
trine de Duns Scot, il n’y a que « piperie de mots. » 


" 


On accuse d’abord la scolastique scotiste d’avoir quelque affi- 
nité avec « LE PRIMAT DE LA VOLONTÉ ET DE L'ACTION. » 


(1) Revue Thomiste, Juillet-Août. p. 453. 


8 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


Cette théorie du Primat de la volonté et de l’action est au- 
jourd’hui fameuse. Depuis bientôt vingt ans, son crédit aug- 
mente de jour en jour dans le monde intellectuel. Elle constitue 
l'élément essentiel du Pragmatisme. Vers elle convergent les 
nuances diverses de la Philosophie nouvelle, inspirée du criti- 
cisme kantien. De la philosophie pure elle s’est infiltrée dans la 
théologie, l’histoire et l’exégèse. Elle avait déjà fait beaucoup 
d’adeptes parmi le monde ecclésiastique, lorsque parut l’Ency- 
clique Pascendi. Avec le modernisme condamné par ce docu- 
ment pontifical, la doctrine du Primat de la volonté et de 
l’action recevait un coup funeste. 

On sait quel est le sens précis de cette doctrine. Il ne m'ap- 
partient pas de le rappeler ici longuement. Quelques traits 
cependant sont nécessaires pour situer le sujet de cet article et 
en tirer les conclusions que réclame la vérité. 

La théorie moderne du Primat de la volonté et de l’action est 
née d’une forte réaction contre l’intellectualisme traditionnel. 
Aux concepts généraux élaborés par l'intelligence, aux notions 
abstraites du sens commun, la philosophie nouvelle refuse toute 
valeur absolue. À en croire ses docteurs, des préoccupations 
utilitaires seules leur auraient donné naissance. Dans le perpé- 
tuel devenir qui constitue le fond de la réalité, l'esprit humain, 
pour les besoins de l’acuon, découpe des morceaux et, avec plus 
ou moins d'adresse, construit les événements extérieurs, le 
monde matériel et le monde des représentations suprasensibles. 
Qu'on lise les ouvrages philosophiques de M. Bergson, ou les 
travaux philosophico-dogmatiques de M. Le Roy, ce mépris du 
concept apparaît à chaque page. A la perception immédiate est 
exclusivement dévolu le pouvoir de pénétrer le réel, de le saisir, 
de le connaître. Mais on avoue que c’est là une œuvre extrême- 
ment difficile et ardue, pour ne pas dire impossible, actuelle- 
ment du moins. Le réel en effet que nous connaïssons est déjà 
construit par nous. Plus de formes a priori, mais une influence, 
secrète et incrustée au fond de notre conscience, des stades anté- 
rieurs de l'évolution de la pensée, due surtout aux concepts 
abstraits nés des besoins de l’action. 

Nos perceptions les plus concrètes portent l’empreinte de ces 
conceptions inspirées par les nécessités de la vie active. Les 
faits ne sont, pour les philosophes modernes, que « des adapta- 
tions du réel aux intérêts de la pratique et aux exigences de la 
vie sociale. » [l en est de même des corps bruts que nous vo- 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 9 


yons juxtaposés, que nous touchons de nos mains. « Ils sont 
taillés dans l’étoffe de la nature par une perception dont les ci- 
seaux suivent en quelque sorte le pointillé des lignes sur les- 
quelles l’action passerait. » Les contours distincts sont dessinés 
par les besoins de notre action ; ils forment le plan où elle s’exer- 
ce, « la route qu’elle se fraie d’avance par la perception dans 
l’enchevêtrement du réel. » Cette action supprimée, « l’indivi- 
dualité des corps se résorbe dans l’universelle interaction qui est 
devenue la réalité même. » 

Que dire alors des notions générales d’être, de substance, de 
cause ? Plus que tout le reste, elles représentent, en nous, les con- 
ditions mentales de notre activité. Voici comment naguère M. 
Bergson exposait l'origine de la notion de substance. « Le sens 
commun obsédé de préoccupations pratiques, imagine l’exis- 
tence corporelle sous forme d’une invariance qu’il symbolise 
par une position dans l’espace : c’est déjà abstraire et simplifier 
… quand il vient ensuite à l'esprit, ses tendances ne l’aban- 
donnent pas ; il ensevelit donc l'esprit — cette activité qui ne 
se repose jamais — dans une permanence morte, sans laquelle, 
bien à tort, il ne voit plus d'existence vraie... Un morcelle- 
ment est pratiqué à son tour dans la continuité mouvante de 
l'intuition intérieure et nous nous constituons des idées sépa- 
rées à l’image des corps indépendants. (1) 

Il en est de même de toutes les autres notions métaphysiques, 
des concepts génériques et spécifiques. Que sont-ils sinon « des 
vues lointaines et simplifiées, des manières de croquis schéma- 
tiques ne donnant de leur objet que quelques traits sommaires, 
variables selon la direction et l'angle. » (2) Par eux, « on n’at- 
teint donc des choses que la surface, les contacts réciproques, 
les parties communes, les intersections mutuelles, mais non 
point l'unité organique n1 l'essence intérieure. » Aussi le lan- 
gage qui traduit les concepts reste-t-il toujours symbolique et il 
est tel parce que « la méthode d’analyse par concepts est réglée 
avant tout sur les besoins pratiques de l’action et du dis- 
cours. » (3) ° 

Ces quelques traits suffisent : ils caractérisent la philosophie 
moderne. Pour elle, les concepts ne sont qu’une déformation 


(1) Revue de Métaphysique et de Morale 189. p. 302. 

(2) Revue des Deux Mondes, 1° février 1912. Une Philosophie nouvelle, M. 
Henri Bergson, par E. Le Roy. p. 570. 

(3) Ibid. p. 571. 


10 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


du réel ; ils morcellent l’unique réalité qui est le devenir ; ils 
réifient ce qui est indistinct. De ces concepts se tire une phi- 
losophie de l'être, une doctrine du sens commun sans valeur 
objective, inventée seulement pour conditionner l’action. 

L'action tient donc la primauté dans l’ordre de la vie et de la 
pensée. Quelles que soient les prévisions de l’avenir, — que l’on 
arrive par une intuition immédiate, dégagée de toutes les cons- 
tructions étrangères qui la déforment, à saisir intégralement le 
réel ou que ce soit une tentation vaine, — présentement du 
moins, les concepts sont dénués de valeur absolue. L'action 
les domine. Ils naissent de la volonté d’agir ; ils n’ont d’autre 
rôle que de conditionner l’action ; ils peuvent changer — on 
dit qu’ils changent — lorsque la volonté active entre dans une 
phase nouvelle de l’évolution. 

Avec des nuances assez variées, la pensée moderne se ramène 
à ce fond commun de doctrines : la valeur objective des concepts 
expressément niée, la philosophie du sens commun subordonnée 
à l’action et en conséquence, l’action primant la spéculation et 
primant la raison. De cela, les pragmatistes se consolent gaî- 
ment ; les Bergsoniens s’en plaignent et nourrissent l’espoir de 
libérer la pensée des déformations que la pratique et l’action 
tont subir à la vérité; certains apologistes s’en accommodent et y 
cherchent un point d'appui pour remettre en honneur l'idéal 
moral et religieux. Chez les uns et chez les autres, on accepte 
donc, comme un dogme ou une nécessité, et dans le sens où 
nous venons de le rappeler, le Primat de la volonté et de l’ac- 
tion. 


* 
* * 


Ce Primat de la volonté et de l'action a-t-il vraiment quelque 
parenté avec les doctrines de Duns Scot ? Très fermement nous 
pouvons répondre : non. Et cependant le docteur subtil attribue, 
lui aussi, à la volonté une certaine primauté sur l'intelligence, 
une dignité, une noblesse qui l'emporte sur la dignité et la no- 
blesse de la raison. De cette Primauté, voici la signification 
exacte. 

Tout d’abord, la Primauté de la volonté, dans la scolastique 
scotiste, ne s'élève point sur les ruines de l'intelligence, sur les 
décombres sans valeur des concepts abstraits. On chercherait en 
vain dans les ouvrages de Duns Scot le moindre soupçon sur la 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME I1 


portée objective de notre connaissance, sur la légiti mitédes per- 
ceptions sensibles, des opérations intellectuelles et des procédés 
logiques que suit notre pensée en s’organisant. On n’y trouve- 
rait pas davantage une thèse psychologique dont le critique le 
plus avisé puisse tirer une conclusion et même une apparence 
de conclusion qui ait quelque saveur nominaliste ou répande 
une odeur de criticisme. 

Duns Scot enseigne la Primauté de la volonté pour des rai- 
sons absolument étrangères à la pensée moderne et aux doctrines 
modernistes. Je pourrais presque m’excuser de ne point les rap- 
peler. Il me suffirait de renvoyer mes lecteurs au travail du P. 
Séraphin Belmond, Le rôle de la volonté dans la philosophie de 
Duns Scot, publié ici même. (1) La clarté de ma thèse exige 
pourtant que je m’'arrête encore à cette démonstration. 

On peut la résumer tout entière autour d’un texte que Duns 
Scot d’ailleurs emprunte à saint Anselme : Voluntas est motor 
in toto regno animæ et omnia obediunt sibi. (2) A la volonté 
dans le domaine de la vie psychologique, une primauté, une 
royauté absolue parce que partout elle est maîtresse et que tout 
lui obéit. L'intelligence lui est soumise comme les autres facul- 
tés. Dans quelle mesure ? C’est ce qu’il importe surtout de bien 
déterminer en ce moment. 

La vie intellectuelle ne se déroule pas toujours sur le même 
plan. Il est facile d'y découvrir deux espèces de connaissances 
assez distinctes : les unes sont initiales ou primaires, les autres 
dérivées et secondaires. 

Aux premières se rattachent les notions transcendentales d’ê- 
tre, d'essence, d'existence et les principes qui en découlent, les 
notions prédicamentales, ou catégories plus ou moins claire- 
ment conçues et les principes auxquels ces notions donnent 
naissance. (3) Fruits spontanés de l’intellect mis en présence de 


(1) Cf. Études Franciscaines, N° de Mai et Juin 1911. 

(2) In II Sent., distinct. XLII, quæst. 4, n° 2. 

(3) Je ne parle ici que des connaissances intellectuelles. La pensée de Duns Scot 
aune envergure plus large. Le principe de distinction dont je me sers ici, est tiré 
d'une question consacrée à la nature du péché. Par connaissance première, il en- 
tend toute connaissance spontanée même complexe qui prévient l'acte de volonté : 
Et toties habet homo primas cogitationes, quoties occurrunt diversa objecta et quo- 
ties surget a somno. — Report. Paris, 1. II, dist. XLII, n° 18. Nul doute que les 
idées transcendentales et les notions prédicamentales n'appartiennent. pour Duns 
Scot, à la série des connaissances initiales et premières, car elles se trouvent à la 
ligne de démarcation du monde intellectuel et toute connaissance réfléchie et secon- 
daire les suppose. 


12 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


son objet, l'être ou l’intelligible, ces notions naissent indépen- 
damment de toute influence volontaire. Elles ne sont point, 
comme le disent les Bergsoniensetles Pragmatistes, des schèmes 
formés sous l’empire de la volonté et pour les nécessités de l’ac- 
tion. La pensée de Duns Scot est nette. Pas plus que la vision 
ne dépend de la volonté, lorsque la détermination visuelle est 
produite par les objets extérieurs, les conceptions intellectuelles 
initiales et primaires ne dépendent de notre vouloir (1) 

Il n’en est pas de même des connaissances secondaires et ré- 
fléchies. En aucune manière, sans doute, la volonté ne con- 
court effectivement à l'acte formel de lintellection. Son 
activité n’en est pas même une condition indispensable. Etant 
donnés l’intellect et l’objet intelligible, la conception mentale 
s’accomplit, pourvu que s’établisse entre eux le rapport requis.(2) 

Mais on ne saurait nier son influence indirecte. 

Et cette influence est profonde : influence de fixation mentale, 
pour arrêter l'intelligence sur un objet déterminé et la contrain- 
dre à persévérer dans l'étude malgré les difficultés, l’insuccès 

P 8 ) 

immédiat, le dégoût ; influence de direction et de recherche 
pour aborder un sujet nouveau ; (3) influence de perfection dans 
la connaissance, car la volonté, en concourant à l’acte d’intellec- 
tion, peut rassembler les efforts de toutes les facultés cognitives 
et les concentrer sur le même objet (4) ; influence de sécurité 
enfin dans les conclusions déduites car la volonté qui aime réel- 
lement la vérité, écartera la précipitation, les préjugés d'où si 
souvent nait l'erreur. 

Ainsi de quelque côté qu'on l’envisage, la connaissance secon- 
daire et réfléchie dépend de la volonté. Ce n'est pas elle qui 
connaît. L'évidence d'une vérité est perçue par l'intelligence 

(1) Cum possit distingui cogitatio generaliter in primam et secundam, de prima 
probo quod non potest esse in potestate voluntatis. Quia aliqua cogitatio præcedit 
necessario omne velle. Sed quod præcedit omne velle et est prius, natura saltem, 
non est in potestate nostra. Hoc etiam dicit Augustinus : non est in potestate nostra 
quin visis tangamur. 11 Sent., dist. XLII, q. 4, n° 5. 

(2) Suficiens causa cujusque intellectionis est intellectus agens, et intellectus 
possibilis et objectum imprimens, sicut patet in prima intellectione intellectus, ubi 
voluntas non concurrit, nec aliquid aliud praeter illa agit per modum naturae. Coilat. 
II, n° 7. 

(3) Voluntas sua actione avertit intellectum a consideratione unius objecti et con- 
vertit ipsum ad considerandum aliud objectum. Jbid. 

(4) Quando intellectus intelligeret aliquid, si esset operatio voluntatis circa idem, 
et imaginatio circa idem imaginabile et sensus circa idem particulare, — ut puto 


quod esset praesens, — perfectior esset intellectio, quia potentiae distinctae circa 
diversa remittuntur in actionibus suis, Z7 Sent., dist. XZZ1, quæst. 4, n° 12. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 13 


seule et l’acte cognitif est formellement l’œuvre exclusive de l’es- 
prit. Néanmoins, exception faite des vérités qui, comme les 
vérités premières, sont si parfaites et si actuelles qu’elles livrent 
d’emblée tout leur contenu, l'intelligence doit s'appliquer, pour 
les connaître plus clairement, aux connaissances spontanées 
que lui fournit l’expérience. Là se trouve le rôle, rôle domi- 
nateur, de la volonté sur l'intelligence. Par l’amour naturel 
qu’elle porte au vrai, elle entraîne l'esprit, le fixe sur son objet, 
lui donne une force nouvelle, une intensité d'action plus féconde. 
Rivé à son objet sous l'influence de l’amour, l'esprit transpose 
ses connaissances spontanées confuses en pensées claires, ses 
données imparfaites en vérités précises. Tel est donc le rôle de 
la volonté dans l'acte de connaître : commander à l'esprit, lui 
fixer un objet, l'empêcher de continuer un acte commencé. (1) 
Ce domaine sur l’acte intellectuel — et Duns Scot n’en recon- 
naît pas d’autre — constitue en faveur de la volonté une Pri- 
mauté indéniable. 


Cette primauté apparaît encore dans une lumière plus grande, 
si l’on considère le’ rôle de la volonté dans l'ordre moral. 

Tout le domaine de la moralité est livré à son empire. Evi- 
demment elle ne crée point la distinction du bien et du mal, 
elle ne détermine pas elle-même l’ordre obligatoire des relations 
morales. Mais descendons du monde idéal du devoir dans le 
monde concret de l’activité humaine. Où se trouve la cause 
réelle de la moralité de nos actions personnelles ? N'est-ce pas 
dans la volonté? Le bien et le mal n'existent dans l’ordre con- 
cret que par l’acquiescement de la volonté libre au dictamen 
impératif de la conscience. ‘l'ant que cet acquiescement intérieur 
n'existe pas, il n’y a pas d'acte moral, il n’y a ni bien n1 mal, ni 
mérite ni démérite. La moralité prend donc naissance avec l'acte 
de la volonté. C’est même de là qu’elle descend et découle sur 
tout le reste de l’activité. L'œuvre de la pensée n’est bonne ou 


(1) Dicoigitur quod una intellectione intellectus existente perfecta, possunt ibi 
esse multae confusae et imperfectae, nisi illa intellectio esset ita perfecta et actualis 
quod non pateretur secum aliam ; illis ergo contusis et impertectis existentibus, po- 
test voluntas.... complacere in qualibet earum.... et voluntate complacente in aliqua 
intellectione, confirmat illam et intendit. 1lla igitur quae fuit remissa et imperfecta, 
fit per istam complacentiam perfecta et intensa et sic potest imperare cogitationem 
et convertere intellectum ad illam. Voluntate autem nolente aliam intellectionem et 
non complacente in ea, illa remittitur et desinit esse, 1 Sent., dist. AXZTIT, quæst. 4, 
n° 11. 


14 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


# 


mauvaise moralement que dans la mesure où elle participe à la 
bonté ou à la malice de l'acte de la volonté qui la commande. 
C'est encore par la volonté que la moralité pénètre dans le jeu 
de l'imagination, dans l'usage des sens et en un mot dans le 
mécanisme des puissances de la nature. (1) Et il en est ainsi 
parce que, seule parmi nos facultés, la volonté a le privilège de 
se déterminer elle-même, d’agir librement. 

Aucun scolastique ne lui refuse cette prérogative ; cependant, 
entre tous, Duns Scot en accentue la noblesse et l'importance. 
L'indépendance psychologique de la volonté n’est plus, pour lui, 
un mode particulier d'activité, en certaines circonstances don- 
nées ; ilen fait la modalité essentielle de toute l’activité volon- 
taire et brise les liens par lesquels l’école thomiste rend la 
volonté vraiment trop captive de la raison. Sans méconnaître la 
vérité de l'axiome « nil volitum quin præcognitum », en fai- 
sant même de l'élément cognitif une partie intégrante de 
l'exercice de la volonté qu'il définit : appetitus cum ratione liber, 
le docteur subtil, rend à cette faculté un domaine absolu sur 
tous ses actes. La nécessité ne l’enserre jamais. Même en face 
du bien absolu, son indépendance est sauvegardée. Elle l’aime 
et le veut infailliblement, mais d’elle seule pourtant vient cet 
acte d'amour et de vouloir. Nul déterminisme qui la meuve 
du dehors, nulle influence nécessitante de motifs qui la meuve 
du dedans. Une tendance de nature la porte au bien ; la même 
tendance l’éloigne du mal. Au bien elle ne peut donner que son 
amour, au mal sa haine, si elle exerce son activité, mais rien ne 
la nécessite à agir. Absolument parlant, il est en son pouvoir de 
ne faire ancun acte positif, nec velle, nec nolle. (2) 

Cette indépendance souveraine ennoblit étrangement la volonté 
et l’élève au-dessus de l'intelligence. L'activité intellectuelle n’é- 


(1) Sicut movendo recte potentias inferiores, actus earum sunt recti, rectitudine 
participata, ita etiam per oppositum, movendo non recte, sunt actus earum non rec- 
ti. Quam rectitudinem debet voluntas illis dare. Et ita movendo eas non recte, privat 
eas illa rectitudine. Et hoc habetur expresse ab Anselmo. Loquens in forma alia- 
rum potentiarum dicit : « dedisti nobis dominum cui obedire non possumus. etc. et 
dicit quod (voluntas) movet alias potentias in nobis sicut instrumenta. Ex quo etiam 
sequitur quod nullus actus possit esse malus, etiam materialiter, nisi qui potest 
imperari ab actu voluntatis formaliter malo. ZI Sent., dist. XLII, quæst. 4 n° 2. 

(2) Dico ergo quod voluntas sic determinatur ad volendam beatitudinem et ad 
nolendam miseriam quod si eliciat aliquem actum circa ista objecta, necessario et 
determinatum elicit actum volendi respectu beatitudinis et nolendi respectu mise- 
riae, Non autem absolute determinetur ad unum actum eliciendum vel alium. 
IV Sent., dist. XLIX, quaest. 10, n° 9. 


Et 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 15 


chappe point aux étreintes de la nécessité. A la présence des 

objets sensibles, le mécanisme de la pensée se décroche naturel- 
lement. Plus tard les axiomes et les principes rationnels domi- 
nent l'esprit et lui tracent un chemin rigide par où passent ses 
jugements et ses raisonnements. Bref, la pensée est dépendante 
et le vouloir est libre ; l'intelligence est déterminée et la volonté 
se détermine elle-même ; l'intelligence est esclave du vrai et la 
volonté se dirige elle-même vers le bien; l'intelligence est la 
noble servante de la volonté mais la volonté est la très noble 
maîtresse qui gouverne l’activité humaine, domine psychologi- 
quement sur la pensée et donne aux actes de la pensée, comme 
aux opérations des autres facultés, leur caractère moral. A la 
volonté par conséquent une Primauté réelle dans tout le do- 
maine de notre activité : voluntas est motor in toto regno 
animae et omnia obediunt sibi. 


I se peut qu’un philosophe, formé à l’école de saint Thomas, 
n'accepte pas cette doctrine. Mais ce que le respect de la vérité 
lui défend, c’est d'identifier et même de rapprocher la Primauté 
de la volonté enseignée par Duns Scot et le Primat de la volonté 
et de l’action, tels que le conçoivent les philosophes modernes. 
Il n’y a même aucune ressemblance entre les positions du doc- 
teur subtil dans la solution de ce problème, et le point de vue où 
s’est placé M. Blondel, dans son livre « L'action » et ailleurs. S'il 
connaît une Primauté de la volonté, il ignore le Primat de 
l'action. 

Aussi loin de trouver entre la Primauté scotiste de la Volonté 
et le Primat moderniste de l'Action, quelque trait commun, un 
esprit dégagé de tout préjugé n’y découvrira qu’opposition. On 
s'en convaincrait sans peine à considérer simplement les pages, 
où, ex professo, Duns Scot traite la question de la Primauté de 
la volonté : Utrum potentia sit nobihor, intellectus an voluntas ? 
Saint Thomas la pose presque dans les mêmes termes : Utrum 
voluntas sit altior potentia quam intellectus ? À ceux qui, de son 
temps, répondaient affirmativement, le docteur angélique oppo- 
se une distinction. Sous un certain angle, secundum quid, oui, la. 
la volonté est plus élevée, plus noble que l'intelligence, mais 
cependant en soi, secundum se, et pour donner une solution 
commune, simpliciter, la primauté d'honneur revient à l'intelli- 
gence. (1) 


(1) Secundum se et simpliciter intellectus est altior et nobilior voluntate .. Secun- 


16 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


Placé sur le même terrain, conceptualiste-réaliste, que son 
illustre devancier, le docteur subtil étudie la preuve qu'il a lue 
dans la Somme théologique. Cette preuve, fondée sur la préémi- 
nence de l’objet de l'intelligence, plus simple, plus absolu, plus 
abstrait que celui de la volonté ne lui semble pas probante. De 
la comparaison entre les ojets des deux facultés, 1l ne voit sor- 
tir aucune conclusion précise. (1) Au contraire sa pensée in- 
cline vers la doctrine de la Primauté de la volonté, lorsqu'il 
considère la noblesse des habitudes dont elle peut être enrichie, 
spécialement de la charité surnaturelle. (2) Son jugement s’affer- 
mit à la vue de l'influence des actes volitifs sur l’activité de 
l'intelligence, dépendante de la volonté dans son exercice le plus 
fréquent (/bid. n° 16). Sa conviction s’enracine au souvenir du 
rôle de la volonté dans la vie humaine. N'est-ce pas elle qui 
rend l’homme vraiment grand, en le soumettant à la loi du 
devoir, en l’attachant, par les liens de l’amour à la vertu et à la 
sainteté ? (Zbid, n° 17). N'est-ce pas ce qu’enseigne aussi, en 
contre-preuve, le fait du péché ? Si vraiment corrurptio optimi 
est pessima, qui voudrait refuser à la volonté une noblesse supé- 
rieure à celle de l'intelligence, devrait conclure que l'erreur 
involontaire est plus monstrueuse que le mal moral formel et 
pleinement volontaire (Zbid, n° 19). D'autre part, la dépendance 
de la volition à l'égard de la pensée ne s'oppose point à la Pri- 
mauté de la volonté. En deux mots, le docteur subtil tranche la 
difhculté que l’on agitait déjà de son temps. Entre les deux 
facultés maitresses de l'homme, il v a, si l'on veut, réciprocité 
d'action ou plutôt de dépendance et de relation, mais l'intellec- 
tion dépend de la volition comme d’une cause supérieure, 
tandis que la volition dépend de l'intellection comme d’une 
cause auxiliaire. (3) 

Duns Scot, on le voit, ne méprise point les sources intellectu- 
alistes où ses adversaires ont puisé leurs arguments. Îl y va 
chercher lui-même la matière de ses propres raisonnements : il 


dum quid autem et per comparationem ad alterum voluntas invenitur interdum 
altior intellectu. Sum. Theol. Pars Ia, quaest. LXXXIT, a. 3. 

(1) Cf. IV Sent., dist. A LIN, quaest. 4, n° 10-13, 

(:) Hoc medium (demonstrativum) videtur magis concludere pro voluntate, ma- 
xime loquendo de habitibus intusis quae disponunt ad beatitudinem illam veram de 
qua loquuntur Theologi. Jbid. n° 14 

(5) Intellectus dependet a volitione, ut causa partiali sed superiori ; e converso 
autem voluntas ab intellectione ut a causa partiali, sed subserviente, ZV Sent., dist. 
XLIX, quaest. 4 (ex latere) n° 18. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 17 


argumente comme eux, ex objecto, ex habitibus, ex actibus, ex 
relationibus. Qu'y a-t-il de plus foncièrement scolastique, de 
plus strictement conceptualiste ? À moins d'admettre que la di- 
vergence d'opinion, sur un point discutable de doctrine, après 
tout secondaire, entraîne un changement total dans l'orientation 
de la pensée et amène un système de philosophie tout nouveau, 
on ne trouvera pas la moindre trace de modernisme dans cette 
doctrine de la Primauté de la volonté. Rien donc qui la rappro- 
che des théories défendues par les Pragmatistes et les Bergso- 
niens. Pour le prétendre sans parti pris, pour voir dans la 
Primauté de la Volonté, selon Duns Scot, une ébauche du 
Primat de la volonté et de l’action des temps nouveaux, il faut 
nécessairement être victime de « la piperie des mots. » 


II 


Piperie des mots encore le second reproche échappé à la 
plume de M. Richard. Il écrit : « Faire de la théologie une 
science simplement pratique, c'est poser un principe dont il 
n’est pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectualistes. 
On sait que ces conclusions, des auteurs plus ou moins moder- 
nistes les ont tirées. » 

Que l’on puisse tirer des conclusions anti-irtellectualistes de 
la doctrine — enseignée par Duns Scot— qui attribue à la théolo- 
gie un caractère de connaissance pratique, Je le concède. T'out est 
possible, mais il reste à savoir si cette déduction est faite suivant 
les exigences de la logique, et si, de fait, la pensée moderniste a 
trouvé son anti-intellectualisme dans une argumentation de ce 
genre. Commençons par ce second problème et sans ambage di- 
sons ce que l’histoire du modernisme proclame très haut. 

Loin d’avoir tiré son anti-intellectualisme de la doctrine qui 
fait de la théologie une science pratique, le modernisme n’a 
voulu donner à la théologie qu’une valeur pratique parce qu'il 
était anti-intellectualiste. On a pu s’en convaincre par l’esquisse 
faite plus haut de la philosophie moderne et modernisante. 
Qu'il me soit permis encore d’insister sur ce sujet. Quelques 
pensées et quelques textes empruntés au livre de M. E. Le Roy, 
Dogme et critique, sufliront d'ailleurs au but que je me propose. 

Entre notre siècle et les siècles passés grande est la différence. 
« Nous ne sommes plus au temps des hérésies partielles... La 
négation ne s'attaque pas aujourd hui à tel dogme plutôt qu’à 


E. F,. — XXIX. — 2 


18 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


tel autre. Elle consiste surtout en une fin de non-recevoir préli- 
minaire et globale. On ne discute pas si telle proposition est un 
dogme ou non. C’est l’idée même du dogme qui répugne et qui 
fait scandale. Pourquoi cela ? » 

À cette question qu'il pose, M. Le Roy répond lui-même. 
Toutes ses réponses se ramènent à l'opposition de « la pensée 
moderne» et de la philosophie scolastique qui a coulé les dogmes 
dans le moule des formules aristotéliciennes. La pensée moderne 
ne peut plus s’accommoder avec la conception intellectualiste 
des dogmes « que le travail de la psychologie et de la critique a 
définitivement ruinée ». À la conception ancienne doit se substi- 
tuer une conception nouvelle. En voici les deux caractères les 
plus nets. « Un dogme a d’abord un sens négatif. Il exclut et 
condamne certaines erreurs plutôt qu’il ne détermine positive- 
ment la vérité. » Dogme et critique, pag. 19. Si les dogmes for- 
mulaient la vérité absolue en termes adéquats, ils seraient 
inintelligibles pour nous. S'ils ne donnaient qu’une vérité 
imparfaite, relative et changeante, ils ne pourraient pas légiti- 
mement s'imposer. » Jbid. p. 23. 

Toutefois un dogme n’a pas seulement un sens négatif. « I] a 
surtout un sens pratique. Il énonce avant tout une prescription 
d'ordre pratique. Il est plus que tout la formule d’une règle de 
conduite pratique. Là est sa principale valeur, là sa signification 
positive. » Zbid. p. 25. C’est d’ailleurs dans la pratique, dans 
l’action, dans la vie, dans l'expérience religieuse personnelle que 
le dogme prend une signification précise. La pensée ne peut pas se 
figer en des formules mortes. Dans son application aux dogmes, 
la démarche qui lui convient, c’est « celle d’épreuve d'expérience 
vécue et non pas de dialectique intellectualiste. » Zbid. p. 31. 

Le christianisme en nous imposant des dogmes ne nous impo- 
se donc point, même indirectement, un système de philosophie. 
« Aussi le catholique obligé de les admettre n'est astreint par 
eux qu’à des règles de conduite, non pas à des conceptions par- 
ticulières..…. Après les avoir acceptés, il garde toute sa liberté 
pour se faire des objets correspondants — de la personnalité 
divine, de la présence réelle ou de la résurrection, par exemple, 
— telle théorie, telle représentation intellectuelle qu’il voudra. 
Une seule chose lui est imposée, une seule obligation lui in- 
combe : sa théorie devra justifier les règles pratiques énoncées 
par le dogme. » Jbid. p. 32. 

De cette conception nouvelle des dogmes, l’unique raison, 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 19 


M. le Roy le redit sans ambages, en terminant son article 
fameux, c’est que « la conception intellectualiste courante — ou 
scolastique — aujourd’hui rend insolubles la plupart des objec- 
tions que soulève l’idée du dogme. » Zbhid. p. 34. A travers les 
pages nombreuses qu’il consacre à la défense de cette doctrine, 
l’auteur revient sans cesse à ce thème fondamental. 

On peut donc, sans crainte, affirmer que ce n'est point d’une 
conception préalable du caractère pratique de la théologie que 
les modernistes ont tiré des conclusions anti-intellectualistes. 
Pour le prétendre, il faudrait avoir une connaissance bien super- 
ficielle du mouvement intellectuel des vingt dernières années. La 
pensée philosophique a été profondément troublée par l’influ- 
ence de Kant. On tient en suspicion l'intelligence abstractive. 
Aux concepts qu'elle engendre on n'’attribue qu’une valeur pro- 
visoire. On diminue le domaine de la raison théorique pour 
augmenter celui de la raison pratique. Les philosophes moder- 
nes ont, depuis longtemps et sans trop de peine, livré au pillage 
le musée des formes a priori et des catégories de l’entendement 
édifié par Kant, mais ils ont gardé l’esprit qui animait tout le 
mécanisme du kantisme, le relativisme de la connaissance spé- 
culative et la suprématie de la morale avec le Primat de l’Action. 
Au fond du bergsonisme et du pragmatisme résonne l'écho des 
doctrines du philosophe de Kænigsberg. Il se répercute avec 
des nuances à travers les ouvrages des modernistes. Leur théo- 
logie ne veut plus voir dans les dogmes qu’une doctrine pra- 
tique parce que leur philosophie est nettement anti-intellectua- 
liste. C’est une question de fait. 


* 
* * 


Ne pourrait-on pas, maintenant, dans le domaine si vaste de 
la possibilité, se demander si « faire de la théologie une science 
simplement pratique ne serait point poser un principe dont il ne 
serait pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectualistes. » 
M. Richard l’affirme et son affirmation est un trait décoché à 
Duns Scot. 

D’après le docteur subtil en effet, la théologie est une con- 
naissance pratique. L’attention très spéciale qu'il accorde à cette 
question, d'apparence secondaire, laisse entendre qu’elle était 
très agitée dans l’École. Deux courants d'opinion partageaient 
les esprits : les uns avec Henri de Gand, ne voyaient dans la 


20 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


théologie qu’une science spéculative ; les autres à la suite de 
saint l'homas ne lui refusaient point un caractère pratique mais 
comme secondaire et dérivé. (1). 

Au jugement de Duns Scot, ces deux positions ne sont pas 
solides. IT lui semble plus juste d'enseigner que la théologie est 
une connaissance d'ordre pratique. 

Et pourquoi d’ordre pratique ? Est-ce parce que les dogmes 
révélés ne peuvent se traduire légitimement en concepts méta- 
physiques et en formules intellectualistes ? Est-ce parce que leur 
contenu est plutôt négatif que positif? Est-ce parce que leur 
expression dans le langage humain n’a qu’une valeur métapho- 
rique? Est-ce parce que la vérité qu'ils contiennent n’est qu’un 
germe de vieet d'action, capable de créer en nous de simples 
expériences religieuses et de diriger notre volonté ? Nullement. 

La doctrine de Duns Scot s'inspire de raisons toutes diffé- 
rentes, de raisons intellectualistes, appuyées sur la Révélation et 
la Tradition. Quiconque ouvrirait la «Quaestio IV » du Prolo- 
gue de ses Commentaires sur les Sentences de Pierre Lombar 
s’en rendrait compte aisément. Avant d'aborder la solution du 
problème, Duns Scot écrit tout un traité d’allure aristotélicienne 
sur la «connaissance pratique ». J’en résumeleslignes principales. 

Est pratique, suivant le sens commun, la connaissance qui 
dirige l’agent vers « une pratique », c’est-à-dire, vers un but à 
atteindre, vers une fin à poursuivre, vers une action à produire. 
Dans la série ordonnée de nos opérations et d’après le jeu psy- 
chologique de nos facultés, la connaissance pratique ne dirige 
que les actes de la volonté, actes élicites dont l'exercice est enter- 
mé dans le sanctuaire intérieur de la volonté même, actes impé- 
rés exécutés par les autres facultés soumises à l’empire direct de 
notre vouloir. Dès lors la connaissance pratique précède au 
moins d’une priorité de nature l'acte de la volonté et cet acte 
lui-même doit être susceptible de se conformer à la raison direc- 
tive. (2) Pour être pratique d’ailleurs, la connaissance ne réclame 


(1) Omnis scientia practica est de rebus operabilibus ab homine, ut moralis de 
actibus hominum, et æditicativa de ædificiis. Sacra autem doctrina est principali- 
ter de Deo cujus magis homines sunt opera. Non ergo est scientia practica, sed ma- 
gis speculativa. Sum. Th. Pars Ia, quaest. [, art. 4. 

(2) Ad istas quæstiones solvendas, accipio unum generale, quod ab omnibus 
conceditur, quod habitus practicus aliquo modo extenditur ad praxim... Dico igitur 
quod praxis ad quam cognitio practica extenditur est actus alterius potentiae quam 
intellectus, naturaliter posterior intellectione, actus elici conformiter rationi rectæ, 
ad hoc ut sit actus rectus. {1n Prolog., quaest. 4, n° 3. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 21 


pas une direction spéciale vers la pratique. Il suffit que son objet 
puisse être en même temps l’objet d’un mouvement de la volonté 
et le terme de son activité. 

De ces principes l'application à la Théologie est facile. Qu'on 
la considère avec l’ensemble des vérités nécessaires ou avec son 
cortège de vérités contingentes, elle nous présente toujours Dieu. 
Elle le présente à notre foi, mais la foi n’est pas un acte purement 
spéculatif de notre esprit : elle est ordonnée à la vision et la vision 
à la fruition. (1) Elle le présente donc comme l’objet vers lequel 
tend notre volonté. Sans doute la Théologie et la Révélation en- 
seignent beaucoup de vérités dogmatiques qui, par elles-mêmes 
paraissent de prime abord, spéculatives et uniquement spécula- 
tives. À les considérer de plus près. on leur reconnaîtra un 
caractère pratique. Toutes concourent à rendre plus conforme 
à la vérité objective la tendance active de la volonté vers sa fin. 
Sans ces connaissances, elle pourrait s’écarter du droit sentier, 
sans responsabilité évidemment, mais néanmoins au détriment 
de la perfection de ses actes. 

Duns Scot en appelle à quelques exemples. Quoi d'apparence 
plus spéculative que le dogme de la Trinité, que celui dela Créa- 
tion, que celui de la réparation du péché? Et pourtant il n’est 
rien qui ne serve davantage à la direction pratique de la volonté. 
Si nous ignorons la Trinité des personnes, nos actes d'amour 
n'auront pas toute la rectitude possible, ils manqueront même 
de la rectitude nécessaire s'ils ont pour objet une personne à 
l'exclusion expresse des autres. — Si nous ignorons que Dieu a 
créé le monde dans un acte de liberté et de pure bienveillance, 
ne tomberons-nous pas dans une erreur pratique regrettable, 
en ne lui payant pas le tribut d'amour et de reconnaissance 
qu'une telle communication de bonté réclame. — Si nous igno- 
rons les vérités qui concernent le rachat et la réparation du 
péché, du même coup se trouve encore tarie la source des senti- 
ments religieux les plus intenses dont le cœur de l’homme puisse 
être le foyer. (2) Les dogmes qui au premier aspect semblent 


(1) Fides non est habitus speculativus nec credere actus speculativus nec visio se- 
quens credere est visio speculativa sed practica. Nata est enimista visio conformis 
esse fruitioni et prius naturaliter haberi in intellectu creato, ut fruitio recta illi con- 
formiter eliciatur. /n Prolog., quaest. 4, n° 41. 

(2) Licet enim Trinitas personarum non ostendat finem appetibiliorem, quam si 
esset non Trinus, quia est finis in quantum unus Deus, non in quantum Trinus : 
tamen voluntatem ignorantem Trinitatem, contigit errare, in amando vel deside- 

. rando finem, desiderando frui una persona sola. Similiter ignorantem Deum fecisse 


22 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


purement spéculatifs sont donc vraiment d’ordre pratique. Et 
ils le sont parce que tous sont susceptibles de servir de phare à 
la volonté et de la diriger vers sa fin sans erreur et avec un res- 
pect absolu de la vérité. 

A la connaissance théologique, Duns Scot ne veut pas attri- 
buer, comme saint Thomas l’a fait, un caractère à la fois spécu- 
latif et pratique. Une trop grande unité domine la Théologie 
pour que cette théorie puisse être admise. Par une extension 
accidentelle à l’action qu’elle dirige, la faculté intellectuelle, de 
sa nature essentiellement spéculative, peut quelquefois s'appeler 
pratique. Tout autre est la science ou la connaissance prise 
comme habitus ou comme actus : les termes de spéculatif et de 
pratique signifient là, des différences essentielles. Donc l’un ou 
l’autre ; il faut choisir. L’hésitation n’est pas possible. La théo- 
logie est vraiment une connaissance pratique, car elle dirige la 
volonté humaine vers Dieu, fin béatifique que les créatures rai- 
sonnables sont appelées à posséder par l’amour. 


De cette doctrine scotiste est-il possible de tirer des conclu- 
sions anti-intellectualistes ? J’ai beau relire les pages dont je 
viens de traduire les pensées essentielles, je n'arrive pas à trou- 
ver la conséquence que M. Richard prétend y avoir découverte. 
Partout je vois l’intellectualisme régner en maître et l’esprit qui 
a conçu cette forte dissertation, loir de vouloir en fuir l’étreinte, 
lui accorde par ses distinctions aristotéliciennes, un empire 
aussi absolu que possible. Il serait donc bien étrange que de là 
puisse sortir l’anti-intellectualisme. Une conclusion ne peut 
légitimement découler que d’un antécédent qui la contienne vir- 
tuellement. Sans prendre des airs provocateurs, nous pouvons 
mettre qui que ce soit au défi de nous montrer dans la doctrine 
du docteur subtil sur le caractère pratique de la théologie une 
prémisse qui contienne des conclusions anti-intellectualistes. 

Cependant M. Richard nous en donne l'assurance ; « ces 
conclusions des auteurs plus ou moins modernistes les ont 
tirées. » J’en demande pardon à l’auteur, mais il intervertit in- 
consciemment l’ordre et la marche des idées. C’est de leur anti- 


mundum contingit errare, non rependendo amorem, qualem gratitudo requireret 
propter tantam communicationem bonitatis suae, ad utilitatem nostram factam. Îta 
ignorando articulos pertinentes ad nostram reparationem, contingit ignorantem er- 
rare, etiam non rependendo amorem debitum pro tanto beneficio et ita de aliis 
Theologicis. In Prolog., quaestio 4, n° 20. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 23 


intellectualisme que les modernistes ont tiré la conclusion : les 
dogmes n'ont qu'une valeur d'action, et la théologie n’est 
qu'une science pratique. Je l'ai montré assez clairement quel- 
ques pages plus haut. 

En vain pour appuyer son jugement, M. Richard en appelle- 
+-il à une note ajoutée par M. Le Roy à son livre « Dogme et 
critique » (pag. 377). Sous forme d’une « Lettre d’un probabi- 
liste a M. Le Roy, » un correspondant anonyme qui, selon son 
aveu ingénu, n’a pas lu Duns Scot « et a dû se résigner à suivre 
la pensée du docteur subtil à travers les Commentaires de son 
Ecole » attribue au Maître franciscain « écrites dans la langue 
du XIII: siècle, une doctrine scolastique du primat de l’action 
et une conception du dogme qui n’est pas la conception intellec- 
tualiste courante. » (pag. 377). Et ce « Probabiliste » cite 
Frassen avec Pierre Auréolus et Henri de Gand. M. Le Roy, 
au cours de son livre, avait lui-même invoqué Duns Scot et la 
Théologie séraphique et Frassen. (pag. 123-124) 

Que valent ces appels que M. Richard prend pour des déduc- 
tions ? Toute la valeur d’une citation inintelligente. M. Le Roy 
et son correspondant n'ont rien compris aux textes de Frassen 
dont ils prétendent se servir, pas plus qu'aux textes de saint 
Thomas, semés çà et là, au travers de l'ouvrage « Dogme et 
critique ». Car M. Le Roy, qui ne cite point Duns Scot, cite le 
docteur angélique. Il en a lu au moins quelques pages et se 
retranche derrière son autorité. M. Le Roy a lu aussi — et il 
cite — les actes du Concile du Vatican, et les Evangiles et les 
Épiîtres de saint Paul. À son avis, sa conception nouvelle des 
dogmes s’alimente même à ces sources très pures. N’aurais-je pas 
un parfait succès de ridicule, si j'allais prétendre que ces témoi- 
gnages, cités par un moderniste en quête d’autorités pour 
fortifñier sa thèse, sont recevables et que du Concile du Vatican, 
des Évangiles et des Epiîtres de saint Paul, il n’est pas difficile 
de tirer des conclusions anti-intellectualistes. Quelle différence 
pourtant y aurait-il entre cette prétention et celle qu'affiche 
M. Richard dans son article ! 

Entre la doctrine scotiste qui « fait de la théologie une science 
pratique » et le modernisme anti-intellectualiste, il y a un abîme. 
Ceci n’est pas engendré par cela. L’histoire du mouvement mo- 
derniste proteste contre toute tentative de rapprochement sem- 
blable. Qui voudrait quand même l'essayer ou n’en tirerait 
rien ou se laisserait griser par l'apparence, «la piperie des 


24 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


mots. » Grâce à la piperie des mots, les doctrines les plus oppo- 
sées peuvent avoir un certain air de famille : les esprits naïfs ou. 
intéressés s’y laissent prendre ; les sages y regardent avec plus 
d'attention. 


Ainsi des deux accusations portées contre la doctrine de Duns 
Scot par M. Richard, aucune n'est fondée. La Primauté scotiste 
de la volonté n’a rien de commun avec le Primat moderniste 
de l’action. Aucun lien ne rattache l’anti-intellectualisme moder- 
niste à Ja thèse qui fait de la théologie une connaissance prati- 
que. Pour jeter le discrédit sur le docteur subtil et rendre sa 
pensée suspecte de modernisme, d’autres arguments seraient 
nécessaires. Ceux que nous avons combattus dans cet article ne 
sont vraiment que « piperie de mots. » 


(A suivre.) Fr. RAYMOND 
O. M. C. 


LE RATIONALISME 


ET LA 


CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE (1) 


Depuis cinquante ans, M. L. CI. Fillion s’adonne aux études 
bibliques et ses commentaires sur les Évangiles remontent à une 
trentaine d'années. [létait donc parfaitement qualifié pour entre- 
prendre d’explorer l’œuvre abondante et compliquée du ratio- 
nalisme biblique contemporain et d’en dégager les vues d’en- 
semble, les procédés, les résultats. Au courant, depuis de longues 
années, des positions successives adoptées par la critique, dite 
indépendante, vis-à-vis de l’histoire évangélique, il était encore 
préparé d’une façon plus immédiate à ce travail, par diverses 
études publiées par lui récemment. Travail difficile, puisqu'il 
fallait rendre suffisamment la variété presque infinie des systèmes 
et des ouvrages, pour donner un exposé objectif, et, tout à la 
fois, dominer d’assez haut cette littérature innombrable, autant 
que broussailleuse, pour parvenir à des vues synthétiques et à des 
conclusions d'ensemble. Un livre qui, en 350 pages, propose, 
dans une complexité suffisante, les résultats d’une aussi vaste 
enquête ne peut manquer d’être fort compact et d’une lecture 
quelque peu dure, surtout si l’on veut lire, en plus du texte, 
relativement bien dégagé et désencombré, les notes bourrées de 
noms, de dates et de titres de livres, de brochures et d'articles. 
I! le faut faire, d’ailleurs, et on n’y perdra pas sa peine. 

Combien, en effet, cette lecture est instructive! Et, tout 
d’abord, par l’amas énorme de renseignements utiles et souvent 


(1) L. CI. Fillion : Les Étapes du rationalisme dans ses attaques contre les 
Évangiles et de la vie de N. S. J.-C. — 1 vol. in-12° de VI-364 pages. Lethielleux, 
Paris, 1911. 


26 LE RATIONALISME 


précieux ; il faut signaler spécialement les brèves notes biogra- 
phiques, dont l’auteur dit à bon droit, qu’elles sont aussi intéres-. 
santes que difficiles, parfois, à réunir. 

Mais l'intérêt d’un pareil travail réside aussi, et surtout, dans 
le tableau en raccourci, très suggestif, qui en résulte, et constitue, 
peut-être, la meilleure critique et l’une des plus efficaces, qu’on 
puisse faire de l’œuvre destructrice de cette indigeste et préten- 
tieuse « science allemande » appliquée à l’étude des évangiles. 

On est vite frappé, en effet, et dès le début de cette longue 
histoire littéraire — elle s'étend à une période de 135 années — 
des redites continuelles, et du petit nombre d'idées, et de sup- 
positions que la fantaisie d’outre Rhin a su imaginer. Reimarus 
et Paulus, Strauss et Baur — auxquels il faut joindre l’anonyme 
saxon et, dans la série des extrémistes et des « agités » grossiers, 
Bahrdt et Ventarini — n’ont laissé aucune explication originale 
à trouver, non seulement aux écrivains de leurs écoles, mais 
aux critiques adoptant des théories d'ensemble toutes différentes. 

Jai ditici, naguère, la malicieuse insistance avec laquelle M. 
Lepin rapprochait des développements de M. Loisy sur le IV?= 
Évangile, de nombreux passages de Strauss. Le critique indé- 
pendant, comme aussi la grande majorité des autres critiques 
indépendants d'aujourd'hui, mériterait la qualification de « cons- 
cious imitator » qu’un érudit anglais attribuait, il y a quelques 
années à l’auteur de l’Ecclésiastique, à moins qu'on ne préfère 
retourner à l'adresse de M. Loisy, avec de légères modifications, 
ce qu’il nous dit du quatrième Evangile et de son rédacteur : de 
ses livres, petits et gros, la littérature rationaliste allemande 
« a fourni les éléments ; la combinaison s’est faite comme d’elle- 
même dans l'esprit (de l’auteur), pour qui (la réminiscence) 
était devenue la forme ordinaire de la réflexion » et de la recher- 
che scientifique. 

Et non seulement, les critiques contemporains empruntent 
fidèlement leurs idées et leurs explications à ceux qui les ont 
précédés, souvent sans distinction d'écoles, mais on peut dire 
que cette fidélité à emprunter les idées déjà émises est une tradi- 
tion ancienne autant qu'universelle parmi les rationalistes. Les 
auteurs de la « deuxième étape » doivent déjà presque tout à 
ceux de la première et quelques-unes des théories les plus 
« originales » de Strauss avaient été exposées, par Herder, près 
de quarante ans avant l'apparition de la « Vie de Jésus ». 

La constatation ne laisse pas d'être contrariante pour des 


ET LA CRITIQUE DE L’HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 27 


professeurs et des écrivains, qui pour la plupart, visent à l’origi- 
nalité, au détriment, parfois, de toute autre considération. Est- 
elle de nature à diminuer, ou annuler, la portée scientifique des 
théories et des objections continuellement ressassées? De ce que 
des critiques, de tendances si diverses, occupant des positions 
parfois très éloignées, en reviennent toujours à des explications 
toujours les mêmes ou à des hypothèses identiques, ne peut-on 
pas conclure plutôt en faveur de la justesse des explications et de 
la vraisemblance des hypothèses ? 

En réalité, avec ses redites continuelles, dès le début, la cri- 
tique rationaliste donne l'impression, non d’un effort continu 
et prolongé — au moins dans ses grandes lignes — vers un but, 
sans cesse mieux aperçu et approché de plus près ; mais d’une 
vaine agitation, en un cercle restreint et rapidement, autant que 
définitivement fermé. Elle n'apparaît pas comme un grandiose 
mouvement d'idées évoluant vers plus de lumière, mais comme 
un chaos d’hypothèses, peu nombreuses en définitive mais en- 
trant dans les combinaisons les plus diverses — nuages aux 
contours imprécis et aux teintes ternes planant lourdement sur 
une terre remuée jusqu'à l’émiettement, sur une plaine morne 
cultivée en ses moindres recoins par un utilitarisme savant, 
mais sans idéal et sans art. 

Dans la littérature rationaliste on trouve une certaine variété, 
assez limitée d’ailleurs, de procédés et de méthodes, mais pour- 
quoi théories, explications, hypothèses reviennent-elles, comme 
des éléments interchangeables, dans les divers systèmes mythi- 
ques ou naturalistes, évolutionnistes ou syncrétistes, systèmes 
bien différents, qui, tout au moins, s'opposent les uns aux autres? 

Serait-ce que le résultat seul importe, à savoir la ruine de la 
valeur historique des Évangiles ? Serait-ce que, pour enlever à 
la grande physionomie du Christ son rayonnement divin, les 
recherches savantes et les groupements ingénieux d’hypothèses 
ont peu de valeur, puisqu'il y suffit d’un principe absolu, indé- 
montrable, planté comme un fétiche au début de cette longue 
route : l'impossibilité, l’inexistence du surnaturel. Ce fétiche, 
on le retrouve au terme, sous forme de conclusion ; on n’y est 
pas amené par des déductions logiques ou des inductions scien- 
tifiques, on y arrive au moyen d’une pétition de principe par 
un cercle vicieux. 

Une autre observation que suggère la lecture attentive du livre 
de M. Fillion c’est que les idées à priori, les hypothèses des 


28 LE RATIONALISME 


rationalistes non seulement dominent l'étude scientifique des 
textes, ce qui reste admissible ; mais la conditionnent entière- 
ment. Leurs conclusions sont en rapport étroit non avec les 
faits observés, mais avec leurs idées préconçues — idées qui ont 
pour eux un caractère absolu, et qu'ils ne démontrent nullement. 
Leur travail de critique textuelle ou historique souvent précis 
jusqu’à la minutie, appuyé d’une surabondante érudition, ne 
laisse pas d’être parfois admirable et riche en résultats précieux 
— mais il se poursuit indépendamment de l’enchaînement de 
leurs hypothèses, de leurs inductions, sur une ligne parallèle. 
Leurs conclusions destructives se trouvent rattachées par un lien 
logique, non aux résultats scientifiques de la critique ; mais, 
exclusivement, au développement idéologique des principes des 
critiques — je veux dire, de leurs préjugés rationalistes. 

Là est la raison profonde de la faiblesse des arguments que les 
critiques modérés opposent aux extrémistes. Les premiers appa- 
raissent sincèrement révoltés des exagérations et des brutales 
affirmations des seconds ; maïs ceux-ci triomphent aisément en 
répliquant que seuls ils sont logiques. Et, en effet, leurs conclu- 
sions extrêmes, peuvent paraître ridicules au point de vue de la 
critique historique ou littéraire, elles n'en représentent pas 
moins l’aboutissement normal des principes communs. De Îlà 
encore l’embarras visible des premiers, et le manque de netteté 
de leur défense — embarras et incertitude que M. Fillion sou- 
ligne à plusieurs reprises chez les critiques libéraux et parfois 
même chez les protestants conservateurs. 

Le rôle de l'hypothèse dans la recherche scientifique — rôle 
légitime, encore une fois — est ainsi entièrement faussé. L’hy- 
pothèse est nécessaire pour diriger les inductions, grouper les 
faits, guider l'observation et l’expérimentation, c’est une intui- 
tion géniale quelquefois, qui détermine d’avance une loi incon- 
nue et conduit à la découverte de vérités nouvelles, quand elle a 
subi avec succès le contrôle des faits et qu’elle a été vérifiée par 
de longues et minutieuses investigations. Mais l'hypothèse, 
même devenue loi scientifique, garde son caractère hypothé- 
tique, provisoire. Elle ne doit jamais étroitement conditionner 
la libre et consciencieuse observation, déformer les faits, fausser 
les résultats — comme cela se produit habituellement, normale- 
ment, dans les travaux de la critique rationaliste. De ce fait 
capital la preuve se trouve presqu’à chaque page de l'ouvrage, et 
apparaît en une lumière toujours plus vive à mesure qu’on en 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 29 


poursuit la lecture. Et ce fait, à lui seul, ruine par la base tout 
l'édifice « colossal » élevé laborieusement par les ennemis 
de la révélation. Nombreux sont les matériaux de prix, — 
et qui restent utilisables pour une autre construction — mais 
la charpente est en mauvais acier, c'est de la « camelotte 
allemande ». 

Nos affirmations, à nous catholiques, pourraient paraître par- 
tiales, M. Fillion en fournit par son exposé objectif une sérieuse 
vérification. De plus il apporte un certain nombre de textes où 
les critiques libéraux expriment une idée analogue dans leurs 
appréciations fort dures, parfois, des critiques radicaux. Ainsi, 
M. Ad. Jülicher, protestant libéral, appréciant l'ouvrage très 
radical de Wrede sur le deuxième Évangile, lui recommande 
d'être encore un peu plus sceptique et défiant, non point par 
rapport aux évangiles, mais au point de vue de ses propres 
négations. Îl ajoute : « Celui-là est loin d’une critique véritable, 
qui fait de longs travaux sur les récits évangéliques, occupé à 
transformer, à atténuer, à retrancher, jusqu'à ce que le résidu 
obtenu soit au gré de sa propre raison » (pp. 169, 170). On ne 
saurait mieux dire, mais 1l faut ajouter que cette remarque sévère 
s'applique également, bien qu’en moindre proportion, aux cri- 
tiques de la nuance de M. Jülicher et à de plus modérés encore. 
Quelques lignes avant cette citation, nous en lisons une autre 
{p-. 169) empruntée à M. J. Weiss, protestant libéral, lui aussi : 
«la science historique a accompli un travail de géant... » le 
rapprochement vaut tout un poème. 

En lisant le livre de M. Fillion on est plus d’une fois tenté de 
grouper les écrivains rationalistes en deux catégories : les théori- 
ciens, les idéologues — et les savants, ceux qui s’adonnent 
sérieusement à l'étude des textes. Dans la première catégorie on 
pourrait ranger à peu près tous les auteurs appartenant aux trois 
premières étapes, et Strauss lui-même qui ne se mit que sur le 
tard, et sans le moindre enthousiasme, à l’étude des sources (p. 
127). Les savants, les érudits se rencontrent surtout parmi les 
contemporains (1) et les ouvrages de valeur, dus à des ratio- 
nalistes, dans le domaine de la critique textuelle ou de la critique 
historique, ne remontent guère au delà de la seconde moitié du 
XIX° siècle. Dans l’histoire du rationalisme biblique, les idées 
tendancieuses, les idées toutes faites sont à l’origine et la théorie 


(1) Il convient de faire exception pour Baur et son ecole. 


30 LE RATIONALISME 


avait déjà eu plusieurs éditions remaniées, quand on se préoc- 
cupa de lui donner une base scientifique. (1) 

Mais cette distinction entre les théoriciens et les savants, entre 
la science et les négations du rationalisme, nous l'avons vu 
plus haut, est plus radicale encore et se peut remarquer chez le 
même auteur, et jusque dans le même ouvrage. Il était de mode, 
il y a quelque dix ans, pour d’assez nombreux biblistes catho- 
liques, d'affirmer une extrême préoccupation d’écarter en eux- 
mêmes et chez les autres, toute réaction exagérée du théologien 
sur l’exégète ou le critique. Chez les érudits rationalistes les 
plus consciencieux et les plus modérés, il y a au moins deux 
hommes et c'est toujours le théoricien qui commande, encore 
qu'il y ait dans cette tyrannie, des uns aux autres, des nuances 
et des degrés. 

A grouper tous les écrivains, dont nous parle M. Fillion, 
deux catégories ne suffisent pas. Îl en faut une troisième pour 
les vulgarisateurs, qui ne sont n1 des théoriciens, ni des savants, 
et qui ne sont remarquables que par leur langage prétentieuf 
leurs affirmations ultrà radicales (p. 242). Parmi eux il se trouve 
sans doute des hommes intelligents, littérateurs, philosophes ou 
savants. Mais ils ont fait leurs preuves ailleurs et leur science 
brille en des domaines très éloignés de celui des sciences bibli- 
ques. On peut avoir publié un ouvrage considérable, autant que 
docte et distingué, — j'en parle uniquement par ouï dire — sur 
les poteries étrusques et traiter, en quelques pages, de la religion 
chrétienne, avec une assurance de primaire et une intrépidité 
d’inconscient. Salomon Reinach s’est indigné qu'on ait trouvé, 
dans son cas, de l’ataxie ; mais fût-on agrégé de grammaire 
et porteur d'un nom célèbre, parmi tous les antiquaires, on ne 
peut prétendre faire œuvre scientifique, ou même raisonnable, 
en traitant en 600 pages toute l’histoire des religions et en expo- 
sant, avec cette audace d’affirmation, une science encore à ses 
débuts. 

Je choisis cet exemple, pour le bruit qu'il a fait, mais on en 


(1) Un rationaliste contemporain, et qui a traité dans un livre récent le même 
sujet que M. Fillion, M. Weincl, professeur ordinaire dans une université alle- 
mande, dit de Strauss qu'il a laissé aux savants qui s'occupent des évangiles et de 
leurs récits trois tâches principales à accomplir. faire la critique littéraire des 
sources, étudier plus à fond la personnalité historique de Jésus, établir des recher- 
ches sérieuses sur le judaisme contemporain du Sauveur et sur le christianisme 
primitif. Le tout se ramèënerait facilement à une seule chose : étudier sérieusement 
la question, 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 31 


trouvera cent autres dans le texte, ou les notes, de M. Fillion. 
Dans cette catégorie des vulgarisateurs, on trouve des hommes 
venus de tous les points du monde intellectuel, et même du 
dehors. Chose curieuse, dans leurs brochures et leurs livres, ces 
hommes si différents, poètes ou philosophes, socialistes ou pro- 
fesseurs de lycée, pasteurs ou médecins parlent à peu près tous 
un même langage, celui de la vulgarisation et du pamphlet, sur 
le ton tranchant du primaire. C’est qu’un même sentiment les 
anime, la haine du Christ et de son œuvre surnaturelle. 

Enfin une quatrième catégorie est nécessaire, on y rangera les 
écrivains qui prodiguent au Christ les injures les plus graves et 
les plus méprisables. Parmi eux, quelques-uns sont tout simple- 
ment des gens grossiers et mal élevés, dont le grand tort est de 
s'occuper de l’histoire évangélique. Il n’y a, pour eux, dans 
l'Évangile, qu’une parole : « nolite mittere margaritas vestras 
ante porcos ». Le cas des autres relève de la médecine : hystéro- 
épilepsie ou la folie, sous ses diverses formes, c’est là qu’il faut 
chercher l'explication vraie de certaines injures et de blasphèmes 
maladifs. Leurs ouvrages les rendent justiciables de la psychiâtrie 
ou de la psychopathologie dont plusieurs ont osé parler à pro- 
pos de Notre Seigneur (p. 244-245, 342-343). De pareils ouvra- 
ges n'ont rien à voir avec la critique, ils ne réclament qu’un 
examen médical. Nietzsche (p. 246) est le personnage le plus 
représentatif de ce groupe malheureusement trop nombreux. (1) 

Il est temps de parler de la manière de l’auteur. M. Fillion 
nous donne surtout un exposé. Il critique rapidement et surtout 
en opposant auteurs à auteurs, ou encore en faisant suivre son 
exposé de brèves remarques. Son exposé ne vaut pas moins par 
l’heureuse puissance de synthèse de l’auteur, que par son abon- 
dante documentation, tenue à jour pendant la correction des 
épreuves et jusqu’au « bon à tirer». [l souligne au passage les 
caractéristiques des rationalistes de nuance diverse et aussi les 
indications qui se retrouvent à peu près chez tous : la haine ou 
au moins la peur du surnaturel — ce relent de sectarisme 
huguenot, ou bigot, comme on dit en Angleterre, qui perce à 
un moment ou à l’autre, même chez de vrais savants et des 
critiques relativement modérés (2) — l’esprit de parti et l’aprio- 


(:) M. Fillion à propos de Baur (p. 91), parle, après d’autres, d'idée fixe. Voir 
également ce qui est dit, déjà, de Reimarus (p. 17). 

(2) M. Harnack, par exemple, qui sème en des ouvrages de critique sérieuse, où 
il réagit fortement dans le sens de la tradition, des affirmations qui n’ont rien à voir 


32 LE RATIONALISME 


risme (p. 138-139, 142, 145...) — enfin l’usage abusif des vaines 
tirades. Ces « exercices de style » n’en imposent pas à M. 
Fillion (p. 200, 204, 232, 315, 316...). Il n’y voit que des 
phrases creuses, dissimulant mal la disparition complète de toute 
foi sérieuse au Christ historique et divin et parfois une véritable 
haine contre Lui. (1) 

Le plan de M. Fillion est aussi net que le permet le sujet. Il 
compte (p. 7) six étapes principales. Dans les quatre premières, 
il groupe autour de quatre noms, devenus fameux, les débuts 
du rationalisme dans ses attaques contre l'Evangile. Reimarus, 
Paulus, Strauss, Baur ont attaché leur nom à des systèmes par- 
ticuliers, ou plus exactement, les trois plus récents ont systé- 
matisé d’une façon différente et assez caractéristique des idées et 
des théories émises presque toutes, déjà, par le premier. 

Dans la littérature très abondante des cinquante dernières 
années, on trouverait facilement des écrivains remarquables ou 
des critiques plus érudits que Reimarus, Paulus ou Strauss, 
mais aucun nom n'émerge autant et on ne rencontre pas des 
systèmes aussi définis. Les deux dernières étapes sont donc 
appelées, par M. Fillion, étape de l’éclectisme et étape du syn- 
crétisme ou de l’évolutionnisme. 

Le noin d’éclectisme est heureux, il pourrait s'appliquer 
même à l’étape suivante, tant il apparaît avec évidence que, pour 
les rationalistes de diverses nuances, toute explication, toute 
hypothèse est bonne qui conduit à la conclusion prévue et 
voulue d'avance. Le même critique fera appel successivement à 
des explications naturalistes ou mythiques, évolutionnistes ou 
syncrétistes, 1] parlera d’idéalisation ou de «couches nouvelles ». 

Dans la cinquième étape : l’éclectisme appliqué aux évangiles, 
après l'étude rapide de quelques précurseurs, Ewald, Renan, 
la littérature rationaliste est groupée autour de trois points 
principaux : la critique littéraire des évangiles — la personnalité 


avec les faits, ni avec la sérénité scientifique. Le même professeur, dans ses cours, 
ne dédaignait pas, parfois, de méler à un exposé scientifique, de véritables potins 
de concierge, dirigés contre «la Rome papiste ». 

(1) Ce sentiment est plus répandu qu'on ne le pourrait croire parmi les critiques 
ultra radicaux et radicaux. Un historien du rationalisme, que M. Fillion utilise et 
cite souvent, et qui est lui-même rationaliste radical, fait cette déclaration : « on 
peut aussi écrire la vie de Jésus avec la haine (au cœur) et les plus grandioses de 
toutes, celles de Reimarus... et de Strauss, ont été écrites avec un sentiment de 
haine. Parce qu'ils haissaient, ils ont vu tres clair dans l’histoire »., (A. Schweitzer 
— Von Reimarus zu Wrede (1906), p. 4), Fillion (p. 130). 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 33 


de Jésus, d’après les théologiens éclectiques — l'étude du 
judaïsme contemporain de Jésus et du christianisme primitif, le 
dernier sujet offre bien des points de contact avec l’évolu- 
tionnisme. 

Dans cette section, on assiste à un travail vraiment consi- 
dérable (p. 137) et, sur plus d’un point, fort utile. La critique 
littéraire du IVe Évangile et dessynoptiques, l'étude du judaïsme 
contemporain de N.S., abondent en résultats intéressants. On 
y applique souvent une érudition très grande, une patiente 
minutie, une persévérance inlassable. Malheureusement, « dans 
un travail qui devrait être exclusivement littéraire, il se glisse 
immédiatement des préjugés historiques, ou plutôt philoso- 
phiques, qui faussent aussitôt les recherches » (p. 157). Et ce 
labeur gigantesque, « colossal », aboutit à la contradiction et 
au néant. 

Cette dure condamnation, M. Fillion la fait habilement pro- 
noncer par un juge non suspect, par «un homme qui connaît la 
critique négative et Ja pratique lui-même largement » (p. 177). 
Dans un ouvrage récent, M. Jülicher reconnaît qu’un habile 
ennemi de la critique littéraire pourrait grouper de telle sorte 
les résultats des travaux des principaux critiques contemporains, 
qu'il en sortirait un pur néant, tant ces résultats sont contradic- 
toires. Leur enquête ressemble beaucoup à la destruction uni- 
verselle. C’est ainsi que le D' Wrede ébranle la crédibilité du 
second évangile ; M. Welhausen, celle des Zogia ; M. Har- 
nack celle de nombreux passages de saint Luc, qu'il rattache à 
des hallucinations. Et M. Jülicher lui-même... 

Il convient pourtant d’épingler encore, après M. Fillion, son 
témoignage : « La distinction, sans cesse entreprise et jamais 
achevée d’une manière satisfaisante, des sources, des écrits, des 
rédactions isolées dans chacun de nos évangiles, menace de 
dégénérer en un jeu enfantin..….. » (1) Et encore : « La critique 
semble se creuser à elle-même son propre tombeau ». 

Le tombeau, une quantité d’ « enfants terribles » semblent à 
l'heure présente, vouloir le refermer sur la critique. Il se pro- 
duit, depuis 1910, en Allemagne, un véritable mouvement 
religieux, que M. Fillion appelle : « la lutte pour l’existence de 
Jésus » et qu’il expose, en forme d’épilogue. 

Une véritable campagne de propagande par la presse, la 


(1) Neue Linien in der Kritik der evangelischen Ueberlieferung, 1906, (p. 75). 
E. F. — XXIX. — 3 


34 LE RATIONALISME 


brochure, le livre a été menée contre l'existence historique de 
Jésus. Le principal promoteur du mouvement, un professeur de 
philosophie, M. Drews, assisté d’autres « spécialistes d’à côté » 
de pasteurs..., a donné conférences sur conférences, créé une 
agitation fanatique par ses attaques passionnées. L’attention de 
nombreux milliers d'hommes a été ainsi excitée et la question 
mise à l’ordre du jour dans toute l’Allemagne (p. 322). 

Comme on pense bien, les exégètes rationalistes, professeurs 
d’universités, critiques de profession, modérés et même radicaux, 
ont violemment protesté. N'était-ce pas gâcher le métier et leur 
enlever le pain de la bouche. Si Jésus n’a pas existé, la plupart 
des grands problèmes que se pose la critique historique négative, 
et qu’elle résoud de cent manières, sont radicalement supprimés. 
Aussi les théologiens libéraux ont-ils imprimé réponses sur 
réponses, et multiplié les conférences. Mais ils ont souvent une 
attitude embarrassée, devant les conclusions que tirent, de leurs 
propres principes, des intrépides logiciens, nullement gênés par 
le bon sens. Ils se sont aussi attiré, parfois, des réponses, en 
forme d'arguments ad hominem, qui portaient trop bien. 

Cette lutte ardente, passionnée, autour de l’existence de Jésus, 
constitue un épilogue suggestif de ces « étapes du rationalisme, 
dans ses attaques contre les évangiles et la vie de Notre Seigneur 
Jésus-Christ ». M. Fillion ne pouvait espérer, pour son livre, 
une meilleure conclusion, pour son exposé, une finale plus 
éloquente que ce récit d’une crise aiguë, autant que définitive, 
où se manifeste l’aboutissement logique de ce mouvement anti- 
évangélique, poursuivi pendant plus d’un siècle de rationa- 
lisme ; mais préparé par le philosophisme du XVIII: siècle et 
se rattachant au protestantisme et à la Renaissance. (1) 

Est-ce à dire que tout avenir soit fermé au rationalisme, par 
la logique cruelle et les excès extrêmes de ceux que M. Harnack 
appelait naguère « les cosaques libres de la science » ? Sans 
doute nous croyons qu'en atténuant la divine physionomie du 
Christ, en la dénaturant ou en la supprimant complètement de 
l’histoire, on enlève à l'Évangile toute signification et tout 
intérêt — au christianisme toute raison d’être et toute force 
vitale. Mais les rationalistes ne s’effrayent pas, outre mesure, du 
résultat final de leurs longs efforts. Ils ont supprimé le Christ ; 
ils l'ont remplacé, à la base de son œuvre, par des hypothèses. 


(1) P. 8. 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 35 


Le christianisme s'explique par le syncrétisme et l’évolution- 
nisme, dont M. Fillion fait la sixième étape du rationalisme. Au 
surplus, si une personnalité se dégage de l'étude du christia- 
nisme, à sa période de formation, ce n’est pas le Jésus de l’Evan- 
gile, c'est Paul. 

M. Fillion a étudié et réfuté cette nouvelle démarche du 
rationalisme, dans une série d'articles récemment parus. (1) Il 
montre très bien qu'avant de poser l'alternative « Jésus ou 
Paul », les critiques ont faussé les données du problème en 
dénaturant la physionomie historique de Paul et surtout l’image 
évangélique de Notre Seigneur. En prétendant que Notre 
Seigneur ne s'est cru ni Messie, n1 Fils de Dieu, qu’Il n’a jamais 
songé # à l’ Église, n'ont-ils pas dès l’abord, déterminé la solution, 
et n'est-ce pas Wrede qui, dans sa brutale logique, a raison ? (2) 

À ceux qui veulent dresser ainsi saint Paul en face de Notre 
Seigneur, M. Fillion oppose tout d’abord les affirmations de 
l’Apôtre sur sa situation vis-à-vis du Christ. Esclave, apôtre de 
Jésus-Christ, il a un message à annoncer : le Christ et son 
Évangile. De nombreux passages de ses épîtres redisent cette 
conviction. Peut-être pourrait-on trouver que le premier des 
deux textes cités (p. 392) n’est pas très nettement probant. Les 
critiques préféreront répondre que la conduite de Paul et son 
enseignement démentent ses affirmations. I] ne s'intéresse nulle- 
ment à Ja vie humaine du Christ. Cette proposition, habilement 
amenée à l’appui de la thèse fationaliste paraît, à première vue, 
assez exacte. Saint Paul parle fréquemment du Christ, sa pensée 
revient naturellement et directement vers Lui, mais le Christ 
qu'il contemple habituellement c’est le Christ ressuscité et 
glorifié. 

En réalité, la vie humaine de Notre Seigneur tient sinon dans 
la prédication de l’Apôtre, du moins dans ses épîtres, une place 
relativement fort restreinte ; mais on en peut donner plusieurs 
explications très satisfaisantes. D'autre part, les allusions, assez 
nombreuses, qu’on y rencontre, suffisent à contredire l’affirma- 
tion que Paul ne s'intéresse pas à la vie humaine du Christ. On 
a d’ailleurs parfois exagéré la fréquence de ces allusions, M. 
Fillion le reconnaît, et toutes celles qu'il cite lui-même, ne sont 


(1) Revue du Clergé français (15 avril-15 septembre 1912). 

(2) Pour ce critique, dans tout le système de saint Paul, «il n’y a que deux 
points qui soient véritablement chrétiens : le nom de Jésus, et le fait de la mort de 
Jésus, suivie de sa résurrection (pp. 141 et 380-589). 


38 LE RATIONALISME 


chaos, pour les cristalliser en une forme compliquée sans doute, 
mais pleine d’unité » (p. 316). On veut bien, parfois, recon- 
naître au christianisme, en plus d’une grande puissance d’assi- 
milation, une certaine originalité. 

La nouvelle méthode a eu ses adeptes excentriques. Un savant 
allemand, M. Jensen, a récemment étudié « les origines de la 
légende de l’Ancien Testament... et aussi de la légende du 
Nouveau Testament relative à Jésus », dans un gros volume de 
plus de mille pages. Il aboutit à cette conclusion que cette double 
« légende » a sa source visible, palpable, évidente, dans l'épopée 
de Gilgamesh. La biographie de Jésus-Christ est empruntée 
tout entière à celle du héros babylonien. | 

Tous les critiques évolutionnistes ne font pas des découvertes 
aussi considérables et sensationnelles ; mais, qu'ils cherchent 
les origines de l’histoire évangélique et de la religion du Christ 
dans le boudhisme, le parsisme ou les mystères de Mithra, :ils 
abusent tous de rapprochements forcés entre des faits, ou trop 
peu étudiés, ou systématiquement déformés. 

Quant à ceux qui découvrent l’origine du christianisme, dans 
le judaïsme tardif, pénétré lui-même profondément, d'éléments 
religieux babyloniens, grecs, persans ; ou affirment, comme M. 
Weiss, que la religion chrétienne a emprunté sa doctrine et son 
culte au milieu juif et païen, ils oublient un fait décisif autant 
qu'évident. Ce fait c’est l'exclusivisme, hérité par la nouvelle 
religion, de la religion juive, son manque absolu de tendances 
syncrétistes vis-à-vis des religions païennes. À mesure que nous 
suivons, à travers les Épiîtres, l'extension de |’ Église et, tout à la 
fois, les développements apportés par l’Apôtre à exposition de 
Ja doctrine, nous voyons s'affirmer de plus en plus l'attitude de 
défiance hostile vis-à-vis de la sagesse grecque ou des coutumes 
païennes. Dès l’abord, le christianisme se révèle une religion 
d'autorité ; dès l’abord, il propose une doctrine nettement 
définie, dans ses grandes lignes, et qui loin de « s’amalgamer » 
des éléments étrangers, s'oppose nettement aux courants reli- 
gieux avec lesquels elle entre en contact. Il y eut, dans le milieu, 
et à l'époque, des épîtres christologiques, des tentatives de péné- 
tration, d'infiltration de la part du syncrétisme païen. Mais ces 
tentatives, nous les apercevons, nous les devinons, à travers les 
protestations et les catégoriques fins de non recevoir de saint Paul. 

Mais, malgré ses incertitudes et ses faiblesses, par ses géné- 
ralisations hâtives et ses comparaisons tendancieuses, l’histoire 


ET LA CRITIQUE DE L’HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 39 


des religions peut faire impression sur les esprits insuffisamment 
attentifs ou trop peu au courant des problèmes qu’elle soulève. 
C'est ledevoir des catholiques, selon leurs moyens et leur con- 
dition, d'étudier et de réfuter cette nouvelle forme de l’erreur. 

À ceux qui voudraient se rendre compte, d’une façon suffisam- 
ment claire et précise, des théories rationalistes des adeptes de 
« la méthode religieuse historique », relativement au Christ et à 
son Evangile, je recommanderai la lecture de deux ouvrages 
récents. 

Le premier, 1) d’un style parfois un peu négligé, mais plein 
d’'entrain, renferme en un petit nombre de pages bien pleines, 
beaucoup de notions précises et, à mon humble avis, une forte 
réfutation des théories « syncrétistes » sur le christianisme 
primitif. 

Les cinq conférences de M. A. Valensin, (2) tout en traitant un 
sujet plus vaste, rentrent mieux dans le cadre de la sixième étape, 
étudiée par M. Fillion. Je ne puis ici qu’en donner les titres(3) 
et dire l'intérêt que j'ai trouvé à les lire. 

Il a paru utile de parcourir rapidement ici, à la suite de M. 
Fillion, les étapes du rationalisme, dans ses attaques contre les 
Évangiles et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cet exposé 
historique est de nature à mettre en lumière, le caractère peu 
scientifique de ce mouvement antireligieux. Mieux, peut-être, 
que des études de détail, il montre la fragilité profonde, consti- 
tutionnelle, de ces constructions systématiques et sans originalité 
vraie, où rien n’est nouveau que l'agencement, trop souvent 
incohérent, de matériaux toujours les mêmes. 

Naturaliste, évolutionniste, la théologie protestante moderne, 
non seulement part de mauvais principes pour aboutir au néant; 
mais, il faut le dire bien haut, elle n'a pas le droit de se glorifier 
d’une méthode exacte (p. 349). Son subjectivisme, s’il sauve- 
garde l’autonomie du savant, fausse l'observation des faits, les 
présente et les groupe d’une façon tendancieuse. 


(1) L'Évangile en face du Syncrétisme paien, par le R. P. Bernard Allo, 1 vol. 
in-12° de XXI-202 pages. — Paris, Bloud et C!°, 1910. 

(2) Jésus-Christ et l’ Étude comparée des religions, 1 vol. in-12° de 232 pages. — 
Paris, J. Gabalda et Cie, 1912. 

(3) Le problème christologique que pose la science des religions — « Christs 
mythiques » et le Christ de l’histoire — L'image du Christ devant le syncrétisme 
gréco-romain — Le messianisme d'Israël — Jésus-Christ, la Voie, la Vérité, la Vie. 
Ces belles conférences ont été données aux Facultés catholiques de Lyon, en février- 
mars 1911. 


40 LE RATIONALISME ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 


De cet immense et vain effort, qui aboutit à la ruine de toute 
religion sérieuse et à l'effacement plus ou moins complet de la 
divine figure du Christ, le triste honneur revient à la « science 
allemande ». C'est elle qui a fourni la grande part de ce vaste 
labeur, les rationalistes des autres pays n’ont guère fait 
qu'imiter et vulgariser ses travaux. 

M. Fillion cite (p. 343) les paroles, tristement significatives, 
d’un pasteur de Brême, M. Lipsius. Quelques-unes de ces 
paroles me paraissent le « mot de la fin » à prononcer sur cette 
déliquescence : « Dans le sens historique, très strict, de l’expres- 
sion, nous ne sommes plus du tout chrétiens... Nous reconnais- 
‘ sons l’abîme immense qui nous sépare, nous autres hommes 
modernes, du christianisme du N. T., car nous nous tenons 
debout, munis d’une ossature vigoureuse, sur la terre durable, 
solidement basée. Là est le champ de notre travail ; là se trou- 
vent nos devoirs et nos buts divers. Nous n’attendons plus le 
retour du Seigneur, mais nous nous créons avec nos propres 
forces une terre nouvelle ». 

Cet homme moderne, dont on nous parle avec une infatua- 
tion grandiloquente, est un « colosse aux pieds d’argile ». Si la 
« terre durable » qui lui sert de base, par une diminution tou- 
jours plus accentuée de la moralité, achevait de se transformer 
en boue, un jour viendrait où, devant l’écroulement lamentable 
du pauvre géant, la science rationaliste devrait reconnaître son 
œuvre destructrice et pourrait contempler le terme logique de sa 
longue entreprise. [1 y a un peu plus de deux ans, (1) M. Har- 
nack rappelait lui-même, en germanisant la métaphore légère de 
Renan, qu’on ne peut vivre qu’un certain temps « des vapeurs 
qui s’échappent encore d’une bouteille vide ». 

Il faut être reconnaissant à M. Fillion de son persévérant 
labeur et des longues lectures, trop souvent pénitentielles, qui 
ont été nécessaires pour écrire cette « histoire des variations » 
de la critique rationaliste. Ce tableau d'ensemble met bien en 
lumière les principaux points faibles de l'attaque antichrétienne, 
il console et raffermit la foi. Il ne manque vraiment à cette 
histoire que d’être illustrée et égayée par la plume et le crayon de 


Hansi. 
Fr. HUGUES. 


(1) Au congrès des sociologues protestants, à Chemnitz, le 18 mai 1910. 


LA VALEUR DES LOIS 
DE SUCCESSION ‘” 


Sur cette matière, si aride et si difficile, M. l'abbé Vincent 
Botto, prêtre de Chiavari, a écrit, en un style nerveux et imagé, 
une étude savante et fortement documentée. Nous l’avons lue 
avec profit, la plume à la main ; ce sont ces simples notes que 
nous livrons à nos lecteurs, pensant leur être utile. Pour ingrates 
en effet que soient ces questions, elles n’en ont pas moins leur 
importance pour nous prêtres, appelés souvent à donner à ce 
sujet un conseil ou une décision. Il n’est donc pas sans intérêt 
de voir les positions qu'a adoptées, sur ce point, après un 
travail approfondi, un penseur vigoureux. 

L'ouvrage est partagé en quinze chapitres ; mais, j'ai le 
regret de le dire, cette division n'aide en rien à saisir le plan 
d'ensemble. Celui-ci existe pourtant, et très nettement arrêté ; 
mais, nous ne savons pourquoi, 1l est comme caché à dessein, 
alors qu’au contraire, en un pareil sujet, il eût fallu le rendre le 
plus apparent possible. Il se compose de trois dissertations, très 
riches d'idées, d’aperçus et de substantielle doctrine, et bourrées 
de références et de citations de toute sorte. Notre but a été non 
pas tant de les résumer que d’en donner les points essentiels. 


I. — EXPOSÉ DE LA QUESTION (p. 17-50). 


1) D'abord un aperçu sur les principales lois de succession. 
La succession d’un défunt peut venir à quelqu'un par trois 


(1) Sac. V. Botto. — Del valore delle leggi di successione. — Roma. Desclée, de 
Brouwer et C'a ,editori pontifici. Piazza Grazioli, 1912. In-8° p.p. 230. Prezzo 
3 lire. 


36 LE RATIONALISME 


pas aussi évidentes qu'il le faudrait, pour baser un argument 
dans la discussion présente. 

M. Fillion étudie ensuite la conversion de saint Paul, sa vie 
en Jésus, son apostolat, son enseignement, et, après avoir com- 
paré la pensée de Jésus et celle de Paul, sur quelques points 
plus importants, il conclut son enquête en rétablissant, au lieu 
de l'alternative rationaliste « Jésus ou Paul », l'affirmation 
traditionnelle : Jésus et Paul. Suivant son habitude, il termine son 
travail par toute une série de textes empruntés à des protestants 
orthodoxes ou libéraux. Plusieurs de ces textes sont suggestifs 
et offrent parfois un contraste piquant avec les idées des critiques 
cités. Retenons celui que M. Fillion emprunte à l’ouvrage 
récent de M. Deissman, protestant libéral, sur saint Paul : (1) 
« L'histoire du christianisme primitif se résume en deux noms. 
les noms de Jésus et de Paul. Jésus et Paul : ces deux figures, 
il est vrai, ne se tiennent pas l’une auprès de l’autre, en temps 
que premier et second. Au point de vue historique le plus géné- 
ral, Jésus apparaît comme l’Unique, et Paul comme le premier 
après l'Unique, ou, pour employer un langage paulinien, le 
premier dans l’Unique. Jésus se tient dans l’histoire avec une 
sublimité et une importance sans égales. Ce qu'est Paul, il l’est 
dans le Christ ». 

Il est temps de revenir à la sixième étape de M. Fillion, dont 
la question « Jésus ou Paul » est d’ailleurs un épisode. Cette 
étape, qui est l'étape actuelle, de l'effort rationaliste se carac- 
térise surtout par l'application à l'étude de l’évangile et du chris- 
tianisme naissant, de « la méthode religieuse historique », par la 
tendance à faire du christianisme un chapitre de l’histoire des 
religions. 

L'histoire des religions pourrait être une section, et non la 
moins intéressante, de l’histoire générale. Science, à ses débuts 
encore, remplie de difficultés et de problèmes, dont beaucoup 
paraissent bien devoir rester insolubles, elle offre assez d’inté- 
rêt, par les questions qu’elle soulève, par ce qu'elle nous fait 
entrevoir des profondeurs de l’âme humaine, pour solliciter la 
recherche désintéressée. En fait, ce mouvement d'idées, au lieu 
d’être vraiment scientifique, apparaît comme une attaque 
violente, et qu’on espère définitive, contre la religion chrétienne 
et même contre toute religion. C’est ce que démontrent, non 


(1) Paulus, 1911, p. 1. Cet ouvrage est dédié à M. Harnack. M. Fillion en a donné 
une recension élogieuse (Rev. prat. Apol., 1 mars 1912). 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 37 


moins clairement que les déclarations de ses plus ardents pro- 
tagonistes, le caractère de la plupart des ouvrages de ce genre 
publiés depuis vingt ans, la hâte apportée à vulgariser, sous 
formes d’affirmations hardies, dans les milieux populaires, les 
résultats les plus incertains et à traduire, en littérature primaire, 
des notions à peine entrevues. Que cette tactique soit habile, 
autant que perfide, bien fondée en psychologie et assurée, 
humainement parlant, d’un grand succès, il serait facile de le 
montrer ; nous ne voulons ici, à la suite de M. Fillion, qu’ex- 
poser succinctement et critiquer rapidement, dans ses procédés 
et ses conclusions relatives à l'Evangile du Christ et à l’origine 
du christianisme, cette nouvelle science. 

L'intitulé de cette dernière étape : l’évolutionnisme ou le 
syncrétisme, étonne un peu, au premier abord. 

L’évolutionnisme est un système, une hypothèse, le syncré- 
tisme, dans l’acception usuelle du mot, au moins actuellement, 
désigne un fait : le mouvement religieux qui se produit aux 
environs du début de l’ère chrétienne, dans le monde gréco- 
romain. Mouvement religieux intense, caractérisé par un étrange 
mélange des idées et des rites, des dieux et des cultes, mais 
aussi par une aspiration profonde vers une religion, inté- 
rieure, « par un effort émouvant de l’humanité, combinant 
toutes les énergies du monde antique, le mysticisme de l'Orient, 
l'intelligence claire de la Grèce, la raison pratique des Romains, 
pour s'ouvrir le ciel et en faire descendre une rédemption ». 

Il reste vrai que l’évolutionnisme domine et conditionne 
toutes les démarches de la méthode religieuse historique, appli- 
quée par les rationalistes d'aujourd'hui à l’étude de l’évangile 
et du christianisme primitif. De même, parmi les problèmes 
de l’histoire des religions, il n’en est pas de plus intéressant que 
celui que posent les rapports du christianisme avec le syncré- 
tisme païen, il n’en est pas où les conclusions des modernes 
paraissent, à première vue, aussi séduisantes. 

Il est juste de reconnaître également que, sous le nom de 
« théorie syncrétique », M. Fillion décrit, sinon un système 
entièrement à part, du moins une forme spéciale de l’évolution- 
nisme. Le christianisme aurait non seulement profité du vigou- 
reux mouvement religieux qui emportait les âmes, en l’accapa- 
rant, il aurait encore opéré la synthèse heureuse des idées reli- 
gieuses et des rites alors mélangés. Ou mieux, il aurait « su 
attirer à soi tout ce qu’il y avait d'éléments de valeur dans ce 


38 LE RATIONALISME 


chaos, pour les cristalliser en une forme compliquée sans doute, 
mais pleine d'unité » (p. 316). On veut bien, parfois, recon- 
naître au christianisme, en plus d’une grande puissance d’assi- 
milation, une certaine originalité. 

La nouvelle méthode a eu ses adeptes excentriques. Un savant 
allemand, M. Jensen, a récemment étudié « les origines de la 
légende de l'Ancien Testament... et aussi de la légende du 
Nouveau Testament relative à Jésus », dans un gros volume de 
plus de mille pages. Il aboutit à cette conclusion que cette double 
« légende » a sa source visible, palpable, évidente, dans l'épopée 
de Gilgamesh. La biographie de Jésus-Christ est empruntée 
tout entière à celle du héros babylonien. | 

Tous les critiques évolutionnistes ne font pas des découvertes 
aussi considérables et sensationnelles ; mais, qu'ils cherchent 
les origines de l’histoire évangélique et de la religion du Christ 
dans le boudhisme, le parsisme ou les mystères de Mithra, ils 
abusent tous de rapprochements forcés entre des faits, ou trop 
peu étudiés, ou systématiquement déformés. 

Quant à ceux qui découvrent l’origine du christianisme, dans 
le judaïsme tardif, pénétré lui-même profondément, d'éléments 
religieux babyloniens, grecs, persans ; ou affirment, comme M. 
Weiss, que la religion chrétienne a emprunté sa doctrine et son 
culte au milieu juif et païen, ils oublient un fait décisif autant 
qu'évident. Ce fait c’est l’exclusivisme, hérité par la nouvelle 
religion, de la religion juive, son manque absolu de tendances 
syncrétistes vis-à-vis des religions païennes. À mesure que nous 
suivons, à travers les Épitres, l'extension de l’Église et, tout à la 
fois, les développements apportés par l’Apôtre à l’exposition de 
la doctrine, nous voyons s'affirmer de plus en plus l'attitude de 
défiance hostile vis-à-vis de la sagesse grecque ou des coutumes 
païennes. Dès l’abord, le christianisme se révèle une religion 
d'autorité ; dès l’abord, il propose une doctrine nettement 
définie, dans ses grandes lignes, et qui loin de «s’amalgamer » 
des éléments étrangers, s'oppose nettement aux courants reli- 
gieux avec lesquels elle entre en contact. Il y eut, dans le milieu, 
et à l'époque, des épîtres christologiques, des tentatives de péné- 
tration, d'infiltration de la part du syncrétisme païen. Mais ces 
tentatives, nous les apercevons, nous les devinons, à travers les 
protestations et les catégoriques fins de non recevoir de saint Paul. 

Mais, malgré ses incertitudes et ses faiblesses, par ses géné- 
ralisations hâtives et ses comparaisons tendancieuses, l’histoire 


ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 39 


des religions peut faire impression sur les esprits insuffisamment 
attentifs ou trop peu au courant des problèmes qu’elle soulève. 
C'est ledevoir des catholiques, selon leurs moyens et leur con- 
dition, d'étudier et de réfuter cette nouvelle forme de l'erreur. 

À ceux qui voudraient se rendre compte, d’une façon suffisam- 
ment claire et précise, des théories rationalistes des adeptes de 
« la méthode religieuse historique », relativement au Christ et à 
son Evangile, je recommanderai la lecture de deux ouvrages 
récents. 

Le premier, 1) d’un style parfois un peu négligé, mais pleiu 
d’entrain, renferme en un petit nombre de pages bien pleines, 
beaucoup de notions précises et, à mon humble avis, une forte 
réfutation des théories « syncrétistes » sur le christianisme 
primitif. 

Les cinq conférences de M. A. Valensin, (2) tout en traitant un 
sujet plus vaste, rentrent mieux dans le cadre de la sixième étape, 
étudiée par M. Fillion. Je ne puis ici qu’en donner les titres(3) 
et dire l'intérêt que j'ai trouvé à les lire. 

[Il a paru utile de parcourir rapidement ici, à la suite de M. 
Fillion, les étapes du rationalisme, dans ses attaques contre les 
Évangiles et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cet exposé 
historique est de nature à mettre en lumière, le caractère peu 
scientifique de ce mouvement antireligieux. Mieux, peut-être, 
que des études de détail, il montre la fragilité profonde, consti- 
tutionnelle, de ces constructions systématiques et sans originalité 
vraie, où rien n'est nouveau que l'agencement, trop souvent 
incohérent, de matériaux toujours les mêmes. 

Naturaliste, évolutionniste, la théologie protestante moderne, 
non seulement part de mauvais principes pour aboutir au néant; 
mais, il faut le dire bien haut, elle n’a pas le droit de se glorifier 
d’une méthode exacte (p. 349). Son subjectivisme, s’il sauve- 
garde l'autonomie du savant, fausse l'observation des faits, les 
présente et les groupe d’une façon tendancieuse. 


(1) L'Évangile en face du Syncrétisme païen, par le R. P. Bernard Allo, 1 vol. 
in-12° de XXI-202 pages. — Paris, Bloud et C!°, 1910. 

(2) Jésus-Christ et l’ Étude comparée des religions, 1 vol. in-12° de 232 pages. — 
Paris, J. Gabalda et C!°, 1912. 

(3) Le problème christologique que pose la science des religions — « Christs 
mythiques » et le Christ de l'histoire — L'image du Christ devant le syncrétisme 
gréco-romain — Le messianisme d'Israël — Jésus-Christ, la Voie, la Vérité, la Vie. 
Ces belles conférences ont été données aux Facultés catholiques de Lyon, en février- 
mars 1911. 


40 LE RATIONALISME ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 


De cet immense et vain effort, qui aboutit à la ruine de toute 
religion sérieuse et à l’effacement plus ou moins complet de la 
divine figure du Christ, le triste honneur revient à la « science 
allemande ». C’est elle qui a fourni la grande part de ce vaste 
labeur, les rationalistes des autres pays n’ont guère fait 
qu'imiter et vulgariser ses travaux. 

M. Fillion cite (p. 343) les paroles, tristement significatives, 
d'un pasteur de Brême, M. Lipsius. Quelques-unes de ces 
paroles me paraissent le « mot de la fin » à prononcer sur cette 
déliquescence : « Dans le sens historique, très strict, de l’expres- 
sion, nous ne sommes plus du tout chrétiens... Nous reconnais- 
_ sons l’abîme immense qui nous sépare, nous autres homimes 
modernes, du christianisme du N. T., car nous nous tenons 
debout, munis d’une ossature vigoureuse, sur la terre durable, 
solidement basée. Là est le champ de notre travail ; là se trou- 
vent nos devoirs et nos buts divers. Nous n’attendons plus le 
retour du Seigneur, mais nous nous créons avec nos propres 
forces une terre nouvelle ». 

Cet homme moderne, dont on nous parle avec une infatua- 
tion grandiloquente, est un « colosse aux pieds d’argile ». Si la 
« terre durable » qui lui sert de base, par une diminution tou- 
jours plus accentuée de la moralité, achevait de se transformer 
en boue, un jour viendrait où, devant l’écroulement lamentable 
du pauvre géant, la science rationaliste devrait reconnaître son 
œuvre destructrice et pourrait contempler le terme logique de sa 
longue entreprise. Il y a un peu plus de deux ans, (1) M. Har- 
nack rappelait lui-même, en germanisant la métaphore légère de 
Renan, qu'on ne peut vivre qu’un certain temps « des vapeurs 
qui s’échappent encore d’une bouteille vide ». 

Il faut être reconnaissant à M. Fillion de son persévérant 
labeur et des longues lectures, trop souvent pénitentielles, qui 
ont été nécessaires pour écrire cette « histoire des variations » 
de la critique rationaliste. Ce tableau d'ensemble met bien en 
lumière les principaux points faibles de l’attaque antichrétienne, 
il console et raffermit la foi. Il ne manque vraiment à cette 
histoire que d’être illustrée et égayée par la plume et le crayon de 


Hansi. 
Fr. HUGUES. 


(1) Au congrès des sociologues protestants, à Chemnitz, le 18 mai 1910. 


LA VALEUR DES LOIS 
DE SUCCESSION ‘? 


Sur cette matière, si aride et si difficile, M. l’abbé Vincent 
Botto, prêtre de Chiavari, a écrit, en un style nerveux et imagé, 
une étude savante et fortement documentée. Nous l'avons lue 
avec profit, la plume à la main ; ce sont ces simples notes que 
nous livrons à nos lecteurs, pensant leur être utile. Pour ingrates 
en effet que soient ces questions, elles n’en ont pas moins leur 
importance pour nous prêtres, appelés souvent à donner à ce 
sujet un conseil ou une décision. II n’est donc pas sans intérêt 
de voir les positions qu’a adoptées, sur ce point, après un 
travail approfondi, un penseur vigoureux. 

L'ouvrage est partagé en quinze chapitres ; mais, j'ai le 
regret de le dire, cette division n’aide en rien à saisir le plan 
d'ensemble. Celui-ci existe pourtant, et très nettement arrêté ; 
mais, nous ne savons pourquoi, il est comme caché à dessein, 
alors qu’au contraire, en un pareil sujet, il eût fallu le rendre le 
plus apparent possible. I] se compose de trois dissertations, très 
riches d'idées, d’aperçus et de substantielle doctrine, et bourrées 
de références et de citations de toute sorte. Notre but a été non 
pas tant de les résumer que d’en donner les points essentiels. 


Ï. — EXPOSÉ DE LA QUESTION (p. 17-50). 


1) D'abord un aperçu sur les principales lois de succession. 
La succession d’un défunt peut venir à quelqu'un par trois 


(1) Sac. V. Botto. — Del valore delle leggi di successione. — Roma. Desclée, de 
Brouwer et C'a ,editori pontifici. Piazza Grazioli, 1912. In-8° p.p. 230. Prezzo 
3 lire. 


42 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 


voies différentes : par la voie de la volonté, quand le « succes- 
seur » est choisi librement par le « de cujus », — par la voie du 
sang,quand, parex., le fils est appelé à recueillir les biens de son 
père, — par la voie de l'occupation, quand les biens vacants 
deviennent la propriété de celui qui les a occupés le premier. 

À Rome, avec la « patria potestas », prévalut le régime de la 
volonté ; au contraire, chez les anciens peuples germains, ce fut 
la parenté qui triompha. Mais, par la suite, ces deux méthodes 
se firent des concessions et des emprunts mutuels ; de là naquit, 
grâce surtout aux efforts intelligents de Justinien, un système 
mixte, dont se sont inspirés, bien qu'avec des variantes, la plus 
grande partie des codes modernes. 

2) Or, que pensent de ces lois nos Docteurs catholiques ? 
Hélas ! ils n’ont pas réussi à s'entendre ! 

Pour ce qui regarde les « causes profanes », on trouve trois 
opinions : l’une prétend que les formalités légales sont injustes, 
immorales ; l’autre affirme au contraire qu’elles sont légitimes ; 
la troisième, « l'opinion moyenne », déclare que « testamenta 
informia valida sunt, sed rescindibilia ». 

S'il s’agit des « causes pies », même désaccord. D’après le 
franciscain E. Ferraris, cette matière est soustraite au pouvoir 
civil, et ne relève que du Droit-Canon ; le dominicain Billuart 
refuse de se prononcer. Mais la plupart des théologiens français, 
du XVIIIe siècle, abandonnent le Droit-Canon et s’inclinent 
devant les lois royales. Dans la suite, on remarque une grande 
hésitation. De nos jours, volontiers on évite de toucher à la 
question de fond, et l’on s’en tient à une solution provisoire. Le 
Card. d’Annibale, par exemple, donne cette norme : « Quamdiu 
igitur sancta sedes loquuta non fuerit, existimo non oportere 
inquietari eos qui extra Ditionem Pontificiam non prœstant 
relicta ad causas pias in testamento irrito ex jure civili ». 

Au sujet de la « réserve légale », on retrouverait un semblable 
conflit d'opinions. 


ÏJI. — DE LA VALEUR JURIDIQUE DES LOIS DE SUCGCCESSION 
(p. 51-186). 


Que faut-il en penser ? — I] faut répondre hardiment qu'elles 
n’en ont aucune, si elles prétendent régcir le droit lui-même et 
gouverner l'acte qui lui donne naissance, et que l’auteur, à la 
suite du juriste belge Picard, appelle « le fait jurigène ». 


LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 43 


1) C’est de la nature, et non de la loi, que vient à l’homme le 
droit en général, et spécialement le droit de propriété et le droit 
de succession. La loi, il est vrai, de concert d’ailleurs avec la 
société, détermine les formes extérieures, dites « formes juri- 
gènes » (v. gr. la langue et les coutumes du pays), auxquelles 
devra s’accommoder le fait en question, et sous lesquelles il se 
manifestera. Mais c’est là un concours tout-à-fait indirect, qui 
consiste simplement, peut-on dire, à fournir à l’ouvrier, qui est 
la volonté, l'instrument qui lui est nécessaire pour faire son 
œuvre. 

De même il faut repousser énergiquement le concept inadmis- 
sible du « haut domaine », qu’exercerait l’État sur les biens de 
ses sujets. Cette opinion, inconnue autrefois, a pris naissance au 
moyen âge, alors que l’on confondait, au temps de la féodalité, 
souveraineté civile et propriété ; et elle s’est accréditée de nos 
jours à tel point qu’elle est admise couramment par les auteurs 
comme la plus commune. On estime qu’elle est la seule qui 
puisse rendre compte de certaines interventions de l'Etat, où 
celui-ci n'hésite pas à modifier, à transformer, à supprimer 
même la propriété privée, qui n’est que le «dominium humile!» 
Mais cette prétention est intolérable et sans aucun fondement. 
Le « domaine éminent », au lieu d’être, comme on le voudrait, 
un droit réel de propriété n’est pas autre chose qu’une juridiction 
supérieure, dont est revêtu l'Etat au profit du droit naturel. Il 
doit donc s’en servir non pour briser ce droit ou le modifier, 
mais bien plutôt pour le protéger et le faire prévaloir contre les 
obstacles qui viendraient en entraver ou en retarder l'exercice. 

En somme la souveraineté que s’arroge le pouvoir civil, ne 
repose sur rien de solide, aucune des théories sur lesquelles on 
l’appuie ne résiste à un examen sérieux: ni celle du droit propre, 
ni celle du droit populaire, ni même celle du droit divin. Il 
faut donc abandonner la thèse chère aux régaliens de l’omni- 
potence de l'État. 

2) Reste à dire maintenant quelle est la fonction vraie, réelle 
de ce pouvoir civil, dont on vient de réduire à néant les injustes 
prétentions ? Oh ! elle est toute modeste ! Elle consiste simple- 
ment à « définir » le droit, à le dégager avec clarté des prin- 
cipes qui lui donnent naissance, à en trouver la formule exacte, 
et à le faire connaître au peuple par une promulgation officielle. 

C’est à cela que se borne le rôle de l’Etat pour ce qui regarde 
le droit de succession lui-même. Toutefois, il en va autrement 


44 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 


s’il s'agit du « signe public » qui accompagne ce droit. Là l'Etat 
est seigneur et maître ; il est vraiment législateur ; et, s’il n’abuse 
pas de son autorité, ses lois ont cette fois une vraie valeur 
juridique. 

Le signe public, dont il estici question, comprend bien des 
espèces ; impossible de les énumérer toutes. À titre d'exemple, 
signalons simplement : les solennités dans les contrats, les for- 
malités dans la prescription, le fait de la simple possession pour 
les meubles. 

La raison d’être de ce signe légal, et sa fonction, c’est de 
s'ajouter au signe primitif, par lequel le droit s’est d’abord 
exprimé, de fortifier ce signe naturel, de l’imposer au respect de 
tous, et, par là, de faire triompher le droit qu'il représente et 
authentique. 

C'est à l’Etat, et à l'Etat seul, qu'il appartient de créer ces 
signes. Cette fonction ne lui donne d’ailleurs aucun pouvoir 
direct sur le droit naturel ; elle lui permet simplement, d’une 
certaine façon, d’en modérer le légitime exercice. 


III. — DE LA VALEUR MORALE DES LOIS DE SUCCESSION 
(p. 187-224). 


Par l'exposé qui précède, on aura compris combien minime 
est le pouvoir de l'Etat sur les droits de succession. Il ne peut 
rien sur le droit lui-même, non plus que sur le fait qui le produit; 
quant aux formes jurigènes, son influence est si réduite qu'elle 
ne peut entrer en ligne de compte. En réalité son rôle se ramène 
à deux fonctions ; donner, du droit naturel de succession, la 
définition qui convient, et qui sera la norme à suivre, et fixer 
les signes publics ou légaux, sous lesquels ce droit doit se pré- 
senter pour être reconnu et sortir son effet. Ses actes ne peuvent 
donc avoir de valeur juridique que dans la mesure où ils seront 
conformes à ces principes. 

Reste à en voir la valeur morale. 

Outre un chapitre préliminaire sur la conscience, cette disser- 
tation se divise tout naturellement en deux parties, où l’on 
examine successivement les deux fonctions de l'Etat sur les 
droits de successions. 

1°) LA CONSCIENCE ET LES DÉFINITIONS. — Il est bon de 
rappeler d’abord que les définitions du droit, que donne l'Etat, 
ne créent pas le droit ; elles ne font que l’exposer. Leur force 


LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 45 


obligatoire donc ne leur vient pas d’elles-mêmes, mais bien du 
droit qu’elles ont mission de définir. 

Or leurs relations avec le droit lui-même peuvent donner lieu 
à trois cas différents : ou bien les définitions sont en harmonie 
avec le droit ; ou bien elles sont en désaccord ; ou bien la chose 
est douteuse. 

Dans le premier cas, aucun doute, la conscience commande 
d’obéir à la loi ; et celle-ci, on ne saurait trop le faire remar- 
quer, tire sa force morale du seul droit naturel, et point du tout 
de l'Etat qui l’a rédigée et promulguée ; car le rôle de celui-ci, 
en ce faisant, a été seulement de proclamer le droit naturel ; il lui 
appartient maintenant de le faire respecter et appliquer. 

S'il arrive (et c’est le second cas), que la définition ne soit pas 
en harmonie avec le droit, soit parce qu’elle affirme une chose 
intrinsèquement mauvaise, soit parce que, dans telle circonstance 
spéciale, son application serait nuisible ou impossible, alors la 
conscience doit lui refuser obéissance, avec les nuances toutefois 
que comportent les situations diverses. L'auteur en examine trois 
successivement : celle du législateur, celle du juge, celle du 
simple particulier ; pour abréger, nous parlerons seulement de 
ce dernier. 

Le simple sujet donc, toutesles fois que la loi ne correspond pas 
au droit, est obligé en conscience de suivre celui-ci contre n’im- 
porte quel article du code ou sentence du juge, car le droit 
naturel l'emporte sur le droit légal. Si je suis appelé, par 
exemple, à une succession par la loi seulement, alors que mon 
rival y est appelé par le droit naturel, il n’y a pas à hésiter; je dois 
m'abstenir complètement et le laisser jouir de son droit ; il ne 
m'est permis de recourir n1 aux tribunaux ni à fortiori à la com- 
pensation occulte. Ces moyens par contre me deviendraient tout- 
à-fait licites si les rôles étaient renversés. — Henri Dorio meurt 
sans enfants ; il ne laisse après lui que sa femme tendrement 
aimée et un cousin éloigné. Or, d’après nos lois modernes, l’hé- 
ritage doit aller à ce cousin, et l'épouse ne peut rien y prétendre. 
Mais la nature ne dit-elle pas clairement ici que la veuve a un 
droit mieux établi que le cousin ? Si donc celui-ci se rend 
compte de la situation, il devra en conscience laisser à la veuve 
la plus grande partie des biens de son mari. — Plusieurs autres 
exemples sont donnés, qui confirment cette doctrine, laquelle 
est suffisamment certaine pour être suivie fut4 conscientid, à 
l'exception bien entendu des cas possibles,où interviendrait quel- 


46 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 


que principe supérieur dont il y aurait lieu detenir compte, et 
qui serait de nature à modifier la solution. 

Que faire, en troisième lieu, dans les cas très fréquents où l’on 
doute que la définition exprime bien le droit ? Alors la cons- 
cience est hésitante et perplexe, et cherche un principe directeur. 

De nos jours on a cru le trouver dans l’accommodement 
fameux, dérivé de « l'opinion moyenne », et qui consiste à invo- 
quer le fait de la possession ; beatus qui possidet ! Mais l’auteur 
réfute longuement ce système, qu’il taxe d’inutile et de contra- 
dictoire. 

Sa position, à lui, est tout autre. Pour les théologiens, parti- 
sans de la « possession », le doute en la circonstance porte sur 
la question de fond, c’est-à-dire sur l’origine même des droits de 
succession : viennent-ils de la nature ou de l'Etat ? ils ne sont 
pas fixés. Pour lui, aucune hésitation possible : ces droits vien- 
nent certainement de la nature, et non de l'Etat. Aussi son doute 
à lui ne porte pas sur les principes, mais sur leur application, 
qui,en plus d’un cas, rencontre des difficultés. On comprend dès 
lors aussi qu’il cherche la solution du problème sur un terrain 
autre que les droits eux-mêmes. Pour lui les compétiteurs ont 
deux moyens de sortir d’embarras : ou bien s'arranger à l’amia- 
ble, ou bien recourir à un arbitrage. 

2°) LA CONSCIENCE ET LE SIGNE PUBLIC. — La conscience 
doit se regarder comme engagée par le signe public ou légal. 
Puisque l'Etat, nous l’avons vu, a le droit d’en établir, il s’en suit 
nécessairement, que ses sujets ont le devoir moral d’en tenir 
compte — Titius mourant, qui, en témoignage d'affection, veut 
laisser à son ami la maison qu’il habite, se refuse à passer de ce 
don un acte public, revêtu du signe légal, il fait une chose objec- 
tivement mauvaise ; car il enlève à son ami le seul moyen reçu 
de faire la preuve de sa légitime prise de possession, il l’expose à 
une série pénible de contestations avec les héritiers, ou le fisc, ou 
les voisins. — Il convient de remarquer d’ailleurs que l’obliga- 
tion de conscience n’est pas attachée au signe légal au même titre 
que dans la « définition ». L'obéissance est due à celle-ci en 
vertu du droit naturel qu’elle contient ; ici au contraire, il s’agit 
d’un droit purement artificiel créé par l'Etat ; c’est donc l'Etat 
lui-même qui est la source de l'obligation. 

À ce devoir moral personne ne peut se soustraire. Toutes les 
fois donc que la loi impose aux droits de succession un signe : 
légal, aucun d’eux, à moins que l’Etat n’accorde une dispense, ne 


LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 47 


pourra en être rendu libre, s'agit-il d'un grand personnage, ou 
d’une association puissante, ou même d’une cause pie. 

Tout comme le droit artificiel dont il dérive, ce devoir de 
conscience dépend entièrement de la volonté de l'Etat, de telle 
sorte que ce qui est aujourd’hui nécessaire, pourrait être demain 
inutile, et après-demain répréhensible. 

Pour que ce devoir s'impose à la conscience, deux conditions 
sont requises. [Il faut d’abord qu’il soit ratsonnable ; et il le sera 
encore même dans les cas particuliers où le motif d'ordre général 
qui a fait porter le signe se trouve sans application : lex fundata 
in prœsumptione periculi communis. Ï1 faut ensuite qu’il soit 
vrai; et il cesse de l’être, si le fait spécial qui est visé n’existe pas: 
lex fundata in prœsumptione facti. 

Cette doctrine ne présente aucune difficulté tant que le signe 
public ou légal recouvre bien en réalité le droit de succession. 
Mais comment se comporter si le signe vient à faire défaut ? Un 
bienfaiteur, par exemple, a déclaré avant de mourir, que ses 
biens reviendraient à l’hospice de sa ville natale ; mais son testa- 
ment olographe, où cette clause était insérée, est nul par suite 
d'un vice de forme. Que faire en ce cas et dans tous les cas sem- 
blables ? — L’auteur n'hésite pas. Pour lui, ce sont là de ces 
défaillances inévitables auxquelles 1l est impossible de parer 
complètement dans les institutions humaines. Mais ce ne doit 
pas être une raison de faire fléchir les principes : là donc où 
manque le signe légal, il faudra en conscience s'abstenir d’exer- 
cer son droit. 

Toutefois cette logique n'est pas tellement rigoureuse qu'elle 
ne permette quelque accommodement, grâce auquel, tout en 
respectant la loi, il sera possible de jouir d’un droit vrai et 
légitime ; cela se fait au moyen d’une substitution de signe. Pour 
les lois de propriété et de succession, les lois civiles reconnais- 
sent plusieurs signes : vente, donation, testament, prescription, 
possession, etc. Si donc un de ces signes vient à manquer dans 
un cas donné, il n’y aura qu’à le remplacer par un autre. 

Mais, dira-t-on, c’est là un mensonge, un acte d’hypocrisie ? 
I] est facile de se rendre compte que cette accusation manque de 
fondement. Le signe public, en effet, n’est pas, comme la 
« forme jurigène », uni intimement au droit qu’il recouvre ; il 
s’y surajoute plutôt comme un vêtement supplémentaire, et peut 
être changé à volonté, ou multiplié, sans que le droit lui-même 
en souffre la moindre atteinte. Car le signe légal désigne deux 


48 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 


choses : le droit et sa cause. Quand donc j’emploie un signe, il 
dépend de moi de le prendre dans sa double signification,ou bien 
de lui donner seulement le sens de la principale, celle du droit. 
Par exemple, il manque à Titius, pour prendre légitimement 
possession d’un bien qui lui a été effectivement donné, le signe 
même de la donation, il n’a qu’à faire appel au signe de la vente. 
En l’employant, son intention sera, non pas de signifier une 
vente qui n’est que fictive, mais bien de témoigner de son droit 
de propriété, qui est réel. 

Un seul cas serait embarrassant ; c’est celui où la question 
viendrait à être posée, d’une façon précise : en quel sens, en la 
circonstance présente, entendez-vous prendre le signe public que 
vous employez pour affirmer votre droit? — Certaine opinion 
estime que ce cas serait assimilable au cas de légitime défense, et 
qu’il serait permis alors de tromper son adversaire, d’une façon 
directe et positive, en lui répondant par une fausseté. Mais l’au- 
teur rejette ce moyen commeillicite. Pour lui, en un cas sem- 
blable, il n’y a que deux alternatives possibles : ou bien se 
renfermer dans un silence prudent— ou bien dire toute la vérité. 


CONCLUSION (p. 225-226). 


En résumé, l'interprétation de nos lois de succession se 
ramène à une distinction fondamentale entre leur « définition », 
et leur « signe public ». | 

La « définition » n’engage la conscience que dans la mesure 
où elle réflète et exprime le droit naturel ; en dehors de là, elle 
n'a aucune valeur, ni juridique ni morale. 

Le «signe public » au contraire, s’il est légitime, raisonnable 
et vrai, s'impose toujours à la conscience ; car, en cette matière, 
l'Etat est maître souverain ; et le droit qu'il crée, bien qu'’arti- 
ficiel, est pour nous la matière d’un devoir certain. Toutefois, 
l’obéissance qu’il nous impose n’est pas tellement étroite qu’elle 
ne puisse s’accommoder, quand il en est besoin et pourvu qu’on 
n'ait pas recours au mensonge, d’une substitution de signe ; ce 
qui permet de faire valoir tous les droits réels. 

Telles sont les positions essentielles de M. V. Botto, dans son 
beau travail. Même pour qui ne les admettra pas sans conteste, 


1l était intéressant de les connaître. 
Fr. CONSTANT. 


O0. M.c. 


TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 
AU XIII SIÈCLE : 


JACQUES, FRATER SANCTI FRANCISCI, FR. JACQUES TORRITI 
ET FR. JACQUES DE CAMERINO. 


« Frère Jacques, de l’ordre de saint François, ayant fait les 
mosaïques qui se voient dans l’abside du Baptistère de Flo- 
rence, en fut, quoiqu'elles soient assez médiocres, rémunéré 
avec une largesse extraordinaire, puis il fut engagé à Rome 
comme un maître éminent ; il y fit des travaux dans l’abside de 
Saint-Jean-de-Latran et dans celle de Sainte-Marie-Majeure. Il 
se rendit ensuite à Pise et y représenta, dans l’abside principale 
du dôme, avec l’aide d’Andrea Tafi et de Gaddo Gaddi, les 
Évangélistes et les autres sujets qu’on y voit, auxquels la dernière 
main fut mise par Vicino ; car fr. Jacques les avait laissés ina- 
chevés. » 

C’est en ces termes que Georges Vasari, (1) peintre, architecte 
et écrivain, né à Ârezzo le 30 juillet 1511, mort à Florence le 
27 juin 1574, l'impérissable auteur des Vies des plus excellents 
peintres, sculpteurs et architectes, résume dans la première édi- 
tion de son œuvre la carrière artistique de fr. Jacques de l’ordre 
de saint François. Dans la seconde édition, parue en 1550, il 
remplace ces mots : « Frère Jacques de l’ordre de saint Fran- 
çois » par ceux-ci : « Frère Jacques Torriti, de l’ordre de Saint- 
François. » 

Ces lignes si courtes, ces quelques phrases, ont donné nais- 
sance à toute une littérature. « Îl n’y a peut-être pas, écrit 
Milanesi, (2) dans l'histoire de l'art italien, un point qui soit 


(1) Opere. Edition Milanesi, Florence, 1878. I, 355-356. 
{2) Le Opere di Giorgio Vasari Florence 1878. I. 341. 


E. F, — XXIX. — 4 


50 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


plus obscur et, par conséquent, plus controversé que celui qui 
concerne la personne et les œuvres de fr. Jacques le mosaïiste. » 
Trente-cinq ans se sont écoulés depuis que le savant critique 
faisait cet aveu ; et, en dressant le bilan de ce qu’ils nous ont 
apporté de lumière nouvelle, il semble que le point soit devenu 
moins obscur, s’il n’est pas moins controversé. | 

La question a pris, de plus, un intérêt nouveau ; car les figures 
du franciscain quel qu'il soit, dont Vasari, égaré par les préjugés 
de son temps, disait si légèrement qu’elles sont assez médiocres, 
sont considérées aujourd’hui comme les lointains ancêtres des 
cariatides dont Michel-Ange a orné le plafond de la Sixtine ; 
et la première, vraisemblablement, des œuvres d’art sorties de la 
main d’un Mineur va rejoindre à travers les siècles les créations. 
colossales du plus beau temps de la Renaissance. 

Qu’y at-il à prendre, qu'y a-t-il à laisser dans le récit de 
Vasari ? 

*% 
* * 

Supposons, un instant, acquises les notions qu'il renferme, 
laissons de côté ce premier travail que fr. Jacques Torriti aurait 
exécuté au Baptistère de Florence, et jetons un coup d’æil sur 
l’abside de Saint-Jean-de-Latran. 

On a, dans la mosaïque qui l’orne, distingué plusieurs par- 
ties, plusieurs couches si j'ose parler ainsi. En haut, dans un 
ciel d’azur où voguent, comme des galères d'argent, de légers. 
nuages blancs, un buste du Sauveur du monde ouvre des yeux 
dont le regard puissant et doux, pour me servir de l'expression 
d’un historien, remplit la basilique. Des anges, aux ailes de. 
couleurs vives, l'entourent. C’est la couche supérieure, l’atmos- 
phère où les personnages plongent. Au dessous, une colline ; 
sur la colline une croix constellée de pierreries ; au-dessus de la 
croix, la colombe du Saint-Esprit qui l’illumine de ses rayons. 
Du pied de la croix le Fison, l'Euphrate, le Tigre et le Gion, 
les quatre fleuves du Paradis, jaillissent ; des cerfs et des 
agneaux étanchent leur soif à leurs eaux, entre lesquelles la Cité 
de Dieu élève ses murs ; les princes des apôtres veillent sur ses. 
tours et un ange armé en garde les portes. Et tout autour s’étend 
la campagne avec ses fleurs multicolores et la légion d’oiseaux, 
paon, coq, colombes, merles et chardonnerets qui s’y pavanent, 
y chantent, y roucoulent, y sifflent ou y pépient. Un cinquième 
fleuve, le Jourdain, symbole du baptême, Jordanis, baptismi 


AU XIIIe SIÈCLE 51 


figuram habens, borde cette prairie paradisiaque, et sur ses flots 
des enfants, de délicieux putti, prennent leurs ébats ; l’un pêche à 
la ligne, l’autre au filet, l’un fait, à la force de ses petits bras 
ronds, avancer un canot, l’autre tend la voile. C'est la couche 
inférieure, le plan sur lequel reposent les personnages. Ceux-ci 
se dressent des deux côtés de la croix: à droite la T.S. Vierge et 
les apôtres Pierre et Paul, à gauche saint Jean-Baptiste, patron 
de la Basilique, saint Jean l'Évangéliste et saint André apôtre. 
Entre ces grands personnages, tout petits, tout menus dans leur 
humilité, le Poyerello élève vers la croix sa main stigmatisée et 
saint Antoine de Padoue regarde d’un long regard mystique. 

Et notons-le de suite en passant : c’est la première fois que les 
deux fondateurs de l'ordre des Mineurs, le Poverello et le Saint 
de Padoue, figurent sur le même rang que la Vierge, les apô- 
tres Pierre et Paul, le Baptiste et le disciple bien-aimé du Sau- 
veur ; c'est la première fois qu'ils se voient représentés ailleurs 
que dans des œuvres de minime importance, qu'ils apparaissent 
dans la gloire d’une grande composition publique, dans la plus 
ancienne des basiliques de Rome ; et cela constitue pour me 
servir d’une expression de Venturi (1) « une nouvelle canonisa- 
tion » qui vient couronner leurs mérites, une canonisation 
artistique. 

S'ils furent exaltés ainsi dans l’abside de Saint Jean-de-Latran, 
c'est, il est temps de le noter, par l’œuvre pieuse d’un de leurs 
propres enfants. 

Du Souverain Pontife Nicolas IV. Le lecteur ne l’ignore pas, 
avant de monter sur le trône pontifical, Nicolas IV (2) avait 
été général de l’ordre des Frères Mineurs. Il était le premier 
de l'Ordre qui montât sur le trône de Pierre. Ceint de la tiare, il 
n'oublia pas ses frères en religion, il leur resta attaché de toutes 
les fibres de son âme et leur témoigna toujours une bienveillance 
spéciale. Nous verrons au cours même de cet article ce qu'il fit 
pour la basilique d'Assise. À Rome il ordonna de placer l’image 
du Poverello à la place d'honneur que nous venons d'indiquer 
et ailleurs encore où nous le retrouverons. Gerspach remarque 
qu'il avait un goût fort vif pour la mosaïqne et qu'il rappelait 
par là Pascal 1°° et l’impératrice Galla Placidia. Il aimait cet art, 
parce que «la véritable peinture pour l'éternité est la mosaïque, » 


(ii) Venturi. Storia dell'arte Italiana, V, 176. 
(2) Nicolas IV (Jérôme Masci) né à Ascoli (Italie), élu à Rome le 15 février 12 88, 
y mourut le 4 avril 1292 après un règne de 4 ans, 1 mois et 20 jours. 


52 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


comme a dit Ghirlandajo, et que par là elle est l’art religieux par 
excellence. 

Il confia donc à la longue vie de la mosaïque la glorification 
du Patriarche des Mineurs, et dans l'inscription qu'il y ajouta 
il lui rendit un hommage que nul pontife ne lui avait encore 
rendu, il se proclama son fils, filius sancti Francisci. 

La mosaïque est signée Jacobus Torrit(i) pict(or) ho(c) 


opus) fecit. 


* 
* * 


Cette œuvre, fr. Jacques Torriti l’a-t-1l créée toute entière, 
telle que nous venons de la décrire ? Il est incontestable que 
non. Lorsqu’en 1290 le pape Nicolas IV fit commencer les tra- 
vaux de réfection dans l’abside de Saint-Jean-d:-Latran, une 
mosaïque la décorait déjà, et 1l ordonna expressément d’en 
réserver une partie: la tête du Christ, dont l’histoire est fameuse. 
Les comparaisons faites avec les mosaïques de Sainte-Cons- 
tance et avec d’autres monuments prouvent qu’elle remonte 
jusqu’à l’époque de Constantin (1). Au XI°et XIIe siècle elle 
passait pour la première de celles qui avaient été offertes, à 
Rome, à la vénération publique. Et voici qu’au XIIIe siècles une 
légende nouvelle s’attachait à son origine ; on commençait à se 
raconter qu’au IV: siècle, au moment même de la consécration 
de la basilique par saint Sylvestre, elle était apparue miraculeu- 
sement au sommet de l’abside. Aussi Nicolas IV ordonna-t-il de 
la conserver et il le constate dans l'inscription rapportée par For- 
cella : quo fuerat steteratque situ relocatur eodem. Voici donc 
déjà une partie de l'œuvre, et non une des moins importantes, 
qui n'est pas de fr. Jacques Torriti. 

N'est pas non plus de lui la prairie sur laquelle les saints se 
tiennent debout, avec le fleuve qui la limite. Les enfants qui s’y 
promènent, les cygnes, les poissons, les fleurs, les oiseaux ont 
une pureté de style classique que le XI[T1° siècle ignore. Eux en- 
core ils sont des restes de l’ancienne mosaïque qui ont trouvé 
grâce devant le goût délicat de fr. Jacques Torriti. 

Ne sont donc de sa main (2) que les grandes et superbes figu- 


(1) Sur cette question, voir Grisar, Geschichte Roms und der Päpste im M ittelal- 
ter, 1, p. 784. 

(2) Daus leur exécution matérielle du moins, car il semble bien que la Vierge et 
les Apôtres rappellent, par leurs lignes, un dessin ancien. 


AU XIlle SIÈCLE 53 


res de la Vierge et des apôtres et les touchantes figurines de saint 
François d'Assise et de saint Antoine de Padoue, ainsi que celle 
du pape Nicolas IV qui s’est fait représenter — l’ai-je dit ? — 
à genoux aux pieds de la Vierge, à gauche de la croix. A cet ap- 
port il faut ajouter la belle troupe d’anges qui entourent de leur 
vol le buste du Sauveur et la croix superbement ornée qui occu- 
pe le centre de la composition. Si l’on joint à ces créations la 
restauration et la remise en place des parties anciennes et si l’on 
tient compte du tact sûr avec lequel elles ont été harmonisées 
en un tout que l’on a qualifié de grandiose, la valeur artistique 
de fr. Jacques Torriti nous apparaît déjà comme étant de tout 
premier ordre. 

Cependant vu la complexité de l’œuvre, étant donné aussi 
qu’en 1878 la mosaïque fut enlevée, puis remise en place, lors 
des travaux que Léon XIII fit exécuter à Saint-Jean-de-Latran 
et qu'elle ne fut peut-être pas, malgré les ordres donnés, scru- 
puleusement respectée ; à cause de tout cela, dis-je, 1l serait 
téméraire de juger du talent de fr. Jacques Torriti par une sim- 
ple visite à Saint-Jean-de-Latran. Pour le connaître en son 
entier, il faut le voir à Sainte-Marie-Majeure. 


* 
* * 


La mosaïque, exécutée elle aussi sur l’ordre de Nicolas IV, 
est signée Jacob(us) Torrih pictor h(oc) op(us) mosaic (um) 
Jec(it). Elle ne fut achevée qu'après la mort du pontife, arrivée 
en 1292, car elle est datée, à la droite du spectateur, MCCXCV : 
1205. 

Au haut de la conque absidale s'étale l'éventail gemmé avec la 
couronne et la croix pendante ; au-dessous, un enroulement de 
plantes vertes qui se courbent et s’enroulent, de rameaux qui se 
tordent en spirale, de volutes qui caressent l’œil de la grâce forte 
et souple de leurs lignes. Des guirlandes jaillissent de grands 
vases somptueux aux anses tenues par des enfants, avec des fruits 
en bouquets, des cerises,des pommes, des raisins, des épis de blé, 
des figues, des grenades, des poires, des oiseaux ; çà et là des 
anges éploient leurs ailes d’or dans des médaillons, des végéta- 
tions d’acanthe développent leurs feuilles vertes et rouges, avec 
leur population de paons, de perdrix, de canards, de merles, de 
perroquets, d’aigles et de graves hérons. Au milieu de cette forêt 
paradisiaque, que le savant Venturi a étudiée avec un bonheur 


54 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


tout spécial, (1) brille la percée lumineuse d’un cercle de ciel 
étoilé au milieu duquel flamboient, entourés de chœurs d’anges, 
le divin Rédempteur, accompagné de sa Mère immaculée. Le 
soleil et la lune leur servent d’escabeau. La Vierge est voilée,elle 
baisse la tête et dans un geste d’étonnement, entr'ouvre ses fines 
mains byzantines : car d’un mouvement grave son Fils pose sur 
sa tête la couronne de Reine du Paradis. A droite et à gauche du 
groupe saint Pierre et saint Paul, saint Jean-Baptiste et saint 
Jacques, saint François d’Assise et saint Antoine de Padoue as- 
sistent à la scène triomphale. 

C'est là, remarquons-le bien, la première représentation con- 
nue du couronnement de la Sainte Vierge. Il ne semble pas que 
jamais personne, avant fr. Jacques Torriti, ait eu l’idée d'une 
semblable composition ; jamais personne n'avait songé à fixer 
sur les murs, dans la magie de l'or et des couleurs vives, la 
« majesté de la Vierge, assise, couronnée, à la droite du 
Rédempteur, sur fond d'étoiles, au milieu de la forêt céleste du 
paradis aux mille fleurs » (2) ; jamais personne n'avait songé à 
la faire rayonner pour l'éternité dans le chatoiement de la 
mosaique. 

C’est la première fois aussi que saint François d’Assise et saint 
Antoine de Padoue sont représentés de même taille que les prin- 
ces des apôtres. A Saint-Jean-de-Latran, à cause, peut-être, des 
conditions qui lui étaient faites, de l'obligation de suivre le des- 
sin primitif de la mosaïque constantinienne qui lui était imposée, 
fr. Jacques Torriti les avait bien représentés à côté des apôtres, 
mais il les avait représentés plus petits qu'eux de moitié; « il les 
avait laissés, a-t-on dit, dans le degré inférieur de la hiérarchie 
de la sainteté. » Ici, il n’er va plus de même ; les petits pauvres 
marchent du même pas et de la même taille que les pêcheurs de 
la Galilée. 

J’ajouterai qu'ici encore, comme à Saint-Jean-de-Latran, Ni- 
colas IV s’est fait représenter à genoux et qu'ici encore comme à 
Saint-Jean-de-Latran, il s’est, d’après la remarque de Mgr de 
Waal, reconnu comme fils du Pauvre d'Assise. | 

Au-dessous du couronnement, dans la zone inférieure, la 
mort de la Vierge. Aux pieds de la morte, en première ligne, 
avant les disciples, avant les apôtres, avant tout le monde, plus 


(1) Storia dell'arte Italiana V. 176. Je me suis presque contenté de traduire sa 
belle page. 
(2) Venturi, op. laud., III. 870. 


AU XIIIe SIÈCLE 55 


près que tout le monde du glorieux cadavre, immédiatement 
après le Christ qui apparaît pour recueillir l’âme de sa mère, 
pieds nus, couverts de la bure, la corde aux reins, deux francis- 
cains prient. 

Ces franciscains qui sont-ils ? 


*+ 
+ *# 


J'ai raisonné, jusqu’à présent, comme si tout le monde admet- 
tait que Jacques T'orriti a été franciscain. Il n’en est rien. Si des 
maîtres éminents n'hésitent pas à l’appeler, dans leurs cours pu- 
blics ou dans leurs écrits, le « franciscain » Jacques Torriti, 
d'autres ne lui donnent jamais ce titre et quelques-uns même 
nient qu'il ne l’ait jamais mérité. Le grave Wadding lui-même, 
au XVIIe siècle, affirmait que Jacques Torriti n’appartint pas à 
l’ordre de saint François. Il est vrai qu’avant lui, comme nous 
l'avons vu, Vasari soutenait une opinion diamétralement oppo- 
sée et que, avant Vasari, au sein de l’ordre, fra Mariano de 
Florence, écrivait : « Vers cette époque (année 1292) frère Jac- 
ques Torriti était considéré comme un maître éminent dans 
l’art de la mosaïque ; ses œuvres se voient encore dans les absi- 
des de Saint-Jean-de-Latran et de Sainte-Marie-Majeure et dans 
plusieurs autres églises de diverses villes d'Italie. »(1) J’ajouterai 
que si, dans les milieux franciscains, vous parlez de Jacques 
Torriti, ce nom n’y trouve aucun écho particulier. Bien plus, 
une étude récente parue sous la signature d’un fils du Poverello 
conclut expressément : « Le nom d’un des plus illustres maîtres 
du XIII: siècle, celui de Jacques Torriti, doit, en dernière ana- 
lyse, être rayé du catalogue des artistes franciscains. » Examinons 
donc la question d’un peu plus près. 

Pour le faire, quittons un instant Sainte-Marie-Majeure et re- 
venons à Saint-Jean-de-Latran. Je n’ai, jusqu'à présent, décrit 
qu'une partie de sa mosaïque, la partie supérieure. Celle-ci se 
continue au-dessous, entre les fenêtres gothiques de l’abside, 
par neuf figures d’apôtres sur fond d’or, debout entre des pal- 
miers; or, aux pieds de saint Barthélemy on voit agenouillé, sur 
la terre parsemée de fleurs, une petite figure portant l’habit de 
saint François, tenant en mains le marteau tranchant en usage 
encore aujourd'hui dans tous les ateliers de mosaïque,et débitant 


(1) Compendium Chronicarum F.F. Min. apud Archivum Franciscanum His- 
toricum 1909, T. Il. p. 471. 


56 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


la galette d'émail ; auprès d'elle cette inscription : « Fr(ater} 
Jacob (us) de Camerino soci(us) mag (1s) tri op(er)is (se) recon- 
m(en)dat mi(sericord)ie D(e)i et meritis beati Ioh(ann)is » 
ce qui en bon langage franciscain, signifie : « Frère Jacques de 
Camerino, socius du maître de l’œuvre, se recommande à la 
miséricorde de Dieu et aux mérites du bienheureux Jean. » Et 
en face de cette petite figure, aux pieds cette fois de l’apôtre 
saint Jacques le Majeur, un autre franciscain, non accompagné 
d'inscription, tient en mains, non plus les outils de l’ouvrier 
mosaïste, le marteau et la galette d’émail, mais les instruments 
nobles du maître de l’œuvre, l’équerre et le compas, et prie, lui 
aussi, agenouillé. Cette seconde figure, laquelle est-elle, sinon 
celle de fr. Jacques Torriti qui, agenouillé aux pieds de son pa- 
tron saint Jacques, prie dans sa bure de Mineur ? Etsi on n’a 
pas jugé à propos d'inscrire son nom à côté d'elle, quelle peut 
être la raison de cette lacune, sinon que le nom de Jacques Tor- 
riti est inscrit au-dessus d'elle dans la partie supérieure de la 
mosaïque ? Sans cela, comment expliquer qu’on proclame le 
nom du compagnon, sans faire la même chose pour le maître ? 
Est-il d'usage, en pareille matière, de glorifier l’ouvrier, celui 
qui découpe l'émail en cubes, et de laisser dans l’oubli le maître, 
celui dont le génie a créé le chef d'œuvre ? 

Ceci, à Saint-Jean-de-Latran. Et si nous revenons un ins- 
tant à Saint-Marie-Majeure, qui retrouvons-nous agenouillés, 
non plus cette fois aux pieds de leurs saints protecteurs, mais à 
la première place, avant les disciples, avant les apôtres, aux 
pieds du lit de mort de la Vierge-Marie ? Deux franciscains. Et 
ces deux franciscains, mis à cette place inusitée, qui peuvent-ils 
être, sinon fr. Jacques Torriti, auteur de la mosaïque de Sainte- 
Marie-Majeure comme il l'était de celle de Saint-Jean-de-Latran, 
et son fidèle compagnon fr. Jacques de Camerino ? 

D'ailleurs, si ces faits, joints au témoignage de fra Mariano 
de Florence et de Vasari ne suffisaient pas, tous les doutes doi- 
vent tomber devant un texte contemporain des événements qui, 
je crois, n’a pas encore été pris en considération. 

Le voici ; il est antérieur au 25 août 1337 et a été publié par 
M. de Kerval dans sa Vie de Saint Antoine de Padoue p.125 (1) 
J'en donne la traduction : « Au temps du pape Boniface VIIT (2) 


(1) Sancti Antonii de Padua vitae duae quarum altera hucusque inedita. Paris 
1904. Pour la description et la date du manuscrit voir p. 16-17. 


(2) 1294-1305. 


A ee 


ee RE Re PEER 


AU XIIIe SIÈCLE 57 


fut réparée l’abside de la basilique c’est-à-dire de Saint-Jean-de- 
Latran à Rome, que l’on appelle l’episcopium. Deux frères 
Mineurs, très habiles et très experts dans leur art, furent chargés 
de l'orner de peintures. Ces deux frères s’apercevant qu'entre 
les figures que le pape les avaient chargés de peindre il y avait 
place pour d’autres images, y peignirent de leur propre autorité 
les images de saint François et de saint Antoine. Le fait ayant 
été rapporté au pape par quelques clercs envieux, celui-ci leur 
dit : « Comme l’image de saint François est là, laissez-la ; quant 
à celle de saint Antoine de Padoue, nous n’en avons que faire. 
Détruisez-la et faites mettre saint Grégoire pape à sa place. » 
Les clercs obéirent et grimpant l’un après l’autre vers la voûte 
de l’abside pour détruire l’image, ils confessèrent qu'ils se sen- 
tirent repoussés vers la terre par une main puissante et cela 
violemment et rapidement. Et soit de suite, soit bientôt, tousils 
rendirent le dernier soupir. Boniface VIII apprenant la chose, 
dit : « Laissons ce saint tranquille, car je vois qu’il y a plus à 
perdre qu’à gagner avec lui. » 

Ce texte dans sa naïveté, est précieux. Il témoigne de l’émo- 
tion qu'avait causée cette adjonction, alors inouïe, des deux 
saints franciscains, aux apôtres de l’église primitive. Il montre 
l'étonnement qu'on éprouvait de voir que le fondateur de l'or- 
dre franciscain était placé dans l’abside de l’église patriarcale 
de Rome par le premier de ses enfants qui montât sur le trône 
pontifical, alors que saint Benoît, dont tant de disciples avaient 
ceint glorieusement la tiare, ne se voyait nulle part. — Rappe- 
lez-vous que c’est par saint Grégoire-le-Grand, un bénédictin, 
que l’on veut remplacer saint Antoine de Padoue.—Il est de plus 
un écho populaire des difficultés qui surgirent, à certain moment, 
entre une partie de l’ordre des Mineurs et le pape Boniface VIII. 
Il confirme enfin une phrase de Vasari que je n'ai pas encore ci- 
tée, et où il est dit que « en 1308 Gaddo Gaddi fut appelé à 
Rome par le pape Clément V pour mettre la dernière main à la 
mosaïque laissée inachevée par le frère Jacques Torriti. » Il 
nous montre en effet que la mosaïque ne fut pas terminée, 
comme on le croyait sans raison aucune, en 1291. Enfin et sur- 
tout il établit de la façon la plus formelle que bien avant Vasari, 
bien avant Mariano de Florence, au commencement du XIVe 
siècle, quarante ans au maximum après les faits, la mosaïque de 
Saint-Jean-de-Latran était considérée même dans des milieux 
éloignés de Rome — on parle de peintures au lieu de mosaï- 


58 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


ques, de Boniface VIII, comme ayant commencé les travaux, 
au lieu de Nicolas IV — la mosaïque était considérée, dis-je, 
comme l’œuvre de deux Mineurs, très habiles et très experts 
dans leur art, de ces deux Mineurs dont nous avons trouvé 
l’image, les instruments du mosaïste à la main, à Saint-Jean-de- 
Latran, de ces deux Mineurs que nous avons trouvés priant, à 
Sainte-Marie-Majeure, au lit de mort de la Vierge dont ils ve- 
naient de dessiner le triomphe sur la pierre, de fr. Jacques Tor- 
riti et de fr. Jacques de Camerino, en un mot, dontfr. Mariano 
et l'inscription nous révèlent les noms. Mais notons-le, notre 
texte ne nous montre les deux artistes à l’œuvre sous l’habit fran- 
<iscain qu'à l’époque de Boniface VIII, ce qui nous laisse libres 
de supposer qu’au moment où fr. Jacques Torriti signait la 
partie supérieure des mosaïques de Latran et de Sainte-Marie- 
Majeure sans faire précéder son nom du mot frère,il n'avait pas 
encore effectué son entrée dans l’ordre ; mais il y était bien lors- 
qu'à Sainte-Marie-Majeure comme à Saint-Jean-de-Latran, on 
le représente dans la zone inférieure des deux mosaïques, vêtu 
de la bure et les reins ceints d’une corde. 


+ 
* * 


Ceci bien établi, disons rapidement que fr. Jacques Torriti 
semble avoir donné le jour a bien d’autres œuvres encore que 
celles que nous venons d'étudier. Hermanin lui attribue une 
mosaïque qui se trouve à Rome, dans l’église Saint-Chrysogone; 
c'est une Vierge tenant un Enfant-Jésus drapé de rose et d'or, 
aux chevelures traitées rudement, aux parties lumineuses très 
blanches, aux ombres très opaques. Fr. Jacques Torriti a aussi 
travaillé à côté d'Arnolfo di Cambio, le grand disciple de Nico- 
las de Pise, au tombeau de Boniface VIII ; il a signé sa mosaïi- 
que Jacob. Torriti pictor., et Venturi croit que « c'est la le der- 
nier souvenir de l'admirable maître romain.» (1) On remarquera 
ce mot de pictor, peintre, dont « l’admirable maître romain » si- 
gne ses œuvres. Car il peint beaucoup. On suit sa trace à Assise, 
lors des grands travaux qui y furent entrepris sur l'initiative de 
Nicolas IV. La voûte de la basilique supérieure, dans sa travée 
médiane, semble avoir été décorée par lui. Déjà Crowe et Ca- 
valcaselle avaient remarqué que « par la distribution, par la 


(1) Venturi, op. laud., V. 180. 


AU XIIIe SIÈCLE 59 


vivacité et par le relief du coloris, cette œuvre rappelle, outre la 
manière de Cimabué, celle du mosaïste Jacopo Torriti. » En- 
fin toute une série d'œuvres remarquables, sur les parois de 
droite et de gauche de cette même église supérieure d'Assise, 
sont vraisemblablement de lui. Il est, avec Pierre Cavallini, le 
plus grand artiste de son temps ; la variété de ses compositions 
est admirable, son style est grandiose et la proportion qu'il sait 
établir entre les figures, les dimensions de l'édifice, et la hauteur 
où elles sont placées, faisait, hier encore, l'admiration de Gers- 
pach. Il y aurait des pages à écrire sur ce sujet. Mais je suis 
forcé de me limiter pour traiter rapidement encore, une autre 
question fameuse, celle-ci : fr. Jacques Torriti est-il aussi l’auteur 
de la mosaïque du Baptistère de Florence,comme le veut Vasari? 
question sur laquelle des volumes ont été écrits et qui a, on le 
verra, un intérêt tout spécial pour quiconque s'intéresse aux cho- 
ses franciscaines. 


*k 
* * 

Rappelons d’abord les faits. L’abside du Baptistère de Flo- 
rence est orné d'une mosaïque dont voici la description som- 
maire : au fond de la voûte est debout l’Agneau, la tête entourée 
de l’auréole crucifère. Autour de lui, des anges aux ailes 
éployées, les mains élevées au-dessus de leur tête ; des Patriar- 
ches et des Prophètes, graves, largement drapés, des feuillets à la 
main ; des oiseaux, des cerfs, des figures étranges remplissent 
l’espace, coupé par des colonnes au-dessus desquelles des géants 
aux formes herculéennes, aux membres cyclopéens, soutiennent, 
d'un geste d’une puissance décorative merveilleuse, le cercle au 
milieu duquelle brille l’Agneau. 

Au pied de cette mosaïque, groupés deux par deux, se lisent 
ces huit vers : 


Annus papa tibi nonus currebat Honori, 

Ac Federice tuo quintus monarca decori, 

Vigini quinque Christi cum mille ducentis 
Tempora currebant per secula cuncta manentis : 
Hoc opus incepit lux maïi tunc duodena 

Quod Domini nostri conservet gratia plena ; 
Sancti Francisci frater fuit hoc operatus 
Jacobus in tali pre cunctis arte probatus. 


Ce qui signifie : « La neuvième année courait de ton ponti- 


60 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS 


ficat, pape Honorius, et la cinquième de ton règne glorieux, 
empereur Frédéric, et la douze cent vingt-cinquième de l'ère du 
Christ, qui ne verra plus de fin ; lorsque le douzième jour de 
mai commença cette œuvre que Dieu, dans la plénitude de sa 
grâce, veuille bien conserver ! L'auteur en est un frère de l’or- 
dre de saint François, Jacques, qui, dans son art, éclipsait tous 
ses contemporains. » (1) 

Ce mystérieux artiste, qui s'appelle Jacques, qui appartient à 
l'ordre de saint François, qui était le premier des maîtres de son 
temps, dont on proclame la collaboration en huit vers héroïques 
où interviennent Dieu, le pape et l’empereur ; cet artiste qui fut 
puissant — que d'ailleurs tous les historiographes de l’ordre, 
depuis Celano jusqu’à Wadding, en passant par fra Mariano de 
Florence, semblent ignorer, — cet artiste, dont on dit aujour- 
d’hui qu'il fut, à un certain point de vue, le précurseur de Mi1- 
chel-Ange, quel est-il ? 

Le même que fr. Jacques Torriti, a répondu comme nous 
l'avons vu, Vasari, dans sa seconde édition. 

Un personnage tout différent a répondu la critiqne moderne. 
Car, comment admettre qu’un artiste qui, le 12 maï 1225, tra- 
vaillait à Ja mosaïque du Baptistère de Florence et qui,alors déjà, 
éclipsait tous ses rivaux, pût encore travailler soixante-six ans 
après, en 1291, à l’abside de Saint-Jean-de- Latran, et soixante- 
dix ans après, en 1295, à celle de Sainte-Marie-Majeure ? En 
admettant qu’il fût âgé de 30 ans en 1225,il était donc centenaire 
en 12ÿ5 ; et comment faire de la mosaïque à cent ans ? D'ailleurs 
la mosaïque du Baptistère est d’un style tout différent de celles 
de Saint-Jean-de-Latran et de Sainte-Marie-Majeure. 

J'avoue que, ni l’un ni l’autre de ces arguments n’a le don de 
m'émouvoir. D'abord est-il bien sûr que l'inscription soit du 12 
mai 1225 ? Elle ne l'est certainement pas ; car François d’As- 
sise y reçoit l’épithète de saint ; or, le 12 mai 1225, non seule- 
ment le Poverello n'était pas un saint, mais il était encore en 
vie ; il ne mourut que le 3 octobre 1226 et ne fut canonisé par 
Grégoire IX que le 16 juillet 1228. Notre inscription est donc 
postérieure au 16 juillet 1228 et de combien ? Mais, me direz- 
vous, l'inscription dit que « le douzième jour de mai 1225 » vit 
le commencement de l'œuvre ? Les commencements, oui, en ce 
sens que c’est le 12 mai 1225 que les consuls de l’arte di Calhs- 


(1) Honorius III a été élu le 18 juillet 1216, consacré le 24 du même mois, et est 
mort le 18 mars 1227. Frédéric II a été ccuronné empereur le 22 novembre 1220. 


AU XIIIe SIÈCLE 61 


mala, auxquels incombait l'entretien du Baptistère, prirent une 
délibération ordonnant que son abside serait décoré de mosaïi- 
ques. Mais entre une semblable délibération et son exécution, 
combien passe-t-il d'années ? Qui de nous ne pourrait citer par 
dizaines les monuments, dont la décoration a été ordonnée il y 
a un demi siècle, et qui sont encore aujourd’hui aussi vierges 
qu’alors ? | 

Le second argument ne m'émeut pas davantage : 1l y a des dif- 
férences de style entre l’œuvre du Baptistère et celles de Rome ! 
Mais, le propre de l'artiste n’est-1l pas de changer et, pour ne 
parler que de ce qui se passe journellement sous nos yeux, dans 
les œuvres du Besnard de la Villa Médicis, reconnaîtriez-vous 
l’auteur des plafonds qui font courir tout Paris, et dans les vues 
de Venise de Cottet, celui des sombres veillées bretonnes ? 

Ces arguments, donc, je le répète, ne me frappent pas ; mais 
ce qui me frappe c'est que fr. Mariano, un florentin, quand il 
nous parle de fr. Jacques Torriti, nous dise qu'il est l’auteur 
des mosaïques de Rome, et qu'il n’ajoute pas : il est aussi l’au- 
teur de la mosaïque de Florence. Rappelez-vous sa phrase : 
«a Vers cette époque (année 1292) fr. Jacques Torriti était consi- 
déré comme un maître éminent dans l’art de la mosaïque ; ses 
œuvres se voient encore dans les absides de Saint-Jean-de-La- 
tran et de Sainte-Marie-Majeure et dans plusieurs autres églises 
de diverses villes d'Italie. » Et pas un mot du Baptistère ! pas 
un mot de cette œuvre signalée à l'attention de tous par l'ins- 
cription la plus sonore qui s'étale sur les nombreux murs des 
monuments de Florence. Il ne la cite pas parmi celles de Jac- 
ques Torriti ; donc il considère qu’elle n'est pas de lui, et 1l le 
considère sur des bases assez solides pour entraîner sa convic- 
tion. Et ce qui me frappe aussi, c'est qu'au moment où il 
publiait la première édition de ses œuvres, Vasari était dans la 
même ignorance que fra Mariano, qu'il ignorait que l’auteur de 
la mosaïque de Florence s’appelât T'orriti. 

Mais alors, si ceJacques, frater sancti Francisci, que les con- 
suls de l’ Arte di Callismala ont si magnifiquement célébré dans 
leurs vers n’est pas le même que Jacques Torriti, qui est-il ? 

Ici intervient une hypothèse qui me plaît infiniment. Thomas 
de Celano raconte que le jour même de la mort de saint François 
« un de ses frères et disciples, jouissant d'une célébrité qui n’est 
pas médiocre, et dont lui, Thomas de Celano, ne veut pas dire 
le nom parce que ce frère, aussi longtemps qu'il est en vie, dé- 


62 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS AU XIIIe SIÈCLE 


sire fuir la publicité, ce frère, dis-je, vit l’âme du séraphique 
Patriarche monter directement au ciel. Elle était comme une 
étoile...etc» Le nom de ce frère, que Thomas de Celano n’a pas 
voulu livrer, qu'après lui saint Bonaventure aussi a gardé secret, 
Bernard de Besse nous le livre dans son de Laudibus:il s'appelait 
Jacques. Les frères de ce nom sont infiniment rares dans l’his- 
toire primitive de l’ordre, et le seul qui soit arrivé à la célébrité 
c'est précisément notre fr. Jacques, auteur de la mosaïque du 
Baptistère de Florence. De là, à identifier le Jacques, frater 
sancti Francisci qui vers 1226 éclipsait dans son art tous ses 
contemporains, avec le Jacques dont /a célébrité, précisément à 
ce même moment, n’était pas médiocre, il n’y avait qu’un pas à 
faire. Ce pas, Davidsohn le fit. 

Et je dis que son hypothèse me plaît infiniment. Car autre- 
ment comment pourrait-on expliquer que les auteurs primitifs 
de l’ordre n'aient pas parlé de l’auteur fameux de la mosaïque 
de Florence ? Le nom d’un fr. Pacifique, parce qu’il fut trouba- 
dour, se trouve partout ; et celui bien autrement célèbre de fr. 
Jacques, ne serait nulle part ? Mais si ; ni Thomas de Celano, 
ni Bonaventure ne l’ignorent, mais ils le cachent à cause même 
du lustre dont il est entouré ; et quand,cinquante ans plus tard, 
Bernard de Besse le révèle, on a oublié les mérites artistiques 
pour ne se souvenir que de l’éminente et surabondante sainteté 
du frère qui a vu, de ses propres yeux, le soir du 3 octobre 1226, 
l’âme du Poverello monter au ciel, à l'heure où les alouettes de 
la Portioncule se mirent à chanter pour saluer cette nouvelle 
aurore. Ainsi se trouverait expliquée une anomalie inexplicable 
autrement. 

Quoiqu'il en soit de cette opinion, le fait est là : la première 
œuvre d’art sortie de la main d’un enfant de saint François an- 
nonce, au commencement du XIII° siècle, les splendeurs du 
XVI°; tandisque celles qui, cinquante ans plus tard, s’étalent à 
Rome sous le marteau de ses successeurs, celles de fra Jacopo 
Torriti, le grand artiste,et de fr. Jacques de Camerino, le robus- 
te ouvrier, résument dans leur éclat toutes les merveilles dont 
la mosaïque, depuis Constantin, illuminait les églises de Rome. 
Les unes et les autres sont également admirables. 

« Je veux, disait saint François, que tous mes frères travaillent 
et exercent un art. » Jacques frater sancti Francisci, fr. Jacques 
Torriti et fr. Jacques de Camerino ont travaillé et proclamons- 


le avec fierté, ils l’ont fait merveilleusement. 
H. MATROD. 


NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 
DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19994 
RELATIF AUX CORDELIÈRES DE NOYEN- 


sd 


Au mois de février 1631, le marquis de Sablé, Philippe Em- 
manuel de Montmorency Laval et sa femme, Madeleine de 
Souvré pour laquelle sans doute fut écrit le livre De la fréquen- 
te Communion (1643) d'Antoine Arnauld, établirent à Sablé (1} 
une maison de religieuses Cordelières sous le patronage de 
sainte Elisabeth, afin d’honorer par un culte d’adoration perpé- 
tuelle le très saint Sacrement de l'autel. 

Une maison semblable fut établie le 29 avril 1637 à Noyen, 
par la marquise de Kerveno, baronne de Noyen. Les construc- 
tions conventuelles ne furent terminées et closes qu’au mois 
d'octobre suivant. 

Le couvent prit pour armoiries ce blason : « d’azur au chef 
de gueules, chargé de deux étoiles d’or. » 

Le tome I des Archives du Cogner publié par M. l'abbé Denis 
(Paris 1903, série H, n°81, p. 308) contient une pièce du 1* février 
1685 relative à cette maison. On trouvera à la bibl. de l’Arsenal 
à Paris, ms. 10184 deux pièces de 1741. Le Catalogue des mss. 
de la bibliothèque franciscaine provinciale (Paris 1902) indique 
aussi plusieurs copies de documents : mss. 282 (838), — 284 
(167-5), — 474 (55). M. l'abbé Leveau enfin a écrit une char- 
mante monographie intitulée Le couvent des Cordelières à 
Noyen, dans les Annales Fléchoises (février et avril 1903, p. 
94-100, 211-217). 


(:) Cf. P. E. Chevrier. Inventaire des Archives de l'hospice de Sablé suivi de 
notices historiques. Sablé 1877. in 8, p. 461-464. — C’est donc dans les bâtiments de 
ces religieuses de Sablé que naquit dom Guéranger le 4 avril 1805. 


64 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 


Le Musée Britannique possède, à Londres, un ms. petit in-fo- 
lio, le Livre des professions. Add. 19 994, de 79 feuillets écrits. 
Papier. Original. Sur la reliure, se trouve trois fois répété ce 
fer : 


Saint Jean l'Évangéliste était le patron du couvent des Corde- 
lières de Noyen. 

Fol. 1: « Livre des professions pour le monastère du Sainct 
Sacrement de Noyen l’an 1641, diocèse du Man. 

Fol. 2 « + Jesus. Marie. Joannes. Au nom du Père, du 
Filz et du sainct Esprit, par honneur au très sainct Sacrement, 
à la saincte Vierge et à sainct Ian l’Evangéliste, titulaires et 
protecteurs de ce monastère, et pour mémorial à la postérité. 
Comme rien ne se trouve parmy la vie civile de plus honteux, 
ny de plus ridicule que l’oubli des bienfactz reçus des hommes. 

de « On saura donc que l'an de grâce vers la feste de notre 
mère saincte Elizabeth furent conçeues les 1" pensées de l’esta- 
blissement de ce monastère... » Suit la chronique qui va jus- 
qu’au g août 1641. Ensuite viennent des additions, du 15 février 
1645 au 7 avril 1649. Voir l'appendice. 

Fol. 6 vo. « Le 7° mars 1648 jour de sainct Thomas d’Aquin 
mourut notre sœur Sébastienne Moisné, native de la Flèche 
soeur l’âge âgée de 21 ans et la première appellée de Dieu de ce 
monastère... elle fut enterrée en l'Eglise Sainct Germain en la 
chapelle de saincte Magdelaine du costé du prieuré, pour n'avoir 
pas encore en ce monastère de lieu bénist pour les sépultures des 
frères. » 

Fol. 7. « Celles qui voudrons voir le décès de nos autres:sœurs 
auront recours au martirologe francois. » 

Fol. 9-79. Actes des professions. 20 janvier 1639 jusqu’au 12 
septembre 1730 : 


Marie Pillet, 20 janvier 1639. 
Renée Coffé, 25 janvier 1630. 
Urbaine de Bastard, 4 juin 1641 


DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 65 


Gabrielle de Choisnet, — — 

Madeleine le Vigneau, — — 

Jeanne de Courtalain, 21 novembre 1641. 

Jacqueline Moreau, 28 novembre 1641. 

Louise du Vau du Bouchet, 30 juin 1642. 

Marguerite de Bastard, 30 juin 1642. 

Marthe Duval, 16 juin 1643. 

Sainte du Juglart, 4 août 1643. 

Anne Poirier, 25 septembre 1644. 

Jeanne de la Leu, 7 novembre 1644. 

Suzanne Gautier, 7 juin 1645. 

Agathe Cosset, 8 août 1645. 

Céleste Cosset, — — 

Colombe de la Haye, 31 octobre 1645. 

Elisabeth d'Oisseau, 21 novembre 1645. 

Angélique Le Gendre, — — 

Sébastienne Moyné, — — 

Agnès de Choisnet, 30 juillet 1646. 

Paule du Noyer, — — 

Catherine de Longueil, 18 septembre 1646. 

Thérèse Le Valet, 24 janvier 1647. 

Thècle Galichon, 14 mars 1647. 

Françoise de Courtalain, 3 juillet 1647. 

Claire du Noyer, — — 

Radegonde du Juglart, 4 juillet 1647. 

Perrine Le Breton, 27 novembre 1647. 

Hélène Jarry, 2 juillet 1648. 

Scolastique Aumont, 3 janvier 1649. Cette profession est si- 
gnée par le « Frère Grégoire de Mannoury prédicateur 
récollet député de Messieurs les Grands Vicaires du 
Mans. » 

Ursule de la Place, 10 septembre 1650. 

Madeleine Cosset, 14 mai 10651. 

Françoise Jacques de la Borde, 17 septembre 1651. 

Geneviève Girard, 19 novembre 1654. 

Julienne du Teil, — — 

Marie Rivrain, 15 février 1655. 

Françoise Regnoul, 18 mai 1655. 

Marie Angéle du Bois, 6 juin 1655. 

Marie Eugénie Dezé, 18 juillet 1655. 

Marguerite Suzanne Dezé, — — 


E, F. — xxIX. — 5 


66 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 


Anne Claude Desaulnays, 13 juin 1656. 
Marie Séraphine des Champs, 13 octobre 1658. 
Catherine Faifeu de la Courbe, 4 février 1659. 
Andrée Chassebœuf, 5 juin 1659. 

Anne de Chantelou, 23 septembre 1659. 
Françoise Gohory, 5 février 1662. 

Marguerite du Vau, 17 mai 1663. 

Louise Rollée, 6 octobre 1664. 

Charlotte de la Rue, 5 novembre 1664. 

Marie de Vasbres, 14 juillet 1670. 

Jeanne de Vasbres, — — 

Marie Bourgoin, 6 juin 1685. 

Anna Guyot, 7 octobre 1687. 

Anne Renaudin, 19 octobre 1704. 

Marie Hardange, 28 octobre 1705. 

Anne Clouët dela Lis, — — (1) 

Urbaine Masonneau, 29 juillet 1710. 

Françoise Elisabeth Masonneau, 5 février 1706. 
Catherine Gasselin de Richebourg, 28 septembre 1711. 
Renée Thérèse Mignot de Doudan, 14 septembre 1712 
Françoise Bougard, 30 janvier 1713. 

Catherine Françoise Hubert, 20 février 1713. 
Marie Madeleine de la Roche, 22 juin 1716. 
Françoise Bourgoin, 23 septembre 1716. 
Louise Chambot, 13 juin 1718. 

Marguerite Bougard, 5 juillet 1723. 

Marie Angélique Durant, 13 août 1725. 

Marie Gabrielle du Bouchet, 12 septembre 1730. 


La rédactrice de la chronique (fol. 2-8), Marguerite d’Ap- 
chon, a rédigé les actes de protession jusqu’à l’année 1647. Les 
additions, de 1641 à 1646 inclusivement, sont aussi de sa main. 
Les Supérieures indiquées dans ces actes sont les suivantes : 


Marguerite d'Apchon, jusqu’en 1658. 
Gabrielle de Marcé, 1659. 
Marguerite d’Apchon, 1662-1670. 
Gabrielle de Marcé,1685,1687. 
Madeleine du Noyer, 1704-1716. 


(1) Voir la constitution de dot d'Anne Clouet (Couet) en date du 16 août1704, dans 
Les Annales Fléchoises, février 1903. p. 98-100. 


DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 67 


Marie Bourgoin, 1718. 
Anne Clouet, 1723, 1725. 
Anne Renaudin, 1730. 


Il est facile d’expliquer, aux archives départementales de la 
Sarthe, l'absence de documents relatifs aux Cordelières de No- 
yen. Leur couvent fut supprimé au XVIII: siècle. 

Le 31 janvier 1758, un arrêt du conseil d'Etat du Roi pronon- 
ça cette suppression, « attendu que cette communauté est ré- 
duite à un très petit nombre de religieuses, et que ses revenus ne 
sont pas suffisants. » Vers la même époque, les officiers munici- 
pauxenvoyèrent un mémoire à l'évêque du Mans, pour obtenir 
que le temporel des Cordelières de Noyen fût réuni au couvent 
des dominicaines des Maillets du Mans (Arch. Sarthe. H. 1709). 

Le décret de l’évêque du Mans ne fut rendu que le 6 août 
1773. Il portait suppression des Cordelières, union des biens 
aux Dominicaines des Maillets, puis établissement d’une école 
de charité (Arch. nationales de Paris. X12 8805, fol. 222-243). 
Le roi confirma le décret de l’évêque le même jour,6 août 1773 
(Ibid. fol. 243). 

P. UBALD d’Alençon 


Appendice 


Nous publions ici le récit de la fondation des Cordelières de 
Noyen tel que le donne ce ms. add. 19 994. fol. 2, — fol. 6 : 

« On saura donc que l’an de grâce vers la feste de notre mère 
saincte Elizabeth furent conçuesles 1'° pensées de l’establissement 
de ce monastère par Madame Catherine de L’annoy, marquize 
de Guervenault, dame de cette ville de Noïen et par le Rä père 
Jean Baptiste Bougler pbre de l'Oratoire de Ihésus, natif de la 
ville de Noyen (1), qu’elle envoia à mesme temps en proposer le 
dessein à ma sœur Gabrielle d’Aschon, supérieure du monas- 
tère de Sablé, nous y servant lors en qualité de vicaire, monas- 
tère que par la miséricorde de Dieu nous avions étably toutes 
deux en l’an 1631. 

« Cette proposition nous ayant d’abord semblé de difficile 
succez, nous obligea de la conserter plus particulièrement et de 


(1) Jean Baptiste Bougler fut reçu à l’Oratoire »#n la maison du Mans en 1624 et 
ordonné prêtre en 1626, d'après le Catalogue général des entrées à l’Institution 
de l'Oratoire (Communication de M. l’abbé Bonnardet). 


68 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 


l'offrir à Dieu, luy demandant sez lumières sur un ouvrage qui 
ne devoit estre entrepris que pour sa gloire. 

« L'ouverture que nous fist le père Bougler, de consacrer 
l'ouvrage proposé au très sainct Sacrement de l’Autel et le pren- 
dre pour titulaire, nous donna comme un jour très clair à toutes 
les difficultez qui sembloist devoir s’oposer à tous nos proiects 
et nous fist resoudre d’agreer cet engagement, soubs les condi- 
tions dont nous chargeasmes le père, affin d’estre raportées à 
Madame la Marquise de Guervenault, pour avoir d'elle l’arrest 
de ces sentiments sur cette affaire. 

« Madame la Marquise, aiant treuvé nostre responce selon 
son dessein, peu apres en recrivit à feu Monseigneur de bonne 
memoire, l’ilustricime Charles de Bau-manoir pour lors evesque 
du Mans (1) le supliant d’avoir agreable, le desir qu’elle avoit, 
de consacrer en sa ville, une maison de filles Religieuses au ser- 
vice de Dieu, pour la consolation et l’edification du public. 

« Ce Bon evesque (à la memoire duquel, nous avons parti- 
culière obligacion) quy outre sa bonté ordinaire avoit grande 
estime de la vertu et piété de madame la marquize, et estoit 
porté de speciale bonne volonté pour notre nom, tesmoigna 
agréer ce pieux desir, et fist une responce autant favorable 
qu'on eust peu desvier, sur laquelle madame la marquize arresta 
entierement la resolution de cet ouvrage, dont à mesme temps 
elle dressa le project pour le faire reussir au succez qu’elle desiroit. 

« Pour y donner commencement elle traita par contrat avec 
ma sœur Gabrielle d'Apchon superieure de Sablé et avec que 
nous, lequel contrat est joinct avec le consentement des habitants 
du dit lieu de Noyen et la requeste de la ditte dame estant pré- 
sentée à Monseigneur du Mans, fut par luy consenti et formé 
le decrét de l'érection du monastere, et cela le 6®° du mois de May, 
feste de saint Jan l’evangeliste qu’on apelle devant la porte lati- 
ne, l’an 1631. 

« Je croy en cet endroit estre obligée de dire une chose con- 
ciderable, quy m’a semblé digne de remarque, c’est que ma 
souer Gabrielle d’Apchon superieure de Sablé et moy, nous 
entretenant sur le propos du choix d’un sainct pour estre protec- 
teur du monastere, apres l’auguste titulaire que nous avions 
choisy, et la generale protectrice des maisons Religieuses la 


(1) Charles Jean de Beaumanoir de Lavardin évêque du Mans mourut le 17 no- 
vembre 1637 et eut pour successeur Emeric Marc de la Ferté mort à son tour le 30 
avril 1648. Cf Gallia christiana, tome XIV. Paris 1856, in fol, col. 415-416. 


DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 69 


saincte Vierge, 1l nous vint en pencée que sainct Jan l’evange- 
liste, le bien aymé de l’un et de l’autre, n’en devoit point estre 
separé et qu'ayant esté donné par Jesus mourant, pour filz et 
garde à la Saincte Vierge nous ne pouvions choisir un meilleur 
protecteur, pencée que ce grand sainct tesmoigna agréer en vou- 
lant que le decrét du monastere fust signé le jour de son martire, 
ce quy ariva avec plus de facilité qui personne ne l’ust ozé 
esperer. 

« Tout au mesme temps on pensa à l'élection du lieu pour le 
bastiment du monastere, et fut choisy celuy où nous sommes 
situées en la paroisse de Sainct Germain, d’antiquité consacré 
aussy au tres sainct sacrement, dont le raport ayant esté faict 
à Monseigneur du Mans, il commist le venerable maistre Pierre 
Ameslon, presbytere archidiacre de Sablé son promoteur, pour 
visiter le lieu, l’agréer de sa part, et nous y amener pour y plan- 
ter la Croix. 

« La chose fut donc accomplie de cette sorte, le susdit mais- 
tre le promoteur nous estant venu prendre à Sablé, ma sœur la 
mere superieure de Sablé et moy, avec deux compagnes, nous 
a mené à ce logis de madame la Marquize de Guervenault, le 
vendredi 29° may du mesme an, et le mesme jour consacré à 
la Passion du Filz de Dieu ; la croix quy auparavant avoit esté 
portée par les ouvriers en l’eglise de N. Dame, y fut beniste so- 
lennellement par mon dit sieur archidiacre, puis avec une cele- 
bre procession aportée par quatre presbyteres, tout le clergé 
revestu d'ornements et suivie de presque tous les habitantes de 
la ville jusqu’au lieu où ell’est maintenant plantée au coin de la 
maison destinée pour le monastere, où après quelque motets 
en musique et oraisons ordinaires, elle fut plantée, nous estant 
presentes. 

« En l’octave du Sainct Sacrement suivant fut mise la ire 
pierre de la closture du monastere, par madame la marquise de 
Guervenault, laquelle closture et autres acommodements de la 
maison, et chapelle, pour mettre toutes choses en regularité, fut 
poursuivie, avec si grande diligence par le pere Bougler que le 
tout fust prest vers le fin de septembre de la mesme année. 

« Toutes choses, en estat, le dit monsieur le promoteur susdit 
fut de rechef commis par feu Monseigneur l’evesque pour nous 
venir querir à Sablé et nous transporter en ce monastere pour le 
commencer. 

« Monseigneur l’evesque avoit dès le commencement fait 


70 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 


choix de notre personne, quoy que je fusse indigne de tout em- 
ploy, pour estre institutrice et premiere superieure de ce monas- 
tere, m'aiant donné le choix de celles quy y devoits cooperer 
avec que moy à ce sainct ouvrage et je luy proposé quattre com- 
pagnes, Souer Elizabhet de Champagnette, Souer Marthe 
Guiard, et Souer Therese Guibert, Religieuses du chouer, et 
souer Marguerite Ferrand, Converse, ce qu'il agréa. 

« Donques le jeudi premier octobre, dudit an, jour dedié au 
Sainct Sacrement, et qu’on celebroit la feste de l’ange gardien, 
et à Noyen, la translation de Sainct Germain dans le theritoire 
duquel nous allions demeurer, nous partismes de Sablé, ma 
souer la mere superieure de Sablé, et moy, avec mes sudittes 
compagnes, et quelques unes des premieres Religieuses de Sablé, 
conduites par le susdit Monsieur le promoteur et autres ecclé- 
siastiques, et arivasmes le mesme jour à Noyen où nous fusmes 
resceües avec aplaudissement premierement de Madame la mar- 
quize de Guevenault, et puis de tout le peuple, et avec celebri- 
té du son des cloches de toutes les églises, esquelles aiant salué 
le Sainct Sacrement, nous vinsmes coucher dans le monastere. 

« Le vendredy et samedy suivant, nous les emploiasmes à 
disposer l’eglise pour le Sainct Sacrement, et la ceremonie que 
ce debvoit faire pour le transporter en notre eglise le dimanche 
d’après. 

« Ce fut le 4° Octobre, jour dedié à notre bien heureux pere 
sainct Francois, et qu’on celebroit en l’eglise Nostre Dame, et 
par toute la ville la solemnité de N. Dame du rosaire, que le 
Sainct Sacrement fut exposé publiquement, en la ditte eglise de 
N. Dame, où la grande messe fut chantée solemnellement, nous 
presentes, acompagnées de madame la Marquize de Guervè- 
nault, Mademoiselle sa fille aynée, et autres dames et demoisel- 
les de condition. 

« Au millieu de la messe, la predication fut faitte par le pere 
Bougler, sur les subjectes des rencontres des trois misteres, sça- 
voir le Sainct Sacreinent exposé notre titulaire, la solemnité de 
la Saincte Vierge, et la feste de notre bien heureux pere sainct 
Francois, chose qu'il fist quadrer au texte de l’evangile qui ve- 
noit d'estre chanté de la Saincte Vierge, et les paroles : Beatus 
venter qui te portayvit etc. (1). 

« La messe finie l’on commensa la procession où les ecclesias- 


(1) Luc. XI, 27. 


DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 71 


tiques revestus de chappes et autres ornementes, acompagne- 
rent avec chantes et musiques, le venerable curé de Sainct Pierre, 
du dit Noyen, quy portoit le tres auguste Sacrement, soubs un 
dais de drap d’or, que portoist quatre ecclesiastiques ; les rues 
cependant estant tendues et ornées jusque en notre chapelle, 
comme au jour du tres Sainct Sacrement, et nous suivans im- 
mediatement les presbyteres acompagnées et conduittes des 
dames et damoiselles sudittes, et suivies d’une infinité de peu- 
ple, tant de la ville que des autres lieux circonvoisins. 

« Arrivée que fut la procession et le Sainct Sacrement exposé 
sur le lieu destiné pour cela, le dit pere Bougler commença la 
premiere messe, quy ait esté celebrée en ce monastere, quy fut 
de Notre Bien heureux pere Sainct François, avec memoire du 
Saint Sacrement et de la Sainte Vierge, depuis laquelle messe 
et jour nous commencasmes à reciter et psalmodier hautement 
le service canonial selon l’uzage romain, sans que jamais nous 
y aions manqué du depuis, par la grace de Dieu, et j'ay toujours 
attribué le bonheur quy est arivé à cette maison au soin et au 
respec qu'ont eu toutes nos souers à perseverer en cette entre- 
prise, en laquelle je suplie Notre Seigneur de leur donner grace 
pour continuer. Voila tout ce quy regarde notre establicement. 

« La mere superieure de Sablé,ma souer,laquelle m'avoit ame- 
née icy, et avoit demeurée avecque nous quelques sepmaines, 
s'en retourna à son monastère de Sablé avec les Religieuses 
quy l’acompagnast et ce fut une separation bien sensible de part 
et d'autre ; mais quand la gloire de Dieu nous apelle, il ne 
fault pas disputer avec le sange et la nature, et je prie toutes mes 
cheres sœurs quy viendront jamais en ce monastere, de ce con- 
duire par la grace, et de se separer des mouvements contraires. 

« Le 12° d'octobre fut resceuë en ce monastere, pour y es- 
tre Religieuse du chouer, souer Marie Pillet, du Mans, et peu 
après souer Renée Cüesfé d'Angers, souer converse, et sont les 
deux premieres filles, quy soit entrées en ce monastere, comme 
l'on verra en suitte de leurs professions, cottées dans ce livre. 

Le 17"° de Novembre 1637 mourut Monseigneur l'ilustricime 
Charles de Baumanoir, evesque du Mans, auquel ce monastere 
a l'obligation de son establicement et quy en a esté le premier 
superieur, apres la mort duquel fut nommé pour son successeur 
Monseigneur Emery Marc, Sieur de Lasferté,aumosnier du roy, 
natif de Rouen, attendant la concecration duquel, le siege de- 
meura vacant jusqu’à la feste de Pasques 1639 que le dit seigneur 


72 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT 


fut consacré evesque à Paris, l’evesché estant cependant gouver- 
né par le chapitre du Mans. 

« Le jour de Sainct Jan l’Evangeliste notre Protecteur, le 
27% decembre 1637 nous donnasmes le sainct habit aux deux 
premieres filles de ce monastere, souer Marie Pillet ditte de 
Sainct Jan l’evangeliste et souer Renée Coesfé ditte de Sainct 
Joseph. 

« Cette année 1638 au mois de Juillet souer Elizabhet de 
Champagnette, venue à l’establicement de ce monastere, eut obe- 
dience pour s’en retourner à son monastere de Sablé. 

« L'an de grace 1638, le jour de Sainct Laurens, ariva icy la 
Reverende mére superieure de Sablé, ma souer, et toutes les 
Religieuses peu de jours apres, à la reserves de 5 seulement, quy 
furent envoiées à la (Graulerois en Anjou (1), et cela à raison de 
la peste, dont la ville estoit infectée, et le monastere en grand 
danger, et y demeurerent jusqu’à la fin de septembre auquel 
temps ma souer la mere superieure de Sablé me laissa pour 
m'aider, dans ce monastere, souer Magdelaine Le Tendre, 
ditte de la Croix. 

« L'an de grace 1639, jour de l’octave de Sainct Jan l’evange- 
liste, notre protecteur, fist profession, Sœur Marie Pillet, pre- 
miere fille de ce monastere, entre les mains du pere Bougler, 
commis à cela par messieurs les vicaires generaux du chapire 
du Mans et le jour de la conversion de Sainct Paul suivant, 
souer Renée Coesfé rendit aussy ces vœux entre les mains du 
mesme. 

« Le 23° Septembre du mesme an, en la paroisse dist Jan 
l'evangeliste de Chasteau Gontier, fut fait le premier contrat 
d’aquest de la terre de Mans, dont l'achat fut mesnagé par le 
pere Bougler. 

« L'an de grace 1649, le 14%° mars fut faitte par madame la 
marquize de Guervenault, la fondation de nostre Chapelain, 
dont le contrat est dans les papiers du monastere. 

« L'an de grace 1641, nous ayant eu obedience pour aller 
changer d'air au monastere de Sablé, je party de Noyen le 19m° 
juin, et y ayant séjourné quelques mois ; j'y laissé souer Marthe 
Guiard venue avecque moy pour l’establicement du monastere, 
et cela du consentement de ma souer la mere superieure de 
Sablé, avec obedience de Monseigneur nostre evesque. 


(1) La Gauleraie, commune de Fougéré. Maine et Loire. 


DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 73 


« L'an de grace 1641 le 9° Aoust vigille de St Laurens, fist 
sa premiere entrée et visite en ce monastere, monseigneur l'ilus- 
tricime Emeric, evesque du Mans, en calité de nostre superieur. 

« L'an de grace 1645 le 15"° Febvrier jour de la translation 
sainct Anthoine de Pade, j'ay mis la premiere pierre des dor- 
touers et cloistres, quy a esté posé au millieu des fondementes du 
chapitre, et porté en son inscription, ihs mra ioaes, avec le datte 
sudit. 

« L'an de grace 1645 le lundy 19° juin, les octaves du saint 
Sacrement, nous furent aportées par Monsieur le marquis du 
Puy du Fou,nommé Gabriel du Puy du Fou de Champagne (1) 
les lettres patentes du roy pour l’etablicement du monastere, par 
lesquelles il est mis en la specialle protection du roy, comme de 
fondation roialle, et indamnize les biens du monastere tant pre- 
sentes que futures. 

« Cette mesme année le 19° d'octobre, s’en retournerent au 
monastere de Sablé souer Magdelaine le Tendre et souer The- 
rese Guibert, venues pour ayder à establicement de ce monas- 
tere, et cela du consentement des Religieuses de Sablé, et avec 
obedience de Monseigneur nostre evesque. 

« L’an 1646 le 29" octobre Monseigneur du Mans fist les 
elections des officieres de la maison. » 


(1) Cf. ma Notice historique sur Elisabeth du Puy du Fou, marquise des Plan- 
ches (1599-1655) Nantes. 1903. in.-8. 


UN CONFESSEUR DE LA FOI 
AU XIX: SIÈCLE 


Mgr de Oliveira appartenait à une des plus nobles familles du Brésil, 
sa mère était une Albuquerque. Il naquit à Pernambouc, le 27 
septembre 1844. Dès ses premières années, il se sentit porté vers l’état 
religieux. Etant venu en France, pour y achever ses études au sémi- 
naire de Saint-Sulpice, il résolut d'écouter la voix qui l’appelait, et le 
15 août 1863, il entrait au noviciat des Capucins, à Versailles, où il 
fit profession le 19 octobre de l’année suivante. 

Le Brésil était, à cette époque, en proie à une véritable anarchie. 
Les Francs-maçons exerçaient dans l'empire l’influence la plus néfaste. 
Les confréries, les associations religieuses, le clergé lui-même n'avaient 
point échappé à son action, et l'Église du Brésil offrait au monde 
chrétien le spectacle de la plus lamentable décadence. L'âme ardente 
du jeune Fr. Vital endurait un véritable martyre, à la pensée de tant 
de maux qui désolaient sa patrie. Éprouvé, d’ailleurs, par les rigueurs 
de plusieurs hivers qui avaient sensiblement altéré sa santé, il demanda 
et obtint de revenir au Brésil, afin de consacrer ses talents et son zèle 
à la régénération de ce malheureux pays. 

C'est en 1868, qu'après un long et pénible voyage, il arriva au 
séminaire de Sao Paolo, où il fut chargé du cours de philosophie. 

Le jeune religieux ne tarda pas à se faire remarquer par son zèle et 
par ses vertus. Dom Pedro qui n'était pas fâché, sans doute, de voir 
élever à l'épiscopat un Brésilien de grande famille, le proposa, malgré 
sa jeunesse, pour le siège d’Olinda. Le P. Vital avait alors vingt-sept 
ans. Sa grande modestie s'effraya d'une charge qu’il jugeait trop lourde 
pour ses jeunes épaules ; il conjura le Pape d’éloigner de ses lèvres le 
calice amer qu’on lui offrait. Mais, en fils soumis de saint François, 


(1) Une page de l'histoire du Brésil. — Monseigneur Vital (Antoine Gonçalvès de 
Oliveira) Frère Mineur Capucin, Evêque d’Olinda. par le P. Louis de Gonzague, 
©. M. C. Paris, Librairie Saint-François, 4, rue Cassette, — Couvin. Maison 
Saint-Roch (Belgique). In-8° de X-308 pp. Prix : 5 fr. 


AU XIXe SIÈCLE 75 


il s’inclina devant la décision du Chef de l’Église, et bientôt il eut con- 
*quis l’affection comme l'admiration de son peuple. 

Mgr de Oliveira n'était point combatif, par tempérament. Ses senti- 
ments délicats et élevés, comme aussi sa formation religieuse, l’incli- 
naient plutôt à la mansuétude et à l'amour de la paix. Mais, il était 
avant tout l'homme du devoir, et ni les injures, ni les menaces n'étaient 
capables d’intimider sa foi ou de faire fléchir sa conscience. Ce fut là, 
d'ailleurs, le trait caractéristique des sept douloureuses années de son 
épiscopat. 

Les Francs-maçons ne tardèrent pas à s'en apercevoir, et impuissants 
à le faire servir leurs projets, ils résolurent aussitôt sa perte. Dès lors, 
une lutte s'engagea entre le Pasteur fidèle, prêt à donner sa vie pour son 
troupeau, et ces loups ravisseurs qui n’entendaient nullement aban- 
donner leur proie. A la violence et à l'injustice des procédés, Mgr de 
Oliveira n'opposa jamais que la douceur et le pardon des injures, avec 
l'affirmation digne et ferme de son droit. Les regards toujours fixés sur 
Rome, il ne s’inspira, dans toute sa conduite, que des prescriptions de 
l'Église et des décrets pontificaux. Son intransigeance a pu paraitre 
excessive à certains esprits prévenus ou mal informés. Elle fut même, 
pour le cœur du vaillant évêque, une source d’amers déboires et d'indi- 
cibles souffrances que, fort du témoignage de sa conscience et de sa 
soumission filiale aux directions du Souverain Pontife, il supporta 
jusqu'à la fin avec une héroïque patience. Mais l’histoire n'a pas de 
peine à justifier ses actes, et la haute approbation que leur donna le 
vicaire de Jésus-Christ, fut la grande consolation qui l’accompagn 
dans la tombe. 

Nous ne pouvons rapporter ici toutes les péripéties de cette lutte où 
devait succomber l’ardent défenseur des droits de Dieu et de l'Église. 
Il faut lire ce récit vraiment dramatique dans les pages pleines d’un 
émouvant intérêt que nous présente aujourd'hui le P. Louis de Gonza- 
gue. On y verra à quels excès de haine se porta contre le saint évêque 
la secte détestable qui terrorisait alors |’ Église du Brésil, et l'angélique 
bonté dont il usa envers ses persécuteurs. Le poison, la violence, la 
prison, tout fut tenté pour se débarrasser de sa personne. Ses ennemis 
ne reculèrent devant aucun moyen, pour combattre l'influence, chaque 
Jour grandissante, qu'il exerçait sur le troupeau confié à sa garde. Ils 
convinrent de le traîner devant les tribunaux. Quand les agents char- 
gés de l'arrêter se présentèrent pour remplir leur mission, ils trouvè- 
rent le prélat revêtu de ses habits épiscopaux. Ils voulurent lui faire 
quitter ces insignes : « C’est à l'évêque que vous en voulez, leur dit-il, 
le voici ; emmenez-le ; je ne sais rien autre chose. » Et ils l’'emmenè- 
rent. 

Après une incarcération de dix-huit mois, durant lesquels il souffrit 
sans se plaindre et sans demander grâce, Mgr de Oliveira vint en 


76 UN CONFESSEUR DE LA FOI 


Europe, et alla à Rome, où il rendit compte de ses actes à Pie IX, 
dont il obtint une Encyclique qui rappelait les vrais principes et qui... 
par conséquent, justifiait pleinement le courageux évêque. De Rome, 
il revint en France, pour y raffermir sa santé ébranlée par la prison et 
par les persécutions. Au bout de quelques mois, il reprenait le chemin 
du Brésil, où les catholiques l’accueillirent avec un indicible enthou- 
siasme, espérant que, cette fois, rien ne viendrait entraver le zèle de 
leur pieux évêque. 

Leur espérance fut bientôt déçue. Malgré la prudence qu'il apporta 
dans son administration, la lutte recommença, dès les premiers jours. 
Le gouvernement refusa de le reconnaitre comme évêque et d'entrer en 
relations avec lui. Son traitement fut supprimé, aussi bien que celui 
des prêtres qui se soumettaient à sa direction. La position n'était plus 
tenable. 

Devant ce redoublement d'hostilités, Mgr d'Oliveira se résigna à 
abandonner sa charge. Se voyant, par la malice de ses ennemis, un 
obstacle au bien, il prit le parti de revenir en Europe, disposé, pour le 
bien de la paix, à tous les sacrifices, à tous, excepté au sacrifice de sa 
conscience. Pie [X le consola, l'encouragea, le bénit, mais ne voulut 
point accepter la démission qu'il lui offrait. Le 27 juin 1877, le Souve- 
rain Pontife lui avait déjà écrit cette lettre affectueuse : « Nous som- 
mes bien afHigé de vous savoir malade ; et plus encore de constater 
que la tristesse causée par la malice des hommes vous a poussé à nous 
demander d’être déchargé du poids de l’épiscopat. Nous ne voulons 
pas que vous vous laissiez abattre par la tristesse ; selon le conseil de 
l’apôtre, priez Dieu de la chasser loin de vous. Pensez que le Chef 
suprème des Pasteurs nous donnera la récompense promise si nous 
combattons avec énergie, et malgré que nous ne voyons pas sur terre 
le résultat heureux de nos eflorts... » 

Mgr de Oliveira dut renoncer, encore cette fois, au désir qu'il éprou- 
vait d'une vie toute d'obscurité et de recueillement, au milieu de ses 
Frères. Il quitta Rome, dont le séjour nuisait à sa santé et rentra en 
France, dans l'espoir qu'il pourrait y guérir ! Le 13 mars 1878, il 
arrivait à Paris. Mais le mal qui le minait depuis longtemps, et sur 
lequel le P. Louis de Gonzague nous fournit d’intéressantes révéla- 
tions, fit soudain de si etfrayants progrès, qu'il ne songea plus qu’à se 
préparer à la mort. Dès lors, il sembla oublier la terre et concentrer 
toutes ses pensées vers le ciel. En vrai fils de saint François, il salua la 
mort, comme une aimable sœur envoyée du ciel, pour lui annoncer 
l'heure suprème de la récompense. 

Il la vit venir sans terreur, comme l'ouvrier laborieux et fidèle qui 
a fini sa Journée et qui attend le repos et le salaire promis par le Père 
de famille. Les espérances de la guérison qui lui étaient exprimées par 
ses amis comme une consolation, le laissaient indifférent et mème 


UN CONFESSEUR DE LA FOI AU XIXe SIÈCLE 77 


attristaient sa grande âme. Il désirait sortir de l'arène où il avait 
longtemps combattu le bon combat, et obtenir la couronne de justice 
qui lui était réservée. 

Il demanda lui-même et reçut avec la foi la plus vive le Saint Via- 
tique et l'Extrême-Onction, disant qu'il pardonnait de grand cœur à 
tous ses ennemis et qu'il offrait à Dieu sa vie pour le salut de ses dio- 
césains. Le lendemain soir, vers onze heures, presque sans agonie et 
conservant sa connaissance jusqu’au bout, il expira, pendant que ses 
frères agenouillés récitaient les prières des agonisants. C'était le 4 
juillet 1878. « Mgr Vital avait 33 ans 9 mois et 8 jours, il était dans la 
quinzième année de sa profession religieuse et la septième de son 
épiscopat. » 

L'ouvrage dont nous venons de donner une analyse très superficielle 
est savamment documenté, élégamment écrit et d’une lecture agréable 
et facile. Il obtiendra, nous l’espérons, le succès qu'il mérite. I] 
n'existe pas de lecture plus attachante pour un prêtre, ni plus édifiante 
pour un laïque, que l’histoire d’un confesseur de la foi, aussi ferme 
et vaillant en face des menées occultes de la Franc-maçonnerie et des 
menaces d’un gouvernement persécuteur.Il faut savoir gré au P.Louis 
de Gonzague du travail qu'il s’est imposé pour nous retracer cette vie si 
féconde et si pleine, et il convient de le féliciter vivement de l'impar- 
tialité et de la justice avec lesquelles il a rempli une tâche particuliè- 


rement délicate. 
F. C. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


12 novembre 1912. 


Fête de saint Didace d’Alcala. 


(FIN) 


D. TEXTES ÉPISTOLAIRES. 


87. Trois lettres inédites du Fr. Jean Maubert,vicaire Généraldes 
Observants ultramontains, à Fr. Pierre de Vaux p. p. le P. Jérôme 
Goyens, dans l’Arch. Franc. hist. t. V (1912) p.85-88. D’après les ori- 
ginaux conservés chez les F. M. de Schaerbeek-Bruxelles. Les trois let- 
tres sont de 1446. Elles intéressent l'histoire de la réforme au XVe 
siècle en France, celle de saint Jean de Capistran et de sainte Colette 
(in carissima et devotissima matre nostra laudo prudentiam eo vide- 
licet quod se nec suas regimini fratrum de observantia submittit do- 
nec sibi constiterit de firmitate et perpetuitate sepedicte provisionis.… 
p. 88). 


88. A propos d'un sujet analogue : Lettres de Guillaume de Casale 
à sainte Colette déjà publiées d’après les autographes dans les Lettres 
inédites de G. de Casal (Ët. Fr. t. XIX. p. 465 et 469), le P. Michel 
Bihl signale, Arch. Franc. hist. t. V (1912) p. 385-387, des variantes 
de ces lettres dans une copie (XVe siècle), contenue dans le manuscrit 
XXXIII. f. 3-10 du couvent des Franciscains de Capistrano. Il n'y 
a aucun doute à avoir à propos de la copie de ces lettres. C'est au 
texte original, puisque nous le connaissons, qu'il faut se fier. 

Redisons que l'original des Constitutions de sainte Colette est chez 
les Clarisses de Besançon, et celui de la bulle de Pie II, Rome XV 
kal. nov. 1458, est chez les Clarisses d'Amiens. 


89. Trois lettres autographes du B. Bernardin de Feltre existant aux 
archives communales d'Assise ont été publiées dans la Miscell. franc. 
an. XII. fasc. III. p. 96. Elles sont de 1487 et parlent des Monts de 
Piété d'Assise et de Gubbio. 


90. Reformationsgech. Studien und Texte hrg. von J. Greving 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 79 


fasc. 20. Aus ungedruckten Franziskanerbriefen des XVI Jahrun- 
derts par le P. Léonard Lemmens, O. M. Munster en W. rot1. 
in-8 de X-120 p. Les lettres tirées des archives d’État de Zerbst et de 
Dantzig émanent surtout du P. Ludwig von Anhalt, ou sont adres- 
sées à la princesse Marguerite von Anhlat. Celle de 1517 touche le 
chapitre général de 1517. Une de Martin Luther, Braunsberg, 25 
juillet 1523 est envoyée au P. Théophile Quant, dont la biographie se 
trouve dans le volume suivant : 


o1. Briefe und Urkunden des XVI. Jahrhunderts zur Geschichte 
der Sächzischen Franziskaner, p. p. le P. Léonard Lemmens dans 
les Beiträge zur Gesch. der Säch. Franziskaner -provinz vom HI. 
Kreuze p. p. le P. Patrice Schlager. t. IV et V (rgr1et 5912) Düssel- 
dorf, Schwann p. 43-100. Ce volume renferme, comme le précédent, 
des lettres et des documents des plus précieux pour l’histoire de l'Or- 
dre au XVIe siècle, pour la connaissance des controverses entre 
Conventuels et Observants. 

Le Bonus pastor seu Novus tractatus de decem plagis paupertatis 
Fratrum Minorum de G. Nicolaï signalé à la p. 91,setrouve à la Bibl. 
Nat. Paris. Impr. Rés. H. 2224. 


92. F. C. Carreri publie dans l’Archivum de Quaracchi, 1909. p. 
669-672 une très intéressante lettre et relation du P. François de 
Gonzague, général des Observants, relatives à la réforme des Cordeliers 
de Paris en 1583. Ces religieux n'étaient guère de bonne composition. 

Les pièces publiées sont extraites des archives d’État à Modène. 


93. Le P. André Corna a publié des lettres inédites de Luc Wad- 
ding au chanoine Pier Maria Campi, dans le Bollettino Stor. Piacen- 
tino, t. v. (1910) p. 208-216, d’après les autographes conservés à Pia- 
cenza. Elles datent d'avril 1633 à juillet 1630. 


93 (bis). Lettres de missionnaires intéressant le département de 
l'Orne (P. Gabriel d'Alençon, Raphaël de Nantes, Ange de Morta- 
gne, Barnabé d’Alençon). Lettres publiées d'après le ms. nouv. acq. 
franc. 10220 de la Bibl. nat. Paris, dans la Société hist. et arch. de 
l'Orne. Bulletin. t. XXXI. Deuxième bulletin. Documents p. LVII- 
LXVI. Les lettres vont de 1639 à 1641. — Cette publication a été uti- 
lisée par M. Louis Duval, archiviste hon. de l'Orne, dans l’A/manach- 
Indicateur de l’Indépendant 1913. Alençon in-8° p. 137-139 : Les 
missionnaires et les voyages scientifiques aux XVIIe et XVIII: siècles. 


94. Le P. Teodoro Cavallon insère dans l'Arch. Fr. hist. t. IIT 
(1910) p. 781-784, une lettre inédite de S. Léonard de Port-Maurice,. 
25 avril 1749, avec deux autres lettres touchant ce saint. 


80 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


95. Nous devions au P. Ambroise de Valencina un joli recueil 
de lettres du B. Diego José de Cadix (E1 Director Perfecto y El diri- 
gido Santo. Correspondencia epistolar del B. Diego José de Cadiz 
con el V. P. Maestro Francisco Javier Gonzâlez y viceversa. (Sevilla. 
1902. in-8. de XVIII-704.)dont la premièreédition avait paru en 1901. 

Dans la Revista de Archivos, bibliotecas y museos de Madrid. An. 
1906. 2e p. p. 57, le P. Diego de Valencina a commencéla publication 
d'une série de lettres du même Bienheureux (p. 57, 3or et 423) conti- 
nue dans le tome de 1907. 1° p. p. 131 et 268, dans le tome de 1907. 
20 p. p. 119 et 464, dans le tome de 1908. 1° p. p. 144, 2917 et 482. 

La dernière lettre est datée de Ronda, 17 mars 18o1. 


96. La Revue Razon y Fe septembre 1906. p. 72-80. art. Adiciones 
a un libro y pleito curioso par le P. Aicardo S. J. contient des docu- 
ments relatifs au B. Diego de Cadix sur la prohibition du théâtre. Aux 
p. 76-80 se trouve la lettre du Bx. au Marquis de Valhermoso, datéede 
Malaga. 22 août 1780. Cf. Bibliografia de las Controversias sobre la 
Jicitud del Teatro en España par D. Emilio Cotarelo y Mori. Madrid 


1904. 


97. Salvador Lain y Royas. Dos cartas ineditas de este Frances- 
cano illustre par le P. Fidèle Fita dans le Boletin de la R. Academia 
de la Historia décembre 1909. p. 465-487. Le P. Salvador était chro- 
nologiste de sa province de Grenade au commencement du XIXe siè- 
cle. Les deux lettres sont de 1818 et 1819 et relatives à des questions 
d'archéologie. 


E. TEXTES NÉCROLOGIQUES 


98. Le Nécrologe des Frères-Mineurs d'Auxerre p. p. le P. An- 
toine de Sérent. O. M. L. dans l'Arch. Fr. hist. an III (1910) p.115- 
138, et 310-332 et 530-550 et 716-738. 

D’après le ms. 171 de la bibl. d'Auxerre : « Obituaire des Corde- 
Liers de la province de France. » XVIIe XVIIIe siècles. Le couvent 
d'Auxerre tut fondé en 1225 et réformé en 1505 par les Colétans (1). 

L'Obituaire procède par ordre du calendrier. I] contient des notes 
très intéressantes et l'éditeur y a ajouté un véritable luxe de notes. 

La publication se termine p. 733-738 par une liste chronologique 
des noms cités. 


99. Catalogue des religieux du couvent des Cordeliers de Fri- 
bourg 1256-1905 par le P. B. Fleury dans les Archives de la Société 
d'histoire du canton de Fribourg t. VIII. n. 2. 


(1) Dans les Archives de l'Yonne. G. 38 on trouve la liste des provinciaux de la 
province de France. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 81 


99 (bis\. Necrologia Germaniæ. t. III. Diœceses Brixinensis, Fri- 
zingensis, Ratisbonensis, édit. F. Lud. Baumann. Accedunt tabulæ 
II. Berlin 1905.in-40 (Mon. Germ. Hist. Necrol. Germ. t. IIl). 
Cf. Ét. Fr. t. XIII. p. 312. Fidèles à leur mode d'édition ne conte- 
nant pas les textes postérieurs à 1300, les éditeurs n'ont point inséré 
ici : 

10 Le nécrologe des Fr. Mineurs de Kelheim (Munich. Francisc. 
Lit. n° 284. XVe siècles). 

2° Le nécrologe des F. M. de Lansliut (id. Franscisc. Lit. n° 296 
édité dans les Schriften des hist. Vereins für Niederbayers t. XIII. 
p. 347 ets. 

30 Le nécrologe des Clarisses de Münich (Id. commencé en 1424). 

4° Le Liber annivers. Fr. Min. de Munich. Francisc. Lit. n° 309. 
Fragment dans Cm. 29079. 

Mais on trouvera : P. 247-260. Le Liber anniversariorum Fratrum 
Minorum Ratisbonensium. Ce couvent fut fondé vers 1220 par l’évê- 
que de Ratisbonne Conrad. Le Liber fut composé vers 1460 par Jean 
Rab, gardien du monastère, d’après des documents anciens et des épi- 
taphes (Munich. lat. 1004) Ce Liber avait déjà été publié par Prims 
{Verhandlungen des hist. Vereins von Oberpflaz und Regensburg. t. 
XXV. p. 193-360). Fr. Rab mourut le 2 janvier 1471. L'obit de Ber- 
thold de R. est marqué au 14 décembre 1272 (p. 259). 

La préface de cet. III. p. VII, parle du Mortuarium S. Claræ de 
Ratisbonne.Lisez : M.S. Crucis sororum S. Dominici. Cf. id. p. 293. 


100. Necrologio dei Frati Minori Capuccini della provincia da S. 
Carlo in Lombardia. Primo e secondo Semestre, par le P. Giambat- 
tista da Venezia. Milano. Tip. S. Giuseppe. 1910. 2 vol. in-8° de r2- 
212 et 12-215 P. 


F. EPITAPHES ET INSCRIPTIONS 


101. Épitaphe du Franciscain Jacques de Pomars ( 1319) à Carcas- 
sonne par l'abbé Baichère dans le Bulletin de la Société archéologi- 
que du Midi de la France. 2e série, n°5 32 à 36. Toulouse, 1906. in-80 
p. 1062. 


102 Epitaphia quæ ad sepulchra Cardinalium et fratrum ord. min. 


Cap. leguntur in ecclesia et cœmeterio Conventus Urbis Romæ 
dans les Analecta Ord. Min. Cap. février 1908 p. 56 et 86. 


103. Quelques épilaphes dansl'église des Cordeliers de Lons-le-Sau- 
nier, par M.Perrod dans la Revue hist.église de France. 1911, P. 105. 


104. {nscriptions françaises et latines du Couvent des Capucins 


E. F. — xxIX. — 6 


82 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


d'Evreux actuellement le lycée par L. Guéry. Evreux. Odieuvre. 
1908. in-8° de 324. 


G. TEXTES LITTERAIRES 


105. Poesie attributi a S. Francesco commentées et traduites par 
P. F. Paoli, dans la Misc. franc. de Foligno, fasc. I. mars-avril 19171 
p. 22-26 et fasc. IT. p. 57-64 et fasc. III p. 71-81. et fasc. IV. p. 121- 
125. 


106. Maximas de un Santo. Sentencias piadosas del Beato Gil 
compañero de San Francisco de Asis ordenadas por el P. Fr. Atanasio 
Lopez. Madrid. G. del Amo. 1910 in-32 de 89 p. Dans son introduc- 
tion, l’auteur donne en particulier une indication destextes castillans 
du B. Gilles et une énumération des sources de sa vie (p. 29) au XIII 
et XIVe siècles. 

Le B. Gilles est mort à Pérouse le 23 avril 1262. 


107. Hugues de Digne (mort vers 1255-1256) a écrit un traité De 
finibus paupertatis. Inc. Inferius exarata. Melle Claudia Florovsky 
le publie dans l'Arch. fr. hist. t. v. (1912) p. 277-290 d'après le ms. 
Vatican, lat. Urbin. 480 (début du XIVe siècle) en y joignant les 
variantes du ms. Plut. XVII. 29 de la Laurentienne (et aussi Vatic. 
Borghese. 191 et 294). 

Je relève et rapproche ces deux passages très intéressants : « Omnis 
religio et quelibet pars religionis habet insigne suum quo veraciter 
se dicit, a. cujus insignis excessu pretento exterius, mensuratur in- 
terioris religionis et cujuslibet ejus partis excessus. [nterior quidem 
religio, in ipsa interius consistit voluntate, exterior vero,que insigne 
dicitur interioris, foris in ipsa specie (p. 281)... 

Insignia que minores in extremo consistere paupertatis declarant 
eosque non modicum, immo quam plurimum eo ipso decorant, in 
eorumdem regula evidenter expressa sunt (p. 283). 


108. Fratris Johannis Pecham quondam archiepiscopi Cantua- 
riensis tractatus tres de Paupertate cum bibliographia ediderunt C. L. 
Kingsford, A. G. Little, F. Tocco. Aberdoniæ. Typ. Academicis. 
MCMX in-8 du VIl-198 p. (Société Anglaise des Études Fran- 
ciscaines. vol. I[). Nous avons ici des extraits du Tractatus Pauperis 
Inc: Quis dabit capiti meo.., Consideranti mihi d'après Corpus 
Christi College. Oxford. 182. fol. 1-36 — le Tractatus contra Rober- 
tum Kilwardeby. \nc. Super tribus et super quatuor sceleribus, d'a- 
près deux mss. de la Bibl. Laurentienne — la Defensio fratrum men- 
dicantium, morceau poétique, d’après Cambridge, Univ. Library. Dd 
XIV. 20 et Bodléienne Digby. 166. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 83 


Le Tractatus contra R. Kilwardeby p. p. F. Tocco, l'avait déjà 
été par le même dans La Quistione della poverta nel secolo XIV 
secondo nuovi documenti. Napoli. 1910. p. 174-257 — Cf. Liv. Oliger 
dans l’Archivum de Quaracchi. janvier 1911. p. 147-152. 

Rappelons que c’est à M. Kingsford que nous devons la biographie 
de John Pecham (né à Patcham, Sussex) dans le Dict. of nat. biogra- 
phr. t. XLIV. p. 190-197. 


109. Dans l’Arch. Franc. hist. an. 1908 p. 652-655, le P. Bihl 
donne des extraits des sermons d’un archevêque de Pise, Frédéric 
de Vicecomitibus, sermons consacrés à louer St. François (1263-1267). 


110. Robert Steele et William Morris ont publié à Londresen 1905 
sous le titre Mediæval Lore from Bartholomew Anglicus (The De 
More Press. in-12) une adaptation partielle, à la fois somptueuse et 
populaire, du livre de Barthélemy. Cf. H. Matrod. Études Francis- 
caines, novembre 1912 p. 468-483. 


111. Dans un livre sur l’hylomorphisme de Roger Bacon considéré 
comme fondement de ses croyances philosophiques, le Dr. P. Hugo 
Hôver, notre collaborateur, publie p. 22-65 un texte inédit du Commu- 
nia naturalium.Cf. Roger Bacons Hylomorphysmus, als Grundlage 
seiner philosophischen Anschauungen, par le P. H. Hôver, cistercien. 
Limburg a. d. Lahn. Gebrüder Steflen, 1912, in-8° de VIII - 264 p. 
Extr. du Jahrbuch für Philosophie und speculative Theologie. Vol. 
25 et 26. Le P. Hôver a pris pour base dutexte édité le ms. de la 
bibl. Mazarine 3576. Il publie seulement la 44 pars communium natu- 
ralis philosophie que est de produccione rerum in generali. Cf. F. 
Delorme, Dict. Théol. cath. de Mangenot t. II (1905) col. 8-31. 


112. Un fragment inédit de l’'Opus Tertium de Roger Bacon. Pré- 
cédé d'une étude sur ce fragment par Pierre Duhem. Quaracchi 1900. 
in-80 de 197 pages. 


113. Fratris Rogeri Bacon Compendium totius Theologiæ edidit 
H. Rashdall, una cum appendice de operibus Rogeri Bacon edita per 
A. G. Little. Aberdoniæ. Typ. Academiciss MCMXI ïin-8° de 
VI-119 pages. (Société anglaise des Études Franciscaines vol. III). 
Édité d’après Brit. Museum Royal. 7. F. VII (fin XIIIe siècle). Dans 
son introduction M. Rashdall donne un résumé de ce très important 
Compendium publié p. 25-60. 

A la fin du volume, p. 71-110, M. Little reprend son travail publié 
dans The Grey Friars in Oxford (1892) p. 195-211. 

Avons-nous noté que M. Robert Steele a publié la Mefaphisica Fra- 
tris Rogeri ordinis fratrum minorum. De viciis contractis in studio 


84 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


theologie omnia quæ supersunt nunc primum edidit KR. Steele. Lon- 
dres. Clarendon Press. 1969 in-8c de 64 p. 


114. M. À. G. Little a retrouvé un fragment perdu de l'Onus Ter- 
tium de Roger Bacon dans le ms. 39 du Collège de Winchester. Cf. 
English Hist. Review avril 1912 p.318-321.11 se proprose de le publier 
dans la collection de la société anglaise des Études Franciscaines. 


115. La librairie De Jaeger, à La Haye, a mis en vente un Atlas 
der Nederlansche palæographie de M. Brugmans et Oppermann 
(1910 in. fol.) La pl.IX contient une page du Sfimulus amoris (1393) 
ici attribué à Henry de Baume. 


116. Un traité de théologie inédit de Gauthier de Bruges. Ins- 
tructiones circa divinum officium p. p. l'abbé A. De Poorter. Bruges. 
De Plancke, 1911 in-8. de XII-44 p. D'après ms. 222 de la bibl. com. 
de Bruges, ms. 299 bibl. St. Omer et un fragment conservé aux archi- 
ves d'État à Bruges. Le P. Callebaut a de plus signalé dans Arch. Fr. 
hist. t. V. (1912) p. 368, le ms. lat. 14558 de la bibl, nat. Paris. 


117. Des Frater Rudolph Buch : De oficio Cherubimpar A. Franz 
dans la T'heologische Quartalschrift de Tübingue 1906. p. 411-436. 
D'après le ms. 639 de l'Université de Leipzig. L'attribution de cet 
écrit au Frère-Mineur Rodolph n'est que probable. 


. 118. The Mirrour of the blessed Lyf of Jesu Christ, ed. p. S.F. 

Powell. Londres. Frowde. Réimpression d'unetraduction anglaise de 
1410 des Meditationes Vitæ Christi de Jean de Caulibus et attribuées 
longtemps à saint Bonaventure. Cf. The Expository Times, d’Edim- 
bourg. Tom. XX (1909) p. 169-170. Chacun sait que ces Meditationes 
sont de Jean de Caulibus O. M. 


119. T'he Poems of William Dunbar with introduction. Notes 
and Glossary par H. Bellyse Baïldon. Londres 1907 in-8° de XLII 
396 pages. La seule Visitation of St. Francis de Dunbar nous est 
utile à connaitre. Cf. Études Franciscaines décembre 1908. p. 653. 


120. Per No7ze Rasse-Javon XXVIII avril MCMVIII par 
Maurice Mignon. Clamecy. in-8° de 13 p. L'auteur a inséré p. 7-13 
quelques extraits (traduits en français) des sermons deS. Bernardin de 
Sienne. 


121. S. Bernardino da Siena : Fioretti par N. Orlando. Siena, Tip. 
Sociale 1911 in-8 de 220 p. Quarante-quatre discours enitalien furent 
prèchés par St Bernardin sur la place publique de Sienne depuis le 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 85 


15 août jusqu'à la fin de septembre 1427. Ces sermons furentrecueillis, 
puis publiés en partie par Milanesi (1853). Lambrini (1868) et Banchi 
(1880, trois volumes). M. Orlando reprend cette œuvre, l’allège de ce 
qui est un peu aride. 


132. Sermon de St. Jacques de la Marche sur l’excellence de l’Or- 
dre des F. M. p. p. le P. Nicolo Dal-Gal dans l’Arch. Fr. hist. t. IV 
(1911) p. 303-313. D'après l’autographe. Cf. Crivellucci Z codici 
della libreria raccolta da S. Giacomo della Marca nel Convento di 
S. Maria delle Grazie presso Monteprandone. Livorno 1889. ms. 


Voici le plan de ce très substantiel discours : « Primus ille Ordo 
fuit : 1. Singularissimus in scientie radiositate. 2. Excellentissimus 
in doctrine nobilitate. 3. Preclarissimus regali et imperiali dignitate. 
4. Lucidissimus in miraculorum sanctitate. » 


123. Commentaria in quatuor libros sententiarum Magistri Petri 
Lombardi de Pierre d’Aquila O. M. Editée par le P. Cyprien Paolini. 
Recco, typ. Nicolosio 1907. 3 vol. in 16 de 446, 441, 255 p. On sait 
que ce P. Pierre d’Aquila qui devint évêque de Saint-Ange, est appelé 
le « Petit Scot », Scotellus. Cf. Wadding Script. 1650 p. 275. 


124. Les Anal. ord. min. Cap. Février 1911. p. 54 et s. ont réédité 
le traité de la Pauvreté du B. Jean de Fano, en latin et en italien. 

Cette publication se termine avec le fasc. du 15 septembre 1911. p. 
272. L'éditeur p. 271. signale diverses versions de ce Tractatus, attri- 
bué également au P. Eusèbe d’'Ancône O. M. C. 


125. The second Recension of the Quignon Breviary,, following an 
edition printed at Antwerp in 1537 and collated with twelve other 
editions to which is prefixed a hand list of editions of the first and 
second recensions p. p. J. Wickham Legge. vol. I. Text. Londres 1908 
in-8° de LXXII-403 ( Henry Bradshaw Society. vol. XXXV). La 
première édition du bréviaire de Quiñonez est de 1535 et la seconde 
de 1536. Ces deux éditions furent réimprimées maintes fois jusqu'au 
jour où S. Pie V réforma le bréviaire et supprima l'œuvre du Cardi- 
nal Quiñonez. La société H. Bradshaw, déjà si méritante pour son 
œuvre liturgique, a réimprimé la seconde édition du texte organisé 
par Quiñonez ; il est tout à fait curieux que, pour ce faire, M. J. 
Wickham Legg n'ait pu mettre la main sur un tirage de 1536, malgré 
toutes ses laborieuses recherches, et qu'il ait dû se contenter d'un 
exemplaire de 1537. 


126. Opuscolos de san Pascual Bailon Patron de todas las Asocia- 
ciones eucaristicas, sacados del cartapacio autografo, ordenados, ano- 


86 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


tados y precedidos de una introduccion biobliografica por el P. Fr. 
Jaime Sala, franciscano, de la Provincia de Valencia. Toledo. Imp. 
de Rodriguez y Hermano (1912) petit in-8° de 406-[18] pages. 
Dans son introduction savante, le P. Jaime Sala donne la liste des 
biographes du saint. Le premier fut le V. P. Jean Ximenez qui publia 
sa Chronica del B. Pascual à Valencia chez J. C. Garriz en 1601. 
in-8° de 652 pages. 

Le P. Jaime Sala donne ensuite la description du ms. autographe 
qui lui sert de base. Ce manuscrit avaitété connu de Wadding (Script. 
1650. p. 271)et de Jean de St. Antoine (Bibl. Matriti. 1752. p. 40g- 
411). Il se trouvait alors à Elche (Alicante). Il se trouvait au XIXe 
siècle au couvent de St. Juan de la Ribera (Valencia) d'où il vient de 
passer aux Franciscains de Valencia. Cf. Una sorpresa de san Pascual 
Bailon dans la Rivista Franciscana de Vich. n° du 8 mai 1911, arti- 
cle reproduit dans El Siglo Futuro. 12 mai r911. Les Voix Francis- 
caines 1911. p. 305-313. art. du P. Michel Ange. 

Ce ms., appelé cartapacio par S. Pascal lui-même, composé « para 
mi recreaciôn espiritual » renferme certains textes que ne reproduit 
pas le P. Sala, et à juste titre : Règle et Testament de St. François, 
déclaration de la règle de Jean de Fano, sommaires d'indulgences, etc. 
Le P. Sala, pour son édition, adopte la méthode suivie par le P. Pas- 
cal Salmeron, Mineur déchaussé, dans un travail inédit sur le même 
sujet et renfermé aux archives de Jumilla (Murcià). Voici les titres des 
Opuscules édités par le P. Sala : 

r. Sur l'oraison et les exercices adaptés à la journée de la vie spiri- 
tuelle (8 chapitres). 

2. Sur l’amour et le respect dus à Jésus-Eucharistie et prières pour 
obtenir des grâces (7 ch.). l 

3. Autres dévotions que doit exciter en soi notre âme (6 ch.). 

4. Sur l’Incarnation du Fils de Dieu (8 ch.). 

5. De la visitation de la S. Vierge à Ste. Elisabeth et de la sancti- 
fication de S. Jean-Baptiste (2 ch..). 

6. De la maternité de la S. Vierge et de la révélation que S. Joseph 
eut de sa pureté virginale (4 ch.). 

7. Des Grandes Antiennes O. (2 ch.). 

8. De la naissance de N.-S. à Bethléem, de Marie fille de Joachim 
et d'Anne (8 ch.). 

9. Du saint nom de Jésus (4 ch.). 

10. De l'adoration des Mages (3 ch.) 

11. Des fêtes des Saints célébrées dans l’octave de Noël (6 ch.). 

12. De la virginité de la Mère de Dieu, de sa purification ; fête de la 
Chandeleur et de la Perte de l'Enfant Jésusà Jérusalem(4 ch. et app.). 

13. Du miracle de Cana (3 ch.) 

14. De la prédication, miracles, passion et mort du Christ annon- 
cés par les prophètes, et autres divins mystères (14 ch.) 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 87 


15. De l'Église Catholique, unique Église de J.-C. (8 ch.) 

16. De la nature de Dieu, un en essence et trine en personnes 
(7 ch.). 

17. De la gloire et félicité du Ciel (7 ch.). 

18. Miscellanées spirituelles (7 ch.). 

19. Prières, pensées, oraisons jaculatoires familières à saint Pas- 
cal (17 ch.). 

Le P.Jaime Sala indique assez ordinairement les sources auxquel- 
les puisa le Saint. 

L'éditeur n’a malheureusement pas illustré le livre. Nous regret- 
tons qu'il n'ait pas songé à reproduire une seule des cinq photogra- 
phies présentées dans ce but par le savant P. Sala. 


127. Nueva Bibliotheca de Autores Españnoles bajo la dirrecciôn 
del Exmo. Sr. D. Marcelino Menéndez y Pelayo. 16. Escritores 
Misticos Españoles. Tomo I. Hernando de Talavera, Alejo Vene- 
gas, Francisco de Osuna, Alfonso de Madrid. Avec un discours pré- 
liminaire du P. Michel Mir. Madrid. Baïlly-Ballière 1911 in-4°. Le 
troisième Abécédaire d'Osuna est réimprimé p. 319-587 d'après l’édi- 
tion de Burgos. 1544 — L'Arte para servir a Dios d'Alonso de Ma- 
drid est reproduit p. 588-634 d’après l'édition d'Alcala 1525. — Les 
notices biographiques relatives à ces deux franciscains se trouvent 
dans le discours du P. M. Mir, S.J. p. XXVII-XXXITI.On sait l'usage 
que sainte Thérèse fit deces deux auteurs. Le P. Jaime Sala avait déjà 
réédité L'Arte para servir a Dios à Valencia en 1903. 

Le tome 16 dela Nueva Biblioteca contient de plus, p. 635-649, l'Es- 
pejo de ilustras personas d’Alonso de Madrid. M. Francisco Rodriguez 
Marin prépare une édition du Norte de los estados d'Osuna. 

Puisque nous en sommes à la Nueva Bibl, de Autores españnoles, 
signalons le tome I. de la collection, intitulé Origenes de la Novela 
1905 in-4° de DXXXV p. par D. Menendez y Pelayo. Le paragraphe 
J11 parle de KR. Lulle et du Fray Anselmo de Turmeda, tous deux ma- 
Jorcains.De R. Lulle nous avons le Libre del Gentil et los tres Savis, 
très répandu au XIVe siècle, publié en français en 1831 par Reinaud 
et Francisque Michel à la fin du Roman de Mahomet ; nous avons 
aussi Blanquerna (Cf. Hist. litt. Franc. T. XXIX. p. 347)et Morel 
Fatio dans la Romania. Tome VI (1877) p. 504-528, et Ad. Helf- 
ferich Raymond Lull und die Aufänge der catalonischen Lite- 
ratur. Berlin. Springer, 1858. p. 114-118 ; nous avons enfin de 
R. L. le Libre apellat Felix de les maravelles del mon, achevé à 
Paris en 1286 ; une version catalane en fut publiée a Majorque en 
1750 ; elle est anonyme, mais attribuée au fervent lulliste P. Louis de 
Flandes, provincial des capucins de Valencia. Cf. Conrad Holfmann 
Eïn Katalanische Thieropos von Ramon Lull. Munich. 1872. 

Fray Anselmo de Turmeda, apostat de l'Ordre et de la foi catholi- 


88 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


que, mourut finalement martyr, de la propre main du roi de Tunis. 
Cf. La disputation de l'asne contre frère Anselme Turmeda sur la 
nature et noblesse des animaux faicte et ordonnée par le dit frère 
Anselme en la cité de Tunnies l'an 1417... traduicte de vulgaire hes- 
pygnol en langue françoyse. Lyon, L. Buysson. 1548 — La revanche 
et contre dispute de frère Anselme Turmeda contre les bestes par 
Mathurin Maurice. Paris. 1554. — Crônica de la santa Provincia 
de Cataluna par le P. Jaime Coll. Barcelona. 1738. t. I. lib. VI cap. 
X. — Le Present de l'homme lettré pour réfuter les partisans de la 
Croix par Ab Allah ibn Abd Allah, le drogman. Traduction fran- 
çaise. Paris. E. Leroux 1886. 

Les paragraphes VI et VII du tome I de la Nueva Bibliotheca de 
Autores Españoles traitent de Juan Rodriguez del Padron, et de An- 
tonio de Guevara, 

Jean Rodriguez del Padron est mentionné dans les Scriptores de 
Wadding. 1650. p. 212, dans les Annales Minorum. t. XI. p. 74. 
n° IV (1450), dans Clarus Darstellung der span. Literatur im Mil- 
telalt.t. IL. p. 138-143. Son Trionfo de las donas fut traduit en fran- 
çais par un portugais Fernando de Lucena, en 1460, à la cour de 
Philippe le Bon ; il y en a deux mss. à la bibl. royale de Bruxelles et 
Brunet en cite une édition en 1530. Les Obras de Juan Rodriguez 
de la Comara (6 del Padrôn) ont été publiées par la Société des biblio- 
philes espagnols à Madrid en 1884; Le Triomphe des Dames s'y 
trouve aux pp. 319-368. | 

Antonio de Guevara, prédicateur de Charles-Quint, évêque de 
Montonedo (Wadding Scriptores 1650. p. 32) a écrit le Libro Lla- 
mado Relox de Principes plus généralement connu sous le nom de 
Libro aureo del emperador Marco Aurelio. Valladolid. 1529. Cet 
ouvrage eut un retentissement considérable ; il fut traduit en latin, 
italien, français, anglais, allemand, hollandais, danois, hongrois, et 
mêmearménien au XVIIIe siècle. Guevara est un écrivain de premier 
ordre, et un des plus grands prosaïstes antérieurs à Cervantès. Nous 
avons, en français, le Livre doré de Marc-Auréle...traduit... par R. B. 
(René Bertaut). Paris. Galliot du Pré. 1531 — L'Orloge des Princes. 
Paris. 1540 traduction du Sr. de la Grise, revue et complétée par An- 
toine du Moulin. Une autre traduction est due à Nic. d'Herberay sieur 
des Essarts. — Cf. Montaigne Essais lib. II. ch. II. — On trouve 
dans Guevara, comme dans la Cyropédie de Xénophon, une grande 
richesse d'épisodes, par exemple celui du Paysan du Danube (Cf. Ch. 
Nodier Mélanges tirés d'une petite bibliothèque p. 162 et H. Taine 
La Fontaine et ses fables. p. 273-286. 


128. Le tome 20 de la même Nueva Biblioteca de Autores Espa- 
ñoles renferme les Obras Misticas del M. R. P. Fr. Juan de los 
Angeles ministro provincial de la antigua Provincia francescano 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 89 


descalza de San José, annotées et précédées d’une introduction bio- 
bibliographique du P. Jaime Sala Molté, franciscain de la province 
de Valencia. in-4 de LXIX-576 p. Parte primera. Cette première 
partie renferme : 

I. Triunfos del amor de Dios (fragment, à savoir les préliminaires, 
le prologue, les méditations, et la lettre à une personne dévote), 

II. Dialogos de la Conquista del Reino de Dios. 

III. Manual de Vida Perfecta (2° partie de la Conquista, avec les 
six dialogues.) 

IV. Lucha espiritual y amorosa entro Dios y alma (seconde édi- 
tion des T'rionfos del amor de Dios). 

V. Tratado de los soberanos misterios de la Misa (cinq dialogues). 

VI. De como el alma ha de traer siempre à Dios presente delante 
de si, ou Presencia de Dios. 

VII. Libero primero del Vergel del anima religiosa (21 chapitres). 

Le P. Jean des Anges est sûrement un des meilleurs interprètes du 
sentiment catholique de la race espagnole. 

La seconde partie, à venir, comprendra l'œuvre principale du P. Jean 
des Anges : Tratado utilisimo de consideraciones espirituales sobre el 
libro del Cantar de los Cantares de Salomon. Ce Tratado sera précédé 
d’une « dissertation critique et littéraire sur les écrivains mystiques 
ibero-franciscains. » 

Nous rappelons pour mémoire que l’ancienne Bibliotheca de Auto- 
res Españoles de Madrid a donné divers textes franciscains, par exem- 
ple Archange d’Alarcon (tom. XXXV),S. Pierred’Alcantara (t. LIII), 
Marie d'Agreda (LXII). 


129. Poesias del P. Fr. Diego Murillo de la Orden de Frailes 
Menores con una Introduccion del P. Fr. Antonio Navarro de la mis- 
ma Orden. Valencia. 1906. in-8o de XXXVIII-286 pages. Avec 
un portrait. L'Espagne franciscaine compte une phalange innombrable 
de poètes : Ambroise de Montesinos — Juan Rodriguez del Padrôn 
— Iñigo de Mendoza — Francisco de Avila — Juan de la Puebla — 


Moner — fAlonzo Ortiz — Luis Escobar — Francisco Ortiz — 
Alonso de Transpinedo — Paulino de la Estrella — Gabriel de Mata 
— Je B. Nicolas Factor — Arcangel de Alarcon — Juan de 


Pineda — Pedro de los Reyes — Michel de Avellan — Juan Timo- 
neda — Antonio Panes — Bernardino de Laredo — Antonio de Santa 
Maria — Angel de Badajoz — Francisco de San José — Francisco de 
Santiago — Francisco Serra — Feliciano de Séville — Miguel de 
Luna — Nicolas de Mallorca, etc. 

Diego Murillo naquit à Zaragoza le 1° mai 1555 et mourut le 13 
août 1616. Cf. Études Franciscaines. t. XXIIL (roro) p. 205-214, et 
t. XIII. p. 321 ; tom XX. p. 92 et 622 et Rev. de Arch. Bibl. y 
Museos. t. XIX (1908) p. 276-278. 


90 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


Au sujet d’une œuvre de Fr. Diego Murilloici précédemment signa- 
lée (Ét. Fr. t. XX. p. 92) et intitulée Instrucciôn para enseñar la 
virtud à los principiantes (Barcelona 1907. 2 vol.in-4° de 469 et 
418 p.), la revue Espana y America. 1er juillet 1907 fait cette réflexion: 
«a L’Instruction a le même but que les Exercices de la Perfection du 
P. Rodriguez, mais lui est infiniment supérieure. On peut lui compa- 
rer les Collationes de Cassien ou Échelle spirituelle de StJean Cli- 
maque ; mais comme œuvre scientifique, le travail du P. Murillo est 
de beaucoup préférable. » Cf. Jean de St. Antoine Bibl. franc. t. I. 
p. 3503. 


130. De sant Francisco hizo estas coplas fray Ambrosio Monte- 
sino que se siguen. p. p. le P. José Ma de Elizondo dans la R. de 
Est. Franc. avril-mai 1910. p. 174-176 d’après les Coplas... que com- 
puso….. Fray Ambrosio Montesino, de la Orden... de la Observan- 
tia (Cf. D. Placido Aguilo Apuntes bibliograficos acerca de cuatro 
incunables españoles desconocidos (Barcelona 1888) et Haebler Biblio- 
grafia ibérica del siglo XV. 1903 p. 213, — et Menendez y Pelayo 
Antologia de poetas liricos castellanos. Madrid. 1896. t. IV. p. 288- 
2yoett. VI. p. CCXXIX et CCXXX. 


131. Soneto à St. François par le P. Archange de Alarcon. 
O. M. C. dans la R. de Est. Franc. avri-mai 1910 p. 234.(p.p.le P. 
José M2 de Elizondo) d'après Vergel de plantas divinas en varios me- 
tros espirituales par le P. A. de Alarcon. Barcelona, Jayme Cendrat. 


1594. fol. 347. 


132. Jana Vodnanského traktat o poceti precistém a neposkvrne- 
nem dustoyne p Marie. Prague 1008.36 p. C'est un traité écrit par 
le franciscain Jean Vodnansky pour la glorification de la Ste Vierge 
Marie. 


133. Das grosse Leben Christi par le P. Martin de Kochem, nouv. 
éd. par le P. Gaudentius Koch. Cologne et Munich. Drees. s. d. in-4 
de XXXVIII-r102 p. — Das Büchlein von Gott parle P. Martin de 
Kochem. nouv. édit. par le P. Egon.O. M. C. Mainz, Kircheim 1912 
in-12 de XXXII[-324 p. (D'après l'édition originale de Mayence 
parue en 1708). 

Explication du saint sacrifice de la messe par le R. P. Martin de 
Cochem, ouvrage traduit de l'Allemand d'après l'édition populaire 
de Cologne par A. Rugemer, 9° éd. Paris. Casterman (s. d.) in-16 de 
331 pages. 

Der goldene Himmelschlüssel des ehrw. P. Martinus von Cochen 
Jür fromme und heilsbegierige Seelen. Einsielden. Benziger.(r900 ?) 
in-24 de 378 pages. B. Nat. Paris. (D. 85976). Nouvelle édition de 
la Clef d’or du ciel. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 91 


134. Seraphisches Eïinsamheit-Geistesübungen im Sinne des hl. 
Franziskus von Assisi. Verfasst von P. Josef de Dreux Novizen, 
meister der Kapuzinerprovinz von Paris in Jahre 1670. Edité par le 
P. Thomas a Villanona Gerster. O. M. C. Innsbruck, F. Rauch. 1910 
in-12 de 154 p. Réédition Allemande de la Retraite Séraphique du 
P. Joseph de Dreux (1). 


135. Seraphische Geistesblumen. Religiose Erwägungen und An- 
dachten von P. Laurentius Mirant p. p. le P. Rufin Steimer cap. 
Einsiedeln. 1908. in-24 de 259 pages. Le P. Mirant (pseudonyme de 
Martin)est né à Schnifis prè: de Feldkirch en 1633. fut d'abord berger 
puis acteur, puis capucin en 1655. [I mourut à Constance le 7 janvier 
1702. La nouvelle édition de 1908, modernisée, est faite sur celle de 
1775. Cf. Arch. Franc. hist. an II (1909) fasc IV. p. 532. 


136. Cartas familiares del P. José Franciscode Isla S. J. p. p. D. 
José M, Reyero. Leon Miñon, 1904. in-4 de XX-755 p. Ce volume 
contient une lettre du P. Francisco de Ajofrin, O. M. C. à l'Inquisi- 
teur Général en faveur de la fameuse œuvre Fray Gerundioécrite par 
le P. D.J.F. de Isla pour détruire le mauvais goût qui régnait alors 
dans la prédication (1758). Reproduite dans El Mensajero Serafico 
août 1904 p. 252. 


137. Récemment nous avons eu deux nouvelles éditions du Traité 
de la Paix Intérieure du P. Ambroise de Lombez. L'une est publiée 
par un des Pères de Couvin : Traité de la Paix Intérieure par le 
P. Ambroise de Lombez. Paris. 1912 in-12 de XV-339 p.(nouv. biblio- 
thèque franciscaine. 1° série tome XXV). et le Tratado sobre la Paz 
in terior trad. par le P. Miguel de Esplugas. Barcelona 1005. in-16 de 
451 p. Cf. J. Bénac. P. Ambroise de Lombez. Paris. 1908, p. 215, 
avec une introduction sur la Paix intérieure dans l'âme féminine, 

El Mensajero Serafico de Madrid a commencé dans son fascicule de 
janvier 1908 la publication en castillan des lettres spirituelles du P. 
Ambroise de Lombez. D'après l'édition du P. François de Bénéjac. 

P. Aloys de Moulins, O. M. C. Un traité de la Communion fré- 


(1) La même libraire F. Rauch à Innsbruck a publié Leben des hl. Fr. von Assisi 
du P. Bernard d’Andermatt 2° édition 1902. in-8 de X. 480 p. Das Kapuziner-Klos- 
ter zu Innsbruck par le P. Michel Hetzenauer. 1893. in-8' de VIII - 192 p. — par 
le même : Die Eremitage Maximilinas des Deutschmeisters bei den Patres Kapu- 
ners zu Innsbruck. 1894. in-8 de 35 p. — Das Kapuziner-Kloster zu Meran, par le 
P. Agapit Hohenegger, 1898 in-8 de VIII-202 p. — Ordensleben, das, in der Welt, 
oder Gründung heilige Regel, und Lebensweise der dritten Orden vom heiligen 
Franziskus gestiftet.. par le P. Gottfried Noggler. 1883. in-8 de VI.-684 p. — Der 
hl. Josef und sein Skapulier, par le P. Donat Moser. 1900. in-12 de 16 p. — Die 
selige Maria Magdalena von Martinengo aus dem Orden der Kapuzinerinnen par 
le P. Ferdinand Scala. s. d. in-24 de 80 p. 


02 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


quente et quotidienne en plein Jansénisme tiré des œuvres spirituelles 
du P. Ambroise de Lombez capucin. Toulouse. Voix-Franciscaines. 
s. d. (1908) in-8 de 42 pages. 


138. Sermons du vénérable serviteur de Dieu Jean-Baptiste Vian- 
ney curé d'Ars p. p. le chan. Etienne Delaroche et le P. Marie Au- 
gustin Delaroche, nouv. éd. in-12. Paris. Beauchesne. tom. IT. de 
464 p. (du Ile dim. de Quasimodo au XI° dim. ap. Pent.) — tom. II] 
de 410 p. (du XIIe au XXIIIe dimanche après Pentecôte.) Cf. Ét. 
Franc. t. XXV (1911) p. 425, et tom. XIV. p. 557. 


139. Obres completes d'En Joan Maragall. Serie Catalana. I. 
Poesies (Poesies, Visions y Cants, El Comte Arnau, Haïdé, Disper- 
ses, Enllà, Sequencies) Prologue de Joachim Ruyra. -- tom. II. Es- 
crits en prosa. Notes autobiografiques, Escrits diversos. Prolechs. 
Barcelone. Gustave Gili. 1912 in-8. 

Obras compleias de Juan Maragall. Serie Castellana Ï. Articulos 
de 1892 à 1895. Prologue de M. S. Oliver — Tom. Il. Articulos de 
1895 à 1895. 

Maragall. Notes intimes par le P. Michel d’Esplugas. Barcelone. 
Louis Gili 1912 in-8 de 04 pages. 

Jean Maragall est un poète catalan, mort en décembre 1911, dont 
l'Espagne tout entière s'enorgueillit à bon droit. Nous accorderons 
une attention spéciale aux précieuses notes intimes du P. Michel, 
divisées en trois parties : 1. autobiographiques 2. psychologiques 
(l'homme, le penseur, le pote, le mystique (Maragall était fervent 
tertiaire de St. François). 3. Transit final et récit des derniers jours 
du poète. 

Le volume du P. Michel est orné de trois simili-gravures et de la 
reproduction de l’autographe des Goigs a la Verge de Nuria. 

Cf. Un poëte catalan : Joan Maragall dans la Revue du temps 
présent. 6® année. tome Î[. n° 6 du 2 juin 1912. p. 538-546, par Alfons 
Maseras. 

Jean Maragall avait inséré deux pages (97 et 98) dans le numéro 
extraordinaire d'avril-mai 1910 de la R. de Estudios Franciscanos, 
intitulées 7ributo. 


140. Tratado de la Perfeccion de la Vida escrito por el Serafico 
Dr. San Buenaventura para las Monjas trad. par le P. Marianus 
Martines. Avila. 1910 in-8 de 128 p. 


141. Angele de Foligno. Le livredes visions et instructionstraduit 
par Ernest Hello. Paris. A. Tralin, 1910. in-8 de 336 p. S. Angèle de 
Foligno mourut en 1309. Je crois que la première édition de la tra- 
duction d'Ernest Hello est celle que publia Poussielgue à Paris en 
1868, in-180 de XLVI11-398 pages. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE | 93 


142. Îl Canzoniere Sacro, ossia traduzione poetica deg l'Inni del 
Breviario dei Cappuccini par le P. Daniel de Villalba. Palerme. Tip. 
1912. in-12 de VIII-134 p. 


143. T'ratado de la Paz de l’Alma(Fuente del Combate Espiritual) 
compuesto par el P. Fr. Juan de Bonilla y publicado por el P. Fr. 
Ubaldo de Alençon de los Frailes Menores (capuchinos). Paris et 
Mexico. Bouret, 1912 in-38 de 96 pages, avec une gravure sur bois 
d'après une aquarelle de Barbier. Voir dans ce même Bulletin le n° 5. 


143 (bis). L'Humilité du Cœur, par le P. Cajétan de Berjame, 
traduction française du P. Eugène de Bellevaux. Chambéry, Rosier de 
saint François 1911,in-12 de VIII-223 pages. Le cardinal Waughan 
avait écrit une traduction anglaise de ce livre. Elle a été publiée en 
1905 (2° édition en 1906) par son frère le P. Bernard Waughan. 

Cette traduction française est faite sur le texte italien: L'Umilta del 
Cuore ossia pensieri ed affetti adatiatia facilitare la PARUS d'ell 
umilta. 3° éd. Torino. Tip. Artigianelli 1896. 

143 (ter). La Parfaite Tertiaire de Saint François d'Assise. Re- 
cueil de Conférences pour l'année du noviciat par une Tertiaire mai- 
tresse des novices. 6me éd. Clermont-Ferrand. Malleval (1899). La 1re 
éd. est de 1896. Ce livre a servi de base à une longue suite d'articles 
publiées par les Franciscan Annals de Pantasaph. Holywell (Angle- 
terre) année 1912. 

Nous ne comprenons pas, nos Frères Anglais nous permettront 
de le leur dire amicalement, cette façon de procéder : On traduit, on 
pille un volume La Parfaite Tertiaire et on ne le cite même pas. En 
France cette opération s'appelle du plagiat. 

Une nouvelle édition française de la Parfaite Tertiaire est sous 
presse et doit entrer dans la seconde série de la Nouvelle Bibliothèque 
Franciscaine. 


H. TEXTE DES ACTUS-FIORETTI 


144. Actus Sancti Francisci in Valle Reatina tratta dal Codice 
679 della Biblioteca Comunale di Assisi par F. Pennachi dans la 
Miscellanea Franc. de Foligno an. XIII mars-avril 1911) fasc. I. p. 
1-21. En 14 chapitres. 

Cf. Archivum Franc. hist. t. IV. p. 789-790 —et Misc. franc. 
t. XIII. p. 06. 

I] y a eu un tirage à part de ces Actus, Foligno. Salvati. 1911.in-12 
de 63 pages (60 exemplaires). 


145. 1 Fioretti di San Francesco e il Cantico del Sole con una 
introduzione di Adolfo Padovan é 6 tavole. Milano, Hæpli. 1907 


= un En 


EL 


94 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 


in-12 de XXIX-335 p. La préface est datée d'août 1906. Réédition du 
texte d'Antonio Cesari de Vérone en 1822. Cette dernière était exécu- 
tée elle-même d’après une autre de Vérone, datant de 1718. Travail de 
pure vulgarisation paru aussi avec la date de 1906. 

On nous annonce aussi une seconde édition du même ouvrage 1908 
in-16 de XXVI-310 pages, avec six illustrations. 


146. Floretes de sant Francesch. Version catalane de Joseph Car- 
ner (1). Prologue du P. Rupert Marie de Manrèse, Mineur Capucin. 
Barcelona, Louis G:ili. 1909. pt. in-8 de XXXII-213 pages. Après une 
brillante et enthousiaste préface du P. Rupert Marie, M. J. Carner 
donne la traduction des 53 premiers chapitres des Fioretti. Il délaisse 
donc lui aussi les considérations sur les Stigmates, la vie de frère 
Junipère, la vie et doctrine de Frère Egide. Cf. Rev. de Arch. Bibl. 
Museos an. XITI. t. XXI. (1909) p. 166. 


147. Petites Fleurs de saint François, esquelles sont contenues sa 
Vie et sa Mort, et les Miracles qu'il fit en diverses parties du Monde; 
et peut a leur exemple tout fidèle Chrétien s'acheminer au ciel, tra- 
duites de l'italien par André Pératé. Bibliothèque de l'Occident. 17, 
rue Eblé. Paris. MCMXI. in-8 de II-145 pages. Cette traduction 
est d’un ton volontairement archaïque et fait penser à celle d'A. 
Goffin. C'est le texte de M. Pératé qui a été illustré par Maurice Denis 
pour l'édition de l’Imprimerie nationale entreprise par le graveur Jac- 
ques Beltrand. 


148. TI Fioretti, les petites fleurs de la vie du petit pauvre de Jésus- 
Christ saint François d'Assise. Traduction, introduction et notes par 
Arnold Goffin. Paris. Bloud (1908) in-16° de 143 pages. (Science et 
Religion). 

Ce volume ne renferme absolument que le texte des Fioretti, mais le 
traducteur nous promet pour bientôt la suite, c'est-à-dire les considé- 
rations sur les stigmates, la vie de frère Junipère, la vie et doctrine de 
trère Egide. L'introduction ne renferme que des idées déjà exprimées 
par M. Sabatier dans ses « Actus » et dans son « Floretum ». La tra- 
duction du très distingué écrivain nous a paru parfois un peu pré- 
cieuse. 


149. Les petites Fleurs de St François d'Assise (Fioretti) suivies 
des considérations des très Saints Stigmates. Trad. par Téodor de 
Wyzewa. Paris, Perrin. 1912, in-8° de XXVI-374 pages. Le traduc- 
teur s’est servi du texte latin des Actus édité par P. Sabatier en 19o1. 


(1) José Carner, dans la R. de Est. Franc. avril-mai 1910. p. 122-124, a inséré un 
article relatif à St François Rey de los jovenes. 


BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 95 


Il a omis de parti pris, les vies si intéressantes desfrères Egide et Juni- 
père. Au sujet du texte latin du n° 37 des Fioretti, voyez une note du 
P. José M2 de Elizondo dans les Esfudios Franciscanos de juin 1912 
p. 445-446. | 

Dans la gravure du frontispice, le saint Louis est celui de Toulouse, 
et non saint Louis Roi, comme l’affirme le texte de la légende. 


150. The little Flowers of the glorious messer St. Francis and 
of his friars done into English with notes, with an introduction by 
A. G. Ferrers Howell. London. Methuen 1906. in-8° de XXVIII 
202 et 40 gravures, par W. Heywood. L'introduction expose la vie 
de St François, l'importance et l'influence de son œuvre, les sour- 
ces de son histoire, la nature des Fioretti. Est-ce quele cri Deus 
meus et omnia est fidèlement rendu par My God, my God ? L'édition 
de la Catholic Truth Society dit bien : My God, and my All. 


151. The garden inclosed par M. Mansfield. Firenze,Cecchi, 1911. 
in-16 de 70 p. et 10 gravures. Ce livre contient plusieurs chapitres des 
Fioretti d'après l'édition Passerini de 1903. p. 286-305. 


152. Florecitas de St. Francisco de Asis. Cronica italiana de la 
Edad Media, traducida directamente al castellano por un Hermano 
de la Orden Tercera — Tercera edicion, Madrid, Biblioteca de « la 
Semana Catolica », 1899. in 80, 496 pages. — 1 Fioretti diS. Fran- 
cesco illustrati da Attilio Razzolini. Florence. 1908 in-12. de XVI. 
318 p. — I Fiorettie l'Inno al Sole. Firenze. A. Solani. 1907. in-16 
de 255 p. — Little Flowers of St. Fr. of Assisi tr. par T. W. 
Arnold. Londres, Chatto. 1909. in. fol. de XV. 133 p. (Florentine 
Press Publications). 


153. Erratum. ad n° 18. supra. tom. XXVIII. p. 616. Le P. F. M. 
Delorme n'a pas repris et commenté les statuts du chapitre d'Assise 
(1340) mais seulement ceux du chapitre provincial de Spolète (1341). 


Opere completo sit laus et gloria Christo. 
Scriptor qui scripsit cum Christo vivere possit. 
Explicit hic totum : pro pena da michi potum (1). 


P. UBALD d'Alençon. 


(x) Arch. départ. Doubs. B. 2. carton des ducs de Bourgogne. 


A MONSIEUR E.B., 
DE ‘“ LA CRITIQUE DU LIBÉRALISME 


Sans l’obligeance de mes amis, je n'aurais pas eu l'avantage 
de savoir que vous avez honoré d’une réponse ma « Lettre ou- 
verte » ri au numéro de novembre des « Études Fran- 
Ciscaines. ) 

S'en — guerre.., telle est l'étiquette des lignes que vous 
m'adressez dans votre Revue. 

Puisque je dois, sous peine de manquer aux convenances, 
vous en accuser réception, j observe, avec votre permission, que 
letitre, moins pittoresque peut-être, eût été plus exact écrit 
comme ceci : « Nous suit en guerre. » Car si quelqu'un «s’en 
va-t-en guerre », ce n’est pas moi : je me tiens sur la simple 
défensive ; c’est votre seule revue : elle a tout provoqué. N'in- 
tervertissons pas les rôles, je vous en prie. 

Très flatté, néanmoins, de me voir, pour la première fois de 
ma vie, mis sur le pied du célèbre général anglais qui jamais ne 
perdit aucune bataille, je crains, d'autre part, que nous n’ayons, 
vous comme moi, sujet de regretter ce rapprochement qui, sans 
me hausser démesurément à certains égards, pourrait être d’un 
mauvais augure pour celui qui l’a si spirituellement imaginé. 

Avez-vous oublié que la moquerie fut toujours l’aveu de l’im- 
puissance et la dernière réponse de ceux qui n’ont plus aucun 
moyen de se défendre ? Et comment avez-vous poussé la dis- 
traction au point de mettre votre riposte sous le patronage de la 
chanson de la Défaite ? 

Selon que vous daignez me le conseiller, je plaindrai de toute 
mon âme votre revue qui, après avoir publié l’article du 15 mai 
1912, a accepté d'insérer de longs extraits de ma lettre et, tou- 


A MONSIEUR E. B., DE « LA CRITIQUE DU LIBÉRALISME » 97 


jours pour vous être agréable, je n’accorderai désormais aucune 
attention à une polémique engagée sur ce ton. J'espère toutefois 
qu'en retour de la bonne volonté que j'y mets, vous n'aurez 
garde d'oublier que c’est par votre revue, et non par ma lettre, 
que la dispute a été engagée, et qu’elle l’a été sur ce ton. 

Enterrons donc la polémique. 

Mais non pas le procès. 

Je vous avertis même que je presse la publication des preuves. 
Vous ne pouvez le trouver mauvais. Celui de nous qui s'y oppo- 
serait consentirait, par le fait même, à se trouver quelque peu 
dans le cas dont nous parlait souvent mon professeur de théo- 
logie dogmatique. Ce Père se plaisait à nous rappeler le fait 
historique de je ne sais plus quel général publiquement accusé 
de concussion. A ceux qui cherchaient à lui arracher des aveux, 
il répondait : « À pareil jour, nous avons remporté une grande 
victoire! Montons au Capitole : allons rendre grâces aux dieux! » 
Le geste était magnifique d'effet, commentait le professeur ; il 
était encore plus habile et mieux réussi qu'il n’était beau. Et, 
malgré son geste, le général restait concussionnaire et la diver- 
sion qu’il s’appliquait à créer constituait une présomption de 
plus contre lui. 

À très prochainement donc. les preuves. 


Fr. MICHEL-ANGE, Cap. 


E.F. — XXIX. — 7 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


MORALE 


Innocence et ignorance. (Éducation de la pureté) par le R. P. GiL- 
LET, O. P. —Ïn-12,214 pp. ; 2 fr. — Paris 1912 : P. Lethielleux, éditeur, 


10, Rue Cassette. 


Cet ouvrage est sans contredit un des meilleurs qui ait paru sur cette ques- 
tion si débattue de nos jours. L’auteur indique excellemment, dans son 
avant-propos, le but qu’il a poursuivi et les positions qu'il adopte : iln'y a 
qu’à le citer : 

« Nous essayons de démontrer, à la lumière de la psychologie de saint 
Thomas, qu’en aucun cas l'initiation Scientifique en matière de chasteté, soit 
individuelle, soit collective, n’est nécessaire, et qu’en tout cas elle reste dan- 
gereuse, à cause surtout de sa crudité techniqne, ou de l’universalité de sa 
méthode, qui ne tient pas compte des besoins relatifs et individuels des 
enfants. 

Au surplus, nous nous appliquons à prouver que l'ignorance systémati- 
que, celle qui à son tour ne tiendrait aucun compte des besoins relatifs et in- 
dividuels des enfants. dans n'importe quelle circonstance, s'expose à de 
graves mécomptes, surtout dans les temps difficiles que nous traversons, où 
les dangers d'une initiation malsaine se multiplient pour ainsi dire à l'infini, 
sur les pas des enfants, en dépit de toute vigilance. 

Finalement notre pensée est que, dans le domaine de la pureté, les éduca- 
teurs naturels de l'enfant, ses parents par conséquent, et, à leur défaut, ceux 
à qui incombe le soin de son âme, doivent entretenir chez lui l'ignorance 
tant que sa volonté n'est pas suffisamment armée pour résister aux sugges- 
tions des sens qui lui viendraient d'une initiation précoce : — mais nous 
pensons que, pour les enfants dont l'éducation chrétienne de la volonté aura 
été poursuivie intégralement et avec méthode, une initiation de bon sens 
devra remplacer l'ignorance à partir du jour où le besoin s’en fera sentir, et 
à la condition expresse que cette initiation soit calquée sur des besoins réels 
et non imaginaires, revête en tous cas un caractère strictement individuel. 
et s'appuie à une forte éducation chrétienne où les moyens surnaturels auront 
toujours le pas sur les moyens purement naturels. » Fr. CONSTANT. 


SPIRITUALITÉ. 


Meditazioni per un corso di spirituali esercizi ad uso dei Mi- 
nori Cappucini. Opera del Venerabile P. IGnazio DA SanTHIA del medesimo 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 99 


Ordine. Roma, Collegio di S. Lorenzo da Brindisi, via Boncompagni, 71. 
1912. — Un vol. in-12 de 180 pages. — Prix 1 fr. 50. 


Voilà quelques mois, le T. R. P. Paulin de Cortonne, Secrétaire géné- 
ral de notre Ordre, de passage au couvent du Mont des Capucins à Turin, 
occupait les instants de loisir que lui laissaient les devoirs de sa charge à 
rechercher dans la bibliothèque les ouvrages de nos auteurs qui s’y pouvaient 
rencontrer. Prévenant ses désirs un confrère lui présenta un cahier manus- 
crit renfermant des Exercices spirituels composés par le Vénérable Serviteur 
de Dieu, le P. Ignace de Santhià, mort en odeur de sainteté dans ce couvent 
du Mont, le 21 septembre 1770. Sans plus chercher autre chose le Très Ré- 
vérend emporta le manuscrit dsns sa cellule, le lut avidement, en fut charmé 
et se décida à le publier. Voilà en deux mots l’histoire de l’édition. 

Celle du Vénérable auteur serait plus longue à raconter. En 1790 le P. 
Pierre Chrysologue de Costiglole d’Asti publiait un volume de plus de 400 
pages in-8o (Vita del. Ven. Servo di Dio P. Ignazio da Santhia) relatant 
en détail la vie et les vertus du Serviteur de Dieu, dont le Procès de Béatifi- 
cation était commencé. On en trouvera un résumé, fort sagement placé au 
commencement des Exercices spirituels, que nous recommandons à tous 
nos confrères familiarisés avec la langue italienne. 

En treize méditations substantielles l’auteur traite de la fin de l’homme et 
du religieux, des trois vœux, de la tiédeur, de l'amour et de l’imitation de 
N. S. Jésus-Christ. Destinées à ses confrères ces méditations, qui souvent 
prennent la forme d’un examen de conscience, peuvent être utiles à tous les 
religieux. Elles sont le fruit d’une longue expérience ; ce sont des médita- 
tions vécues, où la pauvre nature humaine est prise sur le fait de ses défail- 
lances, car le religieux, disait parfois le P, Ignace, bien que consacré à 
Dieu n'est pas pour cela délivré du poids de ses passions qui l'entraînent 
en bas, tout comme la pierre sacrée, ajoutait-il, qui nonobstant sa consécra- 
uüon demeure toujours soumise aux lois de la pesanteur (Vita, p, 207). 
Elles sont aussi vécues en ce sens que le Vénérable auteur, à l’exemple du 
divin Maitre, qui cæpit facere et docere, n'enseignait rien qu’il ne pratiquât 
lui-même. Après avoir fait ces méditations pour mon propre compte, j'ai 
voulu lire la vie du P. Ignace dont je parlais plus haut, et je le retrouvais 
dans les pages du P. Pierre Chrysologue mettant en pratique les conseils 
qu'il donnait à ses confrères. 

Ces Méditations sont malheureusement la seule chose qui nous reste des 
Exercices spirituels que le Serviteur de Dieu prêcha pendant douze années 
consécutives sans se répéter Jamais ; cependant il écrivait toutes ses instruc- 
tions, atteste son historien. Il faut donc croire que par humilité il détruisit 
lui-même tous ses manuscrits. Quand on procéda à l'examen de tous ses écrits 
en vue de sa Béatification, on ne retrouva à présenter à la S. Congrégation 
qu’un certain nombre de lettres avec deux petits cahiers de quelques pages. 
Les Exercices édités aujourd’hui ont échappé à cette destruction, pouvons- 
nous supposer qu'ils furent recopiés par un de ses confrères. 

Il est fort regrettable que nous n'ayons plus les écrits du Vénérable : ou- 
tre des conseils de perfection religieuse d'une doctrine absolument sûre et 
dictée par la prudence la plus éclairée, on y aurait trouvé des maximes ex- 
primées sous une forme très originale, témoin celle que nous citions tout à 


100 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


l'heure. Voici encore une de ses comparaisons familières, rapportée par un 
témoin du Procès : quand le religieux, disait-il, doit traiter avec les femmes, 
même les plus pieuses, 1l doit prendre exemple du pharmacien qui ne tou- 
che qu'avec une grande circonspection les vipères, même après leur avoir 
coupé la tête, car il y a toujours danger de se blesser à leurs crochets, et une 
petite piqûre peut devenir mortelle, 

Remercions le T. R. P. Paulin d’avoir tiré de l'oubli les Méditations du 
V. P. Ignace de Santhià et de les avoir sauvées d’une disparition toujours 
à redouter quand il s’agit d’un manuscrit en unique exemplaire. 

Fr. Epouarp d'Alençon. 


PRÉDICATION 


La paroisse. Discours choisis de nos orateurs, par le Chanoine J, 
Vauvon. Tome u. Le Presbytère. L'Église. Tome in. L'autel et le Taber- 
nacle. Chaque vol. in-8o écu. — Prix : 4 francs, BLoup et Cie, éditeurs, 7, 
place Saint-Sulpice, Paris (VIe). 


Nous avons dit déjà l'originalité de cette collection. Voici le tome Ile, Il 
est consacré au presbytère, et à l’église. Qu'est-ce qu’un presbytère ? que 
doit être un presbytère idéal ? Qu'est-ce qu'un vicaire ? 11 y a là des pages, 
dont plusieurs inédites, originales et même pittoresques. Toutefois la partie 
principale du volume est consacrée à l'église paroissiale ; sa conservation, ses 
beautés, ses richesses ; l’église, maison de la prière, maison de la vérité, 
maison de Jésus-Christ. Ajoutez de touchants discours sur les églises pauvres 
de campagne et sur la nécessité douloureuse où nous sommes présentement 
de les défendre, et vous aurez, sans phrases, l'essentiel de ce bel in-octavo, 

Après l'installation du curé dans sa paroisse et la prise de possession, après 
le presbytère et l’église paroissiale, c’est l'autel et le tabernacle qui vont 
nous occuper dans le tome Ille. 

Il y a là vingt-cinq discours pleins de doctrine et, de piété forte et savou- 
reuse, sans rien de sentimental. On y entend, sur le saint sacrifice de la messe, 
en particulier et sur l’Hostie du Tabernacle, des voix tour à tour éclatantes 
qui ont retenti dans nos grandes chaires et d'autres moins élevées peut-être 
mais aussi instructives, aussi pratiques, aussi pénétrantes. Cette collection 
qui se révèle très précieuse ne dispensera certes pas le prètre de paroisse ou 
le missionnaire, qui s'en serviront, de travail, — ce serait un malheur, — 
mais elle leur épargnera bien du temps en fait de recherches et bien des frais. 
Nous espérons ne pas trop attendre le tome IVe qui aura pour objet « la 
Sainte Table », Fr. EPIPHANE. 


PIÉTÉ 


Beati par le P. Paul Doncœur S. J. — Grand 1in-32 de XVIII- 154 pages, 
impression rouge et noire. Prix : 1,25. — Casterman , 66 rue Bonaparte 
Paris-Vie et Tournai (Belgique) 


Ce délicieux petit livre pourrait s'appeler avec justesse le Traité du Bon- 
heur par Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est toujours en effet la parole divine 
qui se fait entendre d’un bout à l’autre de ce travail, parole vivante, bien 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 101 


comprise et clairement exposée. En lisant ces pages si réconfortantes, on a 
l'impression que l’enseignement du Maître devait être ainsi, et on se deman- 
de pourquoi la simplicité vraie, et la grâce toute divine qui s'en dégagent, 
n'apparaissent pas plus souvent dans les écrits de ce genre ? 

F. M-A. Cap. 


Histoire de N. D. de Lourdes par M. l'abbé S. CARRÈRE. — 1 vol. 
in-12. —Paris. Beauchène. — 3,50. 


Comme le dit l’auteur lui-même, 1l y a beaucoup de livres sur Notre 
Dame de Lourdes. Le public ne s’en plaindra pas. On ne se lasse pas de 
relire ce récit des apparitions de l’Immaculée. C’est un rayon de soleil 
qui perce soudain le ciel obscurci, c'est un souffle pur et rafraïîchissant qui 
vient chasser les miasmes de notre misère. On a beau connaitre par le plus 
menu détail l’histoire de Bernadette, on aime à la relire et 1l semble qu’on en- 
trevoit auprès d’elle un reflet de cette radieuse beauté qui illuminait son 
visage de voyante. C’est donc avec Joie que nous annonçons ce nouveau 
livre qui, pour les visiteurs de la grotte, sera un rappel des jours heureux 
de leur pèlerinage. L'intérêt y est soutenu et le style entrainant, les détails 
pittoresques et neufs n'y manquent pas. Bref c'est un livre à recommander 
autant à ceux qui reviennent de Lourdes qu’à ceux qui veulent préparer 
leur pèlerinage avec fruit. MaAviL. 


TIERS-ORDRE 


Memento du Prêtre Tertiaire Franciscain par le P. Jacques 
FarperT. — Brochure in-12 de 24 pages. Prix : o fr. 25 port en plus. — 
Librairie St. François, 4, Rue Cassette, Paris. 


L'isolement est fatal, dit-on, aussi de tous côtés se forment des groupe- 
ments, des associations. Plus que beaucoup d'autres, les prêtres du ministère 
paroissial éprouvent le besoin de s’unir pour s’entrainer à la perfection, fon- 
dement nécessaire de tout apostolat fécond. 

La sainteté est possible, sans nul doute, dans tous les états de vie, il n’en 
reste pas moins vrai cependant, que le cloître est le jardin préféré où éclôt 
cette fleur du ciel. C'est une invitation à toute âme de bonne volonté de se 
rapprocher, autant que faire ce peut, de la vie religieuse. Le T. O. francis- 
cain est cette vie religieuse transplantée dans le monde ; à lui de relier, par 
les liens d’aspirations communes vers l'idéal de vie parfaite, les prètres 
séculiers. 

Puisse la brochure du P. Jacques qui développe clairement, grâce à des 
citations multipliées, cette nécessité de l'association, avec le moyen pratique 
de la faire, se répandre parmi le clergé. — Suit l'exposition de la Règle du 
T. O. faite par rapport aux obligations du prètre ; les deux dernières pages 
contiennent les statuts de la fraternité sacerdotale du diocèse de Versailles, 

Fr.J:de P. 


Simple Monographie. — Tiers-Ordre de Saint-François. — Fra- 
ternité des hommes de Roubaix par RENÉ DERREUMAUX. — In-12 de 
64 pages. — René Giard, 2, rue Royale, Lille. 


102 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Deux idées maïîtresses résument ces pages : 1° Vie intime et fonctionne- 
ment de la fraternité ; 20 Vie sociale. 

La première partie nous montre les moyens employés pour lerecrutement, 
l'initiation à la vie franciscaine, le caractère des réunions mensuelles, l’éta- 
blissement des sections paroissiales et de différentes organisations destinées 
à fournir aux Tertiaires, d'un même quartier, toute facilité pour se connaître 
et s’entr'aider. 

Vie sociale : œuvres de la fraternité à l’égard de ses membres, œuvres 
qu'elle entretient au dehors. Il serait à souhaiter, suivant le désir jadis 
exprimé par Léon X1I11, que beaucoup de fraternités fussent organisées com- 


me celle de Roubaix ; en tous cas on trouvera là des renseignements utiles. 
Fr. J. de P. 


APOLOGÉTIQUE 


La fin de l’homme, par E. PeizLaAuBEe. — Br. 30 pages. — Rue de 
Vaugirard, 104, et Gabalda, Paris. 


Voici une conférence de 30 pages qui mérite d'attirer l'attention de nos 
lecteurs. Après l'avoir donnée à la « Conférence Saint-Thomas », M. Peil- 
laube a eu l'excellente idée de la publier en brochure. C'est plaisir de la lire, 
j'allais dire de l'entendre. Vivre, pour Dieu, pour l'ange et pour l’homme, 
c'est essentiellement penser et aimer. Divinisation de la pensée et de l'amour 
telle est notre destinée, notre raison d’être... Puissent tous les chrétiens mé- 
diter souvent ces choses, et ne jamais perdre de vue leur fin dernière et leur 
intérêt suprême, la divinisation de leur vie. Fr. PLACGIDE. 


L'irréligion religieuse de M. Paul Sabatier, par M. RoGrr 
DuGuET. — Société Saint-Augustin. — Br. 16 pages. 


Nous recommandons à nos lecteurs cet article de M. Roger Duguet, extrait 
de la « Critique du Libéralisme » n° du 15 février 1912. L'auteur y apprécie 
le nouveau volume que vient de publier M. Paul Sabatier : « L'orientation 
religieuse de la France actuelle », et nous montre comment ce livre est l’apo- 
logie déclarée de tous les mouvements pseudo-religieux de l'heure présente. 

Fr. PLACIDE. 


QUESTIONS SOCIALES 
Action Populaire. — La Représentation proportionnelle sco- 
laire. — 1 vol. in-80, — 1 fr. 25. — Reims. Action Populaire, 5, rue des 


Trois Raisinets. 

Voici un excellent instrument à mettre entre les mains de tous ceux qui 
travaillent à faire bénéficier toutes les écoles, sans distinction, libres ou 
publiques, des ressources du budget. 

M. Duttroit traite la question de principe et démontre combien il est 1llo- 
gique, injuste, odieux et même imprudent de réserver ces ressources pour les 
seules écoles publiques, de faire payer deux fois l'école aux parents qui enten- 
dent assurer à leurs enfants un enseignement chrétien. 

Puis successivement MM. Paul Verschave, Pierre Verhaegen et Paul 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 103 


Boyaval nous montrent par les exemples de la Hollande, de la Belgique et 
de l’Angleterre, que ce que nous demandons, c’est tout simplement ce que 
d’autres nations dont deux protestantes, n’ont pas cru pouvoir refuser aux 
pères de famille, à moins de violenter leur liberté. 

Enfin, pour en venir aux réalisations immédiatement pratiques M. A. 
Fleurquin expose où nous en sommes en France, et M. Duttroit, reprenant 
la plume, et tirant la conclusion, nous indique ce que les municipalités peu- 
vent déjà faire ce qu'il est urgent que le législateur fasse... en attendant une 
loi organique vraiment libérale qui seule peut satisfaire à nos exigences, qui 
sont celles mêmes de la justice. 


L'École Primaire en France sous la Troisième République. 
par Josrpx VAuJANY. — 1 vol. VI11-335 pages, 3 fr. 50, 1912. — Perrin et 
Cie, Paris. 


La question de l’enseignement est la plus importante pour les catholiques. 
C'est par là qu’on les opprime, c’est par là qu'ils s'affranchiront, selon le 
cri de M. Barrès dans son discours à la Chambre, 18 janvier 1910 ; il ne 
faut pas que l'intelligence française s'incline devant la barbarie des maitres 
ou des manuels. Les catholiques sont tentés quelquefois de perdre de vue et 
d'oublier les raisons profondes qui, dans l’ordre des choses établi par Dieu, 
les font directeurs d'âme de leurs enfants. Ils sont les premiers agents natu- 
rels de l'éducation chrétienne. Or, pour cette œuvre, l’école est éminemment 
utile, car il s'agit d'une éducation de tous les instants. Mais qu’a-t-on fait de 
cette école sous la Troisième République ? Qu'en veulent faire nos gouver- 
nants d'aujourd'hui ? C'est à ces deux questions que répond l'ouvrage de 
M. Vaujany. C’est une étude magistrale, admirablement documentée ; et il 
serait à souhaiter que tous nos catholiques de France méditassent cette 
histoire, à cette heure où l’âme de leurs enfants est en jeu. Ils verraient que, 
dans l’école « républicaine », la neutralité n’est plus possible si elle l'a été 
jamais. Ils comprendraient surtout que cette école prétendue neutre est un 
danger permanent pour les enfants qui la fréquentent : et qu'il ne s’agit pas 
seulement ici d’une question d'instruction mais d’une question d'éducation. 

Aussi ne pouvons-nous trop remercier M. Vaujany de nous avoir donné 
cette admirable synthèse qui aidera les catholiques de France à défendre les 
droits de leurs enfants. | P. PLACIDE. 


ÉDUCATION 


Des armes pour la vie. Conseils aux Jeunes, par le Dr ETIENNE LeEvu- 
RAT. — {n-12 de 236 pp. 1 fr. 20. — Paris, Bloud. 


Nouvelle production de bon aloi qui s'ajoute à une littérature déjà très 
abondante. Synthèse heureusement harmonisée de tous les conseils qui con- 
viennent à la jeunesse universitaire. 

Pour la conquête. Aux jeunes par THÉoPHiLe ParAvY, avec préface 
de M. Joseph Delachenal, député de Savoie. — Paris, Téqui. — 3 fr. 


Pages brèves, incisives, petits tableaux brossés d’une main énergique, cro- 
quis burinés de quelques traits profonds, ce livre est, à la manière de Pierre 


104 A FRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


l’Ermite une série d'avis, de réflexions, de leçons bonnes à méditer et à ré- 
pandre. Oui, les jeunes auront profit à le lire et nous espérons que beaucoup 
le liront. Maviz. 


L'âme des Enfants, des Pays et des Saints par Mme Lucie FéLix 
FAURE Goyau. — 1 vol. 3 fr. 50. — Paris, Perrinet Cie, 


« Les choses prolongent leur reflet dans les âmes, les âmes projettent 
leur reflet sur les choses et les âmes enfin se réfiètent dans les âmes. » 
Ainsi s'exprime l'auteur au seuil de son ouvrage, dont les diverses pièces 
démontrent la justesse de cet aphorisme. En ce livre de « reflets », c'est 
surtout l'âme de l’auteur qui se réflète ; et nul ne s'en plaindra, car cette 
âme est d'une délicatesse extrême, d'une sensitivité d'artiste. Certaines 
pages, tout en nuances, ont un charme de pastel ; quelques-unes l'attrait de 
paysages finement observés et notés. D’autres, subtiles et graves, notamment 
celles qui rappellent l'enfance de Pascal, obligent à penser comme de doctes 
travaux ; d’autres encore, hautement chrétiennes, rayonnent non sans grâce 
les enseignements éternels. Un tel livre rassérène et laisse dans l'esprit plus 
que des harmonies. Alph. GFRMAIN. 


HISTOIRE 


Histoire Religieuse de la Révolution française, par PIERRE DE 
LA Gorcr, membre de l’Institut. — Plon-Nourrit et Cie Rue Garancière, 6. 


Ceux de nos lecteurs qui ont lu La deuxième République et Le second 
Empire par Pierre de la Gorce. peuvent étre assurés qu'ils trouveront 
dans l'histoire religieuse de la Révolution française, les mêmes qualités 
qui l'ont fait placer au premier rang mème parmi ses émules. 

Cette histoire d'hier qui se renouvelle, à bien des égards, depuis plus de dix 
ans au milieu de nous, est écrite avec une telle impartialité qu'on n'y trouve 
pas une seule allusion à la persécution actuelle. M. Pierre de la Gorce est 
catholique, s'il est impartial il n'est pourtant pas impassible. — Son impar- 
tialité réside non dans l’abdication de sa pensée personnelle, mais dans le 
strict respect de la vérité, celle qui consiste à ne Jamais altérer un fait, dût 
ce fait déplaire, à ne jamais mutiler un texte, düt ce texte être importun, à ne 
jamais défigurer sciemment les traits d’une âme humaine, cette àme fut-elle 
celle d'un ennemi. Cette histoire religieuse de la Révolution est une œuvre 
de science et de conscience écrite avec la süreté de méthnde, la sérénité, 
l'autorité qui caractérisent les précédentes publications de l’auteur. 

L'histoire religieuse de la Révolution s'ouvre par un chapitre sur 
« l'Église privilégiée ». tout ce premier tome pourrait se résumer d'un mot : 
du privilège à la persécution. 

Que la Révolution ait malmené l'Église, personne ne le conteste, mème les 
hibéraux le proclament tout en vénérant 89, comme un progres, Depuis 1789 
déclare le duc de Broglie, « tous les actes éclatants d'intolérance en matière 
de religion » ont été dirigés contre l'Église catholique et soufferts par elle, 
Les sectaires, du moins au début, veulent chercher une excuse. Ils la trouvent 
dans les privilèges dont jouissait l’Église. M. de la Gorce ne dissimule pas les 
richesses qu'on a tant reprochées, il ne cache pas davantage les abus qui 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 105 


s'étaient, avec le temps, introduits dans l'usage des biens. Il signale les fai- 
blesses, l’alanguissement assez général, l'insuffisance des vertus chez beau- 
coup...., il montre aussi les deux grandes choses qui plaidaient en faveur de 
l'Église : « l'esprit de charité demeuré très vivace en dépit de toutes les 
déviations, l'esprit de ferveur qui presque partout vacillant, gardait sa pure 
flamme dans le cœur des vierges consacrées à Dieu. » Quant aux fameuses 
richesses ecclésiatiques, d'abord elles ont rendu les plus éminents services à 
l'Etat et à la société, d’ailleurs 1l était juste d'en corriger les excès en leur 
rappelant leur destination naturelle et légitime, en les ramenant à l’observa- 
tion du statut primitif et fondamental, l'Église le demandait elle-même au 
pouvoir civil. La Révolution brutalement confisqua..… tous les appétits se 
souleverent, « l'utilité publique, disait Mirabeau, est la loi suprême, il faut 
se dégager d'un respect superstitieux pour ce qu'on appelle l'intention des 
fondateurs... » Treilhard., un légiste, demande qu’on appose les scellés sur 
les sacristies et qu’on dresse l'inventaire des dépouilles..…. voilà bien nos 
hommes de loi toujours prêts à profiter de ce qu'ils édictent. Tartufes qui 
invoquent l'intérêt général lorsqu’i:s ne songent qu'à leur intérêt personnel. 

Après la confiscation, vint l’essai de la Constitution civile du clergé. Ce 
fut la deuxième entreprise de la révolution contre l'Église de France. La 
première a réussi, la seconde a échoué : Elle contenait le schisme dans ses 
plis, on s'était attaqué d’abord aux religieux : suspension des vœux monas- 
tiques. Ce n'est pas sans frémir qu'on lit le livre III et le livre IX. L’Assem- 
blée a fait le premier pas dans la voie de l’iniquité, le vertige s'en empare, il 
suffit de quelques mois pour la conduire aux crimes les plus abominables. 
Louis XVI veut résister, ses conseillers les plus intimes lui arrachent la 
sanction du serment civique. Rome n'a pas le temps de se faire entendre. 
Plusieurs se sont scandalisés du nombre des assermentés, les faits nous mon- 
trent qu'il eût dù être plus considérable, témoins les nombreuses rétracta- 
tions dès que la voix de Pie VI peut arriver aux oreilles des pauvres égarés. 
Je crois qu'on peut affirmer, l’auteur ne le dit pas assez, que si le roi avait 
prononcé le véto, comme il le fit plus tard et si Rome avait pu être entendue, 
il en eût été du serment civique ce qu'il en fut hier, des cultuelles, il faut 
mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, eut été le cri de ralliement des neufs di- 
xièmes du clergé de France. J'espère que, dans une nouvelle édition, M. de 
la Gorce, mieux informé, nous le montrera d’une manière éclatante. On 
peut lire le livre cinquième et le sixième sans en arriver à cette conviction. 

I1. — Avec le deuxième volume, nous entrons dans la plus dramatique 
des périodes révolutionnaires : journée du 20 Juin, massacres de septembre, 
— guerre de Vendée. M. de la Gorce tient sa promesse : il ne saurait être 
impassible, mais son impartialité frapperait les plus prévenus. Personne n’a 
tracé plus éloquent tableau de la guerre Vendéenne, où les inévitables excès 
furent si vite et si bien rachetés par d’incomparables générosités : 

« Une seule invocation, une seule, celle du nom de Dieu, abat leur ardeur 
« de représailles. Un jour, c'est au lendemain du choc de Chemillé, comme 
« 1ls menaçaientla vie des prisonniers, d’Elbée les conduit jusqu'à une croix 
« de mission et récitant le Pater : « pardonnez-nous nos offenses comme 
« nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » et subitement leur cour- 
« roux s’apaise. Un autre jour ils invoquent les cruautés des Bleus pour se 


« montrer cruels à leur tour; La Rochejaquelin se contente alors de leur 


LS 


106 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


« dire: la loi de nos ennemis est de nous massacrer, mais notre loi, à nous, 
« est de leur pardonner. » 

Placerai-je en regard de ce tableau, une atroce scène des massacres de sep- 
tembre ! nous aurions dit toute la différence entre les deux camps, les deux 
Frances, la France révolutionnaire et la France catholique, Car si la révolu- 
tion fut d'abord et avant tout irréligieuse et athée, la guerre de Vendée fut 
d'abord et avant tout, une guerre religieuse et une guerre sainte. 

« Dans le grand courant catholique, le royalisme se déverse comme une 
« rivière dans un fleuve. La Religion était persécutée, le roi aussi, les deux 
« persécutions se confondirent. Louis XVI au Temple prit un aspect de 
« martyr et il semble qu’en le servant on faisait acte de foi. Catholique 
« d’abord, telle était et telle sera jusqu’au bout la Vendée ; royaliste elle le 
« devint aussi avec ardeur parce qu'elle ne pouvait se figurer qu'avec le roi 
« la religion ne fut pas sauve ; que, sans le roi, elle ne fut pas perdue. » 

L'Assemblée édicte des lois de proscription et d’exil contre le clergé fidèle 
à l'Église. Louis XVI oppose inébranlablement son véto. C'est le seul droit 
que lui reconnaisse la Constitution nouvelle. 11 en use avec un merveilleux 
courage. 1] renvoie Roland, le ministre de l'Intérieur, qui lui avait fait une 
sommation insolente. Le voilà seul, il n’a plus pour lui que Dumouriez; 
celui-ci l’adjure à son tour de céder : « ne m'en parlez plus, réplique 
« Louis XVI, mon parti est pris, Je m'attends à la mortet d'avance je par- 
« donne à mes ennemis. » 

L'émeute du 20 juin trouve le roi intrépide, héroïque, 1l confesse solennel- 
lement sa foi, nous dit de la Gorce, qui ne craint pas de comparer son mar- 
tyre à la passion du Sauveur : 

« Quel nom donner à ce long supplice ? On retrouverait ici par quelques 
« traits comme un ressouvenir dela Passion divine: Le peuple arméde piques, 
« qui avait rempli les Tuileries, rappelait cette autre foule armée de bâtons 
« qui avait vociféré ses insultes dans le prétoire de Jérusalem, l’humilia- 
« tion du bonnet rouge figurait assez bien la couronne d'épines et Pilate se 
« retrouvait dans Pétion. » 

« Jamais Dieu n'est ingrat pour qui sait le confesser. A celui qui n'avait 
« souhaité que de lui être fidèle, 1l accorderait en récompense, non seulement 
« de libérer son âme mais aussi par surcroit de grandir devant la postérité. » 

Plus loin, M. de la Gorce ajoute : « Louis XVI n'avait montré d'énergie 
que pour les intérêts catholiques. » | 

A propos des décrets du 18 mars et du 23 avril 1703, notre historien dé- 
« clare que, « jamais, depuis Dioclétien édit plus terrible n’avait été porté 
« contre la religion du Christ. » Deux faits dont se sont rendus compte les 
braves paysans de l'Ouest et tous les vrais catholiques de France qui prirent 
les armes pour le roi en mème temps que pour Dieu, car, « l’irrésistible 
impulsion était venue d’en bas ». Les instigateurs de la grande épopée s’ap- 
pelaient : Perdriault, un ancien caporal ; Nau, un aubergiste ; Cathelineau, 
un voiturier ; Stoflet, Tonnelet, des garde-chasse, 

Scrupuleux annaliste, M. de la Gorce n'introduit pas la polémique, c’est 
au lecteur de tirer de son livre les leçons qu'il comporte, la matière est abon- 
dante, il est peu d'œuvres plus riches, plus fournies et qui fassent mieux saisir 
une époque. La Révolution de Taine est une puissante synthèse ou tout 
l’odieux et tout l'horrible apparaissent. Celle de M. de la Gorce est un ensei- 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 107 


gnement, aussi souhaitons-nous vivement que l'auteur puisse conduire à 
terme son œuve. Aucun lecteur, même le plus prévenu, ne le lira sans com- 
prendre enfin que le mal de la France c'est la Révolution et que le seul 
avantage que le pays puisse en tirer, c’est de l’exterminer. Fr. PATRICE. 


Histoire de la race française aux États-Unis, Ouvrage illustré 
de 18 gravures hors texte, d'une carte géographique par M. l’abbé D. M. A. 
MAGNaN. — Paris, Vic et Amat in 80, XV1-356 pages. — Prix : 10 francs. 


« La philosophie de l'histoire des États-Unis n'est pas encore fixée, et 
ses interprètes errent à qui mieux mieux dans les sentiers les plus divers. » A 
cette affirmation énoncée dans l'introduction du présent ouvrage, plus d'un 
lecteur sera tenté d’opposer la liste des nombreux travaux consacrés à l'his- 
toire des nations américaines et des États-Unis en particulier. L'affirmation 
de l’auteur n’en sera nullement infirmée. Si nous connaissons en effet, grâce 
à ces publications « les ressources de l'Union américaine, l'activité, l'esprit 
d'entreprise, voire l’excentricité de ses habitants, il n’en est pas moins vrai 
que les plus au courant ignorent plus ou moins l’histoire, ou mieux la genè- 
se de sa merveilleuse prospérité. » 

Inspiration d’un patriotisme ardent, l’œuvre de M. Magnan est bien une 
histoire de la race française, de l'influence française, de l’évangélisation par 
des Apôtres venus de France, de certaines contrées des États-Unis. 

De graves problèmes sont abordés et résolus par l’auteur dans le cours 
de l'ouvrage. Cet ainsi que M. Magnan conclut de l'exposé des phases his- 
toriques qui marquent la vie de ces peuples américains, à la prépondérance 
de l'influence française sur l'influence anglaise. Solidement appuyée, cette 
conclusion ne peut être contestée. 

Les Canadiens français émigrés aux États-Unis forment un contingent 
nombreux, et il semble que l'élément canadien est appelé à se développer 
indéfiniment. Pour le canadien, la conservation de la langue et des coutu- 
mes nationales est la plus ferme sauvegarde de la Religion ; aussi manifeste- 
t-il son intention de rester français dans sa patrie d'adoption. D'un autre 
côté, le clergé, en majeure partie de langue anglaise, préoccupé des intérèts 
supérieurs du catholicisme aux Etats-Unis, souhaiterait que tous les groupe- 
ments étrangers adoptassent la langue de la majorité, l'anglais. 

Les aspirations canadiennes sont légitimes et M. Magnan les soutient avec 
énergie ; c'est surtout pour les défendre qu'il a écrit son livre. Le problème 
est délicat, sur la solution à donner les avis sont et resteront divisés, Mais 
toute âme française partagera, à la lecture de cette histoire de la race fran- 
çaise aux États-Unis, les sentiments et les désirs ardents de l’auteur. 

Fr. RODOLPHE. 


A Montréal par M. ALPHONSE GERMAIN. Extrait de la Revue de Bour- 
gogne n°4 année 1912. — Dijon. Darantière. 1912. in 8 de 11 pages. 


Montréal en Auxois près d’Avallon : M. Germain y signale l’Église dédiée 
à Notre-Dame. Des stalles s’y font remarquer ; elles datent de 1522, elles font 
honneur aux deux frères Rigoley. M. Alph. Germain découvre en eux l'in- 
fluence de Claus Sluter. P. B. 


108 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


LITTÉRATURE 


Lettres de Mgr de Fontanges publiées avec notice, notes et index 
par le Baron BLay de Gazx. Introduction de M. l'abbé de Fénols, préfacede 
M. J. de Lahondés. — 1 vol., 3 fr. 50. Paris, Honoré Champion. 


Coraly de Gaïx, correspondance et œuvres, publiées avec notes et por- 
trait par le même. {Introduction par Armand Praviel, lettre préface de 
Jules Lemaitre. — 1 vol. id. ibid. 


Voici deux ouvrages dont se délecteront les friands de la petite histoire, les 
amateurs de « journaux » intimes. Mgr J..B. de Fontanges, évêque de 
Lavaur de 1748 à 1764, eut une carrière très active ; 1] défendit avec une belle 
ardeur la Doctrine catholique et les libertés provinciales, il s’efforça d'’ac- 
croitre la prospérité de sa ville épiscopale en y installant une manufacture 
d'étoffes et peu s'en fallut qu’il n'obtint la création d’un nouveau canal dont 
toute la région eut bénéficié, C'est une figure intéressante et bien de son 
temps, le lecteur prendra plaisir à fouiller sa correspondance où abondent 
les incidents de sa vie provinciale. 

Non moins prenante, certes, et non moins de son époque, cette Coralv de 
Gaïx qui écrivit surtout sous la Restauration. C'était une âme charmante et 
bonne, teintée d’un peu de mélancolie ; elle avait de la culture et de l'esprit 
et savait observer. Aussi trouve-t-on beaucoup à glaner dansles papiers qu’elle 
a laissés, « Sans y songer, dit fort bien M.Praviel,en son introduction, Coraly 
de Gaïx nous livre le secret de ces magnitiques réserves provinciales, grâce 
auxquelles la France a si longtemps vécu et qui menacent maintenant de lui 
manquer, le secret de ces vies innombrables qui acceptaient humblement et 
noblement de servir, de tenir leur place dans l’organisme français, d'accom- 
plir sans fracas tout leur devoir, — et qui, malgré tout, mieux que dans l’ef- 
fravante bousculade de l’arrivisme d'aujourd'hui, savaient y découvrir leur 
bonheur. » On ne saurait donc trop remercier le baron Blay de Gaïx de nous 
avoir révélé cette aimable épistolière, sa parente, qu'Eugénie de Guérin 
honora de son amitié, ce qui sutlirait déjà pour la recommander. 

ALPH, GERMAIN 


Les Alouettes : Poésies (1903-1912) par TH. BoTREL. — Bloud et Cie, 
Paris, 1 vol. 


Ils ne sont pas nombreux, hélas ! les poètes qui ont compris leur tâche. 
Aussi qu'il fait bon écouter les firelis des alouettes.A tous ils parlent d'idéal, 
Le poète apprendra à monter « aux régions éternelles », et, après s'y étre 
grisé d’extase et d'azur, il redescendra dans la plaine pour apporter la 
lumière aux taupes qui n'ont jamais vu le soleil. Le laboureur se sentira 
retenu dans sa petite patrie pour y chanter les adorables chansons de son 
barde, « chansons, a dit Rostand, qui font pousser les genèts quand on les 
chante », Le soldat deviendra plus courageux en écoutant les hauts faits de 
Du Guesclin, de Richemont ou de Cartier. Il s’écriera avec le poite qui 
célèbre Beaumanoir : 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 109 


Leur cœur est tout à Toi, leur âme est à Toi, toute, 

Vois-tu : le meilleur d'eux, Ô Mère, t'appartient ! 

Ah ! prends-le donc, ce sang ; prends-le donc goutte à goutte, 
Où, s’il le faut, d’un coup, France, puisqu'il est tien ! 


Tous en un mot sortiront de cette lecture plus joyeux, plus français, plus 
chrétiens. C'est que Théodore Botrel reste fidèle à sa promesse de semer : 


Non pas le dégoût de la Vie, 
Non pas la Révolte et l’Envie, 
Mais la Foi, l'Idéal, l'Amour ! 


On ne songe même pas à reprocher à ces alouettes quelques coups d'aile 
un peu négligés, tellement leur chant nous captive tout entiers. Ecoutons 
bien « les Alouettes » : nous deviendrons meilleurs. Fr. PLACIDE, 


Pour la patrie, Poèmes par ANDRÉ GILBERT. — Paris, Beauchesne. — 
3 frs. 


Le titre dit assez que cette suite de poèmes est le cri d’une âme française 
qui vient exalter cette patrie, en ce moment honteusement méprisée par 
toute une partie de ses enfants. Dieu merci, cependant, l'antimilitarisme n’a 
pas réussi à faire tous les ravages qu'il a cherché à faire, il s'est, on peut le 
dire, effondré dans la boue. Mais les traces de ses méfaits demeurent encore 
et il est bon que des voix fortes d'espérance et de foi, proclament la gran- 
deur du patriotisme. M. André Gilbert a su toucher des cordes vibrantes et 
ses vers ont de belles envolées. Souhaitons qu'ils soient chantés partout 
par les enfants de France. MaviL. 


Florilegium Hebraïÿcum, locos selectos librorum Veteris Testamenti 
in usum scholarum et disciplinæ domesticæ, adjuncta appendice quinque 
partita edidit Dr Hub. Lindemann, professor in Gymnasio Trium Regum 
Coloniensi, in-8° (XII et 216 pag.) Pretium. Fr. 3,40 ; linteo religatum, 
fr. 4. — B. Herder, Friburgi Brisgoviae. 


Ce livre comble, et très heureusement, une lacune remarquée par quicon- 
que a enseigné ou étudié l’hébreu. Assurément, d’autres ont essayé, avant 
l’auteur, de donner des extraits de l’Ancien Testament à l'usage des étu- 
diants de la langue sainte, Aucun, à notre connaissance, n’a réuni autant de 
qualités pratiques que le D. Hub. Lindermann. Choix excellent des frag- 
ments, portant sur tout l’ensemble de l'Ancien Testament, indication très 
précise de la source, typographie des plus lisibles de l'hébreu ponctué, 
prix très modeste, tout fait de ce livre un ouvrage recommandable sans 
réserve. Nous sommes certain de n'être démenti par aucun de ceux qui en 
feront l'acquisition. Tout hébraïsant doit l'avoir dans sa bibliothèque. Ajou- 
tons qu'il dispense pleinement de consulter les ouvrages analogues édités 
par des non-catholiques, ce qui — faut-il le rappeler ? — est interdit à tout 
fils soumis de l’Église. L. D. B. 


110 À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


MUSIQUE 


JaAcQuEMIN (Abbé). — Accompagnements nouveaux et très faciles 
du chant des Offices avec Notices explicatives sur les divers chants, 
par A. GASTOUÉ. — 1er fascicule : Temps de l'Avent. Suivront, en temps 
opportun, les accompagnements du Temps de Noël, de l'Épiphanie, etc., et 
du Propre des Saints, en fascicules de 28 pages. Tous se vendront séparé- 
ment. Prix : 1 fr. 5o chez l’auteur, au Petit Séminaire Saint-Charles de 
Chauny (Aisne), 1912. 


C'est donc une harmonisation entière de l’antiphonaire vatican, (Graduel 
d’abord, Vespéral ensuite) que se propose l'auteur, si l’on excepte toutefois 
les féries et offices sanctoraux qui ne se célèbreront plus le dimanche, en 
vertu des dispositions de la Bulle « Divino afflatu ». Entre beaucoup d’au- 
tres œuvres analogues, celle-ci se recommande au personnel grégorianisant 
des paroisses et des séminaires par la simplicité et le bon goût qui ont présidé 
au choix des accompagnements. Les doigts encore, peu exercés trouveront 
dans ces accords à 3 parties seulement, un excellent exercice, en même 
temps qu'une /acile préparation de la messe dominicale. — A signaler aussi 
le respect scrupuleux du rythme vatican. Peut-être pourrait-on souhaiter 
que les finales du 3e et 4e modes jex. Offertoire du 3e dim. de l'Avent, et 
Alleluia du 4°) se résolvent carrément en mi, selon leur tonalité, et offrent 
ainsi à l'oreille l'impression d'une cadence complète. 

Le nom seul de l’éminent Grégorianiste À. Gastoué suffit à recommander 
la lecture des quatre pages de texte explicatif et historique dont chaque fas- 
cicule est accompagné. 


JuLes CARILLION (abbé), — Messe grégorienne Cunctipotens et 
messe et 2° Vêpres de la B.Jeanne d'Arc, accompagnement d'orgue. 
Prix :0 fr. 7o et 1 fr. 50. 


Plus savamment conduite peut-être que la précédente, l'harmonisation de 
ces deux messes offre par là-même un peu moins de facilité, tout en restant 
dans les limites de la simplicité et de la tonalité grégoriennes. 

On regrette pourtant que, (dans la messe de Jeanne d'Arc, du moins) le 
rythme typique n'ait pas été traduit avec l'exactitude désirable : des points 
d'orgue suspendent parfois mal à propos un membre de phrase que l'édition 
vaticane distingue à peine de l'incise suivante ; tandis que plus loin des 
blancs réglementaires disparaissent dans la notation. Mais ce ne sont là que 
des détails auxquels il est facile de suppléer. Le mouvement contraire du 
contre-point, affectionné par l’auteur, souligne élégamment le chant mélodi- 
que, et sait s'arrêter à temps pour ne pas devenir fastidieux. 

FR. GREGORIANUS. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION 
DES ÉTUDES () 


P. Louis DE GONZAGUE, 0. M. c. — Une page de l'Histoire du Brésil. — 
MonsEIGNEUR ViraL (Antoine Gonçalvès de Oliviera) Frère-Mineur-Capucin 
Évêque d'Olinda. Paris. Librairie Saint-François. 1912. In-8° X-398 pp. 
Prix : 5 fr. 


P. Usaup d'Alençon. o. M. c. — L'Ame franciscaine. Extrait de la « Re- 
vue de Philosophie ». Paris, Marcel Rivière et Cie. 1912. In-8o de 45 pp. 


M. Lepin. — Jésus-Christ. Sa vie et son œuvre. Esquisse des origines 
chrétiennes précédée d'une Introduction sur la valeur historique des Évan- 
giles. Paris, Beauchesne, 1912 de 269 pp. Prix : 2 fr. 50. 


S. CARRÈRE (l'abbé). — Histoire de Notre-Dame de Lourdes. Paris, 
Beauchesne, 1912. In-12 de 295 pp. Prix : 3 fr. 50. 


H. Lesêtre (l'abbé). — Le Temple de Jérusalem. Paris, Beauchesne 
1912. In-12 de 216 pp. Prix : 2 fr. 50. 


J. Lecnevrez. — Un poète oublié. L'abbé J. Clinchamp. Conférence 
faite à Sainte-Marie-de-Tinchebray, à la séance solennelle de la société his- 
torique et archéologique de l'Orne, le 28 août 1911. Alençon, Imp. Alençon- 
noise. 1912. In-8° de 19 pp. 


P. GÉRALD (l'abbé). — L'Évangile du Paysan. Paris, Beauchesne 1913. 
In-12 XIV-366 pp. Prix : 3 fr 50. 


EpmonD BuRKkE. — Réflexions sur la Révolution française traduites de 
l'anglais par J. d'Anglejan et précédées d’une introduction du même. Nou- 
velle édition conforme à l'original. Paris, Nouvelle Librairie nationale, 11, 
rue de Médicis, 1912. In-8°o XXVII1-418 pp. Prix : 7 fr 50. 


THÉOPHILE PARAvVY. — Pour la conquête. Lectures du temps présent. 
Lettre-Préface de M. Joseph Delachenal, député de la Savoie. Paris, Téqui 
1912. In-12 XI-278 pp. Prix : 3 fr. 


(1) L'annonce de ces ouvrages ne constitue pas par elle-même une recommanda- 
tion. Nous ne faisons que les signaler ici, en attendant que les rédacteurs des. 
Études en fassent le compte rendu, s’il y a lieu dans le bulletin bibliographique. 


. 


112 OUVRAGES ENVOYÉES A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


J. PAQUIER. — Luther et le Luthéranisme. Étude faite d’après les sour- 
ces par Henri Denifle de l'Ordre des Frères Prècheurs. Traduit de l’alle- 
mand avec une préface et des notes par J. Paquier, docteur ès-lettres,ancien 
administrateur de l'église de la Sorbonne. Tome troisième. Paris, Alph. Pi- 
card. 1912. In-12 de 502 pp. Prix : 3 fr. 50. 


L. CapéRaAn, — Le Problème du Salut des Infidèles. Essai théologique 
par Louis Capéran, professeur au grand séminaire d'Agen. Paris, Beauches- 
ne, 1912. In-8° VIlI-112 pp. Prix 2 fr. 50. 


L. CAPÉRAN. — Le Problème du salut des Infidèles. Essai historique. 
Paris, Beauchesne, 1912, In-8° X-560 pp. Prix : 8 fr. 


M. Jucié. — Nestorius et la Controverse Nestorienne, par Martin Jugié 
des Augustins de l’'Assomption. Paris, Beauchesne, 1912. {n-8o de 326 pp. 
Prix : 6 frs. 


Dictionnaire À pologétique de la Foi catholique contenant les preuves 
de la Vérité de la Religion et les réponses aux objections tirées des sciences 
humaines. Quatrième édition entièrement refondue sous la direction de À, 
D'’Alès, professeur à l’Institut catholique de Paris, Fascicule VIII. Gouver- 
nement ecclésiastique. — Incinération. Paris, Beauchesne, 1912. Prix : 5 fr. 


R. JEANNIÈRE (S. J.) Criteriologia vel critica cognitionis certæ, auctore 
Renato Jeannière, S. J. in collegio Jerseiensi professore. Paris, Beauchesne 
1912. In-12 IX-616 pp. 


J. DE LA VAIssièrE (S. J.) — Éléments de psychologie expérimentale. 
Notions. — Méthodes. — Résultats, par J. de la Vaissière, S. J. professeur 
au scolasticat de Jersey. Paris, Beauchesne, 1912. In-12 XI1-381 pp. 


C. CauiPpe. — L'attitude sociale des catholiques français au XIXE sie- 
cle.T, 111. Les progrès de la doctrine par l'abbé Charles Calippe. Paris, 
Bloud, 1912. In-16 X11-324 pp. Prix : 3 fr. 50. 


M. KELLERSHOHN — Le syndicalisme chrétien en Allemagne, par Maurice 
Kellershohn, docteur en droit. Paris, Bloud, 1912. In-16. Prix: 4 fr. 


L. GARRIGUET. — L'Évolution actuelle d'u socialisme en France. Paris, 
Bloud, 1912. In-16. Prix : 2 fr. 50. 


JosEPH THissiER (l'abbé), — À la messe de onze heures ! La vérité aux 
gens du monde. Paris, Téqui, 1913. In-16 de XV-561 pp. Prix 3 fr. 50. 


Lucren Roure. — Figures franciscaines. Saint François d'Assise. Saint 
Antoine le Padouan. Paris, Plon. 1913. 1n-16 de X-275 pp. 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


ee ee + 2e ft 


TAMINES. — IMP. DUCULOT-ROULIN. 


K 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 
(Suite.) (1) 


B. — CARACTÈRES POSITIFS DE LA SCOLASTIQUE SCOTISTE. 


Afin de barrer le chemin aux doctrines modernistes, l’Ency- 
clique Pascendi, chacun le sait, fait appel à la philosophie et à 
la théologie scolastiques. Entre tous les docteurs de l’École, 
cependant, un seul est spécialement loué et recommandé : c’est 
le docteur angélique, saint Thomas. 

Est-ce sous l'influence de cette très haute recommandation 
que M. Richard a écrit dans son article : « Nulle autre scolas- 
tique que celle de saint Thomas ne peut être considérée comme 
l'opposé et le remède du modernisme. Nulle autre, pas même 
la scolastique scotiste » ? Je l’ignore. Mais les arguments dont 
il se sert pour montrer l’antagonisme de la scolastique et du 
modernisme n'ont pas été choisis — il n’en avait peut-être pas 
d’autres — de manière à mettre en mauvaise posture la scolas- 
tique scotiste. D'après le rédacteur de la Revue T'homiste, la 
scolastique de saint Thomas s’opposerait victorieusement au 
modernisme parce que rationnelle, objective, traditionnelle et 
didactique. On peut en dire autant de la scolastique de Duns 
Scot et je n’aurai pas grand mérite à le montrer car les preuves 
se présentent d’elles-mèmes. 


I 


Non moins que la scolastique de saint Thomas, celle de 
Duns Scot est RATIONNELLE : une large part y est faite au rai- 
sonnement. 

Ces deux illustres docteurs sont dialecticiens de mérite : ils 
usent avec dextérité du syllogisme. Tous deux en ont étudié 


(1) Voir Études Franciscaines, janvier 1913. 


\ 


E. F. — XxIX. — 8 


114 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


le mécanisme avec un soin extrême. (1) Tous deux en usent avec 
une telle fréquence que leur pensée ne semble plus pouvoir se 
formuler et s'imposer sous un autre vêtement. A l’aide du syllo- 
gisme ils traitent toutes les questions : problème de philosophie 
pure et doctrines théologiques. Pour s’en convaincre, il n’y a 
qu’à ouvrir, même distraitement, leurs écrits. 

En théologie Duns Scot, pas plus que saint Thomas, ne se 
préoccupe du côté positif de l’histoire des dogmes. M. Turmel, 
lui reproche même de compter parmi les docteurs du Moyen- 
Age qui s'intéressent le moins à ce sujet. (2) Ce reproche est 
injustifié. Le docteur subtil invoque autant que le docteur angé- 
lique le témoignage des saintes Écritures, des Saints Pères, de 
saint Augustin en particulier. Toutefois c’est par le raisonne- 
ment surtout qu'il dégage la vérité de l'erreur, résout les ques- 
tions proposées et démontre les conséquences dogmatiques de la 
Révélation. S'il ne traite pas explicitement, à l'exemple de saint 
Thomas, la question « An Thologie sit argumentativa ? » ses 
ouvrages le montrent à l'évidence, il ne connaît pas d’autre 
procédé que la méthode rationnelle. Des vérités explicitement 
révélées, le théologien a pour mission de tirer les dogmes qu’elles 
contiennent implicitement : Nostra theologia non est nisi de 
his quæ continentur in Scriptura et de his quæ possunt elici ex 
ipsis. (3) 

Peu importe après cela que Duns Scot refuse à la théologie 
le caractère d’une véritable science. Ce n’est que par scrupule 
de dialecticien. [l y a des mots qui, pour les dialecticiens, ont 
un sens précis et rigoureux dont on ne doit jamais s’éloigner.— 
Celui de science est du nombre. Dans sa signification stricte, la 
connaissance scientifique exige quatre conditions : la certitude, 
excluant l’erreur et le doute ; — la necessite du rapport énoncé 
dans le jugement définitif, — grâce à l’évidence qui s'impose à 
l'esprit, — et s'étend des principes à la conclusion par voie du 
syllogisme déductif. (4) 


(1) Duns Scot est de tous les scolastiques celui qui a le plus écrit sur la Logique. 
Il a laissé des commentaires sur tous les livres d’Aristote, à l'exception des T'opiques. 
Saint Thomas a commenté seulement le De interpretatione (Perihermeneias) resté 
inachevé et les Derniers Analytiques. 

(2) L'appel à l'autorité scripturaire et patristique occupe une place bien modeste 
dans les écrits d'Albert le Grand, de saint Bonaventure, de Duns Scot et de Durand. 
Histoire de la Théologie positive. Introduction, pag. XV. 

(3) In Prolog. quæst. 111, n° 235. 

(4) Quatuor includit scientia stricte sumpta, scilicet quod sit cognitio certa, hoc 


Ent ae 


IVOE & 
u sis 
DSOn2: 
il nv: 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 115 


De ces conditions, il en est une que la théologie proprement 
dite ne peut réaliser. Les vérités dogmatiques peuvent être cer- 
taines. Elles peuvent avoir pour objet des rapports nécessaires, 
d’une nécessité absolue ou relative. Elles peuvent être conclues 
de principes généraux par l’utilisation du syllogisme. Mais l’évi- 
dence intrinsèque provenant de la pénétration mentale de l’ob- 
jet leur manque toujours. Cet objet en effet est au-delà des 
prises directes de notre esprit. (1) La Révélation seule en dévoile 
les mystères, et l’Écriture et la Tradition nous en envoient les 
rayons affaiblis. L’œuvre du Théologien est de rendre plus 
lumineuses, plus explicites les vérités révélées. Il atteint ce but 
de plusieurs manières. Tantôt il explique l Écriture par l'Écri- 
ture, un passage obscur par un passage très clair. T'antôt il rai- 
sonne en se servant des principes des autres sciences, spéciale- 
ment de la philosophie et de la métaphysique. Dans l’un et 
l’autre cas, l'évidence intrinsèque manque; la certitude engendrée 
n’est pas celle qui convient à la science ; ce n’est point non plus 
celle de la foi. Il faut donc dire que Fe théologie est une con- 
naissance d’une nature très particulière. (2) 

On chercherait en vain, dans cette conception de la théologie, 
une objection contre le caractère rationnel de la scolastique sco- 
tiste, surtout si l’on veut se souvenir que les partisans de l’opi- 
nion contraire ne défendent leur sentiment qu'en élargissant les 
cadres de la science. 

Puisqu'elle est essentiellement rationnelle, la scolastique de 
Duns Scot peut donc être opposée, au même titre que celle de 
saint Thomas, à l'invasion moderniste. Pour un moderniste, la 


est absque deceptione et dubitatione, de cognito necessario, causata a causa eviden- 
te intellectui, applicata ad cognitum per discursum syliogisticum. /n Prolog., 
quæst. 4, n° 26. 

(1) Theologia autem nostra est habitus non habens evidentiam ex objecto ; etiam 
illa quæ est in nobis de Theologicis necessariis non magis, ut in nobis, habet evi- 
dentiam ex objecto cognito quam illa quæ est de contingentibus. /n Prolog., 
quæst. 3, n° 72. 

(2) Autenim exponit Scripturam, per Scripturum scilicet unum locum per alium 
et obscurum per manifestum et sic non habet majorem certitudinem de Scriptura 
exposita quam de exponente... Si autem exponit per alias scientias, ad quod 
ultimo devenerunt auctores, immiscendo Philosophiam Scripturæ Sacræ (quod 
sine dubio multum valet et præcipue metaphysicalia, ut veritas Scripturæ de 
Trinitate et Intelligentiis et Abstractis intelligatur) tunc dico quod conclusio non 
habet majorem certitudinem quam altera præmissarum quæ minus certa est....Cum 
præmissa sumpta ex Scriptura non sit evidens ex terminis, sed credita, igitur nec 
conclusio erit demonstrata, generans scientiam. quamvis possit generare habitum 
alium a fide. ZII Sent., dist. XXIV, quæst. unica n° 16. 


sl 


116 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


théologie relève avant tout de l’histoire, et de l’histoire inter- 
prétée selon les principes de la philosophie nouvelle. Duns Scot 
la traite suivant les exigences de la dialectique aristotélicienne 
et à l’aide des principes rationnels : immiscendo Philosophiam 
Scripturæ Sacræ. Or cette philosophie ne ressemble en rien au 
subjectivisme qui glisse son venin à travers toute la philosophie 
moderne : elle est objective. 


II 


La scolastique scotiste est OBJECTIVE. 

Jamais la pensée ne serait venue aux anciens scotistes de ten- 
ter la démonstration d’une vérité aussi claire, aussi indubitable. 
Au cours de leurs luttes séculaires avec les thomistes, ils n’en- 
tendirent jamais de la bouche de leurs adversaires une accusation 
sérieuse de subjectivisme. Il a fallu arriver à la fin du siècle 
dernier, pour que la subtilité des philosophes pût en découvrir 
les traces dans la philosophie du docteur subtil. Le fait est 
curieux. Curieuse aussi la sollicitude avec laquelle on veut, par- 
mi les néo-scolastiques, après une lecture superficielle de ses 
écrits et même sans lecture aucune, affilier la doctrine de Duns 
Scot aux doctrines subjectivistes de Kant et des philosophes 
modernes. | 

Il y a quelques années j'ai traité trop longuement ce sujet 
dans cette Revue, pour y revenir. L'article de M. Richard d'ail- 
leurs ne m'y oblige point. Après les boutades qui ont fait l’objet 
de la première partie de notre travail, 1l se tait sur le compte de 
Duns Scot. Toute sa pensée est concentrée sur la démonstration 
de l’antagonisme qui existe entre la scolastique et le modernis- 
me. Or ce qu'il dit de l’objectivité de la scolastique en général 
s'applique avec autant de raison à la scolastique scotiste qu’à la 
scolastique thomiste. 

Dans l’une comme dans l’autre, « on part de l’objet pour 
aboutir à la philosophie de l’être. » L’idéologie scotiste est réa- 
liste. L'objet de notre connaissance n’est point, pour Duns Scot, 
le phénomène formé dans les moules subjectifs de notre pensée, 
mais bien l’être objectif que présente, sous les modes les plus 
variés, la nature sensible, avec laquelle nous sommes en rapport 
par « les fenêtres et les portes » de nos sens extérieurs. Le point 
de départ de la pensée la plus abstraite est toujours dans l’objet 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 117 


concret de la sensibilité. (1) L'intelligence cependant dépasse les 
sens. Au sein des choses sensibles, elle puise ces conceptions 
générales que l’École appelle les concepts quidditatifs, principa- 
lement le concept commun d’être. Il en est l’objet premier et 
adéquat. (2) Le rôle assigné, dans l’exercice de l’abstraction, à 
l'intellect agent, la fonction attribuée à l'espèce intelligible et à 
l'intellect possible sauvegardent l'objectivité dans la philosophie 
scotiste non moins que dans la philosophie thomiste. On en 
trouvera des preuves abondantes dans les articles auxquels j'ai 
déjà renvoyé le lecteur. Rien de commun donc entre la doctrine 
de la connaissance élaborée par le docteur subtil et celle que 
nous a léguée le Kantisme. 

Qu'il me soit permis d’aller plus loin. La théorie scotiste de 
la connaissance intellectuelle est plus objective que la théorie 
thomiste, et cela pour deux motifs : la connaissance directe 
du singulier par l'intelligence et l'existence a parte re des for- 
malités distinctes. 


* 
*% *X 


La connaissance intellectuelle du singulier n'est niée par au- 
cun scolastique : Toutefois, d’après saint Thomas et ses disciples, 
elle ne serait qu’indirecte. Si tôt qu'il entre en exercice l’intellect 
pénètre dans le domaine de l’abstrait. Une perception concrète 
est évidemment requise pour donner lieu à l’intellection, mais 
cette perception concrète est d’ordre sensible. Aucune perception 
ne passe immédiatement dans la sphère intellectuelle de la con- 
naissance consciente. Dans l'ignorance absolue du singulier, 
l'intellect accomplit l’abstraction, forme l'espèce intelligible qui 
ne représente que la quiddité abstraite, idée commune d’être, 
notions transcendentales, concepts génériques ou spécifiques. 
Jusque là, toute l’idée, empruntée matériellement au monde 
sensible, n’a, au regard conscient de l'esprit, aucun lien avec la 
réalité extra-mentale d'où elle est abstraite. Pour que l'esprit 


(1) Nullo actu intellectus cognoscitur aliquid a nobis nisi præcesserit cognitio 
sensibilium in sensu. Quæst. in Met. 1. I. q. IV. Intellectus noster non intelligit 
pro statu isto nisi illa quorum species relucent in phantasmate. Z Sent. dist. III, 
quæst. 3, n° 21. 

(2) Ens et unum sunt quæ primo imprimuntur intellectui, igitur sunt primum 
iatellectum. Præterea per rationem sic : illud est primum objectum intellectus nos- 
tri, cujus ratione alia intelliguntur ; sed ens in communi est hujusmodi, quia præ- 
dicatur essentialiter de omnibus per se intellectis. De Anima. quæst. 21, n°1. 


118 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


prenne connaissance du singulier, un acte nouveau est néces- 
saire. L'École thomiste cherche à le faire comprendre par une 
métaphore, une comparaison. Il consisterait dans une sorte de 
conversion, de retour, de réflexion de l'intelligence vers l'image 
sensible, per quamdam conversionem, seu reflexionem ad phan- 
tasmata. 

Cette sorte de conversion, cette réflexion analogique de l’in- 
telligence vers l’image sensible demeure, pour tous ceux qui ne 
jurent pas in verba Magistri, un mystère sans solution. Mais 
ceci importe peu actuellement. Il reste vrai que l’intellection 
s’élabore complètement dans une sphère où le concret, le singu- 
lier n’a pas encore pénétré d’une manière vraiment cognitive. À 
l'intellection, je le sais, l’image sensible coopère. Comment ? 
Les esprits sont encore divisés sur ce sujet. La vieille métaphore 
de l’illumination de l’image par l’intellect agent voit son crédit 
diminuer de jour en jour. On attribue plutôt à l’image un rôle 
de cause instrumentale : l’intellect agent, cause principale, s’en 
sert pour former l'espèce. Et l’espèce est tout d’abord. dès son 
premier stade une représentation objective abstraite. Entre les 
deux ordres de connaissance, la connaissance sensible concrète 
et la connaissance intellectuelle abstraite, 1l n’existe aucun mi- 
lieu intellectuellement connu grâce auquel l'esprit passe de l’un 
à l’autre, aucune connaissance qui laisse voir comment la pensée 
abstraite naît de la représentation sensible et en est objective- 
ment dépendante. 

Au contraire dans la théorie de la connaissance intellectuelle, 
élaborée par Duns Scot, ce passage du concret singulier, de 
l’image à la pensée abstraite est marqué avec beaucoup plus de 
soin. Voici en résumé, les traits essentiels de sa doctrine. 

[1 part de ce principe que le singulier est intelligible en soi et 
pour nous et dans l’état actuel. (1) Or cette connaissance n’est 
pas seulement réflexive, per aliguam conversionem ad phantas- 
ma, postérieure à l’intellection elle-même. Duns Scot écarte les 
fondements de l’opinion thomiste. Impossible de comprendre 
l’intellection du singulier par une simple conversion de l’intellect 
vers l’image. L'intellect en effet s’y rencontrerait ou avec 
l’espèce intelligible ou avec la représentation imaginative. Dans 
la première hypothèse, il n'y aurait aucune connaissance du sin- 


(1) Dicendum ergo quod singulare est a nobis intelligibile secundum se, quia in- 
telligibilitas sequitur entitatem. etc... Secundo dico quod singulare est a nobis 
intelligibile pro statu isto.... De Anima, quæst. XXII, n° 4-5. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 119 


gulier puisque l'espèce intelligible ne représente que la quiddité 
abstraite. Dans la seconde supposition, l’intellect n'a pas de 
prise sur l'espèce imaginative, car, avant comme après l’intellec- 
tion, elle appartient au monde sensible. (1) Il faut donc admet- 
tre une connaissance intellectuelle directe du singulier. 

Comment s’accomplit-elle ? Le docteur subtil hésite sur la so- 
lution de ce problème. Sans admettre une espèce intelligible 
spéciale pour la connaissance du singulier, et{suivant les principes 
généraux de sa philosophie, il s'arrête à celle-ci. L'espèce intel- 
lectuelle représente d’abord la nature avec sa singularité, mais 
d'une manière assez vague et confuse. À ce premier stade en 
succède un second : la représentation et la connaissance de la 
quiddité abstraite. Enfin pour terminer une réflexion de l’intel- 
lect sur la représentation et la connaissance vague du premier 
moment dont les traits se précisent et les caractères singuliers 
s’affirment. (2) À ces trois stades, l'intelligence connaît vraiment 
et a conscience de sa connaissance. C’est donc d’une certaine 
manière l’intellect patient plus que l'intellect agent, qui dégage 
totalement le concept abstrait et le rend clair. Et c’est pour cela 
aussi que l'intelligence a conscience de son opération abstractive 
et ne forme plus ses idées par le jeu d’un mécanisme absolument 
inconscient. (3) 

Une théorie de cette nature, d’ailleurs bien conforme à l’ex- 
périence et à l’analyse psychologique est autrement favorable à 
l’objectivité de la connaissance intellectuelle que celle de saint 
Thomas. Je ne dis pas que la doctrine du docteur angélique 
ouvre la porte au subjectivisme, mais je crois pouvoir affirmer 
que celle du docteur subtil laisse mieux voir comment le con- 
cept abstrait s'attache au singulier concret sensible, comment il 


(1) Intelligere singulare per reflexionem, aut hoc est per speciem intelligibilem 
aut plantasiabilem ; non primo modo quia illa est in intellectu representativa quidi- 
tatis absolute ; non secundo modo quia illud tantum movet plantasiam non intellec- 
um, cum non sit in intellectu ; et per consequens, non potest esse principium 
intelligendi singulare. De Anima. ibid. n° 3. 

(2) Species habet singularitatem ab objecto a quo imprimitur, saltem primo. licet 
per operationem intellectus agentis abstrahatur a conditionibus individuantibus : et 
sic primo representat naturam in individuo vago, quia illud se primo offert intellec- 
tui ; secundo naturam absolute ; tertio ipsam intellectus determinat addendo sibi 
circumstantias singulares prædictas et sic intelligit singulare signatum. Ibid. n° 0. 

(3) Abstractio universalis a singulari fit ab intellectu possibili non autem ab agen- 
te, cujus est abstrahere speciem a plantasmate tantum. Sed impossibile est abstra- 
here universalia a singulari, non cognito singulari, aliter enim abstraheret igno- 
rando a quo abstraheret. Ibid, n° 3. 


120 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


plonge ses racines dans l’être objectif placé hors de nous, com- 
ment il nous est imposé par la réalité objective, extra-mentale, 
comment il en émerge non par une activité aveugle mais par 
une dissociation consciente. Aucune crainte avec cette théorie, 
des formes a priori imposées par la nature de l'esprit, aucun 
soupçon de morcelage sans portée objective, provenant de la 
seule faiblesse de l'intelligence. 

La valeur objective de nos concepts, mais elle est encore très 
accentuée par une autre théorie scotiste : la théorie des formali- 
tés distinctes a parte rei. 


x 
* * 


Entre toutes les questions agitées au moyen-âge, celle des 
universaux a probablement été la plus célèbre. On sait comment 
elle s’est posée : Quelle valeur objective faut-il attribuer aux con- 
cepts génériques et spécifiques ? Sur ce problème, les auteurs se 
sont partagés. On a coutume de ramener les solutions à trois 
types généraux. Les nominalistes ne voient dans les universaux 
que des entités verbales, des mots vides « flatus vocis ». Les réa- 
listes leur attribuent une existence propre en dehors de l'esprit 
au sein de la réalité. Entre ces deux excès se tiennent les concep- 
tualistes. Leurs doctrines sont d’ailleurs assez nuancées. 

Les conceptualistes purs ne reconnaissent aux universaux 
qu’une valeur mentale : ce sont des produits de l'esprit, des 
conceptions dont il est l’auteur, auxquelles son activité a donné 
un contenu, un objet qu'on chercherait en vain dans la nature. 
Assez divergente est la doctrine des conceptualistes réalistes. 
Évidemment dans la nature, tous les êtres sont singuliers et in- 
dividuels : l’universel comme tel n’est pas réalisé hors de l’esprit. 
Cependant l'esprit ne le crée point ex mhtlo. Il ne le forme 
point au gré du hasard. L’universel est imposé à l'intelligence 
par les réalités singulières du monde sensible. De quelle nature 
est cette imposition ? Saint Thomas et Duns Scot ne la com- 
prennent pas d’une manière identique. 

D'après saint Thomas, les universaux ne sont que des extraits 
conceptuels que notre esprit, à cause de son infirmité, se forme 
séparément d’une réalité extra-mentale, une et dont la réunion 
constitue le concept global que nous avons d’une essence déter- 
minée. Ils ont en cette chose extra-mentale, un fondement réel, 
— et encore peut-il être plus ou moins parfait. Si nous conce- 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 121 


vons distinctement dans l’homme les raisons objectives de cor- 
poréité, de végétabilité, d’animalité et de rationabilité, — que 
l’on concevra aussi en tout homme, et qui se trouveront séparé- 
ment dans des êtres de nature différente, — on ne peut attribuer 
cette conception multiple qu’à la richesse de l’essence humaine 
qui n’est pas susceptible de tomber adéquatement sous les prises 
de notre intelligence. Nul doute que dans cette théorie les uni- 
versaux aient une valeur objective, mais 1l est visible qu'elle est 
réduite à son minimum. 

Duns Scot, au contraire, accentue davantage l’objectivité des 
concepts abstraits et des universaux. Il leur attribue en effet 
une certaine existence indépendante de la conception mentale, 
ou ce qui est plus exact, il en situe l’objet plus distinctement et 
d'une manière plus réaliste au sein des choses singulières et 
complexes. La faiblesse de notre intelligence, appliquée à épui- 
ser la richesse trop grande d’un objet intelligible ne nous donne 
pas la véritable objectivité de nos concepts. Il y a plus que cela. 
Indépendamment de tout acte intellectuel, au sein d’une même 
essence individuelle, on doit distinguer des formalités objectives, 
distinctes entre elles, car l’une n’est pas l’autre, dans l’homme 
par exemple, le corporel n'étant pas identique au végétatif, ni le 
végétatif au sensitif, ni le sensitif au rationnel. Aucune de ces 
formalités n'existe par elle-même, d’une existence propre. Elles 
sont toutes comme absorbées dans l’existence de la chose res, qui 
seule termine l'activité de la cause productrice et seule est vrai- 
ment douée d’individualité. Ces formalités scotistes sont plus 
riches d’objectivité que les simples fondements sur lesquels la 
théorie thomiste fait reposer la légitimité du morcelage concep- 
tuel. En concevant les formalités, notre esprit ne fait que les 
traduire mentalement, en les délivrant de la singularité indivi- 
duelle où, pour ainsi dire, les emprisonnait la chose existante, 
res, en qui elles se trouvaient réalisées. Se peut-il affirmer une 
objectivité plus complète, à moins d’admettre l'existence de 
l’'universel a parte re, d'une manière absolue ? (1) 

[Il n’y a même pas trop à s'étonner si, assez souvent, on a 
rangé le docteur subtil parmi les réalistes exagérés. A ne lire ses 
œuvres que d’une manière superficielle, il est presque impossible 


(1) Sur toute cette question, je ne fais qu'ébaucher les traits essentiels de la doc- 
trine scotiste dont les éléments sont un peu épars dans les ouvrages du docteur 
subtil. Cf. principalement. ZI Sent., dist. III, qu. 1 et6 ; Quæst. subt. in Metaph., 
lib. VIL. q. 19. 


122 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


de ne pas s’arrêter à ce jugement. Néanmoins il manque de fon- 
dement solide. Pour avoir accentué plus que saint Thomas, 
l'objectivité des universaux, par sa théorie des formalités, Duns 
Scot n’est pas autrement réaliste que le docteur angélique ; il 
l’est seulement avec une nuance plus forte. Bref le formalisme 
scotiste est un pas en avant dans la voie de l’objectivité des con- 
cepts abstraits. Ce pas, saint Thomas ne l’a point fait. Il a cru 
sauvegarder l’objectivité des universaux par son virtualisme 
(conception des degrés métaphysiques distincts virtuellement). 
Duns Scot le dépasse. Qu’on ne mette donc pas en doute son 
« objectivisme. » Si une doctrine peut être taxée de subjecti- 
visme, ce n'est pas la sienne. (1) 

Faut-il redire encore, après ces réflexions,que sa théorie idéo- 
logique n’a rien de commun avec celle de Kant ? J'en aurais 
presque la tentation : il est si difficile de détruire les convictions 
que l'ignorance alimente! Et cependant quelles naïvetés n’avons- 
nous pas, plus d’une fois, entendues ou lues sur ce prétendu 
rapprochement de Duns Scot et de Kant. Il semblerait que la 
phrase inintelligente du Cardinal Gonzalez « Scot a été le Kant 
du XIIIe siècle » ait acquis la valeur d’un axiome en certains 
milieux intellectuels, spécialement ecclésiastiques. 

Et pourquoi Duns Scot serait-il le Kant du XIII: siècle ? 

Pour cette unique raison qu'il a critiqué, non les principes 
du sens commun, ni même les principes de la philosophie aris- 
totélicienne, mais plusieurs applications qu'en ont fait les 
philosophes. Soyons plus explicites et descendons du général au 
particulier. Duns Scot est, aux yeux de ceux qu'éclaire la pensée 
de Gonzalèz, le Kant du XIII° siècle, parce qu'il a critiqué les 
doctrines thomistes sans plus de ménagements que celles des 
autres docteurs. Î1 a critiqué au lieu d’accepter docilement, sur 
parole. Il a critiqué. donc il est critique. Kant aussi. N'a-t-il 
pas écrit deux livres fameux : La Critique de la raison pure et 
la critique de la raison pratique ? De part et d’autre « criti- 
que » ; donc parenté ; donc la « critique » de Duns Scot est, à 
cinq siècles de distance, la mère du « Criticisme » de Kant. 
Vraiment ce n’est pas sérieux. Concluons ce paragraphe en ou- 
bliant un raisonnement si puéril. 

Plus que toute autre doctrine scolastique, la doctrine idéolo- 
gique de Duns Scot est objectiviste et réaliste, sans pourtant dé- 


(1) Cf. Études Franciscaines. La Distinction formelle de Scot et les Universaux, 
par le P. Symphorien, mars 1910. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 123 


passer les limites de la vérité. Si pour repousser le modernisme 
une doctrine objectiviste est nécessaire, on n’en trouvera pas qui 
le soit plus franchement et plus fortement que la scolastique 
scotiste. 


III 


La scolastique scotiste est encore absolument TRADITION- 
NELLE. 

Duns Scot, malgré le caractère critique de ses ouvrages, n’a 
rien d’un novateur. En philosophie, il donne une place plus 
grande aux influences platoniciennes que saint Thomas; en théo- 
logie, il construit des synthèses, différentes sur plusieurs points 
de celles du docteur angélique, mais 1l prétend bien, en tout et 
toujours, s'attacher très étroitement à la doctrine de l'Église et à 
l’enseignement des Pères. 

11 s'attache surtout par des liens très étroits au magistère in- 
faillible de l'Église. Comme tous les théologiens catholiques, il 
puise sa doctrine aux deux sources des Saintes Écritures et de 
la Tradition divine, (1) mais il n'accepte les Livres Saints et la 
Tradition orale que sous le contrôle de l’Église. Voici quelle est 
la discipline générale de son activité intellectuelle de théologien. 

Par eux-mêmes les Livres Saints ont une valeur indubitable : 
nulle raison de contester la science ou la sincérité de ceux qui 
les ont écrits. Cependant ils méritent surtout notre croyance 
parce que l’Église les accepte et en proclame l'authenticité et 
la véracité. (2) C’est encore l’Église qui doit en fixer le sens 
exact. Elle a mission particulière pour interpréter l’Écriture. 
L'Esprit-Saint l’assiste et la guide. Aussi ne s’écarte-t-elle jamais 
de la vérité dans ce travail d’exposition doctrinale. (3) 


(1) Theologia non est nisi de his quæ continentur ie Scriptura et de his quæ 
possunt elici ex ipsis. In Prolog. quaest. 3, ne 23. — Multa docuit eos (Apostolos) 
Spiritus Sanctus quæ non sunt scripta in Evangelio. Et illa multa quædam per 
scripturam, quædam per consuetudinem tradiderunt. Z Sent. dist. XI, quæst. 1 
n° 5. 

(2) Patet igitur quod libris canonicis sacris non est credendum nisi quia primo 
credendum Ecclesiæ approbanti et auctorizanti libros istos et contenta in eis. Quam- 
vis aliqui libri auctoritatem habeant ex auctoribus suis, non tamen adhæremus eis 
firmiter, nisi quia creditur Ecclesiæ approbanti et testificanti veraces esse eorum 
auctores. ZII Sent., dist. XXIIT, quæst. unica. n° 4. 

(3) Eo Spiritu expositæ sunt Scripturæ quo conditæ. Et ita supponendum est 
quod Ecclesia catholica eo Spiritu exposuit quo tradita est nobis fides, Spiritu scili- 
cet veritatis edocta et ideo hunc intellectum eligit quia verusest. Non enim in potes- 
tate Ecclesiæ fuit facere istud verum vel non verum, sed Dei instituentis. Sed intel- 


124 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


Le rôle de l'Église à l'égard de la Tradition est exactement le 
même : conserver, authentiquer, interpréter et au besoin définir 
la doctrine transmise oralement. Ne pas accepter les vérités 
qu’elle a reçues des Apôtres et que par son magistère ordinaire 
elle enseigne aux fidèles est plein de périls et conduit à la ruine 
de la foi, (1) car l Église est la règle immédiate de la foi pour le 
fidèle. A l'abri de l'erreur par sa constitution divine elle n’ensei- 
gne que la vérité et son enseignement dans le domaine de Îa foi 
et des mœurs, mérite toujours créance. (2) Créance absolue. Le 
premier devoir du chrétien est de tenir par la foi ce que l'Église 
Romaine lui impose : « fenendum est sicut tenet sancta Romana 
Ecclesia » (3). Dans l'exposition officielle des doctrines tradi- 
tionnelles, comme dans l'interprétation de l'Écriture, elle n’in- 
vente rien, elle n’augmente pas substantiellement le dépôt de la 
révélation divine. Aux hérésies qui surgissent, elle oppose seule- 
ment la vérité, d’une manière plus claire et avec un sens mieux 
défini. (4) 

Enfin l’enseignement des saints Pères tombe lui-même sous 
le contrôle de l’Église. Dans les questions controversées spécia- 
lement où ils ne peuvent plus être regardés comme les témoins 
fidèles de la tradition divine ou apostolique, le dernier mot reste 
aux décisions de l’Eglise dont le jugement définitif s'impose 
obligatoire pour tous. (5) 

Avec des principes aussi fermes on devine quels doivent être 
les sentiments du docteur subtil en face des innovations doctri- 


lectum a Deo traditum Ecclesia explicavit, directa in hoc, utcreditur, Spiritu verita- 
tis. ZV Sent., distinct. XI, quaest. 3 n° 15. 

(1) Multa alia non sunt expressa in Evangelio et tamen Ecclesia tenet illa esse 
tradita certitudinaliter ab Apostolis. Et periculosum esset errare circailla quæ non 
tantum ab Apostolis descendunt per scripta, sed etiam quæ per consuetudinem uni- 
versalis Ecclesiæ tenenda sunt. Z Sent., dist. XI, quæst. 1, n°1. 

(2) Nunc autem Ecclesia catholica est communitas maxima vera, quia illa maxi- 
me veritatem commendat et mendacium reprehendit. Igitur ejus testimonio certis- 
sime credi potest. Potest igitur viator, ex natura sua, audita etintellecta communi 
doctrina Ecclesiæ, firma credulitate assentire his quæ ipsa docet de fide et moribus, 
Quæst. Quodlib., quaest. 14, n° 5. 

(3) IV Sent., dist. XI. quæst. 3, n° 16. 

(4) Diversa symbola diversis temporibus sunt edita contra diversas hæreses de 
novo orientes, quia quando insurgebat nova hæresis necessarium 'erat declarare ve- 
ritatem contra quam erat kæresis. Quæ veritas etsi prius erat de fide non tamen 
erat prius tantum declarata, sicut tunc, contra errorem illorum qui eam negabant. 
I Sent. dist. XI, quæst. 1, n° 5, 

(5) Ex quo Ecciesia catholica declaravit hoc esse tenendum sicut de substantia fi- 
dei, tenendum est. loc. cit. n° 2. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 129 


nales dans le domaine religieux.S'il ne condamne pas toute doc- 
trine qui paraît nouvelle — car il sait que, dans son expression 
la vérité révélée peut progresser et se présenter sous un jour un 
peu nouveau, « in processu generationis humanæ semper cre- 
vit notitia veritatis » — il manifeste cependant une grande 
défiance envers les nouveautés. De meilleur conseil il n’en con- 
naît point d'autre que celui-ci: « ne pas donner son assenti- 
ment, réserver son jugement, recourir à |’ Église. Ainsi on 
évite l'erreur. » L'enseignement officiel de l’Église est la seule 
règle de foi infaillible. (1). 

La prudence n’est pas moins recommandée aux savants, qu'aux 
simples et aux humbles. Lourde est la charge du Maître dont les 
lèvres doivent distiller la vérité au corps des fidèles. Il prend 
sur ses épaules un pesant fardeau. Pour le porter dignement, 
aucune disposition n'est comparable à l'humilité de l'esprit. 
Cette vertu empèche les docteurs de s’attacher plus qu'il ne con- 
vient à leurs opinions personnelles et leur inspire le désir de les 
soumettre sans réserve au jugement de l’Église. (2) 

Duns Scot s’est soumis le premier à cette discipline très 
catholique de la pensée et de la science religieuse. Sait-on qu'il 
n'a proposé qu'avec une extrême réserve son sentiment sur 
l’Immaculée Conception de la Vierge Marie ! Il y croit, il l’af- 
firme à plusieurs reprises : la Mère du Christ a été exempte de 
la tache originelle. (3) Mais comme plusieurs docteurs de son 
temps le niaient,sa modestie se réflète dans cette timide formule : 
si auctoritati Ecclesiæ vel auctoritati Scripturæ non repugnat, 
videtur probabile quod excellentius est attribuere Mariæ, etc. (4) 
Combien d’autres questions où se manifeste le même état 
d'esprit. Aux problèmes qu'il agite, le docteur subtil ne donne 


(1) Si aliqua de novo proponuntur ab aliquo qui tenet vicem doctoris. non tene- 
tur quis assentire, sed tenetur neutri parti assentire, sed prius tenetur consulere 
Ecclesiam et sic errorem vitare. /1/1 Report. Paris., distinct. XXV, qu. unic. n° 6. 
— Si prædicatur specialiter in uno loco, de novo, non est necessarium simplici 
credere illud, adhærendo firmiter illi tamquam vero. Imo necessarium est magis 
illi non adhærere, quousque sciat illud credi ab Ecclesia tanquam verum. Et cum 
hoc sibi constiterit, tenetur illi firmiter adhærere. IV Sent., dist. XXV, qu. 1, n° 8. 

(2) Antequam conclusiones, inclusæ in articulis creditis, sunt per Ecclesiam de- 
claratæ et explicatæ, non oportet quemcumque eas credere. Oportet tamen circa 
eas sobrie opinari, ut scilicet homo sit paratus eas tenere pro tempore pro quo ve- 
ritas fuerit declarata. Z V Sent., dist. V, quaest. 1, n° 6. 

(3) Cf. par exemple ZII Sent., dist. XVIII, quaest. unic. — « Est ibi Beata Virgo 
Mater Dei, quæ nunquam fuit inimica actualiter ratione peccati actualis nec ratione 
originalis. Fuisset tamen nisi fuisset praeservata ». 

(4) III Sent., dist. III, quæst. 1, n° q. 


126 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


pas toujours une solution absolument tranchée. Est-ce faiblesse 
de pensée et incapacité à construire une synthèse doctrinale ? 
Non, mais il a peur d'innover : il se contente donc de donner 
modestement son opinion « sobrie opinari ». Même dans ses 
doctrines philosophiques ou théologiques les plus personnelles, 
il n'avance qu'avec l’appui et l’enseignement des Pères. 

En philosophie et par voie de conséquence en théologie, 
saint Thomas a été beaucoup plus novateur que Duns Scot, 
« Par ses théories nouvelles, écrit M. de Wulf, saint Thomas 
brise avec la tradition de l’ancienne scolastique : 1l établit d’é- 
troits rapports entre la philosophie et la théologie ; à la pluralité 
des formes il oppose l’unité du principe substantiel ; à la com- 
position hylémorphique des substances spirituelles, la doctrine 
des formes subsistantes et la notion péripatéticienne de la ma- 
tière ; à la théorie des rationes seminales, l’évolution passive de 
la matière ; à la théorie augustinienne de l'identité de la subs- 
tance de l’âme et de ses facultés, celle de leur distinction réelle ; 
au volontarisme, une conception intellectualiste de la vie psy- 
chique. Et on pourrait allonger l’'énumération. » (1) 

Ces nouveautés thomistes ont excité dans l'Ecole une assez 
vive opposition qui s'est particulièrement manifestée par les 
condamnations portées contre la doctrine de saint Thomas, à 
Paris, par l’évêque Etienne Tempier, sous l'impulsion du Pape 
Jean XXI en 1256, — à Oxford, par Robert Kilwardby, O. P., 
archevêque de Cantorbéry (1278) et Jean Peckan son succes- 
seur, en 1284, —à Londres par le Concile provincial en 1286.11 
n’est question ici ni de la portée doctrinale, ni de la valeur ob- 
jective de ces condamnations. Elles ne sont rappelées que pour 
témoigner de l’effroi produit par les nouveautés, enseignées par 
saint Thomas, qui brisait ainsi, sur plusieurs points importants, 
avec la tradition des siècles antérieurs. 

A l’Aristotélisme presque sans mélange du thomisme, le doc- 
teur subtil préfère une doctrine plus nuancée de platonicisme. 
Mais il ne se recommande point de l'autorité de Platon. Ses 
inspirations platoniciennes, il les emprunte à la tradition patris- 
tique, à saint Augustin surtout. C’est ainsi qu’il invoque l’auto- 
rité de l’évêque d'Hippone, pour accorder à la volonté la 
Primauté sur l'intelligence, pour placer dans l’amour béatifique 
l’essence de la béatitude. 


(1) Histoire de la philosophie médiévale. IV Edit. 1912. p. 421-22. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 127 


A l'École de Duns Scot on est donc assuré de trouver la doc- 
trine scolastique la plus fidèle à la tradition des Pères, la plus 
attentive aux enseignements de la foi. Sans doute les doctrines 
thomistes jouissent aujourd’hui, dans l’enseignement de la phi- 
losophie et de la théologie, d’un crédit très grand, presque ex- 
clusif. Il n’en a pas toujours été ainsi, depuis saint Thomas. 
Aussi manquerait-on totalement de sens historique en voulant 
réserver le caractère de « traditionnelle » à la seule scolastique 
thomiste. Pendant plus de quatre siècles, la scolastique scotiste 
a glorieusement brillé à côté de celle de l’angélique docteur. 
Dans les Universités de Salamanque et d’Alcala, la chaire des 
doctrines scotistes voisinait celle des doctrines thomistes. Les 
esprits allaient librement là où la vérité leur semblait briller 
avec plus d'éclat. En somme la primauté si accentuée que l’on 
accorde aux opinions thomistes est de date récente. Au début 
du XVIITe siècle, les esprits initiés à l’histoire de la théologie 
auraient été fort surpris d’entendre exalter la scolastique tho- 
miste « parce que traditionnelle ». Celle de Duns Scot, à 
cause des liens qui la rattachent plus étroitement à la doctrine 
des Pères, eût, à leurs yeux, bien mieux mérité cette louange. 


IV 


Du caractère DIDACTIQUE de la scolastique scotiste, j'ai peu 
de chose à dire. 

M. Richard passe lui-même rapidement sur ce su;et. Il oppose 
simplement, par quelques citations puisées dans les deux camps, 
à la méthode moderniste « fuyante, vaporeuse, difficilement 
réductible à la lumière crue du syllogisme et ignorant l’usage 
des définitions rigoureuses », la méthode scolastique « tou- 
jours préoccupée de la valeur des termes, de la justesse des pro- 
positions, des procédés légitimes de l'argumentation. » 

Autant que saint Thomas, Duns Scot s’est astreint au régime 
intellectuel de cette méthode scolastique. Non moins que lui, il 
a fait « preuve de sérieux dans l'effort, de rigueur et de sincérité 
dans la recherche ». 

Malgré cette discipline méthodique, le docteur subtil reste 
moins accessible que le docteur angélique, car saint Thomas a 
le très grand avantage d’avoir écrit une Somme théologique, une 
Somme, c'est-à-dire, un manuel à l’usage des élèves, un abrégé 


128 DUNS SCOT ET LE MODERNISME 


doctrinal, débarrassé des questions trop subtiles, aux divisions 
bien nettes, à l’exposition concise. (1) 

Duns Scot lui, n’a pas eu le temps de condenser sa doctrine 
dans un travail de ce genre. Ses ouvrages théologiques appar- 
tiennent plutôt à l’enseignement supérieur.Chacune des « Quæs- 
tiones » de ses Commentaires d'Oxford et de Paris, sur les 
Sentences de P. Lombard, prennent la forme d’une disserta- 
tion. Le R.P. Déodat Marie a fort bien caractérisé la divergence 
des deux enseignements. « On peut dire que, sauf différences 
négligeables, Alexandre de Halès, Albert le Grand, saint Bona- 
venture et saint Thomas suivent tous la même méthode. D'abord 
ils alignent trois, quatre ou cinq objections, sans indiquer les 
sources. Parfois ils les créent. Puis ils posent un contra qui 
renferme leur sentiment, celui qu’ils adoptent et qu’ils vont dé- 
velopper. Ces développements ne sont jamais bien amples. Ils 
sont particulièrement courts dans la Somme de saint Thomas... 
Enfin le docteur scolastique donne, d’après sa doctrine à lui, 
une réponse à chacune des objections qu'il avait posées au début 
de la question : ad primum, ad secundum.Scot suit cette métho- 
de dans ses lignes générales : objections, contra et réponses aux 
arguments du début. Malgré cela, sa quæstio est toute différente 
de la quæstio de ses prédécesseurs. Pourquoi ? Parce qu'il in- 
troduit, après le contra qui contient sa doctrine, la division. 
Tantôt division de la matière, tantôt division des opinions 
des docteurs sur la matière. Et alors, s'il divise la matière, il 
s'arrange d’abord pour donner un point extrême, puis un autre 
point extrême et finir par le sujet central... La question est 
éclairée dans toutes ses parties, quand Duns Scot se décide à 
conclure. Si bien éclairée, que nous savons d'avance quelle doit 
être sa conclusion. Quand Duns Scot divise les opinions, il le 
fait toujours pour que le même résultat se produise dans l’es- 
prit du lecteur. C'est ainsi qu’il élimine nécessairement les opi- 
nions d’extrémité, pour que le lecteur trouve la voie dans 
l'opinion moyenne bien caractérisée, bien relevée. 

L'on voit comment la quæstio de Duns Scot se distingue 
d'un article de Somme. L'article de Somme est court, nécessai- 
rement clair puisqu'il ne traite que d’un point et qu'il ne donne 
sur ce point que la seule opinion du maître. Dans la quæstio 


(1) Propositum nostræ intentionis in hoc opere est ea quæ ad christianam Reli- 
gionem pertinent eo modo traere secundum quod congruit ad eruditionem incipi- 
entium. Sum. Theol. Prologus. 


DUNS SCOT ET LE MODERNISME 129 


de Scot toutes les opinions des docteurs précédents sont soi- 
gneusement relevées, une par une; et successivement chacune 
est discutée ; la part du vrai èt du faux, du probable et de l’im- 
probable est soigneusement établie pour chaque opinion. En 
lisant Scot, on a la sensation d'assister à une mêlée et de suivre 
les mouvements particuliers des deux armées, de leurs ailes et 
de leurs centres. La question de Scot est donc chose vécue ou 
vivant sous les yeux du lecteur. Mais, si l'examen progressif 
des doctrines, si la critique successive des multiples opinions 
donne l'impression d'idées qui vivent, comme ces idées sont ou 
contradictoires ou diflérentes ou simplement parfois séparées 
par des nuances très légères, il en résulte pour le lecteur d’au- 
jourd’hui qui n’est plus au fait des combats des Universités du 
moyen-âge, il en résulte une sorte de dépaysement... Mais 
une fois que, tenant les grandes lignes, vous avez saisi le Subtil, 
vous avez l’'incomparable jouissance de savoir sur la question 
tout ce que les docteurs ont dit, et ce que Duns Scot enseigne, 
€t ce que vous vous trouvez, après eux tous, devoir penser vous- 
même. (1)» Cette complexité d'exposition suppose donc toujours 
une méthode didactique et sur ce point encore la scolastique 
scotiste est sœur de la scolastique thomiste avec laquelle elle a 
de très profondes ressemblances. 


La tentative de la Revue T'homiste pour jeter le discrédit sur 
la doctrine de Duns Scot est donc sans valeur pour tout esprit 
sincère. M. Richard faisait grief à la scolastique scotiste de deux 
accusations de modernisme. Il a simplement été victime de la 
piperie des mots. Aucune parenté n'existe entre la Primauté de 
la volonté défendue par le docteur subtil et le Primat de l’action 
proposé par les modernistes. Aucun lien logique ne permet de 
tirer des conclusions anti-intellectualistes de la théorie scotiste 
d'après laquelle la théologie est une science simplement pra- 
tique. 

M. Richard a voulu montrer, par quels caractères la scolasti- 
que s’opposait au modernisme. Je n'aurais qu'à le féliciter, si les 
premières pages de son article ne tendaient à réserver exclusive- 
ment ces caractères à la scolastique thomiste. Or la scolastique 


(1) Duns Scot et le Statut catholique de la Pensée. Conférence donnée à l'Institut 
catholique de Paris, le 12 mai 1909. Pages 40-47-48, (Note) En vente, Bureaux 
Bonne Parole, — Le Havre. 


E. F. — XXIX. — 9 


130 DUNS SCOT ET LE MODERNISMÉ 


scotiste peut les revendiquer hautement, car elle est, elle aussi, 
rationnelle, objective, traditionnelle et didactique, à un degré tou- 
jours égal et parfois supérieur à la scolastique thomiste. 

Est-ce la dernière fois que nous sommes dans l'obligation de 
signaler des erreurs ou des injustices, relativement à la doctrine 
scotiste? Nous n’osons pas l’espérer, tant les légendes sont tena- 
ces. Il est probable aussi que les accusations seront, comme 
celles que nous venons de relever dans l’article de M. Richard, 
faites d’insinuations sans preuves, de préjugés courants, d'appa- 
rences trompeuses. 

Pourquoi les néo-thomistes se livrent-ils à des procédés si 
peu scientifiques,eux qui ont la partie si belle avec les directions 
imprimées au mouvement scolastique depuis l’Encyclique Æter- 
ni Patris ? Appuyés comme ils le sont par l’autorité du Souve- 
rain Pontife, dont les Actes recommandent si spécialement 
saint Thomas, pourquoi ne se bornent-ils pas à faire voir la 
solidité des doctrines professées par le docteur angélique, sans 
jeter le mépris sur une autre scolastique voisine, plus divergente 
que rivale. Les diatribes n’avancent point le règne de la vérité 
dans le monde. 

A l'inutilité de ces procédés peut s’ajouter l'injustice d’une 
accusation grave. M. Richard ne semble pas y avoir assez réflé- 
chi. Mais apparenter la doctrine de Duns Scot avec le modernis- 
me, c’est rendre toute son Ecole suspecte, c’est la dénoncer en 
quelque sorte aux vigilants gardiens de l’orthodoxie religieuse. 
Et'parce que l’insinuation est sans preuve, n’avons-nous pas le 
droit de dire qu’elle ressemble fort à une injustice ? 


Fr. RAYMOND 


DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 


NOTES BIO-BIBLIOGRAPHIQUES 
SUR LE 


P. RENÉ DE MODÈNE, 


D'ABORD RABBIN PUIS CAPUCIN. 


Le cas d’un Rabbin qui non seulement aurait abjuré sa foi, 
mais se serait fait capucin, serait assez rare pour que l'on s'y 
arrêtât, s’il était prouvé. C’est par ces paroles que le Grand 
Rabbin de l’Université Juive de Modène justifiait les lignes 
qu’il publiait dans le Courrier Israëlite de Trieste, du 30 juin 
1909, au sujet du P. René de Modène, capucin de la province 
de Bologne, dont il avait trouvé mention dans un livre que ve- 
nait de publier le P. Cyrille Mussini de Bagno, archiviste de 
notre province de Parme (1). 

Dans la seconde édition de son travail (2), le P. Cyrille repro- 
duit l’article du Courrier avec la lettre que lui adressait M. G. 
Cammeo, le susdit Grand Rabbin, ainsi que sa réponse. 

Le P. René de Modène ne m'était pas inconnu : j'avais trou- 
vé son nom dans les notes bibliographiques de notre P. Apolli- 
naire de Valence. Cette polémique fort courtoise m'intrigua et je 
voulus rechercher de mon côté, car j'avais en main des docu- 
ments inconnus au P. Cyrille, si je pourrais arriver à élucider ce 
cas, puisque de l’aveu de M. Cammeo, il mérite que l’on s’y 
arrête, et que, s’il est bien établi, 1l ne peut manquer de faire 
impression non seulement sur les Israélites de Modène, mais 
encore sur tous les lecteurs du Courrier. 


(1) P. Cirizco Mussini, archivista provinciale cappuccino. Memorie storiche sui 
Cappuccini Emiliani (1525-1629). Volume I. Parme 1908. 
(2) Parme 1012. 


132 DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 


Avant d'exposer le résultat de mes recherches, voici ce que 
nous rapportent du P. René les Annales manuscrites des Capu- 
cins de Lombardie par le P. François de Modène. (1) « En cette 
année 1628, mourut dans notre couvent de Reggio le P. René 
de Modène, prêtre et religieux de grand renom. Il avait été 
Rabbin fameux parmi les Juifs et recevait de l'Université Israé- 
lite de Modène un traitement de 200 écus par an. En étudiant 
les Saintes Écritures et en confrontant l'Évangile avec les livres 
de l’Ancien Testament, il y reconnut le Messie annoncé par les 
oracles des prophètes. Éclairé par cette lumière, et surtout illu- 
miné par l'Esprit-Saint, il se convertit de ne même à notre 
sainte Foi. Devenu chrétien, il se retira dans la maison d’un 
chevalier de la famille Carandini de Modène, et là, comme il 
avait une parfaite connaissance du latin, il écrivit dans cette lan- 
gue un ouvrage contra Judeos. Peu après, reçu chez les Capu- 
cins, il fit profession au couvent de Ravenne en 1612. Ordonné 
prêtre il fut chargé d’enseigner l’hébreu, et des religieux des 
provinces voisines venaient aussi suivre ses leçons. Très estimé 
pour sa science en ces matières, il fut nommé par le Saint-Office 
censeur des Livres des Israélites ». 

Le témoignage du P. François Vecchi de Modène est d'autant 
plus recevable que lui-même avait été Israélite. Né en 1622, 
baptisé en 1633, il pouvait être bien informé de la vie de son 
compatriote et confrère. Le P. Jerôme Fontana de Modène, 
mort en 1667 après cinquante trois ans de vie religieuse, avait 
été compagnon du P. René, et il raconta les mêmes faits au P. 
Zacharie de Bologne, qui les inscrivit dans ses Chroniques. 
Puisée à ces sources, que nous pouvons regarder comme assez 
pures, la biographie du P. René passa dans les Annales générales 
de l’Ordre (2). 

Quelle foi cependant faut-il ajouter à cette narration ? — Que 
le P. René de Modène ait été un Juif converti, cela est hors de 
doute, car nous avons son propre témoignage. Était-il Rabbin 
comme on ajoute ? — Jusqu'à présent nous n'avons d’autre preu- 
ve que le texte des Chroniques citées. Toutefois 1l faut y remar- 
quer un petit détail; il pourrait sembler mis là par hasard, mais il 


(1) Annali dei Cappuccini della Provincia di Lombardia descritti dal P.FraNces- 
co DA MODENA. Vol, I dall’anno 1533-1634. Manuscrit aux archives de la province de 
Lombardie ou de Parme. Je cite d'après le P. Cyrille. 

(2) Annali dell'Ordine de’ Frati Minori Cappuccini. Parte terza del tomo terzo, 
descritta dal P. Fr. Massimo BerRTANI DA VALENZA. Milan, 1714, p. 30. 


DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 133 


fournit un confirmatur sérieux à l’assertion de nos chroniqueurs. 
C'est la mention de ce traitement de 200 écus par an que le 
P. René, avant sa conversion, recevait de l’Université Israélite. 
Trop souvent nos auteurs aiment l’amplification, l’extraordi- 
naire ; mais alors ils restent dars le vague. Quand ils précisent 
un détail comme celui-là, ils ne l’inventent pas et l’on peut 
assez facilement les croire. 

Nous avons heureusement un autre confirmatur plus sérieux, 
et nous le tenons du P. René lui-même. César d’Este, duc de 
Modène et de Reggio, voulut non seulement assister à son 
baptême, mais il daigna encore lui servir de parrain. Cela fait 
supposer que le néophyte était quelqu'un. Il Iui donna même 
son nom de César. Pour un Juif qui se convertissait, c'eût été 
beaucoup de condescendance de la part du Prince ; il fallait 
que cette conversion fut extraordinaire (1). 

Enfin pour troisième confirmation, nous pouvons ajouter que 
le P. René possédait une instruction talmudique plus que 
commune, ainsi que nous allons le voir. Plusieurs années après 
sa conversion, sur la demande du Prince, il fut chargé par le 
Tribunal de l’Inquisition de Modène de réviser les livres dont se 
servaient les Israélites du Duché. On lui reconnaissait donc une 
compétence spéciale en ces matières. Il s’acquitta de cette tâche 
avec zèle et prudence, et nous en avons un double témoignage. Le 
premier est une Bible hébraïque enrichie de commentaires, 
conservée aujourd'hui à la Bibliothèque Laurentienne de Flo- 
rence. On en trouve une première mention dans la Bibliotheca 
bibliothecarum manuscriptorum nova du célèbre Montfaucon. 
A la fin du manuscrit, dit-il, on lit cette annotation : « Alessan- 
dro Scipione Reveditor. — Ego F. Renatus a Mutina Ordinis 
Capucinorum correxi, 1626 » (2). Une main postérieure ajouta 
cette remarque : « Îste fr. Renatus fuit Neophytus, qui relicta 
Judaïca superstitione, Cristianam Religionem suscepit, et una 


(1) En 1626 le P. René dédiait un ouvrage « Serenissimo Caesari Estensi Muti- 
nae Regiique Duci invictissimo » et dans l'Épitre dédicatoire il s'exprime en ces 
termes, pour justifier cette dédicace : « ... tum quia ad id me obstringebat origina- 
lis reverentia vassalli erga dominum; tum etiam hortabatur memoria, quod quando 
ablutus fui sanctissimi acqua Baptismi (per gratiam omnipotentis Dei) tu, tu, chris- 
tianissime Caesar, praesentia tua et interesse et pauperem Renatum suscipere et 
honorare voluisti ». Qu'il s’appelät César, rous le savons par une Table nécrologi- 
que de l'époque. sur laquelle il est appelé « Cesare Francesco ». 

(2) Paris, 1730, Tom. I, pag. 244. 


134 DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 


cum Abrahamo Jaghel Hebraeos Codices multos recensuit et 
expurgavit » (1). 

Le second témoignage est un manuscrit conservé aujourd’hui 
à la Bibliothèque Vaticane (2). En voici le titre, il est un peu 
long, mais nous renseigne sur le contenu de l'ouvrage : « Index 
Vanitatum expurgandarum a libris Haebreorum, praecipue in 
tribus Glosis, nempe Caldaica, Hierosolimitana, ac Babilonica, 
necnon in omnibus Commentariis Rabbinorum. Collectusa R.P. 
F. Renato, Sacerdote Mutinense Ord. Minor. S. Francisci Capuc- 
cinorum, occasione sumpta in dictorum librorum correctione fac- 
ta. Anno Domini 1626 ». 

Le P. René dédia cet ouvrage au Duc César d’Este et c’est 
dans l’Épître dédicatoire que se trouvent les quelques renseigne- 
ments personnels que j'ai pu ajouter à ceux de nos chroniqueurs. 
Il y dit encore avoir composé ce recueil pour rendre plus facile 
aux catholiques la connaissance des erreurs des Juifs, erreurs 
qui sont en contradiction avec la loi de Moïse elle-même, et 
par suite, pour qu'il leur soit plus facile de les combattre ; puis 
encore pour l'instruction des mêmes Juifs et enfin pour faciliter 
le travail aux correcteurs. 

Notre Capucin avait été chargé, depuis peu de temps, de l'office 
de Censeur, et il faut restreindre ses fonctions aux seuls états du 
Duc de Modène. C’est donc une exagération du P. Maxime de 
Valence que de le montrer comme recevant ses fonctions du 
Tribunal Suprême en Cour de Roine pour l'Italie entière, et 
faisant le tour des plus célèbres bibliothèques pour s’acquitter de 
cette charge. Il n’y avait que quelques mois de passés depuis sa 
désignation comme censeur, quand il écrivit son Zndex en 1626, 
« mensibus lapsis ». Et puisqu'il mourut en 1628, il n'eut 
pas beaucoup le temps de s'éloigner des états du Duc de Mo- 
dène (3). La Bible conservée à Florence ne saurait être amenée 
en preuve, car on ne sait à quelle date elle entra à la Biblio- 
thèque des Médicis, ni d’où elle provient. 


(1) Cf. A. M. Bisconi, Catalogus Bibliothecae Ebraicae Graecae Florentinae, 
Florence 1757, pag. 160. — Bartolocci, dans sa Bibliotheca Rabbinica, dont il sera 
parlé plus loin, dit avoir vu un exemplaire imprimé du Sêpher Mitzüoth ghadol, 
liber praeceptornm magnus, du Rabbin Moses Ben Jacobi Mikotzi, avec la mention 
de la révision faite par Abraham Jaghel en 1620 et par le P. René de Modène Capu- 
cin en 1626. (IV Partie, Rome 1693, pag. 78). 

(2) Fonds Barberini, Cod. Orientales, 53, ancien VI, 32. 

(3) « Cum ab Officio SSmae Inquisitionis Mutinae (sic te mandante Serenissime 
Princeps) mensibus elapsis mihi demandatum fuerit onus recognoscendi libros He- 
breorum in tua ditione et Dominio commorantium ». 


DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 135 


Il y aurait encore une autre question à résoudre, pour répon- 
dre à un bien légitime désir de M. Cammeo : celle du nom que 
portait comme Rabbin le P. René de Modène. Notre P. Maxi- 
me de Valence écrit qu'il se nommait Serviteur de Dieu (1). Au 
baptême il prit le nom du Duc son parrain, César, en y ajoutant 
celui de François. Un ancien nécrologe l'appelle César Corra- 
dini ou Cornazzani. Ce nom imprécis me semble bien douteux. 
Les Juifs à cette date ne portaient pas de nom de famille. (En 
France ce fut Napoléon Ier qui les y obligea). Ne serait-il pas 
naturel de croire que notre Juif converti aurait pris le nom de 
la famille qui l'avait reçu dans sa maison après son abjura- 
tion, comme on en rencontre d'autres exemples. Le Rabbin 
en se faisant chrétien se serait appelé César François Carandini, 
dont un copiste malavisé aurait fait (Corradini ou Cornazzani ? 
C'est une conjecture que je livre pour ce qu'elle vaut (2). 

Avant de raconter comment j'ai été amené à trouver le manus- 
crit du P. René, il faut rapporter, sur la foi des chroniqueurs, 
ce qu’il advint de son ouvrage contra Judaeos,composé après sa 
conversion, avant son entrée chez les Capucins. En allant au 
noviciat de Ravenne, notre néophyte laissa son manuscrit chez 
son ami et protecteur, le chevalier Carandini. Une fois profès, 
ses supérieurs l’envoyèrent au couvent de Sassuolo et en s’y 
rendant il passa par Modène. Le fr. René ne pouvait manquer 
d’aller visiter ses amis, et le chevalier Carandini lui remit son 
manuscrit. Le volume sous son bras, notre profès revenait au cou- 
vent où il rencontra le Gardien de Sassuolo, qui peut-être avait 
fait route avec lui. Voulut-il punir son sujet d’avoir repris ce 
manuscrit sans permission ? Voulut-il simplement mettre à l’é- 
preuve son obéissance ? — 1l lui commanda de le jeter au feu, ce 
que le religieux exemplaire fit aussitôt sans murmurer. On ne 
peut qu’admirer la vertu du fr. René, tout en blâmant l'impru- 
dence du Gardien. Que contenait ce manuscrit ? Nous ne le 
saurons jamais ; consolons-nous de sa perte puisque nous avons 
un autre ouvrage du P. René. 

Voici comment je l’ai rencontré. Dans sa Bibliotheca Scripto- 


(1) « Nella circoncisione sorti il di Servo di Dio ». Loc. cit. 

(2) J'ai relevé dans la Biblioteca Modenese de Tiraboschi le nom de la famille 
Carandini en plusieurs endroits. On y trouve aussi un Corradini. Cet auteur parle 
du P. René dans le Tome III, pag. 222, parini les écrivains de Modène. C'est à cette 
mention que je dois la connaissance de la Bible de Florence, qui m'a mis sur la pis- 
te pour trouver les autres renseignements donnés dans cet article. 


136 DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 


rum Ord. Min. S. Fr. Capuccinorum, publiée à Venise en 1747, 
notre Bernard de Bologne donne la note suivante : « Anony- 
mus sextus Italus, Venetae Provinciae, sicut refert Alphonsus 
Lasor in Descrip. Orb. v. Judaei, edidit hoc satis notandum 
opus : Librorum Hebraeorum Liber expurgatorius, in quo 
supra 480 Hebraeorum Libri ab erroribus et imprecationibus 
contra Christianos expurgantur. Mantuae 1696. Extat MS. in 
Bibliotheca Vaticana, et in Bibliotheca Card. Barberini Romae 
in 4.» 

Dans ses notes marginales sur son exemplaire de Bernard 
de Bologne, notre P. Apollinaire écrivait : « J'ai trouvé le nom 
de cet Anonyme. C’est René de Modène ; il m'a été révélé par 
Tiraboschi...» Comme Bernard de Bolognes'appuye sur Lasor, 
la première chose à faire était de consulter cet auteur. Je pris 
donc les deux in-folio publiés à Padoue en 1713, sous le nom de 
Alphon. Lasor a Varea, par le P. Raphaël Savonarole des 
Théatins (1), avec le titre de Universus terrarum orbis scripto- 
rum calamo delineatus.... J'y trouvai mot à mot la note reco- 
piée par Bernard de Bologne, avec cette petite différence qu'’a- 
près le mot expurgantur on lit : compositus a quodam Patre 
Capuccino Neophyto, Mantuae anno 1596 » (2). 

Cette date, Mantoue 1596, rendait impossible la conjecture du 
P. Apollinaire, mais je voulus aller jusqu’au bout de ma recher- 
che. Le catalogue des manuscrits hébraïques du Vatican a été 
publié en 1756 par les deux Assemani, Stephanus Evodius et 
son oncle Joseph Simonius (3). Voici ce que j'y trouvai, page 
239, ms. CCLXXTIII. « Codex chartaceus, in quarto, foliorum 
254. Rabbinicis litteris exaratus ; quo continetur, .. .… SEPHER 
ZiKKUK, Liber Purgatorius, quo nimirum, supra 480. Ebraeo- 
rum libri a mendis, erroribus et execrationibus in Christianis 
conjectis expurgantur ; authore quodam Neophyto Ordinis Ca- 


(1) Büibliothecae Apostolicae Vaticanae Codicum MS. Catalogus. 1, Codices 
Ebraici et Samaritani. Rome, 1756. 

12) Alphon. Lasor a Varea est l'anagramme de Raphael Saronarola. Voir sur cet 
auteur et ses travaux bibliographiques restés manuscrits Guino Bracr, /ndice del 
Mare magnum di Francesco Marucelli, Rome 1888. Le Mare magnum est une col- 
lection de plus de cent volumes manuscrits, conservés à la Bibliothèque Marucellia- 
na de Florence et le volume du Prof. G. Biagi forme le tome IX des Indici e Cata- 
loghi publiés par les soins du Ministère de l'Instruction publique d'Italie. 

(3) Tome II, pag. 68, au mot J'udaei. parmi les auteurs anonymes. L'erreur de 
Bernard de Bologne, rajeunissant l'ouvrage d'un siècle, est facilement explicable : le 
chiffre 5 de 1596 est à demi brisé et il faut une très grande attention pour lire la 
vraie date. 


DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 137 


pucinorum S. Francisci alumno, qui hocce opus, quod nondum 

lucem vidit, Mantuae Calendis Augusti, Anno Domini 1596, se 
composuisse, in ejusdem fronte testatur». C’était bien le manus- 
crit que Je cherchais, mais comme le catalogue cité le disait 

écrit en caractères rabbiniques, je devais avouer qu'il échappait à 

ma compétence. Dans une longue note, ajoutée à ce qui précède, 

on lit que ce manuscrit est autographe et qu'il en existe seule- 
ment deux copies, une à la Bibliothèque Barberine, l’autre dans 

celle des Dominicains de Bologne, à qui elle fut donnée par le 
Cardinal Gotti (1). Le Cardinal Passionei, préfet de la Biblio- 

thèque Vaticane, continue la note, a ordonné de le traduire en 

latin et de le faire imprimer au plus tôt, pour que les Inquisi- 
teurs sachent quels livres imprimés ou manuscrits ils peuvent 
laisser entre les mains des Juifs. 

Je demandai le codex, j'appelai à mon secours un hébraïsant 
attaché à la Bibliothèque, mais il ne put rien découvrir qui jus- 
tifiât l'attribution à un Néophyte Capucin. Dans leur note les 
éditeurs du catalogue renvoient, au sujet de la publication ordon- 
née par le Cardinal Préfet, au Prospectus lancé par eux, annon- 
çant leur travail. Or dans ce Prospectus, reproduit dans la Préfa- 
ce, les auteurs n’attribuent pas le Liber expurgatorius à un Ca- 
pucin ; ils disent simplement « Auctor diligentissimus, quisquis. 
ille fuerit » (2). D'où leur était venue ensuite la conviction si 
clairement exprimée dans le Catalogue ? — ou plutôt d’où leur 
était venu le doute manifesté par leur Prospectus ? Le P. Savo- 
narole n'avait pas vu le codex dont il parlait quarante ans avant 
eux dans son Orbis terrarum descriptus ; il avait dû trouver cette 
indication dans quelque ouvrage imprimé. A tout hasard je 
consultai la Bibliotheca magna Rabbinica du Cistercien Jules 
Bartolocci, où, à deux mots près, je retrouvai la note insérée 
dans l’Orbis (3). Cela reportait la question à un demi-siècle en 
arrière, sans en donner la solution.Je devais la trouver dans deux 
Catologues manuscrits des Codices Hebraicr de la Vaticane, 
composés par ce même P. Bartolocci. Dans le plus ancien, 
écrit en 1650, il indique sous le n° 500 : « Zikuk, i. Expurgato- 

(1) Vincent Marie, Dominicain, créé cardinal en 1723. 

(2) Praefatio, pag. Lxvin. 

(3) Rome, 1675-1694. Cet ouvrage en quatre volumes in-folio est divisé en autant 
de parties. La dernière fut revue et publiée par le P. Charles Joseph Imbonati, con- 
frère du P. Bartolocci. La mention du Zikuk seu Sépher Zikuk se trouve dans la se- 


conde partie, pag, 8120. — Sur le P. Jules Bartolocci et sa Bibliotheca on peut voir 
HURTER dans son Nomenclator, 11. 468. Inspruck 1893. 


138 DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 


rium Librorum Hebraeorum, quo corriguntur et expurgantur 
supra quadringentos et octoginta libros. (:ompositum fuit (ut 
creditur) a quodam KR. Patre Ord. Cappuccinorum, in Mantua- 
na civitate, anno Domini 1596, prima Julii ». Dans l’autre 
catalogue plus détaillé, écrit dix ans après le précédent, Barto- 
locci insère la même indication du Zikuk, mais avec une petite 
addition très intéressante : uf creditur et ego audivi. Donc rien 
dans le manuscrit ne révèle son auteur. Pourquoi alors fut-il 
attribué à un Capucin néophyte ? — La cause de cette attribu- 
tion, je crois pouvoir l’affirmer, est tout simplement la présence 
dans la Bibliothèque Barberini du manuscrit du P. René de 
Modène, lequel, comme on l’a vu, porte un titre à peu près 
identique : Index vanitatum multarum expurgandarum in 
libris Hebraeorum. Et ce qui me confirme dans cette conclu- 
sion c'est que Bartolocci, dans son premier catalogue, avait 
écrit « compositum fuit in Mufinensi civitate ». Une autre main 
que la sienne a rétabli en surcharge Mantuana. Faute d’a- 
voir sous les yeux le manuscrit du P. René en même temps que 
l’autre, on avait identifié les deux ouvrages, qui cependant sont 
très différents ; on avait fait du manuscrit Barberini une copie 
de celui de la Vaticane, alors qu'il est un travail nouveau et 
indépendant de l’autre. C’est précisément en recherchant cette 
copie dans le catalogue des manuscrits orientaux de la Barberini 
que j'ai rencontré l’Zndex du P. René de Modène. 

Une autre question se pose encore au sujet du Sèpher Zikük: 
a-t-il été traduit, comme l’annonçait le Catalogue des Assemani ? 
— Quand ils l’imprimaient.,ils disaient que la traduction, non pas 
en latin, comme aurait voulu le Cardinal Passionei, mais en 
italien, avait été entreprise par leur très cher Joseph Antoine 
Costanzi, professeur d’hébreu au Collège de la Propagande, 
écrivain (scriptor) pour cette langue à la Vaticane et interprète 
du Saint Office. Si son travail est achevé, ajoutaient-ils, quand 
nous arriverons à la fin de ce volume, nous le traduirons en la- 
tin et nous le publierons en appendice. Comme il ne s’y trouve 
pas, il faut en conclure que Costanzi n'avait pas terminé sa tra- 
duction. Je crois même qu'elle ne fut jamais finie, car c’est 
inutilement que j'ai cherché cet ouvrage. Par contre, j’en ai ren- 
contré un autre de cet auteur, qui lui aussi était un Rabbin 
converti ; encore un, dira peut-être M. Cammeo? Le fait n’est 
pourtant pas aussi rare qu’il semble le supposer ; il n’a qu’à ou- 
vrir la Büibliotheca Rabbinica de Bartolocci et 1l en trouvera un 


DE LA SYNAGOGUE AU COUVENT 139 


assez bon nombre (1). Revenons à Costanzi. Après avoir exercé 
pendant près de huit ans les fonctions de Rabbin à Spalato, en 
Dalmatie, il se convertit et fut baptisé en 1731, à Wurzbourg. 
De là il vint à Rome, où il publiait en 1749 un petit volume inti- 
tulé : La verita della Cristiana religione contro le vane lusinghe 
de’ modern: Ebrei, et c’est dans la Préface qu'il nous donne ce 
renseignement autobiographique. Pourquoi sa traduction du 
Liber expurgatorius n'a-t-elle pas été publiée ? — Je ne le sau- 
rais dire ; ce n’est cependant pas le temps qui lui manqua pour 
cela car, d’après une note manuscrite sur la marge du Catalogue 

imprimé de la Bibliothèque Casanate de Rome, Costanzi mou- 
_ rutau mois de juin 1786, âgé de plus de quatre-vingts ans. 

En voilà bien long sur un sujet peu intéressant pour beaucoup 
de lecteurs. Que l’on me pardonne en me permettant de résumer 
ces pages. — Le P. René de Modène, juif converti puis capucin, 
avait-il été Rabbin avant sa conversion ? — Aucun document 
absolument précis ne vient confirmer la narration de nos chro- 
niqueurs, mais tout ce que l’on sait de certain sur le P. René 
est plus que suffisant pour en tirer une conclusion affirmative. 
Quant à l’auteur du Sèêpher Zikük, rien ne prouve qu'il ait été 
capucin. Enlevons donc sa mention de la Bibliotheca Scripto- 
rum de Bernard de Bologne, pour donner place au P. René de 
Modène et à son Index expurgationum vanitatis Judaeorum. 


P. EpouaARD d'Alençon 
Archiviste Gén. des Fr. Min. Capucins. 


(1) La vie d’un de ces Rabbins convertis, Salomon Meir Ben Moses Navarra de 
Casale, appelé après sa conversion Prosper Roger, était en 1693 prête à être impri- 
mée, dit Bartolocci (IV Partie, pag. 527). Elle avait pour auteur le P. François Ma- 
rie,Capucin. Quel est ce P. François Marie ? — Il faut, je crois, y reconnaître le l’. 
François de Modène, auteur des Chroniques citées au commencement de ces pages. 
Bartolocci écrit que le manuscrit se trouvait à Reggio. Le P. François y était à 
cette époque, car il y mourut cette même année le 9 décembre. (CÉLBSTIN DE CADEL- 
s05co (Domobosco), Necrologium FF. Capuccinorum Prov. Lombardiae, Modène 


4859. 


LA RÈGLE PRIMITIVE 


DES FRÈRES MINEURS DE SAINT FRANÇOIS 


(1209) 


Que la Règle Primitive des Frères Mineurs oralement ap- 
prouvée par Innocent III soit contenue dans celle qu'on appelle 
la Regula Prima (1) de 1221, il ne peut y avoir, je crois, que 
peu de doute à l’admettre : 

1. La Regula Prima déclare, dans le prologue, qu’elle a été 
confirmée par Innocent I11.0r telle que se présente cette Regula 
Prima, ce serait bien impossible. Innocent 111 mourut en 1216, 
et nombre d'ordonnances de cette Règle sont visiblement attri- 
buables à une date postérieure. Cependant François n'aurait 
pas conservé ce prologue si la Règle Primitive n'avait pas été in- 
corporée dans la Regula Prima. 

2. Quiconque lit la Regula Prima est frappé du caractère de 
rapiécetage que présente son style : elle a été manifestement 
composée par accumulation, elle n’est pas homogène. 

Parfois, l’insertion denouveaux passages est brutalement faite 
v. g. au chapitre IT, ce qui regarde les biens des novices; ch. X. 
la défense portée aux frères de n'avoir ni puissance, ni domina- 
tion au milieu d'eux. Parfois 1l y des répétitions : le législateur 
reprend une première ordonnance avec une amphase croissante 
v. g. aux ch. et IIT et IX où il est indiqué que les frères pour- 
ront manger de tout ce qui leur est présenté. 

D'autre part, la différence de caractère et de style entre certains 
passages est très marquée. Le ton n'est plus le même. La voix de 
l'idéaliste alterne à certain moment avec celle du légiste, puis 
ailleurs avec celle du maître qui discute avec ceux qui doutent. 


(1) Opuscula. Quaracchi. p. 26-62. — Boehmer Analekten. 1904. in-8, p. 1-20.— 
Édition française du P. Ubald d'Alençon. p. 39-80. 


LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 741 


Comparez par exemple le ch. I ou le chap. XIV, ou le 
début du chap. IX avec le chap. XV et le chap.VIII. 
La différence n’est pas simplement la différence de sujet 
traité, c'est le ton qui est tout autre, et cette différence saute 
aux yeux, comme celle entre le soleil brillant et le jour gris. Il 
y a des passages qui reflètent la simplicité de l’apôtre aux pre- 
miers temps de son enthousiasme, ou son idéalisme non encore 
meurtri par l’expérience du monde : en ces passages vous trou- 
verez quelque chose de la sublime universalité de l'Évangile. 
D'autres sont manifestement écrits en vue des contingences ac- 
tuelles et ne rappellent plus l’ardeur et la ferveur joyeuse des 
premiers Jours. 

3. Ilest indubitable que ces textes qui reflètent la simplicité 
et l’idéalisme de la vie franciscaine primitive appartiennent à la 
Règle Primitive. Les autres furent écrits plus tard pour incor- 
porer soit des décrets capitulaires (v. gr. chap. VII, l’avertisse- 
ment contreles hypocrites tristes)soit desordres pontificaux (v. gr. 
chap. II, ce qui regarde les novices, et chap. V ce qui regarde 
ceux qui vagabondent sans obédience).Ou bien c’étaient de nou- 
velles décisions prises pour faire face à de nouvelles situations, 
comme le chap. XVI qui regarde les missions chez les infidèles, 
ou le chap. XVITI au sujet de la tenue des chapitres. 

Dans un chapitre, le chap. XXII, nous avons apparemment 
un résumé des admonitions de saint François à ses frères. 


* 
* * 


Au sujet de la Règle Primitive, Celano nous dit que François 
l’écrivit « pour lui-même et pour ses frères présents et à venir, 
simplement et en peu de paroles », et qu'il se servit surtout des 
paroles de l'Évangile, après la perfection duquel il aspirait uni- 
quement (I Celano, 32, éd. Édouard p. 33).Saint Bonaventure 
fait la même observation : « Il écrivit pour lui-même et ses frères 
une règle de vie, en paroles simples ; et comme il regardait 
l’'observance de | Évangile comme un inviolable fondement (de 
perfection), il y inséra quelques autres choses lui semblant né- 
cessaires à une uniformité de vie (Leg. May. III, 8, éd. Qua- 
racchi, 1898, in-12, p. 28). 

La Règle Primitive était donc brève, et consistait principale- 
ment en passages de l'Évangile, avec quelques ordonnances 
nécessaires à la vie commune de la fraternité. 


142 LA RÉGLE PRIMITIVE DES F, M. DE SAINT FRANÇOIS 


M. Sabatier (Vie de saint François, ch. III, p. 101 et suiv.) 
affirme que la Règle Primitive n’était rien autre chose que les 
passages de l'Évangile lus par François à ses premiers compa- 
gnons (il fait évidemment allusion à la lecture de l'Évangile 
dans l’église Saint-Nicolas (1), avec certains règlements concer- 
nant le travail manuel et les occupations des frères. Mais il 
détermine et limite ces passages insérés par François dans la 
Règle Primitive, et cette limitation ne concorde nullement avec 
les descriptions de Celano et de saint Bonaventure. 

Nous pouvons affirmer avec certitude que les caractères 
dominants de la vie primitive franciscaine, autant que nous les 
connaissons par l’histoire, avaientun écho dans la Règle Primitive 
et, pour la plupart, ils y trouvaient le fondement d’une formule 
évangélique. Et c’est précisément ce que nous rencontrons 
quand nous collectionnons ces passages de la Regula Prima 
qui portent l'empreinte manifeste de la simplicité primitive et de 
l'idéalisme franciscain. 

En outre, quiconque est au courant de la vieetdu caractère de 
François a le droit d'espérer que la Règle Primitive soit presque 
exclusivement une déclaration de principes plutôt qu’un code 
de règlements pratiques ou de constitutions. Du commencement 
à la fin François fut un idéaliste et un poète. Pour l'application 
pratique de son idéal, il attendait les circonstances ; il prenait 
une décision pratique seulement quand se dressait une situation 
qui réclamait ce règlement pratique ; et sa décision, il la formu- 
lait relativement à cette occasion. Îl ne paraissait jamais courir 
au-devant de cette occasion, 1l attendait que le besoin actuel 
réclamât la décision. C’est ainsi qu’il agit dans les différents 
stades de sa conversion, et nous trouvons le même procédé d’ac- 
tion dans le développement de sa vocation et de son apostolat. 


*k 
k * 


Les additions à la Règle primitive insérées dans la Regula 
Prima, nous pouvons donc les réunir en cinq catégories : 

1. [es ordonnances capitulaires. 

2. Les avertissements judiciaires ou prophétiques contre cer- 
tains dangers flagrants. 

3. Les décrets pontificaux. 


(1 Cf, P. Cuthbert Life of saint Francis. 1912, p. 54. 


LA RÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 143 

4. Tout ce qui concerne les ministres et les clercs pris séparé- 
ment des frères lais. 

5. Les passages qui supposent que les frères sont déjà répan- 
dus au loin dans le monde, celles où s’enchassent des expres- 
sions comme celles-ci : Universis fratribus, ou ubicumque sint 
(ou fuerint). 

Appuyés sur ces principes d’exégèse, nous pouvons mainte- 
nant donner une analyse de la Regula Prima en détail. On 
verra que le résultat diffère beaucoup de celui obtenu par Karl 
Müller (Die Anfänge des Minoritenordens, p.14-25). Cetauteur, 
à mon avis, a inséré dans la Règle Primitive des passages de la 
Regula Prima qui appartiennent à une date postérieure, et 


même des textes écrits seulement en 1221. 


ANALYSE DE LA REGULA PRIMA 


TEXTE 
Prologue 


In nomine Patris et 
Fil et Spiritus Sancti. 
Amen 


Haæc est vita quam 
Frater Franciscus pe- 
tt sibi concedi et con- 
firmari a domino papa 
Innocentio...…. Et ali 
Jratres teneantur fra- 
tri Francisco et ejus 
successoribus obedire. 


REMARQUES 


Primitif. 


Primitif, mais probablement inséré 
par le Pape. Celano parlant de la Rè- 
gle Primitive cite cette phrase de ce 
passage : « fratribus suis habitis et fu- 
turis » (I Cel. 32) Les Tres Soc. 52, 
disent : Les autres frères, suivant le 
précepte du Seigneur Pape, promettent 
en toute manière obéissance et révé- 
rence au bienheureux François ». M. 
Sabatier (De l'authent. de la lég. de 
S. Fr. p. 20, note) ne veut pas que ces 
paroles des Tres Soc. se rapportent à la 
Règle Primitive ; mais c'est simple- 
ment parce qu'elles vont contre sa 
théorie personnelle touchant la Rè- 
gle Primitive. — On affirme dans les 
Analecta Bolland. t. XIX, p. 129, que 
ce passage : Et alu fratres teneantur 


144 LA RÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 


Chapitre I 


Regula et vita 1sto- 
rum fratrum..... et vi- 
lam æternam posside- 
bit. 


Chapitre I] 


Si quis divina inspi- 
ratione..….recipiatur ab 
ets. 


Quod si fuerit fir- 
.mus accipere…. diligen- 
der exponat. 


REMARQUES 


est une interpolation dans la Regula 
Prima d'après la Règle de 1223. C'est 
une pure supposition. Il est plus pro- 
bable que ce passage fut transféré de 
la Reg. JT, dans la Reg. II. 


L'ensemble de ce chapitre est primi- 
tif. On y trouve une esquisse de la vie 
première des Frères. Mettez en regard 
v. gr. Matt. XIX, 29 : Si quis vult ve- 
nire ad me, et Tres Socu 45 : Solhicite 
etiam petebant ne mitterentur ad ter- 
ram ubi nati erant. etc. 


Primitif. Les mots : Si quis divina 
inspiratione sont tout à fait dans la 
manière de parler de saint François. 
Rapprochez-en l’idée de l’appel divin 
dans ses paroles à fr. Gilles (Vita B. 
Ægidu, éd. Lemmens p. 39). La 
phrase est employée dans la Forma 
vivendi donnée à sainte Claire (Opus- 
cula. Quaracchi, p. 75) et dans la Reg. 
IT, chap. XII. — Les mots benigne 
recipiatur ab eis sont aussi tout à fait 
de saint François. Cf. I Cel. 27-31 et 
Vita B. Ægidu, p. 39-40. 


Ce passage, tel qu'il est, ne peut 
avoir été écrit qu'après l'institution des 
Ministres Provinciaux en 1217 ; c'est 
probablement un règlement contre 
certains abus contemporains. François 
lui-même conseilla et assista Bernard 
de Quintavalle dans la disposition de 


LA RÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 145 


TEXTE 


Si vult et potest spiri- 
tualiter..... pauperibus 
studeat erogare. 


Caveant autem alu 
pauperes..……. 


Et cum reversus..…. si 
necesse fuerit, cingulum 
et braccas. 


Et omnes fratres vi- 
hbus...… in domibus re- 
gum Sunt. 


REMARQUES 


ses biens. Mais une expérience plus 
profonde en ce sujet, comme en d’au- 
tres, fit sans doute prendre à François 
un avis plus sévère. 


Certainement primitif. Dès le début 
François insista pour que les candidats 
distribuassent leurs biens aux pauvres. 
Probablement la phrase : Si vult et po- 
test spiritualter et sine impedimento 
fut insérée par le Pape comme mesure 
de prudenc. Cf. II Cel. 80 et 81, éd. 
Edouard, p. 231. 


Tel quel, ce passage est de date pos- 
térieure. Mais cette défense de recevoir 
une part quelconque des biens des no- 
vices fut en usage dès l'origine de la 
fraternité, comme ïl parait d’après 
I1 Celano, 67. Il est curieux que l’a- 
vertissement de ne pas se mêler du 
bien des novices soit donné deux fois 
et presque dans les mêmes termes. 
Très manifestement ce chapitre a été 
sujet à de fréquentes interpolations. 


De date postérieure. Les règlements 
concernant les novices sont postérieurs 
au 22 septembre 1220, bulle du pape 
Honorius III, Cum secundum (Bull. 
Franc. t. I, p. 6). La permission d’a- 
voir deux tuniques est contraire à la 
pratique primitive. Cf. Ï Celano, 39 : 
Sola tunica contenti erant. Cf. Spec. 
Perf. ch. 111 et Testam. S. Fr. 


Primitif. 


E. F, — XXIX. — 10 


146 LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 


Et licet dicantur hy- 
pocrilæ...… regno Cæ- 
lorum. 


Chapitre III 


Dicit Dominus : Hoc 
genus..…. quolibet die. 


Omnes fratres jeju- 
nent. secundum Evan- 
gelium. 


REMARQUES 


Douteux. Nous lisons dans Celano 
(I Cel. 46) qu'à une époque ancienne 
les frères étaient traités d’hypocrites. 
Cette admonition vise sans doute des 
cas similaires. 


D'origine capitulaire. Au commen- 
cement de l'Ordre les frères disaient le 
Pater noster et Adoramus te Christe 
…. au lieu de l'office liturgique. Cela- 
no et saint Bonaventure nous l’affir- 
ment (Celano 45, et Leg. Major ch. 
IV. n. 3). Celano donne comme raison 
que les frères ignoraient l'office : in 
simplicitate spiritus ambulantes adhuc 
ecclesiasticum  officium ignorabant. 
Saint Bonaventure dit qu’ils n'avaient 
pas les livres nécessaires : pro eo quod 
nondum ecclesiasticos libros habebant. 
Celano et saint Bonaventure, remar- 
quez-le, parlent du temps qui suivit 
l'approbation de la Règle. 

Les passages qui permettent aux frè- 
res sachant lire, clercs ou lais, d’avoir 
des livres pour réciter l'office, ont pu 
difficilement être insérés sur l'initiative 
de saint François. Cf. IT Celano, 195 
et Spec. Perf. ch. 4. Probablement ces 
passages furent insérés à un chapitre 
général sur l'initiative des ministres. 


Douteux. Jourdain de Giano À nal. 
franc. t. I, p. 6) dit: Secundum pri- 
mam regulam fratres feria quarta et 
sexta jezunabant. Dès le commence- 
ment les frères devaient observer les 
carêmes ordinaires de l'Eglise, et pro- 


LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 147 


TEXTE 


Chapitre IV 


In nomine Domini 
omnes fratres etc. 


Chapitre V 


Ideoque animas ves- 
tras..….. sed male haben- 
tibus. 


REMARQUES 


bablement d’autres à leur dévotion. 
Le carême précédant Noël, tel qu'il 
est exprimé dans le texte, n’est qu’une 
extension du carême de l’Avent qui 
dans beaucoup d’endroits commence à 
la Saint-Martin et ailleurs le premier 
dimanche de l’Avent. C’est probable- 
ment la dévotion intense de saint Fran- 
çois pour le Dieu fait homme qui le 
poussa à allonger ce jeûne. De même 
sa dévotion à la vie terrestre de N. S. 
le pressa de commencer le grand ca- 
rême immédiatement après la fête de 
l'Épiphanie parce qu’à cette date l'É- 
glise célèbre entre autres mystères, le 
baptême de J.-C. et qu’immédiate- 
ment après son baptême, N. S. com- 
mença son jeûne dans le désert. Très 
probablement donc, ces jeûnes furent 
d’observance primitive, comme aussi 
la permission « de manger de tous les 
aliments présentés ». Mais le passage, 
tel qu'il est, était-il dans la Règle Pri- 
mitive, c’est douteux. Pourillustrer ce 
que rapporte Jourdain de Giano, il est 
utile de se rappeler que les Humiliés 
jeûnaïient les mercredis et les vendredis. 


D'origine postérieure, après l’éta- 
blissement des provinces en 1217. 


D'origine capitulaire. Après l'insti- 
tution des chapitres et des ministres. 


148 LA RÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 


Omnes fratres non 
habeant aliquam po- 
testatem...… voluntarie 
serviant et obediant in- 
vicem. Et hæc est vera 
et sancta obedientia D. 
N.J.cC. 


Et omnes fratres..…. 
benedicti sint a Domino. 


qhapitre VI 


Fratres in quibus- 


cumque locis..……. lavet 
pedes. 
Chapitre VII 
Omnes fratres..…. in 


eadem domo sunt. 


REMARQUES 


Primitif. Ce passage est de fond en 
comble l'opposé d’une décision lé- 
gislative, il respire l’idéalisme simple 
et évangélique de François. Cf. Tres 
Socii. 41 et suiv. 


Décret capitulaire en vue des trou- 
bles de 1220. Cf. bulle Cum secundum 
du 22 septembre 1220 et IT Celano 
32-34, éd. Edouard, p. 193-195. 


D'origine capitulaire, après l'insti- 
tution des ministres. Toutefois le 
passage : Nullus vocetur prior sed ge- 
neraliter omnes vocentur fratres mi- 
nores, peut être antérieur au reste. 
Honorius III dans la bulle Cum se- 
cundum, parle des ministres et les ap- 
pelle « prieurs ». Le passage : Nullus, 
etc. a pu être inséré dans la Règle au 
chapitre de 1221, à la suite de cet inci- 
dent. Toutefois Honorius I[I peut 
avoir employé son mot, ignorant une 
Règle qui n’était pas encore solennel- 
lement approuvée. 


Douteux. Celano raconte que c’est 
en entendant ces mots de la Règle : et 
sint minores lus à haute voix, que 
François s'écria « Je veux que cette 
fraternité s'appelle l’Ordre des Frères 
Mineurs » (1 Cel. 38). Si nous savions 
à quelle date les frères prirent le nom 


LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 


Et fratres qni sciunt 
laborare...…. sicut ali 
fratres. 


Et hceat eis habere 
ferramenta et instru- 
menta suis actibus ne- 
cessaria. 


Omnes fratres stu- 
deant bonis operibus.……. 
insistare debent. 


Caveant sibi fratres 
js benigne recipiatur. 


Et caveant sibi...… 
conventientes gratiosos. 


149 


REMARQUES 


de Frères Mineurs, nous aurions une 
base plus solide pour nous fixer sur ce 
passage. J’incline à penser qu'il fut in- 
séré très vite après l'approbation de la 
Règle, étant donnée la rapidité de l’ac- 
croissement du nombre des frères et 
leur diffusion dans le monde. 

Peut-être la rédaction du paragraphe 
du début a-t-elle été changée dans une 
révision postérieure de la Règle. Cela- 
no fait cette citation sous cette forme : 
Et sint minores et il y a dans le texte : 
sed sint minores. 


Primitif. Cf. Celano. 39-40 : Diebus 
proprüs qui noverant laborare, etc. 
Nullum officium exercere volebant de 
quo posset scandalum exoriri, etc. Cf. 
Testamentum S. Fr. : Et ego manibus 
meis laborabam, etc. Et Vita B. Æg:i- 
di. p. 42 et suiv. 


Douteux. D’après le style je pense 
que c’est une addition un peu posté- 
rieure. 


Postérieur. Probablement insérée 
par Césaire de Spire en 1221. Les cita. 
tions sont tirées de saint Jérôme et de 
saint Anselme. 


Postérieur. Tel quel, ce paragraphe 
est d’une date postérieure, contempo- 
raine du moment où les frèresavaient 
pris des loci et des ermitages. 


Capitulaire. Cf. Celano, 128, éd. 
Edouard, p. 267. 


150 LA RÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 
Chapitre VIII 


Dominus  praecipit 
ds circumeant. 


Chapitre IX 


Omnes fratres stu- 
deant..…. vadant pro 
eleemosynis. 


Et non verecunden- 
14 71 QÉPNEPER praemium a 
Domino. 


Et secure... non ha- 
bet legem. 


Chapitre X 


Si quis fratrum etc. 


Chapitre XI 


Et omnes fratres.…. 
seryi inutiles sumus. 


REMARQUES 


Postérieur. Évidemment ce stvle 
d'admonition est employé en vue de 
certains dangers ou abus. 


Primitif. Cf. Spec. Perf. éd. Sa- 
batier, ch. 44, éd. Lemmens n° 12. 


Postérieur. Originairement ce fut 
probablement une admonition aux frè- 
res. Cf. Spec. Perf. éd. Sabatier, ch. 
18; Lemmens.De legenda veteri in Do- 
cum. Antiqua fasc. II. p. 94. Epistola 
I. in Opuscula. Quaracchi p.91: Homi- 
nes enim Omnia perdunt, etc. 


Postérieur. Le passage relatif à l’u- 
sage des aliments : Et quandocumque 
necessitas supervenerit, etc. est proba- 
blement un décret capitulaire de 1221, 
en réponseaux innovations des Vicaires 
Généraux durant le séjour de François 
en Orient. Cf. Chonica Jordani. n° 11 
(Anal. franc. t. Ï, p. 4). 


Postérieur. Je juge ainsi d’après le 
style (vg. : Ubicumque fuerit..….) Il y 
a un résumé de ce chapitre dans II 
Celano. 175, éd. Edouard, p. 300). 


Primitif. Ce texte met en relief une 
des marques les plus caractéristiques 


LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 151 


TEXTE 


Et non irascantur 
etc. 


Chapitre XII 


Omnes fratres etc. 


REMARQUES 


des premiers frères : leur crainte des 
paroles inutiles et non charitables. Cf. 
Tres Soc. 46 et passim — I Celano, 
41,54. — IT Celano, 182 où il y a une 
comparaison évidente entre l’époque 
primitive et la postérieure. 


Douteux. À cause de l'insertion des 
textes scripturaires tirés surtout des 
épîtres, je doute que ce passage puisse 
être attribué à saint François. Plus 
probablement c’est l’œuvre de Césaire 
de Spire. Cf. Chron. Jordani. n° 15 
(Anal. franc. t. I, p.5) 


Postérieur. Ce chapitre envisage la 
présence des prêtres parmi les frères. 
Orilest douteux qu'il y eut un seul 
prêtre parmi ceux qui allèrent à Rome 
avec François. De plus saint François 
lui-même reçut les vœux de Claire et 
d'Agnès en 1212, puis la recluse Pra- 
xède, (Celano Tr. de mir. 181). Ce cha- 
pitre doit donc être d'époque posté- 
rieure. 

J'incline à considérer ce chapitre 
comme écrit en 1221, à cause des abus 
de Jean de Compello (1) et autres. Cf. 
Chron. Jordani. n° 13 (Anal. fran- 
ciscana, t. Î, p. 5) Peut-être cependant 
le premier paragraphe fut écrit avant 
1221. L'extorsion des serments de fidé- 
lité était une pratique très courante au 
XIIIe siècle. Les maîtres obligeaient 


(1) Cf. Cuthbert Lifeof saint Francis. 1912. p.248 
note3. 


152 LA RÈGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 


Chapitre XIII 


Si quis, etc. 


Chapitre XIV 


Quando fratres etc. 


Chapitre XV 


Injungoomnibus etc. 


Chapitre XVI 


Dicit Dominus, etc. 


Chapitre XVII 


Nullus fratrum etc. 


Chapitre XVIII 


Quolibet anno etc. 


Chapitre XIX 


Omnes fratres sint 
catholici etc. 


REMARQUES 


ainsi leurs disciples à les suivre. Cf. 
Rashdall Universities, t. 1, p. 172. 


Postérieur (Remarquez habitu or- 
dinis). 


Primitif. Cf. 1 Celano, 17 et Tres 
Soc. 44. 


Postérieur (Remarquez : tam cleri- 
cis quam laicis). 


Postérieur. Ecrit en vue des mis- 
sions étrangères, probablement en 
1219 OU 1221. 


Postérieur. Après l'institution des 
ministres. Probablement de 1220. 


Postérieur, après l'institution des 
chapitres. 


Primitif. La phrase : a nostra fra- 
ternitate indique une très ancienne 
origine. — L’admonition suivante par 
rapport au clergé est aussi probable- 
ment primitive. Cf. Ï Celano, 46, et 
T'estamentum S. Fr. 


LA RÈÉGLE PRIMITIVE DES F. M. DE SAINT FRANÇOIS 


TEXTE 
Chapitre XX 


Fratres mei « bene- 
dicti » etc. 


Chapitre XXI 


Et hanc vel talem ex- 
hortationem etc. 


Chapitre XXII 


Attendamus. etc. 


Chapitre XXIII 


Omnipotens… detes- 
tabilis est in sæcula sæ- 
culorum. 


In nomine Domini 
rogo omnes fratres..… 
et reponant hæc. 


Et ex parte Dei... 
Jratres habeant. 


Gloria Patri etc. 


Traduction française du 
P. UB. d'Alençon. 


153 


REMARQUES 


Postérieur. Cf. Epistola III dans 
les Opuscula. Quaracchi, p. 108. 


Primitif. Cf. Vita B. Ægidü. p. 41. 
et Tres Soc. 33. 


Postérieur. Cf. Epistola I, dans les 
Opuscula, p. 89 et 94 où il y a de sem- 
blables exhortations. 


Postérieur ( « Fratres minores » } 
Ce chapitre et le précédent ont peut- 
être été achevés par Césaire de Spire. 


Probablement primitif. Comparez 
avec la terminaison finale du T'esta- 
ment. 


Postérieur. Probablement de 1221. 
Cf. Spec. Perf. éd. Sabatier, ch. 68 : 
Et ideo volo quod non nominetis mi- 
hi aliquam regulam, etc. 


Probablement primitif. 


P. CUTHBERT. 
O. S. F. C. 


LES FRANCISCAINS DANS LE 
GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 


Nous devons cet intéressant aperçu de l’histoire des Francis- 
cains dans le Grand Duché à Monsieur Prüm, le grand leader 
catholique luxembourgeois dont la parole s’est fait entendre si 
souvent et avec quelle autorité pour la défense de la foi. Mon- 
sieur Prüm venait de voir achever sous ses yeux la belle 
église de son joli vallon de Clairvaux et il avait raison d’en être 
fier, de se réjouir à la pensée qu’elle attirerait plus que jamais 
Jes fidèles dans son enceinte, lui qui s’y était intéressé de tou- 
tes façons. L'idée lui vint que cette foule pieuse ignorait beau- 
coup de choses concernant les rites, la liturgie, les symboles du 
culte, les images, en un mot sur tout ce qui se rattache à la 
religion pratiquée. Les chrétiens de nos jours sont lamentable- 
ment ignorants de ce qui touche à l’Église. Si l'influence de 
Dom Guéranger commence à se faire sentir, elle n’a encore 
atteint qu’une élite. La masse continue à végéter spirituellement 
dans une petite routine pleine de bonne volonté, mais aussi 
pleine d’incompréhension du vrai culte catholique. 

Monsieur Prüm a voulu tout modestement faire la monogra- 
phie de ce beau temple de Clairvaux, expliquer ses ornements, 
ses autels, les rites de ses cérémonies, afin d'initier ses compa- 
triotes à une plus juste notion de l'esprit de l'Eglise. 

Ce but de charité nous vaut l’histoire la plus intéressante de 
la piéte luxembourgeoise. 

Sous ce simple titre : La nouvelle église paroissiale de Clair- 
vaux, l’auteur nous donne bien plus qu’une monographie, com- 
me il l'annonce, et son livre est un modèle que l’on devrait imi- 
ter dans toutes les provinces des pays catholiques ; écrire l’his- 
toire d’une église, la décrire, expliquer ses traditions, raconter 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 155 


ses dévotions, ce serait une œuvre bienfaisante entre toutes, car 
elle rattacherait les paroissiens à leur paroisse. Elle montrerait 
les liens qui ont uni à ces murs les générations disparues et les 
petits enfants, de ces pieux ancêtres, recommenceraient à aimer 
ce sanctuaire qui ne leur serait plus étranger. 

Je voudrais traduire tout l'ouvrage pour les lecteurs des Étu- 
des, afin de leur faire voir le parti tiré par l’auteur de ce sujet 
qu'on pourrait croire tout d'abord assez restreint, mais ce serait 
trop long et je me bornerai à donner ici les passages consacrés à 
l'histoire franciscaine. 

Après avoir synthétisé en quelques pages fortement pensées la 
vie de saint François, son esprit, son influence, sa règle et les 
ordres qu’il a fondés, l’auteur esquisse ainsi l’histoire des fran- 
ciscains dans sa patrie. Nous traduisons ces pages, tout entières, 
elles sont trop intéressantes pour y rien retrancher : 

— D'après une tradition bien établie, le couvent franciscain 
de Luxembourg fut fondé du vivant même de saint François. (1) 

Le pasteur Grob, dans son ouvrage si documenté sur les 
Frères-Mineurs dans le Luxembourg et le Comté de Chiny (2) 
appuie l'opinion qui affirme que les premiers franciscains ne 
sont venus à Luxembourg que vingt à vingt-cinq ans après la 
mort de leur fondateur. 

En 1249 se tint à Metz un chapitre général. Jusque là, les cha- 
pitres généraux s'étaient rassemblés en Italie. Le célèbre chapi- 
tre des Nattes, (Assise 1221) prouva une telle extension de 
l’ordre que les supérieurs des provinces (éloignées) ne pouvaient 
prendre part à ces réunions comme :il l’eût fallu. D’après le 
Révérend Grob, le chapitre général tenu à Metz par le Ministre 
général Jean de Parme, donna occasion aux moines de visiter 
la petite ville voisine de Luxembourg, alors très florissante. La 
bourgeoisie de cette cité ayant souhaité posséder des fils de saint 
François, il en résulta la fondation de Luxembourg entre 1255 
et 1257. 

Mais les anciens historiens, notamment Bertholet affirment 
que cette fondation est due à l'archevêque de Trèves, Dietrich, 
au comte Walram et à la comtesse Ermesinde de Luxembourg. 
Grob peut avoir raison lorsqu'il dit que l'installation des francis- 
cains fut surtout l’œuvre de la bourgeoisie de la cité. Les 


(1) Voyez Bertholet, Bertels, Wilhelm et Alexander Wiltheim., Pierret. etc. 
lesquels fixent cette fondation à l’an 1222 ou 1223. 
(2) Publication de la section historique de l’Institut. Vol. 54-56. 


156 LES FRANCISCAINS 


franciscains, au cours des siècles, furent toujours très aimés du 
peuple Luxembourgeois. Le couvent des franciscains était le 
couvent de la bourgeoisie. C’est là que se tenaient les réunions 
de toutes les corporations des métiers, à l'exception des boulan- 
gers qui avaient leurs assemblées dans le parloir des francis- 
caines du Saint-Esprit. (Aujourd’hui la caserne) 

Lorsque, en 1280, la bourgeoisie se révolta contre la comtesse 
Béatrix et son fils Henry, les rebelles se retranchèrent dans le 
couvent des franciscains et ce fut dans le même lieu que se con- 
clut la paix entre les deux parties. 

Les antiques abbayes des Bénédictins et des Cisterciens dont 
l'existence s’illustrait toujours de puissants bienfaiteurs, rois 
Mérovingiens, Maires du palais, empereurs, princes, gardaient 
tous une empreinte féodale qui les maintenait au-dessus de 
la plèbe. | 

Les Franciscains eux, allaient au peuple. À cause de la corde 
à trois nœuds, qui les ceignait, en l’honneur de la Sainte Tri- 
nité, les bonnes gens les appelaient Cordeliers. 

A Luxembourg ils étaient si populaires qu'on les regardait 
comme une propriété personnelle. Lors de l'incendie formidable 
de la ville en 1554, alors qu’une partie de la Cité devenait la 
proie des flammes, le couvent des Franciscains eut beaucoup à 
souffrir. Les munitions de guerre de la garnison se trouvaient 
conservées dans des magasins situés sous le toit de leur église. 
Ces magasins firent explosion, détruisant de fond en comble le 
monastère. Toute la population voulut prendre part à sa réédifi- 
cation, qui se fit rapidement. Cent ans plus tard, en 1661, il 
fallut encore rebâtir le couvent et le même empressement se ma- 
nifesta pour aider les Pères dans cette entreprise. L'église et le 
couvent des Franciscains se trouvaient à la place bien connue 
actuellement et baptisée par le peuple : jardin des Cordeliers, 
mais qui prit le nom de place GuillaumeÏ1, depuis qu’on y plaça 
la statue équestre de ce prince. 

L'influence des Franciscains ne resta pas confinée dans les li- 
mites de la capitale, elle s’étendit dans tout le pays. Les rapports 
entre le peuple et le clergé étaient autrefois bien différents de ce 
qu'ils sont maintenant. Le clergé séculier ne recevait pas alors, 
comme aujourd'hui, une formation uniforme, tous n'avaient 
pas le même droit aux différents grades hiérarchiques ainsi qu’il 
en est maintenant depuis le concordat napoléonien. Le clergé 
se partageait en haut et bas clergé. En principe on exigeait que 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 157 


le Curé reçût le doctorat en théologie, et on maintint assez stric- 
tement cette obligation. Les ecclésiastiques inférieurs, vicaires 
ou prêtres habitués qui, bien rarement ou même jamais, ne pou- 
vaient prétendre à une cure,ne possédaient qu’uneinstruction lit- 
téraire ou scientifique très sommaire. Ils consacraient leur temps 
à l’église ou à l’école. Cette organisation offrait quelques avanta- 
ges. La population n’était pas très dense avant les catastrophes 
du XVII: siècle. Certains villages, qui maintenant comptent 
plusieurs milliers d'habitants, n’avaient alors que quelques mai- 
sons et pouvaient avec peine se procurer un prêtre et un maître 
d'école, faute de ressources pour les payer. On donnait dans ce 
cas à ces villages un membre du bas clergé qui devenait en mèê- 
me temps maître d'école. Ce système ne fut pas employé seule- 
ment dans les petits villages, on vit des bourgs comme Clair- 
vaux, jusqu’à la fin du XVIII: siècle, confier leur école au des- 
servant de Freiheitscapelle. Dans la paroisse de Beszlingen, 
par exemple, paroisse très considérable, le curé avait sept cha- 
pelains qui allaient dire la messe et faire l’école aux villages 
dépendant de la paroisse. 

Cet arrangement réservait ainsi la responsabilité de la direc- 
tion et du soin des âmes dans les grandes cures, à des hommes 
de mérite et de haute culture et ceux-ci recevaient ainsi dans l’âge 
le plus favorable ces postes élevés, alors qu'ils étaient encore 
dans la vigueur de la jeunesse, sans avoir dû passer la majeure 
partie de leur vie à végéter dans des postes subalternes, où leurs 
facultés n'avaient pas occasion de se développer. Cette disposi- 
tion, si différente de celle du concordat, avait ses ombres. 

Le bas clergé, par son manque d'instruction, ne pouvait don- 
ner des prédicateurs suffisants et on n'octroyait le pouvoir de 
prêcher qu'aux prêtres pourvus du titre de docteur. 

Les autres clercs pouvaient enseigner le catéchisme cependant. 
Beaucoup de ces prêtresdesservantsn'avaientniles pouvoirs ni la 
science nécessaire du confesseur. De là, nécessité absolue, plus 
pressante encore qu'aujourd'hui, de se faire aider par les reli- 
gieux. On y appela surtout les ordres mendiants : Franciscains, 
Dominicains et Carmes ; ils suppléaient les pasteurs au con- 
fessionnal et dans la chaire. Cette nécessité de se faire aider 
devint plus impérieuse au XVI: siècle, après la scission de la 
Réforme, alors qu’il fallait travailler à relever et consolider la foi 
catholique. On reconnut partout qu’un soin des âmes plus 
intensif s’imposait et l’on vit dans presque toute l'Europe l'in- 


158 LES FRANCISCAINS 


fluence des Franciscains et surtout des Capucins grandir, dépas- 
sant de beaucoup celle des antiques abbayes de Bénédictins et 
de Cisterciens, en certains lieux comme Malmédy, Stavelot et 
d’autres. 

Suivant à la lettre le précepte de leur saint fondateur, les 
Franciscains pratiquaient l’absolue pauvreté, ne voulant pas 
accepter d'argent des pasteurs auxquels ils prêtaient leur con- 
cours. On voyait les frères quêteurs, leur sac sur l'épaule ou 
poussant devant eux un âne dont les paniers se remplissaient 
des dons du voisinage. Avec les débris de pain et les graines, 
ils fabriquaient au couvent une bière fortifiante pour la com- 
munauté. 

On voit encore de ces petites brasseries dans les anciens cou- 
vents, notamment à Ulflingen. Ces tournées du frère quêteur ne 
se faisaient pas au hasard ou par caprice, mais elles étaient dési- 
gnées et convenues entre les autorités séculières et régulières, 
selon les saisons et la contrée. Le frère arrivait ainsi dans les 
villages aux mêmes époques et visitait certaines maisons dont il 
était l'hôte bienvenu. Ainsi, des relations s’établissaient entre 
les Franciscains et nombre de familles ; par elles, leur influence 
gagnaïit tout le peuple. 


La réforme des cloîitres franciscains dans le Luxembourg 
de 1569 et de 1640. 


Si les Cordeliers du Luxembourg avaient conquis la faveur 
populaire et en recevaient tant de consolations, il n'en fut 
pas de même sous les princes de la maison de Bourgogne et 
d’Espagne, ils éprouvèrent alors de douloureux ennuis. On 
s'étonne de les voir tomber dans une telle disgrâce de la 
part des souverains espagnols, si zélés pour les intérêts ca- 
tholiques. Comment la pieuse fille de Philippe IT, qui revétit 
sur le trône même la pauvre livrée de saint François, qui favo- 
risa les fondations de son Ordre partout où elle le pouvait, trai- 
ta-t-elle si durement les Franciscains du Luxembourg ? 

En voici la raison : ces religieux depuis leur fondation, 
avaient fait partie de la province franciscaine de Cologne et 
plusieurs fois s'étaient trouvés en certains moments sous l’auto- 
rité de l'archevêque de Trêves. Arriva l’heure funeste où tous 
les pays de langue allemande se virent infectés des nouveautés 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 159 


protestantes. Les parties du pays, restées catholiques, n’échap- 
pèrent pas à l'atmosphère délétère qui s’y infiltrait. Toutefois 
les Supérieurs de la province de Cologne gardèrent une fidélité 
parfaite à la foi. Les rois d'Espagne n’en virent pas moins avec 
défiance des religieux venant d'Allemagne, prêcher dans leurs 
domaines, car l'Allemagne était à leurs yeuxledanger permanent; 
on avait toujours à craindre la contamination del’hérésie et com- 
ment se préserver de toute erreur, quel moyen employer pour 
être certain de la parfaite orthodoxie de tous les prédicateurs Ÿ 

En outre, les relations entre le gouvernement des Pays-Bas 
espagnols, l’Électeur de Cologne et l’Archevêque de Trêves de- 
meuraient toujours tendues. Les rois d'Espagne avaient obtenu 
du Saint-Siège la création de nouveaux évèchés, afin de garder 
mieux les populations dans la foi catholique. Le duché de Lu- 
xembourg, en effet, était jusque là sous la crosse de six évêques 
étrangers. Cette situation devait être naturellement très défavo- 
rable au bien des âmes et les rapports entre peuples et pasteurs 
subissaient de fâcheux accrocs. Les rois d’Espagne s’efforcèrent 
avec un zèle pieux de faire agréer par le Pape la formation du 
Luxembourg en un seul évêché. Cet évêché devait comprendre 
tout le duché avec le comté de Chiny, c'est-à-dire ce qui est 
maintenant partagé et forme les Luxembourg belge, français, 
lorrain et prussien, outre le Grand duché. 

L'électeur, les Princes ecclésiastiques, l’Archevêque de Trêves 
firent tous leurs efforts pour empêcher ce projet de réussir. 

Comme les franciscains du Luxembourg appartenaient pour 
la plupart à l’archevêché de Trêves et que très souvent les affai- 
res ecclésiastiques du duché furent réglées par l’Archevêque ou 
sous son influence, il en résulta que la cour de Bruxelles et le 
gouverneur espagnoldu Luxembourgeurenttoujours unecertaine 
méfiance vis-à-vis des franciscains. Une autre circonstance aug- 
menta ce sentiment. Les franciscains de la province de Cologne 
s'étaient grandement éloignés de la sévérité primitive de leur 
règle. Le couvent des Cordeliers de Luxembourg, au cours des 
siècles, avait accepté des fondations, bien opposées à la pauvreté 
de saint François. 

D'autres abus avaient nécessité de la part du gouvernement 
une dénonciation à Rome.Quoiqu'ils fussent réels, la plainte n’eut 
pas de suite. On chercha alors un autre moyen. On n'’oserait 
affirmer que ce zèle pour le bon ordre fût pur de toute politique. 
Ce que voulaient les Souverains, c'était d'empêcher une sépara- 


160 LES FRANCISCAINS 


tion dans le Luxembourg, entre les deux parties du peuple par- 
lant des langues différentes; il fallait consolider la puissance espa- 
gnole en resserrant les liens qui l’unissaient à ses peuples. On 
s’efforça donc de soustraire les populations à toute influence 
religieuse étrangère, celle de Rome exceptée. Cette politique 
était très justifiée et ne formait qu'un tout avec les intérêts catho- 
liques, qui étaient ceux de la royauté espagnole aux Pays-Bas 
où elle incarnait, pour ainsi dire, l’Église catholique. 

On sait qu'au temps de la gue rrede trente ans, le plus ferme 
appui de l'Église se trouvait bien plus à Bruxelles qu’à Vienne 
ou à Madrid. 

Concernant l’ordre franciscain, il fallait restreindre son influ- 
ence dans les limites du pays et obliger les Cordeliers à la stricte 
observance, en les soustrayant à la direction de Cologne et de 
Trèves; il fallait en faire une province belge. 

En 1522, le gouvernement avait déjà avisé le chapitre de Ca- 
rignan de la défense qu'il faisait aux religieux de s'occuper 
d’apostolat dans le comté de Chiny. Les franciscains Liégeois 
missionnaient dans la partie Luxembourgeoise du diocèse de 
Liège et ceux d’Aix-la-Chapelle avaient la partie de langue 
allemande. Le pays de Liège, on le sait, n’appartenait pas à 
la Belgique, mais formait, dans les Pays-Bas, une ‘principauté 
indépendante. 

Le conseil d’État du Luxembourg, par une ordonnance du 19 
novembre 1541, défendait aux doyens de Bastogne et de Sta- 
velot, d'employer dans leurs paroisses, les franciscains de Liège 
et d’Aix-la-Chapelle. En même temps qu'ils fermaient leurs fron- 
tières aux moines étrangers, les gouverneurs des Pays-Bas 
crurent nécessaire de provoquer une réforme dans les couvents 
de leur ressort ; on favorisa partout les nouvelles fondations. A 
la demande de Philippe II, le Pape Pie V,par un Mofu proprio 
du 2 novembre 1567 nommait le Père Angelo d'Aversa commis- 
saire général des Frères-Mineurs pour les Pays-Bas espagnols, 
avec charge de remettre tous les couvents de son ordre dans la 
stricte observance. Le Père Angelo choisit le Père Julien Du- 
chesne comme provincial de la Province de Flandre, dans 
laquelle il incorpora tous les couvents de Belgique et du Lu- 
xembourg. 

Le Père Angelo d’Aversa arriva à Luxembourg en 1569 pour 
y promouvoir la réforme. Le couvent fut détaché de la province 
de Cologne et réuni à la province de Flandre. La règle primi- 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 161 


tive avec la stricte observance de la pauvreté franciscaine fut 
imposée. Toutes les fondations, rentes et autres revenus furent 
vendus. On distribua les sommes amassées pour des bonnes 
œuvres, telles quel’agrandisseinent et l’embellissement de l’église, 
etc. Une très grosse difficulté restait à solutionner. Pour arriver 
à opérer une réforme aussi radicale, il fallait renvoyer la plus 
grande partie des moines allemands dans la province de Colo- 
gne et les remplacer par des religieux belges habitués à la stricte 
observance. Mais dans les Pays-Bas,hormis le Luxembourg et la 
Gueldre on ne parlait pas allemand. On ne pouvait rien tirer de 
la Gueldre que les guerres incessantes de ce siècle maintenaïent 
dans un état de trouble et de misère perpétuel et qui perdait 
beaucoup au point de vue de la foi. Il est vrai que le roi d’Espa- 
gne s’efforçait de relever le sentiment religieux et plus tard, à 
l'exemple de Luxembourg, voulut faire de Revelaer un centre 
d’ardente piété. Faute de pouvoir trouver assez de religieux 
franciscains de langue allemande, et les moines de Luxembourg 
ne pouvant être remplacés, on dut laisser les anciens se réformer 
eux-mêmes, ce qui se fit avec beaucoup d’indolence et bientôt on 
reconnut la nécessité d’une seconde réforme. 

En 1649, le Père Marchant d’Ansembourg, de la famille des 
Comtes d’Ansembourg (1) entreprit la réforme des Récollets des 
Pays-Bas espagnols. 

Les Récollets (recolletti) venaient d’Italie. Dans ce pays ils 
avaient toujours formé la milice de la stricte observance. Une 
branche de cet ordre s'établit en 1487 en Espagne par l'interven- 
tion du Père Jean de Puebla où elle eut un grand succès apos- 
tolique. La réforme instaurée alors en Espagne, essayée aux 
XVI: et XVII: siècles, fut définitivement imposée par le Père 
Marchant dans toute la Belgique et le Luxembourg. Aidés de 
la population et du gouvernement, les Franciscains de la stricte 
observance s’installèrent à Bastogne en 1621, à Durbuy en 1629, 
pays de langue française. L'infante Isabelle souhaitait ardem- 
ment que les mêmes fondations se fissent dans le Luxembourg 
allemand, là où la réforme des Cordeliers de Luxembourg n'avait 
pas été satisfaisante. 

Pour remplir le vœu de la Souveraine, le gouverneur du du- 
<hé, comte Florent de Berlaymont-Lalaing appela les Capucins 


(1) La famille Marchant était originaire de Couvin. Le Père Marchant naquit à 
Couvin dont son frère fut depuis curé doyen. Cette famille en s'établissant dans 
de Luxembourg fut la tige des comtes d’Ansembourg. 


E. F., — XXIX. — 11 


162 LES FRANCISCAINS 


dans la partie sud de la province, là où se poursuivait le plus 
âpre combat contre les erreurs de Luther. 

Grâce au comte de Berlaymont et à la générosité des Barons 
de Sales, le couvent des Capucins de Luxembourg fut fondé en 
1621. En 1650 on consacrait leur église et ce fut cette église 
dont on fit un théâtre à la Révolution française ; à sa place s’é- 
lève maintenant le théâtre de la ville. 

En cette même année de 1621 les Capucins vinrent essaimer 
à Arlon. Déjà en 1617 ils étaient arrivés à Morville. En 1625 ce 
fut le comte Jean de Wiltz, gouverneur de Diedenhofen qui les 
appela dans cette ville où il leur bâtissait un couvent. Leur 
église était consacrée dès 1629 par l’évêque suffragant de Metz 
et, le lendemain, on y faisait les obsèques de la femme du dona- 
teur, la Comtesse de Wiltz, qui fut enterrée dans l’église comme 
bienfaitrice de l’ordre. 

Toutes ces fondations étaient encouragées par la Souveraine, 
l'Infante Isabelle, qui voulait que la partie nord de ses états de 
langue allemande jouisse à son tour de la bénédiction des 
pieux fils de saint François. L'homme à qui la dévote princesse 
avait confié la réalisation de ce vœu était le comte Claude de 
Lannoy de la Motterie, seigneur de Clairvaux. 


Les Franciscains et leur bistoire à Clairvaux. 


Le fondateur du couvent des Franciscains d’Ulflingen est 
le Comte Godefroy II d’Eltz, seigneur de Clairvaux et sa femme 
Dorothée de Baville. Mais cette fondation fut continuée par son 
gendre et héritier universel, le Comte Claude de Lannoy de la 
Motterie, remplissant ainsi le vœu de sa Souveraine, l’Infante 
Isabelle. Le Comte Godefroid II d'Eltz jouissait déjà de la 
faveur des Cordeliers. 

En 1598, à l’occasion de l'entrée solennelle des Archiducs, il 
avait été choisi comme envoyé des États du duché de Luxem- 
bourg pour prêter le serment de fidélité à Bruxelles. (1) Depuis, 
il vint souvent à la couret sa fille fut admise au nombre des mé- 
nines de l’Infante. (2) Isabelle n'ayant pas d’enfants, regardaitses 
méninesappartenant aux plusgrandes familles du pays, commeses 


(1) Archives de Clairvaux. N° 2463. 
(2) Archives. 2466, 2467, 2503. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 163 


propres filles. Tout en cherchant à leur rendre le séjour auprès 
d’elle agréable, elle leur faisait donner une éducation soignée et 
veillait à leur avenir. Plus d'une, entre ces jeunes filles qu’édi- 
fiaient les grandes vertus de leur maîtresse, entrèrent en religion. 
D'autres étaient dotées à leur mariage par Isabelle. (est ainsi 
que, des filles du Comte de Clairvaux, l’aînée Madeleine, devint 
abbesse du monastère princier de Münsterbilsen, Marie, la se- 
conde, rejoignait sa sœur dans le même cloître où la troisième, 
y venait temporairement. Marguerite, la dernière, se mariaïit. 

En 1616, l’archiduchesse elle-même arrangeait le mariage de 
Claudia d’Eltz avec le Comte de la Motterie, veuf. (1) Claudia, 
sœur du Seigneur de Clairvaux devait être plus tard son 
héritière. 

Le Comte de la Motterie était une des personnalités les plus 
considérées des souverains et du pays. La correspondance éten- 
due qu'on a de lui et qui se trouve actuellement aux archives de 
Metz le prouve. Petit neveu du grand général de Charles-Quint, 
qui fit François Ie, prisonnier à Pavie, Claude de Lannoy, 
comme jeune officier, avait servi l’archiduc Albert, il fut à ses 
côtés en plus d’une bataille. Plus tard, il devint l’homme de 
confiance de l’Infante Isabelle qui l’employa non seulement 
comme homme de guerre, mais aussi comme diplomate, le fit 
gouverneur de la forteresse de Maestricht, puis gouverneur de la 
ville et province de Namur. 

Par les nombreux documents des Archives de Clairvaux, (2) 
nous vovons quelle protection constante l’Archiduchesse accor- 
dait aux couvents et aux religieux si éprouvés alors par les 
bouleversements de la guerre, et comment elle employait le 
Comte de Lannoy à les secourir. 

Le pieux Comte remplissait avec zèle cette mission, soit qu'il 
exécutât les ordres de sa Souveraine,soit qu'illui fit connaître les 
malheurs des couvents. Les marques si nombreuses de la recon- 
naissance des ordres religieux en font foi. Dans une lettre de 
Malines, en date du 24 octobre 1618, le capucin, frère Simon 
d’Audenaerde, déclare que le Comte de la Motterie et son épouse 
sont reconnus comme enfants spirituels de l’ordre. (3) Le 4 juir 
1621 le Père Bénédict de Gênes, général de l’ordre des Francis- 
Cains, reconnaît que le Comte et sa famille ont droit à une part 


(1) Poswick. Les Comtes de Lannoy Clairvaux. 
(2) Correspondance du Comte de lu Motterie. 
(3) Archives de Clairvaux 2720. 


164 LES FRANCISCAINS 


de toutes les prières et mérites de l’ordre. (1) De semblables dé- 
clarations sont faites par les Carmélites, (2) par le général de la 
Compagnie de Jésus, (3) par les Prémontrés (4) et d’autres. Ces 
nombreux documents sont intéressants au point de vue de la 
mission que le Comte de la Motterie avait reçue de l’Infante 
pour prendre les ordres religieux sous sa protection. Il remplit 
les vœux de cette princesse lorsqu'il installa les Franciscains ré- 
formés dans le Comté de Clairvaux, quand ce domaine lui revint 
par testament de son beau-frère Godefroid II d’Eltz, mort sans 
enfants. 

Des relations étroites ne cessèrent de régner entre le Comte 
de Lannoy et les fils de saint François. Nous trouvons un cou- 
sin du Seigneur de Clairvaux, le Père Joh. Eu. de Lannoy à 
Couvin, dans le couvent des Récollets réformés. (5) 

Les Souverains désiraient également la fondation de couvents 
franciscains dans la partie allemande des Ardennes luxembour- 
geoises, après avoir favorisé celles du pays français de Bastogne. 
Onregardaitcette expansion del’Ordre comme le meilleurmoyen 
de conserver intacte la foi des populations et de la préserver des 
influences étrangères. 

Le Comte Godefroid II d’'Eltz n'aurait guère pensé à intro- 
duire des Franciscains de la province de Belgique dans ses do- 
maines, sans les conseils de son beau-frère de Lannoy et de ses 
sœurs, les futures moniales de Münsterbilsen. Le Comte d’Eltz 
était un riche seigneur terrien, possédant de nombreux châteaux 
et domaines. Mais jusque là, ses relations avec les ordres reli- 
gieux s'étaient bornées à soutenir contre eux les nombreux 
procès intentés par son père, Godefroid [*,en particulier contre 
les Franciscains de Luxembourg. (6) 

Ce ne fut qu'après l'établissement définitif des Franciscains à 
Ufflingen que, dans ses dernières années, le Comte d’Eltz, sous 
l'influence de sa sœur et héritière et de son beau-frère, appela 
les religieux dans ses domaines. Il est intéressant de remarquer 
que la fondation d'Ulfiingen devait d’abord être faite à Clair- 
vaux et à la place qu'occupe actuellement le nouvel hôpital des 
Franciscaines. 


(1) Archives de Clairvaux 2752 


(2)  « « 2716, 2755. 
(3) « « 2707. 
(4) « « 2970. 


(5) Archives de la cathédrale. No 329 et 331. 
(6) Archives de Clairvaux 2553, 2622. Publ. Sect. hist. Article Grob. p. 143-231. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 165 


D'après un document des Archives de Clairvaux conservé à 
Metz on voit que frère Arnold Paludanus, provincial des Fran- 
ciscains, vint lui-même à Clairvaux pour choisir la place où de- 
vait se bâtir le couvent. On désigna d’abord un emplacement au 
lieu dit : sous le Dränkt. Plus tard le Comte Godefroid, chan- 
geant d'avis, retira cet emplacement pour donner celui de l’an- 
cienne chapelle du pèlerinage des Trois Saintes Vierges 
d'Ulflingen. L'emplacement d’abord désigné pour recevoir les fils 
de saint François à Clairvaux est devenu, trois cents ans après, 
l'asile de ses filles, les Franciscaines qui, à l’exemple de leur 
séraphique Père, y soignent les malades et y exercent toutes les 
œuvres de charité. 


Le couvent Franciscain d’Ulflingen. 


Dès les temps lointains, existait à Ulflingen une chapelle sous 
l’invocation des trois Vierges Fides, Spes et Charitas qui souf- 
frirent le martyr en 136 sous l’empereur Hadrien. Le ménologe 
grec les désigne sous les noms de Pistis, Elpis et Agape. Dans 
le martyrologe romain leur fête est fixée au premier août. 

L'histoire de ces martyres est peu certaine et l’on a même as- 
suré qu'elles n'étaient que des symboles des trois vertus théolo- 
gales, foi, espérance et charité. Cependant l’hypercritique est 
réfutée par la découverte des tombeaux des trois saintes dans les 
catacombes de Callixte. L'écrivain de ces pages les a contemplés 
lui-même dans cette catacombe. Les inscriptions des tombeaux 
affirment, comme en beaucoup d’autres cas, la véracité du mar- 
tyrologe romain. Il est vrai que les tombeaux des catacombes 
sont vides, mais ils n’en confirment que mieux les traditions an- 
ciennes, qui disent que le Pape Hadrien 1° leva les saints corps 
en 777 et en fit don à l’évêque Remy de Strasbourg qui les plaça 
dans l’église de l’abbaye d’Eschau, fondée par lui. 

On explique ainsi la dévotion aux trois vierges à Ulflingen. 
Le document le plus ancien concernant Ile pèlerinage, date 
de 1489. Il montre que cette chapelle était fort visitée, puis- 
qu'il existe une réclamation du vicaire général de Liége, deman- 
dant au receveur des dons, le compte des aumônes taites à la 
chapelle. 

Au cours des siècles, la chapelle devint la propriété des Sei- 
gneurs de Clairvaux qui la dotèrent. C’est ainsi que la comtesse 


166 LES FRANCISCAINS 


Marguerite de Brandenbourg née de Heu fit une fondation, le 12 
décembre 1548, pour entretenir un chapelain au sanctuaire. (1) 
En 1593 et en 1594 l'Evêque de Liège et le conseil d'Etat du 
Luxembourg prirent des dispositions à propos des aumônes 
faites à la chapelle. (2) Le conseil d’État, la même année, par 
un nouvel arrêté, confirmait lesdroits surla chapelle du Seigneur 
de Clairvaux que contestait le curé de Beszlingen. (3) Le 
14 juin 1597, le Prince-Évêque de Liège, Ernest, lançait une 
nouvelle ordonnance concernant la chapelle des trois Vierges. 
Ce fut donc près de cette chapelle que le comte Godefroid II de 
Clairvaux installaitun couventde Franciscainsde la stricte obser- 
vance. Le Pasteur Print (ons Hémecht) s’appuyantsurune notice 
provenant des archives paroissiales de Beszlingen, dit que le 
clergé séculier du pays, par suite de la foule énorme des pélerins 
à la chapelle des Trois Vierges, ne pouvant arriver à suffire aux 
exigences du service religieux, avait prié le Comte de Clairvaux 
d’appeler les Récollets à Ulflingen. Ceci paraît assez invraisem- 
blable. Le pasteur de Beszlingen avait sept chapelains et un au- 
mônier sous ses ordres et il ne semble pas possible qu'il eût fait 
une telle démarche à propos d’un pèlerinage situé dans sa pa- 
roisse, visité par tant de pèlerins, appartenant depuis des siècles 
au ressort de Liége et dépendant également du conseilde Luxem- 
bourg, tous deux ayant le contrôle sur les dons et aumônes qui 
affluaient à la chapelle. D'ailleurs cette notice ne date pas de la 
fondation du couvent, mais fut mise beaucoup plus tard dans les 
archives de la cure. Cette fondation du couvent n'aurait pas été 
possible alors si elle se fut trouvée en contradiction avec la poli- 
tique religieuse du gouvernement. Au milieu des contestations 
qui existaient entre l’Evèque de Liége et les chefs du gouverne- 
ment du duché, on se serait gardé de soulever une nouvelle ques- 
tion brûlante. La fondation se fit d’une toute autre manière. 
On sait combien l’archiduchesse [sabelle, dès qu’elle fut arri- 
vée aux Pays-Bas, s’occupa avec zèle de l'extension dans ses 
domaines, de l’ordre de saint François. Ce n’était pas seulement 
chez elle l’impulsion d’une profonde et sincère piété, ni par la 
seule sympathie pour un ordre religieux, qu'elle encouragea les 
établissements de couvents de Récollets de la stricte observance, 
surtout dans le Luxembourg. Elle avait encore un autre motif. 


(1) Archives de Clairvaux, N° 1890. 
(2)  « « 2410. 
(3)  « « 2420. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 167 


— Le clergé séculier de ce pays se trouvait placé sous la domi- 
nation spirituelle de souverains étrangers. C’est ainsi que l’évé- 
que de Liége étendait sa juridiction sur toute la partie occiden- 
tale du duché. De là des rapports difficiles avec le gouvernement 
du Luxembourg. Malgré les efforts des rois d’Espagne l'évêché 
comprenant tout le Luxembourg n'avait pu être créé. Les sou- 
verains cherchèrent alors à placer à côté du clergé séculier dé- 
pendant de l'étranger, des ordres religieux et surtout des Fran- 
ciscains d’une province à eux sujette. Les actes de fondations 
le disent clairement ; Isabelle avait un plan systématique qu'elle 
poursuivait. Il était très important de bien posséder le Luxem- 
bourg de langue allemande, dépendant de l’évêché de Liège, ce 
pays avait été fort négligé par son évêque et, à cause de son idio- 
me, se trouvait beaucoup plus facilement en danger d’être infecté 
par l’hérésie voisine. L’instrument dont se servit l’Infante pour 
la réalisation de ses plans fut le comte de Lannoy de la Motte- 
rie, pour lequel l’archiduc défunt avait eu une grande estime. 

Naturellement le Comte pensa en premier lieu à Clairvaux. 
I1 ne connaissait cependant encore ce domaine que par quelques 
visites rapides à son beau-frère et à ses belles-sœurs, les futures 
moniales de Münsterbilsen. Il habitait Maestricht comme gou- 
verneur de la forteresse. C’est dans cette ville que naquirent tous 
ses enfants et il ne la quittait que pour remplir quelque haute 
mission militaire ou diplomatique. 

Il était donc encore fort étranger à tout le comté de Clairvaux 
lorsque sa femme y souhaita l'établissement d’un couvent de 
Franciscains. Il pensa tout naturellement à la ville principale et 
c'est ainsi que le Provincial, Frère Arnoldus Paludanus arriva à 
Clairvaux avec une recommandation du Gouverneur de Maes- 
tricht, d'accord avec son beau-frère,le comte Godefroid II d’Eltz. 
On choisit donc la place dite : sous le Drankt, où se trouve actu- 
ellement l'hôpital. Mais le Comte Godefroid ayant examiné les 
plans plus attentivement, trouva que les Franciscains seraient 
mieux à Ulflingen qu'à Clairvaux. Il existait là une chapelle, 
lieu de pèlerinage très fréquenté, ce qui conviendrait très bien à 
des religieux qui trouveraient là, tout de suite, à occuper leur 
zèle pour le salut des âmes. En outre, ils seraient ainsi mis im- 
médiatement en rapport avec les populations du pays. Enfin, 
par la fondation de ce couvent, tous les motifs de discussion, à 
propos du pèlerinage des trois Vierges bienheureuses, tombe- 
raient d’elles-mêmes. Par un acte du 12 avril 1630, le comte 


168 LES FRANCISCAINS 


Godefroid II d’Eltz donnait aux Frères-Mineurs la chapelle 
des Trois Vierges d'Ulflingen pour y bâtir un couvent. Il y ajou- 
tait la licence de prendre le bois nécessaire à la construction et 
au chauffage annuel, dans les forêts de Boegerhard. (1) 

Un autre acte existe, concernant cette fondation, datée du 25 
août 1629, seize mois avant l’autre. C’est l’assentiment royal du 
don du Comte et de la fondation. Ce document est signé par 
le secrétaire du conseil royal (conseil privé) des Pays-Bas. (2) 
Cet assentiment de la fondation, donné un an avant sa réalisa- 
tion, confirme ce que nous avons dit. Ce fut sous l'inspiration 
d'Isabelle que le comte de Lannoy suggéra cette bonne œuvre à 
son beau-frère. Par l’acte du 12 avril 1630, le comte Godefroid 
réglait tout ce qui concernait les revenus et menses de la cha- 
pelle. (3) 

Les Franciscains ayant déclaré que leur vœu de pauvreté 
ne leur permettait pas d'accepter le don du comte on con- 
vint que celui-ci et ses successeurs resteraient propriétaires 
de la chapelle et du sol sur lequel serait bâti le couvent. Les 
moines seraient mis simplement en jouissance de ces immeubles 
et ne pourraient y rien changer. De cette façon les revenus et 
rentes de la chapelle demeureraient propriété du Comte. Le 
tronc des aumônes porterait les armes comtales. Ce tronc serait 
fermé avec deux clefs dont l’une serait confiée à l’intendant 
du comte et l’autre au maire d'Ulflingen. Chaque année l’inten- 
dant et le maire devaient dresser le compte des revenus et des 
aumônes du tronc et remettre sur le total, en guise de charité, 
aux religieux, ce dont ils auraient besoin pour leur entretien.Le 
reste servirait à l'entretien du couvent, à l’embellissement de 
la nouvelle église ou à d’autres bonnes œuvres. Les Francis- 
cains pouvaient accepter des pèlerins des dons en nature : sei- 
glé, avoine, lin, pain, etc., sauf de l’argent. On plaça dans ce 
but, une grande huche qui devait recevoir ce genre d’aumône 
à la porte de l’église.On voyait encore l'ouverture de ce singulier 
tronc il y a trente ans,avant qu'on n'eut lambrissé à neuf l’église. 
On permit aussi au gardien du couvent de recevoir le stipendium 
des messes qui pouvaient être célébrées par les religieux prêtres. 

Ce ne fut qu'après avoir réglé de cette manière tout ce qui 
concernait le temporel ducouvent,touten assurant le maintien dela 


(1) Archives. 2884. 
(2) Publ. de l’Inst. Hist. Tom. 54, p. 223. 
(3) Archives, Publ. Sect. Hist. f, 225. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 169 


règle concernant la pauvreté, que les Supérieurs de l'Ordre acceptè- 
rent la fondation. (1)On célébra solennellement la pose de la pre- 
mière pierre au printemps de l’an 1630. Par déclaration du 11 
juin 1630, le Provincial, frère Arnoldus Paludanus, reconnais- 
sait aux fondateurs du couvent, le comte d’Eltz et sa femme, 
tous les privilèges spirituels de l'Ordre (2). 

Godefroid II mourut peu après, le 17 septembre 1631. (3) 
La veille de sa mort, il avait confirmé son testament. Il laissait 
à sa veuve Dorothée de Baville la Seigneurie de Blettingen. 
Clairvaux, tous ses autres biens et châteaux revenaient à ses 
sœurs. Dans ce testament, le comte donne une somme impor- 
tante pour l’achèvement des constructions du couvent d’Ufflin- 
gen et demande à être enterré sous la chapelle des Trois Vier- 
ges (4). 

Jusque là les Seigneurs de Clairvaux avaient leur sépulture 
dans la chapelle appelée la chapelle de Clairvaux, de l’église 
paroissiale de Munshausen. Godefroid II d’Eltz n’oublia pas 
les franciscains de Luxembourg et, dans son testament, leur 
laissait une maison située dans cette ville, proche des Corde- 
liers, qui pourraient ainsi agrandir leur communauté. Avait-il 
fait ce dernier legs en pensant aux longs et nombreux procès 
toujours gagnés, que lui et son père avaient poursuivis contre 
les religieux ? (5) 

Le Comte Claude de Lannoy, avec l’assentiment de ses belles- 
sœurs, et celui du conseil d’État de Luxembourg, entra en 
possession de la Seigneurie de Clairvaux. (6) L’abbesse de 
Münsterbilsen et sa sœur, la moniale s'étaient déjà désistées en 
1621, de tout droit sur l'héritage paternel en faveur de leur 
sœur, à l’occasion de son mariage. (7) 

Le comte de Lannoy ne put tout d’abord jouir de son nou- 
veau domaine. Ce ne fut que le 21 septembre 1632 qu'un fondé 
de pouvoirs en prit possession en son nom.(8) Les guerres per- 
pétuelles de ce temps occupaient le comte loin de Clairvaux. 
En 1631, au moment où cet héritage lui arrivait, il reçut l’ordre 


(1) Archives 2885. 


(2) « 2887. 
(3) « 290 7. 
(4) « Ne 2906. 
(5) « 2912. 
(6) « 2921. 
D « 2739. 


(8) « 2535. 


170 LES FRANCISCAINS 


de l’Infante de conduire au général Gonzalez de Cordoue, une 
armée dans le Palatinat et d'y rester comme général de l’artille- 
rie. Il demeurait néanmoins gouverneur de Maestricht. 

Un décret de l’Infante Isabelle venait dès lors prouver en 
quelle haute estime elle tenait le comte de la Motterie. Par ce 
décret, elle annonçait au gouverneur du Luxembourg, à tous 
les magistrats,officiers et autres autorités, tant du peuple que de 
l'armée, qu’elle plaçait le comté de Clairvaux sous la protection 
immédiate du roi, avec tous ses habitants et domaines, y compris 
le village de Hasingen. En vertu de cette protection, les habitants 
et les terres du Comté ne doivent souffrir aucun dommage, 
de même le comte ne pouvait être lésé dans ses propriétés et ses 
droits, tant qu'il ferait la guerre au nom de Sa Majesté et 
serait obligé de rester éloigné de ses terres. (2) 

Pendant l'absence de Claude de Lannoy, la comtesse vint 
s'établir à Clairvaux et y commmença de grandes restaurations. 
Tout le côté Nord-Est, avec le passage de la grande salle de ré- 
ception, la salle des chevaliers et la chapelle, furent reconstruits 
et tout se trouva terminé en 1634. Malgré une absence que les 
événements de la guerre prolongèrent plusieurs années, le comte 
n'oublia pas Ulflingen. Grâce à sa généreuse protection, on 
posa en 1640, la première pierre de l’église qu’on voit encore 
aujourd’hui. Dans cette même année, la réforme des Récollets 
fut enfin adoptée dans ce couvent qui suivait jusque là la règle 
sévère de la province flandro-belge, mais non pas exactement 
celle de la réforme des Récollets. 

La construction de l’église fut interrompue par les événe- 
ments de la guerre et d’autres calamités ; elle ne put être consa- 
crée qu’en 1652. Les frères, pour la plupart, aidèrent à la 
bâtir. La vieille chapelle avait été conservée et utilisée jusqu’à 
l'achèvement de l'église. La voûte de la nouvelle église tomba un 
jour sur l’antique sanctuaire, qu’on démolit aussitôt que l’autre 
fut terminé. Entre temps le comte Claude de Lannoy de la Mot- 
terie, gouverneur du comté de Namur, chevalier de la Toison 
d’or, étant décédé, fut enterré, comme bienfaiteur, dans l’église 
d’Ufflingen. (2) 


(A suivre) M. de Villermont. 


(1) Archives, 2923. 
(2) Archives, 3209. 


SERMONS FRANCISCAINS 


DU 


CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 
(T 1273) 


Sous ce titre de Sermons franciscains du Cardinal Eudes de Châteauroux, 
il faut entendre les Sermons (épars dans les nombreux recueils de son œuvre 
oratoire) qu'il adressa aux Frères Mineurs ou qui ont trait à des Saints de 
cet Ordre. 


Eudes de Châteauroux (1), une des gloires du clergé séculier 
au temps de saint Louis, n’appartint pas, comme plusieurs his- 
toriens l'ont affirmé, à l'Ordre de Citeaux. Il est probable qu’il 
vint du Berry à Paris pour y faire ses études. Il s’y lia d'amitié 
avec Robert de Sorbon (1201-1274). Chanoine, puis Chancelier 
de l’église et de l’Université de Paris (1238), Eudes est de bonne 
heure appelé au maniement d’aftaires importantes et délicates, 
Il y révèle une habileté et une énergie qui attirent sur lui les 
regards d’Innocent IV (1243-1254). En 1244, il est promu à 
l’'Evêché de Frascati et créé Cardinal l’année suivante. C’est en 
cette qualité qu'il assiste au premier concile œcuménique de 
Lyon. Une nouvelle croisade y étant décidée, il est chargé de la 
préparer et à cet effet Innocent IV l'institue son légat en France 
avec pleins pouvoirs pour pacifier barons et prélats, lever des 
subsides, choisir des prédicateurs etc... Après avoir consacré la 


(1) Les meilleures notices sur Eudes de Chätauroux sont celle d’Hauréau (Noti- 
ces et extraits des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. XXIV (1876), 2e P.. 
p. 204-35; et celle du Cardinal Pitra. (Analecta novissima, Spicilegii Solesmensis 
altera continuatio, T. II Tusculana (1888) p. XXIII-XXXV). La première rectifie 
Daunou (Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 228), la seconde complète la 


première. 


172 SERMONS FRANCISCAINS 


Sainte Chapelle (25 Mai 1248), il s'embarque avec le roi pour la 
Terre-Sainte et reste en Orient jusqu’en 1254. 

Après son retour nous le retrouvons à la tête de la Commis- 
sion d’Anagni pour l'examen de l’Introduction à l'Évangile 
éternel (8 Juillet 1255) (1). Depuis lors, tantôt en France, tan- 
tôt en Italie, mais le plus souvent en Italie, il continue de parti- 
ciper au gouvernement de l’Église sous les papes Alexandre IV, 
Urbain IV, Clément IV et Grégoire X, et meurt à Orvieto en 
1273. 


Eudes de Châteauroux fut sur le siège de Frascati le digne 
successeur de Jacques de Vitry. Comme lui, il désirait ardem- 
ment la réforme des mœurs chrétiennes et ecclésiastiques (2), 
comme lui, il rejeta les préjugés du clergé séculier contre les 
nouveaux ordres religieux et se montra toujours grand ami des 
Frères Prêcheurs et des Frères Mineurs. Il se plaisait à dire que 
leur apparition était un bienfait pour l’Église et que leur pré- 
sence à Paris n'avait pas peu contribué à améliorer la vie des 
étudiants de l’Université (3). 

Courageusement il reconnaît que les Dominicains et les Fran- 
ciscains ont le droit de recevoir des fidèles la nourriture corpo- 
relle en échange des services spirituels qu'ils leur rendent et il le 
prouve par des raisons et des exemples frappants (4). Il prouve 
de même qu’ils ont le droit de prêcher partout puisqu'ils sont 
les envoyés du Pape. « Est-ce que l’Ange Gabriel, dit-il, 


(1) H. Denifle O. P. Das Evangelium œternum und die Commission zu Anagni. 
Archiy für Litt.u. Kirch., t. 1. p. qg et 102. 

(2) Cf. ses sermons in synodo (Ms. 203 d'Orléans, ff. 235-258 et passim, véritables 
réquisitoires devant lesquels pälissent les invectives les plus fortes des Mendiants 
contre le clergé séculier. 

(3) Vere vacaverat et quieverat civitas a malo, tempore regis Ludovici et Johan- 
nis de Vineis. Scopæ id est duo ordines Predicatorum et Minorum eam mundave- 
rant, maxime quoad scholares, quorum quamplurimi hos ordines intraverunt, alit 
honestatem amplexi sunt (Pitra, op. cit. p.230). : 

(4) Sed notandum quod cursoribus alicujus magni domini denegare victum hoc 
merito ei qui misit eos displiceret, maxime si diceretur eis : « Vos estis fortes et 
sani, îte laboretis et acquiratis vobis victum ». Propterea multum impedirentur si 
cura acquisitionem victus proprii occuparentur. Si miles qui pronunciavit adyentum 
aque quando rupti sunt montes in superioribus partibus Crisopolis indiguisset pane, 
si dictum fuisset ei : «Acquire tibi panem», posset respondere : « Hoc erit dampuum 
multorum, quia interim non annuncCiabo periculum quod eis imminet ». Sic et vos 
potestis talibus respondere. Prœterea hoc est dampnare pauperes scolares qui men- 
dicando acquirunt sibi victum, licet scribendo possent illud sibi acquirere. Sed hoc 
Jfaciunt ne eorum studium impediatur, (Sermon ad fratres predicatores in Capitulo 
generali, Ms. d'Orléans n° 203, fol. 261) 


_—— 


—_— — ———— — — 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 173 


demanda à l’Archange saint Michel, ou à l’Ange Gardien de la 
sainte Vierge la permission delui annoncer la bonne nouvelle ?.… 
Ainsi il n’est pas plus nécessaire qu’ils aient la permission de 
l'Archevêque, de l’Évêque ou du curé (1) ». 

Plusieurs fois Eudes de Châteauroux adressa la parole aux 
Frères Prêcheurs réunis en Chapitre et c’est dans leur église 
d’Orvieto qu'il désira dormir son dernier sommeil. 

Ses relations avec les F. M. n'étaient pas moins cordiales. En 
1248, il assiste avec saint Louis et ses trois frères au Chapitre 
provincial de Sens présidé par Jean de Parme (2). En 1265, il 
prend part à la consécration de la nouvelle église de Sainte Claire 
à Assise (3). Ses sermons sur saint François, saint Antoine de 
Padoue, sainte Claire, sont asseznombreux et assez significatifs 
pour mériter d’être publiés. C’est enfin à l’occasion du Chapitre 
général qu’il prononça les deux premiers discours qu’on lira 
plus loin. 

On y verra la sympathie très vive qu’il professait pour les fils 
de saint Dominique et de saint François. Si vive qu’elle fut, 
cette sympathie ne l’empêchait pas d’être clairvoyant sur leurs 
défauts et de leur adresser de paternels et fermes avertisse- 
ments (4). 


Les Sermons du Cardinal Eudes de Châteauroux sont la par- 
tie de son œuvre qui eut le plus de succès au Moyen-Age. On 
en trouve des collections importantes dans un grand nombre de 


(1) Zherarchia ecclesiastica ordinata est juxta iherarchiam celestem. Sed constat 
quod Michael preest Judeis, tamen legimus quod missus est Angelus Gabriel a Deo 
in civitate Galilee ad Virginem. Nunquam Gabriel peciit licentiam a Michaele vel 
ab illo angelo cui commissa erat specialiter cura beate Virginis. Nequaquam, quia a 
Deo mittebatur. Sic iherarchia ecclesie militantis potest mittere quem vult et quo 
vuilt, nec oportet quod ille habeat licentiam archiepiscopi, episcopi, vel plebani. 
(Ibidem). 

(2) Cf. Salimbene, Chronica ed. Mon G. SS, p. 223. 4. 305. 

(5) Cf. M. Bihl O. F. M. Documenta inedita Archivi protomonasterii S. Claræ 
Assisti, dans l'Archiy., franc. hist. t. V. p, 669. 

(4) C'est ainsi qu'il reprochait à certains Dominicains un goût trop prononcé pour 
les dignités ecclésiastiques qui les dispensaient des rigueurs de la Règle : « Angeli 
Deo ministrant, jussa Dei perficiunt sine mora, sine retardacione aliqua, sine mur- 
mure. Sic viri spirituales et religiosi super omnes alios debent esse obedientes, nec 
debent querere exemptionem, nec aspirare ut eximantur per episcopalem dignita- 
tem vel per aliquid hujusmodïi sicut ille qui cum a quodam reprehenderetur de hoc 
guod tam pauperem episcopatum receperat dixit quod reputabat pro magno redditu : 
« Sit nomen domini benedictum » hoc est quod signare poterat quia per hoc erat a 
jugo ordinis liberatus. » (Sermo ad fratres Predicatores in Cap” gli, Ms. cit. 
fol. 261"). 


174 SERMONS FRANCISCAINS 


bibliothèques (1). Il écrivit aussi une sorte d’Introduction à 
l'étude des Livres Saints sous le titre de Lectio Magistri Odonis 
de Castro Radulphi postmodum Episcopi T'usculani, quando 
incæpit in T'heologia (2), un Commentaire des Psaumes :inti- 
tulé : Distinctiones Magistri Odonis de Castro-Radulphi super 
Psalterium (3). On possède enfin de lui des écrits officiels rela- 
tifs à sa Légation et aux différentes missions qui lui furent con- 
fiées, en particulier une lettre datée de l’île de Chypre. De 
tous les ouvrages du célèbre Cardinal cette lettre fut longtemps 
le seul qui ait été publié (4). Depuis, le Cardinal Pitra dans le 
second volume de ses T'usculana (5).consacré à ses plus illustres 
prédécesseurs sur le siège de Frascati : Odon d’Ourscamps, 
Jacques de Vitry, Eudes de Châteauroux et le F. M., Bertrand 
de la Tour, édita quelques-uns de ses sermons, entre autres un 
sermon sur saint François prononcé à Sainte-Marie-des-Anges 
(6) reproduit dans les Analecta Ordinis Minorum Capuccino- 
rum (7). Dans ce même périodique le P. Edouard d'Alençon 
publia un fragment de sermon sur sainte Claire (8) et un autre 
sermon sur saint Antoine de Padoue (9). 

Comme ceux de Jacques de Vitry les discours d’Eudes de Chà- 
teauroux « sont des tableaux de la société du XITI:- siècle » (10). 
Les remarques piquantes, les allusions aux événements contem- 
porains, les traits de mœurs y abondent, noyés, il est vrai, dans 
un flot de textes de la Sainte Ecriture, qui éteint parfois la 
flamme du prédicateur et l'émotion du lecteur. Suivant l’expres- 
sion du Cardinal Pitra : « on retrouve partout l’ancien maître 
glosant l’Ecriture Sainte, peut-être accablé de réminiscences 
bibliques et victime de sa trop bonne mémoire » (11). Souvent 
aussi par contre, ces réminiscences bibliques amènent sur ses 
lèvres des rapprochements ingénieux et des élans d’une beauté 
saisissante. 


(1) Cal Pitra, op. cit. p. XXVII-XXXIV ; Hauréau, loc. cit, p. 226-8. 

(2) B. N. Ms. lat. 15948. 

(3j B. N. Ms. lat. 15568, 9 et 14425. 

(4) B. N. Ms. lat. 3768, ff. 76v-81r. 

(5) Luc Dachery, Spicilegium, éd. in-fe t. 111 p. 624-6. 

(6; Pitra, op. cit. p. 270. 

(7) Anal. Ord. Min. Cap. t. XII (1896) p, 346-8 ; voir aussi Miscellanea frances- 
cana, Foligno, t. VII (1849) p. 180-2. 

(8, Anal. Ord. Min. Cap. t. XVI (1900) p. 309-11. 

(9) Ibid. t. XVII (1901) p. 249-54. 

(10) Léop. Delisle, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. 49 (1889) p. 260. 

(11) Pitra, op. cit. p. XXXIV. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 175 


Ces qualités et ces défauts éclatent dans les Sermons francis- 
cains. 

Leur principal intérêt est d’avoir été composés par un homme 
qui comptait parmi les plus sages et les plus perspicaces de son 
siècle, à une époque où les souvenirs de saint François vivaient 
encore dans toutes les mémoires, au moment d’une expansion 
prodigieuse pour la famille franciscaine de luttes très vives avec 
le clergé séculier et enfin de rivalités et de désunion naissante 
avec la famille dominicaine (1). Autant de choses que reflète la 
parole grave et parfois ardente d’Eudes de Châteauroux. 

Les deux premiers sermons (2)furent prononcésenChapitregé- 
néral,peut-êtreen présencedesaintBonaventure. Quand etoù?..Il 
est difficile de le préciser. Il n’est pas impossible que le premier 
ait eu lieu à Assise en 1269. L’orateur dit, en effet, dans ce dis- 
cours que depuis le temps de saint François, soixante ans ne 
sont pas encore écoulés. Nous savons par ailleurs qu'il séjourna 
à Pérouse de 1265 à 1269. Quant à l’autre sermon aucune indi- 
cation ne permet d'en fixer la date, même approximativement, et 
aucune chronique ne relate la présence d'Eudes de Châteauroux 
à un Chapitre général. 


SERMON I. 


Le premier sermon nous offre la pensée du célèbre Cardi- 
nal sur le caractère distinctif et la mission spéciale de saint Fran- 
çois, un tableau de la vie des Frères Mineurs, la constata- 
tion d’un de leurs travers : la critique des anciens moines, et 
une allusion discrète à un relâchement naissant. 

Après un prologue abstrait, inutile et froid où il s’at- 
tarde à prouver qu'il est impossible de précéder Dieu dans 
l'existence et diabolique de vouloir l’égaler, il développe dans 
une seconde partie, beaucoup plus vivante, cette pensée qu'il 
est glorieux de suivre et d’imiter le Christ dans les humi- 
liations de sa nature humaine. Et ici il nous montre qu'il a 
admirablement saisi la caractéristique de saint François qui fut 
de suivre pas à pas « les traces que nous a laissées l’Homme- 
Dieu : la pauvreté, la patience, la miséricorde, la grandeur d’âme 


(1) A. G. Little, The grey friars in Oxford. in 8°, Oxford (1892) pp. 129, 333-5. 
(2) Publiés d’après le Ms. 203 de la Bibliothèque d'Orléans. Il est superflu d’en 


faire ici la description après celle que l’on trouvera dans l’ouvrage du Cal Pitra (op. 
cit. p. XXX). 


176 SERMONS FRANCISCAINS 


et la mansuétude ». Puis le saint Cardinal s'élève avec véhé- 
mence contre les détracteurs des Mineursque les condamnations 
papales n’arrivaient point à faire taire. Il décrit à grands traits 
leur vie austère qui contraste si fort avec la vie aisée et molle que 
beaucoup d’entre eux auraient pu mener dans le monde. Enfin 
il termine par de fortes paroles à l'adresse des Mineurs eux- 
mêmes : « Prenez garde, leur dit-il, prenez garde que votre 
Père, le Bienheureux François ne vous adresse à vous aussi ce 
reproche que Moïse lançait au peuple hébreu : Je sais qu'après 
ma mort vous vous corromprez, que vous vous détournerez de la 
voie que Je vous ai prescrite et que le malheur vous atteindra 
dans la suite des temps »... Si les moines dévient de la voie 
qui leur a été indiquée par le Bienheureux Benoît, vous 
ne devez pas les incriminer, car depuis le temps de saint 
Benoît quatre cents ans et plus sont écoulés ; tandis qu'il n’y en 
a pas encore soixante depuis saint François. Prenez donc garde 
que l’on puisse vous dire ce que l’Apôtre disait aux Galates : Je 
m'étonne que vous vous laissiez détourner si vite de Celui qui 
vous a appelés en la grâce de Jésus-Christ pour passer à un 
autre Evangile. Or vos chapitres ont été institués pour veiller à 
ne pas vous éloigner de la perfection dans laquelle votre Ordre a 
commencé et pour trouver le chemin qui doit le ramener à son 
premier état. Travaillez donc à conserver cette perfection 


[fol.264 ](1)IN GENERALI CAPITULO FRATRUM MINORUM{[fol. 264] 


Ecc XXIII. Gloria magna est sequi dominum : longitudo enim 
dierum assumetur ab eo (1bis). — Precedere dominum in ordine 
<ssendi est impossibile. Velle equare se Deo vel equiparari demonia- 
cum est et dampnosum. Sequi vero eum gloriosum et fructuosum, que 
duo in predictis verbis insinuantur. Precedere dominum in ordine es- 
sendi est impossibile quia ipse est alpha seu principium ante quod 
nichil et a quo omnia. Est et w id est finis post quem nichil (2). Ipse 
est principium omnia precedens, finis omnia terminanset concludens. 
Ecco in principio ; Sapientiam Dei precedentem omnia, quis investi- 
gavit (3),Ysa XLIo : Ego Dominus, primus et novissimus,ego sum (4), 


(1) 2641, 2642, 2643, 2644 désignent la 1°", la 2°, la 3e, la 4° colonnes du folio 264 
recto et verso, et ainsi des autres. 

(1 bis ) Eccli. XXIII, 38. 

(2) Allud. Apoc. 1, 8. 

(3) Eccli. 1, 3. 

(4) Is. XLI, 4. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 177 


primus ante quem nullus et novissimus post quem nullus. Et Ysa 
XLITIo : Sciatis et credatis michi, et intelligatis quia ego ipse sum ; 
ante me non est formatus Deus et post me non erit (1). Et nota quod 
dicit : Sciatis et credatis et intelligatis. Hoc dicit quia duo sunt ge- 
nera credendorum. Quedam non creduntur nisi prius intelligantur, et 
quedam nonintelligantur nisi prius credantur secundum illud Ysa. 
juxta LXX'e : misi credideritis, non intelligetis, ubi littera nostra 
habet nisi credideritis non permanebitis (2), quod idem est quia non 
credendo mens non figit pedem, sed intelligendo. Credere enim ex 
parte est, et aliquid habet imperfectionis quantum est de natura sua. 
Credimus enim que non videmus, séd intelligens de natura sui hoc 
non habet sed ei accidit. Et ideo fides evacuabitur, intellectus vero 
perficietur ([* ad Cor. XIIIo) (3). Et ideo idem est non!{fol. 2643] 
permanebitis et non intelligetis. Quia ergoscientia in quibusdam pre- 
cedit credere, in quibusdam vero credere precedit intellectum. Ideo 
signanter dixit Dominus per prophetam : Sciatis et credatis michi et 
intelligatis, quia ego ipse sum. Ipse est cui convenit primo et proprie 
nomen essentie sicut ipse respondit Moysi, Exodo Illo dicenti: Ecce 
2go vadam ad filios Israël et dicam eis : Deus patrum vestrorum mi- 
sit me ad vos. Si dixerint michi : quod est nomen ejus ? quid dicam 
eis ? Dixit Deus ad Moysen : Ego sum qui sum. Ait : Sic dices filiis 
Israël. Qui est, misit me ad vos. (4) Per hoc pronomen ego puritas 
essentie divine. Pronomen enim meram substantiam significat. Vani- 
tas enim amixta est creature eo modo quo dicit apostolus ad Ro. 
VIIlo : Vanitati omnis creatura subjecta est (5). Et Ecclesiastes in 
principio : Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes, vanitas vanitatum 
et omnia vanitas (6). Per hoc verbum sum significat essentiam super 
omnem essentiam que dat aliis essentiam et esse et est in omni alia 
essentia et intelligitur et extra regulam aliarum. Sum enim verbum 
est anormalum quod in omnis alio verbo intelligitur et est. Per qui 
quod est nomen infinitum infinitas et immensitas illius summe essen- 
tie demonstratur. Et hoc est quod scire debemus quia ego ipse sum, 
ante me non est formatus Deus et post me non erit. Hoc scitur ante- 
quam credatur. Unde Johannes Damascenus I1[10 capitulo : Cognicio 
existendi Deum naturaliter in nobis inserta est (7). Et III [0 capitulo : 
Quoniam igitur est, manifestum est ; quid vero est secundum subs- 
tantiam et naturam incomprehensibile vero est omnino [fol. 2644] et 


{1) Is. XLIIT, 10. 

(2) Is. VII, 9. 

(3) Allud. I Cor. XIII, 10. 

(4) Ex. 111, 13, 14. 

(5) Rom. VIII, 20. 

(6) Eccl. 1. 2. 

(7) Joh. Damascenus, de fide orthodoxa, lib. I. cap. 3, Migne, Pat. gr. t. 94, col. 


794. 


E. F, — XXIX. — 12 


178 SERMONS FRANCISCAINS 


ignotum (1). Et postquam dixit : cognitio existendi Deum naturali- 
ter nobis inserta est, subjungit : Quia vero in tanitum prevaluit perni- 
ciosa malicia hominumut quosdam in irrationabilissimum et omnium 
malorum pessimum perditionis deducerei baratrumut dicant non esse 
deum, quorum insipienciam sacrarum enunciator David dixit : insi- 
piens in corde suo : non est deus (2). Et ita quod scitum erat, venit 
in dubium ; et quod insertum erat naturaliter cordi humano obnubi- 
latur et effucatur et obscuratur insipientia, juxta illud ad Ro. [co obs- 
curatum est insipiens cor eorum (3) ; Et Sapientia I[c: malicia eorum 
excecavit eos (4). Ideo ad eliminandum hanc errorem et ad clarifican- 
dam animam necessaria est fides, ut quod prius sciebatur postea cre- 
datur. Cognitio ergo existendi Deum prius habetur et prius scitur 
quoniam est, quam credatur. Quid vero est et quod trinus et unus, 
quod incarnatus, prius creditur quam intelligatur. Quia ergo ut in 
Ysa. XLIIIIo ipse est primus et ipse est novissimus et absque eo non 
est Deus (5), ideo precedere dominum est impossibile, velle equari 
Deo est demencie. Lucifer Deo equari voluit, in cujus persona dicitur 
Ysa. XIIII0 : Ascendam in celum et ero similis altissimo (6). In altitu- 
dine ei voluit adequari, et ideo est deiectus, quia ut dicitur in Prov : 
Qui altam facit domum suam querit ruinam (7). Demencie enim est 
hanc equalitatem desiderare; quod enim per superhabundantiam dici- 
tur, uni soli convenit. Sienim angelus esset equalis Deo, Deus non 
esset altissimus. Unde hoc concupiscendo voluit auferre Deo illam 
supremam excellentiam qua supereminet universis et excellit omnia. 
Et ideo rapina appellatur : ad Phil. Ilo [fol. 265] Non rapinam arbi- 
tratus est se esse equalem Deo (8). In filio vero non fuit rapina quia 
naturalis illa et perfecta et consummata generatio hoc exigebat ut pa- 
ter filium sibi equalem per omnia generaret. Et cum pater et filius sint 
ejusdem essentie et sint unum, et ideo (8 bis) non ex hoc quodfiliusest 
altissimus, sequitur quod non sit pater altissimus, nec ex hoc aufertur 
a patre hec superhabundantia, sive hec superhabundans altitudo. Et 
quia Lucifer voluitesse altissimus, factus est vilior et novissimus. 
Unde eidictum est, Ysa. XIII [0 post predicta verba : verum tamen de 
traheris usque ad novissima lact (9). 


(1) ibid. col. 798. 

(2) Ps. XIII. I. 

(3) Rom. I, 21. 

(4) Sap. I, 21. 

(5) Is. XLIV, 6. 

(6) Is. XIV, 14. 

(7) Prov. XVII, 16. 

(8) Phil. 11.6. 

(8 bis) Le Ms. d'Arras 876 a cette variante qui n'est qu'une faute de copiste : et 
Sunt unum et idem. [fol. 96:]. 

(9) Is. XIV, 15. 


= 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 179 


Velle ergo equari Deo est demoniacum. Sed velle sequi dominum 
est gloriosum, unde et hic dicitur : Gloria magna est sequi dominum. 
Sed non in quibuslibet ut in eis que sunt potentie velscientie, sed in 
eis que sunt humilitatis, et humanitatis assumpte. Et si enim aposto- 
Jus dicat : Imitatores estote Christi sicut filit karissimi (1), etimitari 
dem sit quod sequi, non tamen voluit hoc dicere ut imitatores esse- 
mus domini in hiis que supra naturam sunt vel supra vires nostras, 
quod dominus manifeste ostendit cum dixit : Discite a me quia mitis 
sum et humilis corde (2). Non dixit : discitea me mortuos suscitare, 
leprosos mundare, super undas ambulare, sed : quia mitis sum et hu- 
milis corde. Similiter dixit : Estote perfecti sicut et pater vester per- 
fectus est (3), estote misericordes sicut et pater vester misericors est 
(4). Gloria est filio sequi bonum patrem. Magna gloria est ei qui po- 
test dicere illud Job XXIIIo : vestigia eius secutus est pes meus (5). 
Que sunt vestigia que reliquit Christi humanitas?.. Paupertas, patien- 
tia, [fol. 2652] misericordia, largitas, mansuetudo.O quanta demencia 
est hujusmodi vestigia detestari. Que est maior paupertas quam se 
redigere in servitutem perpetuam et dicere cum apostolo. Cum essem 
liber ex omnibus, omnium me servum feci (6). Vere servus qui velle 
non habet in quo consistit omnimoda et perfectalibertas. Hoc faciunt 
religiosi. Hec est maxima paupertas in qua vestigium humanitatis 
Salvatoris relucet. De ipso enim dicit apostolus : qui cum dives esset 
factus est pro nobis pauper (7) et factus est in unum dives et pauper. 
Hoc vestigium impressit Christus gloriosissime matri sue et Johanni 
quem dilexit et aliis consobrinis suis ; nec voluit assumere in aposto- 
los nisi eos in quibus hoc vestigium appareret. Hoc etiam vestigium 
posuit quasi principium et fundamentum aliorum cum dixit : Beati 
pauperes spiritu (8). 

Vestigium pacientie fuit impressum similiter caris suis. Demencia 
est detractare hoc vestigium in hiis qui carnis mortificationem in cor- 
pore suo jugiter portant, in frigore et nuditate qui quondam pellibus 
variis fovebantur ; in fame et siti qui nutriti fuerant in croceis (a), id 
est, cibariis delicatis ; in laboreitineris, eundo et nudis pedibus, qui 
quondam in equis et palafredis et magnis et in mirabilibus super se 
ambulabant ; in vilibus et asperis qui mollibus induebantur et qui in 
sericis quondam ociosi, modo labores sustinent pro salute animarum. 


(1) Ephes. V, I. 

(2) Matth. XI, 21 

(3) Matth. V, 48. 

(4) Luc. VI, 36, 

(5) Job XXIII, 11. 

(6) I Cor. IX, 19. 

(7) II Cor. VIII, 0. 

(8) Matth. V.3. 

(9) Allud. Thren. IV, 5. 


180 ‘! SERMONS FRANCISCAINS 


Hiis vestigiis detrahere non deberemus sed ea pocius honorare, juxta 
illud Ysaye : Qui detrahebant tibi adorabunt vestigia pedum tuorum 
(1). Mansuetudo [iol. 265] etiam vestigium Christi est in qua imitari 
debemus eum et eum sequi. Sed quidam expertes tocius mansuetudi- 
nis pacifice transeuntibus oblatrant et detractionibus lacerant, de qui- 
bus ad Galat. (sic) IIIe : videte canes, videte concisionem (2). Hec 
vestigia impressa debent esse in viris religiosis maxime in fratribus 
minoribus et predicatoribus et deberemus eos sequi ut essemus imita- 
tores eorum sicut et ipsi sunt Christi et hoc est sequi Dominum quod 
est magna gloria. Magna gloria est scutiferi sequi dominum suum 
inter armatas acies, sicut legitur de scutifero Jonathe (3). Sic martires 
Dominum secuti per ignes et gladios. Laudatur natura canis quia 
propter aliqua impedimenta suum dominum non derelinquit ; lauda- 
tur ancipitis quoniam predam suam insequitur donec eam apprehen- 
dat; sic fidelis anima Christum sequitur et querit an quemdiligit ani- 
ma mea vidistis (4). Nec propter aliquam difficultatem a vestigiis ejus 
declinat donec eum apprehendat. Sic ergo magna gloria est sequi do- 
minum. 

Nichilominus tamen est fructuosa, quia ex hoc quod quis sequitur 
Dominum, dierum longitudinem a Domino assequitur, id est beatitu- 
dinem quæ finem non habebit, de qua Dominus per Psalmistam : 
Longitudinem dierum replebo eum et ostendamilli salutare meum (5), 
et in Prov. IT (sic) : Longitudo dierum in dextera ejus (6). Legitur 
Deut. XXXI Moyses improperasse populo israelitico : Novi enim quod 
post mortem meam iniqua agetis et declinabitis cito a via quam pre- 
cepi vobis et occurrent vobis mala in extremo tempore (7). Et vos 
cavere debetis ne pater vester beatus Franciscus [fol. 2654] possit hoc 
vobis improperare. Si enim monachi deviant a via sibi tradita a beato 
Benedicto, non est ita improperandum eis. Sunt enim quadringenti 
anni et amplius elapsi a tempore beati Benedicti. À tempore beati 
Francisci nondum sunt completi LX® anni. Caveatis ergo ne vo- 
bis possit improperari quod Apostolus improperat ad Galat. [° Miror 
quod sic tam cito transferimini ab eo qui vos vocabit in gratiam 
Christi in aliud evangelium (8). Ad hoc enim celebrantur vestra ca- 
pitula generalia ad videndum si declinatum est in aliquo a perfec- 
tione a qua incepit ordo vester, et ordinare per quam viam possit 
ordo reduci ad statum suum. 


(1) Is. LX. 14. 

(2) Phil. III, 2. 

(3) Allud. I Reg. XIV, 1-23. 
(4) Cant. III, 3. 

(5) Ps. XC, 16. 

(6) Prov. II, 16. 

(7) Deut. XXXI, 20. 

(8) Gal. I. 6. 


——$ 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 181 


Laboretis ergo ad hoc fratres karissimi ut inilla perfectione perse- 
verantes possitis pervenire ad illam summam perfectionem in qua 
nichil boni deerit, et in qua nichil mali aderit, id est, ad eternam bea- 
titudinem ad quam nos perducere dignetus Ihesus Christus, etc. 


SERMON Il. 


Eudes de Châteauroux dans son deuxième discours, revient sur 
la recommandation finale du premier.Nous ne sommes pas peu 
surpris de l'entendre dire que l’Ordre des Frères Mineurs et ce- 
lüi des Frères Prêcheurs procèdent des mêmes intentions et 
tendent au même but par les mêmes moyens. Nous touchons 
donc du doigt, dans ce sermon, la transformation profonde qui 
s'était opérée au sein de l’Ordre franciscain. 

Saint François avait voulu faire quelque chose de vraiment 
original. Dans un chapitre du Speculum perfectionis qui paraît 
authentique, nous le voyons repousser les règles de saint Augus- 
tin, saint Benoît et saint Bernard pour s’en tenir résolument à 
celle que le Seigneur lui a inspirée (1). Une autre fois il rejette 
la proposition que lui faisait saint Dominique de fusionner les 
deux Ordres naissants (2). Mais le grand nombre des lettrés qui 
avaient pris l’habit franciscain, l’exemple des Frères Prêcheurs, 
les encouragements des Papes et de prélats zélés pour le bien de 
l'Église (3) dirigèrent les Frères Mineurs vers les études scienti- 


(1) Speculum perfectionis, ed. P. Sabatier, Paris 1898 p. 132. Ce chapitre semble 
bien corroboré par II. Celano & 188. 

(2) Thomas de Celano. ed. Edouard d'Alençon, p, 282, & 150. 

(3) Tel Jacques de Vitry qui réfutait ainsi dans un sermon adressé aux F. M. les 
raisons que certains apportaient pour se dispenser de l'étude : « Quidam tamen 
miseri et vecordes, pigritiæ suæ solatium quœrentes, dicunt quod non oportet stu- 
dere, sed securius est quod maneant fratres in suæ simplicitatis humilitate, eo 
quod scientia inflat, et multæ litteræ faciunt insanire. Quibus respondemus, quod 
aliæ virtutes occasionaliter aliquando faciunt superbire ; non enim absque charitate 
prosunt, sed plerumque obsunt. Si autem contemnunt addiscere et verba Scriptura- 
rum glutire, quomodo poterunt ruminare ? et ita necesse est ut maledictionem incur 
rant, qua omne animal quod non ruminat maledictum et reprobum judicatur (/) 
Unde in Prov. XVII : « qui evitat discere, incedit in malo, » quia scilicet noluit 
intelligere ut bene ageret. Teste enim Eccli, XXI : « Ornamentum aureum pru- 
denti doctrina »,.. 

Licet igitur simplex frater non multum ingenio calleat, solerti studio defectum 
ingenii suppleat. Non erubescat panem verbi Dei a quibuscumque potest vindicare, 
id est, saltem singulis diebus, saltem unum bonum verbum memoriæ commendare. 
Multos enim vidimus hoc mo.lo, licet tardi ingenti, magis proficere, quam qui de 
viribus et subtilitate ingenii presumebant et ab aliis audire nolebant. » Pitra, op. 
cit. p. 403. 4. 


182 | SERMONS FRANCISCAINS 


fiques, dans une voie qui n’était plus tout à fait celle du Pove- 
rello. Et bientôt Eudes de Châteauroux pouvait dire : « Bien 
que saint François et saint Dominique paraissent avoir institué 
des Ordres différents, d’après différentes intentions, ils tendent 
néanmoins au même but: l'édification des fidèles par la doctrine 
et par l’exemple. Et ainsi Prêcheurs et Mineurs sont identi- 
ques »(1).Or nous savons que saint François, tout en étantadmi- 
rateur sincère de l'étude et de la science, ne les mit jamais, com- 
me saint Dominique, au nombre de ses moyens d’action. Il 
comptait avant tout sur l’éloquence de l’exemple : plus exemplo 
quam verbo (2). L'Église dans la suite jugea bon et nécessaire 
de modifier sur ce point la pensée du Patriarche des Mineurs (3), 
mais il ne nous est pas défendu de chercher à la discerner et à la 
préciser. | 

Dans le deuxième sermon du Cardinal Eudes de Châteauroux 
nous trouvons encore un témoignage indubitable en faveur de 
la réalité des stigmates et de nombreuses allusions aux contro- 
verses avec le clergé séculier, aux rivalités entre Prêcheurs et 
Mineurs, à la vie pauvre et saintement joyeuse de ces derniers, à 
leur activité scientifique, à l’un de leurs petits défauts qui était 
de se glorifier naïvement d’être un ordre nouveau et tel qu'il n’y 
en eut jamais de semblable. L’orateur à ce propos les rappelle 
agréablement à plus d’humilité et relève en même temps chez 
eux une tendance dangereuse à une vie plus large et plus com- 
mode : « Nous lisons, dit-il, que Jérémie conseilla aux Récha- 
bites de boire du vin.—Nousnebuvonspointde vin, répondirent- 
ils, car Jonadab, fils de Rechab, notre père, nous a donné ce 
commandement : Vous ne boirez point de vin, ni vous, ni vos 
fils, à jamais ; vous ne bâtirez point de maisons, vous ne ferez 
point de semailles, vous ne planterez point de vignesetvous n’en 
posséderez point.— Il est donc bien vrai qu'il n’y a rien de nou- 
veau sous le soleil. S'il est une chose dont on dise : Vois, c’est 
nouveau ! Cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont 
précédés. Et vous ne pouvez pas dire que votre Ordre est nou- 


(1) Cette identité est également affirmée dans la lettre que Jean de Parme, Ministre 
Général des F. M. et Humbert de Romans, Maître Général des Prêcheurs adressè- 
rent en commun aux deux Ordres. Cf. Monumenta. Ordinis Prœdicatorum, t. v. 
Litterae encyclicae p. 25. 

(2) Cf. L’apostolat franciscain. La prédication et la Science chez les F. M., Etudes 
Jranciscaines, t. XVIII (1907) p. 433-440. 

(3) Hilarin Felder O. M. Cap. Histoire des Etudes dans l'Ordre de saint Fran- 


çois, Paris 1908, p. 121-131. 


—_— 1- 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 183 


veau. Ïl a déjà existé chez les Réchabites et, permettez-moi de 
le dire, sans vous offenser, avec une plus grande perfection. Si, 
en effet, vous ne possédez rien, vous bâtissez cependant, ou tout 
au moins vous permettez qu’on vous bâtisse des maisons; plaise 
à Dieu que ce ne soit point des palais et qu’elles ne soient point, 
contre le Testamentetla défense de votre Pèresaint François, trop 
somptueuses (1). Vous buvez du vin et même d’assez bon... » 

L’orateur avertit ensuite ses auditeurs de déjouer les pronos- 
tics malicieux de ceux qui annoncent la décadence de l'Ordre 
et termine en célébrant l’amour ardent de saint François. 
« Ce n’est point, dit-il, par sa science ou par sa littérature, 
que saint François a trouvé cette forme de vie, mais par la fer- 
veur de son amour, amour qu'il puisa dans la contemplation du 
Christ crucifié et qui imprima dans sa propre chair les stigmates 
de la divine Passion » : 


[Fol.268'] SERMO IN GENERALI CAPITULO FRATRUM MINORUM. 


Io Paralipom. 110 Hi: sunt Cinei qui venerunt de calore domus Re- 
chaph (2). 

In hoc verbo Spiritus Sanctus duo nobis insinuat, primo quales 
esse debetis fratres cum dicit : F1 sunt cine: ; secundo qualis et quan- 
tus fueritille a quo descenditis et ortum habuistis ; et a quo, velut a 
fonte, hec religio emanavit ostenditur cum dicit : Qui venerunt de 
calore[patris] domus Rechap. Ad litteram loquitur de quibusdam 
religiosis veteris testamenti qui fuerunt expressissima forma fratrum 
minorum. Etisti Ciney et etiam Rechabite nuncupabantur,qui quales 
fuerint ibidem determinatur cum dicitur paulo ante : Cognationes 
scribarum habitantium in Jabes canentes atque resonantes et in taber- 
naculis commorantes (3). 

Sic fratres debetis esse cognationes scribarum id est, parentela vel 
genus scribarum, id est, latorum moralium, id est, docentium bene 
vivere. Legimus in Exo XXXVo : ambos erudivit sapientia ut faciant 
opera abietharü, polimitarii, [ac plumarii] de jacincto et purpura 
coccoque bis tincto et bisso (4). Hoc dicit de Beseleel et Ooliaph. Hii 
duo fuerunt doctores et magistri ad edificandum tabernaculum, et 
significant institutores duorum ordinum predicatorum scilicet et 


(1) On trouve le même reproche sous la plume de saint Bonaventure (Lettres 
officielles de 1257 et 1266, Opera Omnia, t. VIIL. p. 468. 470) et sous celle de Jean 
de Pecham dans son T'ractatus de Paupertate ed. A.G. Little, Aberdeen 1910 p. 83. 

(2) Par. 11, 55. 

(5)ibid, 54. 

(4) Ex. XXXV, 35. 


184 SERMONS FRANCISCAINS 


minorum. Beseleel interpretatur umbraculum divinum, [fol. 268} 
Ooliaph tabernaculum meum in ea. Peccatis enim nostris exigentibus 
hiis temporibus verum erat quod quondam dominus dixerat : filius 
hominis non habet ubi caput reclinet licet vulpes foveas habeant (1). 
Unde ad hec tempora respiciens Jeremias dicebat XIITI0 : Quare 
quasi colonus futurus es in terra et velut virvagus nonhabens ad ma- 
nendum (2) Ideo dominus hiis diebus fecit sibi duas domunculas, 
sicut solent facere pauperes homines de foliis de ramunculis ut ad im- 
pleretur illud quod dictum fuerat per Ysayam de domino : Et erit 
vir sicut qui absconditur a vento et celat se a tempestate (3). Vir iste 
Christus de quo Jeremias : Mulier circumdabit virum (4). Iste due 
domuncule sunt duo ordines fratrum predicatorum et fratrum mino- 
rum quorum opifices sive fabricatores fuerunt Beseleel et Ooliaph, id 
est beatus Franciscus et beatus Dominicus. Et nota quod quamwvis hec 
nomina Beseleel et Ooliaph diversa videantur omnino, tamen idem 
sonant quo ad interpretationem. [dem enim estumbraculum divinum 
et tabernaculum meum, id est Dei, in ea. Sic licet beatus Franciscus 
et beatus Dominicus videantur instituisse diversos ordines et diversas 
intentiones habuisse, eadem tamen fuit intentio utriusque et duo 
ordines unum et idem sunt,et si diversi videantur,et ad idem tendunt, 
ad hoc scilicet ut edificetur ecclesia in fide et moribus, doctrina et 
exemplo. Inde est quod tam fratres Predicatores quam Minores idem 
sunt. Et possumus dicere tam de istis quam de illis quod vere sunt 
scribe id est latores moralium, id est, docentes bene vivere et recte 
credere. Et nota quod dicuntur [fol, 268*] cognationes scribarum, 
cognationes quidem per amorem et concordie unitatem. Unde ibi 
Interlinearis : qu'a mutua soctetate in preliis utebantur. Sic debet 
esse et est de vobis, scilicet quod si unus guerram habeat et alii, si 
unus cadat et omnes alii eum erigant. Dicetur in vulgali : Quatuor 
fratres in uno campo valent octo homines. Quid ergo de tot fratribus. 
Ecclesiastes III T0 : melius est ergo duos esse simul quam unum. 
Habent enim emolimentum societatis sue. Si unus ceciderit, ab altero 
fulciatur.. Si dormierint duo, fovebuntur mutuo... Si quispiam pre- 
valuerit eontra unum, duo resistent ei (5). Fratres David et consan- 
guinei guerram eius super se assumpserunt. 
Sequitur : habitantium in Jabes, que interpretatur dolor vel dolens, 

siccans vel exsiccata. Possunt enim dicere cum Psalmista : defecit in 
dolore vita mea (6), id est, finita est et anni mei in gemitibus. Pos- 


(1) Luc. IX, 58. 
(2) Jer. XIV, 8. 9. 
(3) Is. XXXII, 2. 
(4) Jer. XXXI, 22. 
(5) Eccl. IV, 9-12. 
(6) Ps. XXX, 11. 


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DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 185 


sunt dicere cum Eccles. Ilo: Risum reputavi errorem et gaudio dixi : 
Quid frustra deciperis (1). Et hoc faciunt ut hoc dolore ab omni 
humore noxio exsiccentur, id est, delectatione prava que est causa cor- 
ruptionis ; Ezechiel XXV]I1o : Siccatio sagenarum eris nec edificaberis 
ultra (2). Hoc dixit Dominus ad Tyrum quod interpretatur angustiæ 
vel tribulatio. 

Sequitur cantantes ut in tribulatione et paupertate sua gaudeant et 
gratias Deo reddant secundumillud Ysa. XXXc : Canticum erit vobis 
sicut vox sanctificale sollempnitatis, et leticia cordis sicut qui pergit 
cum tybia ut intret iu montem Domini ad fortem Israël (3). Sciunt 
enim quod per multas tribulationes oportet eos intrare in regnum ce- 
lorum [fol. 2684]. Actibus XITIIIo (4). Unde cum nos declinemus ab 
hac porta, non est credendum nobis quod velimus intrare in regnum 
celorum. Dicitur Gen I1Io Collocavit ante paradisum voluptatis che- 
ruby m et flammeum gladium atque versatilem ad custodiendam viam 
ligni vite (5). Per cherubyn quod interpretatur plenitudo scientie, 
caritas ; per flammeum gladium, tribulatio. 

Sequitur resonantes ad quelibet scilicet tactum prosperitatis vel 
adversitatis, per gratiarum actionem et per vicis desiderium repen- 
dende ut possit dicere cum sponsa Cantici Vo: ventermeus intremuit 
ad tactumeius. Surrexi ut aperirem dilecto meo, manus mee distilla- 
verunt mirram, digiti mei pleni sunt mirra probatissima (6). Ysa. 
XVIo : venter meus ad Moab quasi cithara sonabit (7) que ad levissi- 
mum tactum reddit sonum. 

Sequitur : in tabernaculis commorantes. Tabernaculum fundamen- 
tum non habet sed tantum passillis terre infixis firmatur ut non cor- 
ruat. Sic vos fratres terrenum non habetis fundamentum ; sed tamen 
quia homines estis de terrenis suscipitis sustentationem. E contrario 
de nobis secularibus dicitur, Je. XI10 : plantasti eos, per divitias, et 
possessiones scilicet radicem miserunt (8) sicut arbores, qui terram 
occupant radicibus ex omni parte et penetrant interiora terre. Vos vero 
non sic plantati estis, et ideo de facili a terra separari potestis sicut ille 
qui dicebat, Ysa. XXXVIIIo : generatio mea ablata est et convoluta 
est a me quasi tabernacula pastorum (9) que de facili amoventur et 
de loco ad locum transferuntur. 

De vobis dicit hit sunt ciney etc. De cineis legitur Io Reg. XVo : 


(1) Eccl. II, 2. 

(2) Ez. XXVI, 14. 
(3) Is. XXX, 29 

(4) Act. XIV, 21. 

(5) Gen. III, 24. 

(6) Cant. V, 4,5. 

(7) Is. XVI, 11. 

(8) Jér. XII, 2. 

(9) Is. XXXVIII, 12. 


186 SERMONS FRANCISCAINS 


dixitque Sa [fol. 260!] ul cineo : Abite recedite atque discedite (sic) 
ab Amalech ne forte involvam te cum eo (1). Amalech interpretatur 
gens bruta. Hi sunt de quibus dicitur : Comparatus est jumentis insi- 
pientibus (2). Contra hos dominus elevat gladium suum. Animal bru- 
tum quando ducitur ad macellum non cogitat quod ad mortem duca- 
tur. Sic tales nesciunt quod ad mortem ducantur nec sibi condolent 
et si alii sibi condoleant. Ab hiis recessistis, ea que sunt mundi dere- 
linquentes ne involveremini cum eis. Legitur Judic. Io : filit autem 
ciney cognati Moysi ascenderunt de civitate Palmarum cum filiis 
Juda in desertum sortis ejus quod est ad meridiem Arat et habitave- 
runt cum eo (3). Juda interpretatur glorificans. Vosenim velut cognati 
Moysi volentes magis affligi cum populo Dei quam temporalis peccati 
habere iocunditatem, maiores divitias estimantes thesauris Egiptiorum 
improperium Christi, ascendistis de civitate Palmarum, id est de mun- 
do, in quo sancti de inimicis suis spiritualibus victoriam reportant. 
Ascendistis, inquam, cum tiliis Juda, id est, cum illis qui glorificant 
Deum, Glorificantes Deum in corpore suo, 1° ad Cor. VIo (4). Et as- 
cendistis in desertum voluntarie paupertatis quam primitivi sancti sibi 
elegerunt in sortem et hec sors est ad meridiem Arat quod interpreta- 
tur descensio.In meridie lux et fervor, quia licet pre aliis scientia lucea- 
tis et caritate ferveatis, tanto humiliores esse debetis juxta illud Eccle- 
siastici : Quanto magnus es, tanto humilia te in omnibus (5). Legi- 
mus Jerem. XXXV° jeremiam dixisse cyneys : Bibite vinum. Qui res- 
ponderunt : Non bibemus [fol. 2692] vinum quia Jonadap filius 
Rechap pater noster precepit nobis dicens : Vinum non bibetis vos et 
filii vestri usque in, sempiternum, et domum non edificabitis, et 
sementem non seretis, et vineas non plantabitis neque habebitis (6). 
Vere nichil recens sub sole, nichil sub sole novum, nec valet quisquam 
dicere : Ecce hoc recensest ; jam enim precessit in seculis que fuerunt 
ante nos. Ecclesiastes [9 (7). Non enim potestis dicere religionem 
vestram novam esse. Jam enim precessit in cyneis sive rechabitis quod 
idem est, et in maiori pertectione, ut cum gratia vestra loquar. Et si 
enim possessiones non habeatis, domos tamen vobis edificatis vel 
edificari permittitis et utinamnon palacia, et utinam non nimis sump- 
tuosas contra testamentum et prohibicionem patris vestri beati Fran- 
cisci. Vinum bibitis et forte vinosum (7 bis). 

De cyneis legitur, Numeris XXIIIIo : Vidit quoque Cyneum et, 


(1) T Reg. XV, 6. 

(2) Ps. XLVIII, 13, 21. 

(3) Jud. I, 16. 

(4) Allud, I. Cor. VI 20. 

(5) Eccli. IT], 20. 

(0) Jer. XXXV, 5. 7. 

(7) Eccl. 1,9, 10. 

(7bis) Cf. : Salimbene, Chronica ed. M. G. SS. p. 218. 


Qu mn 


Leg — 


* 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 187 


assumpta parabola, ait : Robustum est quidem habitaculum tuum 
sed si in petra posueris nidum tuum, et fueris electus de stirpe Cham 
quamdiu poteris permanere ? Assur enim capiet te (1). Hoc dixit 
Balaam pseudo propheta et interpretatur vanus populus. Sic vani po- 
puli et falso prophetantes, videntes perfectionem vestram. dicunt quod 
quantecumque perfectionis vos sitis nichilominus tamen a perfectione 
ista cadetis et dyabolus vos capiet, ab hac altitudine vos precipitans 
deorsum, sicut ipsum Dominum ad precipitationem induxit cum 
dixit : « mitte te deorsum » (Matt IIIlo) (2). De vobis ergo dicitur : 
hit sunt cynei. Cynei interpretatur possidentes. Et vos tanquam 
nichil habentes omnia possidetis (3). 

Sequitur [fol. 269° ] qui venerunt de calore patris domus Rechap, di 
est, a fervore familie Rechap. Iste Rechap beatus Franciscus de cujus 
calore vos descendistis. Devotio enim beati Francisci fuit quasi fornax 
caritate succensa in qua decocti estis. Et nota quod non dicit de 
sapientia vel de sciencia. Non enim sciencia vel litteratura beati 
Francisci talem forman vivendi adinvenit, sed fervor et devotio carita- 
tis. Non enim homines ad hoc possent deduci nisi solo caritatis 
ardore. Radiis enim, id est, exemplis sanctitatis beati Francisci corda 
congelata et terrenis conglutinata liquefacta sunt et emollita, Unde 
recte Rechap dicitur quod interpretatur mollis vel tenellus. [pse enim 
mollis fuit ab effectu quia corda hominum, licet durissima, emollivit 
exemplo suo et doctrina. Mollis enim fuit in se et tenellus qui impres- 
sionem crucis Christi ita suscepit ut posset vere dicere cum apostolo 
ad Gal. ultimo : Stigmata domini nostri [hesu Christi in corporemeo 
porto (4). Unde ad ostendendum qualiter interius in corde ipsius crux 
Christi impressa erat, voluit dominus ut in carne ejus hec impressio 
appareat. Videtur enim quod ei dominus specialiter dixerit illud Can- 
tici ultimo : pone me ut signaculum Super cor tuum, pone me ut 
signaculum super brachium tuum (5). Et quia mundus vitam istam 
quam iste cupiebat stulticiam reputabat, ideo voluit dominus ut in eo 
crucis vestigia apparerent cujus verbum stulticia reputatur juxta ver- 
bum apostoli (I. ad Cor Ic) : Verbum entm crucis pereuntibus quidem 
stulticia est. [fol. 269+] sed ad ostendendum quod hiis qui salvi fiunt 
virtus Dei est (6), operatus est dominus meritis ejus et intercessione 
tot et tanta miracula, et ut vos qui ejus stulticiam imitati estis non 
desolemini, sed pocius in Domino confortemini pro certo habentes 
quod si vestigia eius secuti fueritis, ad eandem beatitudinem pervenie- 


(1) Num. XXIV, 21. 22. : de stirpe Cin. 
(2) Matth. IV, 4. 
(3) 11 Cor. VI, 10. 
(4) Gal. VI, 17. 
(5) Cant. VIII, 6. 
(6) I Cor. I, 18. 


188 SERMONS FRANCISCAINS 


tis ad quam assumptus est beatus Franciscus, ad quam nos perducere 
dignetur Ihesus Christus Dominus noster qui vivit in secula seculo- 
rum. 


SERMON II. 


Le troisième discours (1)est intitulé : Sermon pour exhorter les 
religieux à la paix et à la concorde. Qu'il s'agisse des Domini- 
cains et des Franciscains, il n’y a aucun doute. Le Cardinal 
prend ouvertement leur défense contre les anciens Ordres 
qui s’opposaient fréquemment à leur établissement. Il dit 
en effet que Sénèque s’est trompé lorsqu'il a écrit: Les hommes 
vivraient en paix si l’on supprimait ces mots, mien et tien. Il 
s’est trompé car nous voyons que ceux qui n'ont ni mien, ni 
lien, ne se contentent pas de se troubler et de s’inquiéter récipro- 
quement, mais troublent et inquiètent ceux qui n’ont ni mien, 
ni ften, n1 notre, ni votre et qui ne doivent rien avoir #1 en com- 
mun, ni en particulier. 

I1 exhorte donc tous les religieux à maintenir entre eux la 
paix et accueillir parmi eux les nouveaux Ordres mendiants. 
Pour atteindre ce but il trouve des raisons pleines de charme 
et de force. La division, dit-il, est une cause de faiblesse. Elle 
n’a paslieu d'exister entre des hommes occupésaux mêmes labeurs 
apostoliques. l'st-ce que les oiseaux du ciel se disputent pour la 
possession des routes aériennes ?... Est-ce que les lampes qui 
éclairent un même endroit se jalousent et se contrarient dans le 
rayonnement de leur lumière ?.. S'’ilen était ainsi la lumière 
perdrait sa pureté de ses propriétés merveilleuses... Quand mille 
trompettes sonnent ensemble, est-ce que le son de l’une empêche 
celui des autres ?.. Au contraire elles se renforcent et elles 
inspirent d'autant plus d’ardeurau cœur descombattants qu’elles 
sont plus nombreuses et plus bruyantes. Plus les fêtes sont 
solennelles et plus les cloches carillonnent, la voix de l’une n’é- 
touffe pas la voix de l’autre, s’il en était ainsi le son ne serait 
plus leson… 

Les discordes sont donc inadmissibles, surtout entre religieux 
qui ont fait vœu de ne rien posséder sur terre ; leur jalousie 
réciproque est tout aussi condamnable que celle de Josué vou- 


(1) D’après le Ms. 876 de la Bibliothèque d'Arras. Cf. Léop. Delisle, loc. cit. p. 
270. — Même obscurité que pour les deux précédents Sermons sur la date de sa 
composition et le lieu où il fut prononcé. 


_ ET — 


— 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 189 


lant enlever à Eldad et à Médad le droit de prophétiser. Eudes 
de Châteauroux oppose à cet exemple celui de saint Jean-Baptiste 
qui se réjouit de se voir diminuer pendant que leChrist grandit. 
Il indique ensuite que la cause de ces divisions est la difficulté 
de trouver les aumônes nécessaires à la vie de tous cesreligieux. 
Ce motif n’est point acceptable, car autrement aucun Ordre nou- 
veau n'aurait pu être institué. 

Enfin l’orateur adjure ses auditeurs de mettre un terme à ces 
disputes qui ne peuvent profiter qu’aux hérétiques. A quoi bon 
bâtir d'une main si l’on détruit de l’autre !... on ressemble alors 
au lion qui efface avec sa queuela trace de ses pas sur le sable du 
désert !… 


[fol. 1091] SERMO AD EXHORTANDUM RELIGIOSOS AD 
PACEM ET CONCORDIAM. 


Unusquisque fratrem suum non coartabit ; singuli in calle suo 
ambulabunt, sed et per fenestras cadent, et non demolientur (1). 
Sicut in primo Ezechiel (2) designata sunt quatuor regna que obtinue- 
runt in mundo monarchiam, per quatuor animalia, et in Daniele per 
quatuor partes statue (3), et in eodem per quatuor animalia, sic et in 
Joele per erucham, locustam, brucum et rubiginem (4). Et sub 
metaphora istorum quatuor describit ea quæ facta sunt per illa regna 
et per exercitus eorum ut sicut predictis quatuor eruce, scilicet, locuste, 
bruco, rubigini quando mittuntur a deo pro flagello nichil est eis 
invium, nichil potest eis resistere ; sic nichil resistere potuit regnis 
quatuor antedictis dum furor eorum erat in cursum, domino permit- 
tente et flagellante peccatores per ea. Quodlibet enim eorum fuit 
virga furoris domini secundum quod denuo eorum dicit dominus per 
Ysayam X°: Vhe assur virga furoris mei et baculus ipse est, in manu 
eorum indignatio mea (5): Etin Ysa. XIITI0. Quomodo cessavit exac- 
tor, quievit tributum ? Contrivit Dominus baculum impiorum, vir- 
gam dominancium cedentem populos in indignatione (6). Quamdiu 
enim unum quodque eorum indivisum fuit in se, nulla gens poterat eis 
resistere, quia unus alterum non impediebat sed potius adjuvabat; 
unde dicit Joel Ilo. Sicut fortes current ; quasi bellatores viri ascen- 
dent murum ; viri in viis suis gradientur, et non declinabunt a semi- 


(1) Joel II, 8. 

(2) Ez. I, 4-28. 

(3) Dan. 11, 51-35. 
(4) Joel I, 4. 

(5) Is. X, 5. 

(6) Is. XIV, 4-6. 


190 1 SERMONS FRANCISCAINS | 


tis suis (1), et subjungit : unusquisque fratrem suum non coartabit ; 
singuli in calle suo ambulabunt ; sed et per fenestras cadent ; id est 
per foramina murorum nesit mora1n frangendo portas, vel in aperiendo, 
[fol. 10a2] et sic intrando per rupturas murorum licet caderent non 
demoliebantur et non ledebantur, nec a supervenientibus conculca- 
bantur vel opprimebantur. Sed postquam divisi sunt contra se et unus 
alterum coartabat, non ambulaverunt ut prius, sed sese impedientes 
et in facto quod inceperat non processerunt, sed impletum fuit in eis 
verbum Domini loquentis in evangelio : omne regnum in se ipsum 
divisum desolabitur (2) et domus supra domum cadet quod desi- 
gnavit Daniel ; assignans causam destructionis statue dicit : Regnum 
divisum erit (2 bis) et subjungit : non adherebunt sibi, sicut ferrum 
non potest misceri teste (3), sic viri spirituales de quibus Dominus 
instaurat suos exercitus ad debellandum hereses et peccata et ad subi- 
gendum sibi corda hominum quamdiu abeis longe relegata est discor- 
dia et eorum est cor unum et anima una impediri non possunt, nec 
aliquis poterit eis resistere. Ex quo unusquisque fratrem suum non 
artat sed et singuli in calle suo ambulant sed et si per fenestras 
cadant id est defectum aliquem patiantur dum ad corda hominum 
predicando, exhortando, arguendo, increpando, cupiunt penetrare, 
non demoliuntur, id est non leduntur usque ad internectionem spiri- 
tualem, modo increpando, vel in arguendo, excedendo quia ab aliis 
non, concultantur, nec eliduntur, sed potius ab aliis fratribus suis sive 
sint ejusdem ordinis, sive diversorum, manibus suis sub ponentibus, 
sublevantur. Deus enim fecit facit (sic) in sublimibus suis, idest 
angelicis epiritibus, ut alter alterum non impediat sed potius coadjuvet. 
Similiter in sublimibus corporibus facit concordiam et quo ad se et 
quo ad alia quia nichil in se contrarietatis habent. Non enim sunt ex 
contrariis compacta sicut sunt corpora inferiora nec unum est contra- 
rium alteri, et ideo stabilia sunt et incorruptibilia. Inferiora vero 
corpora stabilia non sunt, sed corrumpuntur quasi continue eo quod 
[fol. 110'] in se contrarietatem habent et etiam ad alia. Sicut enim 
in universo angelici spiritus et corpora super celestia sublimia repu- 
tantur, sic in ecclesia militante sublimes sunt viri spirituales, spiri- 
tualiter degentes, et spiritualia officia exercentes. In hiis debet esse 
summa concordia ut frater fratrem non artet nec coherceat sed sin- 
guli in calle suo ambulent libere et sine impedimento. Unde et in 
evangelio volucribus comparantur, Mattheo VIo: Respicite volatilia celi 
quoniam non serunt, nec metunt, neque congregant in horrea (4) ; 


(1) Joel II, 7. 

(2) Matth. XII, 25. 

(2 bis) Dan. IT, 42. Ex parte regnum erit solidum, et ex parte contritum. 
(3) Dan. II, 43. 

(4) Matth. VI, 26. 


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DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 191 


si enim sererent et meterent, artarent, se ad invicem ne sata sua alia 
conculcarent veletiam meterent. Unde avis dicitur quasiaviaidest sine 
via. Non enim vendicant sibi vias in aere. Si enim aliqui religiosi qui 
seminant et metunt ad litteram alios coartant ne terras quas semi- 
nant alii occupent, vel ne ea que seminaverant ali colligant, nulli 
faciunt injuriam, neque inde aliquod scandalum generetur, sed si alios 
arcerent a communibus usque ad strata publica vel a suino communi 
vel ab aliis in quibus nichil juris habentnisi ut alii, tunc injuriam illis 
facerent quos at alibus arcerent et merito reprehensioni paterent. Item 
talibus videtur dicere dominus,Mattheo Vo: Vos estis lux mundi.(1)Et 
apostolus, Ad Phil. : 110 Omnia autem facite sine murmurationibus et 
hesitationibus : ut sitis sine querela, et simplices filii Dei, sine repre- 
hensione, in medio nationis prave et perverse, inter quos lucetis sicut 
luminaria in mundo ; verbum vite continentes {2). Luminaria enim 
sese non impediunt nec coartant quo minusin eisdem locis et in eodem 
tempore lumen suum diffundant unde beatus Dionisius in libro de 
substantia divinis nominibus Ie capitulo quodincipit :divina tota dixit 
hoc modo : « Sicut lumina lampadum (ut sensibilibus ut propriis utar 
exemplis) dum sunt in domo una et tota se {[fol. 1102] invicem totis 
sunt, et diligentes ad se invicem proprie //// habent discretioni 
unita discretione et unita discreta. Etenim videmus in domo 
multis unitis lampadibus ad unum aliquod lumen unita omni- 
um Jumina et unam claritatem indiscretam relucentem et non 
etiam quis, ut arbitror, poterit alicujus lampadis lumen ab aliis ex 
omnia lumina continenti aere discernere et videre sine altera parte 
alteram partem, totis in totis inconfuse contemperatis ; sed si etiam 
unam quis ardentium subduxerit, domui coibit et proprium totum 
lumen nullum quidem aliorum in semetipsa complectens aut suimet 
alteris relinquens (3). Hec sunt verba Dionisii in quibus ostendit quod 
licet lumen unius candele vel lampadis occupet totam unam domum 
non tamen propter hoc alia lampas si accendatur lumen ejus artabi- 
tur quin idem spacium occupet ; sic et de tertia et quarta, et sic 
deinceps. Videtur ergo aliquantulum recedere a puritate et proprietate 
Juminis qui se invicem a locis artant et arcent ne in eis sua offcia 
exequantur. Hoc enim contrariorum est quod mutuo se expellunt.Sed 
contrarietas a talibus summe relegari debet. Bonum enim non est 
bono contrarium, et tam isti quamilli boni sunt. Etlicet majuslumen 
minus lumen obfuscare videatur, non tamen obfuscat, nec diminuit 
in aliquo, nec alterat quia lumen lumini non miscetur. Mixtio enim 
est alteratorum uniosecundum Philosophum.(4) Sed dicitur obfuscare 


(1) Matth. V, 14. 

(2) Phil. II. 14-16. 

(3) Migne, Patr. græc.t. III, col. 642. 

(4) Aristote, De generatione et corruptione, lib. I, c. 10. Opera omnia, ed. Fir- 
min Didot, t. II, p. 451. 


Î 


192 SERMONS FRANCISCAINS 


quia minus non comprehenditur sensu visus et hoc ex debilitate visus, 
sicut ex debilitate visus est quod athomi non videntur nisiinradio solis 
licet equi sint in aere non illuminato radio et in aere illuminato a 
radio. Legitur, Num. X° quod dominus precepit Moysi ut faceret duas 
tubas argenteas ductiles (1) ad convocandum multitudinem per quas 
predicatores veteris et novi testamenti designati sunt. Sonus unius 
tube non impedit [fol. 112'] sonum alterius si mille tube sonarent ; 
licet enim sonus unius tube occupet omnis aures astantium et sonus 
secunde tube et tertie et sic deinceps ; nec sonus sonum expellit, nec 
impedit sed potius juvat ad convocandum multitudinem ad bellum, 
ad convivium, ad festum, et quanto plures tube simul clangunt, tanto 
melius officium suum implent, scilicet terrendo hostes, equorum au- 
datiam excitando et etiam pugnantium, ostendendo etiam epulum, 
seu festum esse solempne et ideo in magnis festivitatibus omnes cam- 
panas similiter pulsantur ut festi solempnitas denuntietur. Dicitur in 
Ps. de Apostolis et eorum successoribus : ]/n omnem terram exivit 
sonus eorum et in fines orbis terre verba eorum (2). À natura soni 
sive tubarum sonantium seu clangentium recederent si sonus sonum 
arceret vel etiam impediret. Dicitura Seneca : Quietissime viverent 
homines si hec pronomina meum, tuum de medio tollerentur (2) ; ergo 
si unus alium inquietat habent aliquid de meo et de tuo. Et posset 
quis credere quod Seneca diminute locutus fuerit cum hoc dixit ; 
debuit enim dicere et addere si hec pronomina meum et fuum, ves- 
trum et nostrum tollerentur de medio. Quia videmus homines qui 
dicunt se non habere meum et fuum, inquietare se ad invicem, eo quod 
apudeos inveniuntur nostrum etvestrum. Et in hoc apparet quodplu- 
rale dupplicat singulare, et in plurali est singulare etinde accidit quod 
aliquando magis se inquietant qui nostrum et vestrum, quam illi 
qui meum et tuum. Sed adhuc videtur Seneca falsum dicere cum 
videamus inquietari ab aliis et inquietare alios apud quos nec meum 
nec fuum nec nostrum, nec vestrum inveniuntur, cum nichil habeant 
nec in singulari nec in communi. Ego credo Senece in hac parte. Muita 
dicitur que non sic se habent, et facilius est dicere quam facere, 
et aliud dicere non habent, et non habere debent.Dicit apostolus 1° ad 
Cor. in principio [fol. 1112] : Significatum est enim mich: de vobis 
_fratres ab hiis qui sunt Cloes, quia contentiones inter vos sunt (4), 
et subjungit causam : hoc autem dico, quod unusquisque vestrum 
dicit : ego quidem sum Pauli ego vero Appollo ; ego autem Cephe, 


(1) Num. X, 2. 

(2) Ps. XVIII, 5. 

(3) Cette phrase se trouve dans le Liber de Moribus faussement attribué à Sénè- 
que et publié à la suite des Publii Syri Sententiæ par Ed. Waælffin. Leipzing, 1869, 
P- 144, n° 98. 

(4) I. Cor. I. 11. 


ne 
— + 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 193 


ego quidem Chisti (1). Ex hocautem contentiones erant inter eos quia 
appropriabant se baptistas et doctores. Si enim unum reputarent se 
habere patrem et magistrum, illum qui in celis est, nunquam contentio 
fuisset inter eos de noc exorta. Consueverunt habere zelum inter se 
magistri ex hoc quod unus plures auditores habet quam alius, et audi- 
tores zelare pro magistris suis sicut legitur, Nam. XIo quod Josue 
filius Nun, minister Moysi dixit : Domine mi Moyses prohibe eos. 
Et ille : Quid, inquit, emularis pro me ? Quis tribuat ut omnis popu- 
lus prophetet, et det eis Dominus spiritum suum (2) ? Iste Josue invi- 
debat Eldath et Medath prophetantibus in castris ne forte plures eis 
intenderent quam magistro suo Moysi. Ve nobis miseris si hec emu- 
lationes usque ad nos pervenerunt! Absit quod nos simus sicut disci- 
puli Johannis reputando augmentum alterius esse detrimentum nos- 
trum vel nostrorum. Legitur enim Jo. I1I0 quod discipuli Johannis 
dixerunt ei : Rabbi, qui erat tecum trans Jordanem cui tu testimo- 
nium perhibuisti, ecce hic baptizat et omnes veniunt ad eum. Res- 
pondit Johames et dixit : Non potest homo accipere quicquam nisi 
fuerit ei datum de celo. Ipsi vos testimonium perhibetis quod dixe- 
rim : Ego non sum Christus sed quia missus sum ante illum. Qui 
habet sponsa sponsus est (3); et subjungit : In hoc ergo gaudium 
meum impletum est. Illum oportet crescere me autem minui(4). Vere 
Johannes in quo gracia qui de cremento alterius et de diminutione 
sua gaudebat, Ecce quomodo Johannes non impe {[fol. 1121] diebat 
<rementum Jhesu nec sibi sua diminutio displicebat sed gaudebat 
potius in utroque quia licet discipuli ejus et de utroque tristarentur 
nec nitebatur ad crementum suum, neque crementum alterius impe- 
diebat. 
Legitur Jo. [III : wt ergo cognovit Jhesus quia audierunt Phari- 
sei quod Jhesus plures discipulos facit et baptizat quam Johannes 
(quamquam Jhesus non baptizaretsed discipuli ejus), reliquit Judeam. 
Hoc fecit ut cederet Johanne quo in infinitum major erat. Sed heu 
difficiles sunt quam plures Jhesu qui nolunt aliis cedere. Legitur 
Gen. XIIIo0: Sed et Loth qui erat cum Abraham fuerunt greges 
ovium et armenta et tabernacula. Nec poterat eos capere terra ut 
inhabitarent simul.Erat quippe substantia eorum multa et non quibant 
habitare communiter. Unde et facta est rixa inter pastores gregum 
Abraham et Loth (5) ; et subjungit causam : Fo autem tempore Cha- 
naneus et Pherezeus habitabant in terra illa. Dixit ergo Abraham ad 
Loth : Ne, queso, sit iurgium inter me et te et inter pastores meos 


(1) Ibid. 12. 

(2) Num. XI, 28-50. 
(3) Joa. III, 20-29, 
(4) Ibid. 29, 30. 
{5) Gen. XIII, 5-7. 


E. F. — XXIX. — 13 


194 SERMONS FRANCISCAINS 


et pastores tuos ; fratres enim sumus. Ecce universa terra coram te 
est ; recede a me, obsecro. Si tu ad sinistram ieris, ego ad dexteram 
tenebo ; situ ad dexteram elegeris, ego ad sinistram pergam (1). 
Rari sunt qui velint sibi ad invicem cedere ; et causa jurgiorum quia 
Chananeus et phereseus habitant in terra illa. Chanaan interpretatur 
similitudo gratificationis, vel similitudo eorum hoc est, similitudo 
officiorum quibus gratificari volunt hominibus. Ideo sese non compa- 
tiuntur quamwvis contrario dicat Ecclesiasticus XIIIo : Omnis caro ad 
similem sibi conjungitur et omnis homo simili sibi sociatur (2). Et 
alibi XXVIÏIo : Volatilia ad sibi similia conveniunt et veritas ad eosqui 
operantur illam revertetur (2 bis) [fol. 112,]. Natura nititur ex simi- 
libus similia producere, et error nature est similia arcere. Jurgium fuit 
inter pastores Abraham et Loth propter pascua, sic fortasse propter 
elemosinas que utrisque sufficere non possunt. Dicit enim Ecclesias- 
ticus : pascua divitum pauperes (3). Sic est verum dicere quod pascua 
pauperum divites, ne distinguit inter pauperes et pauperes. Si pau- 
peres erant in hac parrochia quorum pascua erant divites hujus par- 
rochie, si superveniunt alii pauperes injuriantur pauperibus qui prius 
erant ibi ; et qua ratione injuriantur secundis pauperibus illi qui pos- 
tea superveniunt, sic et secundi prioribus; sed que est parrochia in 
quo pauperes non fuerint ab antiquo. Ergo omnes qui postea venerunt 
eis, scilicet prioribus, sunt injuriati.Dicitur in evangelio, Luce Xo: Mes- 
sis quidem multa, operarii autem pauci. Rogate ergo dominum mes- 
sis, ut mittat operarios in messem in suam (4). Non dicit : rogate domi- 
num ut non permittat intrare operarios in messem suam. Infirmi 
naturaliter desiderant diversitatem medicorum et qui placet uni et 
non placet alteri. Arcere ergo accessum medicorum esset facere inju- 
riam egrotantibus. Sed dicet quis : Communio generat dissensionem 
et ideo sancti patres terminos posuerunt diocesum et parrochiarum 
.quos non licet transgredi, Sed numquid illud tempus in quo erant 
omnia communia quietum fuit. Unde dicuntur aurea tempora. Dicit 
Boetius in libro de epdomadibus : Omnis diversitas discors, similitudo 
vero appetenda est; (5)et ponit glossa (6) exemplum sicut ignis ignem ; 
refugit autem contrarium. Sed distinctio terminorum propter infir- 
mos facta est qui de facili scandalizantur, non propter perfectos. Dicit 
apostolus : Si esca mea scandalizat fratrem meum, non manducabo 
carnes in eternum (7), id est, nunquam ; propter ergo vitandum scan- 


(1) Ibid. 8. 9. 

(2) Eccli. XIII, 20. 

(2 bis) Eccli XXVII, 10. 

(3) Eccli XIII, 23. 

(4) Luc. X, 2. 

(5) Migne, Patr. lat. t. LXIV, col. 1311. 

(6) Gilberti Porretæ Commentaira, ibid. col, 1322. 
(7) 1. Cor. VIII, 13. 


” 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 195 


dalum esca vitanda est [fol. 113'] et posponenda. Scribitur in Actibus 
apostolorum quod divisi sunt ad invicem Paulus et Barnabas (x): 
Apostoli etiam sortiti sunt diversas regiones. Non est ergo mirum si 
alii minoris perfectionis volunt diversa loca habere, nec est reprehen- 
sibile immo laudabile. Verum estquoniam divisio sit ad salutem anima- 
rum ut amplior fructus fiat et maxime utilitas generalis que prefe- 
renda est utilitati private que tamen utilis esse non poterit, nec fruc- 
tuosa si communis utilitatis sit impeditiva. Hoc dicimus non ut con- 
dempnemus aliquem et alium beatificemus, neque ut preferamus 
alium et alterum post ponamus. Sed hec dicimus ne propter talem 
discordiam insurgant heretici contra catholicos, et ne aperiant ora 
sua dicentes : dominus dicit in evangelio : Quod uni ex minimis istis 
fecistis michi fecistis, hospes eram et non collegistis me (2). Dixit 
etiam pauperibus qui omnia propter ipsum reliquerant : Qui vos 
recipit et me recipit (3). Dicunt ergo heretici:quomodo hii veri catho- 
lici sunt qui pauperes Christi non colligunt, non recipiunt, sed nec 
colligi, nec recipi permittunt, immo etiam eos de propriis locis expel- 
lunt, et ea relinquere cogunt. Timendum est ne verificetur in aliqui- 
bus quod dicit Ecclesiasticus : Unus edificans et alius destruens (4) ; 
que utilitas in utrisque ? nulla. Que utilitas est una manu edificare et 
alia destruere cum facilius sit destruere quam edificare, verbo edificare 
et destruere exemplo ? Non simus ergo sicut leo que vestigia que im- 
primit pedibus, cauda delet, sed simus frater qui adjuvat fratrem et 
sic erimus quasi civitas firma et non valebunt nos heretici expugnare 
sed potius prevalebimus adversus eos et victoria habita coronam habe- 
bimus sempiternam. 


(A suivre) F. GRATIEN. 
O. M. C. 


(1) Act. XV, 30. 

(2) Matth. XXV, 43. 
(3) Matth. X, 40. 

(4) Eccli XXXIV, 28. 


BULLETIN CANONIQUE 


LETTRES ET CONSTITUTIONS APOSTOLIQUES 


Nous aimons à citer, en commençant ce Bulletin, deux documents, 
qui, une fois de plus, rappellent la perpétuelle bienveillance des Souve- 
rains-Pontifes envers la grande famille du « Poverello ». 

Le premier porte la date du 9 août 1912 et concerne les filles de 
sainte Claire. Sept siècles ont passé depuis le jour où saint François 
d'Assise enrôla Claire dans la milice séraphique. Le retour de ce 
glorieux anniversaire avait déjà fourni à Sa Sainteté, l’occasion d'ou- 
vrir aux Pauvres-Dames les trésors de l’Église. Non content des faveurs 
accordées, Pie X ne veut point laisser passer ces solennités séculaires, 
sans donner, de sa piété envers la Recluse de St-Damien, des témoi- 
gnages plus explicites. Ces Lettres sont un éloge des mérites, des 
vertus de la sainte et une exhortation à ses filles spirituelles. Qu'’elles 
s'efforcent de pratiquer à l'exemple de leur Mère : l'humilité, la 
patience ; comme elle, qu'elles soient des amantes passionnées de la 
sainte pauvreté, se confiant sans réserve à la divine providence. Vien- 
nent alors les privilèges : 

1° L'église du monastère des Clarisses d'Assise, où repose actuel- 
lement le corps de leur glorieuse fondatrice, est élevée au rang de 
Basilique mineure avec participation à tous les privilèges que comporte 
ce titre. | 

20 Est concédé à perpétuité le privilège de la messe votive de sainte 
Claire aux prêtres célébrant le Saint-Sacrifice, soit dans la crypte où 
repose le corps de la Sainte, soit au maitre-autel situé au-dessus de la 
dite crypte, soit à l’autel de la vieille église Saint-Georges. 

Ce même privilège est accordé pour l'autel principal de l’église saint 
Damien et à ceux érigés dans l'ancien chœur de Sainte-Claire, dans 
son oratoire et dans la cellule où elle rendit son âme à Dieu. 

30 Le saint Père confirme, pour le monastère de sainte Claire 
d'Assise, le privilège de l’exemption absolue, accordée par Léon XITI, 


BULLETIN CANONIQUE 197 


et sa dépendance immédiate du Siège apostolique qui exercera sa 
juridiction par le Cardinal Protecteur des Frères-Mineurs. Cette 
charge étant présentement remplie, à titre de particulière bienveil- 
lance, par le Souverain Pontife lui-même, S. E. le cardinal Falconio 
est nommé légat pontifical pour ce monastère avec pour vicaire le 
Ministre provincial de la province séraphique de sainte Claire. 

Pie X autorise enfin, la célébration dans toutes les églises du second 
Ordre, à partir du 12 août 1912 jusqu'au 12 août 1913, d'un triduum 
solennel d'actions de grâces pour l’heureuse institution de l’Ordre de 
sainte Claire. Une indulgence de 700 jours est accordée à quiconque 
assistera à l’un de ces exercices, plus pour le triduum une indulgence 
plénière aux conditions ordinaires. 


Le second document daté du 8 septembre 1912 est adressé aux 
Ministres Généraux des trois branches constituant actuellement le 
premier Ordre franciscain. Il est destiné à fixer la nature, le but du 
Tiers-Ordre, à lui conserver le caractère qu'il eut dès l’origine : pro- 
mouvoir la sanctification de ses membres par une vie chrétienne 
intense. Les « Études Franciscaines » en ont publié la traduction in 
extenso dans leur numéro de novembre 1912. | 


Nous ne voulons pas laisser passer sans la signaler l’encyclique 
« Lacrimabili statu » adressée le 7 juin 1912 aux Évêques de l’Amé- 
rique latine, en faveur des malheureux Indiens. Comme ses illustres 
prédécesseurs, notamment Benoît XIV et Léon XIII, Sa Sainteté 
élève la voix pour rappeler à l'humanité, que tous les hommes sont 
frères, sans distinction de nation et de couleur et qu'il n'appartient à 
personne de réduire son semblable en servitude. 

Après avoir flétri, suivant qu'elles le méritent, les indignités com- 
mises contre ces pauvres Indiens, même par des catholiques, le Pape 
fait appel non seulement aux gouvernements civils, mais à tous les 
Évêques, Prêtres, Missionnaires, les invitant à travailler de tout leur 
pouvoir afin d’enrayer et de faire totalement disparaître cette honte 
du nom chrétien qu'est l'esclavage. 

« Quant à Nous ayant, non sans raison, bon espoir dans l’assenti- 
« ment et la bienveillance des pouvoirs publics, Nous avons surtout 
pris à cœur d'élargir le champ de l'activité catholique dans ces vastes 
régions, par l'établissement de nouvelles stations de missionnaires 
où les Indiens pourront trouver un refuge salutaire ». 

Pour qu'aux efforts s'ajoute toute l'efficacité possible ; « suivant 
l'exemple de Notre prédécesseur Benoît XIV, Nous condamnons et 


R = = 


198 BULLETIN CANONIQUE 


déclarons coupables de crime inhumain tous ceux qui osent réduire en 
esclavage les Indiens, les vendre, les acheter, les échanger ou donner, 
les séparer de leurs femmes et de leurs enfants, les dépouiller de leurs 
biens ou possessions, les éloigner ou transporter en d’autres régions, 
ou de quelque manière que ce soit les priver de leur liberté et les 
retenir en captivité. Ceux-là aussi sont coupables du même crime qui, 
sous quelque prétexte ou raison spécieuse que ce soit, donnent con- 
seil, secours, faveur à ces trafiquants ; prêchent ou enseignent la légi- 
timité de ce commerce ou y coopèrent de n'importe quelle manière 
que ce soit. Aussi Nous voulons que soit réservée aux Ordinaires de ces 
régions, l’absolution au tribunal de la pénitence, des hommes cou- 
pables de ce crime ». 


Le complément naturel de cette encyclique est le Motu proprio du 
15 août 1912 créant, dans la Consistoriale, une section spéciale pour 
les soins spirituels à procurer aux émigrants catholiques. 

La section de l'émigration recherchera et procurera tout ce qui 
peut, au point de vue du salut des âmes, avantager les émigrants du 
rite latin. Les émigrants appartenant aux rites orientaux restent du 
ressort de la Propagande. Les prêtres qui émigrent dépendront égale- 
ment de la Consistoriale. C’est elle qui dirigera l’action des sociétés 
d'émigration. Sa Sainteté compte sur les prières et la générosité de 
tous les fidèles en faveur d'une œuvre si saintement utile. 

Rendre faciles pour tous les moyens de salut, à tous ouvrir d’une 
façon aussi large que possible l'accès aux divins sacrements, tel est 
bien le désir du successeur de saint Pierre. N'est-ce pas ce désir, 
qui a inspiré la Constitution : De Sanctissima Eucharistia promiscuo 
ritu sumenda, dont nous serions heureux de parler tout au long, 
mais en toute chose il faut savoir se borner. 

« Considérant, dit le Pontife, que tous dans l'Église catholique 
reconnaissent la validité de la consécration, que le pain soit azime ou 
qu'il soit fermenté ; que plusieurs, tant parmi les Latins que parmi 
les Orientaux, trouvent fâcheuse l'interdiction d’user des deux rites, 
après avoir pris l’avis de la S. C. de la Propagande pour ce qui con- 
cerne les rites orientaux, et, après mûr examen, il Nous paraît bon de 
rapporter les décrets prohibant ou restreignant l'usage des deux rites, 
dans l'usage de la Très Sainte Eucharistie et d'accorder à tous, 
tant aux Latins qu'aux Orientaux, la faculté, dans les églises catho- 
liques de n'importe quel rite, de la main des prêtres catholiques, de 
se nourrir de l’auguste sacrement du corps et du sang de Notre- 
Seigneur afin que tous et chacun des chrétiens soient enfin pleine- 


BULLETIN CANONIQUE 199 


ment d'accord dans ce symbole de la concorde. (Concil. Trident. 
Sess. XIIT). 

Ceci posé, dans la pléniture de Notre pouvoir apostolique Nous sta- 
tuons et décrétons ce qui suit : 

10 Il n’est pas permis aux prêtres de célébrer sous n'importe quel 
rite, operart ritu promiscuo, chacun doit consacrer et administrer le 
sacrement du corps du Seigneur suivant le rite de son église. 

20 En cas de nécessité, s’il n’y a pas de prêtre de rite différent, il 
sera permis au prêtre oriental, qui use de pain fermenté, d'adminis- 
trer l'Eucharistie consacrée in azimo ; de même au prêtre latin ou 
oriental se servant de pain azime, d'administrer l'Eucharistie consa- 
crée in fermentato, maïs dans l’administration, chacun devra suivre 
son propre rite. 

30 Faculté est donnée aux fidèles de tout rite de recevoir pietatis 
causa, la Sainte Eucharistie dans n'importe quel rite. 

4° Pour accomplir le précepte de la communion pascale, chaque 
fidèle devra la recevoir dans son rite et de son curé, auquel il demeure 
soumis pour les autres devoirs de religion. 

50 Les moribonds recevront lesaint viatique dans leur rite propre, 
de la main de leur curé ; en cas de nécessité, il sera permis de le rece- 
voir de tout prêtre, qui devra toutefois l’administrer suivant le rite 
auquel il appartient. 

69 Chacun demeurera dans le rite où il est né, même dans le cas où 
il aurait eu pendant longtemps la coutume de communier dans un 
rite différent. On n'accordera à personne la permission de changer de 
rite, sinon pour des raisons Justes et légitimes, dont sera juge la Com- 
mission de la S.C. dela Propagande pour les affaires des Orientaux.— 
La coutume d'avoir longtemps communié selon un autre rite ne sau- 
rait être admise parmi ces raisons. (Constit. du 14 septembre r9r2). 


Ainsi toutes les barrières liturgiques sont ouvertes et désormais tout 
fidèle peut communier dans un rite quelconque, qu'on y emploie le 
pain azime ou le pain fermenté. Reste pour les prêtres l’obligation de 
célébrer et d'administrer la Sainte Eucharistie d'après Île rite auquel 
ils appartiennent. 


A titre simplement récapitulatif nous mentionnons l'encyclique 
« Singulari quadam » adressée le 24 septembre 1912 aux évêques 
allemands. Elle a pour thème les syndicats confessionnels et intercon- 
fessionnels, question si débattue au delà de la frontière. Toute la 
presse ayant longuement parlé de cette Lettre, nous n’oserions nous 


200 BULLETIN CANONIQUE 


y attarder davantage, nous craindrions d'être fastidieux pour nos 
lecteurs. 


S. CONGRÉGATION CONSISTORIALE. (1) 


Nous croyons devoir insérer, bien qu’il soit déjà un peu ancien, le 
décret de la Consistoriale du 29 juin 1912 portant défense d'admettre 
dans les Séminaires certains commentaires sur l'Écriture-Sainte. 
Parmi les livres spécialement proscrits, il faut citer l'ouvrage du doc- 
teur Charles Holzhey intitulé : Kurzgefasstes Lehrbuch der speziellen 
Eïinleitung in das Alte Testament, édité à Paderborn. 

Là, selon les théories modernes du rationalisme et de l'hypercriti- 
que, sur presque tous les livres de l'Ancien testament et principale- 
ment sur le Pentateuque, les Paralipomènes, Tobie, Judith, Esther, 
Jonas, Isaïe et Daniel, sont soutenues les opinions les plus audacieuses, 
contraires à la tradition la plus ancienne de l'Église, à la doctrine. 
vénérable des Saints Pères et aux réponses récentes de la Commission 
biblique pontificale, opinions qui non seulement mettent en doute, 
mais ruinent presque l'authenticité et la valeur historique des Livres 
Saints. 

C'est pourquoi cette S. Congrégation, par mandement de Sa Sain- 
teté, défend absolument que ce livre soit introduit dans les séminaires, 
même comme ouvrage à consulter. 

Et comme il existe d’autres commentaires de la Sainte-Écriture, 
tant sur l'Ancien que sur le Nouveau Testament, animés du même 
esprit, par exemple plusieurs écrits du P. Lagrange (2) et un ouvrage 
très récent édité à Berlin en 1912 par le docteur Fritz Tillmann, inti- 
tulé : Die Heilige Schrift des Neuen Testaments, le Saint Père enjoint 
et ordonne de les proscrire absolument des études cléricales, sauf juge- 
ment plus complet à porter sur ces écrits par l'autorité compétente 
dont ils relèvent de droit. (Déc. du 29 Juin 1912). 


(1) Le présent Bulletin était déjà à l’impression quand est parue une décision de 
cette S. Cong. interdisant dans les églises les représentations cinématographiques 
_et les projections ; en voici la partie principale : 

Les Éminentissimes Pères considerantes, aedes a Deo dicatas, in quibus divina 
celebrantur mysteria et fideles ad caelestia et supernaturalia eriguntur, ad alios 
usus et praesertim ad scenicas actiones etsi honestas piasve agendas converti non 
debere, quaslibet projectiones et cinematographicas representationes prohibendas 
omnino esse in ecclesiis censuere. (Déc. du 10 déc. 1912). 

(2) Nos lecteurs n’ont pas été sans lire dans les journaux la lettre adressée au Saint 
Père par le P. Lagrange à la suite de ce décret ; lettre dans laquelle il proteste de 
son filial attachement au Siège Apostolique et de sa religieuse obéissance au Pontife 
romain. 


BULLETIN CANONIQUE 20r 


Pour continuer sur ce chapitre des livres prohibés nous passons à 
la S. Cong. du Saint-Office. 


S. CONGRÉGATION DU SAINT-OFFICE 


| 


Dans l’assernablée générale tenue au palais du Saint-Office les 
Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux,inquisiteurs généraux, 
ont condamné et proscrit, ordonnant de l’inscrire à l'index des livres 
défendus, l'ouvrage intitulé : Cenni biograñfici della Serva di Dio 
Paola Mandatori-Sacchetti per Valeriano Abb. Ferracci parroco in 
Vallecorsa, Roma, Tipografia Sociale Polazzi e Valentini, 1905. 

Ils ont en outre réprouvé et proscrit l'inscription : « Un portrait 
merveilleux », placée sous l'image du Sacré-Cœur de Jésus, éditée par 
Pierre Brion, 26, rue Auguste Mérillon, Bordeaux. Ils l'ont prohibée 
avec cette clause, qu'il ne sera permis à personne désormais d'impri- 
mer ou d'éditer cette image, nisi ex ea penitus deleatur,toute mention 
de son origine prétendue merveilleuse. (Décret du 7 sept. 1912). 

Une remarque. Le décret précité vise simplement l'inscription pla- 
cée au bas de l’image et non la représentation iconographique elle- 
même. Il n'y a qu’à supprimer la mention lui attribuant une origine 
merveilleuse pour l’éditer à nouveau. 


IT 


SECTION DES INDULGENCES 


Un décret du Saint-Office, confirmé par le Souverain Pontife, con- 
sidérant que les crucifix enrichis par les Frères-Mineurs des indul- 
gences du Chemin de la Croix suffisent à la dévotion des fidèles, empè- 
chés de parcourir les stations de la voie douloureuse, révoque, abroge 
et abolit toutes les autres concessions faites sur ce sujet et en particu- 
lier celles qui ont trait aux « Chapelets du Chemin de la Croix ». 
De plus, à partir de la promulgation du présent décret, toutes les 
facultés de bénir ces chapelets, accordées de n'importe quelle façon, 
à n'importe quel prêtre, même constitué en dignité, sont déclarées 
de nulle valeur. (Décret du 24 juillet r9r2). 

Un seul moyen reste donc à la portée des personnes légitimement 
empêchées de se rendre dans un lieu où sont érigées les stations du 
Chemin de la Croix pour gagner les indulgences attachées à cette 


202 BULLETIN CANONIQUE 


pieuse pratique : se servir d’un crucifix béni par les Frères-Mineurs 
ou par un prêtre ayant reçu délégation de leur Ministre Général. 
Toutes les autres concessions sont rapportées, Emi ac Rmi DD. Car 
dinales inquisitores generales consulendum Ssmo decreverunt ut 
quascumque alias praeter memoratam (celle du crucifix) hkac super 
re concessiones nominalim vero quae Coronas, quas vocant, viae 
Crucis revocare, abrogare ac penitus abolere dignaretur, et nomina- 
tivement est supprimé le Chapelet du Chemin de la Croix. 

Ce chapelet était,paraît-il, nous avouons ne pas le connaître, com- 
posé de quatorze médailles représentant les quatorze stations. Ces 
médailles étaient séparées les unes des autres par trois grains sur 
lesquels on récitait le Pater, l’Ave et le Gloria. La faculté de le bénir 
avait été accordée par Pie IX au Cardinal de Angelis. Sa Sainteté 
Pie X avait donné le même pouvoir au Cardinal Richelmy et au 
Supérieur de la Mission de Turin, dans une audience privée accordée 
le 4 avril 1906 à Mgr Parodi, archevêque de Sassari. Enfin à la 
demande de l'Assistant général de la Congrégation de la Mission, et 
zélateur de l’Archiconfrérie de la Sainte Agonie de Jésus-Christ au 
jardin des Olives, établie dans la maison-mère de Paris, un décret de 
la S. C. des Indulgences en date du 2 Novembre 1906 conférait ce 
même pouvoir à tous les prêtres de la Mission et à tous les Directeurs 
et Zélateurs de la Sainte-Agonie. 


Est-ce que les chapelets précédemment bénis et déjà aux mains des 
fidèles ont perdu leurs indulgences ? Nous le pensons.C'est, semble-t- 
il, le sens des mots : Concessiones, nominatim vero quae Coronas 
viae Crucis respiciunt revocare, abrogare ac penitus abolere digna- 
retur. I] ne s'agit évidemment pas de la faculté de les bénir. [l en est 
d’ailleurs question dans la seconde partie du décret comme d'une 
chose nouvelle qui s'ajoute à la première: insimul declarando, facul- 
tates omnes coronas supradictas hunc in effectum benedicendi .… 
quomodocumque impertitas, Statim ab hujus Decreti promulgatione, 
nullius amplius esse valoris. 

Voilà donc une facilité de moins pour gagner des indulgences ! 
Par contre, dans le but d'augmenter la dévotion des fidèles envers la 
glorieuse et Immaculée Vierge Marie mère de Dieu,et de favoriser le 
pieux désir qui pousse les fidèles à offrir quelque satisfaction en répa- 
ration des blasphèmes exécrables, proférés contre le nom très auguste 
et la très haute prérogative de la Bienheureuse Vierge, le Pape, dans 
l'audience du 13 juin 1912, a accordé une indulgence plénière appli- 
cable aux défunts, à tous ceux qui, confessés et communiés, feront, 


BULLETIN CANONIQUE 203 


le premier samedi de chaque mois, en esprit de réparation, quelques 
exercices particuliers de dévotion en l'honneur de la Bienheureuse 
Vierge Immaculée et prieront aux intentions du Souverain Pontife. 
Il y a donc désormais deux jours de communion spécialement dési- 
gnés : le premier vendredi et le premier samedi de chaque mois. 
Enfin à la demande de l’Assesseur du Saint-Office, Pie X accordait 
le 29 août 1912 à tous les prêtres qui réciteront, après la Messe, la 
prière : Obsecro te dulcissime Domine etc. .… la rémission de toutes 
les défectuosités et des fautes commises par fragilité humaine pendant 
la célébration du saint sacrifice. À moins d'empêchement cette prière 
doit être récitée à genoux. Nous nous dispensons de l’insérer ici, elle 
se trouve dans tous les bréviaires et diurnaux parmi les prières à réci- 
ter après la messe. Sa Sainteté maintient, conjointement avec le nou- 
veau privilège dont Elle l’a enrichie, les 300 jours d’indulgences déjà 
accordés par Pie IX à cette récitation. (Déc. du 29 août 1972). 


Les déclarations suivantes par rapport aux indulgences doivent être 
signalées : 

Une indulgence accordée à la visite des églises d'un Ordre religieux 
par égard pour un Bienheureux, suit la translation de la fête de ce 
Bienheureux si elle ne jouit pas d’une solennité extérieure et est 
transférée in perpetuum. 

Il en est autrement si l'indulgence n'a pas été accordée intuitu 
Beati. La même chose a lieu, c'est-à-dire, l'indulgence suit la transla- 
tion perpétuelle de la fête, quand cette translation a lieu pour l'Ordre 
tout entier, pour une province régulière, voire même pour un seul 
couvent. | 

Si malgré la célébration de la fête à un autre jour fixe, la solennité 
extérieure demeure au jour marqué avant la translation, l’indulgence 
reste attachée à cette solennité. 

Lorsque la fête d’un saint ou d'un bienheureux de l'Ordre francis- 
cain est célébrée à des jours divers par les diftérentes familles francis- 
caines, les Tertiaires peuvent choisir pour gagner l’indulgence atta- 
chée à la fête, soit le jour indiqué dans le sommaire des indulgences, 
soit le jour où la fête est célébrée par la famille franciscaine à laquelle 
ils sont soumis. Îls ne peuvent cependant gagner cette indulgence 
qu'une seule fois au jour qu'ils auront choisi. (Déc. du 12 Juin r9r2). 


S. CONGRÉGATION DES RELIGIEUX 


Dans le but de faire approfondir davantage les pieux projets de vie 


204 BULLETIN CANONIQUE 


religieuse, de sauvegarder la dignité des Ordres réguliers et d'éviter 
les défections, les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux de 
cette S. Congrégation ont porté les décisions ci-après pour les reli- 
gieuses à vœux solennels et de clôture papale : 

Dans les monastères à vœux solennels et de clôture papale, on 
pourra admettre les postulantes sans qu'il soit nécessaire d'obtenir 
auparavant la permission du Saint-Siège servatis tamen aliis de jure 
servandis. 

Chaque postulante, avant de commencer le noviciat, devra accom- 
plir le temps de postulat fixé par les Constitutions particulières de cha- 
que monastère. Si les constitutions ne déterminent rien à ce sujet, le 
postulat durera au moins six mois. Il se fera dans la clôture, maisnon 
avec l’habit de l'Ordre qui ne sera revêtu qu’au moment de commen- 
cer le noviciat proprement dit. (Déc. du r2 août r9r2). 


En vertu de ce décret, le postulat devient obligatoire. Si les Consti- 
tutions le prescrivaient déjà, on s’en tiendra à ce qu'elles ont fixé, 
sinon il durera au moins six mois. Il devra se faire dans la clôture, 
mais non avec l’habit des novices wtantur veste modesti coloris diversa 
tamen ab habitu ordinis quem non induant, nisi quando Novitatum 
proprie dictum inchoaturae sint, est-il dit. 

On peut se demander quelle est la portée de ce décret ? Evidem- 
ment il doit être observé, toutefois le noviciat et la profession de celle 
qui y contreviendrait seraient-ils nuls ou simplement illicites ? Rien 
dans les termes n'indique que ce soit sous peine de validité, par con- 
séquent jusqu'à plus ample déclaration il n’intéresse que la licéité. 
Ces prescriptions d’ailleurs ne concernent aucunement les commu- 
nautés d'hommes ou les congrégations de femmes à vœux simples. 
Quant à celles à vœux solennels, on sait que depuis la révolution 
française, sauf une ou deux exceptions, dans les pays annexés depuis, 
elles avaient cessé d'exister en France. Les instituts à vœux solennels 
et de clôture papale comme les Clarisses et les Carmélites, etc., qui 
s'étaient reconstitués en notre pays n'émettaient plus que des vœux 
simples, et n'avaient, malgré leurs grilles austères garnies de longues 
pointes acérées, qu'une clôture épiscopale. Ces Ordres ne sont donc 
pas atteints par ce décret, du moins dans les pays comme la France. 


Encore pour les religieuses à vœux solennels le décret suivant. Son 
but est de faciliter l'usage de la communion fréquente aux malades 
retenues à l'infirmerie. Dans les monastères sous clôture papale, 
inutile de le rappeler, peuvent seuls entrer pour administrer les sacre- 


BULLETIN CANONIQUE 205 


ments aux infirmes : le confesseur ou à son défaut le chapelain qui, 
s’il est régulier, doit avoir un compagnon. Désormais à défaut du 
confesseur, du chapelain, un troisième prêtre, sans avoir besoin d’être 
accompagné s’il est religieux, légitimement appelé avec la permission 
de l’évêque, pourra porter la sainte communion aux malades incapa- 
bles de se présenter à la grille du chœur, quae ad ecclesiae crates des- 
cendere nequeunt. Quant à la permission de l'évêque jugéenécessaire, 
celui-ci pourra d'ordinaire désigner pour la donner l’Abbesse ou Supé- 
rieure, vocatus de licentia episcopi, qui pro hac licentia nomine epis- 
copt concedenda etiam abbatissam seu superiorissam habitualiter 
designare poterit. Autant que possible quatre religieuses, maturae 
aetatis, accompagneront, de son entrée dans la clôture jusqu’à sa sor- 
tie, le prêtre qui porte la Sainte Eucharistie (Déc. du re sept. r9r2). 


Relativement au jeûne et à l’abstinence la S. Cong. répondant à 
une demande du supérieur général de la Congrégation de la Mission et 
des Filles de la Charité a donné certaines décisions qu'il importe de 
noter. La question posée était ainsi formulée : Est-ce que dans les 
indults apostoliques portant mitigations ou dispenses de l’abstinence et 
du jeûne, tant en Europe qu'en dehors, surtout pour l’Amérique latine 
sont comprises les familles religieuses habitant ces régions Ÿ Autre- 
ment dit peuvent-elles user de ces dispenses ? La réponse est claire. 
Les religieux, à moins d’être exclus de l’indult, peuvent user des dis- 
penses concernant le jeûne et l’abstinence prescrits par une loi géné- 
rale de l’Église. [ls ne peuvent faire la même chose quand il s’agit de 
l'abstinence et du jeûne prescrits par leur Règle et Constitutions. En 
n'observant pas et ce Jeüne et cette abstinence, les religieux trans- 
gressent non une loi de l'Église mais leur Règle et leurs Constitu- 
tions ; la faute se mesure d'après ce qui est fixé dans cette Règle et ces 
Constitutions. 

Quant aux religieux habitant l'Amérique latine qu'ils s’en tiennent 
au dernier indult accordé par la secrétairerie d’État le 1+° janvier 1910. 
(Déc. du rer sept. r9r2). 


Les temps troublés où nous vivons rendent malheureusement pra- 
tique et très actuelle la question des religieux sécularisés, aussi nous 
ne pouvons taire cette décision du ref septembre 1912. 

Un religieux qui a déposé l'habit de son Ordre et, à la faveur d'un 
indult apostolique, vit pour un temps en dehors du cloître, extra 
claustra ad tempus degens, avec l'autorisation, reçue d’un évêque, de 
célébrer la Sainte Messe et d'exercer le ministère sacerdotal, est-il a 


206 BULLETIN CANONIQUE 


ce point soumis à l'ordinaire ifa ut episcopus habeat in eum juridic- 
lionem et auctoritativam et dominativam potestatem, bien que 
dans le rescrit, fasse défaut la formule accoutumée : Qu'il soit soumis 
à l'Ordinaire, même en vertu de son vœu solennel d’obéissance ? La 
réponse a été : affirmative facto verbo cum Sanctissimo. (Déc. du 
1e7 sept. 1912). 


Dans la Constitution « Summi sacerdotii » du 23 août 1570, saint 
Pie V avait permis aux novices dominicaines en danger de mort, 
d'émettre la profession religieuse et de participer ainsi quoique novice 
aux indulgences et autres grâces de l'Ordre. Il accorda même aux reli- 
gieuses et aux novices ayant fait profession in articulo mortis, qui 
passaient à une vie meilleure une indulgence plénière in forma jubi- 
laei. Cette faveur passa à tous les religieux et religieuses jouissant de la 
communication des privilèges avec la famille de saint Dominique. 
D'autres Instituts ou l’obtinrent spécialement du Souverain-Pontife, 
ou insérèrent, dans leurs Constitutions approuvées par le Saint-Siège, 
une clause qui permettait de recevoir la profession d'un novice en péril 
de mort.Il y a plus,des supérieurs religieux pensant avoir le pouvoir de 
rendre participants des biens spirituels de leur Ordre tous les novices, 
en danger de mort, les admettaient sans hésitation à émettre la profes- 
sion même perpétuelle. C’est pour écarter tout doute sur un sujet si 
grave et pourvoir au bien spirituel des âmes, que Pie X a daigné 
étendre le privilège accordé par saint Pie V aux novices dominicaines, 
à tout Ordre, congrégation, société religieuse des deux sexes où est 
pratiquée la vie commune à la manière des religieux quamvis non 
emittantur vota. | 

Certaines conditions doivent cependant être remplies, savoir : 
10 Que le noviciat ou probation soit canoniquement commencé. 
2° Que ce soit le supérieur du monastère ou le Maître des novices 
actuellement en charge, qui admette le sujet en question, à la profes- 
sion, consécration ou promesse. 3° La formule de profession, de con- 
sécration ou de promesse sera celle en usage dans l’Institut hors le cas 
de maladie ; les vœux, si on les émet, le seront sans détermination de 
temps ou de perpétuité. 4° Celui qui aura ainsi fait profession partici- 
pera à toutes les indulgences, suffrages et grâces dont jouissent les reli- 
gieux vraiment profès qui meurent dans l'Institut ; une indulgence 
plénière in forma jubilaei lui est miséricordieusement accordée dans 
le Seigneur. 5° Cette profession, consécration ou promesse, en dehors 
des faveurs spirituelles qui viennent d'être énoncées, ne produit aucun 
autre effet ; par conséquent : si après cette profession le novice meure 


BULLETIN CANONIQUE 207 


intestat, l’Institut ne pourra réclamer aucun bien ou droit lui ayant 
appartenu. — S'il revient à la santé avant la fin de son noviciat, il 
sera dans la même condition que s’il n'avait émis aucune profession. 
En conséquence : libre à lui, s’il le veut, de rentrer dans le siècle ; de 
même les supérieurs peuvent le renvoyer. — Il doit faire tout le temps 
de noviciat déterminé dans chaque Institut, quand bien même il serait 
de plus d'une année ; ce temps accompli, s’il persévère, il devra pro- 
noncer une nouvelle profession, consécration ou promesse. (Déc. du 
10 Sept. r912). | 


Puisque nous parlons des religieux nous résumons immédiatement 
la circulaire adressée par l’'Éminentissime Cardinal Préfet de la Pro- 
pagande aux supérieurs généraux des instituts du rite latin, pour leur 
rappeler les règles à suivre dans l'admission des Orientaux. 


S. CONGRÉGATION DE LA PROPAGANDE 


Déjà dans ses Lettres « Orientalium dignitas Ecclesiarum », Léon 
XIII avait ordonné aux Ordres et Instituts religieux de l’un et l’autre 
sexe, de ne pas recevoir un fidèle des rites orientaux avant qu'il n'ait 
montré les Lettres testimoniales de son Ordinaire. Cette décision ne 
dérogeait en rien aux dispositions déjà prises, en particulier celles du 
1er juin 1885, qui, dans chaque cas prescrivaient le recours au Saint- 
Siège ou à la Section de la S. C. de la Propagande préposée aux affai- 
res des rites orientaux qui peut seul accorder la permission de changer 
de rite, soit pour un temps, soit à perpétuité. Ce dernier point a été 
plusieurs fois considéré comme non avenu, si bien que la S. Cong. 
se voit dans la nécessité de le rappeler aux Supérieurs religieux. 

A l'avenir quand on fera une demande en faveur d'un postulant, on 
devra non seulement exprimer son nom, prénom, son âge, le rite, 
le diocèse auxquels il appartient, mais encore s’il s’agit d’un homme, 
on exposera s'il sera reçu dans un Institut à vœux solennels ou à vœux 
simples et an pro statu clericali vel laïcali. (Lett. du 15 juin 1972.) 


Une autre circulaire rappelle aux Ordinaires qu'ils ne doivent pas 
permettre aux Orientaux de quêter dans leurs diocèses, à moins qu'ils 
n'exhibent l'autorisation expresse et récente de la Propagande. Il est 
arrivé, en effet, que des quêteurs de ce genre non seulement n'étaient 
ni catholiques, ni schismatiques, mais des infidèles exploitant frau- 
duleusement la piété catholique, surtout en Amérique. 

Voici en abrégé les règles données : Les Ordinaires n'autoriseront 


208 BULLETIN CANONIQUE 


les Orientaux à quêter dans leurs diocèses que sur présentation d’un 
rescrit de la Propagande les autorisant à quitter leurs diocèses et à 
recueillir des aumônes. L'Ordinaire dans le diocèse duquel, un sujet 
oriental se permettrait de recueillir des aumônes sans rescrit de cette 
S. Cong., l'avertira de la défense portée, et ne l'autorisera ni à 
Célébrer la sainte Messe, ni à l'exercice des autres fonctions ecclésias- 
tiques. Au besoin, par la voie de la presse, il mettra les fidèles et les 
prêtres, en garde contre ce trafic illicite et réprouvé. Si un doute vient 
à s'élever, il en référera à la S. Congrégation. (Lett. du re janv. r9r2.) 


S. CONGRÉGATION DES RITES (1) 


Nous ne retiendrons que quelques-unes des décisions portées. Plu- 
sieurs fois des questions ont été posées pour demander comment 
terminer les Matines et commencer les Laudes des trois derniers jours 
ds la semaine sainte, de même pour l'office des morts, quand on les 
sépare dans la récitation privée. Pour éviter désormais toute occasion 
de revenir sur ce sujet, il a été décidé d'insérer dans les nouvelles édi- 
tions du Bréviaire romain, la rubrique suivante, après le IX° répons 
des Matines, des trois derniers jours de la semaine-sainte : Si Matu- 
tinum in privata recitatione a Laudibus separetur, subjungitur 
oratio : Respice quaesumus Domine, etc., Laudes vero, dictis secreto 
Pater noster et Ave Maria absolute a prima antiphona incipiuntur. 

De même le jour de la Commémoration des Fidèles trépassés on 
insérera après le IXe répons : Si Matutinum in privata recitatione a 
Laudibus separetur, subjungitur : Dominus vobiscum — Et cum 
Spiritu tuo. — Oratio : Fidelium Deus, etc. ; — Requiem aeternam 
dona eis Domine — Eÿlux perpetua luceat eis. — Requiescant in 
pace — Amen. 

Enfin à l'Office des Morts, tant dans le Bréviaire que dans le 
rituel romain, on ajoutera la rubrique ci-après : Si Matutinum cum 
unico vel cum tribus Nocturnis in privata recitatione a Laudibus 
separetur, post ultimum responsorium subjungitur ; Dominus 
vobiscum — Et cum Spiritu tuo. — Deinde dicitur oratio (seu ora- 
tiones) ut ad Laudes, additis sequentibus : Requiem aeternam dona 
eis Domine — Et lux perpetua luceat eis — Requiescant in pace — 
Amen. 


(1) Pour la raison déjà mentionnée nous signalons ici un décret de la S. C. du 
Concile déclarant caduque la loi interdisant de distribuer lu Sainte Eucharistie, 
devotionis etiam causa, le jour de Pâques, dans les églises non paroissiales, in eccle- 
siis non parochialibus praesertim regularibus. (Déc. du 28 nov. 1912). 


BULLETIN CANONIQUE 209 


Laudes vero dictis secreto Pater Noster et Ave Maria absolute 
inchoantur ab antiphona : Exsultabunt Domino (Décret du 24 
Juil. 1912). 


D'après une décision plus récente on doit dire le Pater et l’Ave 
avant les Vêpres des détunts et le Pater, l'Ave et le Credo avant les 
Matines, quoties vesperae aut Matutinum defunctorum separatim ab 
oficio divino recitentur. (Déc. du 25 Octobre 19172). 


En terminant signalons encore, non plus cette fois pour la récitation 
mais pour le chant de l'office le décret du 8 Juillet 1912. — Dans le 
<hant des Leçons, des versets et surtout dans les médiantes psalmodi- 
ques marquées par l’astérisque, lorsque se rencontre un monosyllabe 
ou un mot hébraïque, la clausule peut-elle être modifiée, ou la mélo- 
die chantée avec la modulation ordinaire ? — Remplie d'indulgence 
pour tous les grégorianistes de bonne volonté la S. Cong. à répondu : 

«aAffirmativement à la double question ». On peut faire l’un ou 
l'autre. 
FR. J. de Parme. 


E F, — XXIX. — 14 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


THÉOLOGIE 


L'heure des âmes par le P. MaiNAGE, dominicain. — Première série, 
in-12 de 200 pages. Prix : 2 fr. — P. Lethielleux, éditeur, 10, rue Cassette, 
Paris. 


Plusieurs conversions retentissantes se rattachant à ce qu'on peut appeler 
le « type intellectuel » sont venues, à notre époque, réjouir l'Église catho- 
lique. 11 semble que la grâce divine se plaise à choisir ses élus parmi ceux 
qui combattent les idées chrétiennes au nom des illusions les plus chères à 
notre temps. Décrire cet aspect du mouvement religieux, en psychologue et 
en apologiste, en s’aidant principalement des témoignages et confidences 
laissés par les convertis eux-mêmes dans leurs autobiographies, est le but 
que s’est proposé le P. Mainage. 

Dans ce premier volume, commencement d'une vaste enquête qui portera. 
sur tous les pays d’Europe, l’auteur nous présente trois convertis : A. de 
Ruville, Miss Baker, Jeorgensen. Tous trois, formés dès leur enfance par 
des sectes protestantes différentes, sont arrivés à la vérité par des chemins 
divers. C'est le besoin d'unité et d’autorité, non satisfait dans la religion 
réformée, qui a amené les deux premiers à l'Église romaine. Le troisième 
est venu à la vérité en sentant le vide de l'individualisme qui ne vit que 
pour soi, ramène tout à soi, dominant de toute sa hauteur la foule des mor- 
tels destinée à lui servir de piédestal, 

Rien n'est instructif comme de suivre pas à pas la marche de ces âmes 
vers la lumière. L'auteur d’ailleurs a su choisir admirablement les citations 
qui nous font assister aux luttes, aux efforts consciencieux de ces cœurs 
droits dans la recherche de la vérité intégrale. Ce premier volume nous fait 
désirer de voir bientôt paraître ceux qui doivent la suivre. F.J. de P. 


Nomenclator literarius Theologiæ catholicæ Theologos ex- 
hibens aetate, natione, disciplinis distinctos. Tomus V. Edidit et 
commentariis auxit H. HURTER S. J. Editio tertia plurimum aucta et emen- 
data. Œniponte. Libraria academica Wagneriana, 1913. — In-8. 


Je n'ai pas à faire l'éloge de cet ouvrage déjà bien connu des lecteurs. Ce 
dernier volume — Theologos complectens novissimos — n'est pas moins 
riche en renseignements bio-bibliographiques que les précédents. Les théo- 
logiens, comme les philosophes et les historiens, le consulteront avec fruit, 
et remercieront le P. Hurter d’avoir mis à leur disposition, sous une forme 
claire et précise, un instrument de travail de première valeur. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 211 


Je me permettrai seulement quelques remarques, concernant principale- 
ment les écrivains de l’Ordre franciscain. Parlant du P. Ludovic de Besse, 
dont les travaux ascétiques ne sont pas tous cités, l'auteur fait cette réfile- 
xion : Multum quoque contulit ad edenda Érupes FRANcISCAINES. Je ne sais 
où l’auteur a puisé ce renseignement, mais la vérité historique m'oblige à 
rappeler ici que le T. R. P. Eugène d'Oisy, dont les remarquables travaux 
sur le Tiers-Ordre sont justement appréciés du public, fut le principal pro- 
moteur et le premier Directeur de cette revue. Le P. Ludovic l’honora plu- 
sieurs fois du concours de sa plume, toujours alerte et savante, mais ce ne 
fut qu’à des intervalles assez éloignés, et sans prendre aucune part à sa di- 
rection. 

En outre, en parcourant la table de ce volume, j'ai été surpris de n'y point 
rencontrer le nom de plusieurs de nos écrivains, qui méritaient.à juste titre, 
de figurer dans cette galerie. C’est ainsi, par exemple, qu'il n'est fait aucune 
mention du P. Timothée de Puyloubier, Capucin, dont la Theologia mora- 
lis a reçu, il y a quelques années, le plus bienveillant accueil. La liste com- 
plète de ses ouvrages a été publiée par le P. René de Nantes, à la suite de la 
notice biographique qu'il lui a consacrée en 1908. Le P. Prosper de Marti- 
gné, l’auteur de la Scolastique et les Traditions franciscaines, le P. Georges 
de Villefranche et plusieurs autres religieux, aussi remarquables par leur 
science que par leurs vertus, sont également passés sous silence. 

Toutefois, ces omissions très pardonnables sous la plume d'un auteur 
étranger n'enlèvent rien au mérite de l'ouvrage. Il restera l’un des plus 
beaux monuments bibliographiques de notre époque, et le P. Hurter a 
droit à notre reconnaissante admiration, Fr. C. 


ÉCRITURE SAINTE 


Jésus-Christ, sa vie et son œuvre, — Esquisse des Origines chré- 
tiennes, précédée d'une introduction sur la valeur historique des Evangiles. 
par M. Lepin. In-12 de 270 pages. Prix : 2 fr. 50. — Paris, Gabriel Beau- 
chesne. 


Nombreuses sont les vies de Notre Seigneur ; plusieurs, sans nul doute, 
sont plus complètes au point de vue biographique que celle de M. Lepin, le 
cadre de son travail se restreisnant au ministère public du Sauveur. Aussi là 
n’est pas le mérite et la valeur de cette œuvre, mais dans son but apologéti- 
que et doctrinal : mettre en relief les enseignements du Maître, expliquer 
simplement, brièvement, leur portée dogmatique et morale, les venger des 
objections en cours. Et comme le tout repose sur l'Évangile, l’auteur a pris 
soin de nous faire part du fruit des travaux récents sur l'origine et la valeur 
historique de ces livres sacrés, mettant ainsi le lecteur en état de comprendre 
les raisonnements et le bien fondé des remarques faites à propos de tel ou 
tel fait évangélique rapporté. 

Suivant le désir modestement exprimé par l’auteur, nous sommes persua- 
dé que cet ouvrage, dont la mise au point avec les données de la critique ne 
laisse rien à désirer, sera un auxiliaire précieux pour tous ceux, prêtres et 
laïques, qui s'occupent d'approfondir et de défendre leur religion. 

F, J. de P. 


212 À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


LITURGIE 
Le livre de la prière inspirée. — Les Psaumes. — Traduction 
en vers français par R. CompainG. Prix 3 fr. 50. — Gabriel Beauchesne, 


éditeur, 117, rue de Rennes, Paris. 


Traduction littérale entreprise sur le texte original, tel que l’a reconstitué 
la critique moderne, d’après l’hébreu et les versions les plus anciennes. 

Travail fait simplement, sans étalage d’érudition, afin, dit l’auteur, de ne 
pas détourner l'esprit de ce qui est la vie du psaume, à savoir : « Dieu tou- 
jours présent, nous parlant de lui-même, pour nous apprendre à nous orien- 
ter par l'espérance et l'amour vers l'Éternité ». 

Avant chaque psaume, quelques paroles empruntées aux livres saints ou 
aux Enarrations de saint Augustin, et judicieusement choisies, disposent fort 
bien à recevoir la pensée divine. 

Rien à dire de l'œuvre littéraire, elle a été jugée et louée par M. Émile 
Faguet, dont les encouragements ont mis fin aux hésitations de l’auteur. 

F. M.-A. Cap. 


Messe et secondes Vêpres de la Bienheureuse Jeanne d'Arc 
par Jues CaRiLcion (Abbé), accompagnement à 3 partieset Messe Gré- 
gorienne, « Cunctipotens », accompagnement d'orgue. 


Par un oubli involontaire, dont nous nous excusons auprès de l'auteur et 
des lecteurs, nous avons omis, dans notre dernier bulletin, d'indiquer 
l'adresse où ces deux œuvres sont mises en vente. On les trouvera chez l’au- 
teur, professeur à l'école Jeanne d'Arc, Lille. 


Messe de communion pour les tout petits enfants, par la Mar- 
quise Costa DE BEAUREGARD, in-32, broché 0,30 fr. — P. Lethielleux, édi- 
teur, 10, rue Cassette, Paris (VIe). 


Exposition du Saint Sacrifice sous forme de préparation à la Sainte Com- 
munion. Tout y est à la portée des enfants et présenté avec une simplicité 
charmante. 

Suivant l’heureuse expression de Monseigneur de Cabrières, « c’est une 
mère qui parle dans ces lignes, murmurant près de l'oreille d’un enfant bien- 
aimé de courtes exhortations imprégnées de vérité et de foi ». 

F. M. À, cap. 


PRÉDICATION 


Allocutions pour les jeunes gens par Pauz LALLEMAND, prêtre de 
l'Oratoire, 2e édition. Prix: 3 fr. — Téqui, libraire-éditeur, 82, rue Bona- 
parte, Paris. 


Le présent volume contient les instructions adressées pendant l’année 
1888-89, aux élèves de Massillon et de Juilly. L’auteur est suffisamment 
connu, inutile de dire quecesallocutions sont finementet délicatement écrites. 

A côté du littérateur, l'éducateur se révèle. Une double pensée me semble 
avoir présidé à cette composition : former des chrétiens, mais aussi des 
hommes, de bons Français, avec au cœur un double amour, celui de Dieu 
et de la Patrie F. J. de P. 


À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 213 


HISTOIRE 


Glanes monastiques. — A travers une longue vie.— La Très 
Révérende Mère Claire-Isabelle de Saint-François, abbesse de 
l'Ordre de Sainte-Claire (1828-1910) par une PAUVRE CLARISSE. — 1 fort 
vol, 677 pp. avec deux portraits, 7 fr. — Au monastère des Clarisses, 125, 
rue de Nimy, Mons (Belgique). 


Il y a quelques années mourait à Mons, la T. R. Mère Claire-Isabelle de 
Saint-François, abbesse des Clarisses françaises réfugiées en cette ville. 
C'était une sainte religieuse dans toute la force du terme, une vraie clarisse 
qui exhortait ses filles à tout traduire en actes d'amour, même les moindres 
travaux, et c'était une âme bien trempée, un caractère. Sa vie avait été des 
plus exemplaires et des mieux remplies, 1l importait donc d’en fixer le sou- 
venir. Sa principale collaboratrice, auteur de nombreux ouvrages, était toute 
désignée pour entreprendre une telle œuvre et elle l'a réalisée d'une manière 
très captivante. La figure de la vénérable abbesse se détache en pleine lu- 
mière et c'est presque pas à pas que l'on peut suivre son existence. 

Née à Tournon, le 30 mars 1828, Mère Claire-Isabelle était entrée en 
janvier 1851 dans la famille de Sainte Claire, au monastère de Romans, et, 
très tôt, elle y avait fait preuve d'éminentes vertus. Excellente organisatrice, 
initiatrice insigne, elle participa très activement, en 1878, à la fondation de 
l'Ave Maria de Grenoble dont peu après elle devint l’abbesse ; en 1892- 
1893, elle réussit à fonder, dans des circonstances très difficiles, un autre 
monastère à Bordeaux-Talence ; et, au moment de la dispersion des ordres 
religieux, il lui fallut encore surmonter d'inouïs obstacles et supporter de 
pénibles épreuves pour installer sa communauté à Mons. C'est là qu'elle 
s'est endormie dans la paix du Christ le 24 octobre 1910. Nul ne suivra sans 
émotion les phases d’une telle vie, toute de piété, de bonté, d’abnégation, 
de sacrifice volontaire ; nul ne lira sans profit ces pages vivantes et délicates 
où abondent les enseignements. Alph. GERMAIN. 


Souvenir d’un pélerinage de pénitence. Une semaine sainte à 
Jérusalem, par le P. Roserr de Laval, franciscain-capucin, 2 fr. 50. Librai- 
rie Saint-François, 4, rue Cassette, Paris VIe. Se vend au profit des mis- 
sions franciscaines. 


C'est un très joli volume, richement illustré de vues inédites prises au 
cours du voyage. 

Un pèlerin de profession écrivant à l’auteur a fait cet éloge du livre. « Les 
descriptions sont rapides, mais esquissées d'une main vive et d’une grande 
précision, sans emprunt inutile. Tout est vie. vie de souvenirs évangéli- 
ques et de piété intense où tout est plein du Christ. Si votre livre, si gra- 
cieux de ton et si bien illustré, a captivé un pélerin de profession pour qui 
rien n'est nouveau, que sera-ce pour ceux qui n'ont pas encore goûté le 
charme attirant de la Terre sainte ? » 

Tous ceux qui liront ce livre souscriront à cet éloge et seront ravis des 
heures délicieuses passées en compagnie des heureux pélerins de Terre 
Sainte. 


Les origines de l'ordre de Sainte Claire par le P. René de Nan- 


214 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


tes, volume in-8 de 85 pages. Prix 1 fr. 50. — Librairie Saint-François, 4, 
rue Cassette, Paris VIe. 


C'est un livre savant qui a reçu les éloges mérités des meilleurs francisca- 
nisants. 11 n’est pas réservé cependant aux seuls spécialistes. Tous les amis 
de sainte Claire voudront le lire et le méditer. Ils y verront ou du moins ils 
y devineront les luttes héroïques que dut soutenir la Vierge de Saint-Da- 
mien, pour garder le droit d’être fidèle à sa chère Pauvreté. Ce sont des do- 
cuments et des précisions qu'ignorent les biographies ordinaires de la sainte. 
Is obligeront ses historiens futurs à modifier et compléter beaucoup de cha- 
pitres de sa légende et sainte Claire s’en trouvera grandie encore aux yeux 
de ses fidèles. P. HiLAIRE de Barenton, 


Étude sur Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint- 
Cyran (1581-1643) par l'abbé J. LAFERRIÈRE. — Louvain, Wouters- 
Ickx, 1912. — In-8 de VIII-239 pages. 


Dans le temps même où M. Prunel, T. O., le nouveau vice-recteur de 
l'Institut catholique de Paris, préparait et publiait ses deux utiles volumes 
sur Zamet, évêque de Langres, cf. Ët. Fr.t, XXVIII (1912) p. 300-303, 
M. l'abbé Laferrière travaillait à une biographie de l'abbé de Saint-Cyran. 

Ce livre n’est pas un ouvrage complet : l’auteur lui-même en convient. 
Nous avons là cependant un certain nombre de chapitres bien au point, La 
jeunesse de l’abbé, son influence sur Jansénius, son étude des Pères de 
l'Église, ses débuts dans le ministère à Poitiers et à Paris : voilà autant de 
sujets abordés. Les tendances réformatrices se font déjà jour dans l'âme du 
sévère ascète ; ses polémiques contre les Jésuites, contre le P. Garasse, où 
il a sa part de raison, l’habituent à une indépendance qui ne rappelle que de 
loin celle des premiers chrétiens. Saint-Cyran est d’ailleurs plein d’intelli- 
gence et 1l sait par quels moyens, sans peine pour lui-même, sans faire acte 
d'autorité, il s’introduira près de la Mère Angélique, la gouvernera officieu- 
sement (1623-1633) et officiellement (1633-1638) après le renvoi de l’évêque 
Zamet. 

L'abbé de Saint-Cyran finit en prison au château de Vincennes (1638) et 
mourut en 1643. Cette année là paraissait son catéchisme ou Théologie 
familière où l’auteur prescrivait la communion pour les enfants dès l’âge de 
discrétion, « comme sept, huit ou dix ans et quelquefois plus tard, comme 
aussi quelquefois plus tôt » (Laf. p. 200.) 

Ce fondateur du jansénisme n'était guère aimé du P. Joseph. L'abbé de 
Saint-Cyran ne soutenait-il pas certain capucin abrité à la Bastille pour délit 
d'opinion religieuse ? (cf, God. Hermant. Mémoires t. 1. p. 84.— Lancelot. 
Mémoires t. I. pp. 116, 121, 122. — Pinthereau. Progrès du Jansénisme, 
p. 17) N'avait-il pas voulu endoctriner les Calvairiennes de la rue de Vaugi- 
rard ? 

Richelieu a jugé à sa manière Saint-Cyran dont l'influence fut si pro- 
fonde : « [Il est basque et a les entrailles chaudes et ardentes par tempéra- 
ment ; cette ardeur excessive lui envoie à la tête des vapeurs dont se forment 
ses imaginations mélancoliques qu’il prend pour des réflexions spéculatives 
ou pour des inspirations de l’Esprit-Saint » (Sainte-Beuve, Port Royal, t. 1. 


P. 274). 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 215 


A la fin de son excellent livre, M. Laferrière publie quelques lettres de 
Saint-Cyran d'après Bibl. nat. Paris, f. fr. 17802. Il y ajoute une table des 
noms et une des matières. P. Usazp d'Alençon. 


Correspondance de Benoît XIV, précédée d'une introduction et 
accompagnée de notes et tables par Emile DE HEECKEREN, t, | (1742-1740) 
— t. 11 (1750-1756). — Paris, Plon 1912. In-8 de C-563 p. et 582 p. 


La présente correspondance a été dictée en italien par Benoît XIV, et 
envoyée au cardinal de Tencin, archevèque de Lyon, Celui-ci la faisait co- 
pier et souvent traduire en français pour être communiquée au gouverne- 
ment français. Ces copies et traductions sont aujourd’hui aux archives des 
Aflaires Étrangères à Paris. Fonds Rome, 787-824. 

Tout n'est pas là. Mais les lettres originales furent à la mort du cardinal 
envoyées par sa sœur au Pape. Elles se trouvent donc au Vatican : Carteg- 
gio di lettere scritte dal S. S. di Benedetto XIV all" Emo. Guerin di Ten- 
cin E 187 (26), E 188 (23), E 189 (28) E 190 (29). 

C'est cette correspondance qui est ici publiée, Celle du cardinal de Ten- 
cin est malheureusement perdue. 

11 faudra nécessairement consulter cette très importante correspondance 
pour l'étude de toutes les questions religieuses de 1742 à 1756 (Benoît XIV 
ne mourut qu’en 1758), intéressant l’Église entière et les matières théologi- 
ques alors débattues. Nous y avons relevé, en ce qui nous concerne, des 
lettres relatives au fameux P. Norbert Parisot, à l'apostat Bonneval dont la 
conversion est annoncée au pape par un mineur réformé de Constantinople, 
au P. Sigismond de Ferrare, au cardinal d’York qui fut cardinal protecteur 
des F. M. C. et mourut en 1807, à la cité mystique de Marie d'Agréda, aux 
Clarisses de Lyon (24 février et 24 mars 1751). Une curieuse légende (t. I. 
p. 534) est racontée au sujet de l’âge requis pour entrer dans l'ordre francis- 
çain, La lettre relative à l'indulgence de la Portioncule (4 septembre 1748, 
tom. I p. 426-428) est fort curieuse. 

C'est plaisir de lire toutes ces lettres, pleines de vie, nourries de science, 
riches de détails et d'une tournure véritablement intime. Quand on songe à 
l’anecdote relative à l'inscription du nom du duc de Wurtenberg.… ! 

P. Usaup d'Alençon. 


Les négociations politiques et religieuses entre la Toscane 
et la France à l’époque de Cosme I:' et de Catherine de Médi- 
<is (1543-1580) d’après les documents des archives de l'Etat à Flo- 
rence et a Paris par ELcko PALANDRI, Frère-Mineur. — Paris, Florence et 
Bruxelles, 1908. — 1n-8 de LIV-287 pages. (Université de Louvain. Re- 
cueil de travaux pour les membres des conférences d'histoire et de philolo- 
gie 22° fasc.) 


Non nascitur Florentiae puer qui sculpta in corde suo tua lilia non 
habeat, disaient les Florentins à Charles VIII. Le présent livre n'est pas 
pour amoindrir la force du vieux dicton. C’est un livre, un bon livre d'his- 
toire, écrit en français par un Florentin, ancien élève du P. Léonard Lem- 
mens. L'auteur n’a point à s’excuser pour avoir écrit dans une langue diffé- 
rente de sa langue maternelle. 


216 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Dans le t. VII, appendice de l'Archivio Storico Italiano, le P. Francesco 
Frediani avait déjà publié la Chronaca di Firenge o compendio storico delle 
cose di Firenze, dall anno MDI al MDXL VI de Z. Giuliano Ugghi, O M. 
Le P. Palandri étudie les rapports diplomatiques entre la Toscane et la 
France, leur reprise en 1544-1548-1559, leur rupture (1572-1589). 

C'est l'époque de la Saint-Barthélemy et les guerres de religion, il faut le 
dire, nous intéressent plus que les susceptibilités des petits roitelets ‘taliens. 
Cependant ces relations diplomatiques ont eu cet avantage : le maintien de 
l'équilibre politique en Italie, la préparation de l'ère d’apaisement qui mit fin 
aux guerres de religion sous le roi Henri IV (1) L. BERSON. 


Die Forderung einer Weiterbildung der Religion. Von Dr. 
Lupwic Baur. M. Gladbach. 


Étude sur la thèse si agitée de l'évolution des dogmes et de la religion. 
L'auteur précise le point de vue catholique, réduit à néant la prétendue 
incompatibilité qui existait entre la Religion et les sciences physiques et 
naturelles, enfin montre que le Monisme ne peut servir de base à la Reli- 
gion, n1 la remplacer. 


Apologetische Vorträge III. Von Dr. FRaANz MErFErT. M. Glad- 
bach. — Quatre conférences pour démontrer que la religion révélée n'est 
pas le résultat du développement de la civilisation à travers les âges. 1. Le 
monothéisme d'Israël. 2. La méthode moderne d'étudier la religion unique- 
ment au point de vue historique. 3. La méthode moderne et l’Ancien Testa- 
ment. 4. Israël et les peuples de l’ancien Orient. 


Die Jugend II. Staats-und Gemeindeleben. Volksvereins-Verlag. 


— M. Gladbach. 
Essai pour initier les jeunes gens aux choses de la politique : résumé de 
leurs droits et de leurs devoirs de citoyens allemands. F. Aimé. 


Le clergé du pays Rémois pendant la Révolution et la sup- 
pression de l’archevêché de Reims (1789-1821) par l'abbé 
Boucxez, aumônier des Auxiliatrices de Reims. — In-8 de 592 pages, 10, 
L. Monce, Reims, 1913. Ouvrage couronné par l'Académie de Reims. 


Aurons-nous jamais une histoire complète et exacte de la persécution re- 
ligieuse qui dévasta l’Église de France à la fin du XVIIIe siècle ? Quelques 
essais ont été tentés, mais malgré le renom des auteurs qui ont entrepris ce 
travail, on peut leur reprocher ou bien des généralités vagues et tendan- 
cieuses, ou bien de graves erreurs, des conclusions mal fondées, des juge- 
ments ou trop sévères ou trop bienveillants, ou bien encore des statistiques 
inexactes ou fausses. Il ne faut pas s’en étonner. Le travail est immense, 
par là même déconcertant, et exige des collaborateurs innombrables. 


(1) A propos des deux ducs Alphonse de Ferrare dont l’un se fit Capucin, et du 
cardinal d'Este, voir Les négociations diplomatiques de la France avec la Toscane. 
Documents recueillis par Giuseppe Canestrisi et par Abel Desjardins, dans la Coll. 
des doc. inédits pour servir à l'hist, de France. Le tome VI (1886) contient une 
table fort bien comprise. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 217 


Que de documents sont encore enfouis dans les archives, non seulement à 
Paris mais encore et surtout en province, dont la découverte jettera un 
nouveau jour sur l’histoire de la Révolution. Cette histoire est à refaire et 
elle ne le sera que par des études sur l’histoire locale. Lorsque tous les dio- 
cèses, tous les Ordres religieux auront écrit leur histoire pendant la Révolu- 
tion, alors, et alors seulement ce sera possible de faire une synthèse vrai- 
ment scientifique qui nous donnera l’histoire religieuse exacte de l'Église 
de France pendant cette période. 1l faut de la patience pour se lancer dans 
ces minutieuses recherches d’où sortira la monographie diocésaine, il faut de 
Ja modestie car ces travaux ne sortiront peut-être pas pour l'instant du cercle 
d’une académie de province. Mais ces auteurs consciencieux travaillent pour 
l'avenir, ils taillent les pierres qui serviront plus tard à la construction 
d’un monument grandiose dont ils auront été les humbles et obscurs 
ouvriers. 

C'est un travail de ce genre que nous donne M. l’abbé Bouchez. Lui ausst 
a voulu reconstituer dans un tableau d'ensemble l'histoire du Clergé 
Rémois depuis le jour où la Révolution naissante le dépouilla de ses privilè- 
ges, jusqu’à cet autre Jour où, purifié par la pauvreté, épuré par la persécu- 
tion, grandi par le martyre, il rentra dans ses églises abandonnées, et à l’au- 
rore d’un siècle nouveau, y chanta l’A/leluia de Pâques. Mais pour le dio- 
cèse de Reims supprimé au Concordat, c'était malgré tout une situation hu- 
miliante et il fallut encore attendre vingt ans avant qu’un nouvel archevêque 
vint chanter à Notre-Dame le Te Deum de la résurrection. Nous avons dans 
ce volume l’histoire de ces trente années. 

Dans un chapitre préliminaire, l’auteur fixe l'étendue du diocèse de 
Reims, puis 1l énumère les différents serments imposés aux prêtres pendant 
la Révolution, et il en arrive aux abjurations et aux mariages sacrilèges. 
« La première loi de l’histoire, dit Léon XIII dans son bref Sæpenumero 
« sur les études historiques, est de ne pas oser mentir ; la seconde de ne pas 
« craindre de dire vrai, en outre, que l'historien ne prête au soupçon ni de 
« flatterie, ni d'animosité ». Appuyé sur ces principes, M. l’abbé Bouchez 
n'hésite pas à signaler ces scandales lorsqu'il les rencontre. 11 prouve par de 
nombreux exemples « qu'aux faveurs stipulées par les lois pour les maria- 
« ges sacrilèges, les représentants du peuple et les magistrats de la Conven- 
« tion associaient habituellement les pires outrages et les plus violentes 
« menaces. En face de ces faits de pression, de ces lois, de ces pensions pro- 
« mises aux déchéances, qui donc en doit porter la responsabilité? Est-ce 
« l'Église qui avait prémuni ses ministres contre ces écarts de conduite? 
« Est-ce la Convention qui les a réglementés, protégés et payés ? Qu'on ne 
« s'étonne donc pas, qu’on ne soit pas surtout scandalisé de voir l'Église 
« leur tendre seule une main compatissante, les envelopper pour ainsi dire 
« dans sa miséricorde, pacifier leur conscience, et procurer l’honneur de 
« leur famille en validant leur mariage ». 

Après avoir ainsi montré la survivance de la foi sacerdotale au milieu des 
plus tristes déchéances, l’auteur passe en revue les membres de l’administra- 
tion diocésaine, le Chapitre de Notre-Dame, les Chapitres secondaires de 
Sainte-Balsamie, de Saint-Symphorien, de Saint-Timothée, et de Saint- 
Pierre-les-Dames, les chapelains, les aumôniers, les professeurs du collège 
et du Grand Séminaire, le clergé des quatorze paroisses de la ville, de la 


ma 


218 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


banlieue, des cantons d’Ay, de Bourgogne, de Châtillon-sur-Marne, de 
Fismes, de Pontfaverger, de Verzy, et de Ville-en-Tardenois. Partout on 
recueille une foule d'indications précises et utiles à l’histoire de chaque 
paroisse. Pour l’auteur 1l n'y a rien d'’inachevé, et 1l poursuit son étude pour 
les paroisses de la Marne qui ont été détachées de l’ancien diocèse de Reims; 
il note les jeunes prêtres ordonnés à Paris ou à l'étranger pendant la terreur, 
et qui viennent, au péril de leur vie, apporter à leur diocèse les prémices de 
leur ministère, enfin il signale les prêtres réfugiés à Reims, et dont il a ren- 
contré les noms au cours de ses recherches. 

Il reprend le mème travail, et avec la même méthode,pour les religieux du 
pays Rémois : Augustins, Bénédictins, Capucins, Carmes, Cisterciens, Cor- 
deliers, Dominicains, Génovéfains, Hospitaliers, Minimes et Prémontrés. Il 
indique ceux qui optèrent pour la vie commune et ceux qui firent choix de 
la liberté, se gardant bien de regarder ces derniers comme des apostats de la 
vie religieuse, ainsi que le font certains historiens. Car, après tout, ils pré- 
voyaient que l'avenir de leurs Ordres respectifs était plus que compromis, 
que l'observation de leurs règles allait devenir pratiquement impossible, que 
l'expulsion brutale ne se ferait pas attendre, et l'avenir leur donna raison. 
Enfin la dernière partie de l'ouvrage nous donne le bilan de la ruine maté- 
rielle par suite de la spoliation des églises et des couvents, et la destruction 
des monuments et objets d'art, et aussi le bilan de la ruine morale, dont 
l'auteur trace un lamentable tableau. 

Des tables complètes terminent ce volume et facilitent les recherches. 

Il faut avoir vécu avec ceux dont on veut écrire l'histoire. M. l'abbé Bou- 
chez a passé de longues années à compulser les Archives, il a donc long- 
temps vécu dans la compagnie de ces vétérans du sacerdoce Rémois, il a 
assisté à leurs combats, il a consigné leurs victoires, et « vraiment, écrit-il, 
« ces prêtres qui avaient atrocement souffert d'une lutte impie de douze an- 
« nées, et qui reprenaient au Concordat leur tâche pénible de pasteurs, fu- 
« rent des vaiilants, des héros. Nous ne les quitterons pas sans les avoir 
« salués avec une affectueuse et reconnaissante admiration ». 

L'auteur a bien mérité de l’Église de Reims par cet ouvrage qu'il vient de 
publier, nous faisons des vœux pour qu'il achève ses recherches, et nous 
donne sur les Ardennes un travail aussi intéressant. F. ARMEL. 


Societé historique et archéologique de l'Orne. Orderic Vital et l’Ab- 
baye de Saint-Evroult. Notices et travaux publiés en l'honneur de l'his- 
1orien normand, moine de cette abbay-e. Fètes du 27 août 1912. — Alençon. 
imprimerie alençonnaise. — 1912. — in 4° de XX-212 p. et XXIII planches. 


C'est à l’occasion d’un monument érigé en l'honneur d'Orderic Vital qu'a 
été entreprise et menée à bien cette magnifique édition. Elle comprend : la 
notice biographique sur Orderic par M. Léopold Delisle publiée en 1855 et 
rééditée par M. Henri Omont ; la liste des abbés réguliers et commendataires 
de Saint-Evroult, par M. Emile Picot ; des notes d'histoire et d'archéologie 
sur l’abbaye par M. René Gobillot ; une étude des objets d'art de l’abbaye 
par notre collaborateur M. Gaétan Guillot ; une bibliographie de l'abbaye 
et d'Orderic Vital, par M. Étienne Deville ; enfin une iconographie et une 
sigillographie par M. Henri Tournouër. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 219 


Les planches, toutes inédites et des mieux exécutées, donnent à elles seules 
une valeur considérable au volume. P, Usazp p'Alençon. 


La fête commémorative de la délivrance de 1a Normandie en 
1450 par M. l'abbé Le Mâle. — In-8 de 88 pag. — Imprimerie E. Domin, 
10, rue de la Monnaie. — Caen. 


Les Anglais sont boutés hors de la belle province par les armées de Charles 
VII, merveilleusement assisté d'en Haut. 

Heureux de ne plus sentir peser sur eux le joug d’Albion, les Normands 
s'empressent d'accéder au désir du monarque qui demande, pour le 12 août de 
chaque année, des chants, une procession d’action de grâces.C'est l'établisse- 
ment, le maintien de cette fète qu'étudie l’auteur de la présente brochure à 
l’aide des livres liturgiques propres à chaque diocèse. Ces solennités durèrent 
jusqu'à la Révolution ; les prêtres exilés en gardèrent et consignèrent le sou- 
venir, puis peu à peu la mémoire s'en perdit. Pourquoi faut-il que seuls au- 
Jourd'hui les deux diocèses de Bayeux et de Coutances commémorent cet 


anniversaire de délivrance } Fr. J. de P. 
VARIA 
Alceste au couvent par M. l'abbé Juzes Pacneu. Roman. — Paris, 


Figuière. — 1912. — In-12 de 248 pages. 


La Cité des Lampes par CLAuDE Sive. — Paris, Calman-Lévy, s. d. 
(1912). — In-12 de 11-265 pages. 


L'heure est aux réactions. Si J'en crois certains historiens,l’affaire Dreyfus 
a engendré la guerre contre les Congrégations. l.a lutte de l’anticléricalisme 
contre tout ce qui est chrétien amène les littérateurs, les sociologues et les 
philosophes à s'occuper de la vie religieuse et de l’âme croyante. 

Et occupés à cette besogne vous ne trouvez pas seulement de simples 
amoureux de « luxure intellectuelle », mais aussi des poites comme Louis 
Le Cardonnel, ou des dramaturges comme Charles Péguy ; vous rencontrez 
les vers de Georges Gordon et les Géorgiques chrétiennes de Francis Jam- 
mes, et les Cahiers des Amitiés de France. Voici enfin des philosophes 
comme Georges Deherme, ou bien les graves directeurs de la catholique 
Revue de Philosophie qui appliquent aux âmes les méthodes expérimentales 
de William James. 

Les membres des Ordres religieux ne semblent-ils pas céder, sans le savoir, 
à ce mouvement d’études et à cette orientation des esprits vers l’analyse du 
catholicisme le plus intime ? Ce charmant volume intitulé Mon Noviciat, ou 
L'Idéal Monastique d'un Père Bénédictin, parus cette année (1912), ne 
sont-ils pas comme des fenêtres ouvertes permettant au monde de jeter un 
coup d'œil sur la vie des cloitres ? 

Mettons que cette synthèse de l'Esprit de notre siècle ne soit pas suffisam- 
ment fondée. Je le veux bien, Vous m'accorderez du moins que c'est dans ce 
souci de recherches religieuses qu'ont été conçus les volumes de M. Pacheu 
et de Claude Silve. 

Mais quelle distance et quelles différences entre les deux ! 

Alceste au couvent m'a rappelé certains ouvrages anonymes de l'ex-père 


220 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Cornu, pamphlets dirigés contre la Compagnie de Jésus. L'abbé Pacheu 
publie d’ailleurs son livre sans imprimatur d'aucune sorte, chez Figuière où 
le lecteur peu sévère trouvera du Jules Bois, du Ch. H. Hirsch et du J. H. 
Rosny, etc. L’abbé Pacheu divise son roman en trois parties : le retour de 
Mériadec, Boutades et Heures noires de Mériadec, l’ermite de Locmaria. 
Mériadec, jésuite évadé de la Compagnie à la suite des événements de 
1901-1903, c'est évidemment l’auteur lui-même, et nous avons donc là une 
autobiographie plus ou moins fardée. Ce bloc enfariné ne me dit rien qui 
vaille. 

Mériadec, sans doute, est un homme de foi, il surmonte toutes les diff- 
cultés qui s'opposent à sa croyance et à sa vertu ; mais c'est un esprit qui 
aurait plus besoin qu'un autre de discipline et de soumission à une règle, et 
c'est précisément le caractère le plus indépendant et le plus fantasque que 
vous puissiez imaginer. C'est un misanthrope ; il n’est point pondéré. Il veut 
de la vie religieuse et la rejette quand il la possède. Une fois hors de ce jar- 
din de délices, 1l en convoite à nouveau les fruits. Dieu ne lui a-t-1l pas fait, 
dit-il, deux grâces : celle d’entrer chez les Jésuites, et celle de sortir de la 
Compagnie 1! 

M. Pacheu, qui écrit bien quand ïil veut, ne s’est pas donné la peine 
d'écrire. Il a confessé ses douleurs, ses rancunes, ses déboires. Il a expliqué 
son départ de chez les Jésuites. Il a mal parlé de ses anciens confrères, affir- 
mant que leurs produits sont nécessairement médiocres, et que chez eux peu 
d'hommes sont éminents parce que la Compagnie de Jésus étouffe la per- 
sonnalité, Toute cette bile déversée fait oublier l’eau claire, pure et transpa- 
rente de quelques belles pages. 

Puis M. Pacheu termine sur l'évocation d'une communauté future à fon- 
der, milice à l'instar des anciens Culdées, appropriée à l'époque moderne. 
Ce seront des « Volontaires de la loi d'Amour ». Ils constitueront, autorisés 
par l'Église, un ‘cænobium de production, d'étude et de sainteté. Le catholi- 
cisme ne s'est-il pas toujours accommodé aux modalités des temps et des 
pays ? Évidemment ce « Tiers-Ordre », future Congrégation de l'avenir, se 
recrutera ailleurs que dans la génération d’Alceste, car M. Pacheu y at-il 
une seule fois songé sérieusement, Alceste au couvent fut:il jamais possible ? 
Non, Alceste ne peut avoir la vocation religieuse. S'il entre par erreur en 
religion, ce paradis se changera pour lui en enfer. 

J'ai fermé la volume de M. Pacheu et j'ai éprouvé un grand sentiment de 
malaise et de fatigue. Le livre de Claude Silve m'a étonné, m'a distrait et 
reposé. 

Claude Silve, c'est le pseudonyme de Mademoiselle de Lévis-Mirepoix. 
Sa Cité des Lampes vient à peine de paraître et déjà elle a suscité des en- 
thousiasmes et des mépris étranges. L'Académie Française la couronne de 
lauriers et d'or. La Revue Pratique d’Apologétiquè ino du 15 novembre 
1912) la traite de « pauvre livre » où la névrose tient lieu de mysticisme. 

Voyons un peu. 

La Cité des Lampes, c'est l'intérieur d’un monastère de religieuses Oran- 
tines. Dans les cloîtres, à chaque embrasure de fenêtres, aux encoignures, 
brillent des petites veilleuses, les lampes illuminatrices. Une jeune fille du 
monde a obtenu de la Mère Supérieure la permission de passer en retraite 
quelques semaines en cette cité des Lampes. L'office, le silence, la confé- 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 221 


rence quotidienne, la lecture touchent son âme, la purifient, l’éclairent, la 
conduisent jusqu’à l'union mystique avec Dieu. 

Il n’y a là ni amour entre jeunes gens, ni malheur, ni morts. C'est au 
fond, quoique l’auteur s’en défende et proteste, une étude de la vie inté- 
rieure des cloitres sous forme de roman (ch. 1. Autour de l’âme — ch. Il. 
Dans l’âme — ch. 111. Sans l’âme), et ce roman évolue dans une atmosphère 
d'amour subtil, mais impur. 

Les yeux versent aux choses regardées beaucoup d’eux-mêmes.La beauté 
du spectacle contemplé illumine aussi le visage de l’admirateur. 

Me suis-je lu moi-même dans les pages du livre de Claude Silve, ou la 
beauté de ces pages s’est-elle faite communicative ? 11 me semble que dans 
les murailles de cette Cité des Lampes se cache un trésor : la réponse à une 
question que se posent beaucoup d’'âmes inquiètes à l’heure actuelle : « Où 
réside le vrai bonheur » ? 1l ne se trouve ni dans la fièvre des occupations, 
ni dans l'espèce de volupté avec laquelle on goûte une page sublime de litté- 
rature ou une œuvre d'art, ni même dans le seul dévouement au prochain. Il 
ne se trouve que dans le détachement de soi-même et dans l'union de notre 
cœur à la volonté de Dieu. 

La même réponse parait avoir été donnée sous une autre forme dans 
l'exquise Mésangère de Myriam Thélen ; ici elle est répétée avec plus de 
romantisme ou d'hésitation dogmatique. Mais pour être brodée en dentelle, 
et non forgée en fer, elle ne s’en présente pas moins à nous, et dans un fort 
beau langage. | 

Voilà ce qui touchera et convaincra les gens du monde et nous autres, 
gens de théologie, nous n'avons point la main assez légère pour opérer avec 
tant de grâce. 

Le premier reproche que j'adresserai à La Cité des Lampes, c'est celui 
que j'ai fait à L'élève Gilles d'André Lafon : voilà des ouvrages qui rappel- 
lent trop le chirurgien penché sur la plaie qu'il soigne, ou le médecin qui 
ausculte son malade. Gemme (c'est la jeune fille de Claude Silve) s'examine 
sans cesse ; elle analyse ses effrois, ses hésitations, ses progrès, ses reculs, 
ses froideurs, ses ennuis, etc. Dans la réalité, une âme vraiment religieuse 
n'agit nullement de la sorte. Elle pense à Dieu seul, elle s'oublie totalement 
elle-même. Ce retour continuel sur soi, en spiritualité, est un cas pathologi- 
que. C’est pour ce motif qu’on aurait pu traiter de « pauvre livre » la Cité 
des Lampes qui, dans le fond, est un roman très original, un volume très 
neuf pour les nombreux ignorants du sujet traité, tout à fait actuel et vérita- 
blement up-to-date. Je l'apprécie autant que je déteste l'Afceste de M. Pa- 
cheu, Mais Je leur préfère de beaucoup Angèle de Foligno, sainte Gertrude 
ou sainte Thérèse dont s'inspire la Cité des Lampes. 

Et ceci m'amène à formuler le second et très grave reproche que j'adresse 
à Claude Silve : Sa spiritualité est des plus subtilement viciées. Le génie con- 
fine à la folie, la spiritualité la plus mortifiée à la volupté la plus raffinée, le 
sublime au ridicule. Gemme se donne des airs de petite sainte, elle est en fait 
inconsciemment très perverse et se trompe de meilleure foi sur la nature 
véritable de ses sentiments et de ses impressions. Pour elle, tous les cultes 
spirituels ne sont-ils pas nés du même désir de purification ? L'Évangile et 
Platon ne sont-ils pas du même avis ? Les limites chrétiennes ne se fondent- 
elles pas dans le grand élan de toutes les religions (p. 141) ? 


222 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Gemme entre dans un ravissement spirituel ; puis en elle, cette sensation 
s’humanise, pénètre les sens, filtre dans toute la chair. « L'Étre entier fut 
ému par la présence de l’Époux et parcouru d'un frisson nuptial » (p. :95). 
C'est là de la folie (cf. p. 218) et vraiment une infinité de barrières (p. 226) 
séparent Gemme de la conception juste et de l'amour de la vie religieuse. 
Avec raison donc Gemme doit reconnaitre qu'elle a « l'âme folle » (p. 240) 
et qu’elle a tendu si fort l'arc de sa sensibilité qu’il ne pouvait manquer de se 
briser (p. 236). Gemme est bien une égarée, elle cherche en vain le palais 
infini où nous possèderons Dieu dans une éternelle mort à nous-mêmes 
(p. 248). 

Oh ! que j'aurais voulu ces dernières lignes placées très en relief, ou écri- 
tes en lettres d'or, ou mises au frontispice de l'ouvrage ! Comme elles éclai- 
rent la situation ! J'ai peur qu'ici le mal ne soit pris pour le bien, la carica- 
ture de la contemplation pour le beau visage de la vie religieuse. Et que de 
lecteurs s’illusionneront et penseront voir le reflet du plus pur mysticisme, 
alors que leurs yeux ne s'arrêtent qu'à des grimaces de singe. Encore une 
fois le sublime esttout voisin du ridicule. Puisque Gemme connait saint 
Jean de la Croix, et la bienheureuse Angèle de Foligno, que j'aurais voulu 
qu'elle reçût, pour rafraichir ses chaudes intempérances, la douche gla- 
cée d’une lecture de ces auteurs ! « Ceux qui mènent une vie spirituelle peu- 
« vent tomber dans l'illusion. Une des causes d’erreur et la plus grande, 
« c'est un amour impur, mêlé d'amour-propre et de volonté propre : cet 
« amour a, dans une certaine mesure, l'esprit du monde. Aussi le monde 
« l’'approuve et l’encourage. » Qui parle de cette façon ? Angèle de Foligno 
(Visions, ch. 54). Elle continue : « Cette approbation est un piège, cet en- 
« couragement est un mensonge. Dans cet état l’homme que le monde voit 
« et approuve, semble brûler d'amour. Il a certaines larmes, certaines dou- 
« ceurs, certains tremblements et certains cris qui portent les caractères de 
« l'impureté spirituelle. Mais ces larmes et ces douceurs, au lieu de venir du 
« fond de l'âme, sont des phénomènes qui se passent dans le corps ; cet 
« amour ne pénètre pas dans le cœur... et produit l’amertume. J'ai fait ces 
« expériences, Je manquais alors de discernement. Quand l'amour est par- 
« fait, l'âme après avoir senti Dieu, sent sa part propre qui est le néant et la 
« mort.., elle s’humilie, elle adore. les larmes et les douceurs qui se pro- 
« duisent alors, au lieu d’engendrer l'amertume, engendrent la joie et la 
« sécurité ». (Visions. trad. Hello. Paris, 1868, p. 201-211). 

Gemme, après sa contemplation, est au contraire mélancolique, languis- 
sante et désemparée., Ses jours se traînent comme des malades. Elle est 
humiliée, triste et blessée. Elle a froid dans tout son être (p. 249). C'est une 
preuve qu'elle est montée, l'orgueilleuse, à « la cime de soi » et non au 
thabor de la divinité. 

Combien peu de lecteurs contemporains seront à même de juger sainement 
la Cité des Lampes ! 

Comme me l'écrit un de mes amis, ce livre « est la perfection du sensua- 
lisme mystique. Le symbolisme mystique n’y est mis en usage que pour 
flatter la sensualité. Pas le moindre soupçon de détachement, pas l'ombre 
de la croix ». Le danger de ce livre est d'autant plus redoutable qu’aujour- 
d’hui, la littérature catholique étant à la mode, il va se trouver quantité 
d'esthètes sensuels qui viendront sur les pas fleuris de cette jeune incons- 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 223 


ciente (je parle de Claude Silve) utiliser, pour les souiller, toutes les choses 
sacrées qui font la joie de nos cœurs. P. UsBap d'Alençon. 


L'Égypte d'aujourd'hui par le comte CREssATY. — 1 vol. 238 p. XVII 
planches, 8 fr. — Paris, Marcel Rivière et Cie. 


Dans ces dernières années, l’état économique et agricole de l'Égypte s'est 
beaucoup amélioré grâce à l'administration anglaise ; renouvelée de toutes 
les manières par les moyens les plus perfectionnés dont on dispose aujour- 
d'hui, la vieille terre des Pharaons est en train de redevenir un grand pays. 
Sa prospérité matérielle est parfaitement assise et rien, à l'heure actuelle, ne 
motive des vues pessimistes à son égard ; lord Cramer l’a démontré en d’irré- 
futables rapports. On peut d'autant moins se désintéresser du développement 
d’un tel pays, que les intérêts français sont nombreux dans ses principales 
villes et que l'épargne française alimente pour une large part sa richesse agri- 
cole. Or on ignore chez nous presque tout de cette régénérescence. L'ou- 
vrage du comte Cressaty,en l’exposant sur toutes ses faces, comble donc une 
lacune. Documenté aux meilleures sources, établi sur des chiffres certains, 
des statistiques officielles et de multiples observations rigoureusement con- 
trôlées, il met en pleine lumière l'œuvre qui s’accomplit sur les rives du 
Nil,ilfait connaitre, avec une exactitude scrupuleuse, les diverses ressources 
de cette incomparable région. Produits du sol, problèmes de la population, 
état politique, financier, judiciaire, économique, tout est étudié avec un 
soin extrême et expliqué avec une heureuse clarté. En outre, de nombreux 
tableaux et graphiques achèvent de préciser tout ce que le texte nous 
apprend. Il convient de louer particulièrement les pages consacrées à la 
la fortune immobilière et à la dette hypothécaire. Et l'on trouve aussi 
d'excellentes choses au sujet des réformes et des remèdes qui s'imposent, car 
l’auteur se montre impartial autant que perspicace.Un tel livre est une révé- 
lation et, quoique bourré de chiffres et de faits, il s’en faut qu'il soit dur à 
lire. Les esprits sérieux l’apprécieront certainement. Alph. GERMAIN. 


PanteleïÏmon par Pau CHRisTorr, — Paris, Bonne Presse, — 1 fr. 


Voici une histoire très curieuse, très véridique et des plus intéressantes : 
l'histoire d'un saint schismatique. Mais précisément parce qu'il était vrai- 
ment saint, 1] ne pouvait s'entendre avec ce clergé grec ignare, sans morale 
et sans dignité. Nous faisons donc avec le pauvre moine trop fidèle au Christ 
le tour de toutes les prisons de la presqu'ile Balkanique et nous pénétrons 
avec lui dans l'intimité de ces couvents du mont Athos qui ne sont rien 
moins qu'édifiants, dans la demeure des évêques grecs et des popes des di- 
verses églises du schisme d'Orient. 

La plaie de ce clergé s’y étale dans toute sa laideur et la simplicité du 
récit, dénué de tout ornement de style et d'imagination, le rend encore plus 
frappant. I] faut lire l’histoire de Pantéleïmon pour se rendre compte du 
degré d’avilissement où peut tomber une église, branche coupée du tronc 
vigoureux de l’Église romaine, qui se flétrit et se dessèche jusqu’à devenir 
une poussière sans nom. 

Dieu ne pouvait laisser sans récompense la vertu de ce fils qui le cherchait 
au milieu des persécutions avec tant de fidélité. 11 l’amena tout à coup à la 


224 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


lumière et, sans hésitation, Pantéleimon s'’unit à l'Église romaine où on 
l'accueillit comme un frère. Il retrouvait ainsi la tranquillité de l’âme et du 
<orps et achevait sa vie à l'abri des persécutions, dans la Joie pure de la 
Conscience satisfaite. Ce livre est d'autant plus intéressant qu'il nous conduit 
dans tous les lieux où la guerre vient de sévir. L'illustration lui donne un 
nouvel agrément. Mavis. 


Lourdes. Les guérisons par M. le docteur BoissaRiE. — Paris, Bonne 
Presse, — 1 fr. 


Tel est le titre d'une nouvelle édition médicale des guérisons de Lourdes 
que publie l'éminent président du Bureau des constatations médicales de la 
ville bénie du ciel, On ne pourra jamais assez rendre populaire et accessible 
à tous, l'histoire de ces guérisons merveilleuses que les ennemis de notre foi 
€ssaient vainement de contester. 

Mais quelques vains que soient leurs efforts, ils ne cessent de les recom- 
mencer, sans se décourager des affronts qu'ils reçoivent et des démentis les 
plus éclatants de leurs mensonges. 

C'est pourquoi il est nécessaire de reprendre, de notre côté, l'exposé de 
ces miracles et c'est une des œuvres auxquelles se consacre le vaillant Doc- 
teur. La beauté du volume ne le cède en rien à l'intérêt du texte. Il est bon 
que toute famille chrétienne le possède afin d'être toujours à même de 
redresser les erreurs et de faire taire les sarcasmes. MaviL. 


L'Éternel vainqueur, par MADELEINE LÉPINE. — Poëme épique avec 
préface de M. E. CLAvEQUIN-RossELOT, — Paris, Amat. — 3 fr. 50. 


Un poëme épique, c’est chose rare, les innombrables poètes qui garnis- 
sent de leurs œuvres les rayons de nos librairies, se contentent de sonnets 
et piécettes martelées plus ou moins heureusement. Une noble idée a inspiré 
l’auteur. Il a voulu célébrer la naissance de la France chrétienne et a choisi 
son monde sur le modèle que préféra le Tasse pour la Jérusalem délivrée. 
Ne nous en plaignons pas puisque l’œuvre y gagne un développement har- 
monieux qui lui permet de se soutenir dans une atmosphère d'une belle 
élévation et d'une foi vibrante et enthousiaste, 

Souhaitons à ces belles pages le succès qu'elles méritent. Mavic. 


Pages d'art chrétien par ABez FABRE. — Paris, Bonne Presse, 1 fr. 


Nous retrouvons, dans cet intéressant recueil les pages goûtées déjà dans 
le Mois littéraire et c'est un plaisir de les avoir toutes réunies dans un mè- 
me livre parce qu’elles forment ainsi une étude suivie, très scientifique et 
très artistique de notre architecture religieuse et les choses qui s’y rappor- 
tent. L'illustration qui achève de nous faire comprendre cette étude histori- 
que, est digne de la Maison de la Bonne Presse, toujours soucieuse de faire 
bien et beau. C'est un joli livre d'étrennes pour la jeunesse. Mavis. 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


TAMINES. — IMP. DUCULOT-ROULIN. 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 
D'APRÈS SAINT FRANCOIS 


(Suite.) (1) 


DEUXIÈME PARTIE 


VOCATION A LA PERFECTION SÉRAPHIQUE. — SAINT-DAMIEN. 


(SUITE) 


Crucifiement des trois Puissances de l’âme 
par les irois Veritus Théologales. 


Le Crucifiement de la chair, de sesvices et de ses concupis- 
cences, s'impose à tous ceux qui appartiennent sincèrement 
à Jésus-Christ. — Pour nous, Frères Mineurs, l’obligation 
est plus stricte, en vertu même de notre vocation séraphique, 
« l'appel de la Croix à la Croix. » 

Mais ce n’est encore là qu’un premier pas ; il nous faut pous- 
ser la mortification plus avant, la faire pénétrer jusqu’à nos 
facultés intimes, jusqu'à nos puissances spirituelles, organes et, 
en quelque sorte, membres de notre âme. 

Nous devons être crucifiés dans tout notre être, chair et esprit, 
corps et âme, afin que Jésus crucifié règne en nous, que nous 
vivions en Li: ul et par Lui seul. 

Ici, comme toujours, notre Bienheureux Père, est notre 
guide et notre modèle. 

Au témoignage de saint Bonaventure, le Séraphique Patriar- 
che ne s’adonnait à une active mortification de la chair, que 


(1) Cf. Études Franciscaines, juillet, août-septembre, novembre, décembre 1912. 


E. F, — XXX. — 15 


226 LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 


« pour faire rayonner dans tout son corps la Croix plantée au 
centre de son cœur. »(1) 

De son cœur blessé par l'Amour procédaient toutes ses austéri- 
tés et mortifications. « Semblable à un glaive mystique, la 
parole partie des lèvres du Crucifix transperce sa sainte âme, et 
la pénètre d’une tendre compassion. Déjà, comme on peut le 
croire pieusement, les Sacrés Stigmates sont imprimés dans 
son cœur ; plus tard, sur l’Alverne, ils apparaîtront dans sa 
chair, comme une démonstration patente de la stigmatisation 
interne opérée à Saint-Damien. » (2) 

François est crucifié dans les puissances de son âme, avant de 
l'être dans les membres de son corps. 

Or, c’est à ce crucifiement intime, que doivent travailler tous 
ceux qui prétendent réaliser pleinement la perfection séraphique. 

Notre Vén. Père Honoré de Paris signale cette obligation ca- 
pitale au zèle du Maître des Novices : 

« Que celui qui entreprend d’instruire les enfants d’un Père 
tel que saint François, ne leur enseigne jamais autre chose que 
la Croix ; qu'il ne remplisse leur entendement d’autre connais- 
sance, ni leur volonté d’autre amour, que de la connaissance et 
de l’amour de Jésus Crucifié. » (3) 

Afin de mieux comprendre la nécessité et l’étendue de cette 
mortification des puissances de l’âme, considérons : 

1° En quelle perfection Dieu les avait formées. 

2° Comment le péché originel les a déformées. 

3° De quelle manière elles sont réformées. 


*# 
* * 


J. — En quelle perfection 
Dieu a formé les puissances de notre âme. 


Cette perfection est exprimée dans les paroles mêmes du 
Créateur : « Faisons l’homme a notre image et ressemblance. » 
(Genès.) — « A ces mots, dit Bossuet, l’image de la Trinité 


(1) « Mortificationi carnis invigilabat attentius, ut Christi crucem, quam interius 
ferebat in corde, exterius etiam circumferret in corpore. » (Leg. Cap. I, 6). 

(2) Infigitur ex tunc sanctae animae Crucifixi compassio, et ut pie putari potest, 
cordi ejus, licet nondum carni, venerandae stigmata Passionis altius imprimuntur.» 
(Cel. 176, 15 — et T. S. Cap. V.) 

(3) Académie Évangélique. Chap. 1, p. 12. 


LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 227 


commence à paraître ; elle reluit magnifiquement dans la créa- 
ture raisonnable, qui a dansson être, dans son intelligence, dans 
son amour, une même félicité, une même vie. Heureuse créature 
et parfaitement semblable à Dieu, si elle s'occupe uniquement 
de Lui- (1) 

Par sa nature, elle est « capax Dei », douée d’une capacité 
divine. Dieu est son objet propre, sa fin dernière ; elle l’atteint, 
le saisit, le possède par ses trois puissances : intelligence, mé- 
moire, volonté. En cela précisément, elle ressemble à la Trinité 
Sainte : une dans son essence, elle est trine dans ses puissan- 
ces. (2) — « Qui n’admirerait l’étroite parenté de l’âme avec 
Dieu, son Créateur ? Elle tend à lui de toutes les forces vives de 
son être, par l’acte propre à chacune de ses puissances. La mé- 
moire embrasse son Éternité ; l’Intelligence, sa Vérité ; la Vo- 
lonté, sa Bonté suprême. » (3) 

« Dieu devient la perfection de son être, la nourriture immor- 
telle de son intelligence, et la vie de son amour. La grâce sur- 
vient sur ce fond et relève la nature. » (4) 

« L'âme n'est plus seulement « capax Dei » ; sa capacité 
est remplie par l’infusion de la grâce sanctifiante et des trois 
vertus théologales ; elle devient alors « déiforme, deiformis ».(5) 

La ressemblance divine se complète par ces dons supérieurs, 
essentiellement surnaturels et infus, qui directement tendent à 
Dieu, et L’ont pour objet immédiat. Armées de ces divines éner- 
gies, l’âme va à la Trinité Sainte, comme un portrait vivant à 
son original. (6) — « Qui verrait une âme en qui Dieu est par 
sa grâce, croirait en quelque sorte voir Dieu lui-même, comme 
on voit un second soleil dans un beau cristal, où il entre pour 
ainsi dire avec ses rayons. » (Bossuet, Lettre à Sr Cornuau.) 

La gloire lui est montrée, promise ; elle ajoute son complé- 


(1) Bossuet. Élévation VII*, Semaine IV*. 

(2) « Et hoc est esse ad imaginem Trinitatis propter unitatem in essentia et trini- 
tatem in potentiis. (Brevil. 112 Pars, Cap. IX, $. 4.) 

(3) « Vide igitur quomodo anima Deo est propinqua, et quomodo memoria in 
æternitatem, intelligentia in veritatem, electiva potentia in Bonitatem summam 
secundum operationes suas, » (/tiner. Cap. III, n. 4.) 

(4) Bossuet, [. c. 

(5) In statu innocentiae, cum imago non erat vitiata, sed deiformis effecta per 
gratiam,… et Deo configurata per Fidem, Spem et Caritatem.. (Brevil, Ila Pars, 
Cap. XII, S$. 3 et 4). 

(6) « Sicut imago recreationis in Trinitate potentiarum cum unitate essentiae, sic 
imago recreationis in trinitate habituum cum unitate gratiae, per quos anima fertur 
recte in summam Trinitatem. » (/Zd, Va Pars, Cap. IV, &. 4.) 


228 LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 


ment à la grâce. Au ciel, s’achèvera la divine ressemblance, 
ébauchée et perfectionnée graduellement ici-bas par l’infusion 
et l'accroissement de la grâce sanctifiante et des autres dons sur- 
naturels et gratuits. L’âme fidèle jusqu’à la mort, recevra la ré- 
compense d’un don éminent, qui la rendra semblable à Dieu 
éternellement heureux dans sa gloire : le « lumen gloriae » 
l’établira dans cet état immuable que saint Bonaventure appelle: 
« Deiformitas gloriæ ». 

Investies, fortifiées par cette lumière glorieuse, l'intelligence 
verra Dieu clairement, comme il se voit lui-même ; la volonté 
l’aimera pleinement, comme Il s'aime Lui-même ; la mémoire 
l’embrassera dans une étreinte éternelle comme Dieu. — « L'âme 
alors vivra sa vie pleine, totale ; enrichie, comblée dans ses trois 
puissances, elle se sentira unie tout entière à Dieu, pacifiée et 
reposée en Lui. En Dieu comme dans son Bien suprême, elle 
trouvera le rassasiement, la béatitude complète. » (1) 

A cette âme immortelle et pure, Dieu avait assorti un corps 
immortel et pur, soumis à l’âme dans une parfaite harmonie, 
« tale corpus constituit 1lli animæ rationali,..….. ut esset animæ 
conforme... » (2) 

‘l'elle nous apparaît la magnifique ordonnance du plan divin 
dans la création de l’homme. Combien sublimes les prérogatives 
dont le Seigneur l'avait orné dans le corps et dans l’âme, 
pour le temps et pour l'éternité ! Hélas ! l’homme n’a pas su 
comprendre l’honneur que Dieu lui faisait : « Homo, cum in 
honore esset, non intellexit. » 


k 
* * 


II. — Comment les puissances de notre âme 
ont été déformées par le péché. 


En face de cette déchéance originelle, saint Bonaventure s’é- 
tonne douloureusement. « [Il est surprenant, dit-il, que Dieu 
étant proche de nous et intimement présent aux facultés de notre 
âme, si peu d'hommes pensent à Lui. » Et cependant la cause 


(1) «In præmium datur ei Deiformitas gloriae, per quam Deo effectus conformis 
et conforme Ipsum videat clare, et voluntate diligat plene, et memoria retineat in 
æternum; ut sic anima tota vivat, tota dotetur in tribus animae viribus..…. » 
Brevil., VIIa Pars, Cap. VIL, &. 3.) 

(2) Zd. Ila Pars, Cap. 10. 


LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 229 


d’un tel oubli est facile à comprendre. Distraite par mille soucis, 
l’âme ne rentre plus en elle-même par la mémoire ; obscurcie par 
de vains fantômes, elle ne se recueille plus à l’aide de l’intelli- 
gence ; séduite, emportée par les concupiscences, elle ne revient 
plus à elle par une volonté désireuse des douceurs intérieures et 
des joies spirituelles. — « Ensevelie tout entière dans les choses 
sensibles, elle ne peut plus réfléchir et reconnaître en elle la di- 
vine ressemblance. » (1) David d’Augsbourg décrit encore plus 
nettement les lamentables effets de la déformation originelle. 
« Dès que l’homme, cédant aux suggestions du démon, se fut ré- 
volté contre Dieu, toutes les puissances de son âme tombèrent 
dans le désordre et la confusion. Ces puissances ne lui sont pas 
enlevées, mais elles restent dégradées et détournées de leur fin. » 
— « On peut les comparer à un instrument de musique ; com- 
plet et en bon état, il fait entendre dessons harmonieux ; brisé, 
détraqué, il ne rend plus que des sons stridents et désagréa- 
bles. » (2) — Une fois l'harmonie rompue, le désordre éclate 
dans chacune de nos puissances spirituelles. « La raison obscur- 
cie prend l'erreur pour la vérité, la volonté pervertie préfère le 
mal au bien ; la mémoire vagabonde s’agite perpétuellement. 
Elle a perdu Dieu, son Bien souverain, en qui elle trouvait tous 
les biens réunis. » (3) 

Etrange état de cette âme, s’écrie Bossuet, renversement de 
tout l'édifice intérieur. Plus de raison, ni de partie haute ; tout 
est abruti, tout est corps, tout est sens, tout est abattu et 
entièrement à terre. — Qu'est devenue cette belle architec- 
ture qui marquait la main de Dieu ? Il n’y a plus pierre sur 
pierre, ni suite, ni liaison dans cette âme; nulle pièce ne 
tient à une autre, et le désordre y est universel. — Pourquoi ? 
Le principe en est ôté : Dieu ! Ce principe renversé, que peut-il 
rester en son entier ? Ame raisonnable, faite à l’image de Dieu, 


(1) « Ideo totaliter in his sensibilibus jacens, non potest ad se tamquam ad Dei 
imaginem reintrare. » (/tiner. Cap. IV, n.1). 

(2) « Omnes vires animae et potentiae,… deordinatæ sunt et quasi subversae, non 
autem substractae, sed fœdatae et perverso modo se habentes, sicut organum musi- 
cum, quod, quando integrum et bene ordinatum est, dulcem reddit melodiam ; 
quando vero contractum fuerit et deordinatum, horrendum stridorem pro cantu 
emittit, » (De reformatione hominis interioris. Cap. X, &. 3). 

« Où est l'harmonie, s’écriait Alfred de Musset, s’il manque des touches à l’instru- 
ment ?.. Pourquoi la nature m'a-t-elle donné un idéal qui ne se réalise pas ? » 

(3) David A., Z. c. Cap. VI. 


230 LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 


quel malheur est le tien ? L’excès même de ton malheur peut être 
le commencement de ton retour. (1) 


% 
* *% 


ITI. — De quelle manière les trois puissances de l'âme 
sont réformées par Jésus Crucifié. 


La déformation originelle de l’image divine, conséquence de 
la perte de la grâce, est accompagnée dans l’homme de mort spi- 
rituelle. Saint Bonaventure la compare à une sorte d’annihila- 
tion de l’ordre moral, « quasi annihilatio in esse moris. » (2) Il 
conclut logiquement que notre résurrection spirituelle est im- 
possible, si la grâce ne revient donner de nouveau la vie surna- 
turelle et recréer l’âme. (3) — Cette seconde création ne peut 
s'effectuer que par la puissance de Celui qui a déjà tout créé une 
première fois : le Verbe Eternel, le Christ-Jésus. (4) — Si donc 
nous voulons recouvrer la vie de la grâce, rentrer dans la jouis- 
sance de la vérité comme dans un jardin de délices, il faut que 
nous nous présentions avec la Foi, l’Espérance et l’Amour de 
Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, Arbre de 
vie planté au milieu du Paradis... Revêtons donc notre âme, 
image de Dieu, des trois Vertus Théologales...; par elles l’image 
divine se répare, sic imago reformatur. (l.c.)... L'âme 
doit, avant tout, croire, espérer, aimer Jésus-Christ, le Verbe 
Incarné. » (5) 

« Dans le retour de la créature à Dieu, Jésus Crucifié est la 
voie et la porte, il est le propitiatoire placé sur l'arche de 
Dieu... Celui qui tourne entièrement les yeux vers ce propitia- 
toire, et regarde avec foi, espérance, amour Jésus-Christ sus- 
pendu à la Croix, celui-là fait la Pâque avec Lui. » — Selon 
l’enseignement du Séraphique Docteur, la réviviscence, la réfor- 
me complète de l’âme se fera par les trois Vertus Théologales, 
infuses dans nos trois facultés appliquées tout entières à Jésus 


(1) Bossuet, Médit. sur l’Évang. 175. 

(2) Brevil. Va Pars, Cap. III, $. 2. 

(3) « Impossibile est quod homo resurgat a culpa, nisi recreetur in vita gratuita, » 
(Brevil, 1. c.) 

(4) « Solus igitur, qui fuit principium creativum, est et principium recreativum, 
verbum... » (/d.) 

(5) Jtiner. Cap. IV, $. 3. 


LA PERFECTION SÉRAPHIQUE 231 


Crucifié. Alors notre âme redevient conforme à son exemplaire 
divin ; elle recouvre sa beauté, sa félicité originelle. (1) 
… Cette doctrine de saint Bonaventure se retrouve en partie dans 
les œuvres du grand mystique, saint Jean de la Croix, spéciale- 
ment au chap. VI, liv. IT, de la Montée du Carmel. — Notre 
P. David d’Augsbourg observe que, pratiquement, cette réforme 
des trois puissances doit être menée simultanément ; aucune 
puissance ne pouvant agir ni se perfectionner sans le concours 
des deux autres. » Si la raison ne perçoit pas la vérité, la volonté 
demeure inerte, sans amour, elle ignore ce qu’elle doit aimer ; 
de même, si la mémoire ne rappelle à l’âme le souvenir du 
bien, l’âme ne peut le connaître ni l’aimer. » (2) 

Étudions cette réforme dans chacune des trois puissances de 
notre âme. 


(À suivre.) Fr. CÉSAIRE de Tours. 
O. M. C. 


(1) « Christus est propitiatorium... ad quod qui aspicit plenä conversione vultüs, 
aspiciendo Eum in Cruce suspensum, per Fidem, Spem, Caritatem..., Pascha, hoc 
est transitum cum Éo facit, ut per virgam Crucis... » (/tiner. Cap. VII, $. 2.) 

(2) Nulla istarum valet esse vel perfici sine aliis. » (De septem Process. Cap. II, 


&. 2.) 


AMBASSADEURS DE FRANCE 
ET CAPUCINS FRANCAIS 


A CONSTANTINOPLE AU XVII® SIÈCLE 


D'APRÈS LE JOURNAL DU P. THOMAS DE PARIS 


AVANT PROPOS 


Dans un registre mortuaire conservé aux Archives de Saint-Louis 
de Péra à Constantinople nous lisons l'acte de décès suivant, que 
nous traduisons littéralement en français. « L'an du Seigneur 1671 le 
4° jour de février fut enlevé du nombre des vivants et enterré avec les 
autres religieux ses frères précédemment nommés, le R. P. Thomas 
de Paris. Il avait été élu second Custode de la Mission de Grèce par le 
T. R. P. Léonard de Paris préfet apostolique, le 6 mars 1639 ; vice- 
préfet de la Mission par le T. R. P. Archange des Fossés, le 20 fé- 
vrier 1645 en vertu d’un décret émané de la S. Cong. de la Propa- 
gande le 19 décembre 1639. L'Illime et Rime Seigneur Hyacinthe de 
Subiano l'avait nommé vicaire général du Patriarcat de Constanti- 
nople le 6 août 1652. Il a bien mérité de la Mission à laquelle il atra- 
vaillé pendant 44 années dignes de très grande louange et il l’a sage- 
ment dirigée. Il décéda muni de tous les sacrements de l’Église, 
comptant 74 ans d'âge et 54 de religion. Il mourut à Péra. » 

Or le P. Thomas avait l'habitude de consigner dans ses papiers, si- 
non au jour le jour, du moins très souvent, les faits et gestes intéressant 
la Mission de Constantinople à laquelle il travailla si longuement. Il 
reste de lui plusieurs cahiers importants, rédigés de sa main, dans 
lesquels on voit figurer les principaux personnages politiques qui tra- 
vaillèrent en Orient aux intérêts de leur pays respectif, plus particu- 
lièrement les ambassadeurs qui représentèrent la France en Orient 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 233 


pendant son séjour à Constantinople. On y voit aussi passer une foule 
de religieux de divers Ordres ; on suit les grandes lignes de leur vie de 
mission aussi bien que l'existence quotidienne des Capucins. Le pro- 
tectorat français y parait particulièrement dans son exercice. Il nous a 
donc semblé qu'il y avait là matière à quelques pages intéressantes, 
tout au moins à des notes propres à servir pour une étude plus com- 
plète. 

Les cahiers du P.Thomas vont de 1642 à 1670, tels du moins qu'ils 
sont conservés. Un registre rédigé par le R. P. Urbain de Paris égale- 
ment au XVIIe siècle, cite de larges extraits des années 1640-1641. Le 
P. Jacques de Paris, frère du P. Thomas, comble quelques lacunes 
dans le journal rédigé pendant que, lui P. Jacques, exerçait la charge 
de Custode 1661-1663. De plus le P. Urbain de Paris, dans le registre 
déjà cité, a copié une foule de décrets et brevets royaux, d'actes des 
Congrégations ou émanés des Supérieurs, qui permettent de constituer 
un tout homogène et il fait allusion souvent à divers écrits du P.'Tho- 
mas dont parfois il corrige quelques erreurs. En réalité, nous écrirons 
donc surtout d’après les témoignages du P. Thomas. 

Déjà le T. R. P. Arsène de Chatel, (1) dans la réédition de la « La- 
tinité à Constantinople » de M. Belin, (2) le R. P. Hilaire (3) de 
Barenton, dans son intéressant ouvrage « La France catholique en 
Orient », le T. R. P. Rocco da Cesinale dans sa « Storia delle Missioni 
dei Cappuccini » (4) ont utilisé le registre du P. Urbain, mais le tra- 
vail du P. Thomas n’a pas été, croyons-nous, analysé à fond. Appuyé 
sur les données de ce religieux,dans un premier chapitre,nous redirons 
les débuts de la Mission capucine française, sous l'ambassade de M. 
de Césy et celle de M. de Marcheville, L'ambassade de M. de La 


(1) Histoire de la latinité à Constantinople. Paris. Alp. Picard 1894. Le T. R. P. 
Arsène de Chatel, provincial de la Province de Paris, eut l'honneur et la joie de réta- 
blir à Saint-Louis de Péra les Capucins Français en 1881. Ce fut sous son adminis- 
tration que prit naissance le Collège Oriental qui prépare des prêtres de divers rites 
pour l'Orient. Les RR. PP. Marcel et Laurent furent les deux premiers ouvriers 
de cette restauration en 1881. 

(2) M. Belin fut longtemps archiviste de l'Ambassade de France à Constantinople: 
une plaque commémorative rappelant ses éminents services se trouve dans l'église 
Saint-Louis desservie par les Capucins, près l'Ambassadefrançaise. Il mourut en 
1877. La première édition de « la Latinité à Constantinople » est de 1872. La deu- 
xième est celle que publia, aprés l'avoir revue, le T.R.P. Arsène. Elle était presque 
achevée quand mourut l'auteur. 

(3) La France catholique en Orient, Paris. Librairie Saint-François. 

Le T. R. P. Hilaire de Barenton a publié plusieurs autres intéressants ouvrages 
sur saint François d'Assise et quantité de tracts édités par l'Association Franciscaine 
à Paris, 30, Rue Dutot et Librairie Saint-François, 

(4) Storia delle Missioni dei Cappuccini. 3 vol. Paris. Lethielleux, 1867. 


234 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Haye-Vantelet, père, formera le cadre du second chapitre. Le Rési- 
dent Roboly puis M. de la Haye-Vantelet, fils, vous seront ensuite 
présentés. 


CHAPITRE I. 


Les débuts de la Mission des Capucins Français à Constanti- 
nople. Ambassade de MM. de Césy et de Marcheville. 


Le jeudi 19 avril 1625, S.S. le Pape Urbain VIII dans une réunion 
de la Congrégation du S. Office, confiait aux PP. Léonard et Joseph 
de Paris le soin d'établir des Missions capucines en Orient et tout 
d’abord à Constantinople. inutile de redire la sollicitude du célèbre 
P. Joseph de Paris (1) pour les intérêts de la religion et de la France 
particulièrement aux pays du Levant. 

L'année suivante, le 5 février 1626 les PP. Archange des Fossés, 
Léonard de la Tour, Évangéliste de Reims et Raphaël de la Neuville- 
Roi reçoivent au couvent de saint Honoré de Paris la bénédiction du 
R. P. Léonard de Paris pour lors visiteur de la province et se mettent 
en route. Ils sont munis d’un brevet royal du Roi Louis XIII en date 
du 30 janvier 1626 et d'une lettre de recommandation du même mo- 
narque pour « M. Philippe de Harlay, Comte de Césy, ambassadeur 
au Levant de S. M. très-chrestienne. » M. des Hayes, envoyé extraor- 
dinaire du Roi, avait revendiqué le plaisir de conduire lui-même les 
Pères sur son vaisseau de Marseille à Constantinople ; la nécessité de 
passer par Venise le priva de cette consolation. 

Le P.Urbain de Paris nous documente sur les péripéties du voyage ; 
nous résumons. Un petit vaisseau de la côte de Provence recueillit 
heureusement les Pères et fit voile « le r1° de may 1626 et le 28 du 
mesme ils arrivèrent à Malte où ils receurent tous les honneurs possi- 
bles. » L'accueil particulièrement chaleureux du grand Maitre, la ren- 
contre d’un frère du P. Archange chevalier de Malte, le repas où le 
grand Maitre fit tenir aux Capucins « la place de 4 grands-Croix », la 
visite de l’infirmerie, etc, ont été racontés ailleurs. Notons l’émouvant 
épisode où éclata la protection du Seigneur sur nos missionnaires, l’at- 
taque par des corsaires pendant laquelle les Capucins « se jettant aux 
genoux devant une petite image de la Vierge faicte du bois de N. D. 


(1) Le P. Joseph de Paris plus communément appelé le P. Joseph du Tremblay 
et surnommé l'Eminence grise, par contraste avec le Cardinal Richelieu dont il était 
le conseiller. On sait qu'il avait rêvé d’une croisade contre les Turcs. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 255 


de Montaigu qui avait faict plusieurs miracles, récitèrent les litanies 
de la Vierge et tout incontinent ressentirent le secours de la Mère de 
Miséricorde. » 

Le 7 juillet seulement nos voyageurs entrent dans le port de Cons- 
tantinople, rencontrant tout d’abord le « caïque du Grand-Sei- 
gneur (1). » Le vaisseau donne « sonde au milieu du port de Galata n 
et M. de Césy envoie « la plus part de ses truchements (2) et autres 
domestiques pour les amener chez luy en la maison du Roy où estans 
arrivés ils furent receus et accueillis avec toutes sortes de courtoysies 
et honnestetés de S. E. Il se trouva dans la galerie où il les receut 
quantité de chrestiens qui pleuraient de joye voyant ces nouveaux 
Apostres qu'ils avaient tant souhaïittés et désirés. » 

La scène précitée se passait à Péra à l'endroit où se trouve encore 
actuellement l’ambassade de France. Les divers actes d'acquisition ne 
laissent pas de doute sur ce point. Le « séraï », palais de France, 
situé « ès-vignes » de Péra avait dans son voisinage quelques habita- 
tions d’Européens et en particulier celles de plusieurs ambassadeurs 
ou Résidents des puissances. 

Huit jours durant, les nouveaux venus « prirent logement près l’hos- 
tel de M. l'Ambassadeur » qui leur envoyait chaque jour les mets de 
sa cuisine à l'heure des repas. Pendant ce temps ils firent visite off- 
cielle au Bail de Venise (3) représentant de la Sérénissime République, 
le Sr Justiniani qui avait connu le P. Archange avant qu'il entrât chez 
les Capucins. Le Bail sur la demande expresse de M. de Césy accepta 
de protéger les Capucins « conjoinctement avec l’Ambassade de 
France. » 

On visita également l'Ambassadeur d'Angleterre « le cavalier Rose 
qui avait été nourri en France dès sa jeunesse et parlait fort bien le 
français ; le quel comme un cavalier très noble et très courtoys fist 
une réception très-civile et fort honorable. » Il n’y avait point alors 
d'Évêque à Constantinople, un religieux ordinairement le Supérieur 
des Mineurs-Conventuels faisait fonction d’Ordinaire, au nom du 
Patriarche latin résidant à Rome, et portait le titre de Vicaire patriar- 
cal. Ce vicaire demeurant au couvent de saint François à Galata reçut 


(1) Le Sultan était presque toujours appelé le Grand-Seigneur. 

(2) Les truchements ou drogmans étaient des interprètes pris dans le pays. Ils 
jouaient un rôle important pouvant seuls entrer en relation avec les Ministres et 
autres personnages. Mais le fait d’être sujets du Grand-Seigneur, quoique protégés 
par les Ambassadeurs, leur enlevait souvent une partie de leur indépendance de 
langage. 

(3) Le Rail ou Bayle était le titre du représentant de la République de Venise. 
Très nombreux étaient alors dans le Levant les sujets de cet État jadis très impor- 
tant dans les eaux de la Méditerranée. 


236 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


gracieusement les Capucins. Il y eut même assaut de politesse et 
d'humilité ; quand les Pères se mirent à genoux pour présenter leur 
obédience, « l’Ordinaire » en fit autant et leur donna à genoux la béné- 
diction. 

Visite fut faite aussi à « la Communauté des Péraux » (1) laquelle 
avec une organisation qui en faisait une sorte de conseil municipal 
gérait les intérêts matériels des églises. Association à la fois civile et 
religieuse, la « magnifica Communità » avait son prieur et autres 
officiers soumis à l'élection pour un temps déterminé. Son ingérence 
intempestive dans des questions étrangères à son ressort, sesincursions 
dans le domaine spirituel, ses prétentions parfois inadmissibles amenè- 
rent de nombreux conflits entre elle et l'autorité ecclésiastique qui 
plus d’une fois brandit ses foudres contre les membres de la « Com- 
munauté. » En tout cas, c'était un facteur avec lequel il fallait comp- 
ter. 

La Communauté reçut solennellement le P. Archange et ses con- 
frères en un lieu appelé sainte Anne à Galata, le prieur le Sr Anto- 
nachi de Negri drogman de France promit un local pour établir les 
Capucins et leur permettre de faire le service religieux.Mis à même de 
choisir entre l’église Saint-Jean et celle de Saint-Georges du Mont, nos 
Pères se décidèrent pour cette dernière quoique fort délabrée. A peu 
de distance se trouvait l’église des Apôtres Saint-Pierre et Saint-Paul 
desservie par les PP. Dominicains. 

Le Dimanche 19 juillet 1626 avait lieu l'inauguration de cette pre- 
mière station des Capucins français à Constantinople. Les Pères 
occupèrent l’église et une petite maison adjacente fort incommode. 
Sans faire aucune fonction curiale, ils se livraient aux travaux du 
saint ministère prêchant et confessant. [l leur fallut en conséquence 
songer de suite à l'étude des langues du pays spécialement du grec et 
aussi Je l'italien parlé par les Vénitiens et Génois fixés en ces régions. 
Seuls les gens d'Ambassade, les marchands français et les « mariniers » 
venant de France pour le trafic, parlaient notre langue. Les actes reli- 
gieux demeurés en nos registres sont rédigés en latin ou en italien. 

Pendant près de deux mois, jusqu'à la Nativité de N. D. les Pères 
reçurent chaque jour de M. de Césy les provisions nécessaires. Alors 
la communauté des « Péraux » apporta « une liste par laquelle ils 
sestaient cottisés eux-même ; de façon que la vie detous estant comme 
asseurée, ils refusèrent cette ayde (pécuniaire) et les remerciant s'a- 
bandonnèrent totalement à la Providence de Dieu. » Un courant de 


(1) Ce nom dérive de celui même du quartier (Péra) ou faubourg où résidaient les 
Ambassadeurs et un certain nombre d'Occidentaux. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 237 


générosité s'établit vite attiré par la vie simple et modeste des nouveaux 
religieux. Les représentants des puissances donnaient l'exemple. « Cet 
establissement faict, les ambassadeurs envoyaient leur aumosne au 
couvent tant catholiques qu'hérétiques et s’il faisait besoing aux Pères 
de quelque chose de plus ils prenaient la confiance de le demander 
avec humilité aux maisons des autres chrestiens. » 


* 
* + 


Le 6 avril 1627, les PP. Léonard de la Tour et Raphaël de la 
Neuville-Roy partent pour établir la mission de Chio ; il ne reste plus 
à Saint-Georges que deux Pères. Rapidement les vides sont comblés : 
les P.P.Marc d'Amiens et Bernard de Paris arrivent à Constantinople 
le 3r Juin, les P.P. Maclou de Pontoise et Thomas de Paris le 12 
décembre. Nous voici donc en face de notre annaliste commençant 
son travail en cet Orient qu'il ne quittera plus. Laissons-le se présen- 
ter lui-même : « Je suis né le 12 décembre 1597. J'ai receu l’habit de 
Capucin le 21 décembre 1617 et fait profession le même jour de l’an 
suivant. Je suis parti de Paris pour la mission le 6 septembre 1627 et 
arrivé à Constantinople le 12 décembre de la même année d’où je fus 
envoyé supérieur à Scio en novembre 1636 et y receu l’obédience de 
Custode et Supérieur de Constantinople en août 1639. » Cette pré- 
cision qui se retrouve en maint endroit nous fait d'autant plus regret- 
ter que le P. Thomas n'ait commencé son journal proprement dit 
qu'en 1640. Mais comme nous l'avons dit, ses notes disparues ont cer- 
tainement inspiré le P. Urbain dans sa rédaction. C’est celle-ci qui 
va nous servir de guide pour l'instant. 

Notons le passage à Saint Georges «des P.P. Victor, Paul et Prothais 
de la Province de Tourraine » (février 1628) destinés à l’intérieur de 
la Turquie. Viennent ensuite dans la mission de Grèce les P.P, Ma- 
thias de Rheims et Pacifique Potel de Paris (août 1628) bientôt em- 
ployés à la fondation de Smyrne ; puis les P.P. Jean-Marie de Magny 
et Chérubin de Laon. 

« Nos Pères qui estaient à Saint-Georges voyant que pour rendre 
service à ceux du pays et à leurs enfans. il estait nécessaire d’appren- 
dre les langues grecque et italienne, ils s’y appliquèrent fortement 
pour se rendre capables de ce service non seulement à Galata mais 
encore à Péra, où demeuraïient les représentans des Testes couron- 
nées et des Républiques et les droguemans et principaulx Péraux. » 
Ce premier désir d'établissement scolaire allait prendre forme. En 
attendant, l’occasion se présenta de monter à Péra et de s'y installer. 
À la suite d'une persécution,suscitée en particulier par les Hollandais, 


238 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


« les Jésuites avaient dû, sur ordre du grand Seigneur,quitter saint Be- 
noît, M. de Césy avait recueilli dans sa maison deux d'entre eux, les 
PP. Martin et d'Antruy. Assez heureux pour avoir pu les rétablir en 
leur église, S. E. demanda, pour les remplacer, au R. P. Archange 
deux Capucins. Le 14 juillet 1628, les PP. Bernard et Thomas, tous 
deux de Paris,s’installaient dans la maison de campagne de M. l’Am- 
bassadeur à Bajouck Daret » (Buiuck-Déré) (1). De là, pour fuir la 
peste, ils passèrent avec S. E. à Zechéret et remontèrent ensuite avec 
elle « en son hostel de Péra, à la fin d'octobre ou au commencement 
de novembre 1628 ». 

« Peu de temps après, Messieurs de la Communauté des Péraux 
prièrent le P. Archange qu'ils fissent l’eschole. Nostre habitation de 
Saint-Georges estant trop petite et incommode pour tel exercice, ces 
Messieurs s'offrirent de louer pour cela un grand magazin fort clair 
au coing de la rüe de Saint-Georges de nostre mesme costé en allant à 
saint Pierre. Puis la pensée leur vint qu'il serait mieux pour les Capu- 
cins et plus commode pour leurs enfans que l’un des deux Capucins 
qui restaient avec l'Ambassadeur de France fist ladicte eschole proche 
la dicte Maison de France et pour ce subject ils prirent à loüage une 
vieille maison,qui appartenait à la Signora Subrana,à 20 piastres par 
an de loüage que la dicte communauté paierait. Et tous ceux du 
quartier se cottisèrent de sorte qu’ils despensèrent 40 piastres (2) pour 
accommoder lad. eschole et trois chambrettes de planche au dessus. 
Le jardin de lad. maison aboutissant au logis dud. Ambassadeur on y 
fist une porte de communication. 

« Le P. Thomas de Paris eust ordre du R. P. Archange de se 
loger à ladicte maison avec un vieil Arménien faict franc (3) nommé 
Abraham pour luy servir de compagnon parce qu'on ne pouvait luy 
donner un capucin le nombre estant peu. [l ouvrit l'eschole et y 
receut les enfans peu de temps après Pasques 1629. Monseigneur 
l'Ambassadeur avait eu peine à consentir que led. Père Thomas 
commença lad. eschole, parce que n'ayant pas eu la petite vérolle, 
il craignait le mauvais air que led. Père luy pourrait apporter des 
enfans de l'eschole, venant luy dire la messe, manger et converser 


(1) Buiuck-Déré est un assez important village situé sur la rive européenne du 
Bosphore ; il est contigu au village de Thérapia, résidence estivale des ambassa- 
deurs de France. 

(2) La piastre dont la valeur a beaucoup varié suivant les époques équivalait 
alors à pres d'un franc de notre monnaie, plus de quatre fois autant que la piastre 
actuelle laquelle vaut 0,22 centimes. 

(5) Le mot de franc se confondait pour les Turcs avec celui de latin ; cela à cause 
de l'influence prépondérante de la France et de son protectorat religieux. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 239 


avec luy, mais n’alléguant autre raison de la difficulté. Led. Père 
s'accorda d’aller tous les matins dire la Messe à Saint-Georges et de ne 
plus fréquenter chez luy qu'’autant qu'il plairait à S. E. L'eschole 
devinst nombreuse d’enfans des premières familles de Péra, les pères 
voyant et considérant le grand soing que le P. Thomas apportait non 
seullement pour apprendre les bonnes lettres à leurs enfans, mais 
aussy pour les eslever dans la piété et dévotion, dans le respect envers 
leurs parens et dans la practique d'une vie vertueuse et chrestienne. » 

Il n’y a pas d’autres détails à relever sur la vie de nos Pères à Péra. 
Sans doute le P. Bernard continua à dire la messe à M. de Cesy : il 
resta à ce poste jusqu'en 1641. Le travail fut interrompu « 4 ou 5 
semaines après l'eschole ouverte », le P. Thomas ayant dùû faire à 
Smyrne un voyage urgent au cours duquel il apprit à connaître la 
rapacité turque. Le bateau qui le portait ayant en effet rencontré 
l'armée des galères auprès des « Chasteaux » (1)et donné sonde hors des 
dicts Chasteaux, une galère vinst au vaisseau demander le présent du 
Capitan Bascha (2) ce qui monta à 100 piastres. » 


* 
# + 


La haute protection de S. M. Louis XIII encouragea puissam- 
ment les heureux débuts des Capucins. Un nouveau brevet du Roi, 
donné « au camp de la Rochelle, le 22 Juillet l'an de grâce 1628, 
reconnaissant la piété et dévotion des Pères Capucins jointe à leur 
érudition et doctrine » avait réitéré les ordres déjà donnés aux am- 
bassadeurs et consuls de Ia nation française de les protéger, défendre 
et encourager, « de les loger, nourrir et admettre pour leur chappel- 
lains. » De leur côté les RR. Pères Léonard et Joseph publiaient des 
ordonnances assurant le bon fonctionnement des œuvres naïssantes, 
veillant à la conservation de l'esprit séraphique et de toutes les vertus 
religieuses. Ces lettres étaient jointes à celles qu’avaient également 
rédigées pour les Missionnaires, les Supérieurs généraux de l'Ordre 
des Capucins, les RR. Pères Giovani-Maria da Noto (12 juillet 1629, 
au cours de la Visite et du Chapitre à Paris) et Antonio da Modena 
(5 juillet 1633). 

A l'ambassadeur avait été confié le soin d'installer solidement les 
Capucins à Constantinople. Il fallait un local plus convenable à Galata; 
on jeta les yeux sur une maison voisine de Saint-Georges. Voici en 
quels termes le P. Joseph « ministre d'Estat » en donne commission à 
S. E. : « Il plaira à M. l'Ambassadeur le Cte de Césy, qu'il passe le 


(1) Ce nom désigne les forts qui défendaient et défendent encore les Dardanelles. 
(2) Le capitan Bascha était l'amiral en chef de la flotte turque. 


240 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


contrat stipulant, acceptant et achetant ladicte maison au nom du 
Roy, comme estant acquise et payée de ses deniers et dans cet acte 
public il exposera que S. M. portée par la bonne volonté qu'elle a 
pour l'avancement des œuvres de piété et par son affection spécialle 
vers l'Ordre des Capucins, ayant pris le soing cy-devant d'obtenir de 
la Porte leur establissement dans les terres de l’obéissance du Grand 
Seigneur, les ayant pris en sa protection Royalle ; considérant que 
lesdicts Capucins observent la pauvreté et ne vivent que des aumos- 
nes qui leur sont faictes, qu'ils ne peuvent par eux-mêmes ny vendre 
ny acquérir, a voulu exercer cet acte de charité chrestienne et royalle 
et a bien voulu leur faire achepter à ses depens une maison dans 
Péra, afin que plus commodément ils puissent vacquer aux exercices 
de leur Ordre et Institut et prier Dieu pour la prospérité de sa per- 
sonne et des princes ses alliés.» Sa Majesté « déclarant être son in- 
tention que les dicts Capucins ne puissent être ostés de ceste maison 
et privés de ce bienfaict par aucune personne, ny mesme par ses suc- 
cesseurs voulant que cette grâce leur demeure inviolablement acquise 
sans que d’autres Séculiers ou Réguliers puissent estre mis en leur 
lieu soubs quelque prétexte que ce soit, ny qu'il soit licite à aucun 
les molester en la jouissance de ceste fondation royalle. S. M. ayant 
pris et prenant en sa protection spécialle les Capucins qui sont main- 
tenant audict lieu et ceux qui y seront successivement, voulant parti- 
culièrement que ladicte maison soit affectée pour la demeure des 
Capucins français et soubs la conduite des Supérieurs de la mesme 
nation pour la consolation spirituelle de ses ambassadeurs et de ses 
subjects qui traffiquent en ceste ville. » 

Dans cette pièce citée en entier à raison de son importance, il est 
parlé de maison à Péra ; or il s'agit d’une acquisition à Galata. 
M. Belin dans son ouvrage sur la « Latinité à Constantinople » fait 
remarquer que les deux dénominations s'employaient alors indistinc- 
tement. 

Remise en si hautes mains, l'affaire, semblait-il, devait marcher 
rapidement. Ce serait mal connaître les Orientaux et les Levantins 
qui n'ont rien perdu des finesses et subtilités byzantines ; les Turcs 
n'ont fait qu'y ajouter leur proverbiale lenteur. D'ailleurs les lois 
régissant la propriété étaient et sont encore particulièrement compli- 
quées. De France, le P. Joseph pressait l'Ambassadeur, dans des 
lettres où, sous des formes polies, comme il convient entre si impor- 
tants personnages, se déguise mal une légitime impatience. On y voit 
comment ce Religieux diplomate suivait avec une minutieuse atten- 
tion les affaires qu’il entreprenait. Une lettre datée de Narbonne le 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 241 


18 octobre 1632 est particulièrement caractéristique. Nous ne la 
citerons pas à raison de sa longueur, mais sa suscription mérite une 
remarque. Elle porte : « à M. le Cte de Césy, ambassadeur Man- 
zoul. » Ce mot équivaut à l'expression ex et au mot ancien ; il 
redit la situation étrange deS. E. 

« M. le Cte de Césy, dit M. de Bonnac (1) dans son Mémoire his- 
torique sur l'Ambassade de France à Constantinople, s'étant per- 
suadé qu'il pourrait gouverner l'Empire ottoman par le moyen des 
femmes du sérail, s’attacha à former des liaisons avec elles. Comme 
il ne pouvait entretenir ce commerce dangereux plutôt qu'utile, que 
par des présents continuels et proportionnés à l’avidité et à la magni- 
ficence des femmes, il contracta de grandes dettes qui s’accumulant 
par les gros intérêts qu’il payait, l’accablèrent à la fin. Il paraît qu'il 
essuya un autre accident qui contribua à augmenter ses dettes et lui 
servit de prétexte pour les faire payer par le roi. Il se chargea en son 
propre nom de la douane d'Alep et s'en rendit fermier pour le Grand- 
Seigneur. Cette douane fut mal administrée, ou ne produisit pas un 
revenu égal à la somme qu'il s'était engagé à payer au trésor et il lui 
fallut emprunter pour y subvenir. » | 

Conclusion : la dette atteint bientôt 300.000 piastres. De là récla- 
mations des marchands sur qui on met une imposition pour l'extinc- 
tion de la dette : rappel de M. de Césy que le Grand Seigneur retient 
comme otage ; arrivée de M. Henry de Gournay, comte de Marche- 
ville (oct. 1631) que la Porte refuse de reconnaitre comme ambassa- 
deur de France. On a donc alors cette anomalie d'un ambassadeur 
restant par force à son poste et continuant « comme gérant en absen- 
ce » à régler les affaires de sa Nation. Aussi pour les acquisitions 
faites au profit des Capucins on voit, suivant les circonstances, figurer 
le nom de M. de Césy, avec son titre d’Ambassadeur, quoique Man- 
zoul, ou celui de M. de Marcheville. 

Tous deux intervinrent pour soutenir les assauts de Stefani Pirone 
vendeur de la maison située près de Saint-Georges. Le vendeur chica- 
nait sur les traités passés avec l'acheteur. Il y eut mème sentence so- 
lennelle d'arbitrage, où figurèrent, à défaut de S. E. qui ne pouvait 
se rendre justice à elle-mème, le Sr Contarini, Bail de Venise et le 
Sr Cornelius Hage, représentant de Hollande. Les titres et qualités 
de celui-ci sont relevés dans la formule pompeuse de l'époque (2) : 


(1) M. d'Usson, marquis de Bonnac, fut ambassadeur de France à Constantinople 
en 1724. 

(2) Cornelius Hage, ambassadeur de leurs très puissantes Seigneuries les États 
Généraux des libres et honorables provinces de Hollande. 


E., F. — XXIX. — 10 


242 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


u Cornelio Haga, Ambasciatore per le Potentissime Signori li Stati 
Generali della libere et considerate Provincie di Nederlanda ». Mail- 
gré cela, le contrat est cassé puis revalidé ; cette fois c'est M. de Mar- 
cheville qui est intervenu. Un moment il semble que tout est terminé 
mais le Sr Pirone étant débiteur des PP. Jésuites, ceux-ci mettent 
saisie arrêt sur le paiement que doit faire l'Ambassadeur. Tout re- 
commence ; et le P. d’Antrini, jésuite, partant visiter « leur mission 
de l’Archipelage (r) » obtient un délai pendant lequel de pressantes 
démarches sont faites par les Jésuites en très-haut lieu. En 1640 seu- 
ment M. Robolv, marchand français, fait acheter en son nom la sus- 
dite maison et la revend à M. Lempereur, drogman de France lequel 
« sous son nom de guerre Stouville » la rachète pour le compte des 
Capucins. En tous ces débats, le procureur des Jésuites avait été le 
Sr Jean d’Andria ; celui des Capucins le Sr Colonel Voullemin. 

M. de Marcheville prêta également son nom pour l'installation de 
Péra. Il acquiert « terrain et logement » à l’usage des Capucins. Le 
« hodjet » (2) de vente est dressé au Melkem (3) de Cassim-Pacha (4) 
entre Yaconni et « Henri, fils de Renault, ambassadeur du bey de 
France ». Cet Henri était M. de Marcheville. « Ledict emplacement 
estait situé hors de Galata au quartier dict Seraï (5) ». Là s’élèvera 
un jour le séminaire actuel de Saint-Louis de Péra. L'acte précité fut 
rédigé l’an 1041 de l’hégire, en 1631 de l'ère chrétienne. 

Cette démarche était en tout conforme aux désirs de S. M. qui en 
donna attestation authentique dont voici un extrait. Le 14 juillet 1637 
« le Roy estant au chasteau du Boys de Boulogne lés-Paris, voulant 
traitter favorablement les Pères Capucins estant à Constantinople. 
et pour leur donner les moyens de profiter d'avantage en l'instruction 
et l'édification du prochain par le moyen d’une eschole pour ensei- 
gner à la Jeunesse ce qui est de la piété et doctrine chrestienne, leur 
accordant un lieu propre pour faire leurs fonctions et tenir la dicte 
eschole, S. M. leur a accordé et faict don d’un logement qui est au 
derrière d’un bastiment nommé Chasteau-Gaillard en la résidence de 
France audict lieu de Constantinople lequel logement avait esté cy- 
devant construit pour servir aux dicts Capucins et qui depuis avait 

(1) Mission des îles de l'Archipel, Chio. Naxos, Syra, etc. 

(2) Le hodjet ou kodjet est généralement un contrat de vente. On remarquera 


l'usage turc de ne mettre souvent que les prénoms ce qui, de nos jours encore, sus- 


cite des difficultés énormes. 

(3) Melkem, demeure de l'officier civil du quartier. 

(4) Cassim-Pacha est un quartier de la ville contigu à celui de Péra ; il est tra- 
versé par un ravin fameux qui charrie toutes les immondices de ce lieu habité en 


grande partie par des Grecs. 
(5) Serai signifie proprement palais. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 243 


esté employé à autre usage pour estre dorénavant et a tousiours ledict 
lieu habité par les Capucins. » 

L'installation en ce bâtiment eut lieu par acte officiel du 20 dé- 
cembre 1637, acte qui spécifie que « la chambre bastie au dessus de 
la porte (scavoir de l'entrée du Palais fait partie du local donné par le 
Roy. » Cette remarque n'était pas inutile : un jour il faudra la met- 
tre sous les yeux de M. de Nointel (1), pour protester contre une in- 
justice. Au procès verbal figurent les noms de plusieurs témoins, 
membres plus marquants de la colonie. Enregistrement fut fait en 
chancellerie, le lendemain, contresigné par le secrétaire d'Orgemont. 
Sans doute quelques réclamations surgirent, car un nouveau brevet 
du Roi daté du 12 Juillet 1638 à Saint Germain-en-Laye, vint confir- 
mer cette donation ; il y eut un nouvel enregistrement en chancelle- 
rie; M. Lempereur était alors secrétaire (30 janvier 1640). A cette 
époque le P. Thomas de Paris, revenu de l'île de Chio, où il fut su- 
périeur (nous l'avons dit) de 1636 à 1639, commençait son adminis- 
tration de Custode et supérieur locai de Constantinople. 

Ajoutons quelques notes relatives au départ de M. de Marcheville 
survenu quelques années avant l'installation du P. Thomas. Très 
mal reçu à son entrée dans l’Empire ottoman, obligé de baisser son 
pavillon devant le Capitan Bascha, forcé d'aller sur la galère de celui- 
ci, M. de Marcheville s'était plaint à la Porte. En principe les do- 
léances furent accueillies, mais en revanche l’orgueilleux Capitan 
Bascha faisait pendre le drogman qui avait déposé la susdite plainte. 
Ce drogman était raïa (2) c’est-à-dire sujet ottoman ; protester était 
donc inutile. Cette haine du Capitan ne cessa point et ce tout puis- 
sant officier obtint enfin du Grand Seigneur la permission d'obliger au 
départ son adversaire. De force, M. de Marcheville fut mis sur un 
bateau français en partance, sans avoir même le temps de réunir tout 
son bagage. M. de Césy continua à gérer l'ambassade. Ceci avait lieu 
en 1034. 


* 
* + 


Près de partir pour la visite de l’Archipel et songeant à se rendre à 
Rome, le P. Archange des Fossés nomma pour « vicaire en la supé- 


(1) M. Olier, marquis de Nointel fut ambassadeur de France près la Sublime 
Porte en 1670. Son ambassade a été racontée de façon fort intéressante par M. Van- 
dal de l'Académie française. 

(2) On appelle de ce nom de raia les sujets turcs non musulmans. Leurs intérêts 
civils sont réglés par l'intermédiaire de leur patriarcat respectif avec le gouverne- 
ment ottoman. Pour ceux qui sont de rite latin leur représentant officiel est un 
employé spécial reconnu par la Porte et ayant le titre de consul latin. 


244 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


riorité de Galata et Péra », le P. Martin de Compiègne et à son 
défaut ou le P. Bernard de Paris ou le P. Martin, de Thiers alors à 
Smyrne, avec ordre de venir résider à Saint-Georges de Galata, décla- 
rant que s'il ne fait pas supérieur le P. Laurent de Senlis, c'est que 
celui-ci, bien que plus ancien en religion, est nouvellement arrivé et 
ne sait pas les langues. Nous avons l'état du personnel de Constanti- 
nople en ajoutant le P. Jacques de Paris alors chargé de l'école. Le 
P. Bernard était plus spécialement attaché à l'ambassade, aussi 
M. de Césy obtint-il qu’on ne le changeât point avant que lui-même 
repartit pour la France. 

De Rome, le P. Archange annonça au P. Thomas encore à Chio, 
la nomination du P. Honoré de Cognières, provincial de Paris à la 
charge de préfet de la Mission, avec les Définiteurs comme conseil- 
lers. Lui-même, P. Archange est nommé « supérieur et préfet de la 
même Mission in solidum avec ledit Provincial. » Ces événements 
étaient la conséquence de la mort du T. R. P. Joseph de Paris, suivie 
bientôt de la démission du T. K. P. Léonard de Paris. Le P. Tho- 
mas apprit successivement du P. Archange des Fossés et du P. Léo- 
nard, sa propre nomination à la custodie de Constantinople. La 
lettre du premier lui envoyant son obédience lui annonçait un nou- 
vel Ambassadeur M. de La Haye-Vantelet et exprimait le désir de 
voir au plus tôt ce représentant de la France se rendre à son poste. 


CHAPITRE II 
Ambassade de M. de La Haÿe-Vantelet, père. 


LE PROTECTORAT 1641-1661. 


Envoyés à Constantinople par les soins du R. P. Joseph, les Capu- 
cins avaient tout d’abord une mission apostolique à remplir et si la 
prédication directe aux Mahométans leur était interdite en raison des 
circonstances spéciales, ils n’en cherchaient pas moins à gagner des 
âmes à Jésus-Christ. La réunion des schismatiques avec l'Église 
Romaine excitait aussi leur zèle. Enfin ils avaient à maintenir chez 
leurs nationaux une foi facilement ébranlée en un milieu où les reli- 
gions diverses se coudoient perpétuellement et semblent souvent mises 
sur le même pied. Ces nationaux, ils les trouvaient soit dans le négoce, 
soit dans les maisons des Ambassadeurs, soit même dans les bagnes 
où se trouvaient nombreuses les victimes des guerres fréquentes. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 245 


[l faut aussi le reconnaitre, le très habile diplomate qu'était le Père 
Joseph comptait bien affermir et développer au Levant, par le moyen 
de ses frères en religion la gloire et l'influence de cette France dont il 
était l’un des plus fermes soutiens. Si la religion avait le pas sur les 
autres considérations, la politique réclamait ses droits. Les nations se 
disputaient la prépondérance sur un sol tant de fois ensanglanté par 
des luttes meurtrières. Empereurs d'Allemagne, Rois de France et 
d'Angleterre, République Vénitienne et Hollandaise y continuaïient les 
intrigues nouées en Occident et cherchaient à entrainer les Sultans 
dans leurs compétitions. Les intérêts commerciaux jouaient un rôle 
capital et il fallait une certaine souplesse aux missionnaires pour ne 
point leur subordonner les questions religieuses. Les froissements 
étaient faciles ; les Ambassadeurs des diverses nations avaient une auto- 
rité directe sur leurs nationaux qui attendaient d'eux toute protection; 
il fallait ne blesser personne. Les tendances gallicanes apparaissaient 
parfois jusqu'en Orient, le Roi tendant à prévaloir sur le Pape et cela 
même amena plus d’un confit en ces lointaines régions. 

Ces aspirations diverses paraissent à maint endroit des manuscrits 
que nous analysons et n’en sont pas le moindre intérêt. Le P. Thomas 
était religieux, religieux très français et aussi très capucin. Nous le 
verrons donc évoluer au milieu des représentants des Nations comme 
à travers les divers Ordres religieux. Ses remarques ne paraissent point, 
disons le, entachées de partialité. Il nous montrera très clairement le 
rôle protecteur et prépondérant de la France dans les questions reli- 
gieuses en Orient. 

La première consolation du P. Thomas devenu Custode fut de rece- 
voir la Patente du roi Louis XIII confirmant le don d’un logement 
pour l'école de Péra, patente dont il a été question au chapitre précé- 
dent. Les PP. Jacques et Bernard de Paris étaient chargés de la dite 
école recevant chaque jour de S. E. « le dîner et le souper », et cela 
durera jusqu'en 1660. De temps à autre, M. l'Ambassadeur se plaisait 
à les recevoir à sa table. Il faisait aussi des largesses particulières ; 
nous voyons signalé le don de « ro pics de thoile d’argent pour le beau 
pavillon de Saint-Georges » ;il s’agit sans doute du dais. Comme revers 
à ces amabilités du maitre, il faut trop souvent opposer les procédés 
de quelques drogmans qui introduisaient dans les actes d'acquisition 
ou autres « quelques duperies à leur profit. » Ce fut plus d’une fois 
une source de graves ennuis. Le P. Thomas résidant dès lors à Saint- 
Georges en fait la remarque à mainte reprise. 


» 
p 


246 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


En 1641 au mois de juillet M. de Césy quitta Constantinople. Une 
erreur typographique s'est glissée dans l'impression du Mémoire 
rédigé par M. de Bonnac sur ce sujet. Un simple calcul permet de 
rétablir la vérité : M. de Césy, est-il dit, revint en France après 22 
ans de séjour en Turquie ; or il y était arrivé en 1619 ; la date de 1647 
imprimée par erreur dans le Mémoire ne coïncide pas avec le rensei- 
gnement donné par M. de Bonnac lui-même. Le P. Thomas est sur 
ce point très affirmatif. À ce moment il était absent de Constantino- 
ple retenu par la visite de Smyrne et des Iles. 

Ce départ de M. de Césy ne manqua point de pittoresque, comme 
en France on l'accusait de s'être fait retenir volontairement par le 
Grand-Seigneur, M. de La Haye Vantelet, son successeur,arriva pres- 
que à l’improviste. Il trouva M. de Césy au lit et le fit partir immé- 
diatement le « consignant aux commandants du vaisseau qui avaient 
ordre de le ramener en France.» C'est sans doute à cause de ce désarroi 
que quelques mois plus tard,Me deCésy écrivant au P. Thomas récla- 
mait avec instance « deux bassins de cuivre » que l’on chercha vaine- 
ment chez Melle Ja Colonnelle et chez M. Alard droguiste ; elle deman- 
dait aussi « l’Introduction de la vie dévote » que le P. Thomas promet 
de réclamer au P. Bernard, lequel avait fait les « quaisses » confiées 
ensuite à un vaisseau Anglais. Nulle part le journal ne dit que Me de 
Césy ait demeuré à Constantinople mais elle n'en veillait pas moins 
de loin à la conservation de son bien. 

. A peine arrivé à Péra, M. de La Haye Vantelet prit en main les 
intérêts de la religion et le P. Thomas revenu de sa tournée apostoli- 
que lia avec lui une véritable amitié. Dès le commencement de 1642 
nous lisons qu’à l’occasion du Baïram (1) S. E. a donné des « vestes 
de satin au Reïschetab (2) et à l’escrivain du Vizir et ce partage en 
considération du commandement général que nous demandons. » Ces 
commandements étaient des actes officiels émanant du gouvernement 
turc et indispensables aux missionnaires pour leur sécurité personnelle 
et l’exercice de leur ministère. Chacun d'eux, comme d'ailleurs toute 
pièce obtenue pour l’arrangement de quelque affaire importante, était 
l'occasion de présents ou bacchich (3) fort onéreux. C'est ainsi que 
l'affaire d'Alep si désastreuse pour M. de Césy l'avait obligé à un pré- 
sent de « 6000 pics de drap tant au Vizir qu’à tout son monde. » M. de 


(1) Baïram. Jours de fête qui suivent le grand jeùne du Rhamazan sorte de Caré- 
me des Musulmans. Ces fêtes étaient l’occasion de cadeaux aux officiers et employés 
du gouvernement ottoman : elles duraient 3 jours. 

(2) Reischetab, Chancelier du Grand Vizir. 

(3) Bacchich synonyme de pot de vin. Ce moyen d'action est resté dans les mœurs 
turques. 


A CONSTANTINOPLE AU XVII® SIÈCLE 247 


la Haye fort parcimonieux sur ce point paya cher cette dissemblance 
avec son prédécesseur. 


* 
+ + 


Pendant qu’à Saint-Georges continuait la vie presque paroissiale 
par les catéchismes et prédications, à Péra les Pères disaient la Sainte 
Messe à laquelle les écoliers assistaient ainsi que les voisins. « Au fond 
de la vieille eschole de nostre hospice, derrière le Chasteau-Gaillard 
il y avait un autel pour dire la Messe, qu'on fermait quand la messe 
ou les messes estaient dictes, avec deux grands volets ; et demeuraient 
tousiours fermés. Et il ne paraissait qu’une eschole où les escholiers 
étudiaient et non une chappelle. « Pour les fidèles, « on faisait adver- 
tir par les escholiers aux maisons des chrestiens. » S. E. voulait bien 
« que nous continuassions les petites dévotions communes pour nos 
escholiers de Péra mais sans y attirer les gens du dehors » ; cela pour 
éviter les conflits avec l’autorité turque très sévère sur la question des 
églises, pour pouvoir dire qu’il tolérait seulement la chose etaussi être 
libre de fermer la porte en cas de peste, sans que les gens prétendissent 
être frustrés d’un droit. L'autorisation de faire assister les fidèles à ces 
messes avait été donnée au P. Jacques par le vicaire patriarcal lequel 
avait mis de son plein gré dans la permission : in eius sacello Palatio 
Legati Gallici annexo.(1)Ceci n'empêchait pointS. E. d'avoirpourson 
usage personnel un oratoire particulier dans l’intérieur de sa maison. 
L'aumônier que M. de Vantelet avait amené de France pour le voyage 
y célébrait chaque jour : c'était là aussi que l'Ambassadeur faisait ses 
dévotions, c'est-à-dire communiait ainsi que le déclare le P. Thomas. 

Bientôt le commandement demandé pour les Capucins était obtenu 
du Grand-Seigneur et le jour où le P. Thomasen rapportait la copie, 
M. de La Haye-Vantelet l'a « pryé que nos Pêres luy allassent dire la 
messe tour à tour sur les 8 heures et demye et commençassent dès 
demain, (21 février 1642). Moy lui demandant s’il en désirait quel- 
qu'un en particulier il m'a respondu que non et qu'il les aymaïit tous 
esgalement. » L’aumônier devait partir incessamment, il avait par an 
« 400 livres de gaiges, la table de S. E. et d'autres émoluments. » 

Donc, le 21 février le P. Bernard commençait le service régulier 
des messes à l'ambassade. S. E. lui « dist que quand les capucins de 
l'eschole voudraient aussy manger chés luy ils y seraient les bien venus, 
mais qu'ils aymaient mieux manger chès eux et qu'il y viendrait quel- 
que fois aussy manger avec eux. » Îl tint parole, et, paraït-il, les soigna 


(1) « Dans l’oratoire annexé au palais de l'Ambassadeur de France. ». 


248 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


fort délicatement. Les Capucins étaient « à présent et pour tousiours 
aumosniers de M. l'Ambassadeur » écrivait le P. Thomas à ses reli- 
gieux de la Mission. Ils devaient, S. E. le leur commande, « quand 
ils verraient quelque chose de malen ses gens, soit contre l'honneur de 
Dieu, soit contre son service, les en reprendre à propos et de bonne 
façon. Il m'a mesme pryé (ajoute P. Thomas) de l’advertir aussy quand 
je scaurais quelque chose de luy mesme digne d’advertissement. » 

L'enterrement d’un Capucin, le premier dont parle le journal (un 
décès avait eu lieu quelque temps auparavant ainsi que l'atteste le 
registre mortuaire, c'était le premier depuis l’arrivée des Capucins à 
Constantinople) donne l’occasion à S. E. de montrer sa sympathie. Il] 
s'agissait du P. Robert de Beauvais décédé le 27 juillet 1642 ; la céré- 
monie funèbre avait lieu à Saint-Georges. Les religieux des commu- 
nautés y furent « comme aussy toute la maison de M. l'Ambassadeur, 
c'est-à-dire, un janissaire, trois droguemans, le maistre d'’hostel et tout 
le reste du train. Quatre Capucins le portèrent de l’église par nostre 
cour jusques dans la rue et les gens de M. l'Ambassadeur eurent la 
dévotion de le porter de la jusques au lieu de la sépulture sur leurs 
épaules. » Or ce lieu de sépulture était à Beongli, actuellement les 
Grands Champs.(1) Le P. Thomas ajoute :« je remercyai tous les Pères 
aux cimetières et feus ensuyte remercier M. l'Ambassadeur.» Puis cette 
remarque : S. E. n'avait « envoyé que le seul Fauzibey de sa maison 
avec un janissaire aux funérailles du P. Artault Jésuite. » 

M. de Césy redoutait la petite vérole, M. de La Haye Vantelet crai- 
gnait aussi les épidémies, crainte d'ailleurs bien légitime en un temps 
où la peste faisait de fréquentes victimes. Aussi les Pères qui viennent 
à l'ambassade sont instamment pryés de n'aller point en lieux suspects 
de peste. » Le P. Thomas profite de ses assiduités pour traiter des 
questions de controverse. Il est ainsi question du fameux livre du doc- 
teur Arnault sur la communion fréquente. Les divergences entre 
latins et grecs font aussi l'objet de ces conversations et S. E. lit avec 
intérèt « le 1er Tome du Triomphe du P. Yves» relatif à cette ques- 
tion des Grecs. Adroitement le P. Thomas fait ressortir à l’occasion 
l'inconvénient, puis l’impossibilité de permettre dans les travaux du 
ministère une concurrence dangereuse et il en arrive à obtenir que les 
Pères Jésuites ne puissent s'installer à Péra pour y « faire une escholen 
ni mème célébrer la Messe chez M. l'Ambassadeur, ni à plus forte 
raison Construire une maison pour retirer ceux d'entre euxqui seraient 


(1) Assez vaste terrain jadis cimetière et devenu, après désaffectation, terrain de 
manteuvres pour l'armée turque logeant dans les casernes voisines. Il est situé dans 
le quartier appelé Taxim et fait suite à celui de Péra. 


A CONSTANTINOPLE AU XVI(e SIÈCLE 249 


atteints de peste. Les Jésuites avaient en effet acheté grâce à la com- 
plaisance d'un drogman un petit terrain tout proche de l’Ambassade. On 
le comprendra, la situation était d’autant plus délicate que le propre 
frère de M. de La Haye Vantelet, le Père de La Haye, Jésuite, résidait 
alors à Galata. Il y eut même intervention en faveur des Capucins 
sur ce point de la part du gouvernement. Des lettres d'affiliation à 
l'Ordre des Capucins sont donnés à S. E. en signe de reconnaissance. 

En 1643, le 5 août, nous assistons au service funèbre pour le roi 
Louis XIII, qui fut célébré à Saint-François église des Conventuels, 
siège du Vicaire patriarcal. Le tout fut : « fort solennel, l'église et tout 
le cloitre estans tendus de noir, le cloître de concassin, l'église de 
drap, et la chappelle ardente en représentation de velours avec quan- 
tité très grande de luminaire. Le Baïl de Venise y a assisté, s’y estant 
trouvé avant M, l'Ambassadeur qu’il n’a pas accompagné par le che- 
min parce que ses livrées n'estant pas noires ne convenaient pas avec 
le deuil, maisilestait vestu de noir et son secrétaire aussy. Le secré- 
taire d'Angleterre s’y est trouvé mais non dans l'église et comme inco- 
gneu parce qu'il n’a point de rang où son Maistre ne se trouve pas. Il 
ne se faict aucune cérémonie aux Ambassadeurs à la messe et après le 
Libera ny eux ny les autres ne donnent point d'eau béniste à la repré- 
sentation comme nous faisons en France ceste coustume n'estant pas 
ICI. » 

La chapelle ou quasi-chapelle de l'Ambassadeur était trop petite 
pour pareilles pompes. Néanmoins elle servait à l’occasion des réjouis- 
sances nationales. Le 3 septembre 1643 « le P. Jacques (y) entonna le 
. Te Deum pour la victoire de Rocroy ; les Capucins et les Jésuites y 
estaient assistans et le P. Hyacinthe Macripodari Dominiquain. » Il 
y eut illumination et coups de « pierriers. » Déjà le 24 novembre de 
l'année précédente le P. Jacques avait ainsi en présence des Capucins 
chanté « le Te Deum et le Psaume Exaudiat » pour la prise de Perpi- 
gnan. Cette fois on n'avait pas tiré de « boëstes, deux sultanes estant 
prestes à enfanter. » 

Le P. Jacques faisait donc officiellement fonctions de chapelain de 
l'Ambassadeur dans ces circonstances. En cette qualité il présida à la 
Jevée du corps de M. de Fligny secrétaire et proche parent de S. E. 
«Le corps eust esté mis dans nostre chappelle s’il eust peu yentrer avec 
le feretrum. (1) Le P. Jacque revestu du surplis et de l'estole accom- 
gné du P. Amand et de tous les Religieux leva le corps et l’accompa- 
gna jusqu'à la porte de la rüe où le R. P. Vicairé patriarcal qui atten- 
dait le receut dud.P.Jacques en qualité d’Aumosnier de l'Ambassade et 


1) Civière pour porter le mort, ou catafalque. 


250 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


fust l’enterrer. Le P. Jacques et le P. Amand ne furent pas plus avant 
et cela avait esté accordé ainsy comme pratiqué auparavant chez le 
Bail de Venise; quand il mourust, son aumosnier fist de mesme » 
(23 août 1645). Un jour le V. Patriarcal P. Severoli ayant « osé » 
venir faire la levée du corps d’un sieur Le Roux, français, domestique 
de S. E. celle-ci protesta vivement « qu’elle ne veult pas qu’il prétende 
juridiction dans sa maison. » Le P. de La Haye, son frère, appuya les 
dires de l'Ambassadeur « asseurant que l’Aumosnier du Roy ne reco- 
gnoit en rien l’Archevêque de Paris et que les Ambassadeurs ont le 
mesme privilège. Ensuyte de quoy le Vicaire patriarcal a respondu ne 
vouloir que ce qu'il plaira à S. E. » Aussi le 27 juillet 1656, aux funé- 
railles du S. de la Porte, médecin et pharmacien de l'Ambassade 
demeurant au palais de France, le P. Jacques toujours à son poste fit 
la levée du corps et le conduisit « selon la coustume » jusqu’à la grande 
rue. 

Le nom du P. Jacques revient souvent dans de très longs démêlés 
relatifs à l'acquisition d'un nouveau terrain à Péra, au profit des 
Capucins. Le prête-nom était le drogman Fonzibée. Demeurant sur 
les lieux, le P. Jacques connaissait le caractère des futurs vendeurs et 
il épiait le moment favorable. Malheureusement Fonzibée veillait 
aussi ; cet homme pour être « l'ami spirituel » c’est-à-dire un desbien- 
faiteurs des Capucins, n’en soignait pas moins ses intérêts particuliers. 
Le désir de gagner quelques piastres le conduisit à une opération jugée 
peu honnête et il favorisa la vente au profit d’un turc. M. de La Haye 
qui avait bien voulu avancer l'argent nécessaire se fâcha ; il y eut des 
débats orageux agrémentés de propos mal sonnants. Un tribunal d’ar- 
bitrage fut constitué pour éviter le scandale de la «justice turquesque. … 
Le bon droit des Pères fut reconnu, Fonzibée dut remettre les choses 
en état et expier sa faute. Voici la conclusion de la sentence : avons 
ordonné et ordonnons que les parolles injurieuses contenues aux 
escriptures dud. Fonzibée contre l'honneur et bonne foy desd. PP. 
Capucins seront rayés et biffés. Déffense à luy de plus user de sembla- 
bles termes à l'advenir à peine de punition exemplaire. Et l’avons 
condamné et condamnons en vingt piastres appliquables au pain des 
pauvres et esclaves et aux despens. Faict à Péra de Constantinople 
le 8e may 1652. Signé De La Haye. La position du terrain acquis est 
ainsi indiquée: «en tirant du coing dud. hospice (des capucins) 
une ligne droicte au coing de la muraille de la salle de la maison du 
Roy, ensemble le droict de passage pour venir de la maison de lad. 
Cocona (la venderesse) en l’hospice desd. Pères. » L'affaire avait 
duré deux années. Autrement long fut le litige greffé sur cette discus- 


Te, me 


A CONSTANTINOPLE AU XVII* SIÈCLE 251 


sion. Les Pères Jésuites avaient acheté un petit terrain tout proche, 
escomptant une construction qui ne put s'effectuer, nous avons dit 
pourquoi ; leur procureur réclama un droit de passage par « une 
porte donnant sur Top-Hana » (1) et ouvrant sur le terrain des 
Capucins. Les discussions en chancellerie durèrent plusieurs années 
comme en fait foi une forte liasse de documents conservés dans les 
archives de Saint-Louis. 


* 
+ + 


Protection, mais sans partialité, tel est le mot d'ordre de l’Ambassa- 
deur dans ses relations avec les Capucins. Aussi à l'air « affairré » de 
S. E. le P. Thomas jugeait parfois qu’il valait mieux remettre à plus 
tard quelques rapports sur des ennuis survenant soit à Constan- 
tinople, soit dans la mission où s'étendait la bienveillance royale. M. de 
La Haye donnait volontiers des leçons de morale aux religieux des 
diverses communautés ; si le P. Thomas d'humeur plus pacifique y 
échappait généralement, le P. Jacques subissait plus facilement les 
rappels à la patience et à la condescendance dans l'exercice de ses 
droits. [l serait même volontiers intervenu dans certains détails d’ad- 
ministration intérieure, tels que les changements de Supérieurs, s'ap- 
puyant en cela sur une parole du KR. P. Archange des Fossés lequel 
dinant « chez l'Ambassadeur, qui le prya de luy laisser le P. Thomas à 
Saint-Georges, respondit à S. E. que c'estait son desseing,qu'il recom- 
mandait le P. Thomas à S. E. et qu'il existait quelquefois des subjects 
qu'un Ambassadeur fust comme un demy-Provincial à cause du 
pays. » (Janvier 1645). 

De fait le P. Thomas ayant été nommé en 1648 gardien de Naxie et 
ayant refusé l'obédience pour cause de santé, fut retenu à Saint-Geor- 
ges par S. E,. qui en écrivit au Provincial et obtint gain de cause, si 
bien qu il récidiva quelques années plus tard, 


* 
+ 


La protection des Capucins n'était ni un vain mot ni une sinécure. 
Outre les « commandements » généraux ou particuliers obtenus en 
leur faveur, l'Ambassadeur intervint tantôt à Mossoul pour exiger des 
Turcs réparation de leurs avanies, tantôt à Alep ou un vice-consul 
menace nos pères de les faire partir. S. E. alors, « escrit de bonne en- 


(1) Top-Hana ou Top-Hané, fonderie de canons qui existe encore sur le quai fai- 
sant suite à celui de Galata. Le mot signifie porte du canon. 


252 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


cre qu’il sortira le premier. » De Sayde le P. Romain de Saint-Brieuc 
vient, partie « sur mer », partie « sur terre », pour plaider la cause des 
Capucins et obtient un secours efficace, c’est-à-dire « un commande- 
ment. » Même intervention réitérée à Naxie et à Syra contre certaines 
autorités ecclésiastiques et civiles peu bienveillantes ; puis à Smyrne 
où malgré le dévouement du consul français M. du Puy, les Capucins 
subissaient les attaques de malintentionnés entravant leur ministère. I] 
écrivit même à Rome à M. de Chavigny pour protester contre les 
fausses imputations portées contre eux.Les Capucins étrangers étaient 
aussi l’objet de son zèle, telle R. P. Francesco de Gallipoly (Italien) 
prédicateur général, custode de Calabre qui, pris par le Capitan Bascha 
fut amené au bagne de Constantinople. « Tous les ambassadeurs de 
France, d'Angleterre, de Venise, les Résidens de l'Empereur ont 
faict tout leur possible pour le deslivrer à cause des grandes recom- 
mandations qu'ils enavaient. » Périodiquement le P. Thomasannonce, 
en ayant la nouvelle deS. E. « la deslivrance du P. esclave » pour le 
lendemain. Ce lendemain arriva le 2 février 1647 ; la capture datait 
de Juin 1643. 

En retour, M. de La Haye priait les Capucins de se montrer 
ardents patriotes. Il dit au P. Thomas « que nous ne debvions point 
taire les victoires et advantages de la France par toutes les rencontres 
et maisons où nous allons. » Ceci est dit « en suyte d'une gazette 
que le Sr Bail faict courir au désadvantage de la France » avec com- 
mentaires peu flatteurs pour S. E. 

M. l'Ambassadeur, par piété et par devoir assiste aux cérémonies 
solennelles auxquelles d'ailleurs son titre lui assignait la place 
d'honneur. La Semaine Sainte, la fête de Pâques, celle des Morts, la 
procession solennelle de la Fête-Dieu le conduisent généralement à 
Saint-François, église des Conventuels,le vicaire patriarcal y officiant. 
Celui-ci prévient généralement qu'il officiera et si l'ambassadeur ne 
peut s’y rendre il délègue un représentant. A cet office l'Ambassadeur 
reçoit des honneurs spéciaux, baiser de l'Évangile, encensement, etc. 
qui susciteront un jour de terribles orages. Le P. Thomas étant 
nommé pour un temps vice-vicaire patriarcal par Mgr Subiano 
M. de La Haye se rend le 2 Novembre à Saint-Georges où ledit Père 
officiait, « comme il soulait » (1) d'aller à Saint-François. S. E. se 
faisait d’ailleurs un plaisir d'aller dans chaque église pour les fêtes 
patronales, à Saint-François, à Saint-Georges, Saint-Pierre ; le 15 août 
nous le vovons à Sainte-Marie, il célébrait à Saint-Benoïît la fête de 
Saint-Louis. Des jubilés ayant été prêchés, M. de La Have assiste 


(r) Soulait, mot inusité à présent. Du latin solere, avoir coutume. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 253 


à l'ouverture, va successivement dans chaque église après avoir fait sa 
dévotion, c’est-à-dire communié dans sa chapelle particulière. A cer- 
tains jours la « gallerie » servant de chapelle aux Capucins de Péra, 
a ses préférences, par exemple le Vendredi-Saint pour le sermon de la 
Passion ; alors il se contente d'aller visiter « les sépulcres » des églises. 

Très curieuses parfois les réflexions que lui suggèrent les cérémo- 
nies ou sermons auxquels il a assisté. Le mardi de Pâques 1656 il y 
avait office solennel à Saint-Pierre,le P. Président de Sainte-Marie prê- 
chait,le sujet traité était : Saint François. Une allusion au rôle de Scot 
dans la défense de l’Immaculée- Conception (1) excita le vif mécon- 
tentement des Dominicains. Au P. Thomas, S. E. ayant entendu le 
discours « dist qu’il faut laisser passer cela » c’est-à-dire la querelle 
de doctrine mais elle ajoute : « que ledict sermon estait beau à l’hon- 
neur de saint Fransois, mais qu'il estait sans proffit pour l'audience et 
non suyvant l'Évangile du jour ; qu’elle trouve plus à proffiter pour 
les mœurs à la lecture d’un chapitre de Sénèque qu'ès prédications 
qui se font à Galata d'où l’on ne tyre aucune moralité,ny admonition 
à fuyr le vice et à embrasser la vertu. n Quelques jours après, 23 avril, 
à l’occasion de la Saint-Georges, S. E. n'ayant pu venir « estant in- 
commodé de la pierre » le P. Thomas va saluer le malade. La con- 
versation revient sur le sermon du mardi de Pâques ; les Dominicains 
prétendent que le prédicateur est « excommunié » ayant « taxé » la 
doctrine touchant la Conception de la Vierge, M. de La Haye déclare 
partager cet avis, puis « il improuve la prédication susdite et le livre 
des Conformités de saint Fransois qu'il dist servir de raillerie aux 
hérétiques parce qu'il faict saint Fransois semblable et plus que 
Jésus-Christ. » 


* 
Ca 


La bienveillance de M. l'Ambassadeur et sa protection s’étendait à 
tous les religieux. Nous l’avons vu maintenir à Saint-Benoit les Pères 
Jésuites violemment persécutés. En 1646 il se fait rendre gratis trois 
Dominicains et deux Théatins amenés au bagne « la chaïne au col. » 
Un Vénitien cherché par les Turcs se cache à Galata, les églises 
sont « bullés » par la police ; l'ambassadeur les fait rouvrir après 
peu de jours. A raison de ce bienfait important rendu aux chrétiens 


(:) Voici le texte cause du litige : 

« Scoto scudo contra le saiette di quelli che vogliono macchiare la B. Vergine 
del peccato originale. 

Scot bouclier opposé aux flèches de ceux qui veulent souiller la B. Vierge du 
péché originel. 


254 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


en 1851, S. E. reçut un bref « sub sigillo Piscatoris que le Pape 
escrivit le 18 mars 1653 l'advisant qu’il avait faict son frère le P. de 
La Haye archevesque de Nicée et ce en recognaissance des services 
qu'elle avaist rendu à Constantinople aux églises latines les faysant 
desbuller. » Les Dominicains voient cesser une grosse avanie qui 
leur était faite sous le prétexte, faux d'ailleurs, qu'ils recélaient en leur 
couvent les enfants d’une femme devenue mahométane par dépit 
(1654). Aussi, certains de son appui, les Supérieurs des communautés 
recouraient à lui pour « morigéner d'importance » et garder même 
quelque temps en son palais des sujets dont la conduite leur donnait 
quelques soucis et ce pour le bon renom de leur Ordre respectif. 


# 
+ 


Fort étroitement lié avec le P. Thomas, M. de La Haye ne sacri- 
fiait pourtant pas pour lui ce qu’il croyait être un droit. Nous avons 
insinué comment les idées gallicanes avaient pénétré partout. Cons- 
cient de sa dignité de représentant du « Roy très chrestien et de pro- 
tecteur de la religion, M. l'Ambassadeur exigeait des prévenances 
parfois exagérées. L'évêque de « Saint-Orin » (Santorin) ayant passé 
à Constantinople sans venir à l'Ambassade, S.E. s’en indigne grande- 
ment. Rome ayant jugé à propos de joindre les fonctions de vicaire 
patriarcal de Constantinople à celle de suffragant et d'archevêque de 
Smyrne, en la personne de Mgr Hvacinthe Subiano, dominicain, et 
cela sans en avoir avisé au préalable l'Ambassadeur, celui-ci le sup- 
porte avec peine et accueille favorablement Îles récriminations du 
P. Severoli, mineur Conventuel et Provincial d'Orient, blessé de voir 
son Ordre frustré d’un titre regardé comme une sorte de droit, à rai- 
son d'une coutume très ancienne. Devant retourner à Smyrne, 
Mgr Subiano donna au P. Thomas une patente de vice-vicaire patri- 
arcal et la remit aussi à S. E. L’ambassadeur dit qu'il réfléchira puis 
fit loyalement avertir l’Archevêque et le P. Thomas qu'il prendra 
contre eux le parti du P. Séveroli si celui-ci implorait sa protection, 
se plaignant très haut du manque de déférence de Rome. Les « Pé- 
raux » entrèrent aussi dans ces vues tout en agréant volontiers le 
P. Thomas. 

A la suite d'une correspondance avec la S. Congr. de la Propa- 
gande, l'Ambassadeur s'adoucit mais il ne permit la publication de la 
patente du P. Thomas qu’après le départ pour Venise du P. Severoli 
(1653). [l aurait aussi désiré un autre ordre dans la désignation des 
églises pour les cérémonies du Jubilé ; le P. Thomas soutint respec- 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 255 


tueusement sa propre manière de voir. Ce sont là ombres passagères 
qu’il fallait tracer pour l'exactitude du tableau. 

Il a été question plus haut de Mgr Subiano ; ce prélat avait mécon- 
tenté gravement l'Ambassadeur, et cette irritation même avait amené 
le conflit précité. Des lettres avaient été saisies, des conversations 
rapportées dans lesquelles l’Archevèque traitait désobligeamment les 
autorités civiles. Le P. Thomas avait charitablement averti le prélat ; 
celui-ci n'avait pas nié mais avait été fortement ému. Du Sr Cappelo, 
Ambassadeur de Venise, il avait dit: « è corto di cervello » (1), du 
Sr Ballarin, autre agent de Venise : « il est plus timide qu’un lièvre ». 
M. de La Haye était : « gallina buona solo per usure, e per assassi- 
nar et mangiare li mercanti (2) ». Non moins rude pour ses collègues 
dans l’épiscopat, il écrivait en Espagne : « che gli altri Vescovi de 
l’Archipelago per codardia erano ricorsi in Francia, ma egli stava 
saldo e firmo per il suo re catolico. » (3) L'Ambassadeur avait pu 
quoique avec peine accepter que Mgr Subiano refusât de s’asseoir à sa 
table quoique « bien chrestienne » il ne crut pas devoir tolérer ces 
manques de déférence pour sa dignité et cette animosité contre la 
France. L’Archevêque parlait souvent de partir, il ne se décidait pas, 
malgré les sages avis du P. Thomas, malgré aussi les réclamations 
des marchands qui déclaraient son éloignement nécessaire à leur 
sécurité. « Le 18 May 1653, S. E. envoya La Ramée, son chevalier 
et Philippe le drogman avec quelques aultres de ses domestiques et 
trois janissaires à Sainte-Marie où ils appelèrent le Suffragant Subiano 
qui y mangeait avec dix religieux de Saint-François, de Saint-Pierre 
et de Sainte-Marie et l’amenèrent le soir au palais de France, selon le 
commandement de S. E.et il fust embarqué le 31 May vers les 
9 heures du soir sur la barque du patron Bousquet pour Ancône. Les 
PP. Jacques de Paris et J. François d'Auxerre l’ont accompagné jus- 
qu'au caïque. I] a déclaré de nouveau en leur présence et d'environ 
quinze personnes qui l’accompagnaient qu'il avait travaillé 7 ans pour 
faire un Capucin vicaire patriarcal, qu’il l'avait faict et le maintien- 
drait. Il avait pryé le P. Jacques d'aller dire à M. l'Ambassadeur 
qu'il désirait lui demander pardon avant de partir. S. E. lui envoya 


(1) « Courtde cervelle » ; toqué. 

(2) Gallina, allusion au coq gaulois. « Poule bonne seulement à l’usure,à l'assas- 
sinat, à l'exploitation des marchands.» Mangiare manger est le mot qui revient à 
chaque instant pour indiquer les procédés des Turcs ou autres toujours prêts à 
extorquer quelque pourboire. 

(3) « Les autres évêques de l'Archipel avaient eu par couardise, recours à la 
France ; mais lui restait attaché ferme et inébranlable à son roi catholique » (le roi 
d'Espagne). 


256 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


M. L'Empereur qui luy monstrant la lettre qu'il avait escript de satis- 
faction à S. E. luy demanda s'il la recognaissait : avoüant qu'il la 
recognaissait il luy repartit : Vous cognaissez donc que ce que vous 
avez escript contre S. E. est faulx. Je ne scay pas respondit-il ce que 
J'ay escript et seullement que ce que j'ay escript je ne le dis pas de 
moy mais du commun bruict. M. L'Empereur repartit : S. E. vous 
pardonne, quand à ce qui regarde l’âme, mais elle demande à Rome 
que vous soyez chastié des chastiments que les sacrés canons ordon- 
nent. » 

Le P. Urbain ajoute que le Suffragant fut appelé à Rome, qu'il 
demeura quelque temps à Sainte-Sabine « avec 12 escus par mois de 
S. Sainteté pour s'entretenir, » puis, qu'il dut se retirer à Faënza son 
pays, après une rude réprimande que luy avait faict le Cardinal Pam- 
filio. » 

Anticipons un peu sur les événements. 

Depuis longtemps nommé et impatiemment attendu, le nouveau 
Vicaire patriarcal arriva seulement en octobre 1656. I] s'appelait 
Mgr Bonaventure Tioli, était Mineur Conventuel et Archevèque de 
Mire. Son premier soin avait été d’aller saluer S. E. Celle-ci aussitôt 
après l'installation officielle envoya « La Ramée inviter ledict Arche- 
vesque à disner. » 1] s'en excusa, alors S. E. dépêcha son secrétaire 
« M. de Meaux luy dire que si c'estait qu’il eust faict vœu de ne point 
disner dehors, elle ne voulait pas le luy faire rompre, mais qu’à moins 
que cela, elle l’asseurait que sa table estait religieuse, où rien ne se 
faisait ny disait qui peut retenir un religieux d'y venir. 11 s’est excusé 
qu'il avait quelque incommodité mais qu’une autre fois il y vien- 
drait. » M. de La Haye montrait ainsi son désir de marcher bien 
d'accord avec le Vicaire patriarcal. Hospitalier il n’aimait pas qu'on 
refusât ses avances et, disons-le en passant, il avait vu encore avec 
peine le P. Martin de Thiers, custode, ne pas accepter un repas à l’Am- 
bassade, lors de sa visite canonique. Il y avait eu d’ailleurs compen- 
sation et S. E. avait traité le Père très délicatement. 


* 

# + 
L'autorité un peu excessive que prétendait exercer l'Ambassadeur 
était encouragée par les Supérieurs des divers Ordres religieux. Si les 
Jésuites savaient toujours régler discrètement leurs affaires, Conven- 
tuels, Récollets (ou Soccolants) et Dominicains n’en usaient pas de 
même. Plus d’une foisils firent appel au bras séculier pour faire 
exécuter des sentences coercitives. Souvent aussi, des questions de 
préséance, des affaires de juridictions, des plaintes pour usurpations 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 257 


de pouvoir étaient soumises à son appréciation. Le départ de Mgr Su- 
biano compliqua sur ce point les difficultés, les Conventuels voyant 
avec peine le vice-vicariat confié à d'autres mains que les leurs et 
refusant de reconnaître l'autorité du P. Thomas ; et cela alors que 
les Jésuites étaient venus le « congratuler »,les Dominicains accep- 
tant sans peine une autorité peu encombrante, et les Pères de Sainte- 
Marie l'ayant même recommandé à Rome. Les processions, les en- 
terrements suscitaient donc des discussions pénibles ; le P. Thomas 
restait à l'écart. Une discussion loyale eût sans doute arrangé bien 
des choses ; on se contentait de rapporter à M. de La Haye de perpé- 
tuels on-dit. Après plusieurs incidents, S. E. se fàcha, se plaignant 
du scandale qui rejaillissait sur la religion ; elle exigea d’abord un 
accommodement entre Conventuels et Dominicains, menaçant au 
cas contraire de faire partir l’un des deux Supérieurs ou même les 
deux. Le secrétaire, M. de Meaux, assistait à cet ultimatum. Il fut 
convenu que le P. Thomas serait invité à être arbitre mais qu'il s'en 
excuserait ayant des intérêts dans la question : ainsi fut fait. Écou- 
tons la suite : « S. E. m'as dist qu’elle fist venir hyer au Kindy (1) les 
Pères Supérieurs de Saint-Pierre et le Provincial de Saint-François qui 
exhortés par elle dans sa chambre à la réconciliation se réconcilièrent 
et embrassèrent en sa présence, promettant d'oublyer le passé. Que 
le P. Martin (Supérieur des Jésuites) qu'elle avait aussy appellé 
estant arrivé en suyte, elle luy avait dist lad. réconciliation et à 
tous trois qu'ils allassent à la chancellerye pour accommoder leurs 
différends. Ledict P. Martin supplya S. E. de l'excuser puisqu'elle 
avait receu mes excuses. Elle luy respondit que j'avais eü quelques 
raisons valables mais que luy n’en avait point et que ce n'’estait point 
pour déterminer mais seullement pour escouter les propositions. Ils 
furent donc trois heures, dist-elle en chancellerye. » Le P. Martin 
alla le lendemain matin faire son rapport à S. 12. et constater qu'on 
n'avait pu conclure rien de définitif. (12-13 juin 1656). 

Prison assez douce pour les récalcitrants, le Palais de France ser- 
vait à l’occasion de refuge à des chrétiens et même à de hauts per- 
sonnages menacés par les Turcs. Le patriarche Joannichius déposé de 
son siège trouva asile près de M. de La Haye pendant environ 10 
mois (1050). Le 26 mai 1651 « arriva le boujourdyt (2) pour retour- 
ner en son throsne, son compétiteur Parthenius ayant esté mis en 
prison. » Le patriarche déchu ayant esté mis en un sac et jetté à la 


(1) Kindy ou plutôt Kinty, heure de la prère turque annoncée par le muezzin du 
haut des mosquées, entre midi et le soir, environ vers 5 heures. 
(2) Commandement ou décret du Sultan donnant l'investiture à un dignitaire. 


E. F. — XXIX. — 17 


258 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


mer, le susdit Patriarche (Joannichius) fut pris prisonnier et conduit 
chez l’Assa Bachi (1) accusé d'avoir faict mourir sans ordre du Vizir, 
le susdit Parthenius, » Le lendemain « Joannichius fust desclaré 
innocent du faict, a esté saluer le Vizir qui lui a donné une veste et l’a 
renvoyé à son throsne » (1651). 

En ce peu de lignes apparaît la désinvolture avec laquelle les Turcs 
traitaient les chrétiens et leurs chefs spirituels. On voit aussi la haute 
portée du protectorat, la protection de l'Ambassade n'ayant pas été 
étrangère à la réhabilitation. Le patriarche restait grandement recon- 
naissant à S. E. Voici le protocole d’une de ses visites au palais de 
France, 31 décembre 1653 : « Le patriarche Joannichius vint le 
matin visiter M. l'Ambassadeur, accompagné des Métropolites, Eves- 
ques et aultres du Pariarchat. M. l’Ambassadeur l’alla recevoir au 
vestibule, luy donna la main droicte et l'a reconduit en sortant jus- 
qu'à la porte du logis et le traitta comme il faict à un ambassadeur 
parce qu'il estait patriarche de Constantinople auquel les Ordonnan- 
ces Impérialles veullent que le second honneur luy soit rendu après le 
Pape. S. E. déclara audict Joannichius qu’il ne receuvait pas ainsy 
le Patriarche de Hiérusalem. » 


* 
» * 


Jadis le P. Archange avait encouragé le Patriarche Cyrille de Bère; 
se portant garant de ses bonnes dispositions, il avait obtenu de Rome 
des pouvoirs en vue de sa réconciliation possible. Le Roi lui-même 
s'était intéressé à cette cause écrivant au Très Saint et Vénérable 
Patriarche. L'affaire ne semble pas avoir réussi ; le prélat mourut 
exilé en Barbarie (1630-1640). Seize ans plus tard, un autre Patriar- 
che, nommé encore Parthenius, montrait des dispositions favorables 
à l'union. Le 31 octobre 1656 « il visita au matin S. E. à laquelle il 
avait faict demander audience le jour précédent par le P. Jacques 
avec prière que ladicte audience fust secrète et n'eust autre interprète 
que ledict P. Jacques. Elle a donc esté ainsy,sinon que ledict Patriar- 
che désira qu'on fist aussy entrer le Sr Constantino, gendre de 
La Grille, disant que le susdit estait le confident de ses secrets. En 
présence duquel, led. Patriarche prya S. E. d'escrire au Pape qu'il 
désirait l’union et la correspondance et amitié avec Luy qu'avait le 
Patriarche Cyrille de Bérée autrement sx Beÿotxs et d'escrire au Roy 
qu'il le tenait pour son Roy et désirait sa protection ; demandant à 


(1) Assa-bâton, bachi, chef, probablement le chef de ceux qui appliquaient la bas- 
tonnade, supplice très ordinaire en Turquie. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 259 


S. E. si elle serait contente qu'il se réfugiast chez elle, en cas de be- 
soing, ce qu'elle lui a accordé. Il fist des prières et souhaits pour 
S. M. très-chrestienne, que Dieu fist prospérer ses armes en luy don- 
nant le moyen de venir deslivrer ce pays et son Église. S. E. lui a 
faict les mêmes honneurs qu'elle faict aux Ambassadeurs elle l’a re- 
conduict jusqu’à la porte qui est proche de la nostre. Elle a faict une 
belle colation à toute la suyte du Patriarche lequel ne pouvant pas 
venir du Patriarchat avec tant de train estait primitivement venu 
avec peu chez led. Sr Constantino où son monde s'estait amassé 
avec lequel il vinst ensuite chez S. E. » Le lendemain M. L’Empe- 
reur rendait la visite avec 2 janissaires et 2 ou 3 secrétaires. Hélas il y 
eut un triste Samedi-Saint. Ainsi l’atteste cette note mélancolique du 
31 mars 1657 : « Le Patriarche grec Parthenius disciple du P. Jac- 
ques a été pendu publiquement ès lieu où l’on fait les ars (1) à Cons- 
tantinople vers le Kindy, accusé d’escrire au Moscovite et aux Princes 
de Moldavie et Valachie pour les unir contre cet Empire. Il avait 
envoyé ce matin des couliki (2) et œufs rouges à S. E. et un compli- 
ment ensuyte par des Métropolites avant qu'il fust arresté. » 

Même bonne volonté de M. l'Ambassadeur, en vue de l’union pour 
un « S. Ligarodi sciotte et alumnus du collège de Rome bien inten- 
tionné pour la foy catholique, apostolique et romaine homme scavant 
et à qui M. de La Haye voulait donner cent piastres si on le consa- 
crait Evesque. » (1643) Une courageuse profession de foi dont il sera 
parlé dans un autre chapitre, empêcha, semble-t-il, l’aflaire d'aboutir. 


(A suivre). 


(1) Ars, endroit de la potence et du bûcher. On avait ainsi allumé du feu sous le 
corps de S. Joseph de Léonisse suspendu à la potence. 

(2) Couliki, nom grec des gâteaux de Pâques. L'usage s’est conservé : on donne 
aussi d’autres gâteaux nommés fcheureko en turc. 


UNE RÉPARATION 


LE CHANOINE JEAN -JOSEPH LOISEAUX 
DU DIOCÈSE DE TOURNAI 


LE TRÈS RÉVÉREND PÈRE PIAT DE MONS 
FRÈRE-MINEUR-CAPUCIN 


(Suite) (1) 


Nous n'avons pu séparer la disparition des Mélanges T'héo- 
logiques, en 1853, de l'apparition, trois années plus tard, de la 
Revue T'héologique (2). Nous avons rapporté le concours bien- 


(:) Voir Et. Fr., Tom. XXVII, p. 441 ; Tom. XXVIII, p. 14et202. Au moment 
où nous préparions notre dernier article pour le numéro d'octobre 1912, nous avons 
reçu de nouveaux documents se rapportant au sujet qui nous occupe. C'est le motif 
de notre retard : Avant de pouvoir achever notre étude, nous avons dù les examiner 
et les classer. Nous y avons rencontré des détails, qui intéresseraient certes le lec- 
teur. Nous ne reviendrons pas toutefois sur les points déjà traités. Tout au plus 
insèérerons-nous, si nous en avons l’occasion, l’une ou l’autre note et donnerons- 
nous quelques additions à la fin. 

(2) Revue THÉOLOGIQUE ou examen approfondi des questions les plus intéres- 
santes de THÉOLOGIE MORALE, DROIT CANON, LiTURGIE, faisant suite aux MÉLANGES 
THÉOLOGIQUES imprimés à Liége ; RecueiL très utile aux conférences ecclésiasti- 
ques, rédigé par une Société de Prêtres belges et français. 1° Série, Paris. chez J. 
Leroux et Jouby, Libraires, 7, rue des Grands-Augustins. Belgique, à Liége, chez 
J.-G. Lardinois, Imprimeur-Libraire, 1856. — Les deux premières années 1856 et 
1857, eurent chacune quatre livraisons, formant un volume d'environ 700 pages. 
Les cahiers paraissaient en février, mai, août et novembre. Imprimée chez Beau, à 
Saint-Germain-en-Laye, toute la premiére Série reçut l’Imprimatur de l'Ordinaire 
de Versailles. D’après une lettre de M. Jouby (14 août 1850), M. l'abbé Gauthier 
était l'examinateur de la Revue au nom de Mgr de Versailles. Donnons un extrait de 
la même lettre, qui nous le fera connaître : « Je ne sais si je vous ai dit au complet, 
ce qu'est M. l’abbé Gauthier. Le voici. Il est, comme position évidente, membre de 
la Congrégation du Séminaire du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie ; maisil a 
une influence, dont personne ne se douterait, par sa position. C'est l’alter ego du 


UNE RÉPARATION 261 


veillant prêté par Mgr Baillès, évêque de Luçon, les pourparlers 
avec Rome f1et la publication de la première livraison en 1856. 
La Bibliographie Catholique en fit aussitôt l'éloge. 

A lire le titre du premier volume de la Revue Théologique, 
elle était rédigée par une société de prêtres belges et français. 
Nous croyons toutefois qu’au cours de la première année, elle 
n'eût d’autres rédacteurs que MM. Loiseaux et Falise (2). Ilya 
en effet bien peu de choses, dans la première série, qu’on ne 
doive attribuer aux deux anciens rédacteurs des Mélanges (3). 
M. Falise prit les arrangements avec MM. Leroux et Jouby de 
Paris, et avec M. Lardinois de Liége; il lança le Prospectus (4); 
devant les éditeurs, il fut directeur de la Revue, et M. Loiseaux 


Cardinal. A la nonciature de Paris, les portes s'ouvrent toutes grandes pour lui. Je 
viens d'en avoir la preuve, en m'y présentant de sa part pour avoir le texte du Bref 
aux Évêques d'Autriche (voir Rev. Théol., Ie Série, 1856, p. 583-600)... À Rome, il 
a également une très grande influence. Le directeur des Analecta est son correspon- 
dant ; M. l’abbé Bouix lui-même, que vous voulez attaquer, estson pensionnaire 
au Séminaire du Saint-Esprit... M. Bouix est son intime : il n’y a pas moyen de le 
prendre à parti et conserver nos relations avec M. Gauthier comme examinateur de 
Mgr de Versailles ; avec lui nous avons tout, l’?mprimatur d'une part, le Cardinal 
de l’autre. » 

(1) Voici ce que disait à ce sujet la Nouv. Rev. T'héol. dans la première livraison 
de l’année 1874, Tom. VI, p. 90 : « Après la mort de Mgr Van Bommel, Évêque de 
Liége, de précieuse mémoire, la publication des Mélanges Théologiques dut être 
suspendue, par refus d'approbation. La difficulté fut portée à Rome, et malgré tout 
le soin avec lequel on dissimula la réponse qui était intervenue, Mgr Baillès parvint 
à savoir du P. Modena, que cette Revue était vue de très-bon «eil, et qu'a Rome, on 
serait heureux d'apprendre qu'elle füt continuée. Dés lors, la rédaction put trouver 
en France un éditeur, et ce qui présentait bien plus de difficultés, un évêque assez 
romain pour donner l'Imprimatur. Si donc les Mélanges purent reparaitre sous le 
nom de Revue, et répondre au désir de pres de deux mille abonnés, c'est en grande 
partie, à feu Mgr Baillés qu'on le doit. » Voir plus haut, Ét. Fr., Tom. XXVIII, 
p. 218-220 ; Rev. Théol., I° Série, 1856, p. 1 et 2. 

(2) Il est à noter que le feuillet du titre n'a été imprimé etenvoyé aux abonnés 
qu'à la fin de l’année. Nous verrons qu'au cours de la 2e année, les rédacteurs de la 
Rev. Théol. avaient acquis quelques collaborateurs. 

(3) Unelettre de Mgr Bailles (18 avril 1856) nous laisse entendre que Sa Grandeur 
s'occupait à cette époque d'un travail sur les visites pastorales. Sollicité de le publier 
dans la Rev. Taéol., l’ancien évêque de Luçon répondit : « Vous êtes trop bon de 
m'offrir à y consacrer quelques feuillets de votre Revue. » 

(4) M. l'abbé Kempeneers, dans une lettre à M. Loiseaux (14 janvier 1856;, écrit 
en parlant de M. Falise : « Il m'a fait connaitre l'historique des Afélanges, et m'a 
appris que S. E. de Reims regrette son Prospectus et veut un nouveau titre et une 
autre rédaction sans permettre d'annoncer le Recueil comme continuation des 
Mélanges. Cela, à mes yeux, serait une nouvelle entreprise et une complète défaite 
des anciens rédacteurs des Mélanges. Cette nouvelle entreprise, inaugurée en 
France. ne me toucherait ni de près ni de loin. » Ces dernières paroles nous per- 
mettent de supposér que M. le D' Kempeneers avait également été sollicité de prèter 
son concours. Nous y reviendrons bientôt. 


262 UNE RÉPARATION 


collaborateur. En vérité, ce dernier en était le rédacteur prin- 
cipal ; et si la Revue Théologique eut dès le début des difficul- 
tés à Paris, si on lui fit opposition en France, ce fut principale- 
ment à raison des articles canoniques de M. l’abbé Loiseaux. 
Dès le premier numéro, dès le premier article, M. Loiseaux 
reprend la question des concours et continue la publication, déjà 
commencée dans le dernier cahier des Mélanges de toutes les 
dispositions canoniques de l'Église en matière de concours aux 
paroisses (1). J1 fut bientôt amené à parler de l’inamovibilité, 
question passionnante de l'époque. Les Analecta Juris Pon- 
lificu (2) avaient publié un Traité des Curés amovibles (3). 
L'auteur, que nous croyons être M. l'abbé Chaillot (4), y soute- 
nait avec MM. Houwen de Louvain et Bouix de Paris, que la 
position amovible des desservants était conforme au droit. M. 
Loiseaux avait au contraire établi, dans les Mélanges et dans le 
premier cahier de la Reyue Théologique, que les succursalistes 
étaient de droit inamovibles, que les Évêques ne pouvaient les 
changer ad nutum qu’en vertu de la dispense accordée par le 
Saint-Siège. Allait-il maintenant se taire, et laisser le dernier 
mot aux Analecta de Rome ? Il faudrait n'avoir connu, ni le 
caractère du R. P. Piat, ni son inviolable attachement aux prin- 
cipes et aux règles du Droit ecclésiastique, pour croire qu'il ait 
pu hésiter un seul instant sur le parti à prendre. Tout en regret- 
tant de devoir se séparer des Analecta, dont il appréciait les 


(1) Rev. Théol., I° Série, 1856, p. 3-53. A la page 11 et suivantes, il donne in 
extenso la réponse du Saint-Siège (21 février 1854) à Mgr de Montpellier, et en 
explique le sens. Voir aussi Ét. Fr., Tom. XXVIII, p. 217. 

(2) ANALECTA Juris Ponriricu. Dissertations sur divers sujets de droit canonique, 
liturgie et théologie. Ce périodique français, paraissant dans la Ville éternelle, fai- 
sait suite à la Correspondance de Rome. (Cf. Rey. Théol., 1° Série, 1856, p. 
327 et 571). La Bibliothèque Royale de Bruxelles possède une collection des 
Analecta en 29 volumes, de 1855 à 1891. Les trois premières séries semblent avoir 
été réimprimées : à la fin, elles portent le Reimprimatur du Maitre du Palais 
Apostolique. À partir de la neuvième série, les volumes portent en tête, outre la 
marque de l'éditeur romain, place de Venise, 115, celle de Victor Palmé de Paris, 
et à la dernière page : Bruxelles, imp. de F. Vromant, rue la Chapélle, 3. Iln'y a, 
dans les dix volumes que nous avons parcourus, aucune indication au sujet de la 
direction, et les dissertations ne sont pas signées. Nous savons toutefois, par ailleurs, 
que le Directeur et Rédacteur des Analecta était M. l'abbé Chaillot. (Voir La 
divine Maîtresse des Vertus, la Vierge Marie, par le R. P. Séraphin, Passioniste, 
Autographie de Vasseur frères, à Tournai, 1865, p. 3; et ibid. Appendice, p. IL et V). 

(3) Analecta, 10° livraison, col. 1609-65, 2° vol. ou 2° partie du Tom. I. 

(4) Nous le pensons à raison des lettres que nous allons reproduire ci-après 
p. 263, not. (4). Voir aussi ci-dessus, not. (2). 


UNE RÉPARATION 263 


principes et le but, 1l réfuta leur système en montrant le vide de 
leurs arguments (1). 

Dès que le censeur de Versaillles, M. l'abbé Gauthier, eût 
pris connaissance de ce premier article, il courut protester chez 
l'éditeur Jouby. Ce fut bien autre chose encore lorsqu'il lut, 
dans un deuxième article, la continuation des Notes canoniques 
sur le concordat autrichien (2) : M. Loiseaux y traitait de la 
nomination, au concours, du chanoine théologal et du péni- 
tencier (3). A cette lecture, M. Gauthier n'y tint plus. Il fit 
savoir aussitôt par M. Jouby, aux rédacteurs, et il écrivit lui- 
même deux jours après, que ces articles ne pouvaient paraître (4) : 


(1) Rev. Théol., I* Série, 1856, p. 325-357. Suite, p. 509-527. 

(2) Zbid., p. 189-222. 

(3) Jbid., p. 357-376. Suite et fin de ces Notes canoniques, 11° Série, 1857, 
p. 630-633. 

(4) Voici ce qu'écrivait M. Jouby, le 14 août 1856 : « Il ne s'agit pas seulement 
maintenant du premier article, mais du deuxième également, qui traite de la nomi- 
pation au concours du chanoine théologal et du pénitencier. Vous êtes tout à fait en 
désaccord avec M. Gauthier sur l’opportunité de traiter ces questions brülantes. Si 
jamais elles doivent l'être, le moment n'est pas venu : nous aurions contre nous fout 
l'Épiscopat Français sans exception, et Rome même nous désapprouverait. Je n'ai 
pas de raisons théologiques à vous donner, mais... M. l'abbé Gauthier vous 
écrira. » Après avoir dit, de MM. Gauthier, Chaillot et Bouix, ce que nous avons 
transcrit ci-dessus, not. (2), p. 260, M. Jouby continue : « Il ne faut pas trop se faire 
illusion : votre article sur les concours, du premier cahier, n’était pas du tout dans 
les idées de ces Messieurs. Nous avons vu le moment où nous n’obtiendrions pas 
l'imprimatur. Mgr de Versailles est venu exprès à Paris en conférer avec le Cardinal. 
La conférence a été longue et il m'a été dit: passe pour cette fois, mais il ne nous 
serait pas possible de laisser passer dans l'avenir des articles sur des matières aussi 
brülantes. Au milieu de tout ce conflit d'opinions, que faire ? De l’abnégation, nous 
l'espérons de votre part. Vous ne pouvez pas vouloir paraître sans imprimatur ; 
ce serait tout perdre, et on trouverait bien vite le moyen de nous faire désapprouver 
à Rome. » 

De son côté, M. Gauthier écrivait le 16 août 1856: « Je viens de lire votre ar- 
ticle sur les succursalistes. Il est impossible que cet article paraisse tel qu'il est. Il 
va soulever des tempêtes sur tous les points. M. Chaillot protestera, et sa protesta- 
tion fera une profonde sensation. Tous les Évêques de France, sans en excepter un 
seul, seront contre ; et si M. Chaillot intervient, et cela est certain, sa critique nous 
tuera certainement... Qu'on émette un vœu pour étendre etaugmenter le nombre 
des curés inamovibles, et qu’on dise que cela serait utile à l’Église, cela pourrait être 
admis par quatre ou cinq Prélats français ; mais tous les autres seront extrêmement 
contrariés. J'avoue que les raisons de M. Chaillot sont très faibles, et même insi- 
gnifiantes et fausses, mais on ne peut pas les attaquer de cette maniére..… Votre 
article sur le concours pour le théologal et le pénitencier ne peut pas être admis. Je 
viens d'assister au Concile de Périgueux, où j'ai vu quinze Évêques : cette province 
passe pour être tres Romaine. Tous les Prélats, que j'ai vus, ne veulent pas admettre 
de concours pour les cures. et vous croyez qu'on va l'admettre pour le théologal !.. 
Cela est impossible !... Je désire ardemiment le succès de la Revue. J'étais bien 
résolu de la patronner au Concile de Périgueux. et je n'ai rien fait à cause de vos 


264 UNE RÉPARATION 


Le sujet était trop brûlant! Il était inopportun ! Les rédac- 
teurs n'avaient pas une doctrine catholique ! Nous nous deman- 
dons pourquoi ? Si la question de l’amovibilité, conforme au 
droit, était opportune pour les Analecta, pourquoi celle de 
l’inamovibilité de droit ne l’était-elle pas pour la Revue T'héo- 
logique ? Nous croyons plutôt, à juger d’après les deux lettres 
que nous venons de reproduire, que le sujet ne cadrait pas assez 
avec les opinions de MM. Gauthier, Chaillot et Bouix, partagées 
d’ailleurs par la plupart des Évêques français. Nous pensons au 
surplus, que les idées gallicanes et jansénistes hantaient d’autres 
esprits que celui des rédacteurs de la Revue Theologique, et il 
nous semble qu'il était pour le moins choquant de leur demander 
une profession de foi, une déclaration expresse d’attachement 
aux doctrines de |” Église. 

Nous ne connaissons pas la réponse faite aux lettres de MM. 
Jouby et Gauthier ; mais nous constatons, dans la Reyue, que 
les deux articles en question parurent dans le numéro auquel ils 
étaient destinés (1) et avec l'approbation de l’Ordinaire de Ver- 
sailles. Toutefois, les difficultés ne cessèrent pas, les oppositions 
continuèrent, et dès l’année suivante les rédacteurs de la Revue 
Théologique se virent obligés de chercher un autre Ordinaire 
pour obtenir l'approbation. Ils le trouvèrent en Mgr l Évèque 


deux malheureuses theses : il est impossible qu’elles passent... J'ai soutenu envers 
et contre tous que vous adoptiez les doctrines romaines, que vous n'étiez pas comme 
ils disent des Gallicans modérés... mais je vous avoue que je commence à en 
douter. Votre thèse en faveur des succursalistes, c'est du Parochisme, inventé par 
le Jansénisme, et dont nos Prélats Gallicans de France ont horreur. Il est impos- 
sible de publier une pareille thèse, sans soulever contre nous, et les Romains, et les 
Gallicans.. Je vous prie et je vous supplie instamment de me dire si vous voulez 
adopter purement et simplement les doctrines romaines. J'ai absolument besoin de 
renseignements aujourd'hui... Si vous marchez avec M. Bouix, je suis à vous de tout 
cœur ; dans le cas contraire, j'écris à Mgr de Versailles que je ne puis patronner 
une œuvre qui va contre les doctrines romaines. La Revue peut avoir un grand 
succès, et faire un bien immense ; mais il faut de toute nécessité qu'elle soit dans 
les bonnes doctrines sous peine de mort. Les articles, dont je demande la suppres- 
sion. sont solides, érudits; mais ils sont dans un mauvais esprit... Le Cardinal 
Gousset m'a promis une lettre, et il tarde à nous l'envoyer ; je n'ose pas le presser 
en ce moment, à cause de vos deux articles... » 

(1) 3e Cahier, août 1856. Nous ne savons si l'émotion, éprouvée par l'éditeur et 
par le censeur, se communiqua aux ateliers ; mais la livraison, approuvée le 15 
août 1856 (voir tbid., p. 507), renferme toute une feuille de 32 pages jetée sens 
dessus dessous. C’est la feuille 25-26, p. 389 à 420. Nous avons rencontré un exem- 
plaire, dans lequel on avait écrit au haut de la p. 389: Cette feuille sera remplacée. 
Dans un autre volume, nous avons en effet trouvé une feuille parfaitement 
en règle. 


UNE RÉPARATION 265 


d'Arras (1), et Sa Grandeur leur donna son Imprimatur pen- 
dant plus de trois ans, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la cinquième 
Série, 1860 (2). Une lettre de Mgr Baillès aux rédacteurs nous 
laisse cependant entendre qu’il y eut encore quelques difficultés 
à Arras en 1857 : L'ancien Evêque de Luçon leur recommande 
surtout la modération. « Nous y viendrons, dit-il, peu à peu, 
Dieu aidant. » (3) Ils y vinrent en effet ; du moins protestè- 
rent-ils de vouloir la garder, en faisant la critique du système 
contradictoire sur les succursalistes, dans les deux ouvrages De 
Parocho et De Regularibus de M. l'abbé Bouix (4). 


*k 
* * 


A la fin de la 2° Série 1857 (5), la Revue annonce que dans la 
suite elle paraîtra tous les deux mois. Elle fait aussi remarquer 
que l'approbation de l’Ordinaire était interprétée en France, 
comme autrefois en Belgique (6), dans un sens positif alors 
qu'elle n’a qu'un sens négatif : une note du Censeur, en tête du 
volume, rappellera désormais que les opinions des rédacteurs 


(1) Le 2° Cahier, mai 1857, est imprimé et approuvé à Arras (Rev. Théol., ibid. 
p. 365). | 

(2) Jbid., V° Série, 1800, Tom. Il, p. 564. 

(3) Cette lettre est datée de Rome, 4 décembre 1857. Nous y lisons : « Le Rme P. 
Modena, Secrétaire de l’Index. (Voir Êt. Fr., Tom. XXVIII, p. 218, et ci-dessus, 
p. 261, not. 1), déclare qu'il n'est pas possible de paraitre sans l'iniprimatur de 
l'Ordinaire. En effet, lorsque vous êtes si dévoué aux doctrines romaines, compren- 
drait-on que vous eussiez pu vous en écarter en chose si importante ! Il vous sera 
possible, ou bien de modifier profondément cet article, ou bien de lui en substituer 
un autre ; et si... vous êtes obligé de supprimer une Revue qui pourrait rendre 
bien des services, vous aurez devant Celui, qui voit le fond des cœurs, tout le 
mérite du bien que vous vous proposiez de faire. Voilà que Mgr de Versailles n’a 
plus donné l’Imprimatur, et il est un peu singulier d'aller le chercher à Arras pour 
ce qui s’imprime dans le diocèse de Versailles... C’est beaucoup 1000 abonnés. Je 
vous souhaite... la disposition à satisfaire Mgr d'Arras, qui a beaucoup de lumières 
et du dévouement pour le Saint-Siège. Le Seigneur bénit toujours cette respec- 
tueuse docilité. D'ailleurs, les points controversés donnent beaucoup de latitude, et 
peuvent fournir matière à bien des dissertations. On ne saurait mettre trop de 
modération dans les discussions sur des points délicats qui tiennent aux doctrines 
romaines. Nous y viendrons peu à peu, Dieu aidant. » 

(4) Rev. Théol., IVe Série, 1859, p. 59-100, 145-176. Voir aussi p. 551 et sui- 
vantes. 

(5) Jbid., TI° Série, 1857, Asis placé après la table des matières. Cette série 
n'avait subi aucun changement dans le titre et avait eu, comme la 1°, quatre cahiers. 
Le 1° fut imprimé à Saint-Gerimain-en-Laye, et porte encore l'approbation de 
Versailles. À partir du 2° Cahier, l'impression est faite chez Lefranc à Arras. Aussi 
les trois cahiers suivants ont-ils l'?mprimatur de ce diocèse. 

(6) Et. Fr., Tom. XXVIII, p. 204 et ibid., not. (6). 


266 UNE RÉPARATION 


ne représentent pas celles de l’Ordinaire, et que l’Zmprimatur 
n'implique pas leur approbation (1). Nous y lisons encore que 
la Reyue avait un correspondant à Rome et qu'elle était parvenue 
à s'attacher quelques collaborateurs. Ceci nous amène à examiner 
la question des correspondants et collaborateurs au cours des 
quatre premières années, de 1856 à 1859. Nous le ferons à la 
faveur des correspondances trouvées dans les cartons des deux 
rédacteurs connus. 

Le correspondant de Rome n’est autre que Mgr Baillès, 
l’ancien évêque de Luçon. Outre la protection, dont il favorisait 
la Revue et ses rédacteurs, en toutes circonstances, son concours 
s’est réduit à des communications faites à la rédaction. Nous 
n'oserions affirmer que le Prélat ait jamais écrit un article dans 
la Revue T'héologique (2). Celle-ci eut encore un correspondant 


(1) La disposition prise par la censure, à la fin de 1857, fut observée pour la 3° 
Série 1858. Mais dès l’année 1859 la note du Censeur ne paraît plus. Les livraisons 
des deux dernières séries parurent tous les deux mois, en février, avril, juin, août, 
octobre et décembre. Elles continuérent à sortir des ateliers Lefranc jusqu'au 5° 
cahier de la 3° Série inclusivement. La 6°, et tous les cahiers de la 4° Série, 1859, 
sont imprimés à Arras, chez Leroy-Beaulieu : ils portent donc tous l'approbation 
de l’Évêque d'Arras. 

(2) Mgr Baillès, qui avait aidé les rédacteurs des Afélanges à sortir de leurs 
difficultés, les félicita dès l’apparition du premier cahier de la Rev. Z'héol. Dans 
une lettre datée de Rome, 18 avril 1856, Sa Grandeur multiplie ses conseils et 
promet son concours, mais elle renonce à publier dans leur recueil un travail sur la 
Visite pastorale dont elle s'occupe. Sans oser l’affirmer, nous ne serions toutefois 
pas étonné que la réponse à la question L'’index est-il obligatoire en France, et 
publiée dans la 2e série, 1857, p. 192 à 219, ne soit de l'ancien évèque de Luçon. Il 
s'occupait en eflet à cette époque, ainsi que nousle lisons dans ses lettres, de la 
prohibition des livres. Consulteur à la Congr. de l’Index, il publia en 1866 un ou- 
vrage pour prendre la défense de ce tribunal ecclésiastique contre les attaques d’un 
ex-ministre de France. (Voir Nouv. Rev. Théol., T. VI, 1874, 1°° éd., p. 90 et 207, 
2° éd., p. 85 et 200). En tous cas, les lettres du prélat établissent que, pendant les 
quatre premières années de la Rev. Théol., il en était le correspondant romain. 

Dans la lettre du 4 décembre 1857, il annonce qu'il a communiqué à deux savants 
théologiens de Rome un article envoyé à l'examen par M. Falise : l'un le trouve 
téméraire, l’autre (un évêque, préfet de l'Académie des nobles) l’approuve. D'après 
les indications de cette lettre et de la suivante (23 avril 1858), il s'agit du 6° et der- 
nier chapitre de l’Essai sur la Théologie morale (11° Série, 1857, p. 588-614). Cette 
étude, si nous ne nous trompons, est de M. l'abbé Loiseaux. On y constate dès le 
début (1° Série, 1856, p. 54}, qu'il s'est mis à contrôler toutes les citations et réfé- 
rences dans le manuel de Gury. Cela lui fera dire plus loin « qu’il ne faut accepter 
qu'avec une grande réserve les citations des SS. Pères dans les questions morales 
controversées. Ce n'est pas sans doute parce que le sentiment des anciens docteurs ne 
jouirait pas d’une trés grande autorité, au contraire, mais parce que souvent on leur 
attribue ce qu'ils n’ont pas pensé. Nous en dirons autant des citations que l'on fait 
des théologiens antérieurs au saint Concile de Trente Il est rare qu'on reproduise 
fidèlement leurs opinions... On comprendra, par les citations peu fidèles qui se font 


UNE RÉPARATION 267 


d'occasion dans Mgr Bourget, évêque de Montréal. Elle avait 
fait la critique du Cérémonial des Évéques, dont le savant prélat 
était l’auteur. Elle inséra, peu de temps après, une longue lettre 
du même évêque tout en maintenant les observations faites sur 
son ouvrage (1). 

Quant à ceux dont nous pourrions présumer qu’ils aient col- 
laboré à la Revue T'héologique de 1856 à 1859, voici d’abord M. 
le D' Kempeneers (2). D’après les lettres que nous avons de lui, 


tous les jours de saint Alphonse, que les anciens ont dû être souvent accusés à tort, 
et qu'on leur a attribué des opinions qui n'étaient pas du tout les leurs.» (11° Série, 
1857, p. 229 et 230). Nous sommes ici en présence de la caractéristique de M. l'abbé 
Loiseaux : contrôle, par amour de la science et de la vérité, de toutes citations ou 
références. Ceux qui voudraient lire toute cette belle étude de théologie morale, la 
trouveront aux endroits suivants : [° Série, 1856, p. 54-82, 225-44, 576-410, 528-48 ; 
II° Série, 1857, p. 43-87, 219-73, 588-614. Le dernier chapitre, auquel nous venons 
de renvoyer, traitait la question du probabilisme. Le savant exposé du rédacteur 
anonyme engagea un ancien professeur de Théologie (voir V* Série, 1860, T. I, p. 
08) à reprendre la question. 11 faut aussi, dès lors, lire ce qui s'y rattache dans la 
IVe Série, 1859, p. 534-51, 598-634, et dans la V* citée plus haut, p. 97-130. 

Dans la lettre du 4 décembre 1857, Mgr de Luçon écrivait qu’il n'avait pu obtenir 
de renseignements sur certains points, traités dans la Rev. T'héol. de cette année, 
au sujet du Chemin de la Croix (p. 127-38, 359-63, 539 et 542 6°), et il annonce qu'il 
ne tardera guère à être fixé. Il s’agit, sans nul doute, de la décision provoquée par 
M. Descamps. vic. gén. de Tournai et reproduite dans le cahier de juin 1858, p. 
283. Dans cette même lettre, il promet d'envoyer les Conférences de Rome, et dans 
la suivante (23 avril 1858) il annonce leur envoi. La Rev. T'héol. les publia, et dit à 
plusieurs reprises qu'elle les devait à l’obligeance d'un vénérable Prélat résidant à 
Rome. Montrant leur importance, elle se sert des termes, que nous lisons dans les 
lettres de Mgr Baillés, etc'est sur son conseil qu'elle en donne la solution (Rev. 
Théol., 111° Série, 1858, p. 490-510 ; 1V® Série, 1859, p. 49-59, 114-31, 275-318). Le 
23 avril 1858, l'ancien évêque de Luçon félicite la Revue d'avoir inséré les Cent 
thèses du droit public(1Il® Série, 1858, p. 31-44). Lui-même les avait envoyées. 
« Nous remercions, lisons-nous tbid., p. 32, pour nouset pour nos lecteurs le véné- 
rable Prélat qui a daigné nous adresser cette marque d'estime à la Rer. Théol., et 
de cet envoi, et de la promesse qu'il a daigné y joindre de nous faire encore d'autres 
communications. » De fait, cette même lettre promet l'envoi des thèses soutenues à 
l'académie de l'archygymnase romain sur l’Écriture sainte (150), la Théologie (300), 
et l'Histoire ecclésiastique (150). 

(1) Rev. Théol., Ile Série, 1857, p. 320-27. 614-3531. Le mème Prélat communiqua 
plus tard à la Revue des doutes soumis à Rome sur la contrebande et le prêt à 
intérêt, avec les réponses qui y furent données. Jbid., IVe Série, 1859, p. 480. 

(2) Nous avons parlé de lui, Ét. Fr., T. XXVIII, p. 17, not. (2. Depuis lors, 
nous avons trouvé, parmi des documents tardivement communiqués, plusieurs 
lettres venant de lui. Nous y voyons que Mgr de Liége, à la fin de 1853 ou au début 
de 1854, avait imposé au Séminaire un nouveau réglement qui, au jugement de M. le 
professeur Kempeneers, était contraire au droit canon. Il y fit d’abord opposition. 
Mis en demeure de l'observer, il s'y soumit. Toutetois, Sa Grandeur le démit du 
professorat. A la suite d'une nouvelle protestation, l'évêque le nomma à une cure 
secondaire. M. Kempeneers la refusa, se retira chez son frère curé à Petit-Hallet, et 
en appela devant le Nonce et jusqu'auprès du Pape. Malade et découragé, sachant 


268 UNE RÉPARATION 


sa collaboration fut sollicitée, et il était disposé à l’accorder ; 
mais des difficultés survenues avec Mgr l'Évêque de Liège, puis 
les désagréments qu'il avait eus avec le même prélat à cause des 
Mélanges, le retinrent (1). Nous croyons qu’en définitive M. 
l’abbé Kempeneers n’a rien écrit dans la Revue (2). 

Le Dr Nillès, dont nous avons déjà parlé en exposant les 
motifs de la disparition des Mclanges (3), a publié dans la Revue 
Théologique, sous le titre Quæstiones selectæ in Jus liturgicum, 
une longue dissertation divisée en deux parties. La première a 
paru dans le cahier d’août 1857 (4), la deuxième dans la livraison 
d'octobre 1858(5).M. l'abbé Bourbon, dont nous aurons à nous 
occuper tout à l’heure, fit une critique sévère (6) des doctrines 
exposées par l’abbé Nillès (7). Celui-ci, ayant reçu communica- 
tion des observations de M. Bourbon, avant même qu'elles ne 
parussent dans le cahier de novembre 1857 (8), écrivait le 20 
décembre suivant à M. Falise qu'il n'aurait pas le temps de s’en 
occuper (9). Dans une autre lettre du Dr Nillès (29 septembre 


d’ailleurs que plusieurs évêques de Belgique étaient prévenus contre lui « à cause 
de son esprit canonique », il se désista de tout. Dans ses lettres, il prend recours 
aux lumières de M. l'abbé Loiseaux et le remercie pour ses bons conseils. 

(1) Après avoir dit à M. Loiseaux, dans la lettre du 14 janvier 1856, ce que nous 
en avons transcrit à la not. (4) de la p. 261, il ajoute : « A tous les projets qu'il m'a 
communiqués, je lui ai répondu : 1° que ce n’était que pour le cas d'une continua- 
tion de l’ancienne rédaction des Mélanges, et 2° d'une continuation de l’ancien 
Recueil, si pas de nom, du moins de fait, en proclamant tout haut l'identité de 
l’entreprise ; enfin 3° que je promettais des services officieux, pas officiels, en tel 
sens que je ne serais jamais qualifié de collaborateur, et que toujours et partout je 
pourrais dénier toute coopération. Car personnellement j'ai souftert tout le désagré- 
ment des Mélanges, ce qui m'oblige à être prudent... Je m'efforcerai à faire quelque 
chose, quand j'aurai appris l’accomplissement des conditions ci-dessus... Un petit 
avis de votre part me le fera connaitre. » 

(2) Elle s'est occupée d'un écrit anonyme de M. Kempeneers, SaMME PoLiTiQUuE 
du Journal historique et littéraire de Liége, dans la III® Série, 1858, p. 325-268. 

(3) Êt. Fr., T. XXVIIL, p. 216 et 217. 

(4) 11° Série, p. 394-464. 

(5) ITIS Série, p. 510-00. 

(6) C’est la Nour. Rev. Théol. (T. X, 1878, Ire éd., p. 240 et 376) qui nousa 
révélé que la réfutation du D" Nillès avait été faite par M. Bourbon. On la trouvera 
dans la Rev. T'héol.. Il° Série, 1857. p. 634-140 ; [T1 Série, 1858. p. 60Q-55; IV* 
Série. 1850, p. 563-733, 581-053. 

(7) Le D' Nillés entra plus tard dans la Compagnie de Jésus, et devint Recteur 
à l'université d'Inspruck. Voir Nouv. Rev. Théol., Il. cc. ; Revue des Sciences 
ecclésiastiques, T. 1, p. 459-574 ; T. 11, p. 102-106. 

(8) Ce cahier ne fut approuvé que le 28 décembre (Rev. Théol., 11° Série, 1857, 
p. 656) et la lettre du Docteur porte la date du 20 décembre. 

(a) « Quant à la Revue, après vous avoir remercié de votre très obliceante offre 
de m'envoyer les observations sur mes articles, je vous dirai que je n'ai pas le temps 
de m'en occuper pour le moment. » 


UNE RÉPARATION ‘ 269 


1858) nous voyons que M. Falise avait manifesté la résolution 
d'abandonner la Reyue (1). S’était-il plaint d’être seul, afin 
d'obtenir une collaboration plus active de la part du D" Nillès, 
linvitant même à répondre aux critiques de M. Bourbon ? 
C’est possible, et nous croyons que l’année précédente il avait 
déjà employé ce moyen auprès de Mgr Baillès. En effet, dans sa 
lettre du 4 décembre 1857, Mgr de Luçon s’excusant de ne pour- 
voir collaborer àla Revue, reconnaissait qu’il était difficiled’y pour- 
voir seul (2). Ce même motif décidera Sa Grandeur, en 1860, à 
procurer à la Revue Théologique un correspondant et collabora- 
teur dans la personne de son secrétaire, M. l'abbé Gallot (3). 
Nous nous demandons comment M. l’abbé Falise pouvait dire 
qu'il était seul, alors qu’il avait à ses côtés M. l’abbé Loiseaux ? 
Tant que la Revue parut en France, la consigne était, croyons- 
nous, comme au temps des Mélanges, de ne pas parler de M. 
Loiseaux. Celui-ci n’était connu que de quelques-uns, à savoir 
de ceux qui, frappés de la valeur et de la solidité des articles 
canoniques paraissant dans la Revue, s’informaient auprès du 
Directeur (leurs lettres en témoignent) quel était leur auteur. 
Toutefois nous avons aussi lieu de supposer que, vers la fin de 
l’année 1858, M. l'abbé Loiseaux faible de santé, était dans 
l'impuissance d'écrire beaucoup. De fait, en parcourant les di- 
vers volumes de la Revue Théologique, nous avons été étonné 
de ne trouver, dans la deuxième moitié de la Série 1858, que peu 
de choses de M. Loiseaux : il n’y a guère là que des articles fai- 
sant suite aux précédents, et qui partant pourraient bien avoir 
été composés avant sa maladie (4). Notre étonnement a cessé, 


(1) « En réponse à votre lettre du 20 août, qui m'a été remise pendant les vacan- 
ces, je ne puis vous dire quel a été le regret que j'ai éprouvé en apprenant la 
fâcheuse nouvelle de la Revue ; et cela d'autant plus que je venais de lui procurer 
pour l’année prochaine des abonnés à l'université d’Inspruck. Le professeur de 
liturgie, le D' Jungmann, était enchanté d'y trouver de belles consultations, et il 
m'assurait que cette manière d'enseigner les rubriques était la plus utile qu’il con- 
naissait, Ne vous serait-il donc pas possible, Monsieur et cher ami, de revenir sur 
la résolution que vous avez prise, et de continuer une Revue si utile et si répandue ? 
Réfléchissez encore, je vous en prie, avant de l'abandonner, et jugez bien s'il ne 
vaudrait pas mieux continuer sa publication. » 

(2) « Je comprends que, malgré la facilité et les talents que le Seigneur vous a 
donnés, il est difficile à la tête d’une paroisse importante (M. Falise était alors 
Curé à Blaugies près de Dour) de pouvoir faire seul tous les frais de la Revue. » 

(3) Lettre de Mgr Baillés, 11 janvier 1800. 

(4) Ceci toutefois n'est guère probable. Nous savons que M. l'abbé Loiseaux, 
comme plus tard le P. Piat, étudiait les questions à traiter dans tous ses moments 
libres, et rédigeait ses articles à mesure qu'ils devaient paraitre. Il en était de même 


270 UNE RÉPARATION 


lorsque nous nous sommes rappelé avoir lu dans une lettre de 
M. Loiseaux à M. Casterman en février 1859 (1), qu'il espérait 
être suffisamment rétabli pour pouvoir se remettre au travail. 
Ou bien encore, M. Falise voulait-il réellement abandonner la 
Revue, se sentant trop seul à cause de la maladie de son ami, 
collaborateur et soutien ? N'était-il pas découragé par les diffi- 
cultés suscitées en ce moment par M. l'abbé Bouix et par ces 
autres Messieurs de Paris (2), cherchant à exclure les rédacteurs 
belges, ou du moins à leur imposer leur direction ? Nous en 
parlerons bientôt. Quoi qu’il en soit, et pour en revenir au Dr 
Nillès, celui-ci semble n'avoir été guère flatté de la réfutation de 
sa thèse par M. l’abbé Bourbon. Nous ne trouvons plus rien de 
lui, ni dans la Revue Theologique, ni même dans la Revue des 
Sciences ecclésiastiques de M. l’abbé Bouix en 1860, c'est-à- 
dire dès la première année de son apparition (3). 

Mgr de Conny (4) adressait, le 19 septembre 1858, une lettre 
à M. Jouby de Paris, dans laquelle nous lisons : « Voici un 
article pour la Revue. La position délicate envers M. Gauthier(5) 
rendait la chose difficile. Voyez donc avec M. Falise si cela 
peut aller. S'il veut ajouter ou modifier, je l’en laisse tout à fait 
libre. » (6) Nos recherches dans la Reyue, pour trouver de quel 
article parle Mgr de Conny, ont été vaines. 


dans la composition de ses ouvrages. Une fois son plan arrêté, il l'annonçait en 
quelques phrases très concises ; et lorsqu'un chapitre, ou même une partie de cha- 
pitre était achevée, il l’envoyait à l'imprimeur. 

(1) Archives de la Maison Casterman, Farde L, 86. 

(2) Chaque fois que M. Jouby parle des abbés de Paris, qui critiquaient la Revue 
et voulaient se charger de la rédaction, il les appelle ces Messieurs, sans les nom- 
mer. De même M. Falise, parlant d'eux dans ses lettres à M. Loiseaux, écrit tou- 
jours ces Messieurs de Paris. 

(3) Ibid., T. I, p. 459-74. Voir aussi T. II. p. 102-106. 

(4) Chanoine et Vicaire Général de Moulins (Rer. Théol., I° série, 1856, p. 157). 
Nous avons de lui de nombreuses lettres, allant de 1855 à 1880. Il était donc en 
relation avec les rédacteurs de la Rerue, dès avant sa publication. C'était un grand 
liturgiste, au mérite duquel Mgr Baillès rendait témoignage, dans une lettre du 
18 Avril 1850, en parlant des offices pontificaux qu'il avait dû célébrer, à Saint-Paul 
hors-les-mürs, en présente du Pape Pie IX. « Mgr de Conny, dit sa Grandeur, est 
un excellent praticien. » La Rev. Théol (ibid, p. 1537-60, 468-74 ; Ve série, 1860, 
T. I, p. 189-g2) et la Nouv. Rev. Théol. (T. VII, 1875, 1% éd., p. 100, 2° éd., p. 94) 
font de Mgr de Conny un éloge qui semble bien mérité. 

(5) Voir p. 260, not. (2). 

(6) Nous avons trouvé, joints à cette lettre, deux articles de l'écriture de Mgr de 
Conny : l’un sur le Cérémonial de Saïnt-Flour, l'autre sur le Cérémonial selon le 
rite romain d'après Joseph Baldeschi et d'après l'abbé Favrel, par le R. P. Leva- 
vasseur, Aucun des deux articles n'a été reproduit par la Rev. Théol. 


UNE RÉPARATION 271 


M. l’abbé Bourbon (1) rendit de réels services aux rédacteurs 
de la Revue T'héologique, et écrivit pour cette dernière quelques 
articles qui furent très appréciés. Mgr Baillès avait fait son éloge 
dans ses lettres aux rédacteurs des Mélanges. Lorsque Sa Gran- 
deur eût quitté Luçon pour se retirer à Rome, M. l'abbé Bour- 
bon écrivit au cours des années 1856 et 1857 plusieurs lettres à 
la Revue : elles témoignent du grand intérêt qu’il lui portait. 
Dans ces lettres, il fait l'examen critique de certains articles 
liturgiques ; il conseille à M. Falise d’être très modéré dans la 
forme, tout en demeurant inébranlablement attaché aux prin- 
cipes ; il le renseigne sur le mouvement liturgique en France, 
et lui fournit des arguments contre le Manuel des cérémonies 
selon le rit romain (2) publié à Saint-Flour par M. Chopy, mai- 
tre des cérémonies au grand Séminaire. Mais M. Bourbon se 
refusait à ce que son nom fût prononcé dans la Revue. Ses let- 
tres ne pouvaient être reproduites, ni comme articles, ni comme 
consultations liturgiques: il était d’ailleurs opposé à ces dernières. 
I1 doit cependant être considéré comme l’inspirateur de maints 
articles et consultations dans les deux premières séries, parce que 
l’auteur s’est inspiré des lettres de M. l’abbé Bourbon : il est 
tel article, qui en reproduitdes pages entières (3). Enfin, quoique 
le professeur de Luçon se soit refusé au début à écrire des arti- 
cles, toutefois nous apprenons parla Nouvelle Revue T'héologique 
(4) que c’est lui qui réfuta (5), de si magistrale façon, le docteur 
Nillès contestant la force obligatoire des décrets de la sacrée Con- 
grégation des Rites. 


* 
* * 


La Bibliographie Catholique de Paris s'était réjouie de voir 


(1) Professeur de liturgie et directeur au grand Séminaire de Luçon, plus tard 
chanoine et maître des cérémonies de la cathédrale. Sur M. Bourbon, ses titres, ses 
qualités, ses travaux liturgiques et leur valeur, voir Nouv. Rev. T'héol., T. II, 1870, 
ire éd., p. 503-506 ; T. X, 1878, 1°° éd., p. 240 et 376. 

(2) Rev. Théol. II°. série, 1857, p. 114-109. 

(3) C'est le cas, entre autres, pour l’article sur le Petit Cérémonial romain de Mgr 
de Conny (1 série, 1856, p. 464, 4068-74). Voir surtout la p. 472. Il y est parlé des 
livres lijurgiques de France € qui n’ont de romain que le nom » : allusion au céré- 
monial de Saint-Flour (11° série, 1857, p. 114-19). On y expose ensuite le caractère 
romain de l’ancienne liturgie en France, et on cite quatre ouvrages qui le prouvent. 
Tout cela est textuellement emprunté aux lettres de M. l'abbé Bourbon. 

(4) T. X, 1838, 1°° éd., p. 240 et 370. 

(5) Rev. Théol., IT° série, 1857, p. 634-40 ; ILI° série, 1858, p. 609-35 ; IV* série, 
1859, p. 503-73, 581-093. 


272 UNE RÉPARATION 


revivre les Mélanges dans la Revue T'héologique (1). Terminant 
son compte rendu sur le premier cahier, J. Duplessy écrivait : 
« Nous examinerons plus tard en détail cette savante et intéres- 
sante publication, lorsque nous aurons pu l’examiner plus à loi- 
sir. Nous souhaitons à la Revue T'heologique tout le succès (2) 
dont elle nous paraît digne. » Ceci était écrit en Avril 1856 (3). 
L'année suivante, dans le même numéro d'Avril, le critique de 
la Bibliographie disait : « Ce que nous avons dit dans nos nom- 
breux articles sur les Mélanges Théologiques… peut donner une 
idée de ce Recueil qui s'attache à continuer les Aelanges. Fidèle 
à son titre, la Revue T'héologique traite d’une manière fortremar- 
quable, au point de vue romain, les questions les plus intéres- 
santes de la théologie morale, de la discipline, du droit canon et 
de la liturgie, à propos de laquelle surtout une foule de difficul- 
tés se présentent chaque jour dans la pratique. Nous n'avons 
pas besoin d’en dire davantage pour faire comprendre l'impor- 
tance qu'il peut avoir, et pour le signaler comme un des ouvra- 
ges les plus utiles aux conférences ecclésiastiques. » (4). Dans sa 
71° année, 1857-58, la Bibliographie de Paris ne fait aucune 
mention de la Revue T'héologique, et dans la 18° année 1858-59 
elle se contente d’en indiquer sommairement les articles (5). 
Après Juin 1859, elle garde un silence absolu sur cette publica- 
tion. C'est l’époque, où M. Bouix d’abord, puis d’autres abbés 
de Paris, cherchaient à accaparer la Revue T'heologique. 

À la fin de la troisième série 1858, la Reyue annonçait qu’elle 
aurait désormais l’appui des Évêques de Belgique (6). A ce 

(1) Ét. Fr., T. XXVIIL, p. 214, not. (2). 

(2) La Reyue eut un grand succès, tant en France qu'en Belgique, Mgr Baillès 
écrivait le 4 Décembre 1857 : « C'est beaucoup 1600 abonnés ». 

(5) Bibliographie Catholique, 15° année, 1855-56, p. 511. 

(4) Zbid., 16° année, 1856-57, p. 354. 

(5) 1bid., 18° année, 1858-59, T. XX, p. 76, 164, 352; T. XXI, p. 85, 564, 528. 

(6) L’Avertissement où nous lisons cette bonne nouvelle se trouve, du moins dans 
l’exemplaire que nous avons sous la main, en tête du 3° volume 1858. Toutefois il 
concerne évidemment la 4° année 1859: c'est dit en toutes lettres dans l'Avertisse- 
ment même. « La 4e Série, qui va commencer avec le prochain cahier, sera des plus 
intéressantes. » [l aura été envoyé aux abonnés avec la page du titre dans le numéro 
de décembre 1858. Sa place est donc à la fin du volume, pour qu’on n'applique pas 
à la 3° Série ce qui est dit de la 4°. « Soutenus, lisons-nous tout au début, et encou- 
ragés dans nos travaux par un grand nombre de Prélats français, il ne manquait à 
notre œuvre que d’avoir l'appui des Evêques de la Belgique, contrée où la Revue 
T'héologique compte le plus d'abonnés. Nous avons tout lieu de croire que doréna- 
vant cet appui ne nous fera pas défaut. Les abonnés belges, nous n’en doutons pas, 


recevront cette nouvelle avec satistaction. Ce qui a inspiré nos démarches, ce n’est 
pas le besoin de gagner des souscriptions, puisque notre Revue est en pleine voie de 


UNE RÉPARATION 273 


sujet nous reproduisons ci-dessous une lettre de M8: Malou, 
évêque de Bruges, dans laquelle il est aussi fait allusion au sen- 
timent du Cardinal de Malines (1). 

Le même avis prévient les lecteurs que, dans la suite, les 
réponses aux consultations seront limitées au strict nécessaire. 
Elles étaient en effet devenues trop abondantes (2). Pour essayer 
de contenter tout le monde, on publiera dans la Revue les con- 
sultations offrant un intérêt général, eton répondra brièvement par 
lettre aux questions particulières présentées par les abonnés (3). 


prospérité, c'était plutôt le désir de faire taire chez plusieurs ecclésiastiques certains 
scrupules à notre égard, et de détruire quelques préjugés qui n'étaient pas entière- 
ment dissipés. [1 est bien entendu toutefois que l'entière responsabilité des articles 
et des opinions qui y sont formulées, retombe sur nous exclusivement. » 

(:) Bruges, le 23 novembre 1858. Monsieur le Curé. Pour la publication de la 
Revue Théologique, je m'en réfère entièrement à l’avis de Son Éminence le Cardi- 
pal Archevêque de Malines. Votre bonne volonté, vos sincères résolutions, aujour- 
d'hui que vous connaissez les anciens écueils, me paraissent de bonnes garanties 
pour l'avenir. Un recueil périodique du genre de votre Revue est d’une utilité réelle 
lorsqu'on évite d'y mettre en question tous les droits et tous les actes de l'autorité ; 
lorsqu'on ne discute point en théorie des points délicats qui ne présentent aucune 
difficulté en pratique ; lorsqu'on fuit les opinions étranges, paradoxales, hasardées 
et téméraires. Il est bon que le clergé s'occupe de tout ce qui concerne la discipline 
et la liturgie de l'Église ; qu'il se rende compte de sa pratique ; qu'il s’initie de plus 
en plus à l'esprit et à la législation de l’Église, pourvu que le jeune clergé ne soit 
point induit à croire que dans la discipline et les pratiques usitées tout est suspect, 
ou au moins incertain; et que la législation ecclésiastique est à refaire. Vos études, 
M. le Curé, vous fournissent assez de ressources pour être intéressant, sans tomber 
dans ces défauts, sans rencontrer ces inconvénients. J'espère donc qu'à l'avenir nous 
pourrons recommander votre publication sans réserve. Afin d’agir en parfaite con- 
naissance de cause, je lirai avec soin vos prochaines livraisons, et si j’y trouvais 
quelque chose de contraire à votre plan, à vos désirs et à votre but, j'aurais soin de 
vous l'indiquer. Recevez, Monsieur, l'assurance de mon respect et de mon sincère 
dévouement. 

+ J. B., Evêque de Bruges. 

A M. l'abbé Faise, Curé de Blaugies. 

(2) Les consultations, qui ne prenaient la 1"° année qu'une centaine de pages, 
150 dans la 2°, en occupaient 550 dans la 5°. Au numéro de juin 1858, p. 319, not.(1), 
le Directeur de la Revue disait : « Nous avons reçu un très grand nombre de consul- 
tations. Pour être agréable aux abonnés qui nous les ont adressées, le cahier suivant 
paraitra dans un mois. » Ce cahier ne contient presque que des consultations : p. 
358 à 480. Aussi, en les commençant, donne-t-on toute une série d'instructions à 
leur sujet. [1 y est déjà dit que la Revue ne répondra plus désormais à toutes, et que 
les rédacteurs adresseront une réponse par écrit à l'intéressé lorsque la consultation 
ne présente pas un caractère de généralité. Dans la IV® Série, 1850, les consultations 
atteignirent à peine 150 pages. Voir, sur tout ce qui précède, I° Série, 1856. p. 316- 
24, 474517, 6060-51 ; 11° Série, 1857, p. 122-74, 327-603, 514-64, 641-56 ; III° Série, 
1858, p. 57-111, 175-224, 329-50, 558-480, 602-05, 654-58 ; IV® Série, 1859, p. 1352-44 
232-71, 329-71, 458-67, 573-80, 034-54. 

(3) Cette disposition, prise au cours de l'année 1858 (voir note précédente), 


E. F. — XXIX. — 18 


274 UNE RÉPARATION 


Enfin, la Revue Théologique y annonce un cours sur les 
fabriques. Ce cours n’a certes pas débuté par l’article, intitulé 
Traité des Fabriques d’églises — Introduction, et que nous trou- 
vons dans le cahier d’avril 1858 (1). Ainsi que nous l'avons fait 
remarquer (2), l'avis en question ne fut adressé aux abonnés 
qu'avec ta page du titre, glissée dans le numéro de décembre, et 
‘se rapportant à la 4° Série 1859. I nous est difficile d'ailleurs de 
reconnaître, dans cet article, une introduction à un cours sur les 
fabriques. Quoi qu'il en soit, au moment où paraissait cet À ver-- 
tissement, M. l'abbé Loiseaux avait déjà travaillé à son Traité 
des Fabriques, dont nous sommes amenés à dire quelques 
mots. Dans une lettre du 26 février 1859, adressée à M. Caster- 
man, il dit que son état de santé s’est amélioré et lui permettra 
de se remettre à l’étude. « J'espère, ajoute-t-il, pouvoir continuer 
et conduire à bonne fin mon Traité des Fabriques. » Au mois 
d'avril de la même année, M. Casterman renseigne M. Loiseaux 
sur une série d'ouvrages, que celui-ci avait demandés et dont il 
trouvait le prix exhorbitant. Le 21 du même mois, M. Loiseaux 
lui répond qu'il attendra pour l'ouvrage de Tielemans, mais qu'il 
doit écrire immédiatement à Paris pour demander celui de Gou- 
dry (3). Le Traité de l'administration temporelle des Fabriques 
d'églises, dont M. l'abbé Loiseaux est l’auteur, débuta plutôt 
dans le 4° cahier, août 1859. Ici nous trouvons une introduction 
vraiment rationnelle, et on reconnaît aussitôt la manière et Île 
style du R. P. Piat. « Avant d'aborder notre sujet, dit-il, c’est-à- 
dire, avant d'exposer la législation des fabriques, nous devons à 
nos lecteurs quelques notions préliminaires, et l'exposition de 
quelques principes qui paraissent fort peu connus de nos jours. 
Différents ordres d'idées se présenteront à nous : nous les abor- 
derons successivement. D'abord nous aurons à rappeler et à 
établir les principes sur lesquels repose l'existence des fabriques, 
Nous verrons ensuite l'application de ces principes dans l’his- 
toire des fabriques, et les modifications que l'autorité civile leur 
a fait subir dans la pratique. Nous rechercherons en troisième lieu 
quelles lois et autres actes de l'autorité civile régissent aujour- 
d’hui les fabriques. Nous examinerons quelles églises doivent 


demeura la règle même au temps de la Nouv. Rev. Théol. : nous l'avons expéri- 
menté plus d’une fois. 

(1) Rev. Théol., II1° Série, 1858, p. 133-490. 

(2) Ci-dessus, p. 272 not. (6). 

(3) Archives de la Maison Casterman, Farde L, 86. 


UNE RÉPARATION 275 


avoir une fabrique. Enfin nous définirons le caractère et la mis- 
sion des fabriques. Un chapitre spécial sera consacré à ‘chacun 
de ces points. » (1) A lire les développements, clairs et précis, 
donnés à cette introduction ; à voir l’abondancé des références, 
qu'on sait toujours justés et confrontées avec les sources, on est 
ravi de la simplicité de l'exposé, on admire la grande science 
du canoniste, et on regrette de ne pas posséder ce traité au com’ 
plet. L'introduction occupé quatre articles : deux en 1859, deux 
dans le Tome 1 dé 1860. Ce n’est que dans le Tome II de ia 
5e Série, en novembre 1860, que commence le traité propre: 
ment dit. Il est divisé en deux parties. La première s'occupe dés 
administrateurs des biens des fabriqués, Îa deuxième trâitera dés 
biens eux-mêmes. La première se subdivise en deux séctions, 
traitant, l’uné du Conseil de Fabrique, l’autre du Bureau des 
Marguilliers. La premiere section est de nouveau divisée’ en sik 
Chabitrés, consacrés à la composition, à la nomination, à l’orga- 
$ation, aux fonctions, aux séances et aux attributions du conseil. 
Dans le premier chapitre, de la composition du conseil, il traite 
d’abord des membres électifs pour parler plus tard des membres 
de droit. Enfin dans le prernfer paragraphe de ce chapitre, il 
expose les qualités requises pour être élu membre du Conseil de 
Fabrique, et les incompatibilités relativement aux fonctions de 
fabriciens. Ici s’arrête ce que nous possédons de ce traité. Après 
le cahier de févier 1861, qui contient le dernier article sur les 
incompatibilités dans les fonctions de fabriciens, la Revue T'héo- 
logique cesse dé paraître chez Jouby à Paris, et dans la nouvelle 
Série de Louvain, commençant en juillet 1861, il n’est plus ques- 
tion du Traité des Fabriques (2). Ce traité fut-il achevé ? A-t-1l 
jamais paru, indépendamment de ce que nous en trouvons dans 
la Revue? Nous ne savons au juste. Deux lettres, l’une de 
M. Jouby, l’autre du Cardinal Bizzarri, nous inclinent vers 
l'affirmative. La lettre de M. Jouby, écrite en septembre 1860 à 
M. l'abbé Falise (3), nous apprend qu'il avait imprimé séparé- 


(1) Rev. Théol., IV* Série, 1859, p. 373. 

(2) On trouvera l'introduction au traité et le début de la 1"* partie, dans la Rey. 
Théol. IV° Série, 18359, p. 3793-94, 497-534 ; V° Série, 1860, T. 1, p. 26-67, 481-531 ; 
T. 11, p. 218-149, 6522-40. 

(3) Voicile passage de cette lettre, où il est question dutraité de M. l'abbé Loi- 
seaux : « Vous avez joint à votre dernier envoi un petit mot de M. Loiseaux qui vous 
charge de me dire qu'il ne peut consentir à ce que j'imprime son Traité des Fabri- 
ques, par la raison d'engagements avec M. Casterman. J’éprouve un grand regret de 
ne pouvoir accepter cette position nouvelle. Vous savez que vous avez été l’inter- 


276 UNE RÉPARATION 


ment tout ce qui avait paru dans la Revue, et que M. l'abbé 
Loiseaux s’opposait à cette édition pour motif d'engagement 
envers M. Casterman. La lettre du Cardinal Bizzarri est du 
17 avril 1863 (1). Son Eminence accuse réception d'une lettre 
de félicitations, de la part de M. l'abbé Loiseaux à l’occasion de 
son élévation au Cardinalat, ainsi que d’un ouvrage écrit par lui 
sur l'administration économique des églises ou Fabriques. Le 
prince de l'Eglise s’en est réjoui, au souvenir de leur ancienne 
amitié, et à raison de l'estime qu’il a pour lui. Il le félicite 
d’avoir pris une vigoureuse défense des droits de l’Église (2). 
Nous avons pris des informations, nous avons fait des recher- 
ches ; mais nulle part, ni en Belgique, ni en France, ni à la 
maison Casterman de Tournai, ni à la maison Roger de Paris, 
successeur de Jouby, ni à la bibliothèque royale de Bruxelles, 
ni à la bibliothèque nationale de Paris, pas même parmi les 
livres provenant de la bibliothèque de M. l'abbé Loiseaux, nous 
n'avons pu découvrir un exemplaire, soit de l'impression faite 
par Jouby, soit du traité complet. 


+ 
+ * 


Rien, dans la 4° Série 1859, ne laissait soupçonner les modifi- 


médiaire dans cette affaire ; il faut que vous ayez la bonté de continuer. Sur l’auto- 
risation que vous m'avez donnée, conformément à l’acceptation de M. Loiseaux, tout 
ce qui est paru dans la Revue a été imprimé séparément, et je ne puis pas en consé- 
quence renoncer à cette affaire. M. Loiseaux ne peut le vouloir. Je ne crois pas non 
plus qu’en présence du fait, M. Casterman ait la prétention d'empêcher M. Loiseaux 
de me laisser continuer mon opération. J'ai agi de bonne foi, vous le savez. Je 
compte donc sur vous pour lever toute difficulté, d'autant mieux que ce petit mot 
m'apprend que vous allez vous rencontrer avec M. Loiseaux. Je vous prie de vou- 
loir bien lui offrir mon très humble respect. » 

(1) Cette lettre est écrite par un secrétaire, signée par le Cardinal : Rev. Domine. 
Accepi Epistolam Rev. Tuæ una cum libro a Te exarato quoad Ecclesiarum æcono- 
micam administrationem, quam Fabricas vocant. Quantum gaudii et Iætitæ ea mihi 
attulerit facile excogitare poteris si nostram antiquam familiaritatem, et meam in Te 
propensionen etexistimationem præ oculis habeas, præsertim cum de mea ad Sacram 
Purpuram promotione ex animo gratularis, et miseris librum a Te affabre, ut moris 
est, conscriptum, quo Ecclesiæ jura strenue tueris. Ego Tibi quam maximas ago 
gratias, quod etiam oretenus facturum spero, cum ad hanc almam Urbem accesse- 
ris : id itinerum facilitas, et Tua in SS. Apostolorum Petri et Pauli devotio suadet. 
Ego interim prospera, et felicia cuncta ex corde adprecor a Domino. Romæ die 17 
Aprilis 1863. Tui Studiosus. A. Card. Bizzarri. 

(2) Les termes, dont se sert l’éminent Cardinal dans sa lettre, nous ont fait sup- 
poser au premier abord qu'ilétait peut-être question de l’'Examen du projet de 
loi sur le temporel du culte. Mais cela ne nous parait pas possible : d'une part, la 
date 1863 est clairement tracée sur la lettre du Cardinal ; d'autre part, la 1r° édition 
de l’Examen etc. est de 1865. 


UNE RÉPARATION 277 


cations qui devaient se produire dans la 5° Série 1860-61. Nous 
n’en trouvons non plus aucune explication dans cette dernière 
Série elle-même. Le 6° cahier de 1859 n'avait été approuvé à 
Arras que le 15 décembre 1859 (1). La Revue Théologique 
paraissant tous les deux mois depuis 1858, cette livraison devait 
servir pour les mois de décembre 1859 et janvier 1860, et le pre- 
mier numéro de la 5° Série aurait dù être celui de février. Or, il 
se fait que le premier cahier est celui de mars. Aux cahiers sui- 
vants, on constate que la Revue est devenue mensuelle, et qu’elle 
comprend deux volumes : l’un de mars à août 1860, l'autre de 
septembre 1860 à février 1861. Le tome I indique encore, comme 
éditeurs, MM. Jouby et Lardinois ; mais au tome II le nom de 
l'éditeur liégeois a disparu, et nous n’y trouvons plus que celui 
de l'éditeur de Paris (2). Enfin, après le tome II qui termine la 
5e Série en février 1861, la Revue quitte Paris, pour reparaître à 
Louvain au mois de juillet. Voilà toute une série de constata- 
tions, dans une période critique et assez obscure de la Revue 
Théologique. Essayons d'y jeter quelque lumière. 

Le 19 novembre 1859, M. l'abbé Falise écrivait à M. Caster- 
man : « Dépêchez-vous, si vous voulez avoir un article dans la 
Revue pour les Decreta traduits. Je n’en serai plus le maître 
après le dernier cahier de cette année, et il sera sous presse dans 
quinze jours. Un autre gaillard s'en charge, et moi je me retire 
sous le poids de mes lauriers » (3). Celui dont parle M. Falise, 
tout en taisant son nom, n'est autre croyons-nous que M. l'abbé 
Bouix. Nous avons vu précédemment (4) que M. Gauthier 
aurait voulu imposer aux rédacteurs de la Revue T'héologique 
les opinions de M. Bouix, et cela sous la menace de se voir 
dénoncés auprès de Sa Grandeur Mgr l’Evêque de Versailles, 
comme professant une doctrine antiromaine, et de ne plus obte- 
nir l’IZmprimatur. Ceux-ci ne purent naturellement pas admettre 
pareille exigence : ils continuèrent à émettre librement leurs 
idées, à les défendre dans la Revue, et ils préférèrent renoncer à 
l'approbation de l'ordinaire de Versailles. C’est alors qu’ils furent 
accueillis dans le diocèse d'Arras. Mais M. Gauthier, avec d’au- 


(1) Rev. Théol., IV® Série, 1859. p. 654. 

(2) Tous les cahiers sont imprimés à Arras, typographie Rousseau-Leroy, rue 
Saint-Maurice, 26, et portent l'approbation de l'Ordinaire d'Arras. 

(3) Archives de la Maison Casterman. Farde F. 4. Nous n'avons toutefois rien 
trouvé, au sujet des Decreta traduits par M. Falise, dans le dernier cahier de l’an- 
née 1859. 

(4) p. 263, not. (4). 


278 UNE RÉPARATION 


tres partisans de M. Bouix, et ce dernier lui-même, cherchèrent 
à accaparer la Reyue T'héologique, pour en prendre la direction 
et en exclure bientôt les rédacteurs belges avec l’éditeur de Liége. 
Déjà en 1858 M. Falise, las des difficultés qu'on lui suscitait, 
voulait abandonner la Reyue (1). Sa lettre de novembre 1859, 
confirmée par une autre de Jouby que nous allons reproduire, 
nous fait supposer qu'il y eut à cette époque des pourparlers 
entre M. Bouix et l'éditeur Jouby pour prendre la direction 
de la Revue. Le plan de M. Bouix était d'élargir son cadre, d'y 
traiter aussi de l’Ecriture sainte, de la théologie dogmatique et 
de l’histoire, de s’y occuper en particulier des matières soumises 
aux conférences ecclésiastiques dans les divers diocèses de 
France. Les pourparlers semblaient aboutir en novembre 1859 ; 
et c’est alors que M. Falise écrivit à M. Casterman ce que nous 
rapportons ci-dessus. Mais en fin de compte, ces propositions ne 
furent pas acceptées, surtout par M. l’abbé Loiseaux qui ne pré- 
tendit jamais se mettre sous la direction d’abbés français. Les 
rédacteurs belges demeurèrent les maîtres à la Reyue Théologr 
que, et M. l'abbé Bouix fonda en janvier 1860 la Revue des 
Sciences Ecclésiastiques, qui — qu’on veuille bien le remarquer, 
— non seulement s'établit dans la même ville d'Arras, mais fut 
imprimée dans les mêmes ateliers que la Revue T'héologique (2). 

Ceux-là même, qui avaient d'abord poussé et soutenu M. 
l'abbé Bouix, le quittèrent bientôt (3). Ils vinrent trouver M. 
Jouby, dès janvier 1860, et lui proposèrent à nouveau de se 
charger de la Revue T'héologique, tout en conservant MM. Falise 
et Loiseaux à la rédaction : ils rendraient la Reyue mensuelle et 
en élargiraient le cadre d’après le plan proposé par M. l’abbé 
Bouix. M. Jouby en écrivit aussitôt à M. Falise (4), et celui-ci 

(1) Voir ci-dessus, p. 269, not. (1). 

(2) Revue DBs Scuncxs Eccrésiasriques dirigée par M. l'Abbé Bouix. Recueil 
périodique paraissant tous les mois, avec l'autorisation de Mgr Parisis, Evèque 
d'Arras. T. 1, 1° semestre 1860. Arras, Typographie Rousseau-Lerov, rue Saint- 
Maurice, 26. — La 3° livraison, mars 1860, reproduit une lettre-programme, adres- 
sée par Mgr l’Evêque de Versailles au Directeur, M. Bouix. 

(3) Les articles de la Revue des Sciences sont généralement signés. Des noms 
parus dans le T. I, ne se retrouvent plus dans les volumes suivants. 

(4) M. Jouby écrivait dans sa lettre du 31 Janvier 1860 : « J'ai à vous faire part 
d'une chose très importante. M. Bouix vient de faire paraitre son 1*"-cahier, et il 
est déjà fâché avec ses collaborateurs. Il est complètement seul, Ce qu'il y a de plus 
joli, c'est que ces Messieurs sont venus me trouver : ils habitent Paris, il sont qua- 
tre. Ils me proposent de se charger de la Revue aux conditions de M. Bouix et de 


la faire paraître tous les mois. Votre concours serait le même, seulement vous... ne 
seriez pas astreint à un travail forcé pour chaque cahier. M. Loiseaux serait dans 


UNE RÉPARATION 279 


transmit immédiatement la lettre à M. Loiseaux pour demander 
son avis (1). Cette fois, les propositions furent sans doute ac- 
ceptées, du moins partiellement, par M. l'abbé Loiseaux : la 
Revue Theologique, à partir de mars 1860, devint mensuelle et 
eut deux tomes comme la Revue des Sciences de M. Bouix. 

Les abbés français ne demeurèrent pas plus fidèles aux rédac- 
teurs belges, qu'ils ne l'avaient été à M. Bouix. Avant la fin de 
l’année, ils abandonnaient la Revue Théologique. C'était prévu. 
Aussi, MM. Loiseaux et Falise cherchaient-ils, dès le début de 
1860, à se procurer des collahorateurs en Belgique. Ils n’y réus- 
sirent pas d’abord : et Mgr Baillès l'ayant appris, leur présenta 
son secrétaire, Mgr Gallot (2). 


les mêmes conditions. Comme je vous l’ai dit pour M. Bouix, je vous le répète ici : 
il est entendu que vous avez toute liberté d'accueillir ou de repousser cette nouvelle 
combinaison, et je n'ai en vue que de faire ce qui vous conviendra, J'ai promis 
prompte réponse. Si vous donniez votre assentiment à cette combinaison, le n° sous 
presse serait Janvier, et on ferait paraitre Février de suite. Ces Messieurs s'en occu- 
peraient, et vous ne donneriez que si vous étiez en mesure de le faire. Il n'y aurait 
pas de signature; tout resterait comme nous sommes à cet égard; seulement, le pro- 
gramme nouveau élargirait le cadre des matières traitées. Comme M. Bouix le 
voulait, on donnerait une place importante à la matière des conférences des divers 
diocèses, et le reste. Veuillez donc je vous prie résoudre le plus promptement pos- 
sible, à cause du retard où nous nous trouvons, si la publication devient mensuelle.» 

(1) I1 lui écrivait sur la feuille même de M. Jouby : « Mon cher ami. Je vous 
envoie cette dépêche. Dites-moi de suite votre avis. Je voudrais ne pas commencer 
cette année, ou retarder jusqu’en Mars. Ne faudrait-il pas une conférence nouvelle ? 
Je la proposerai si vous êtes de mon sentiment... Réponse sur le champs, s. v. p. 
J'attendrai pour répondre à Paris. » 

(2) L'ancien Évêque de Luçon écrivait à Falise, le 11 janvier 1860 : « Puisque vous 
ne réussissez pas à trouver des collaborateurs en Belgique, j'ai cherché à vous en 
procurer un ici. » Dans une lettre suivante (9 avril 1800), nous voyons que le Prélat 
avait appris de M. Falise qu'il n'était plus, ni directeur, ni rédacteur presque unique 
de la Revue, mais simplement collaborateur, et encore pour une partie très res- 
treinte. C'est pourquoi, Sa Grandeur écrit qu’il a engagé le collaborateur de Rome 
à suspendre certains travaux, et à venir en aide à la Revue. Il s'agitici de Mgr Gallot 
(Voir Ét. Fr., T. XXVIII, not. (4), p. 220-21). 

Celui-ci commença par communiquer les Conférences romaines, reproduites dans 
le 1°" cahier, Mars 1860, p. 67 à 96. Puis il donna la solution des cas de morale sur 
le mariage, Rey. Théol., V*° Série, 1860, T. I. p. 173-709, 278-86, 546-56 ; T. II, 
p. 5-12, 118-32, 371-84, 594-418. Remarquons, à l'avantage de ceux qui voudraient 
confronter la position des cas avec leur solution vraiment intéressante, qu'une 
erreur s'est glissée dans la Revue. Le VII® cas du T.II, p. 371 est en réalité 
le VIII du T. I. p. 74. Dans la Table des matières, au mot Conférences 
romaines, il faut lire VI® et VIle cas, au lieu de V*° et VI® ; et ainsi de suite, de 
part et d'autre, jusqu'à la fin des cas. Nous devons également rapporter à Mgr Gal- 
lot, dans les deux tomes de la 5° Série 1860, les nombreux comptes rendus des 
séances dans les “’ongrégations Romuines, l'analyse, l'examen et les explications des 
diverses Décisions qui s’y rencontrent. 


280 UNE RÉPARATION 


1 nous semble aussi, à lire la lettre de M. Jouby à M. l'abbé 
Falise (31 janvier 1860) qu’il y avait certaines difficultés entre 
MM. Jouby et Lardinois (1). L’éd'teur de Paris demande à celui 
de Liége la liste des abonnés belges, et celui-ci semble ne pas 
vouloir la communiquer. Quel était le motif de cette demande ? 
Était-il dès lors déjà décidé à Paris qu’on allait exclure M. Lar- 
dinois? Nous l’ignorons (2). Nous constatons toutefois que 
l’éditeur de Liége n’en fut pas pour cela brouillé avec les rédac- 
teurs belges de la Revue T'héologique. Lorsqu’au début de l’an- 
née suivante, M. Falise cherchait un éditeur en Belgique pour 
reprendre et continuer la Revue, il écrivait le 21 mars à M. 


(1) Voici ce qu'écrivait M. Jouby : « Vous n'aurez pas oublié ce que je vous ai 
demandé relativement à la liste des abonnés de la Belgique. Lardinois vient de me 
laisser revenir une traite, et je crains bien d'en voir revenir d'autres encore. C'est 
pourquoi : pour l’année 1860, je ne puis m'accommoder de sa manière de faire.Pour 
lui aussi j'aurais besoin d'être promptement fixé, afin de le mettre en mesure d'in- 
former les abonnés s’il le juge à propos. Si nous avions la liste, nous n’aurions pas 
besoin de lui. » 

(2) On pourrait toutefois conclure à la rupture entre les deux éditeurs, dès le 
début de 1860, du fait que M. Lardinois publia au commencement de l’année les 
M&LANGES DE THÉOLOGIE, Série d'articles sur les points les plus intéressants de 
l'Écriture Sainte, la Théologie dogmatique et morale, le Droit canonique, la Litur- 
ge, etc. ; par des Ecclésiastiques belges. 1860. Liège, Imprimerie de J. G. Lardi- 
nois, éditeur, Rue Sœurs-de-Hasque, n° 11. Avec Approbation. On sera frappé, 
avec nous, de l'identité de ce titre avec les anciens Mélanges Théolugiques (Et. Fr. 
T. XXVIII, not. (3), p. 14). 11 n'est donc pas étonnant qu'on crût aussitôt, de ci de 
là, à leur réapparition. M. l'abbé Vincent, Vic.Gén.de Laval, écrivait le 9 août 1860: 
« Je suis la Rev. Théol. avec intérêt, et désire la voir dans les mains de nos prê- 
tres. J'entends dire que les Mélanges reparaissent. La Revue continuera-t-elle 
cependant ? Pourquoi ces deux publications ? Comment marcheraient-elles ensem- 
ble ? J'avoue que cela m'intéresse, Je vous avoue aussi que j'ai abandonné les 
Analecta : Je regrettais mon temps. » Disons aussitôt que ces Afélanges de Théolo- 
gie n'ont aucun rapport avec les Mélanges Théologiques, qui parurent à Liège de 
1847 à 1853. et que M. l'abbé Loiseaux n’y est pour rien. Nous ne connaissons 
qu'un seul volume de ces Mélanges de Théologie, et nous croyons qu'il n'a pas eu 
de suite, par la raison que M. Lardinois ramena en 1801 ses 850 abonnés à la Revue 
Théologique Belge. Ce recueil contient quatre cahiers, portant avec le numéro 
d'ordre la date de 1860. Toutefois, seuls les deux premiers furent édités en 
cette année : l'Imprimatur est pour l'un du 4 juillet, pour l’autre du 18 sep- 
tembre 1860. Ie 3° cahier n’est approuvé que le 16 janvier 1861, et le 4° le 20 mai 
de la même année. Il serait donc plus exact de donner à ce volume la date de 1860- 
61. Nous avons dit précédemment (Et. Fr., T. XXVII, p. 444 et not (1) ibid.) que 
nous n'en connaissions pas le rédacteur. Nous aurions mieux fait de dire que nous 
n'en connaissions pas le Directeur : outre les documents officiels, ce volume ne con:- 
tient que quelques petits articles sans signature ; Les études de quelque étendue 
sont, où bien signées, ou bien empruntées à d'autres publications auxquelles il est 
renvoyé. En tous cas, après ces détails, on comprendra que nous avons raison d’af- 
firmer, ici et ailleurs [{, cc., que M. l'abbé Loiseaux est absolument étranger à cette 
publication. 


UNE RÉPARATION 281 


Loiseaux : « Lardinois avait conservé 850 none et il les 
ramène avec lui. » | 

Les paroles que nous venons de citer, nous font supposer que 
les abonnés de Belgique à la Revue T'héologique s’en séparèrent 
avec M. Lardinois. Le nombre d'abonnés en diminua d’autant 
à Paris. D'autre part, la sympathie et l'influence dont jouissait 
M. l'abbé Bouix auprès du Clergé de France ; enfin la lettre 
publique, adressée par Mgr |’ "Évêque de Versailles (1) au Direc- 
teur de la Revue des Sciences et publiée en tête de sa 3° livraison, 
en mars 1860 (2), avait dû favoriser la diffusion de ce périodique. 
Nous avons même lieu de croire que la plupart des Évêques 
français patronnaient ouvertement et exclusivement la Revue de 
M. Bouix.Le 14 juillet 1860, M. l'abbé Falise écrivait à M. Loi- 
seaux : « Je vais à Arras lundi. . [Il y aura un grand nombre 
d'Évêques français. J 'emploierai tous mes efforts et toute mon 
adresse pour réussir. J'espère. » Quelques mois plus tard (21 
mars 1861), il lui communiquait que d’après des renseignements 
venus de Paris, plusieurs publications se disputaient la vogue en 
France. M. Bouix n'avait que 900 abonnés, un certain M. Vidal 
en avait 325, et un autre encore 150. Le premier s'était d’abord 
fixé à Arras chez son imprimeur ; malade, il s'était retiré au 
collège du Saint-Esprit, et avait abandonné la Revue des Sciences’ 
à l'éditeur, M. Rousseau. Tout ceci nous dispose à croire que. 
les Évêques de France, dans leur réunion d'Arras auront trouvé 
suffisant de patronner la Reyue de M. Bouix; dans leurs entre- 
tiens avec M. Falise, ilsseseront montrés peu favorables à la Revue 
Théologique ; il se pourrait même que l'un des Prélats français 
en ait écrit à Mgr l’Evêque de Tournai : car jusqu'ici on y avait 
ignoré, du moins officiellement, que MM. Loiseaux et Falise 
‘étaient les rédacteurs de la Revue T'heologique ;etlorsqu'aucom- 
mencement de l’année 1861, il y fut question de sa reprise en 
Belgique, M. Falise se crut obligé d’en prévenir l’Évêque de 
Tournai : il reçut alors du Vicaire Général, M. Ponceau, une 
lettre confidentielle pour le- dissuader d’en prendreladirection(3). 

Après le cahier de février 1861, approuvé à Arras le 20 jan- 
vier (4), la Revue Theologique disparaît sans aucun avis aux 

(1) Mgr de Versailles ne devait guère être favorableinent disposé envers la Rev. 
Théol., au souvenir de ce que nous avons rapporté p. 263 et not. (4) ibid. La pré- 
sente lettre de Sa Grandéur le prouve aussi quelque peu. 

(2) T. I, 17 Semestre 1860, p. 177-709. 


(3) Lettres de M. Falise à M. Loiseaux, 26 février et 21 mars 1861. 
(4) Rev. Théol., V° Série, 1860, T. II, p. 564. 


282 UNE RÉPARATION 


abonnés, et sans donner la moindre explication au sujet de sa 
disparition. Elle subit alors une interruption de quatre mois. 
Les rédacteurs belges cherchèrent toutefois à reparaître au plus 
tôt, de préférence en Belgique, et à y trouver quelques collabo- 
rateurs. Dès avant la fin de. février, M. Falise écrivait à M. l’abbé 
Loiseaux que la reprise était décidée ( 1) et qu'il en avait prévenu 
l'évêché de Tournai: la Revue paraîtra en Belgique, et proba- 
blement à Louvain ; M. le professeur Feye y collaborera, et il 
compte surtout sur le concours de M. Loiseaux. Le mois sui- 
vant, mars 1861, tout en communiquant à M. Loiseaux que 
M. le Vicaire Général Ponceau lui a confidentiellement écrit 
pour le dissuader, sans le lui défendre, de prendre la direction, 
il lui demande de lui envoyer aussitôt Les articles déjà préparés. 
Toutefois, les pourparlers avec Paris (2), Liége (3) et Louvain 
traînèrent en longueur, et ils ne purent lancer leur Nouvelle 
Série chez M. Fonteyn à Lauvain qu’en juillet 1861 (4). Elle y 
parut pendant deux ans (5) et avec l'approbation de l'Archevèque 
de Malines (6). Nous avons été frappé de la différence du titre, 


(1) Il avait fait savoir à Mgr Baillès que la Rev. Théol. reparaîtrait en mars. Sa 
Grandeur le rappelle dans une léttre du 25 juin 1861. 

(2) Le 21 mars 1861, M. Falise communique à M. Loiseaux que M. Jouby de 
Paris prend au moins 500 abonnements. Le 3 avril suivant, il lui écrit ; « il y a un 
sursis pour laRevue. M. Jouby vient de mettre un embargo après avoir tout accordé.» 
Ce dernier, répondant à une lettre de M. Falise du r4 juin, lui écrit le 17 son der- 
nier mot au sujet des arrangements : Il demande qu'on lui livre la Rev. T'héol. sans 
faire mention de la publication belge, et il veut imprimer lui-même la couverture 
pour les cahiers envoyés à Paris. Nous aurons à revenir sur cette lettre dans la 
note (1), p. 284. E | 

(3) Au cours du mois de mars, M. Falise se rendit à' Liège, pour traiter avec M. 
Lardinois. Nous ne pensons pas qu'il y ait été question de le reprendre comme 
éditeur : l'objectif de MM. Loiseaux et Falise était Louvain, où ils espéraient le 
concours des professeurs de l' Alma Mater. M. Lardinois souscrivit pour au moins 
800 abonnements. Avec ceux de la Hollande et ceux de Paris, écrivait M. Falise, 
on arrivait à plus de 1500 et dés lors le succès était assuré (lettre du 21 mars 1861). 
Par suite des obstacles rencontrés à Paris, on dut annoncer aux abonnés belges que 
la Revue tarderait quelques mois encore à reparaitre : c'est M. Lardinois qui en 
fut chargé (Lettre du 3 avril 1861). 

(4) Le 1° cahier, juillet 1861, fut envoyé à tous les ecclésiastiques belges. Une 
page détachée les prévenait qu'ils trouveraient des timbres dans le cahier, pour le 
retourner à l'éditeur au cas où ils ne désiraient pas s ARoRRer Quelle exquise déli- 
catesse ! 

(5) Les six cahiers de la 1"° année sont de juillet, septembre et novembre 1861, 
janvier, mars et mai 1802. Ceux de la 2° année sont des mois correspondants, aux 
années 1862 et 1863. Il y avait donc un numéro tous les deux mois. 

(6) Tous les cahiers portent l'Imprimatur de M. Van Hemel, vig. gén. de Mali- 
nes, à la p. 2 dela couverture. Ce point est à remarquer, pour ceux qui possèdent 
le 2° volume relié, et qui pourraient croire qu'il a paru sans approbation. Pour le 


UNE RÉPARATION 283 


en tête des volumes et sur la couverture des cahiers. Le premier 
est demeuré Reyue Théologique (1); les livraisons ont pour 
titre Reyue T'héologique Belge (2). Intrigué, surtout au souve- 


1° volume, 1861-61, la feuille du titre fut imprimée et envoyée aux abonnés avec 
le 1°7 cahier du T. II. juillet 1862 : aussi le T. I. porte l’approbation du 15 juin 1862. 
Mais le titre du 2° volume 1862-63, fait partie du 1°" cahier ; et comme nous l'avons 
dit, l'approbation se trouvait sur la couverture. 

Mgr Baillès écrivait de Rome, le 29 novembre 1861: Je vous félicite du succès 
: votre Revue. La sagesse de la rédaction fera tomber les préjugés là où 
ils tiennent encore, mais ce n'est pas l'œuvre d’un jour ». Nous voyons dans cette 
lettre qu'il fut question à ce moment pour: MM. Loiseaux et Falise, d'aller s'éta- 
blir ensemble à Louvain.«Puisque les supérieurs ecclésiastiques de Malines, écrit-il, 
sont disposés à favoriser votre établissement à Louvain, Mgr de Tournay qui est, je 
crois, votre Ordinaire ne refusera point de consentir à l’exécution d’un projet, qui 
vous laisserait maître de tout votré temps et peut devenir très précieux pour la 
science ecclésiastique, surtout si M. Loiseaux peut également sa consacrer unique- 
ment à la science sacrée. Si vous aviez un seul ménage, ce serait une grande écono- 
mie, et vos bibliothèques vous seraient communes : vous vous communiqueriez, 
beaucoup plus facilement, vos vues et l'ébauche de vos travaux. » Sa Grandeur 
ajoute enfin : « Je ne suis pas surpris que M. le D' Feye et M. le vic. gén. de Malines 
vous encouragent à donner de la suite à vos projets. Il y a tant à faire pour mettre 
la science ecclésiastique à la portée de tout le clergé, et pour lui inspirer l'amour 
des études un peu sérieuses. »La lettre suivante confirme cette supposition, et mon- 
tre en même temps que le Cardinal de Malines ne le désirait pas.Les passages sou- 
lignés, le sont par l'auteur de la lettre : Archevêché de Malines. Confidentielle. 
Mon bien digne ami.Je ne puis, ni ne dois avoir rien de caché pour vous seul. Vous 
dites : malheureusement l'opposition semble venir de Malines. Opposition n'est pas 
le mot ; mais Mgr craint qu'on ne confonde trop la Revue avec l’Université même, 
et que, si jamais il s’y produisait une opinion contre l’un ou l’autre système de l'un 
ou l’autre de nos évêques,toutes les difficultés ne retombassent encore une foissur lui. 
Votre séjour à Louvain, dit Son Ém., fera croire évidemment que la création de la 
Revue transférée à Louvain est, telle qu'elle est maintenant, une émanation de 
l'Université. Malgré cette crainte, Son Ém. n'a pas dit une seule fois : #on. — Je 
veux n'être pour rien dans tout ce qui concerne la Revue ; les circonstances de- 
mandent impérieusement de ma part cette situation. Je pourrai agir d'autant plus 
favorablement, si la Revue venait jamais à éprouver des contrariétés non méritées. 
J'ai parlé trois fois de cette affaire, et la troisième fois Mgr s'est borné à me dire : 
Je répète ce que j'ai déjà dit deux fois : Je dois avoir une position complètement 
neutre ; je ne veux dans cette affaire, ni rencontrer des difficultés, ni avoir à répon- 
dre vis-à-vis d'aucun de mes collègues. Voilà, mon bien digneet savant ami, l’exacte 
situation ; et vous en conclurez que mon influence est désormais impuissante. Une 
initiative, venant de Louvain ou de Tournai, pourrait peut-être changer la résolu- 
tion. Malines, 7 décembre 1861. Tout à vous. J. B. Van Hemel, Vic. Gén. et Of. 

(1) Revue THÉOLOGIQUE ou examen approfondi desquestions les plus intéressantes 
de Théologie morale, Droit canonet Liturgie. Nouvezee SÉrir. Tome I. 1861-1862. 
— Tome IL. 1862-1863. Louvain, typographie de C.-J. Fonteyn, libraire-éditeur, 
Rue de Namur, 37, Rue de Bruxelles, 6. 

(2) Revue THéozocique BeLce. Directeur : M.l'abbé Falise. Collaborateurs : 
MM. le 7} Feye, professeur de droit canon à l’Université cathoiïique de Louvain ; 
Loiseaux, licencié en Droit canon, ancien professeur au Séminaire de Tournay ; 
Malbrenne et Maton, licenciés en Théologie ; Mgr G. P., canoniste, résidant à 


284 UNE RÉPARATION 


nir de ce que nous avions lu dans les lettres de M. Jouby (1) et 
dans celles de Mgr Baillès (2), nous avons fait des recherches, 
surtout en France, pour examiner si la Revue avait paru chez 
nos voisins du midi, avec une couverture portant Revue T'héolo- 
gique Française, ou bien simplement Revue Théologique. Nous 
ne sommes pas parvenu à nous fixer sur ce point (3). 

Le titre des deux volumes ne nous dit rien au sujet, soit de la 
direction, soit des collaborateurs. Heureusement, nous avons 
rencontré en Belgique un grand nombre de cahiers isolés et 
ayant conservé leur couverture. Nous y avons vu que la nouvelle 
série de la Reyue Théologique était publiée sous la direction 
de M. l’abbé Falise (4). Sur les fascicules de la première année, 
nous trouvons inscrits comme collaborateurs : M. le D' Feye, 
MM. Loiseaux, Malbrenne et Maton, licenciés, et enfin MerG.P. 
canoniste à Rome (5). Les cahiers de la deuxième année donnent 


Rome, etc., etc. NouvELLE SÉRIE. 127 Cahier. Juillet 1861. Louvain etc., comme ci- 
dessus. Arec Approbation. 

(1) Celui-ci écrivait le 17 juin 1861 : « Voici mon dernier mot, qui vous donne 
toutes les satisfactions possibles de ma part. Vous me livrerez votre publication 
avec ce titre en tête de chaque cahier: Revue Théologique. 6° année 1861. 1ef cahier. 
(le mois). Le 1°" cahier ne devra rien contenir ayant trait à votre publication Belge, 
la matière commencera le cahier, et je ferai la couverture moi-même comme le fai- 
sait M. Lardinois. — Ce que je vous demande n'est rien. C'est un changement sous 
presse qui ne fait aucun frais. Veuillez me dire de suite à quand le 1°’ cahier, afin 
que j'avise. Si nous ne sommes pas d'accord cette fois, il faudra bien renoncer à 
nous y mettre, mais j'aurai la conscience d'avoir fait ce que j'ai pu. » 

(2) L'ancien évèque de Luçon se plaignait, le 29 novembre 1861, de n'avoir pas 
encore reçu la 5e livraison. « Mais. ajoute-t-il, M. Jouby est très exact, et il faut lui 
laisser le temps de faire imprimer sa couverture, brocher, etc. » 

(3) Nulle part en France on n'a pu retrouver des exemplaires non reliés. A Paris, 
chez Roger successeur de Leéroux-Jouby, on ne possédait rien. M. Roger père, le 
seul qui aurait pu peut-être fournir des renseignements, est mort il y a quatre ans. 
A la Bibliothèque nationale de Paris, la collection de la Rev. Théo. se termine en 
février 1801, et partant les deux volumes de la Nouvelle Série, 1861 à 1863, ne s'y 
trouvent pas. On nous a expliqué que la Bibliothèque nationale est surtout appro- 
visionnée par les dépôts faits au Ministère de l'Intérieur, conformément à la loi. 
La Nouvelle Série étant imprimée en Belgique, M. Jouby n'était pas tenu d'en faire 
le dépôt. 

(4) Voir ci-dessus, not. (2) p. 283. Le 26 février 1861, M. Falise annonçait à M. Loi- 
seaux que M. le D' Feye prendrait la direction de la Revue, Le 21 mars suivant, il 
lui communiquait que M. Ponceau, vic. gén. de Tournai, lui avait dit, sans le lui 
défendre, dans une lettre con/ffdentielle de ne pas conserver la direction. Il demeura 
cependant directeur, ainsi que nous le voyons sur les cahiers de la nouvelle série. 

(5) Ces dernières initiales désignent Mgr Gallot. La lettre P pourrait en faire 
douter, son prénom étant Gustave (Voir Nouv. Rev. Théol., T. Il, 1870, p. 513, 
2° éd. p. 520). Peut-être, MM. Falise et Loiseaux ignoraient-ils alors le prénom 
du prélat. Les premières lettres écrites par lui aux rédacteurs de la Revue sont de 


UNE RÉPARATION 285 


le nom du directeur, et ne parlent plus des collaborateurs. De 
ce fait nous avons été confirmé dans la persuasion que, même 
pour le Tome I, les rédacteurs principaux furent comme par le 
passé MM. Loiseaux et Falise : le premier pour les questions de 
Droit canon (1), le second pour la Liturgie. Quant à M. le pro- 
fesseur Feye (2), nous croyons qu'il ne traita qu'une seule ques- 
tion dans la Revue Théologique, et encore demeura-t-elle 
inachevée (3).Nous ne savons quels articles attribuer à MM. Mal- 
brenne et Maton, si tant est qu'ils en aient écrits pour la Revue. 
Le seul qui ait collaboré effectivement à la Revue, durant toutle 
cours de cette nouvelle Série, et sur les conseils de Meï Baillès (4), 


juin 1861. Il signe G. Gallot, pr. ; mais il faut avouer que, dans les lettres reçues 
jusqu'alors, le premier G. pourraitaisément être pris pour un P. | 

(1) Les principaux articles écrits, dans la nouvelle série, par M. l'abbé Loiseaux, 
traitent du partage des biens d'une paroisse démembrée : T. I, 1861-62, p. 1179-71 ; 
T. 11, 1862-63, p. 5-46, 13-63. — Une lettre écrite à M. Loiseaux (3 janvier 1860) 
par M. Bonjean, conseiller à la Cour d'Appel de Liège et l’un des éminents rédac- 
teurs du Mémorial Belge des Conseils de Fabrique, nous fait penser qu'il est l’au- 
teur de l’article qui se trouve dans cette publication, 4° année, 1860, col. 181 à 262 : 
il a pour objet le démembrement d'une paroisse et le partage de ses biens. Voir 
ibid., not. (1}, col. 181. — Nous avons aussi remarqué dans la nouvelle série, T. 
Il, p. 91-90, la critique très élogieuse qu'il fit de la thèse doctorale De Sepultura et 
Cœmeteriis de M. Moulart, son ancien élève, devenu professeur à l’Université de 
Louvain. — Mgr Baillès, parlant des articles de M. Loiseaux, lui faisait adresser des 
félicitations : « Mes compliments à M. Loiseaux, qui fait bien ce qu'il fait. » (Lettre 
du 26 septembre 1861) « Mille compliments à M. Loiseaux. » (Lettre du 29 novem- 
bre 1861). — Enfin, ce qui nous semble indiquer combien M. l’abbé Loiseaux était 
l'âme de la Revue, c'est que dans le cahier de novembre 1862, p. 300-307, il a inséré 
le récit du trouble, causé par un habitant de Leuze, dans une procession de sa 
paroisse d'Ellignies-Sainte-Anne,ainsi que du procès et de la condamnation qui s’en 
suivirent. 

(2) ME" HenriJean Feye, né à Amsterdam le 19 novembre 1820, était à cette 
époque professeur ordinaire à la faculté de Théologie. Il était Docteur en Théologie 
et en Droit. Dans sa lettre du 26 février 1861 à M. Loiseaux, M. Falise écriten 
parlant de la Revue : « M. Feye, qui est malade, y travaillera plus tard et en prendra 
la direction. » Dans la lettre suivante du 21 mars, il dit encore : «M. Feye se joindra 
à nous de l'année, mais il veut écrire en latin. » M£r Feye mourut à Louvain le 
24 mai 1894. Voir Annuaire de l'Univ. Cath. de Louvain, 1861, p. 7 ; 1895, p. 429 
et ibid. aux Analectes, p. XLIX-LXVI. 

(3) Disquisitio canonica de beneficiis simplicibus, ac specialiter de Capellanis. 
L'auteur annonce quatre paragraphes. Deux seulement ont paru au T.I de la Re- 
yue, nouvelle série : le premier p. 96-99, le deuxième p. 9g-111, 172-93. 

(4) Voir Ét. Fr., T. XXVIII, p.216, not, (1) ; 220, not. (4). Cinq lettres (25 juin, 
26 septembre, 29 novembre 1861, 31 mars et 2 juillet 1862) nous montrent l'ancien 
évêque de Luçon tout dévoué à la Rev. Théol. [1 se réjouit de sa prochaine 
réapparition en Belgique même. Il demande des prospectus pour les répan- 
dre dans les divers pays d'Europe et aux États-Unis. Il attend impatiemment 
les cahiers, et les réclame dès qu'ils tardent un peu à lui parvenir. Il les lit avec le 
plus grand intérêt, et félicite les rédacteurs, surtout M. Loiseaux, de leurs articles et 


286 UNE RÉPARATION 


c'est Mg Gallot (1).11 reprit dès le début ses fonctions de corres- 
pondant : Il envoya le compte rendu des séances dediverses Con: 
grégations Romaines, les Décrets et Décisions de ces mêmes 
Congrégations, et les tableaux des Conférences Romaines (2). 11 
poursuivit la solution des cas sur les empêchements de mariage 
commencée dans Îles deux volumes de la série précédente (3), et 
donna celle de quelques cas nouveaux (4). Enfin, il publia dans 
la Revue un long traité sur les Confesseurs des Religieuses (5): 

La nouvelle Série cessa tout à coup de paraître après deux 
années d'existence, et rien ne nous laisse soupçonner le motif de 
sa disparition. Dans les dernières pages du cahier final, mai 1863, 
la Revue T'héologique commence encore la publication d’un 
Traité sur les indulgences, et elle annonce même l'apparition 
prochaine des chapitres suivants (6). 

Donnons, en terminant l’examen de la Revue T'héologique, 
une preuve de l'autorité dont elle jouissait et de la confiance 
qu’on avait en elle. Nous la trouvons dans le dernier cahier, 
dont nous venons de nous occuper. Mgr | Évêque de Beauvais, 
par l'entremise de son Vicaire Général M. Millière (7), com- 


du grand nombre de leurs abonnés (près de 2000).Plus d’une fois,il écrit qu’il encou- 
rage le zèle de M# Gallot pour la Revue, et qu'il l'engage à différer certains travaux 
afin de pouvoir se dévouer pour elle. 

(1) Voir Êt. Fr. T. XXVIII, p. 220, not. (4). M. Falise communiquait le 21 mars 
1861 à M. Loiseaux qu'il avait écrit à M£ Baïllés pour obtenir la continuation du 
concours de son secrétaire, M€ Gallot. Le 25 juin, M# de Luçon répondait à ce 
sujet : « Vous prenez le bon parti relativement à la précieuse collaboration de Mgr 
Gallot. » Bientôt après on lui avait sans doute communiqué de Belgique la bonne 
impression produite par ses articles ; car le 29 novembre, Sa Grandeur écrivait: «Le 
témoignage d'un homme aussi savant que le Dr Feye est un grand encouragement 
pour Mgr Gallot, » Huit lettres de ce dernier, allant de juin 1861 à décembre 1862, 
témoignent de son attachement et de son dévouement à la Rev. Théol.. 

(2) Rev. Théol., nouv. série, T, 1, p. 266-97 ; T. II. p. 265-80, 5373-85, 619-40. 

(3) Voir ci-dessus, p. 279, not. (2). La solution de ces cas est continuée dans la nou- 
velle série, T. I, p. 304-21 ; T.Il, p. 179-202. {ci la Revue déclare, dans une note de 
M. Loiseaux, qu'elle ne peut se rallier au sentiment de Mgr Gallot sur l'emploi 
licite et opérant de la condition si papa dispensaverit, p. 202-206. 

(4) Rev. Théol., nouv. série, T. I, p. 227-28, 297-503, 451-52, 587-092; T. Il. 
p. 280-093, 385-92. 

(5) Une lettre de Mgr Gallot (27 décembre 1862), dans laquelle il annonce l’en- 
voi du 8 6, nous a révélé qu'il est l’auteur de ce traité. On le trouvera aux endroits 
suivants : T. I, p. 3541-65, 453-508 ; T. II, p. 352-73, 449-509. Ce traité demeura 
inachevé. Nous voyons dans une lettre du 12 mars-1864, qu'il fut question de le 
continuer dans la Revue des Sciences ecclésiastiques. Nous y avons examiné tes 
années 1864 à 1867, et nous n'y avons rien trouvé. 

(61 Voir p. 641 et not (1) ibid., jusqu’à la p. 651. 

(7) Les lettres de M. Millière prouvent qu'il avait une correspondance suivie avec 


UNE RÉPARATION 287 


muniqua à la Revue la circulaire et les documents qui s’y trou- 
vent (1). La lettre d'accompagnement, écrite par M. Millière 
sur le conseil de Mgr, donnait les détails les plus minutieux sur 
les demandes faites à Rome, soit devant les Congrégations, soit 
directement auprès du Saint-Père, sur les discussions qui eurent 
lieu avant la concession des induits et sur les réponses, tant ver- 
bales (2) qu'écrites obtenues à Rome. Il est dit à plusieurs 
reprises dans cette lettre que l’Évêque de Beauvais et son Vicaire 
Général avaient fait valoir en cour de Rome, les motifs allégués 
par la Revue Théologique. 

* 

* * 

Nous nous sommes étendu très longuement, trop longuement 
peut-être au sentiment des lecteurs, sur les Mélanges Théologi- 
ques et sur la Revue Théologique. Rien n'était connu, ni de 
l'origine, ni des difficultés, ni des rédacteurs de ces deux savants 
périodiques. Au cours de notre rédaction, nous est venue la 
pensée que nous devions à la mémoire du T. R. P. Piat, de ne 
paslaisser retomber dans l'ignorance où l'oubli tout ce que nous 
avions trouvé, dans nos recherches, sur ses travaux et surf les 
obstacles rencontrés par son infatigable zèle pour la diffusioh 
des Sciences ectlésiastiques. Nous ne voulons pour excuse que 
nos sentiments. de respectueuse affection et de vive reconnais- 
sance envers notré ancien Maître et Préfet d'Etudes. 

Nous n'avons plus maintenant qu’à parler d'œuvres et de 
publications qui portent son nom. Nous pourrons dès lors être 
très brefs dans ce qui reste à dire des travaux dé notre savant 
Canoniste belge. : 


(A suivre.) | Fr. PROSPER d’Enghien. 
LP | O.M.C. 


les rédacteurs de la Revue, au sujet de tontes les difficultés qui se présentaient dans 
le Diocèse de Beauvais. M.Falise recevait les lettres etles transmettait à M. Loiseaux, 
qui donnait la solution des cas présentés. 

(1) Zbid., p. 583-618. : 

(2) C'est pourquoi nous lisons, ibid., p. 600, not. hu): La FF de Sa Sainteté 
ayant été verbale, nous ne croyons pas pouvoir la divulguer (Note de la Direction). 


LES FRANCISCAINS DANS LE 
GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 


(Suite.) (1) 


Action franciscaine dans PEst luxembourgeois 
au XVII: siècle. 


L'activité des Franciscains d'Ufflingen se fit bientôt sentir 
partout, bienfaisante et secourable, pendant les calamités qui 
désolèrent le duché dans la seconde moitié du XVIIe siècle. 
Il est impossible de comprendre aujourd’hui à quel degré de 
misère et de détresse étaient tombés ces pauvres peuples. La 
famine sévissait partout et les plus affreuses catastrophes se vo- 
yaient journellement dans les guerres cruelles qui désolaient la 
province. Les troupes ennemies allaient, brûlant, dévastant, 
pillant. On recule d'horreur au récit que nous tracent les archi- 
ves de Clairvaux sur ce qui se passait dans les villages voisins. 
Citons seulement ce qu'elles disent des brutalités soldatesques 
commises en l’an 1647, dans quelques villages des environs : A 
Mederbeszlingen, les troupes ont emporté 107 têtes de bétail, 
n’en laissant que six dans le village. Les pauvres gens suivirent 
les soldats jusque Ufflingen et là, purent racheter trente-six bêtes, 
à prix d'or. Pendant qu'ils ramenaient ce petit troupeau chez 
eux, une autre bande de soldats le leur enleva. Les paysans se 
trouvant incapables de rassembler la somme d'argent que les 
soldats exigeaient pour racheter leur commune de l'incendie, 
ceux-ci forcèrent l’église et la pillèrent,détruisirent les moissons, 
prirent tout ce que possédaient les malheureux, brûlèrent leurs 
charrues, chariots et tous leurs instruments de travail. À UI- 
flingen les habitants durent se racheter de l'incendie en payant 


(1) Cf. Études Franciscaines, février 1913. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 289 


une somme de 3660 thalers, ce qui n’empêcha qu’on ne leur en- 
levât toutes les denrées en granges et qu’on ne détruisît les mois- 
sons et les fruits, après avoir, la nuit, pillé les maisons. (Le 
bétail avait déjà été enlevé par les soldats Irlandais). 

Au petit village de Drinklingen, c’est à peu près la même dé- 
solation. À Huldingen les moissons furent abattues, les denrées 
détruites ainsi que les fruits, les malheureux paysans furent chas- 
sés du village depuis Pâques jusqu’en août. Les mêmes désastres 
sont mentionnés à Vogen, Asselhorn, Bockholz, Munshausen, 
Hossingen, Rumlingen, bref dans tous les villages du Comté.(1) 

Les Franciscains d'Ulflingen firent tout ce qui était humaine- 
ment possible de faire pour secourir les infortunées populations. 
[ls partagèrent avec elles leur dernier morceau de pain et avec 
la permission des Supérieurs, se rendirent dans les provinces 
moins dévastées pour mendier par les villes et campagnes, aux 
châteaux et abbayes, en faveur des pauvres victimes de la furie 
de la guerre. 

De pires épreuves devaient encore s’abattre sur le pays. La 
peste éclata en 1668 et enleva la plus grande partie des habi- 
tants. Dans leur effroi, ces malheureux fuyaient les villes et les 
villages pour se réfugier dans les bois ou les campagnes, se ca- 
Chant dans les grottes et les fourrés. D’autres quittèrent le pays. 
Les liens du sang et de l’amitié étaient oubliés ; malades, mou- 
rants ou morts étaient abandonnés dans les maisons, chacun 
cherchant à sauver sa vie. Les Franciscains d’Ulflingen quittè- 
rent aussi leur couvent, mais pour aller partout soigner les mala- 
des, assister les mourants, leur donner les derniers sacrements et 
ensevelir les morts. Ils ne se contentèrent pas de secourir héroi- 
quement les habitants du voisinage, mais allèrent sans peur aux 
endroits les plus éprouvés. Les villes de Diekirch et Vianden 
étaient plus particulièrement flagellées. Pas une maison qui ne 
contint des morts et des mourants abandonnés. Les Francis- 
cains d’Ulflingen se chargèrent de soigner et d’ensevelir tous 
ces malheureux. Aussi a-t-on gardé les noms des principaux 
Franciscains d’Ulflingen et leur héroïsme dans l’épidémie de 
Vianden est encore célèbre dans le pays.Ce sont les frères Michel 
Scharmützel, Laurentius Dalbor, Constantin Bonyvert, Jean 
François Henry. 

Peu d'années avant la peste, les habitants de Diekirch 


(1) Archives n° 3007 et 5035, 


E. F,. — XXIX. — 19 


290 LES FRANCISCAINS 


émirent le vœu de posséder des Franciscains dans leur ville. 
Quelques frères vinrent y former une petite colonie. Lors- 
qu’éclata la peste, ils se trouvèrent trop peu nombreux pour 
suffire au travail écrasant qui leur incombait, jour et nuit. 
Comme ils se trouvaient sous l’autorité d'Ulflingen, ils deman- 
dèrent des frères pour les aider. On leur envoya un groupe de 
religieux qui se dévouèrent avec une telle abnégation que bien- 
tôt, ils eurent conquis l’admiration et l'affection universelle. 
Désormais entre eux et ce peuple, se maintinrent des relations de 
reconnaissance d’un côté, de dévouement de l’autre,qui eurent la 
plus heureuse influence. Le souvenir en est resté malgré Îles 
temps et les révolutions. Aussi le couvent d’Ulflingen devint 
comme le foyer principal de la vie religieuse du duché. On 
voyait les fidèles arriver en grandes troupes, aux jours de saint 
Joseph, de saint Marc, de saint Laurent et surtout aux deux 
premiers jours d'août où se célèbre la fête des trois Vierges en 
même temps que celle de la Portioncule. 

Ces jours de pèlerinage déterminèrent l'établissement des 
foires annuelles. 

Aux sept principales fêtes de la Mère de Dieu, les religieux 
d'Ufflingen venaient à Clairvaux pour y célébrer solennellement 
l'office à la chapelle de Lorette. On y voit encore les cinq con- 
fessionnaux demeurés comme témoins de la part que prenaient 
les moines à cette dévotion à Marie. Pendant cent soixante ans, 
ils en furent comme l’âme. Puis, vint du sud, la tourmente ré- 
volutionnaire qui devait détruire le couvent et disperser cruelle- 
ment ses habitants, ils quittèrent ces lieux où ils avaient pendant 
plus de deux siècles, soutenu l’honneur de Dieu et propagé son 
nom en toute humilité et dévouement, pour le plus grand bien 
de la patrie. Si les générations actuelles ont trop oublié le nom 
des Franciscains, ces noms sont écrits là-haut dans le livre de 
vie,avec le riche capital de foi qu'ils ont assemblé et qui demeu- 
re encore comme l'héritage le plus saint qu'ils ont laissé à nos 
pères. 


Fondation des cloîtres de Diekirchb, Vianden, 
Virion et Hamipré. 


C’est à l'héroïque charité des Fils de saint François au milieu 
des calamités du XVII: siècle, que l’on doit la fondation de trois 
nouveaux couvents de leur Ordre. Déjà, en 1642, le curé de 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 291 


Diekirch et les bourgeois de cette ville, avaient écrit au provin- 
cial de Flandre pour lui demander l'érection d’un petit hospice 
franciscain. 

A la suite de cette démarche, trois religieux, dont deux prêtres, 
furent envoyés d’Ulflingen à Diekirch.Mais ils rencontrèrent de 
grosses difficultés et il fallut en fin de compte renoncer à cette 
fondation. (1) 

Vingt ans après, en novembre 1664, le pasteur de la même 
ville renouvela la demande, en l’adressant au roi. (2) Le 28 no- 
vembre suivant, le Collège échevinal de Diekirch, au nom de la 
bourgeoisie, et en décembre, au nom de la noblesse des environs, 
renouvela ses démarches pour le même objet. (3) 

Le roi Philippe IV envoya son assentiment le 4 septembre 
1665 et les états de la province donnèrent le leur le 3 octobre 
suivant. (4) Le parchemin royal désignait comme but de la nou- 
velle fondation l'exercice de la prédication, la confession, le soin 
des malades, l'éducation de la jeunesse et l'hospitalité des pauvres 
voyageurs. C’est que le clergé, comme le peuple du pays de 
Diekirch, s'étaient fait une habitude des services réclamés aux 
moines d’Ulflingen et l'éloignement de ce couvent, le mauvais 
état des chemins, faisait souhaiter qu’une colonie du grand cou- 
vent vint essaimer plus près d'eux. Après la peste de 1668, les 
habitants de Diekirch, plein de reconnaissance pour le dévoue- 
ment des fils de saint François, s'assemblèrent et décidèrent que 
le petit hospice d'abord projeté ne suffisait pas et qu’ils voulaient 
bâtir un grand couvent. Ils s’empressèrent à l’envi de fournir 
l'argent nécessaire. En 1670 fut posée la première pierre d’un 
monastère terminé en 1673. 

La fondation du couvent de Virton eut lieu à peu près en 
même temps et dans les mêmes circonstances. Les Franciscains 
avaient dans cette ville un petit hospice. Il se trouva que pen- 
dant la peste de 1668 les religieux furent les seuls habitants qui 
demeurèrent à leur poste et soignèrent les malades au prix de 
fatigues sans nom. De là une reconnaissance et une affection 
que le peuple voulait témoigner à ses bienfaiteurs par l'érection 
d’un couvent. (5) Les documents des archives du Gouverne- 


(1) Archives du Gouvernement n° 226. 


(2)  « « 361 
(3) « « 362 et 363. 
(4) « « 364 et 365. 


(5) « « 420 et suiv. 


2092 LES FRANCISCAINS 


ment prouvent qu’un mouvement semblable se dessina dans la 
population de Neufchâteau à la suite duquel s’éleva un couvent 
près d’une chapelle de la Sainte Vierge à Hamipré. Cette cha- 
pelle appartenait en indivision au duc d’Aremberg et au comte 
de Lüwenstein Wertheim, elle faisait partie du Comté de Roche- 
fort. Le duc d’Aremberg approuva la fondation par un acte du 
2 juillet 1663. (1) Le 2 janvier 1664 le Comte Ferdinand Charles 
de Lôüwenstein-Wertheim et Rochefort envoyait à son tour un 
acte de cession. (2) On retrouve dans ces actes de cession les 
mêmes conditions que celles que mentionnent la donation de 
Godefroid d’Eltz pour Ulfiingen. On y tenait compte également 
du vœu de pauvreté franciscaine tout en assurant d’une certaine 
façon le nécessaire à l'entretien de la communauté. Remar- 
quons en passant que Charles Ferdinand de Lôüwenstein-Wer- 
theim-Rochefort est un des aïeux du côté maternel de notre 
grande duchesse régnante. Ainsi notre princesse a reçu de ses 
aïeux son dévouement aux fils de saint François par la part 
qu'ils ont prise au mouvement religieux du Luxembourg à cette 
époque. 


La persécution contre les Franciscains et leur relèvement. 


Les couvents franciscains du Luxembourg ,après avoir fait tant 
de bien au cours des siècles, s’écroulèrent tous sous la tempête 
révolutionnaire qui souffla sur l’Europe, à la fin du XVIII: siè- 
cle. Inutile de redire les scènes douloureuses qui se déroulèrent 
presque partout à chaque dévastation de monastères. 

Nous ne parlerons que du sac d'Ulflingen. Déjà à la fin du 
XVII: siècle, des dispositions malveillantes se manifestaient de 
la part des autorités. Le 24 février 1676 le roi prenait un arrêt 
pour limiter le nombre des moines et des novices à admettre 
dans le couvent. (3) C’est la raison pour laquelle, lors de la 
destruction d’Ulflingen, le nombre des religieux se trouva être 
bien inférieur à ce qu'il était aux premiers temps de l'existence 
du couvent. Cependant Ulflingen fut encore bien moins mal- 
traité que Diekirch, parce qu’il se trouvait sous la protection du 
Seigneur de Clairvaux. 

Aussi, en 1711, se vit-on obligé de réunir le noviciat et les 


(1) Archives de la cathédrale de Luxembourg, 353. 
(2) Archives de la cathédrale n° 358. 
(3) Archives du Gouvernement, 478. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 203 


étudiants de Diekirch à Ulflingen. La maison d’études d’Ulflin- 
gen avait acquis une certaine réputation dans la première moi- 
tié du XVIII: siècle. On lui avait octroyé le droit de donner les 
grades de docteur en philosophie et en théologie. I] y a dix ans 
on voyait encore dans la chapelle du château de Clairvaux, un 
élégant diplôme de docteur en philosophie, imprimé sur soie, 
obtenu par le comte Adrien Gérard de Lannoy-Uïfflingen. Sur 
cette soie on pouvait lire le sujet de la thèse soutenue par le 
Comte en séance publique. Mais cet intéressant document, collé 
au mur depuis 180 ans, a fini par tomber en poussière. 

La renommée de l’école franciscaine pâlit beaucoup à la fin du 
XVITIIesiècle. L'empereur franc-maçon, Joseph II, ouvrit l’ère 
de persécution contre les ordres religieux, en poursuivant sans 
relâche l'extinction et la sécularisation des couvents des Pays- 
Bas, non sans rencontrer une puissante opposition de tout le 
peuple qui tenait, corps et âme, à ses couvents. C’est par là que 
la maison d'Autriche perdit les Pays-Bas qui pendant de longs 
siècles furent son plus précieux joyau. . 

Les Luxembourgeois se montrèrent trop faibles pour encou- 
rager cette révolte populaire et les décrets impies furent acceptés 
sans résistance. Par une ordonnance du 22 mai 1786, l’empereur 
Joseph II faisait commencer l'inventaire général des biens 
des églises et des couvents du pays (1) et le 4 janvier 1787 il y 
ajoutait des instructions détaillées sur la manière de faire ce 
travail. [l envoyait de Vienne des formulaires tout préparés à 
cet effet. (2) Ce fut le 23 mars de cette même année que l’on 
vint dresser l'inventaire d’'Ulflingen. Voici le détail de cette 
pièce et du formulaire prescrit : 

Ÿ a-t-il des biens seigneuriaux ? Aucuns. 

Des moissons et terres à revenus ? Aucunes. 

Des biens fermiers quelconques ? Aucuns. 

Des capitaux provenant de fondations ? Aucuns. 

Des capitaux à revenus non chargés de fondations ? Aucuns. 

D’autres rentes ou revenus fixes de toutes espèces ? Aucuns. 

Total des revenus? Rien. 

Voilà une preuve indéniable, que l'on peut contrôler encore 
aux archives de Luxembourg,de l'exactitude avec laquelle les Fils 
de saint François observaient la règle de leur père. Le monas- 


(1) Archives du Gouvernement, 705. 
(2) « « 707. 


294 LES FRANCISCAINS 


tère d'Ulflingen fut encore épargné sous l’empereur Joseph II 
comme d’ailleurs les autres couvents franciscains, mais en 
1795, la République française s'emparant du vieux duché, pro- 
mulgua aussitôt les lois les plus désastreuses pour ce malheu- 
reux pays. Le représentant de la loi apparut à Ulflingen en 1796 
et mit l’embargo sur le cloître, le couvent, et sur tous les orne- 
ments et objets du culte. 

Le comte de Clairvaux avait eu le temps de préserver de la 
destruction deux superbes tombeaux des Lannoy de la première 
lignée, celui du comte Albert Eugène mort en 1697 et celui 
d'Adrien Gérard mort en 1730. Il avait réussi à les enlever 
secrètement de l’église pendant la nuit et à les mettre en sûreté 
à Clairvaux. On les replaça plus tard dans la chapelle de Lorette 
où ils se trouvent encore. 

Le commissaire de la République apposa les scellés sur l’é- 
glise et le couvent et y mit un gardien dont le nom nous est 
conservé. (1) On souffrit encore un an les pauvres moines dans 
le cloitre puis ils durent abandonner cet asile consacré de- 
puis des siècles par la prière et la vie sainte de leurs devanciers. 
Église, couvent, mobilier et jusqu’au linge de l'autel, aux cali- 
ces, aux chandeliers, tout fut vendu à l’encan. La République, 
par un semblant d'équité, avait accordé une très maigre pen- 
sion aux moines qu'elle dépossédait, mais la plupart des reli- 
gieux, jugeant ce don en opposition avec leur conscience, le 
refusèrent. 

Ce secours dérisoire de la République au moment où elle ar- 
rachait de leur asile de pauvres vieux moines sans ressources, 
pour les jeter au milieu d’un monde indifférent ou impitoyable, 
fut bien douloureux pour les victimes et le refus de la petite 
pension était un acte héroïque. On conserve dans les archives 
départementales de l’enregistrement les noms de ceux qui re- 
fusèrent. (2) Ils sont quatorze. Cinq l’acceptèrent. Encore faut-il 
remarquer que ces derniers sont restés un an sans la prendre et, 
probablement ne l'ont acceptée qu'après avoir constaté qu'ils 
ne trouveraient aucune aide dans leur parenté. 

De tous les infortunés, que la dévastation d’Ulflingen attei- 
gnait, sans moyens d’existence, quelques-uns rentrèrent dans 
leurs familles, d’autres passèrent le Rhin et allèrent dans les 


(1) Frédéric Neumon (ons Hemecht. S. Pint). 
(2) S. Goffinet, S. J. Annales de l'Inst. Arch. de Luxbg. à Arlon, C. 16, 
P. 193-204. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 295 


contrées où les armées de la République n'avaient pas encore 
pénétré. (1) 

Plusieurs, la tourmente passée, revinrent dans leur patrie. 
Parmi ces derniers se trouvait un frère lai nommé Simon 
Koener qui avait 30 ans lors de la dispersion de la communauté. 
Il était né à Clairvaux. Il rejoignit son frère Bernard qui avait 
été franciscain à Paderborn et tous deux vinrent occuper l’Er- 
mitage de Clairvaux, à côté de la chapelle de Lorette. Tous 
deux finirent leurs jours dans ce dernier asile. Le père vicaire, 
qui toujours s'était consacré aux soins des âmes du village, 
était rentré secrètement pendant la persécution et resté caché à 
Ufflingen, afin de pouvoir continuer à soutenir la foi de ses fi- 
dèles au milieu de leurs épreuves. Il disait la messe et distribuait 
les sacrements dans une grange ou dans un grenier du village. 
Mais il se trouvait à Clairvaux un homme qui s'était distingué 
par sa haine de l'Église et la persécution religieuse, c'était le 
chirurgien J. B. Merscher. Merscher avait d’abord servi comme 
chirurgien dans les armées autrichiennes, puis avait été nommé 
par le comte de Clairvaux maire d’Ulflingen et ensuite bailli. 
Cette charge le mettait en relations amicales avec le couvent 
d'Ulflingen. Mais aussitôt l’arrivée de l’armée française, Mers- 
cher exécuta une volte-face complète. Il fut nommé commis- 
saire de la République et se distingua dans cette fonction en 
poursuivant avec zèle les prêtres et les moines. C’est lui-même 
qui avait entrepris le pillage des églises et cloîtres d'Ulflingen, 
d'Ober, Mederbeszlingen, Godingen, Wilwerdingen et Dru- 
cklingen. 

Naturellement la présence du père vicaire au village ne pou- 
vait lui demeurer longtemps ignorée. Il se mit donc à surveiller 
les allées et venues de tous pour surprendre le prêtre. 

Un jour, comme le père disait la messe dans la maison Re- 
nesch, Merscher arriva soudain avec des gendarmes. Aussitôt 
les assistants, se massant devant leur pasteur, voulurent lui faire 
un mur de défense afin de lui laisser le temps de fuir. Mais les 
gendarmes, à coups de crosses, dispersèrent les défenseurs et 
comme le vicaire allait sauter par la fenêtre, il fut appréhendé et 
emmené. C’est ainsi qu'Ulflingen se vit abandonné du dernier 
franciscain. Au moment où on l’entrainait, le prisonnier se tour- 
nant vers le traître le menaça de la colère de Dieu et lui 


(1) Pint. Ons Hemecht. 


206 LES FRANCISCAINS 


prédit une fin misérable s’il ne se repentait sincèrement. La 
prophétie se réalisa. 

Le peuple avait horreur de tremper dans l’achat des biens sé- 
cularisés du clergé, qu’il appelait les biens noirs. Merscher, en 
1804, acheta de seconde main la plus grande partie des bâti- 
ments et des jardins de l’ancien couvent. Dans les derniers jours 
de cette même année il s'était rendu à Clairvaux. En revenant 
chez lui, il se trompa de chemin et tomba dans un ruisseau glacé. 
Le lendemain, 28 décembre 1804, on retrouva son cadavre. (1) 
Cette histoire est bien connue de tous les gens du pays. 

Il n’y eut plus désormais de couvent de Franciscains dans 
le Luxembourg. Par contre, les Fils de saint François ont repris 
les traditions plusieurs fois centenaires de leurs prédécesseurs dans 
la petite ville de Bastogne et, depuis 4 ou 5 ans au plus, tout 
contre le chemin de fer du sud, ils ont élevé leur église et leur 
couvent. 


Les successeurs actuels des Franciscains à ‘Ulflingen. 


Si les Franciscains, depuis la Révolution, n'ont pu reprendre 
dans le Luxembourg leur œuvre bienfaisante, le sol où ils ont 
travaillé a fait fleurir d’autres plants d'élite. Dans le voisinage 
des Cinq Fontaines, le très pieux et savant chanoine Dehon, de 
Saint-Quentin a envoyé une de ses colonies de la congrégation 
des prêtres du Sacré-Cœur de Jésus. qui est devenue un noviciat 
pour la formation des frères lais de cette société méritante. Par- 
mi les œuvres entreprises par les prêtres du Sacré-Cœur, il faut 
citer les missions africaines au Congo. Mais pour arriver à civi- 
liser complètement ces races déshéritées, il faut, aux instructions 
qui doivent développer et élever leurs âmes, ajouter l'éducation 
du travail dans toutes ses branches. C’est pour former des frères, 
destinés à diriger ces différents travaux, que le noviciat des 
Cinq Fontaines a été établi. Dans ces derniers temps un novi- 
ciat de prêtres de cette même congrégation a été fondé dans la 
province allemande. Ce couvent est appelé le couvent des cinq 
plaies du Seigneur et, en souvenir des Fils de saint François, 
dans la contrée, les fondateurs ont ajouté un second titre: « et 
des stigmates de saint François ». 


(1) Le pasteur Pint a conté cette histoire dans : Ons Hemecht. 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 297 


Le deuxième ordre Franciscain au pays de Luxembourg. 


En l’année 1234, la pieuse comtesse Ermesinde érigea, sur 
un rocher aigu, devant les portes de la ville de Luxembourg, le 
monastère du Saint-Esprit. Les moniales à qui cette demeure se 
préparait avaient adopté la règle des Pénitentes de Sainte Marie- 
Madeleine. C'était un ordre né à Spolète en 1221, alors que saint 
François prêchait en cette ville. Mais en 1234 la communauté 
adopta la règle séraphique du deuxième ordre, adoucie par le 
pape Urbain IV. Les annales historiques de Bertholet (1) con- 
tiennent la bulle du Pape, datée du 12 juillet 1234. Urbain IV, 
à la prière du Comte de Luxembourg, consentait à admettre les 
sœurs de la pénitence du cloître du Saint-Esprit dans l’ordre des 
Clarisses, appelées plus tard Urbanistes. Ce monastère devint 
une caserne en 1684, lors de la domination de Louis XIV sur 
nos provinces. Les sœurs reçurent en échange une maison au 
Pfaffenthal, en 1688. Elles y restèrent jusqu’à la dispersion des 
couvents à la fin du XVIII: siècle, menant leur vie de prière, 
de pauvreté et de pénitence pour la plus grande bénédiction du 
pays. 

Le comte de Luxembourg, Jean l’Aveugle, s'était obligé par 
vœu, à construire un monastère de Clarisses à Echternach. Sa 
mort sur le champ de bataille de Crécy l’empêcha d'exécuter ce 
vœu. Mais son fils, Charles IV, roi de Bohême et comte de Lu- 
xembourg, voulut mettre à exécution la promesse paternelle. Un 
acte, daté de Prague, du 11 mat 1348 commence par ces mots: 
Notreillustre Père Jean, de bienheureuse mémoire, roi de Bo- 
hême et comte de Luxembourg, avait décidé de bâtir un monas- 
tère dans notre ville d’Echternach en l'honneur du saint Nom 
de Dieu, sous la protection de la très glorieuse Vierge Marie, 
de sainte Claire et de saint Jean-Baptiste, et cela à ses frais... 

Charles IV remplit d’une manière royale le vœu de son père. 
Il bâtit le couvent d’Echternach et l'enrichit de nombreux privi- 
lèges, ordonnant qu'il s’y trouvât toujours trente-trois religieuses 
en l’honneur des trente-trois années de Notre Seigneur, afin que, 
nuit et jour, la prière s’y élevât en son honneur. 

Il confirma ces privilèges après son élévation à l'empire. 
En 1357, par un édit adressé à tous les grands de l’Empire, 


(1) Tom. IV, p. 433. 


298 LES FRANCISCAINS 


l'Empereur déclarait prendre les Clarisses d’Echternach sous sa 
protection spéciale. Ce couvent fut destiné aux dames nobles et 
porta le nom de sainte Claire, quoique la règle stricte de la pau- 
vreté franciscaine y fut mitigée, ainsi qu’on le voit par la bulle 
du Pape Clément VI, datée du 4 mai 1346, approuvant la fon- 
dation. 

Le couvent des Clarisses d’Echternach resta toujours en rela- 
tions amicales avec les seigneurs de Clairvaux, ainsi que le 
prouvent les archives du château .On voit même trois abbesses de 
cette famille seigneuriale se succéder dans le gouvernement des 
Clarisses. Ce furent Agnès d’Eltz, Philippa de Brandenbourg et 
Francisca de Clairvaux. (1) 

Le deuxième ordre de saint François, comme le premier, a 
disparu du pays de Luxembourg mais les filles de sainte Claire 
ont pris leur refuge à Arlon, tout près de la frontière du grand 
duché. Elles suivent la stricte observance et prient jour et nuit 
pour tant de malheureux qui ont oublié la prière et pour tous 
les coupables si nombreux de nos temps. 


Le tiroisième ordre de saint François en Luxembourg. 


Chaque couvent franciscain s’adjoignit, dans nos pays,un cen- 
tre du troisième ordre, où les laïques de toutes conditions prati- 
quèrent la pénitence. Nous n’avons que peu de renseignements 
sur ce troisième ordre. Nous ne possédons que les registres 
d'inscription venant du couvent de Diekirch, de 1680 à 1781. (2) 
Ii ressort de ces listes que la majeure partie du clergé séculier 
du pays faisait partie du tiers-ordre. [1 témoigne également que 
ce clergé possédait un esprit de vraie piété et que les curés et 
autres prêtres de paroisses avaient une grande affection pour tous 
les ordres religieux et surtout pour les franciscains. Le registre 
de Diekirch contient aussi beaucoup de noms de tertiaires qu’on 
retrouve encore actuellement dans nombre de villages des envi- 
rons d'Ulflingen et qui sont ceux de familles considérées. Sauf ce 
registre,il nous reste bien peu de choses de la chronique du troi- 
sième ordre dans notre vieux duché. On peut trouver çà et là 
quelques indications dans les manuscrits et autres documents 
concernant l'Ordre en général. Nous lisons dans un écrit de Sé- 
bastien François de Blanchart, dernier rejeton mâle de la noble 


(1) Bertholet, B. V. p. 205. 
(2) Archives du Gouvernement, 


———" 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 299 


famille de ce nom, qu'il fut admis au tiers-ordre en la fête de la 
Portioncule par le gardien du couvent d'Hamipré. (1) 

Il existe aussi une famille franciscaine d’une catégorie toute 
spéciale, dans le tiers-ordre, c’est celle des ermites qui jadis bâ- 
üissaient leur petite demeure près des lieux de pèlerinages. Les 
ermites des Pays-Bas formaient une espèce de congrégation 
sous l'autorité religieuse et civile. Ils suivaient une règle très 
sévère et avaient leur propre général et leurs visiteurs. (2) 

La dépendance à laquelle 1ls étaient soumis et qui était locale à 
la Belgique (il ne faut pas les confondre avec les Camaldules et 
l’ordre des ermites)n’empêchait pasces ermites de vivre en relations 
intimes avec des couvents de certains ordres. Ainsi, au moyen- 
âge, l’ermite de Bieschend à Asselborn, et Mecher de Clairvaux 
étaient oblats de l’abbaye de saint Maximin de Trêves, l’ermite 
d’'Helzinger était oblat de l'abbaye de Stavelot, celui de Kaun- 
dorf, de l’abbaye de Münster. Les ermitages étaient la propriété 
de ces abbayes. 

On sait le goût très vif que saint François eut pour la vie éré- 
mitique qui fut celle de ses premiers enfants. Notre climat du 
nord ne permettait pas de vivre comme on le faisait dans les 
premiers couvents italiens. Cependant beaucoup d'ermites des 
chapelles de pèlerinage adoptèrent la règle du tiers-ordre de saint 
François. L’ermite de N. D. de Lorette à Clairvaux qu'il fut 
prêtre ou frère, était, en tant que tertiaire, en communication 
régulière avec les Franciscains d’Ulflingen. On voit dans les 
registres du couvent de Diekirch que l’on admit dans le troi- 
sième ordre les ermites de Fels, Schonkweiler, de la Sainte- 
Croix à Neuerburg, de Saint-Jean à Mersch, de la Sainte-Croix 
à Echternach, etc. 


La recluse Marguerite. 


Nous ne pouvons manquer de mentionner la bienheureuse 
recluse Marguerite, parmi les tertiaires les plus dignes de respect 
de notre pays de Luxembourg. Elle mourut en odeur de sainteté. 
Cette tertiaire naquit le 24 décembre 1592 au château de Stakert 
en Würtemberg, de Wolfgang Frinz, Baron de Luschen et de 
Polixène, née Baronne de Warmbt. Ses parents étaient luthé- 
riens et élevèrent d’abord leur fille dans l'erreur. Elle arriva 


(1) Sect. Hist. T. 52, p. 123. Chronique des Blanchart 
(2) Prof. Gustave Boulmont. Nos anciens ermitages. 


300 LES FRANCISCAINS 


comme noble dame à la cour du duc de Wurtemberg. Là s’é- 
veilla en elle les premiers désirs de revenir à l'église catholique. 
On ne sait pas trop ce qui put faire naître un tel désir chez la 
jeune fille, car elle vivait dans un frnilieu entièrement luthérien. 
Ne pouvant ni à la cour, ni au château paternel,se faire instruire 
dans la vraie foi, elle prit un parti héroïque. Renonçant à tous 
les biens de ce monde, elle s’habilla en pélerine et s'enfuit aux 
Pays-Bas. Elle réussit à échapper à ceux qu'on avait envoyé 
pour la ramener et arriva à Anvers. De là, elle passa à Einfeld 
où, dans l’église des Bénédictins de ce lieu, elle abjura l'erreur 
et rentra dans le sein de la véritable Fglise. 

Marguerite partit d’Einfeld en pèlerinage vers Trèves par Lu- 
xembourg, où elle se fixa. Après avoir été admise dans le troi- 
sième ordre franciscain, elle se fit faire une cellule à côté du por- 
tail de l’église des Clarisses du Saint-Esprit. La sœur Margue- 
rite y vécut 28 ans dans l'exercice de la prière et du jeûne le plus 
sévère. Par une ouverture grillée, la recluse pouvait voir l'autel 
de l’église. C’est par là qu’elle se confessait et communiait. Sa 
nourriture,qui ne consistait qu'en pain et en eau, lui était passée 
à travers une sorte de tour par une tertiaire nommée Jeanne 
Weiss, recluse elle-même,mais d’une réclusion moins sévère qui 
lui permettait quelque rapport avec le monde extérieur et aussi, 
de rendre à Marguerite les services indispensables. Quoique Jean- 
ne Weiss appartint elle-même à l’une des meilleures familles 
bourgeoises de Luxembourg et qu’elle possédât quelque bien, 
elle mendiait de porte en porte pour l'entretien de Marguerite, 
celle-ci ne voulant vivre que d’aumônes. 

De son vivant on considérait Marguerite comme une sainte, 
on demandait ses prières dans toutes les difficultés de la vie. Son 
confesseur et beaucoup de ses contemporains ont assuré que son 
intercession fut souvent exaucée d’une manière surnaturelle et 
miraculeuse. Marguerite mourut le 21 août 1651. Elle avait de- 
mandé à être enterrée dans l’église des Franciscains. Ses funé- 
railles furent un cortège de triomphe. Le gouverneur, les magis- 
trats, toutes les autorités du pays, le clergé tout entier, et le 
peuple en masse, l’escortèrent jusqu'au lieu de son repos. Très 
peu de temps après sa mort, on convertit sa cellule en chapelle. 
Dans cette chapelle, comme sur sa tombe qui se trouve devant 
l'autel de l’Immaculée-Conception, on vint en foule invoquer la 
bienheureuse et plus d’une fois on fut exaucé miraculeusement. 

Aujourd’hui le souvenir de la sainte fille de saint François 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 307 


s'esteffacé et bien peu de ceux qui arpentent le marché de Wilhem- 
platz savent que sous le pavé qu'ils foulent, reposent les osse- 
ments de la sœur Marguerite, si vénérée de nos pères, et qu'ils 
priaient avec tant de ferveur. 


LES CONGRÉGATIONS RÉGULIÈRES DE TERTIAIRES 
DANS LE LUXEMBOURG 


I 
Les Élisabetbinnes. 


On sait qu’il existe trois catégories de Tertiaires de saint Fran- 
çois. D'abord les tertiaires isolés qui sont admis dans l’ordre 
sans appartenir à aucun groupe et suivent la règle dans le 
monde. Puis les tertiaires réunis en fraternités qui, ainsi que les 
congréganistes de la Sainte Vierge des Jésuites, se réunissent 
dans une église sous la présidence d’un prêtre, autant que possi- 
ble franciscain. Enfin les congrégations régulières. Celles-ci 
sont ordinairement destinées au soin des malades ou à l'éducation 
des enfants, elles font les trois vœux ordinaires et suivent la rè- 
gle du troisième ordre dans toute sa sévérité. Parmi ces tertiaires 
réguliers, une congrégation se répandit dans le Luxembourg où 
elle existe encore. C'est celle de sainte Élisabeth ou les Élisabe- 
thinnes. La maison mère fut érigée en 1671 à l'hôpital bourgeois 
de Pfaffenthal par la générosité d’une riche et pieuse personne, 
Mademoiselle Maria Zorn, fille de Jean Zorn, avocat et conseil- 
ler de la province. La noble femme s'était vivement émue de la 
misère qui suivit l'épidémie de peste et voulait au moins venir 
en aide aux malades et aux abandonnés. 

Elle avait une maison dans la ville haute,en face de l’église de 
Saint-Michel, elle la convertit en hôpital qu'elle dota de revenus 
suffisants pour y entretenir une congrégation de sœurs garde- 
malades. Elle alla la chercher au couvent des Elisabethinnes 
d’Aix-la-Chapelle qui suivaient la règle du troisième ordre. On 
envoya trois sœurs que Maria Zorn installa dans la maison, 
dont elle donna aussi le jardin en y joignant quelques revenus. 
Peu de temps après, l'hôpital de Saint-Jean im Grund se trouvant 
dans une situation difficile, Maria Zorn eut l’idée d’unir sa fon- 
dation à celle de cette maison de charité. Ces avances furent 
reçues avec gratitude et comme la petite congrégation s'était aug- 


302 LES FRANCISCAINS 


mentée de quantité de postulantes, on put mettre les Élisabethin- 
nes en possession du dit hôpital par une installation solennelle 
qui se fit en Juillet 1672. Depuis ce jour jusqu’à cette heure, les 
tertiaires de sainte Élisabeth n’ont cessé de prodiguer aux pau- 
vres et aux malades de Luxembourg leurs soins dévoués. Elles 
eurent à souffrir pendant la Révolution. Leur congrégation fut 
dissoute le 9 novembre 1796 et les biers de l'hôpital séquestrés 
et remis à une commission laïque. 

Mais les Sœurs, que l'amour du prochain et de leurs malades 
rendaient ingénieuses,ne voulurent pas abandonner ceux qu’elles 
soignaient avec tant d’abnégation. La Supérieure, Marie Angé- 
lique Petit dit à ses filles : — « Quittons nos habits religieux et 
servons les pauvres comme des servantes. Personne ne peut 
nous en empêcher ! » La moitié des Sœurs acquiesça à la pro- 
position de la supérieure, les autres rentrèrent dans leurs 
familles. 

Napoléon laissa les Élisabethinnes se rassembler de nouveau 
en congrégation. Marie Angélique Petit rappela à l'hôpital 
Saint-Jean son troupeau dispersé et le 3 août 1805, toutes repri- 
rent l’habit religieux en une grande cérémonie présidée par le 
vicaire général Neunheuser. 

Le nombre des sœurs augmentant de plus en plus, l’évêque 
de Metz, Monseigneur Jauffret, envoya quelques-unes d’entre 
elles pour renforcer la congrégation de Sainte-Chrétienne. 

Les guerres meurtrières de cette époque ayant amené une 
grande misère, les hôpitaux étaient toujours remplis. Après la 
bataille de Leipzig, lorsque les Français quittèrent l’ Allemagne 
pour rentrer en France, ils apportèrent une maladie à l'hôpital 
de Luxembourg, qui ressemblait fort à la peste. Beaucoup de 
sœurs de Sainte-Chrétienne et d’ Élisabethinnes furent victimes 
du fléau, frappées au service des malades. 

De meilleurs temps vinrent à la chute de Napoléon. La con- 
grégation de Sainte Elisabeth prospéra. En 1843, l'hôpital de 
Saint-Jean im Grund fut transféré au couvent du Saint-Esprit de 
Pfaffenthal et ainsi les tertiaires héritèrent de la demeure des 
filles de Sainte Claire, qui pendant six cents ans, y avaient pra- 
tiqué les vertus les plus séraphiques. 

En 1844, l’évêque Laurent, vovant que les Élisabethinnes se 
recrutaient moins, eut l'idée de leur joindre les Borromériennes, 
qui desservaient l'hôpital d’'Echternach. Il envoya donc quatre 
Borromériennes à Pfaffenthal. Cet essai ne réussit pas. Il eut 


DANS LE GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG 303 


cependant un bon résultat. Monseigneur Laurent décida par 
ses pressantes instances, une des religieuses les plus distinguées 
de l'ordre de Borromée, à entrer à Sainte-Élisabeth. C'était 
Hildegarde de Lavaulx, femme douée de grandes vertus. Elle 
devint supérieure et sous sa direction, l’ordre reprit une nou- 
velle vie, Il s'étendit dans tout le pays et jusqu’en Belgique, où 
il forma une seconde branche de l’ordre non moins méritante 
que la première. 


Les Franciscaines. 


Le Luxembourg actuel possède une seconde congrégation ré- 
gulière de tertiaires. Ce sont les Franciscaines dont la maison 
mère est au Fischmark, à Luxembourg. La vénérable Mère 
Francisca Dufoing d’Aigremont fonda cette congrégation sous 
le patronage du saint évêque Laurent et avec le concours du 
pieux professeur Sühs. Sühs avait été le compagnon d'études 
du prélat, qui l’avait appelé de Liège à Luxembourg pour lui 
confier le soin d'organiser son séminaire. Sühs reçut aussi la 
charge d’âmes de l’hôpital et la direction des Élisabethinnes 
qui s’y trouvaient. 

Mademoiselle Dufoing d’Aigremont appartenait à une noble 
famille du duché de Luxembourg. Elle était très charitable et 
comme son père remplissait les fonctions de comptable de l'hô- 
pital ; elle y passait de longues heures, aidant à soigner les mala- 
des partout où on l’appelait. Elle comprit que Dieu la voulait 
dans une vie plus parfaite. Mais les Élisabethinnes ne l’atti- 
raient pas. Elle pensait entrer aux Carmélites de Namur. Son 
confesseur qui était Monsieur Sühs l’en empèêcha. Après un long 
espace de temps consacré à la prière, aux exercices de mort à 
elle-même et à la charité, elle se décida à créer une congrégation 
spéciale de filles de Saint-François dont le premier devoir serait 
le soin des malades à domicile. On se demande comment le 
professeur Sühs qui avait eu tant de part aux vicissitudes des 
Élisabethinnes dont il était le directeur, et chez lesquelles il 
avait amené la Mère Hildegarde de Lavaulx eut l’idée de créer à 
côté de ses filles une seconde congrégation aussi semblable à la 
première ? C’est que le prêtre éclairé possédait une rare compré- 
hension de la psychologie de l’état religieux, de la vocation d'un 
ordre, aussi bien que des besoins du pays. La multiplicité des 
vocations diverses n'exclut pas l’unité de l’œuvre divine qui agit 


304 LES FRA:CISCAINS 


aussi bien dans la nature visible que par le Saint-Esprit dans la 
mystérieuse conduite de l'Eglise du Christ. Cette diversité dans 
l'unité découle de l'utilité et de la beauté de l’œuvre divine. Il 
est donc beau et utile que le fertile jardin de saint François pro- 
duise sans cesse de mystiques roses ornant toujours davantage la 
demeure céleste, par la variété et le charme de ses fleurs sans 
cesse renaissantes. 

Grâce à la générosité de la famille Richard, les Sœurs de saint 
François purent venir s'établir à Clairvaux, il y a environ vingt 
ans. Cette pieuse famille continua ses charités par d’autres fon- 
dations bienfaisantes. L'hôpital prit une extension toujours crois- 
sante, si bien qu’il fallut bâtir un nouveau couvent, joint à un 
hôpital plus grand et à un asile pour les vieillards. Les subsides 
considérables du comte de Berlaymont et de Monsieur Léo- 
pold Richard permirent d'achever ces bâtiments et d’entrepren- 
dre ensuite l’érection d’une nouvelle cure à Clairvaux. 

Ainsi se sont renouées les anciennes traditions franciscaines à 
Clairvaux, consacrées depuis trois cents ans. Puisse la bénédic- 
tion divine reposer sur les filles de saint François et leur conti- 
nuer son esprit séraphique dans l'exercice de la charité pour les 
membres souffrants du Seigneur. 


M. DE VILLERMONT. 


DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 
DE L'ORAISON AU MOYEN AGE () 


Oh ! quel titre suggestif que celui de la brochure du R. P. Antoine 
de Sérent. Quand l'annonce de sa conférence fut publiée l'hiver 
passé, je me hâtai de m'inscrire au nombre de ses auditeurs et je fus 
le premier à donner, avec cent autres, les applaudissements les plus 
légitimes au R. Père à qui m'attachent les liens d’une déjà longue 
amitié. L'estime profonde qu'il nourrit en son cœur pour nos Études 
Franciscaines et pour notre famille capucine des Frères Mineurs l'a 
poussé à me demander mon avis sur un sujet que j'avais moi-même 
longuement étudié. J'aurais eu mauvaise grâce à refuser, puisque 
j'étais .ertain d'avance que mes réflexions, justes ou mal fondées, 
seraient accueillies avec grande bienveillance et curiosité. Au surplus 
n'ai-je point la prétention de trancher une question, mais de la 
débattre. | 


* 
x + 


La thèse de la brochure du KR. P. Antoine est celle-ci : « Nous 
faisons, depuis le XVIe siècle, oraison comme on ne le faisait pas au 
moyen âge. Revenons à la méthode des anciens, c'est la bonne, nous 
y aurons tout profit ». 

Quelle est cette méthode moderne ? C’est la méthode qui consiste à 
prendre un livre, à se livrer à un travail d’esprit, passant par la 
construction du lieu, la réflexion, l'affection, la résolution ; c'est en 
un mot (le P. Antoine ne le dit pas en termes très précis) la méthode 


(1) À propos de cette publication: Fr. Antoine de Sérent, Prédicateur O. F. M. 
La méthode d'oraison du moyen-äâge et ses chances de succès au X X° siècle, Confé- 
rence faite à l'Institut catholique de Paris le 28 février 1912.Lille. Giard. 1912. in-12° 
de 63 pages. — Le P. Antoine a précédemment publié L'Enseignement du latin 
liturgique dans les Écoles et les œuvres de jeunesse. Rapport présenté à la Semaine 
Liturgique de Louvain le 10 août 1911. Lille. Giard. 1911. in-12°. 


E. FF, — XXIX. — 20 


306 DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 


connue de saint Ignace, aujourd’hui usitée le plus habituellement, 
paraît-il, avec la lecture des livres de M. Hamon curé de St-Sulpice 
(Paris) et du P. Chainon S. J. Avec cette méthode l'oraison s'opère 
par déclanchement, à heure fixe, et en commun si possible, dans une 
église ou dans une chapelle. 

Quelle est la méthode du moyen âge ? C'est celle qui consiste à faire 
oraison en se nourrissant des prières du saint office liturgique récité 
en son particulier ou chanté suivant les règles de la liturgie sacrée, 
c'est l’oraison « à base liturgique », c’est l’oraison qui s’unit étroitement 
à l'esprit du cycle ecclésiastique, et vit avec lui. Cette oraison mène à 
la plus haute contemplation. 

Et voici la conclusion : 

Revenons à la « méthode du moyen âge » : tout nous y convie. La 
« méthode moderne » laisse mourir d’inanition beaucoup d’âmes de 
bonne volonté ; la méthode du moyen âge a pour elle son antiquité, 
elle a formé de grands saints, elle est moins favorable à la naissance 
des distractions et des illusions, elle est hygiénique (sic. p. 50), elle 
satisfait encore beaucoup d’âmes qui la connaissent de nos jours, elle 
est favorisée par la réforme du psautier ordonnée par Pie X dans la 
bulle Divino À flatu. 

Tel est le résumé très pâle de la vivante et spirituelle conférence du 
P. Antoine. Du moins tels sont les trois points : « méthode moderne, 
méthode du moyen âge, avantages de cette dernière, » sous lesquels 
je crois pouvoir ramener les idées de sa théorie qui ne m'a pas parue 
exposée clairement et nettement. 

Je dois ajouter, pour être complet, que l’auteur n’établit pas 
d'opposition entre la prière liturgique, déterminée par l'Église, et la 
prière individuelle, libre d’allure et de procédé. « La première n'existe 
pas pleinement sans la seconde, la seconde emprunte ses forces à la 
première et s'appuie sur elle avec sécurité. L'Église ne mutile pas 
l'âme humaine, ni ne diminue ses aptitudes pour aller à Dieu. Elle 
fixe et détermine les formes de la prière officielle et laisse ensuite aux 
âmes la liberté de leurs effusions personnelles avec Dieu...» Et un 
peu plus haut ces paroles: « Nous n'ignorons pas que la prière 

individuelle peut s’alimenter à une source privée ; mais il n’en est 
pas moins vrai que la principale et la plus abondante source de la 
contemplation se trouvera toujours dans l'office divin » (r). 

Sur ce sujet de l'union des deux oraisons mentale et liturgique, 


(1) La Méthode d’oraison. p. 54-56. Citation faite par le P. Antoine et tirée de 
La Vie Spirituelle et l’Oraison. Paris. 1905. p. 149-151. 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 307 


comme sur la nécessité de joindre l’oraison mentale avec la vocale, et 
l’oraison actuelle avec l'habituelle, tout le monde est d'accord. 


* 
+ + 


La première réflexion qui vous vient à l'esprit après l’audition de la 
conférence du P. Antoine, est celle-ci : l’auteur met tout en beau ce 
qui touche « la méthode du moyen âge », il pousse tout au noir les 
aspects de « la méthode moderne ». Il va jusqu'à qualifier cette dernière 
de semi-protestante (p. 49) ; il va jusqu’à dire : « L'exercice de l'orai- 
son à la moderne a détourné les esprits de la vraie prière liturgique. 
On dit encore les prières liturgiques... mais on ne les goûte plus. On 
semble ne plus soupçonner la moelle nourrissante qui s’y trouve. Ainsi 
il y a des religieux et des religieuses (sans parler des fidèles) qui ne 
suivent jamais leur messe. Pour eux le sacrifice n'est pas considéré, la 
communion est tout » (p. 38). 

Le P. Antoine suppose ainsi toujours que l’âme fidèle fait la prière 
liturgique à la perfection, et l’oraison moderne de la manière la plus 
déplorable. Pour être équitable il aurait fallu comparer les deux 
systèmes dans leur idéal (1). 

Je veux bien que le R. P. Poulain légitime cette indignation, et que 
par suite il n’ait pas le droit de se plaindre de passer un mauvais quart 
d'heure. Pourquoi ce P. Poulain (qui est mathématicien et non pas 
historien) nous dit-il aussi que les anciens s’habituaient à vivre d’un 
petit nombre d'idées ? Ce n’est flatteur ni pour saint Thomas, ni pour 
saint Bonaventure, ni pour le B. Duns Scot et tutti quanti. Pourquoi 
ajoute-t-il qu'à la suite de la Renaissance, la pensée humaine est 
devenue plus remuante, et que c'est ce changement qui a motivé le 
progrès introduit en l’oraison au XVI: siècle? Expliquez alors pourquoi 
sainte Thérèse et les Carmélites, qui sont cloîtrées, ont ajouté à leurs 
exercices une heure d’oraison mentale. Leur vie est-elle devenue plus 
remuante en devenant au contraire plus renfermée ? Mystère ! (2) 


(1) A la p. 49 et 50, le P. Antoine cite avec approbation un « vieux prêtre » qui 
s'écrie à la Semaine liturgique de Louvain : « Des horizons nouveaux se sont 
ouverts pour moi ; le missel, le bréviaire, le rituel, ces grands trésors du prêtre, de 
sa vie intérieure comme de son apostolat : quelle révélation faite, hélas, après 37 ans 
de vie sacerdotale | Cette Semaine me vaut plus que toutes les retraites faites jus- 
qu'ici... Jusqu'ici ma piété a été exclusivement individualiste, isolée, protestante ; à 
partir d'aujourd'hui elle sera avant tout collective, sociale, catholique ». Que d’exa- 
gérations ! 

(2) Je n’ai pas goûté beaucoup les paroles un peu dédaigneuses du P. Antoine a 
propos de sainte Thérèse (p. 15-21), ou de « ceux qu'on appelle les grands mystiques 
des XVI® et XVII° siècles » (p. 22). Sainte Thérèse, saint Jean de la Croix et saint 


308 DE LA METHODE TRADITIONNELLE 


Il est clair que le P. Poulain n’a pas toujours la vérité pour lui. 

Mais la « méthode moderne », lisez celle de saint Ignace, est-elle 
moins hygiénique que la « méthode du moyen âge » f Méditer, dans 
l'obscurité et dans la retraite, sur un texte nourri et saturé d'expressions 
bibliques et patristiques, comme par exemple les Méditations sur la 
Passion du P. Gaétan M. de Bergame, est-ce donc si mauvais? La 
méthode moderne n'est-elle point approuvée par l'Église ? n'a-t-elle 
jamais été employée par les Saints, au moins en leurs débuts ! Saint 
Léonard de Port-Maurice n’en a-t-il jamais fait ses délices ? de même 
le bienheureux curé d’Ars f Une des raisons de la renaissance religieuse 
du XVIIe siècle n'est-elle point l'introduction de l'oraison ignatienne Ÿ 


# 
» 


La critique la plus grave que je ferai à notre auteur de La Méthode 
d'oraison, c'est d’avoir confondu deux choses absolument différentes : 
1. les sources de l'oraison ; 2. la méthode de l'oraison. Il nous 
annonce qu’il va nous entretenir de la méthode, il ne nous parle que 
des sources. Le lecteur est désappointé. : 

Le P. Antoine mérite notre assentiment quand il affirme et prouve 
que le saint office est une excellente source de la prière et de l'oraison 
et de la contemplation ; mais il n’est plus dans le même cas quand 
il place dans cette source la note caractéristique de l'oraison au 
moyen âge. De tout temps on a fait oraison en s'inspirant non 
seulement de l'office, maïs du travail (intellectuel ou manuel), de la 
piété individuelle et de la lecture de tout bon livre. 

J'en ai pour preuve, entre mille détails, les consolations sensibles 
que saint Ignace lui-même goûtait à la récitation de son bréviaire, et 
cet ouvrage si important cité par le P. Antoine en personne, le Traité 
de l'office divin dans ses rapports avec l'oraison mentale, écrit par un 
oratorien fameux le P. Thomassin, à la fin du XVIIe siècle, en 1695. 

Dans la vie de Madame d’Houet (par l'abbé F. Martin. Paris. 1863. 
p. 353) voici ce que je lis : « Elle n’aimait pas les petites dévotions 
personnelles et de fantaisie ; elle àimait et goûtait par dessus tout les 
grandes pratiques de l’Église, ses prières, ses cérémonies, son culte : 
elle y trouvait une féconde sève de vie. La seule succession des fêtes 


Ignace sont certainement des princes de la mystique. — Ne pouvait-on pas non plus 
trouver une meilleure exposition de la vie contemplative que celle de Jean deSt-Samson 
(p- 13 et 14) dont sourit le P. Antoine ? Le Traité de théologie mystique attribué à 
l’Aéropagite ne compte-t-il pour rien, lui dont l'influence fut si profonde sur la vie 
d'oraison au moyen âge ? Ce traité n’est même pas cité par le P. Antoine, ni du reste 
aucun texte du moyen âge. 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 309 


et le cycle ecclésiastique lui paraissaient une source de perfection 
chrétienne ; elle ne tarissait pas de paroles quand elle touchait à ce 
grand sujet. chaque fête semblait avoir pour elle une atmosphère 
particulière... Ses lettres sont pleines de ces suaves émanations. » 
Madame de Bonnault d’Houet fut une fille spirituelle des Jésuites et la 
fondatrice d’une Congrégation religieuse. Son cas nous semble donc 
très typique et bien prouver que même à une époque tardive, comme 
le XIXe siècle, on n’a point abandonné la prière liturgique. (1) 

D'autre part, est-ce qu'en plein moyen âge, saint François ne 
s'inspire pas de tout, et de la nature et du souvenir de la Passion, et 
de ses propres méditations ? et cela en dehors des prières liturgiques ? 
Est-ce que dans des règles qui eurent une influence profonde, celle 
par exemple des Humiliés, des Fratres de Pænitentia, l'office ne se 
réduit pas à la récitation très courte d’un certain nombre de Pater ? 
Est-ce que dans ses Constitutions, saint Dominique n’ordonne pas 
d’abréger quelquefois l’office pour se livrer à l'étude ? Chez les Domi- 
nicains, créés en plein moyen âge, ne doit-on pas « chanter l'office 
brièvement et sans traîner afin que les Frères ne perdent pas la 
dévotion et aient le temps d'étudier » ? Humbert de Romans, O. P. 
explique ce passage de cette façon : « Les Constitutions ne mettent pas 
l'étude au dessus de la prière ; elles lui sacrifient seulement la longueur 
exagérée de celle-ci. Il est préférable d’avoir un office bref avec l'étude, 
qu'un office long qui empêche d'étudier, et cela à cause des nombreux 
avantages de l’étude » (2). Le P. Antoine cite un texte de 1523 
(Wadding. Ann. Min. Rome 1736. t. XVI. p. 168) d'après lequel 
«le chant (non pas la récitation) de l'office est prohibé et l’oraison 
tient une place importante ». Ce texte législatif vise cinq couvents de 
récollection chez les F. M. d'Espagne. Est-ce donc un texte qui n’a 
pas d’antécédents au moyen âge ? 

Je vais plus loin. Est-ce qu’en plein moyen âge, comme de nos 
jours, les clercs n'étaient pas les seuls à réciter le bréviaire ? Faut-il en 
conclure que les laïques d’alors ne firent point saine et bonne oraison, 
et qu'aucun ne put parvenir à un haut degré de sainteté ? Et à l’heure 
actuelle, doit-il en être de même pour les religieuses qui ne récitent 


(1) Dans une notice sur une Visitandine, Marie-Thérèse Danville, morte le 19 dé- 
cembre 1815 au monastère de la rue des Postes à Paris, je lis qu’elle s'était toujours 
montrée saintement passionnée pour le chant du Saint Office (Soc. hist. et arch. de 
l'Orne. Bulletin. t. XXXI (1912) p. 338. art. de M. Legros.) Que de traits semblables 
nous pourrions relever ! — Est-ce qu'un roman moderne La Cité des Lampes par 
Claude Silve (M'e de Lévis-Mirepoix) Paris (1912) ne met pas précisément en relief 
ce rôle de la prière liturgique ? 

(2) Humbert de Romans Opera. éd. Berthier. t. IL. p. 102. 


310 DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 


journellement que l'office de la sainte Vierge, pour nos saints frères 
tertiaires laïques, pour les frères lais qui ne récitent, dans les ordres 
religieux, que l'office des Pater ? Les fidèles qui ne font que dévider 
leur chapelet, sont-ils voués à l’anémie spirituelle ? C'est l'Église qui 
prescrit ou approuve cet office si simple. En ce faisant, manque-t-elle 
à son devoir ? 

Nous savons comment, au moyen âge, saint François et ses frères 
priaient, au début de leur Ordre. Ils ignoraient l'office divin, et 
sur le conseil de leur fondateur ils disaient : « Nous vous adorons, Ô 
Christ, et nous vous bénissons dans toutes vos églises qui sont sur toute 
la terre, parce que vous avez racheté le monde par votre sainte croix » 
(I Cel. 45. éd. Édouard. p. 47-48). Et le ms, de Fribourg du Liber 
de Laudibus raconte que les Frères récitaient trois Pater pour 
chaque heure de l'office ; il ajoute que François avait établi cette 
règle afin de ne pas empêcher les prières mentales privées (Lib. de laud. 
éd. Hilarin. p. 79) (1). 

S'agit-il d'une époque plus reculée, du temps de saint Benoit ? Le 
temps est partagé entre le travail et la prière liturgique, et l’un et 
l’autre, l’un autant que l’autre, servent à alimenter l’oraison du moine 
séparé matériellement de toutes les distractions du monde. 

Chez les Bénédictins, d’ailleurs, il est prouvé qu’au moyen âge peu 
savaient le latin, et par suite peu comprenaient le bréviaire. En 1235 
et en 1237 Grégoire IX, réformant les moines noirs, veut qu'après la 
lecture de la Règle on l'explique ensuite en langue vulgaire « parce que 
dans beaucoup de monastères peu la comprennent » (2). 

Dans ces mêmes statuts réformant l’Ordre bénédictin, statuts aux- 
quels je viens de faire allusion, un seul article (3), sur cinquante 
quatre, a trait à la prière; les autres regardent la formation des novices, 
l’observance régulière, le travail et la pauvreté. 

Non, la vraie distinction des méthodes ancienne et nouvelle de 
l'oraison ne consiste pas en ce que la première s’alimente dans la 
récitation du saint office (bréviaire et messe) et s'inspire du cycle 


(1) Cf. Thomas de Celano. éd. Édouard. p. 245-246 : De studio orationis 
S. Francisci, 

(2) Reg. Grég. IX. éd. L. Auvray. t. II (1907) col. 329, n° 45 : « Quia in multis 
monasteriis a paucis intelligitur Regula cum legitur, prœcipimus ut lectio Regule 
que legitur in capitulo, propter minores statim exponatur in vulgari ab illo qui 
capitulum teneat, vel ab alio cui ipse duxerit injungendum ». 

(3) L'art. L: « In primis statuimus quod omnes monachi constituti infra abbatiam, 
exceptis infirmis et cüustodibus eorundem, mox ut audierint signum, relictis agen- 
dis omnibus, cum nil sit divino operi preponendum, ad ecclesiam cum debita matu- 
ritate festinert et cum timore et reverentia Domino in Ecclesia serviant, secundum 
regulam, principium, medium et finem horarum tenentes ». 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 311 


liturgique, alors que la seconde se nourrit des textes de pieux auteurs 
modernes. Avant le XVIe siècle, l’oraison s’abreuve à d’autres sources 
qu'à la prière liturgique. Après le XVIe siècle elle n'oublie pas cette 
source féconde. 

Cette distinction ne réside pas non plus dans le fait accidentel que 
depuis le XVIe siècle, ce qui est la vérité, l’oraison est devenue un 
exercice obligatoire de piété. Le texte de la Vera Explicatio du 
P. Bonite Combasson (dont la première édition est de 1628 (1), mon 
Révérend Père, doit s'entendre en ce sens que l'exercice en commun 
de l'oraison à l’église ou au chœur devient à cette époque obligatoire, 
mais qu'il se pratiquait déjà d’une manière privée, en cellule ou 
ailleurs. Certains textes déjà cités le prouvent. De plus, est-ce que 
l'on a écrit des Méditations seulement à partir du XVIe siècle ? Est-ce 
que le moyen âge n’a pas été imprégné, que dis-je, saturé des admi- 
rables Meditationes Vitæ Jesu Christi de Jean de Caulibus, de la 
Legenda Aurea, du Stimulus Amoris ? Saint Bernard (1091-1153), 
Richard de Saint-Victor (+ 1173) avec ses deux traités de la contem- 
plation le Benjamin major, et le Benjamin minor, ne vivaient-ils pas 
au XIIe siècle? Les Collationes de Cassien (f 450), quand les faut-il 
placer ? Et Dieu sait si ces auteurs et beaucoup d’autres, étaient lus et 
relus, et si leurs livres servaient à faire oraison : ils étaient précisément 
rédigés dans ce but. Je me ferai peut-être un jour le malin plaisir de 
montrer tout ce que saint Ignace doit à ces Meditationes vitæ Jesu 
Christi du moyen âge. Ce sera la meilleure preuve que la différence 
essentielle de l’oraison traditionnelle et de l’oraison moderne ne réside 
point dans les sources de l’oraison, ni dans le caractère obligatoire de 
cet exercice devenu méthodique. 

I] me suffit de remarquer aujourd’hui qu'aucun auteur ascétique, 
depuis le XVIe siècle, n’a songé à supprimer la prière mentale qui doit 
accompagner la vocale dans l’exercice de la prière liturgique (2). Il 


(1) Le P. Antoine cite Combasson (Cf. Wadding. Scriptores. 1650. p. 85) d’après 
l'édition de Colon. Agrip. 1641. — J'ai vu les éditions latines de 1628, 1630, 1641 
et 1662, et les traductions françaises de 1648 et 1662. — Wadding cite des éditions 
latines de 1629, 1630 et 1640. — Qui était donc ce P. Combasson, mineur conven- 
tuel savoyard et fervent apologiste des Capucins ? Franchini (Bibliosofia. Modène. 
1693. p. 141. n° 82) qui signale des éditions latines de 1628, 1629, 1630, 1640, croit 
que Bonite Combasson est un nome suppositiccio et Sbaralea un nomen confictum 
(Supplem. 2° éd. 1906. p. 196). — La Vera et dilucida explicatio praes. status totius 
ser. fr. Min. relig. a été mise à l’Index le 10 juin 1658. Elle ne se trouve plus 
dans l’Index de 1900, 

(2) Le P. Antoine est volontiers d'avis de supprimer l'exercice d'oraison métho- 


312 DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 


me suffit d'observer que le bréviaire lui-même contient des leçons du 
troisième et du second nocturne, et que ces leçons ne sont autre chose 
que des extraits des livres des SS. PP. du moyen âge. Ces écrits ne 
sont-ils donc édifiants qu’à l'office et seulement dans les passages cités ? 
Si le moyen âge, et tout particulièrement le haut moyen âge, s'est 
davantage servi de la Bible, c’est parce qu'en fait de textes littéraires, 
la Bible seule était répandue, et à la portée de presque tous. La Bible, 
c'était le livre, à B&6dos, celui dont le fidèle pouvait réclamer du prêtre 
la lecture. Les autres ouvrages ont servi à alimenter la piété et 
l'oraison au fur et à mesure que les manuscrits, puis les imprimés se 
sont multipliés, ce qui est tout naturel. 

Ajouterai-je que telle sainte du moyen âge — Colette de Corbie — 
ne se plaisait guère à lire les leçons de l’Ancien Testament, et lui 
préférait de beaucoup, pour sa piété, les pages du nouveau (Cf. Vies de 
sainte Colette. 1911. p. 60, 62) ? Qui se délecte, à l'heure actuelle, à 
méditer certains passages de l’histoire de David ou les leçons histo- 
riques de sainte Agathe ? Même dans l'office, source de l’oraison, il y 
a un choix à faire. 

. Je ne puis analyser toute la Patrologia latina de l'abbé Migne ; mais 
tel passage de saint Bernard ne distingue-t-il pas, dès le moyen âge, 
les deux raisons pour lesquelles le moine peut entrer à l'église : ad 
orandum aut ad psallendum ? 

Prenons seulement (tom. LXVI) la Règle de saint Benoît. Sur 73 
chapitres, les ch. [X-XIX sont consacrés aux rubriques du bréviaire. 
Mais dans le ch. XX, ne lit-on pas ceci : Le reverentia orationis… 
Non in multiloquio sed in puritate cordis et compunctione lacrima- 
rum nos exaudiri sciamus. Brevis debet esse et pura oratio nisi forte 
ex affectu inspirationis divinæ gratiæ protendatur. In conventu 
tamen omnino brevietur oratio, et facto signo a priore omnes pariter 
surgunt (cf. le commentaire de ce passage. 1. c. col. 479-486). N'est- 
ce pas la méditation en commun ? 

La ch. XLII impose le silence après Complies : Omni tempore 
silentii debent studere monachi maxime tamen nocturnis horis. Et 
ideo omni tempore... si tempus fuerit prandii.. sedeant omnes in 
unum et legat unus collationes vel vitas Patrum aut certe aliquid 
quod aedificet audientes, non autem Eptaticum aut Regum, (1) 


dique : « Admettons que vous employiez une heure et demie à la récitation de votre 
bréviaire et une demi-heure à l’oraison méthodique. Je vous dirai : additionnez ces 
deux espaces de temps et vous aurez deux heures à consacrer à l'office divin » 
(P. 41-42). Trouvera-t-on jamais dans le moyen âge ou dans les temps modernes, un 
seul antécédent pour justifier ce conseil ? 

(1) L'Heptateuque, et les Livres des Rois. 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 313 


quia infirmis intellectibus non erit utile illa hora hanc Scripturam 
audire : aliis vero horis legantur. Si autem jejunii dies fuerint, dicta 
vespera parvo interyallo mox accedant ad lectionem collationum.… 

S'agit-il du travail (ch. XLVIII), travail des mains ou lecture 
pieuse,… si quis ita negligens et desidiosus fuerit ut non velit aut 
non possit meditari aut legere, injungatur ei opus quod faciat ut 
non vacet. 

Explique-t-on maintenant ce qu'est l’oratoire, le chœur du monas- 
tère (ch. LIT) ? Saint Benoît ne parle pas autrement que telle réforme 
religieuse du XVIe siècle : Oratorium hoc sit quod dicitur nec ibi 
quidquam aliud geratur aut condatur. Expleto opere Dei omnes 
cum summo Silentio exeant et agatur reverentia Deo, ut frater qui 
forte sibi peculiariter vult orare, non impediatur alterius improbitate. 
Sed si alter vult sibi forte secretius orare, simpliciter intret et oret 
non in clamosa voce, sed in lacrimis et intentione cordis. Ergo qui 
simile opus non facit non permittatur expleto opere Dei remorari in 
oratorio sicut dictum est, ne alius impedimentum patiatur (1. c. col. 
747-748) Cf. Constit. Fr. Min. Cap. III. 

Tel petit chapitre de la règle des Templiers (rééditée si savamment 
par M. G. Schnürer) nous révèle que ces laïques priaient en dehors 
de l'office liturgique. Sainte Claire, avec ses filles spirituelles, priait 
après Complies : Longis post Completorium tractibus cum sororibus 
orat (Leg. éd. Pennachi, p. 28), etc., etc. 

Lisons enfin les écrits de sainte Angèle de Foligno, morte en 1309. 
Elle distingue troissortes d’oraisons : l’oraison corporelle, l'oraison men- 
tale, l’oraison surnaturelle. « L’oraison corporelle suppose le concours 
de la voix et des membres, on parle, on articule, on fait le signe de la 
croix, les génufñlexions ont leur place dans cette prière » qu'il ne faut 
jamais abandonner. Dans l’oraison mentale, « la pensée de Dieu 
possède tellement l'esprit que l’homme ne se souvient plus de rien en 
dehors de son Seigneur... cette oraison coupe la langue qui ne peut 
plus remuer ». L'oraison mentale mène à l'oraison surnaturelle. Il y a 
oraison surnaturelle quand l’âme ravie au dessus d'elle-même par la 
pensée et la plénitude divine, et transportée plus haut que sa nature, 
entre dans la compréhension divine plus profondément que ne le 
comporte la nature des choses et trouve la lumière dans cette compré- 
hension ». La Sagesse Ineffable « a donné l’oraison corporelle pour 
marchepied de l'oraison mentale, et l’oraison mentale pour marche- 
pied de l’oraison surnaturelle » (Visions. trad. Hello. Paris. 1868. 
in-180. p. 204-297). 

La conclusion est évidente : l'exercice de la méditation, obligatoire 


314 DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 


depuis le XVIe siècle, se pratiquait bien avant cette époque, en dehors 
de l'office divin, d’une manière libre mais effective, ce qui est le 
principal. 

.. 

La différence cherchée entre les deux oraisons traditionnelle et 
moderne se trouve dans la méthode ou la marche suivie par les 
facultés de l'âme au moment même des actes de l’oraison. La différence 
n’est pas extérieure, elle est intérieure. Elle n’est pas du dehors, elle 
est du dedans. Elle n'affecte point la façade, ou la porte, ou le seuil, 
elle est dans le sanctuaire. 

Nous renvoyons ici pour plus de clarté et de commodité, aux 
excellentes définitions de notre confrère le P. Jean de la Croix (cf. 
Études Franciscaines. t. XXVIII (1912) p. 649) ou bien au beau livre 
du P. Ludovic de Besse La Science de la Prière. Rome. 1903. in-18o. 

Ces données posées, nous disons que l'oraison ancienne, la seule 
connue au moyen âge, est une oraison complète et non tronquée, une 
oraison d’épanouissement total. L'âme y mêle, de plus, le jeu de 
toutes ses facultés, surtout l’affective, et enfin cette oraison aboutit à 
la contemplation et a l’oraison de quiétude et de recueillement comme 
a son terme naturel. L'oraison moderne, au contraire, procède méca- 
niquement, met en branle l'imagination, puis l'intelligence, puis la 
volonté, puis le cœur, comme on fait mouvoir ses jambes et ses bras, 
automatiquement, l'un après l’autre, avec tant de minutes pour 
chaque exercice. La consigne est d'abord de méditer, et cela unique- 
ment sur un texte donné, puis de faire des actes d'affection, puis de 
prendre des résolutions. Finalement l'âme s’ausculte et se tâte le pouls 
par un examen sur les actes qu'elle vient de produire, puis elle s'arrête 
devant la contemplation comme devant une borne qu'elle n’a point à 
dépasser. Voyez l'ouvrage du P. de Maumigny. 

Dans la méthode ancienne, qui est la méthode traditionnelle de 
tous les temps et qui malgré tout s’est pratiquée à toutes les époques, 
même modernes, car elle n’a jamais été complètement délaissée, 1l n'y 
a pas de cloison étanche entre les divers actes, et la contemplation ou 
oraison de quiétude est souhaitable et peut être acquise ordinairement 
par tous (1). Dans les idées de l'école moderne qui n'existe que depuis. 


(1) Voyez l'Aiguillon d'Amour si répandu au moyen âge, et spécialement le 
ch. IV (dans mon édition p. 33) et l'appendice (p. 142-135). — Ou encore saint 
Bonaventure. v. gr. II Sent. Dist. 25. art. 11. et /n Hexameron. Collat. Il. — Ou 
enfin, pour choisir une autorité indiscutée, le P. André Baiole s. j. De la vie inté- 
rieure. 3° édition. Baume-les-Dames. 1849. in-8°. liv. 111. ch. I'et II. et Suarez De 
Relig. tom. 2. liv. 2. De oratione mentali. ch. 11. 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 315 


le XVIe siècle et que j'appelle l'école aristotélicienne, cette contempla- 
tion n'est pas dans les voies ordinaires de la perfection chrétienne, elle 
est dangereuse, on ne doit pas la demander à Dieu. 

Estote perfecti sicut et Pater vester cœlestis perfectus est, lit-on 
cependant en saint Mathieu. V. 48. 

Quand sainte Thérèse dit qu'elle demeura des années « plus atten- 
tive au son de l'horloge qu'à de pieuses considérations », elle veut 
préciser qu'elle ne connaissait que l’oraison de méditation pure et 
simple, et non l'oraison de contemplation. Le passage de l'une à 
l’autre, de celle qui lui répugnait à celle qui la satisfaisait, fut la 
grande révolution de sa vie et l'épanouissement de son âme. Et quelle 
en fut la cause ? Avant comme après ses sécheresses, elle récitait le 
saint office. La cause de sa « conversion fut la lecture d’un livre très 
traditionaliste du XVIe siècle, le Tercero Abecedario du franciscain 
François d’Osuna, qui lui apprit ce qu'était la contemplation. 

Le fait se produisit pour le P. Balthazar Alvarez (1) jésuite, confes- 
seur de sainte Thérèse, et pour saint Ignace de Loyola en personne. 

Il est en effet de toute nécessité de le remarquer : quand saint 
Ignace compose ses « Exercices des trois puissances de l'âme », il 
ressemble à un chirurgien qui étudie un cadavre, il dissèque, il fait 
l'anatomie de la méditation et de l’oraison (2), il procède comme un 
professeur devant ses étudiants. Or cette méthode est bonne pour les 
commençants, pour ceux qui ne savent rien ou qui vivent encore dans 
le péché habituel. Les parfaits peuvent employer toute autre méthode. 
Saint Ignace lui-même l’a dit, et il a mis le premier son conseil en 
pratique : {{ a abandonné lui-même sa methode pour embrasser 
l’autre (3). Malheureusement on a, depuis, oublié ses propres recom- 


(1) Voir sa vie par le P. Louis du Pont, signalée dans les Études Franciscaines. 
t. XXVIIL. p. 640. 

(2) I. Préparation à la méditation (fonction : a. de l’entendement, b. de la volonté, 
c. des sens). — II. Préparation prochaine |fonction a. de l’entendement, b. de l’ima- 
gination, c. des sens). — IÏT. Prélude de la méditation (fonction : a. de la mémoire, 
b. de l'imagination, c. de la volonté, d. du corps). — IV. Corps de la méditation. On 
médite sur une vérité abstraite, on contemple sur une vérité concrète (fonction : «. 
de la mémoire, b. de l’entendement, c. de la volonté). La méditation est l'exercice de 
l'entendement, dans ce système, et la contemplation est « l'application des sens ». — 
V. Examen de la manière dont on s'est acquitté de l'exercice. — La méthode 
et les Exercices de saint Ignace ont été hautement approuvés par la Sainte Église. 
La première édition latine est de 1548 (saint Ignace est mort le 31 juillet 1556), 
la première édition espagnole est de 1615, l'italienne de 1607, la française de 1614, 
l'allemande de 1707. cf. Sommervogel, Bibl. Cie Jésus t. VI (1894) col. 59 et suiv. 

(3) Cf. P. André Baiole, jésuite. De la Vie Intérieure. 3° édit. Baume-les-Dames. 
1849. in-8°. p. 166. liv. I. ch. XXV : « Le passage d’un entretien de Dieu à l’autre 
autorisé par les docteurs de notre compagnie ». — « Notre bienheureux père saint 


316 DE LA MÉTHODE TRADITIONNELLE 


mandations. Est-ce sa faute ? N'est-ce pas plutôt celle de quelques-uns 
de ses disciples inattentifs ? On sait la mutilation qu'eut à subir le 
Traité de la perfection chrétienne de Rodriguez (1). 

Qui n'a pas montré, le P. Antoine de Sérent le premier, combien 
d'âmes trouvent peu de satisfaction à faire de l'oraison un exercice de 
gymnastique intellectuelle ? Qui ne s'est pas senti, un jour ou l’autre, 
inhabile à tenir une conversation avec soi-même dans l'obscurité d’une 
méditation? Qui n’a jamais éprouvé du contentement pour avoir achevé 
ses prières d'obligation,liturgiques ou autres ? C’est une preuve que le 
cœur ne trouve pas toujours son compte dans ce régularisme des 
fonctions spirituelles, et qu'il a besoin d'aller à Dieu, non seulement 
d'une manière officielle ou philosophique, mais d'une manière divine 
et intime, non comme il le veut, mais comme Dieu l’entend. Le cœur 
a ses raisons que la raison ne connaît pas. A certaines heures ni la 
méditation, ni l'office ne le rassasient. Il veut servir son Dieu non 
comme un esclave son maître, un soldat sa patrie, ou un ambassadeur 
son roi, mais comme un enfant son père, sans protocole. L'amour est 
aveugle, c'est pour cela qu'il est si clairvoyant. 

Les comparaisons entre les deux méthodes sont classiques. La « mé- 
ditation », liturgique ou non, c'est l’œuvre du jardinier qui tire avec 
effort l'eau de la noria et arrose son jardin par ses propres moyens. La 
« contemplation », c'est Dieu en personne faisant tomber comme une 
pluie sur ce jardin de notre âme, la rosée bienfaisante de sa grâce et de 
son amour. 

La méditation, liturgique ou non, c’est la barque dirigée par les 
rames. La contemplation, c’est le navire poussé par le vent qui gonfle 
les voiles. 

Choisissez la méthode que vous préférez, celle des novices ou celle 
des parfaits, celle des enfants ou celle des adultes. 

* 
» + 

Il faut remercier le R. P. Antoine d’avoir attiré l'attention sur toutes 
ces vérités, ou de nous y avoir fait songer, par contraste. Nous nous 
rappellerons, comme il nous le dit, que le saint office est une des 
sources importantes de la vie d’oraison. Nous n'oublierons pas, non 


Ignace marcha au commencement par l’oraison de discours, mais il passa depuis à 
la plus haute contemplation » (P. Louis du Pont, cité par A. Baiole. |. c. p. 170). — 
Faut-il remarquer que le P. Poulain, même dans son édition de 1906 des Grâces 
d'oraison, ignore l'ouvrage de son confrère André Baiole dont les idées si justes 
sont entièrement opposées aux siennes }? 

(1) Cf. Ludovic de Besse, La Science de la Prière p. 90-93. 


DE L'ORAISON AU MOYEN AGE 317 


plus, que l’âme humaine n'est pas un mécanisme d’horlogerie. 
L'oraison est un mélange heureux des actes de nos facultés qui sont 
souples et pénétrables, s’entremêlent aisément, et aiment à se libérer 
de toute formule. Cette oraison produit ordinairement la contempla- 
tion comme la fleur le fruit, et cette contemplation n'est pas une 
application des sens, mais une application de l'esprit et plus particuliè- 
rement une application affective de la volonté. D'où son nom de con- 
templation de foi obscure. 

Dans une lettre adressée au P. Antoine par D. Laurent Janssens et 
publiée au début de La Méthode d'oraison, lettre qui met les choses 
beaucoup mieux au point que ne le fait la brochure, le P. Bénédictin 
s'exprime ainsi : « Sans méconnaitre en rien la valeur et les mérites des 
systèmes les plus récents, j'estime... qué beaucoup d’âmes s’abs- 
tiennent de l’oraison parce que leur tempérament religieux est rebelle 
à une méthode trop généralement représentée comme étant sinon 
la méthode unique, au moins la méthode par excellence... Nos 
Pères avaient moins que nous l’habitude d'isoler l’oraison des autres 
exercices qui en sont le prélude ou le terme. Lecture, réflexion, médi- 
tation, contemplation, élans unitifs, repos fruitifs, tout cela forme une 
échelle organique, une gamme ascendante dont les degrés se touchent, 
se compénètrent pour aboutir, si j'ose dire, à un délicieux point 
d'orgue ad libitum. Plus l'âme s'abandonne au souffle de l'esprit, plus 
elle passe rapidement d’un degré à l'autre. Plus l'âme a acquis l’habi- 
tude de la contemplation et du repos mystique, plus aisément et 
comme d'instinct, elle hondit de la simple lecture d'une vérité, ou 
même de la vue d’un objet jusqu'aux cimes de l'ascension mentale » 
(p. ret 2). 

Je m'arrête sur ces dernières lignes qui me font outlier bien des 
pages de la brochure. On ne saurait s'exprimer plus justement qu’elles 
ne le font. On ne pourrait tenir un langage plus consolant pour les 
âmes qui voient surtout, dans le Dieu puissant, organisateur des 
armées rangées en bataille, l’auteur ineffable de toute Paix, de toute 
Bonté et de tout Amour. 


P. UBALD d'Alençon. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


THÉOLOGIE 


Conférences de N.-D. de Paris. — Exposition de la morale catho- 
lique. Carëéme de 1912. — X. LA FOI. Conférences et retraite, par le R.P. 
Janvier. 1 vol. in-8 écu, Prix : 4fr. — P. Lethielleux, Éditeur, 10, rue 
Cassette, Paris (6°). 


Nous n'avons pas à faire l'éloge de l’éminent orateur de Notre-Dame. Son 
nom et le succès de sa parole ont franchi depuis longtemps les limites de 
notre pays. La sûreté de sa doctrine, comme aussi la noblesse de son langage, 
sont connus de nos lecteurs et constituent la meilleure recommandation de 
ces nouvelles Conférences. | 

La vertu de Foi et les vices qui lui sont opposés, tel fut le thème des Con- 
férences du P. Janvier pendant le Carême de 1912. Ce sujet simple en appa- 
rence, est néanmoins hérissé de nombreuses difficultés, et soulève les plus 
délicats problèmes de notre vie surnaturelle. Mais la science théologique de 
l'orateur n’a pas de peine à se mouvoir au milieu des objections de toute 
sorte de la libre-pensée contemporaine. Prenant pour guide le Docteur Angé- 
lique, il étudie avec une sûreté de vue remarquable, la nature intime de la 
Foi, la noblesse de cette vertu, la cause de son éclosion en nous, et les vices 
qui lui sont opposés. Vient ensuite l'attitude de l'Église vis-à-vis des héréti- 
ques et des infidèles, et l'on ne peut qu'admirer avec quel art et quelle déli- 
catesse 1l aborde cette épineuse question, dont tant de demi-savants prennent 
journellement occasion pour incriminer les enseignements de l'Église. 

Comme conclusion pratique de ce magnifique exposé, le P. Janvier traite, 
dans les instructions de la Semaine-Sainte, des relations inévitables des 
croyants avec les incroyants. Ici, le savant moraliste établit d'une façon in- 
discutable les principes qui doivent régler les rapports des hommes entre 
eux, dans les situations les plus diverses de la vie, et il en montre les consé- 
quences immédiates et pratiques. Cette doctrine absolument conforme aux 
enseignements de l'Église, est la condamnation éloquente de cet opportunis- 
me religieux qu’admettent trop facilement certains chrétiens de nos jours. 

P. C. 


Le Temple de Jérusalem, par H. LEsèTRE (abbé). — Paris, Beau- 
chesne, 1912. — In-12 de VI1f-216 pp. Prix : 2 fr. 50. 


Il faut remercier M. l'abbé Lesêtre de nous avoir donné, en quelques pa- 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 319 


ges d’un style sobre et précis, le résumé de travaux importants entrepris par 
de savants auteurs, au cours du siècle dernier, sur l’ancien Temple de Jéru- 
salem. « 11 vise surtout à renseigner, d'une manière simple et claire, le 
lecteur de l'Évangile sur le culte traditionnel des anciens Juifs et sur le cadre 
dans lequel ce culte se célébrait. 11 pourra contribuer ainsi à éclairer cer- 
tains passages du texte sacré et à montrer comment, par le Christ, s’est trans- 
formée et continuée, pour arriver jusqu’à nous, l’antique tradition religieuse 
qui rattache l’homme à Dieu. » 

De nos jours où le culte liturgique tend à occuper une plus large place 
dans la piété des fidèles, une étude de ce genre ne peut être que très profi- 
table aux âmes, en leur donnant une intelligence plus complète de la parole 
sainte et des récits évangéliques. Ainsi dépouillé de tout appareil scientifique 
qui fatigue et rebute une masse de lecteurs, ce travail me semble très propre 
à faire estimer davantage nos cérémonies liturgiques, en faisant mieux con- 


naître leur raison d’être et la signification qu’elles renferment. 
P. C. 


Manuel de théologie mystique ou les Grâces extraordinaires de 
la vie surnaturelle expliquées par le R. P. ARTHUR Devine, Passioniste. Ou- 
vrage traduit de l'anglais par l'abbé C. Maillet, ancien professeur d'anglais. 
— Avignon, Aubanel, frères, 1912. — In-8° de XX1V-732 pp. Prix : 5 fr. 


Ce nouveau Manuel de Théologie Mystique se recommande surtout par 
la belle ordonnance des matières, la clarté de l'exposition, le choix des ci- 
tations et des exemples qui en rendent la lecture attrayante et facile. L'’au- 
teur, on le sent, possède pleinement son sujet ; il s’y meut à l'aise et sait lui 
donner une forme accessible à toutes les intelligences. Sans doute, ce n'est 
pas une doctrine nouvelle qui passe sous nos yeux ; il est facile, au contraire, 
de reconnaître, dans ces pages, les enseignements traditionnels de l'Église et 
l'expérience acquise des âmes. Mais, la manière personnelle de l’auteur, la 
simplicité et la clarté de son langage, son habileté à éclairer, par des exem- 
ples toujours bien choisis, les problèmes les plus délicats et les plus difficiles 
de la vie mystique, distinguent cet ouvrage de tous les autres du même genre. 
Les directeurs de conscience et les âmes avides de perfection y trouveront des 
lumières et des conseils fort utiles, appuyés sur l'autorité des plus grands 
mystiques et sur la conduite des saints. P. C. 


Les voies de l’Oraison mentale, par Dom Viraz LEHonry, abbé de 
la Trappe de Bricquebec. — In-8° de 422 pag. — Prix : 3 fr. 50. — Gabal- 
da, Paris 


Nous avons déjà rendu compte de la 1re édition — parue en 1907 — du 
présent ouvrage. L'annonce d'une 4° édition prouve suffisamment que le 
sujet intéresse les esprits contemporains. Il était difficile d’ailleurs, en la ma- 
tière, de choisir un meilleur guide que le P. Lehodey : son livre est clair et 
précis, pratique autant que doctrinal, toutes raisons qui permettent à l’au- 


teur d’escompter un légitime succès. 
P. Jean de la Croix. 


Manuel de la Religion par le R. P. W. Wimers. S. J. — sixième 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


THÉOLOGIE 


Conférences de N.-D. de Paris. — Exposition de la morale catho- 
lique. Carême de 1912. — X. LA FOI. Conférences et retraite, par le R.P. 
Janvier. 1 vol. in-8 écu, Prix : 4fr. — P. Lethielleux, Éditeur, 10, rue 
Cassette, Paris (6°). | 


Nous n'avons pas à faire l'éloge de l'éminent orateur de Notre-Dame. Son 
nom et le succès de sa parole ont franchi depuis longtemps les limites de 
notre pays. La sûreté de sa doctrine, comme aussi la noblesse de son langage, 
sont connus de nos lecteurs et constituent la meilleure recommandation de 
ces nouvelles Conférences. 

La vertu de Foi et les vices qui lui sont opposés, tel fut le thème des Con- 
férences du P. Janvier pendant le Carême de 1912. Ce sujet simple en appa- 
rence, est néanmoins hérissé de nombreuses difficultés, et soulève les plus 
délicats problèmes de notre vie surnaturelle. Mais la science théologique de 
l'orateur n'a pas de peine à se mouvoir au milieu des objections de toute 
sorte de la libre-pensée contemporaine. Prenant pour guide le Docteur Angé- 
lique, il étudie avec une sûreté de vue remarquable, la nature intime de la 
Foi, la noblesse de cette vertu, la cause de son éclosion en nous, et les vices 
qui lui sont opposés. Vient ensuite l'attitude de l'Église vis-à-vis des héréti- 
ques et des infidèles, et l'on ne peut qu’admirer avec quel art et quelle déli- 
catesse il aborde cette épineuse question, dont tant de demi-savants prennent 
journellement occasion pour incriminer les enseignements de l’Église. 

Comme conclusion pratique de ce magnifique exposé, le P. Janvier traite, 
dans les instructions de la Semaine-Sainte, des relations inévitables des 
croyants avec les incroyants. Ici, le savant moraliste établit d'une façon in- 
discutable les principes qui doivent régler les rapports des hommes entre 
eux, dans les situations les plus diverses de la vie, et il en montre les consé- 
quences immédiates et pratiques. Cette doctrine absolument conforme aux 
enseignements de l'Église, est la condamnation éloquente de cet opportunis- 
me religieux qu’admettent trop facilement certains chrétiens de nos jours. 

P. C. 


Le Temple de Jérusalem, par H. LESÈTRE (abbé). — Paris, Beau- 
chesne, 1912. — In-12 de VI11-216 pp. Prix : 2 fr. So. 


Il faut remercier M. l'abbé Lesêtre de nous avoir donné, en quelques pa- 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 319 


ges d’un style sobre et précis, le résumé de travaux importants entrepris par 
de savants auteurs, au cours du siècle dernier, sur l'ancien Temple de Jéru- 
salem. « Il vise surtout à renseigner, d'une manière simple et claire, le 
lecteur de l'Évangile sur le culte traditionnel des anciens Juifs et sur le cadre 
dans lequel ce culte se célébrait. 11 pourra contribuer ainsi à éclairer cer- 
tains passages du texte sacré et à montrer comment, par le Christ, s'esttrans- 
formée et continuée, pour arriver jusqu’à nous, l'antique tradition religieuse 
qui rattache l'homme à Dieu. » 

De nos jours où le culte liturgique tend à occuper une plus large place 
dans la piété des fidèles, une étude de ce genre ne peut être que très profi- 
table aux âmes, en leur donnant une intelligence plus complète de la parole 
sainte et des récits évangéliques. Ainsi dépouillé de tout appareil scientifique 
qui fatigue et rebute une masse de lecteurs, ce travail me semble très propre 
à faire estimer davantage nos cérémonies liturgiques, en faisant mieux con- 


naître leur raison d’être et la signification qu'elles renferment. 
P::C: 


Manuel de théologie mystique ou les Grâces extraordinaires de 
la vie surnaturelle expliquées par le R. P. ARTHUR DEvine, Passioniste. Ou- 
vrage traduit de l'anglais par l'abbé CC. Maillet, ancien professeur d'anglais. 
— Avignon, Aubanel, frères, 1912. — In-8° de XX1V-732 pp. Prix : 5 fr. 


Cenouveau Manuel de Théologie Mystique se recommande surtout par 
la belle ordonnance des matières, la clarté de l'exposition, le choix des ci- 
tations et des exemples qui en rendent la lecture attrayante et facile. L'au- 
teur, on le sent, possède pleinement son sujet ; ils’'y meut à l’aise et sait lui 
donner une forme accessible à toutes les intelligences. Sans doute, ce n'est 
pas une doctrine nouvelle qui passe sous nos yeux ; il est facile, au contraire, 
de reconnaître, dans ces pages, les enseignements traditionnels de l'Église et 
l'expérience acquise des âmes. Mais, la manière personnelle de l’auteur, la 
simplicité et la clarté de son langage, son habileté à éclairer, par des exem- 
ples toujours bien choisis, les problèmes les plus délicats et les plus difficiles 
de la vie mystique, distinguent cet ouvrage de tous les autres du même genre. 
Les directeurs de conscience et les âmes avides de perfection y trouveront des 
lumières et des conseils fort utiles, appuyés sur l'autorité des plus grands 
mystiques et sur la conduite des saints. P. C. 


Les voies de l’Oraison mentale, par Dom Viraz LEenobEY, abbé de 
la Trappe de Bricquebec. — In-8° de 422 pag. — Prix : 3 fr. 50. — Gabal- 
da, Paris 


Nous avons déjà rendu compte de la 1re édition — parue en 1907 — du 
présent ouvrage. L'annonce d'une 4e édition prouve suffisamment que le 
sujet intéresse les esprits contemporains. Il était difficile d’ailleurs, en la ma- 
tière, de choisir un meilleur guide que le P. Lehodey : son livre est clair et 
précis, pratique autant que doctrinal, toutes raisons qui permettent à l’au- 


teur d’escompter un légitime succès. | 
P. Jean de la Croix, 


Manuel de la Religion par le R. P. W. Wizmers. S. J. — sixième 


320 À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX | 


édition. — traduite de l'allemand par M. l'abbé F. Van Nooweld, prêtre 
du diocèse de Liège. — En vente chez les Frères de la Charité à Turnhout 
(Belgique). 


Le nom seul de son auteur recommande cet immense travail, vrai trésor 
pour tous ceux jui veulent étudier à fond et sous toutes ses faces la religion 
catholique. 

Outre ce « Manuel de la Religion » (en allemand), le R. P. Wilmers a pu- 
blié successivement une série d’autres ouvrages considérables et très estimés ; 
tels que : l'Histoire de la Religion, — le Précis de la Doctrine chrétienne, — 
de Religione revelata, — de Christi ecclesia, — de Fide divina, etc. ; mais, 
sans contredit, son ouvrage de prédilection auquel il a travaillé toute sa vie 
et qui semble l'emporter en perfection et en utilité est certainement ce « Ma- 
nuel de la Religion, » arrivé en peu de temps à sa sixième édition ; édition 
corrigée, perfectionnée, augmentée par l’auteur lui-même. 

C'est la traduction française de cet ouvrage, la seule existante, la seule au- 
torisée que nous présentons et recommandons instamment aux lecteurs des 
« Études Franciscaines. » Cette œuvre magnifique,plus complète encore que 
l'édition allemande, — le traducteur ayant eu soin d’y ajouter plusieurs nou- 


velles décisions pontificales sur le mariage, le modernisme, etc... — Cette 
œuvre, disons-nous, sera une fortune pour ceux qui auront l'avantage de la 
posséder. 


Bien que le prix de chaque volume soit de cinq francs, vu l'abondance et 
la qualité des matières doctrinales qu'ils renferment, c'est presque pour rien. 
A eux seuls ils pourraient tenir lieu de bibliothèque d'instruction reli- 
gieuse. Non seulement ce « Manuel de la Religion » peut être utile au sim- 
ple fidèle ; mais encore au théologien, au philosophe. Prédicateurs, confé- 
renciers, catéchistes y trouveront un trésor de science et de pensées. Fond 
et forme nous louons tout et nous ne pensons pas exagérer. Ce travail est 
aussi parfait que possible. Encore qu'il puisse s’y rencontrer çà et là quel- 
ques défauts de détail, nous n’y contredirons pas ; mais quelle œuvre hu- 
maine, si perfectionnée soit-elle, en est exempte? La perfection absolue existe- 
t-elle en ce monde ? En somme il est difficile de donner mieux, pour ne pas 
dire aussi bien. 

L'ouvrage se divise naturellement en trois parties principales : 

I.  Vérités à croire. 

11. Devoirs à pratiquer. 

111. Moyens à employer pour croire et pratiquer. — Toute la religion, 
toute la théologie dogmatique et morale, toute l'instruction religieuse sont 
comprises dans ces trois grandes divisions et rien n’y est oublié. Le lecteur 
avide de s’instruire y trouvera aussi les éclaircissements à ses difficultés, les 
réponses aux objections contre la religion. 

Voici, d'ailleurs, comment le chanoine Grosse, du diocèse de Metz, appré- 
ciait la 1re édition de ce « Manuel de la Religion » : « Cet ouvrage très ré- 
pandu en Allemagne y passe aux yeux des juges compétents pour le meilleur, 
le plus solide et le plus substantiel en son genre. 1l est pour les Catéchismes 
de persévérance et pour la Prédication ce que le catéchisme du P. Deharbe, 
si Justement estimé, est pour l'instruction élémentaire ; il a même été com- 
posé pour servir de complément à ce dernier. » 


À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 321 


S'il en était déjà ainsi de la première édition, que ne devrait-on pas dire 
de la sixième et surtout de la traduction française de cette dernière, incom- 
parablement plus complète et mieux travaillée que les précédentes ? 

« Plaise à Dieu que cette nouvelle publication soit pour plusieurs un 
moyen de connaître à fond notre sainte Religion, de la comprendre d'une 
manière efficace et utile au salut ! » Tel est le souhait par lequel le célèbre 
Père Lemkul, si connu par sa Théologie morale, termine la Préface de la 
sixième édition allemande. Formant le même ardent désir pour la diffusion 
de l'édition française qui vient de paraitre, nous ne voulons pas douter que, 
à l'instar des Allemands, l'intelligent public français veuille se procurer ce 
précieux et rare « Manuel de la Religion, » F. LÉONARD. 


La Foi de nos Pères ou Exposition complète de la Doctrine chré- 
tienne par le Cardinal Gissons. Traduit de l'anglais sur la vingt-huitième 
édition par l'abbé Saurel.— 3e édition. — Paris, Téqui, 1913. Prix : 3 fr. 50. 


Ce livre écrit sous une forme simple et pratique renferme l'exposé et la 
défense des principaux dogmes de l'Église catholique, Son succès a été con- 
sidérable aux États-Unis, où vingt-huit éditions en ont été données, depuis 
1876. Sa traduction dans notre langue a été pareillement accueillie avec une 
grande faveur, et je ne doute pas que cette 3e édition ne rencontre, parmi 
nous, la mème sympathie. J'engage particulièrement les chrétiens sincères, 
mais trop souvent ignorants ou imbus de préjugés, à lire ces pages pleines 
de fortifiante et consolante doctrine. En même temps qu'elles dissiperont les 
ténèbres de leur esprit, elles leur fourniront des armes puissantes pour pro- 
téger et, au besoin, défendre leur foi contre les attaques de l'incrédulité. 

P. G. 


PRÉDICATION 


Le Besoin de Dieu dans les âmes et les sociétés. — Discours. — Pen- 
sées et Souvenirs, par l'abbé DELABROoYE ancien maître de Conférences à 
l'Institut catholique de Paris, etc. Lettre-Préface de Mgr Baudrillard. — 
In-12 de 496 pag. — Prix: 3fr. 75. — J. de Gigord, éditeur, 15 rue Cas- 
sette. Paris. 


Discours et Souvenirs, deux parties qui, au premier abord, semblent ne 
pouvoir former un tout homogène. Le livre de M. Delabroye réalise pour- 
tant cette merveille, si c'en est une! 

Dans ces « Allocutions » adressées soit aux élèves du Collège Sainte- 
Barbe, soit au lycée Michelet ou à Juilly, l'orateur ne poursuit qu'un but : 
montrer la vérité de cette phrase de Quinet : « Un peuple qui perdrait l’idée 
de Dieu perdrait par là même tout idéal. Je ne m'explique pas par quoi il 
pourrait continuer d'orienter sa marche : » « puisque c’est lui que je sens 
sous ces mots : idéal, absolu, devoir, raison, science, disait Victor Hugo. » 
La conclusion est facile à tirer. C’est elle encore, cette conclusion, qu'amè- 
nent les « Souvenirs, » tableaux vivants de la génération qui arrivait à la vie 
active il y a vingt-cinq ans. Tous ceux qui alors et depuis ce moment ont 
joué un rôle quelconque sur la scène du monde y sont jugés, « non d'après les 
évènements qui se sont déroulés heureux et favorables pour les uns, doulou- 


E. F, — XXIX. — 21 


322 À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


reux et regrettables pour les autres », mais tels qu'ils apparaissaient à 
M. Delabroye et à ses compagnons de l'École des Carmes. Pour plusieurs 
l'étudiant perspicace n'aurait pas à réformer son Jugement. D'autres ont 
senti le besoin de Dieu, et par des chemins divers sont venus se ranger sous 
la houlette du Pasteur ; leur vie en a été transformée, tant 1l est vrai, « qu'il 
leur fallait Dieu » suivant le mot de Bourget, ou encore, « qu'il faut du ciel 
à la morale comme de l'air à un tableau » au dire de Joubert, 

Nous souhaitons à l'ouvrage de M. Delabroye une large diffusion parmi 
le monde des étudiants ; les conseils qu’il donne sont de tous les temps, 
ses arguments ont une valeur qui ne passe point, et aujourd'hui comme il 
y a vingt-cinq ans, les âmes ont besoin de Dieu, F.J. de P. 


La vérité aux Gens du monde. — À /a Messe de Onze heures ! 
par Josepx Tissier, Vicaire Général de Chartres, archiprêtre de la cathé- 
drale. — In-12 de 364 pag. — Prix : 3 fr. 5o. — Téqui, libraire-éditeur. 82 
rue Bonaparte. Paris. 


Sous ce titre quelque peu général, M. l'abbé Tissier, aujourd'hui évêque 
de Chälons, a réuni toute une série de Conférences, faites le premier diman- 
che de chaque mois, à la messe de onze heures. Auditoire très mêlé que 
celui de cette messe tardive ; les dilettantes de la religion s’y coudoient avec 
les fidèles, l’orateur doit en tenir compte s’il veut atteindre les uns sans né- 
gliger les autres. Mgr Tissier a fait un choix de sujets des plus pratiques ; si 
d'en pte quelques conférences données dans une circonstance plus spéciale, 
il me semble qu'on peut grouper les autres autour des points suivants : 
Pourquoi la vie — son but — l’au-delà — nécessité non pas seulement de croire 
mais de conformer sa vie à ses sentiments intérieurs ; — les obstacles à la 
vie chrétienne — les devoirs qu'elle impose dans la société, dans la famille. 

Comme jugement à porter sur l'ensemble nous ne saurions mieux dire 
que Mgr l’Évèque de Chartres dans sa lettre à l’auteur : 

« Les sujets que vous traitez répondent bien aux besoins de l'heure présente 
et les titres piquants que vous leur donnez ne peuvent que mieux impres- 
sionner les esprits. Vous savez dire la vérité, et toute la vérité sans blesser 
ceux qui vous ont écouté ou qui vous liront. Votre langage tour à tour élevé, 
incisif, vivant, gracieux, énergique, a toutes les qualités capables de séduire 
et d'entraîner vers les plus hauts sommets. » 

Nous osons espérer que malgré des obligations et des charges nouvelles, 
sa Grandeur pourra trouver le temps d'éditer : sur Dieu, — sur l’homme, 
— sur Jésus-Christ et sur l'Église, les conférences que nous promettait 


M. l'abbé Tissier dans l'A vant-propos du présent volume. 
F. J. de P. 


FRANSCISCANA 


Figures Franciscaines. Saint François d'Assise, Sainte Claire 
d'Assise, Saint Antoine le Padouan, par Lucien Roure. — In-12 de X-279 
pag. — Prix: 3 fr. 50. — Librairie Plon. 1913. Paris. 


Excellent travail de vulgarisation que je recommande à tous les vrais amis 
de saint François. L'auteur y déploie tout son talent de fin littérateur et 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 323 


d'habile psychologue. Aussi cette lecture est-elle un régal pour l'esprit, en 
même temps qu'une douce satisfaction pour le cœur. La figure du pauvre 
d'Assise est mise dans un saisissant relief et son âme de saint et de poète 
apparaît ici dans toute sa séduisante beauté. Le portrait de saint Antoine le 
Padouan est traité avec non moins d'exactitude et de soin,et l’auteur est très 
au courant de la littérature de son sujet. Certaines questions qui appartien- 
pent plus spécialement au domaine de la critique, sont exposées et discutées 
avec clarté, et perdent, sous la plume de l’auteur, la sécheresse et l'aridité 
qui rebutent habituellement le lecteur. En somme, ce livre est un nouvel 
hommage d'admiration offert au Patriarche d'Assise ; il sera lu avec plaisir 
et profit, et je lui souhaite La plus grande diffusion dans la famille francis- 
caine. P. C. 


Analecta Franciscana. Tom. V. De Conformitate vitæ B. Fran- 
cisci ad vitam Domini Jesu, auctore F. BARTHOLOM&O DE Pisis. Libri II 
et 111. Fructus XIII-XL. — In-40 CXXVIII-558 pag. — Prix : 15 fr. — Ad 
Claras Aquas. (Quaracchi presso Firenze) 1912. 


Les Études ont déjà rendu compte du premier volume de cette publication, 
par la plume très compétente du P. Ubald d'Alençon. (Cf. t. XVII, 1907, p. 
555-8). Après cinq années d’un travail laborieux, les savants éditeurs de Qua- 
racchi ont heureusement achevé la tâche qu'ils avaient entreprise. Ce second 
volume, qui traite exclusivement de saint François, ne le cède en rien 
au premier, tant par l'abondante érudition qu'il renferme, que par la 
beauté et la netteté de ses caractères. 

Plusieurs questions déjà étudiées et résolues dans la Préface du premier 
volume, sont examinées ici, avec un luxe de détails et de références qui 
effraieront, peut-être, une certaine catégorie de lecteurs, mais qui me sem- 
blent de nature à satisfaire les plus exigeants des critiques. Il n'est plus 
possible, par exemple, de confondre, comme on l’a fait trop souvent, l'auteur 
du Liyre des Conformités, avec cet autre Barthélemy Albisi de Pise, qui 
mourut en 1631, et dont le corps fut enseveli secrètement, sous une pierre 
de marbre, auprès de l'autel de saint Gérard de Valence, frère lai de l'Ordre 
des Mineurs, auquel il avait eu la plus grande dévotion, et dont il avait lui- 
même écrit la vie. La date de la mort de notre auteur paraît également cer- 
taine : Mariano de Florence la fixe à l’année 1401, et nous ne voyons aucun 
motif de rejeter son témoignage. Les sources auxquelles Barthélemy de 
Pise a puisé, les différents manuscrits qui restent de son ouvrage, les trois 
éditions qui en parurent, à Milan en 1510, à Venise en 1513 et à Bologne 
en 1599, tout cela fait l’objet d'une étude approfondie qui ne laisse rien à 
désirer. 

Je signale en particulier — car je ne puis entrer ici dans tous les détais 
— l'intéressant article consacré aux libelles et aux pamphlets que ne man- 
qua pas de susciter la publication de cet ouvrage. Dès que le Livre des Con- 
formités parut, en effet, Luther, Albert Érasme, Germain de Brandebourg, 
et tous les Protestants se déchaïnèrent contre lui, n'épargnant même pas la 
calomnie. Ils reprochaient à l’auteur d'attribuer à saint François des actions 
divines, et d'en faire l’égal du Fils de Dieu ; d'élever saint François au des- 
sus de tous les autres saints ; prétention, disaient-ils, peu conforme à l'humi- 


324 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


lité du pauvre d'Assise. Ils allaient jusqu'à dire que ce livre était, pour les 
catholiques, ce que l’Alcoran est pour les Turcs, et, pour les Franciscains 
ce que l'Évangile est pour les chrétiens... Ils l’appelaient même l’A/coran 
franciscain. Mais le P. Sédulius d'Anvers le vengea de ces accusations et 
de ces calomnies, dans son Apologeticus adversus Alcoranum franciscano- 
rum, publié à Anvers, en 1607. « Jamais, s'écria-t-il, aucun écrivain catho- 
lique n'a élevé ce livre si haut et ne l’a comblé de tant d'éloges. Qui donc a 
Jamais voulu s’en servir, pour établir, confirmer ou défendre les dogmes de 
la foi ? Sans doute, ce livre n'est pas parfait, mais quelques gouttes d’eau 
n'empêchent pas le vin d'être du vin ; de même que quelques taches ne sufii- 
sent pas pour faire de ce livre un mauvais livre. » 

Quant aux autres reproches, nous pouvons répondre qu'on calomnie l’au- 
teur, dont l'unique but était d'établir que saint François a été le plus parfait 
imitateur de Jésus-Christ. Enfin, nous ferons observer que Notre-Seigneur 
n'a point nui à l'humilité de saint Jean-Baptiste, quandila dit : « Parmi 
ceux qui sont nés de la femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que 
Jean-Baptiste. » 

Aussi, ne pouvons-nous assez nous étonner de voir des écrivains catholi- 
ques, comme Moreri, Feller, les PP. Richard et Giraud, et plus récemment 
l'abbé Glaire, se faire l'écho des protestants réfutés par le, P. Sédulius 
d'Anvers. 

C'est donc un réel service que viennent de rendre à la science religieuse 
les éditeurs de Quaracchi, par la publication critique d'un ouvrage, où 
abondent, à côté de récits légendaires les renseignements historiques les plus 
précieux. Qu'ils me permettent de leur adresser, à cette occasion, mes plus 
fraternelles félicitations, et d'exprimer le vœu que cette œuvre si heureuse- 
ment achevée soit bientôt suivie de beaucoup d'autres du même intérêt. 

P. C. 


HISTOIRE 


Histoire des rapports de l'Église et de l'État, du Ie au XX° 
siècle par Émize CHÉNON, professeur à la Faculté de Droit de Paris. — 1 vol. 
in-16 de 254 pages. — Prix : 1 fr. — Bloud et Cie, éditeurs, 7, place Saint- 
Sulpice, Paris (6e). 

Réimpression des Conférences faites, à Paris, en 1904, par le distingué 
professeur de la Faculté de Droit. Ce point d'histoire religieuse n'a rien 
perdu de son actualité ; il acquiert même, à l'heure qu'il est,une importance 
considérable, qui ne peut échapper à aucun esprit sérieux. Je souhaite vive- 
ment que l’étude si fortement documentée de M. Chénon, soit bientôt entre 
les mains de tous ceux qui, par devoir ou par goût, s'intéresse à cette capi- 
tale question. P.G. 


Les Origines du servage en France par PAUL ALLARD. — in-12 
de 332 pag. — Prix : 3 fr. 50. — Librairie Lecoffre, J. Gabalda, éditeur. 


Le servage était une condition intermédiaire entre l'esclavage et la liberté. 
Dans la société païenne, l'esclave était un homme, d'une condition inférieu- 
re, livré au domaine, aux caprices, à toutes les passions d’un autre homme. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 325 


Il était réduit,en quelque sorte, à l’état de bête de somme : selon l'expression 
d’Aristote, ce n'était qu'un outil animé, un instrument vivant, une machine 
plus ou moins intelligente. L'esclave, c'était une chose, res mancipii, une 
marchandise qu'on pouvait vendre, acheter, donner, échanger. Il n'occupait 
aucune place dans la société humaine ; on ne supposait pas même qu'il pût 
y avoir chez lui élévation d'idées, de sentiments ou de grandeur d'âme. On 
lui refusait jusqu'à la qualité d’honnête homme. En un mot, on paraissait 
croire qu'il n’était pas de la même espèce ni de la même nature que les au- 
tres hommes. Combien de temps dura l'esclavage proprement dit ? Par 
quelle suite de circonstances historiques fit-il place, en France, à la liberté 
relative du servage ? Quel rôle enfin l'Église fut-elle appelée à remplir dans 
cette lente évolution de la société païenne, qui devait aboutir, après des siè- 
cles, à la vraie liberté des enfants de Dieu ? Tels sont les graves problèmes 
que le savant historien des Martyrs expose dans cette étude. Comme toutes 
celles qui l'ont précédées, elle est pleine d'intérêt, et sollicite l'attention de 
tous ceux qui ont étudié l’histoire de nos premiers siècles. Elle ajoute une 
page nouvelle à l'histoire des conquêtes pacifiques de l’Église et de son im- 
mense charité pour le peuple, et à ce titre encore, elle est digne des plus 
grands éloges. P. G. 


SOCIOLOGIE 


A Reculons. Réflexions d'un ami, publiées par E. du Passace. Qua- 
trième édition, revue, augmentée et corrigée, avec Préface de Henri Bazire. 
— In-12 de 120 pag. — Prix : 1 fr. (franco : 1 fr. 10) — René Giard, Lille ; 
Lethielleux, Paris. 


L'auteur de cette brochure, déjà vieille de vingt ans, se demande pourquoi 
tant de remèdes employés à guérir nos plaies sociales, n'ont produit Jus- 
qu'ici qu'un si faible résultat, Et il en trouve la cause dans l'application 
même de ces remèdes. Pour lui, nos œuvres catholiques sont frappées de 
stérilité, parce que nous avons trop vu le mal de l'individu et pas assez vu le 
mal de la société. Nos efforts ont ainsi porté à faux, « et j'estime, dit-il, que 
c'est là, la cause la plus profonde de notre faiblesse et de nos insuccès. » 
(p. 110) 

Aussi les œuvres charitables, telles qu'elles fonctionnent autour de nous, 
sont-elles l’objet d’une critique, sinon toujours injuste, du moins empreinte 
d'une sévérité que beaucoup trouveront excessive. C'est ainsi que les crèches, 
les asiles, les écoles, les orphelinats, les hôpitaux, etc. trouvent difficilement 
grâce à ses yeux. « Je le dis bien haut, écrit-il encore, un seul père et un 
seul prêtre, reprenant hardiment toute leur responsabilité, font plus pour la 
société, que les braillements quotidiens de quarante journaux contre la loi 
scolaire. »n Je ne puis, pour ma part, approuver ce langage, et, sans incrimi- 
ner les intentions de l’auteur, que je crois, d'ailleurs, excellentes, je n’hésite 
pas à dire que ces œuvres, établies dans l'Église et par l’Église, depuis des 
siècles, ne méritent pas les graves reproches dont il les accable. Sans doute, 
nous devons travailler à régénérer la famille et la société, à faire rentrer 
Dieu dans la vie de l’homme et au foyer domestique. Mais n'est-ce pas d'a- 
bord dans la vie individuelle, avant que dans la vie sociale, qu’il faut rendre 


326 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


à Dieu sa place ? Et c’est à quoi tendent les efforts des catholiques, au 
moyen de ces œuvres admirables, soutenues et dirigées par l'autorité de nos 
prêtres et de nos Évêques. Déjà, les résultats de ces efforts se font sentir au- 
tour de nous. La jeunesse particulièrement se montre, à l’heure qu'il est, 
moins frondeuse et plus accessible aux enseignements du prêtre. Dans cer- 
taines villes qui se distinguèrent longtemps par leur hostilité religieuse, on 
voit aujourd’hui des groupes compacts de jeunes gens, qui ne craignent pas 
de manifester ouvertement leur foi, et d'accomplir leurs devoirs religieux. 
Ne peut-on pas espérer, dès lors, qu'ils contribueront bientôt à faire rentrer 
Dieu au sein de la famille ? 

Mais ces réserves étant faites, je reconnais bien volontiers que l'auteur 
exprime dans nombre de pages, d'excellents conseils, dont chacun peut 
tirer profit. Les hommes d'œuvres y trouveront matière à de sérieuses ré- 
flexions et c'est à eux surtout que je recommande la lecture de ces pages. 


P.C. 


La France de demain. — Celle qu’on nous offre. — Celle qu'il 
nous faut, par CHARLES HEYRAUD. — Préface de M. Henri Joly, membre 
de l’Institut. — 1In-8 écu de 490 pages. — Prix: 5 francs. Librairie Aca- 
démique Perrin et Cie éditeurs, 35, Quai des Grands Augustins. 


Dans la préface du présent volume, M. Henri Joly nous donne en quelques 
mots le résumé de son contenu. Il écrit : « L'auteur a considéré ce qui man- 
que à la France d'aujourd’hui,— et qui le plus souvent lui manque par ses pro- 
pres défaillances ; — il examine ensuite ce qu'on lui offre de prétendues 
panacées, de remèdes pires que le mal ou de palliatifs insuffisants : morales 
athées, morale de la concurrence sans frein qui « autorise toutes les tyrannies 
économiques », morale de la solidarité imposée qui « permettrait toutes 
les tyrannies politiques, ».. « La conclusion proposée à la France de demain, 
c'est qu'il faut revenir à la tradition chrétienne en se donnant la peine de 
comprendre tout ce que celle-ci demande et tout ce qu'elle donne, tout ce 
qu'elle est et tout ce qu'elle vaut. À ceux qui la jugent étroite et immobili- 
sante, M. Heyraud aurait pu rappeler ce que les livres saints disent de la 
sagesse éternelle : « Étant unique, elle peut tout, et, restant toujours la 
même, elle renouvelle toutes choses ». 

Cet ouvrage, où le charme littéraire le dispute à une abondante et sérieuse 
documentation, comprend trois parties : 

19 Où nous en sommes, sorte de tableau synoptique des misères présentes : 
l’'égoisme dans les classes élevées, l'envie dans les basses classes, chez l'ou. 
vrier ; une certaine jalousie, même chez les classes moyennes, à l'égard de la 
classe dirigeante. La famille battue en brèche par le divorce, l'amour mutuel 
se relâchant, grâce à la disparition calculée et voulue du lien qui faisait sa 
force : l'enfant. Puis, l'enseignement soi-disant neutre poursuivant l’œuvre 
de désorganisation morale et sociale, qu’achèveront sûrement la littérature, 
la presse, le théâtre et l’art lui-même « qui s'en est allé vers un idéal faux. » 

2. Ce qu'on nous offre : matériellement : le socialisine « énigme dont nul 
ne peut donner le secret disait Proudhon » ; spirituellement : des morales 
athées, des morales sans Dieu avec comme conclusion naturelle la formule ; 
« vivre sa vie ». Le résultat : « Il faut qu’on sache où aboutit la pente que 


À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 327 


nous descendons depuis vingt ans ; elle mène là à ce cercueil, disait M. Lépine 
aux obsèques de M. Jouin, une des victimes de Bonnot ». 

3. Ce qu'il nous faut : un peu plus de condescendance, d'amour et de 
charité chez les favorisés de la fortune. Ce qu'il nous faut : « C'est d’ensei- 
gner à ceux qui souffrent ou qui travaillent durement, les vérités qui embau- 
ment la vie et non les mensonges qui l’'empoisonnent. 

Il faut éveiller dans l’âme de ceux qui pleurent l'espérance qui vivifie ; 
entrouvrir devant les yeux pleins de larmes, le voile de l'au-delà où l'amour 
est sans fin, la justice absolue », en un mot il nous faut Dieu. Prouver son 
existence, la divinité de Jésus-Christ, de la religion chrétienne, la venger 
contre les prétendues objections de la « libre pensée » constitue la troisième 
partie de ce volume. 

Nous ne croyons pas devoir insister sur l'actualité et l'intérêt que présente 
ce travail ; ce que nous venons d'en dire sera suffisant, nous l’espérons, 
pour engager nos lecteurs à lire dans son entier La France de Demain. 

FR, J. px P. 


LITURGIE 


Officium Majoris Hebdomad#æ a Dominica in Palmis usque 
ad sabbatum in albis juxta Ordinem Breviarii, Missalis et Pontificalis 
romani. Editio novissima juxta novas Rubricas et Decreta ad normam Cons- 
tit. Apost. « Divino Afflatu ». Typographia Pontificia Eq. Petri Marietti, 
Editoris, Taurin1 1913. Prix : 4 fr. ; relié : 5 fr. 50. 


Cette édition toute récente se recommande particulièrement par la com- 
modité du format, la netteté des caractères (petit Romain noir) et le parfait 
relief des rubriques. Elle se compose de deux parties distinctes, dont l’une 
renferme intégralement tout ce qui concerne l'office divin, depuis la fête des 
Rameaux jusqu’au dimanche in À lbis.et l'autre comprend la messe et toutes 
les cérémonies en usage dans l'Église, dans ce même intervalle. Nous enga- 
geons vivement les prêtres à se procurer ce précieux recueil entièrement 
conforme à la Constitution « Divino afflatu », et qui a reçu l'approbation de 
la S. Congrégation des Rites, le 23 décembre 1912. 


La Constitution « Divino Afflatu » et les nouvelles rubri- 
ques du Bréviaire romain, par Dom RoserT TRiLne. Ord. Cist. — 
In-8 de 267 pag. — Prix : 3 fr. 50. — Casterman, 66, Rue Bonaparte, 
Paris (6e), et Tournai (Belgique). - 


L'auteur avait publié sous ce titre, dans la Nouvelle Revue Théologique 
un commentaire de la Constitution « Divino afflatu » et des rubriques qui 
l'accompagnent. Ce sont ces articles complétés et parfaitement mis à jour 
avec les décisions romaines, grâce à un long appendice, qui forment le pré- 
sent volume. 

Dans autant de chapitres que les nouvelles rubriques renferment de titres, 
Dom Robert en explique le texte qu’il suit mot à mot, s'appliquant à nous 
en donner un commentaire canonique et liturgique, laissant volontairement 
de côté le terrain historique. C'est le seul auteur, croyons-nous, qui ait pris 


328 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


soin d'établir une concordance entre Îles nouvelles et les anciennes rubriques, 
montrant en quoi elles diffèrent et ce qui demeure des anciennes règles. Ce 
travail sera non seulement un guide sûr pour les rédacteurs d'Ordo, mais 
nous souhaitons que tous les prêtres en prennent connaissance s'ils veulent 
saisir et comprendre toute la portée de cette réforme du Bréviaire. 

F. J. de P. 


Cours et Conférences de la Semaine Liturgique de Mared- 
sous, 19-24 Août r9r2. — Grand in-8° de 336 pages. — Abbaye de Mared- 
sous (Belgique). — Prix : 5 francs. 


Résumé fidèle de travaux intéressants dont quelques-uns sont reproduits 
en entier. On y trouvera la physionomie vraie de cette dernière semaine 
liturgique qui marque une étape dans le mouvement actuel lequel semble 
s'étendre toujours d’une façon continue. 

« Depuis quelques années, en effet, le Saint Esprit qui est l'âme de 
« l'Église pousse celle-ci à raviver dans ses enfants la connaissance et 
« l'amour de la prière rituelle et des fonctions sacrées, à leur montrer dans 
« la liturgie, la source première et indispensable du véritable esprit chré- 
« tien ». 

Voici un rapide aperçu des principales matières traitées pendant cette 
Semaine : 


R. P. D. CocumBa Marmion, Abbé de Maredsous. — Le Symbolisme 
dans les deux Testaments. 

Relation interne et hautement instructive entre les fêtes et la liturgie chré- 
tienne d'une part et de l’autre les types providentiels du Christ, les grands 
faits de l’histoire d'Israël et les cérémonies du temple de Jérusalem. En deux 
exemples : 1° Bénédiction d'Isaac à son fils Jacob ; Jésus-Christ nouveau 
Jacob substitué à Esaü, à l’homme coupable. 2° Fête de l'expiation au 
temple de Jérusalem ; le Saint Sacrifice de la messe. 


CHanoiNe CaALiPPE, professeur d'Écriture Sainte, au grand Séminaire 
d'Amiens. — Les Psaumes dans la vie chrétienne. 

Tels qu'ils sont vécus par l'Église, tels qu’ils doivent être vécus par le 
chrétien. « Point de vue pratique bien propre à attirer l'attention de tous 
« ceux qui portent quelque intérêt au développement du sentiment reli- 
« gieux et à l’accroissement de la vie liturgique. » 


R. P. D. EUGÈNE VANDEUR, Prieur de l'Abbaye de Mont-César, Louvain. 
— La Croix et l'Autel. 

« La messe centre des études liturgiques... doctrine puisée aux sources 
« mêmes de la liturgie du missel qui jette une lumière considérable sur l'Eu- 
« charistie-Sacrifice et l'Eucharistie-Sacrement, son complément naturel. » 


R. P. D. CasroL, Abbé de Farnborough. — La liturgie romaine à Rome. 

Les stations à Rome et les grandes basiliques. Les fêtes locales à Rome 
« … afin d'exciter dans les âmes, non une passion pour les vieilles pierres 
et les antiquités mais l’amour de nos traditions catholiques ». 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 329 


D. LamBrrT BEAUDUIN, de l’Abbaye de Mont-César. Louvain, — Notes 
de la Liturgie. 

« Elles dérivent de la nature de l’Église, L'Église, société visible et uni- 
« verselle du Christ .…. considérée au point de vue social 4onne à la litur- 
« gie un caractère collectif d’où dérive l'unité... La prière de l'Église doit 
« être hiérarchique. » 


ABBÉ GRÉGOIRE, Professeur de liturgie au Grand Séminaire de Tournay. 
— Contribution qu'offre la liturgie à l’enseignement de la Religion. 

« … restituer à la liturgie son rôle éducateur dans l’œuvre par excel- 
« lence du catéchisme et de la prédication. » 


CHANOINE DoUuTERLUNGNE, Directeur des œuvres sociales du diocèse de 
Tournay. — L'influence sociale de la Liturgie. 

« Les relations sociales sont réglées par trois principes chrétiens: la di- 
« gnité humaine, la fraternité et le renoncement, en opposition à l’orgueil, 
« à l'individualisme, à la cupidité. Ces vérités sont vivantes dans les 
« formules et les cérémonies de la liturgie, expression synthétique du dog- 
« me et de la morale chrétienne... » 


Monsieur Goperroin Kurrx. La liturgie et le peuple. 

« La liturgie, le plus précieux trésor du peuple. Résultat de l'effort le 
« plus puissant que l'humanité guidée et soutenue par la grâce ait jamais 
« fait pour paraitre dignement devant Dieu... Joie pour le cœur, lumière 
« pour l'intelligence. la plus grande force dont l’Église dispose pour nous 
« conduire à Dieu. » 


ABBÉ BRaAsSsAaRT, Curé de Saint-Remy d'Enghien. — La participation des 
fidèles à la vie liturgique et au chant collectif. 

Avantages. Difficultés. Nécessité. Vie liturgique appropriée. Importance 
souveraine du chant collectif. Résultats heureux. 


D. Ipessazn RyEecanpr, Moine de l'Abbaye de Maredsous. — Bréviaire 
et Méditation. 

« .… L'union de la piété privée et du culte officiel a pour elle l’antiquité 
« puisque cette union se retrouve dans les premiers milieux chrétiens orga- 
« nisés pour la prière. Cette méthode se réclame d’une garantie sûre, puisque 
« c'est la prière de l'Église qui lui sert de fondement et de norme. » 


D. ANSELME DEPREz, organiste de l'Abbaye de Maredsous. — La musique 
d'orgues et les organistes. 

« L'auteur se place à un point de vue spécial et laisse de côté ce qui 
« regarde l'accompagnement du chant, il n’envisage ici que l'orgue jouant 
« en solo. » 

« L'orgue est le trait d'union harmonieux qui relie entre elles toutes 
« les parties de l'office divin et y associe les fidèles. » 

Portrait de l’organiste idéal, 


ABBé H. Tisster du clergé de Paris. — La liturgie paroissiale comme 
sociologie religieuse. 


328 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


soin d'établir une concordance entre les nouvelles et les anciennes rubriques, 
montrant en quoi elles diffèrent et ce qui demeure des anciennes règles. Ce 
travail sera non seulement un guide sür pour les rédacteurs d'Ordo, mais 
nous souhaitons que tous les prêtres en prennent connaissance s'ils veulent 
saisir et comprendre toute la portée de cette réforme du Bréviaire. 

F. J. de P. 


Cours et Conférences de la Semaine Liturgique de Mared- 
sous, 79-24 Août 1912. — Grand in-8° de 336 pages. — Abbaye de Mared- 
sous (Belgique). — Prix : 5 francs. 


Résumé fidèle de travaux intéressants dont quelques-uns sont reproduits 
en entier. On y trouvera la physionomie vraie de cette dernière semaine 
liturgique qui marque une étape dans le mouvement actuel lequel semble 
s'étendre toujours d’une façon continue. 

« Depuis quelques années, en effet, le Saint Esprit qui est l'âme de 
« l'Église pousse celle-ci à raviver dans ses enfants la connaissance et 
« l'amour de la prière rituelle et des fonctions sacrées, à leur montrer dans 
« la liturgie, la source première et indispensable du véritable esprit chré- 
« tien ». 

Voici un rapide aperçu des principales matières traitées pendant cette 
Semaine : 


R. P. D. CocumBA Marmion, Abbé de Maredsous. — Le Symbolisme 
dans les deux Testaments. 

Relation interne et hautement instructive entre les fêtes et la liturgie chré- 
tienne d’une part et de l’autre les types providentiels du Christ, les grands 
faits de l’histoire d'Israël et les cérémonies du temple de Jérusalem. En deux 
exemples : 1° Bénédiction d'Isaac à son fils Jacob ; Jésus-Christ nouveau 
Jacob substitué à Esaü, à l’homme coupable. 2° Fête de l'expiation au 
temple de Jérusalem ; le Saint Sacrifice de la messe. 


CHanoine CaALiPPE, professeur d'Écriture Sainte, au grand Séminaire 
d'Amiens. — Les Psaumes dans la vie chrétienne. 

Tels qu’ils sont vécus par l'Église, tels qu'ils doivent être vécus par le 
chrétien, « Point de vue pratique bien propre à attirer l'attention de tous 
« ceux qui portent quelque intérêt au développement du sentiment reli- 
« gieux et à l'accroissement de la vie liturgique. » 


R. P. D. EUGÈNE VANDEUR, Prieur de l’Abbaye de Mont-César, Louvain. 
— La Croix et l'Autel. 

« La messe centre des études liturgiques... doctrine puisée aux sources 
« mêmes de la liturgie du missel qui jette une lumière considérable sur l’Eu- 
« charistie-Sacrifice et l'Eucharistie-Sacrement, son complément naturel. » 


R. P. D. Casro, Abbé de Farnborough. — La liturgie romaine à Rome. 

Les stations à Rome et les grandes basiliques. Les fêtes locales à Rome 
« .… afin d’exciter dans les âmes, non une passion pour les vieilles pierres 
et les antiquités mais l’amour de nos traditions catholiques ». 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 329 


D. LamBrrT BEAUDuIN, de l'Abbaye de Mont-César. Louvain. — Notes 
de la Liturgie. 

« Elles dérivent de la nature de l’Église, L'Église, société visible et uni- 
« verselle du Christ ..…. considérée au point de vue social 4onne à la litur- 
« gie un caractère collectif d’où dérive l'unité... La prière de l'Église doit 
« être hiérarchique. » 


ABBÉ GRÉGOIRE, Professeur de liturgie au Grand Séminaire de Tournay. 
— Contribution qu'offre la liturgie à l'enseignement de la Religion. 

« … restituer à la liturgie son rôle éducateur dans l’œuvre par excel- 
« lence du catéchisme et de la prédication. » 


CHANOINE DOUTERLUNGNE, Directeur des œuvres sociales du diocèse de 
Tournay. — L'influence sociale de la Liturgie. 

« Les relations sociales sont réglées par trois principes chrétiens : la di- 
« gnité humaine, la fraternité et le renoncement, en opposition à l'orgueil, 
« à l'individualisme, à la cupidité. Ces vérités sont vivantes dans les 
« formules et les cérémonies de la liturgie, expression synthétique du dog- 
« me et de la morale chrétienne... » 


Monsieur Goperroip KurTH. La liturgie et le peuple. 

« La liturgie, le plus précieux trésor du peuple. Résultat de l'effort le 
« plus puissant que l'humanité guidée et soutenue par la grâce ait jamais 
« fait pour paraître dignement devant Dieu... Joie pour le cœur, lumière 
« pour l'intelligence. la plus grande force dont l’Église dispose pour nous 
« conduire à Dieu. » 


ABBÉ BRAssART, Curé de Saint-Remy d'Enghien. — La participation des 
fidèles à la vie liturgique et au chant collectif. 

Avantages. Difficultés. Nécessité. Vie liturgique appropriée. Importance 
souveraine du chant collectif. Résultats heureux, 


D. Inessazp RyEeLanprT, Moine de l'Abbaye de Maredsous. — Bréviaire 
et Méditation. 

« .… L'union de la piété privée et du culte officiel a pour elle l'antiquité 
« puisque cette union se retrouve dans les premiers milieux chrétiens orga- 
« nisés pour la prière. Cette méthode se réclame d’une garantie sûre, puisque 
« c'est la prière de l'Église qui lui sert de fondement et de norme. » 


D. ANsELME DEPREz, organiste de l'Abbaye de Maredsous. — La musique 
d'orgues et les organistes. 

« L'auteur se place à un point de vue spécial et laisse de côté ce qui 
« regarde l'accompagnement du chant, il n'envisage ici que l'orgue jouant 
en solo. » 
« L'orgue est le trait d'union harmonieux qui relie entre elles toutes 
« les parties de l'office divin et y associe les fidèles. » 

Portrait de l’organiste idéal. 


AsBé H. Tissier du clergé de Paris. — La liturgie paroissiale comme 
sociologie religieuse. 


330 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


« Essence de l’Église catholique d’après la théologie de saint Paul, de 
« saint Ignace, etc. Restauration catholique contre l'individualisme par 
« la liturgie paroissiale dans la prière publique,dans les œuvres. 

— La liturgie paroissiale comme source de vie intérieure — « … for- 
« mer le Christ dans les âmes, engendrer et garantir le vrai sentiment 
« religieux ». 


D. J. M. Besse, Moine de l'Abbaye Saint-Martin de Ligugé, Chevetogne, 
— Du Particularisme dans la piété et le culte public. 

« Réaction par l'intelligence et l'amour de la liturgie .... pour combattre 
« l’individualisme romantique, montrer un idéal opposé c'est-à-dire : 
« la prière, la théologie vécue, les chrétiens allant à Dieu, priant 
« ensemble ». F. MicHEL-ANGe. 


Cours d'instruction religieuse. Théorie de la Messe, par S. C. 
BroussoLLe, aumônier du Lycée Michelet. — Deuxième édition. — 2frs. 
Téqui éditeur, Paris. 


Traité en douze leçons avec notes explicatives assez complètes suivies 
d'exercices faciles et de lectures aussi intéressantes que documentées. 

L'auteur nous donne dans ces pages instructives la substance même de 
son cours, aussi cet ouvrage est-1l destiné à se trouver entre les mains de 
tous ceux qui s'occupent de l'instruction religieuse des jeunes gens. 

La méthode en est franchement surnaturelle et fort bien servie par beau- 
coup d'ordre et de clarté. 

L'illustration purement archéologique et documentaire déplaira peut-être 
à ceux qui ne sont pas familiarisés avec ce genre d'images, en général cepen- 
dant elle donnera satisfaction, la simple lecture faisant saisir immédiatement 


la valeur instructive de ces images. Fr. M. A. 
VARIA 
Souvenirs de La Combe. Mgr. Dupanloup à La Combe avec une 
introduction de Mgr. Chapon, par Nerry ou Boys. — In-12 de 330 pag. 
— Prix : 3 fr. So. — Téqui, libraire éditeur, 82, Rue Bonaparte. Paris. 


« On ne connaît pas Mgr., disait l'abbé Hetsch, quand on ne l'a pas vu à 
La Combe, et surtout dans la montagne ajoute Netty du Boys. » 

La Combe, c'est l’hospitalière demeure,le Béthanie caché là-bas au milieu 
des collines, des pics et des glaciers du Dauphiné où l'abbé Dupanloup et 
plus tard l’évêque d'Orléans allait, pour un moment, chercher le calme, la so- 
litude et l'air pur des montagnes. Une circonstance fortuite l'y amena une 
première fois ; il eut la Joie d’y rencontrer dans la châtelaine, une de ses en- 
fants privilégiées du catéchisme de Saint-Hyacinthe. Les premières visites 
furent espacées, puis pèlerin de l'amitié cédant aux pressantes invitations des 
hôtes de La Combe, il ÿ reviendra chaque année. C'est là que, le 11 octobre 
1878, 1l rendra son âme à Dieu. 

Ces pages sont plus qu’un récit vivant des relations de Mgr Dupanloup 
avec la famille Du Boys ; c'est l'âme même du grand évêque qu'elles nous 
révèlent avec ses trésors de bonté, de simplicité, d'affection, de sainteté. Sans 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 331 


vouloir amoindrir en rien une mémoire si illustre, il est juste de dire cepen- 
dant que Netty du Boys, l’auteur de cette œuvre posthume, était la plus fer- 
vente des admirateurs et admiratrices qui se groupaient autour de l’évêque 
dans le grand salon du château : Lacordaire, Gratry, les abbés Hetsch, 
Gaduel, Mlle de Virieu, Mme de Menthon, etc. 

On en saisit la preuve dans les lignes suivantes (pag. 112) relatant «a qu'il 
fallut un jour subir la visite d’un jeune vicaire, lecteur et disciple de l’Uni- 
vers, qui en présence de l’évêque, du bon curé, et de M. Gaduel, trouva à 
propos de s'affirmer, selon un terme consacré. 11 lança une virulente tirade 
sur l’ingratitude de cinquante évêques de France envers M. Veuillot. » 

Pour clore le volume, le récit de deux conversions du Protestantisme ; 
Mgr Dupanloup reçut l'une des abjurations à Paris, l’autre à La Combe. 

Fr. J. de P. 


Vers la vie pleine. À Ja suite du P. Gratry, par An. GouTay. — 
In-12 de 278 pag. — Prix : 3 fr. 5o. — Pierre Téqui, libraire-éditeur, 82, 
Rue Bonaparte, Paris. 


« Rappeler :'esprit à lui-même ; unir son esprit à son cœur, son cœur à 
Dieu, et tout ramener, sans rien confondre, à cette unité intérieure qui est 
notre âme et Dieu », voilà le programme de la perfection d’après le P. 
Gratry. 

Le présent ouvrage, recueil d'extraits des œuvres diverses du célèbre ora- 
torien, voudrait nous indiquer la marche à suivre pour le réaliser ce program- 
me. — Les citations sont généralement bien choisies et se soudent assez 
naturellement les unes aux autres ; parfois pourtant, dans certains chapitres, 
on sent le manque d'unité. 

Le P. Gratry revit dans ces pages avec ses grandes et sublimes pensées, 
ses phrases si parfaitement littéraires et tout imagées, laissant flotter toujours 
sur l’ensemble comme un léger nuage d'imprécis et d'irréel. 

Fr. J. de P. 


Les derniers jours du P. Gratry, par E. Moucer. — In-16 de 
141 pag. — De Gigord, 1912. Paris. 


Ce volume est formé d'articles publiés par Mademoiselle Émilie Mohler 
dans la Revue d'Alsace d’abord, puis dans la Démocratie. Il est à lire et 
donne des détails plus circonstanciés encore que l'ouvrage du P. Adolphe 
Perraud sur le même sujet. Chacun sait que le P. Gratry vécut à Montreux, 
sur le bord du lac de Genève, du 8 octobre 1871 au 7 février 1872, jour de 
sa mort. C'est là qu'il écrivit sa fameuse lettre d'acceptation des décrets du 
Concile du Vatican (25 novembre 1871). 

Le récit de Mlle Mohler nous confirme dans l’idée que nous avions de la 
belle âme du P. Gratry toute faite de blanche lumière, d'idéal et de charité, 
« la charité, cette science d’unir les âmes » ! 

Vers le même temps (la page d'introduction est signée du 26 juin 1912) a 
paru un recueiltiré à un très petit nombre d'exemplaires et intitulé: Lettre du 
P. Gratry à la Princessede Melphe. s.1.n.d.in-4° de 111-184 pages. Impri- 
mé par Paul Hérissey, à Évreux (1912). Ces lettres, publiées malheureuse- 


332 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


ment par simples extraits tout à fait fragmentaires, vont du 25 mai 1865 au 9 
décembre 1871. Bien que ce recueil ne soit pas mis dans le commerce, nous 
aimons à le signaler, pensant de la sorte être agréable aux innombrables 
amis du P. Gratry. C'est M. Vallery-Radot qui a préparé cette édition. 

P. Usazp d'Alençon. 


LeLatin en quinse leçons par Ch. Dumaine. — In-12 gr. de 236 pag. 
Prix 3 francs. — A. Tralin, Éditeur, 12, rue du Vieux-Colombier, Paris VIe. 


L'auteur se propose dans ce livre de 240 pages, suivies d’un corrigé de 
thèmes « d'enseigner les éléments du latin, aussi rapidement que possible, 
de façon à permettre aux élèves de comprendre en peu de temps les textes 
relativement faciles.» Le désir de M. Dumaine est de faire connaitre la langue 
de l'Église ; le choix qu'il fait du saint Évangile, comme texte à expliquer, 
en est la preuve. Le latin quoique langue morte, est, et sera toujours parlé, 
c'est sans doute la raison pour laquelle « l'ouvrage se termine par un 
petit traité fort judicieux sur l’accentuation et la prononciation du latin, 
qui est conforme aux meilleurs principes ». Cette citation est d'un maître 
en la matière, le R. Dom Cabrol, auteur de la préface du présent volume. 

La méthode employée, nous dit le savant Bénédictin, est neuve, très origi- 
nale, très simple, et en même temps philosophique. Étant donné un texte 
facile on vous l'explique, on donne à ce sujet les règles qui en régissent les 
inflexions, ou les inversions, on vous fait saisir les raisons des temps, des 
cas, des modes. » Cette méthode employée pour la langue anglaise, par 
exemple, a donné de bons résultats, mais la syntaxe anglaise n'est-elle pas 
plus simple que la syntaxe latine ? Ne court-on pas risque d'oublier des 
règles éparses au cours du volume, règles que l'ordre « plus ou moins 
arbitraire des anciennes grammaires » avait au moins l’avantage de grou- 
per ? N'est-ce pas un peu la question de l'enseignement logique du latin 
que l’on oppose parfois à la méthode ancienne, question qui est fort discutée 
entre les professeurs ? 

Quoiqu'il en soit, certains esprits s'accommodent fort bien de cette mé- 
thode, et comme l'auteur n'a d'autre but que l’enseignement des éléments 
du latin, nous espérons que son livre plaîra aux jeunes gens, et nous faisons 
des vœux pour que ce travail serve à l’extension de la langue et du chant 
liturgiques. Fr. C. 


La Chrétienne par Pau Janor Paris, Bloud. 


Monsieur Paul Janot poursuit, avec le même succès, son noble plan de 
littérateur chrétien et nous avons pu déjà, dans les Études, applaudir ses 
premières œuvres. Celle-ci est digne de ses ainées et le grand souffle de foi 
qui l'anime, exprimé dans un style très pur, dans une langue énergique et 
vibrante, la met au premier rang de notre littérature de combat. Je ne ferai 
qu’une remarque. La chrétienne, femme d'un officier français de grande 
famille, a obtenu de son mari, croyant comme elle, mais avec moins de 
solidité, qu'il brise sa carrière plutôt que de participer à la tête de ses hom- 
mes, à un inventaire. Comment une femme si courageuse et si profondé- 
ment chrétienne a-t-elle laissé envoyer son fils au lycée d’où il revient sans 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 333 


croyance ni morale ? Si elle a eu assez d'influence sur son mari et que ce 
mari ait eu assez de religion pour refuser d'obéir à un ordre inique, au prix 
de sa carrière, lui soldat dans l'âme, comment n'a-t-elle pas pu avoir la même 
influence pour empêcher son mari de mettre son fils dans un collège, où il 
savait comme elle qu'il y risquait sa foi ? 11 y a là un défaut dans la pièce qui 
donne au personnage de la chrétienne un aspect boîteux. On trouve qu'elle 
parle si bien pour une chose qu'on la blâme de s'être tue pour une autre. 

Sans doute le suicide du lycéen est d'un effet dramatique nécessaire. Mais 
il eût fallu trouver un autre moyen. La tante qui fait dans la pièce office du 
diable ne pouvait-elle être employée pour cela ? Et cette tante dont l'influ- 
ence sur son frère, l'officier démissionnaire, a amené la folie du neveu, il eût 
fallu au moins, par quelques mots, montrer mieux ce que ce suicide doit lui 
apporter de remords et de confusion. 

Cette critique, qui peut être une opinion personnelle, n'ôte rien au grand 
mérite de la pièce, d’ailleurs on ne se donne pas la peine de faire de la criti- 
que pour une œuvre sans valeur. Mavis. 


Annuaire Pontifical Catholique, XVIe Année 1918, par 
Mgr ALBERT BATTANDIER. — Prix 5 fr., port en plus. — Maison de la 
Bonne Presse, 5, Rue Bayard, Paris. 


Comme les quinze volumes qui déjà l'ont précédé, l'Annuaire pontifical 
de Mgr Battandier se présente cette année encore avec son inépuisable 
richesse de renseignements. Rien n’est oublié de tout ce qui touche à la 
hiérarchie ecclésiastique, aux Congrégations romaines, aux Ordres Religieux. 
Nous avons noté en passant l’article sur la fixation de la fête de Pâque. Il 
paraitrait, d'après l’auteur, chose qui d’ailleurs ne nous étonnerait nullement, 
que les juifs et les francs-maçons seraient des partisans ardents de la célébra- 
uon de cette fête à date fixe. | 

L'auteur continue dans ce volume la série de ses précédents travaux sur 
les ornements pontificaux de la chapelle sixtine et par la publication de la 
liste des Papes du 1er siècle. À signaler encore le travail historique sur les 
diaconies cardinalices de Rome, leurs vicissitudes au cours des temps, leur 
état actuel. Fr. J. de P. 


Le Bienheureux Réginald. — Za crypte de Saint-Denis de la Rue 
Denfert-Rochereau, par le P. M. D. Constant, O. P. — Plaquette in-12 de 
28 pag. — Bloud et Cie Editeurs, 7, Place Saint-Sulpice, 7, Paris. 


Brève notice biographique sur le bienheureux Réginald. Amené à l’Ordre 
des Prêcheurs par la Très Sainte Vierge elle-même, il vint de Bologne à 
Paris en 1219. Religieux d'une éminente saintété, prédicateur éloquent, 
professeur érudit, 1l exerça une influence considérable sur la jeunesse univer- 
sitaire. Rappelé à Dieu en 1220, malgré des vicissitudes diverses, son souvenir 
a traversé les temps. Ses restes ignorés reposent aujourd’hui dans la crypte 
de Saint-Denis. Fr. J. de P. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION 
DES ÉTUDES (1) 


J. Lebay. — À travers la morale. À travers les choses. Livre de lecture 
courante. In-8 cart. de 253 pp. illustré. Paris, J. de Gigord. Prix : 1 fr. 20. 


L. Baunarn. — La Tentation du docteur Wiseman (1827-1835). Paris, 
J. de Gigord. 1n-16 de 36 pp. Prix : o fr. 15. 


DELABROYE (ABBÉ). — Le besoin de Dieu dans les âmes et les sociétés. 
(Discours, pensées et souvenirs). Lettre-préface de Mgr Baudrillart. Paris, 
J. de Gigord. In-12 de 495 pp. Prix : 3 fr. 75. 


Rivière (Louis). — La Société de Saint-Vincent de Paul. (Publication 
de la Société Bibliographique). Paris. J. de Gigord. In-12 de 32 pp. Prix : 
o fr. 25. 


Duranp (Louis). — La Caisse rurale Système Raiffeisen. Édition de 
l’A ction catholique, 5, rue Bayard, Paris. In-12 de 54 pp. Prix : o fr. 15. 


LevrAT (Dr). — Des armes pour la vie. Conseils aux Jeunes. Paris, 
Bloud, 1913. In-12 de 236 pp. 


Pouzin (ABBé). — Manuel préparatoire à la première communion pri- 
vée. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 79 pp. cart. et illust. Prix : o fr. 50. 


CHÉNon (Euics). — Histoire des rapports de l'Église et de l'État, du 
Ier au XX: siècle. Conférences faites à Paris en novembre-décembre 1904. 
Paris, Bloud 1913. 1n-16 de 250 pp. Prix : 1 fr. 


CH#RisTIANI (L.) — Robert Bellarmin (1542-1621). Les marques de la 
véritable Église. Livre IV de la quatrième Controverse. Paris, Bloud, 1912. 
In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


AIGRAN (RENÉ). — Manuel d'Épigraphie Chrétienne I. Inscriptions lati= 
nes. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 124 pp. Prix : 1 fr. 20. 
(1) L'annonce de ces ouvrages ne constitue pas par elle-même une recommandaŸ 
tion. Nous ne faisons que les signaler ici, en attendant que les rédacteurs des 
Études en fassent le compte-rendu, s’il y a lieu, dans le bulletin bibliographique. 


OUVRAGES ENVOYÉES A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 335 


AIGRAN (RENÉ). — Manuel d'Épigraphie Chrétienne. II. Inscriptions 
grecques. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 124 pp. Prix : 1 fr. 20. 


De Lanzac px LaBoRiE. — Falloux (1811-1886). Paris, Bloud, 1912. 
1n-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


LaAuDeT (FERN). — Augustin Cochin. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 64 pp. 
Prix : o fr. 60. 


MéLiINE (P.) — P. G. F. Le Play. L'œuvre de Science. Paris, Bloud, 
1912. In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


HorrMan (Louis). — La Grève dans les services publics et les Industries 
nécessaires. Paris, Bloud. 1912. In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


Maze-SENCiER (G.) — Monopoles et Régies. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 
64 pp. Prix : o fr. 60. 


GEMAHLING (MARGUERITE). — Le Salaire féminin. Paris. Bloud, 1912. 
In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


LABERTHONNIÈRE (L.) — Sur le chemin du Catholicisme. Paris, Bloud, 
1912. In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


LABERTHONNIÈRE (L.)— Le Témoignage des Martyrs. Paris, Bloud, 1912. : 
In-16 de 64 pp. Prix o fr. 60. 


LecLÈèRE (A.) — Le bilan de la Philosophie religieuse. Paris, Bloud, 
1912. In-16 de 64 pp. Prix : o fr. 60. 


Launer (F.) — Madame Swetchine. — Paris, Bloud, 1912. In-16 de 
64 pp. Prix : o fr. 60. 


BauDor (Dou J.) — Le Missel romain. Ses origines. — Son histoire. — 
Le Missel plénier. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 144 pp. Prix : 1 fr. 20. 


CasroL (Dou F.) — La réforme du Bréviaire et du Calendrier. Paris, 
Bloud, 1912. 1n-16 de 110 pp. Prix : 1 fr. 20. 


BauDoT (Don J.) — L’Antiphonaire. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 64 pp 
Prix : o fr. 60. 


BauporT (Dou J.) — Le Cérémonial. Paris, Bloud, 1912. In-16 de 64 pp. 
Prix : o fr. 60. 


Gissons (S. Ém°LE CARDINAL). — La Foi de nos Pères ou exposition 
complète de la doctrine chrétienne. Traduit de l’anglais par l’abbé A. Saurel 
3e édition. Paris, Téqui, 1913. In-12 de XXVI-474 pp. Prix : 3 fr. 50. 


H. Bocsius (S. J.) — Un miracle de N.-D. de Lourdes. Pierre de Rudder 
et son récent historien. Paris, Téqui, 1913. In-12 de X-124 pp. 


Dou Besse. — La question scolaire. Paris, Nouvelle Librairie nationale, 
1912. In-18 de 72 pp. Prix: o fr. 75. 


336 OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


G. GauTHEROT. — La Démocratie Révolutionnaire. De la Constituante à 
la Convention. Paris, Beauchesne, 1012. In-16 de X1-436 pp. 


Ex. CLAVEQUIN-RossELOT. — La Révolution dans ses causes. Le Clergé, 
les Sectes et la France. La lutte pour les lumières contre les ténèbres et les 
excès avant 1789. Paris, Amat. In-16 de 403 pp. Prix : 4 fr. 


Eu. CLavequin-RosseLorT. — La Révolution dans ses causes. Qui a fait la 
France ? L’Ancien Régime, l’Ancienne Société en France avant 1789. Paris, 
Amat, In-16 de 425 pp. Prix : 4 fr. 


FourNIER (l'ABBÉ) et MAURICE THOUVENIN. — Le matérialisme et la 
science. Erreurs et préjugés à détruire. Paris, Beauchesne, 1913. 1n-16 de 
67 PP. 


H. MareT (l'ABBÉ). — La nature humaine et ses hautes destinées. Paris, 
Beauchesne, 1912. In-16 de V11-352 pp. Prix : 3 fr. 50. 


R. P. ALexis O. M. C. — L'état religieux et politique de la France con- 
temporaine. (Extrait de la Nouvelle France). Québec, Imprimerie de l'Évé- 
nement, 1912. În-8 de 16 pp. 


A. G. Lirrie. — Part of the opus tertium of Roger Bacon including a 
fragment now printed for the first time. Aberdeen : The university press, 
1912. In-8° de XIVIII-92 pp. 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


TAMINES. — 1MP. DUCULOT-ROULIN. 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


LE PÈRE JOSEPH 


LECTEUR EN PHILOSOPHIE 
(1603-1604) 


Le P. Joseph qui fut un serviteur passionné de la règle de son 
Ordre, eut cette singulière destinée, que l’obéissance le condui- 
sit toujours par des voies extraordinaires. On le sait pour sa vie 
politique. Cela est également vrai de ses premières années de vie 
religieuse. Profès le 3 février 1600, il est envoyé par ses supé- 
rieurs à leur séminaire de Rouen. Là, au lieu de ne s'occuper, 
comme ses frères, que de son seul avancement spirituel, il reçoit 
la double mission d’assister sa mère dans la gestion laborieuse 
de ses biens de famille et de la diriger dans les voies de la per- 
fection chrétienne (1). Les deux années de séminaire terminées, 
la règle demandait qu’il étudiât en philosophie. Mais ses supé- 
rieurs, considérant le soin extrême qu'il avait donné à cette 
science dans le monde, les connaissances remarquables qu'il s’y 
était acquises et dont ses premiers écrits fournissaient la preuve 
évidente, le dispensent de l'obligation commune et le mettent 
sans autre préparation à l’étude de la théologie (2). Après un an, 
ilest, par privilège, confié aux soins du P. François d’Hibernie, 
un des plus savants hommes de son temps, qui enseignait au 
séminaire de Chartres. L’élève, par son intelligence et par sa 
science, émerveille bientôt son maître, qui le traite moins en 
auditeur qu'en auxiliaire. En effet, au lieu de lui faire écrire ses 
leçons sous sa dictée, il lui remet entre les mains tous les auteurs 
scolastiques dont il a l'habitude de s'inspirer pour son enseigne- 
ment. Le P. Joseph prépare dans ces textes les questions qui 


(1) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph. II, 11. 
(2) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, 11, 14. 


E. F, — XXIX. — 232 


338 LE PÈRE JOSEPH 


doivent être traitées au cours, et avant comme après la leçon 
« l'élève et le maître, nous dit Lepré-Balain, passent ensemble 
leur temps pour l’éclaircissement des plusgrandes difficultés (1). » 
Dans ces conditions, on reconnaît vite au P. Joseph toute la 
« suffisance » pour l’enseignement, et on juge avec raison qu'il 
apprendra plus à professer qu’à écouter. C’est pourquoi, au cha- 
pitre général de 1603, il est dispensé de sa troisième année 
de théologie et nommé lecteur en philosophie, au couvent Saint- 
Honoré de Paris. Le P. Joseph n'avait pas vingt-six ans (2). 
Lepré-Balain nous dit que, pendant l’unique année que dura 
l’enseignement du P. Joseph, il n’eut le temps d'expliquer ni la 
morale ni la métaphysique (3). Alorsil aurait enseigné la logique, 
qui était, d’après la division admise à cette époque, l'une des 
trois parties de la philosophie. Cela, nous pouvons l’admettre, 
mais ce qui est beaucoup plus sûr, c’est qu'il a enseigné avant 
toute autre partie de la philosophie ce que, depuis Wolf, on a 
appelé psychologie rationnelle et expérimentale, laissant de côté, 
comme sans doute le voulait dire Lepré-Balain, les questions 
théoriques d’ontologie, ou métaphysique générale. En effet, la 
psychologie remplit ses deux écrits d'alors, le traité où il venait 
d'expliquer à Mme du Tremblay /e droit usage des créatures;(4), 
qui, d’après sa terminologie, sont nos sens intérieurs et exté- 
rieurs, nos passions et notre raison (5), et son Explication des 
facultés de l'âme, leur office et les moyens de les régir, qui fut 
vraisemblablement un résumé de cours, où, par un symbolisme 
emprunté tour à tour à la Bible, à la cour et à la nature, il essaya 
de mettre en pleine lumière la constitution de l’âme humaine. (6) 


(1) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, II, 15, 

(2) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, II, 16. — Les Capucins avaient alors trois 
couvents à Paris, ceux de Saint-Jacques, du Marais et de Saint-Honoré, C'est en 
celui de Saint-Honoré qu'ils réunissaient tous les esprits d'élite. Le P. Raphaël 
d'Orléans en fut gardien en 1603, et le P. Archange, anglais, en 1604. 

(3) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, 11, 16. 

(4) Cf. Revue des Facultés catholiques de l'Ouest, octobre 1910, pp. g-31, un de 
mes chapitres de la Vie du P. Joseph, intitulé Le P. Joseph directeur spirituel de 
sa mére. 

(5) « Tout le monde élémentaire, dit le P. Joseph en sa quinzième Épitre à sa 
mére, contient trois sortes de créatures, au milieu desquelles notre âme est posée 
comme le centre au milieu du rond ou comme le roi au milieu de ses peuples. Les 
premières sont hors de nous, les secondes jointes à nous, les dernières comme entées 
au-dedans de nous-mêmes, » Cette terminologie, qui n'est pas propre au P. Joseph, 
a été critiquée non sans raison par Taine. 

(6) J'ai trouvé l’Explication des facultés de l'âme, pour les huit neuvièmes envi- 
ron, chez les Calvairiennes de Vendôme, au XVIe volume de leurs manuscrits (14 


LE PÈRE JOSEPH 339 


Expliquer la nature de l’âme pour la régir plus sûrement, 
ce directeur éminemment pratique ne fera pas autre chose plus 
tard, dans tout l’enseignement qu’il donnera à sa Congrégation 
des Filles du Calvaire, particulièrement dans les quatre cents 
Exhortations qu’il adressera au Calvaire du Marais. Évidem- 
ment, s’il n'avait pas eu professé d’abord ces matières, il n’aurait 
pas suivi aussi constamment cette méthode de direction spiri- 
tuelle ; surtout il n’aurait pas pris un langage aussi didactique 
que celui qu’il ne cesse d'employer. Il est en effet un bon nom- 
bre de ces Exhortations qui, pour la forme comme pour le 
fond, ne diffèrent pas sensiblement de véritables leçons de psy- 
chologie. Même, leur ensemble en compose un cours assez 
complet. 

Le P. Joseph enseignait en 1603 et 1604. Il fut scolastique 
comme on l'était généralement alors. Un siècle et demi aupara- 
vant, la philosophie de Platon avait été remise en honneur à 
Florence, patronnée puissamment par Cosme de Médicis, élo- 
quemment soutenue et commentée par Marcile Ficin et par son 
disciple, Jean Pic de la Mirandole. Depuis, au Collège de 
France, Ramus avait mis à son service un dévouement à toute 
épreuve ; il avait même traité l’école adverse avec une injustice 
et une violence extrêmes. Mais les défections que ces luttes 
avaient pu entraîner dans les rangs des scolastiques avaient été 
largement compensées par les professeurs jésuites du célèbre 
Collège de Coïmbre, dont l’enseignement et les écrits valaient 
au philosophe de Stagire et à l'Ange de l’École plus d’ hommages 
et d'honneurs qu'ils n’en avaient peut-être jamais obtenus ; car, 
si Suarez mitigeait leurs idées sur quelques points, il exaltait 
néanmoins l’ensemble de la doctrine thomiste en d’enthousiastes 
commentaires. En 1604, Aristote était encore le Maître. C’est 
seulement seize ans plus tard que le chancelier Bacon lèvera 
définitivement l’étendard de la révolte contre celui qu'il appel- 
lera le Dictateur de l’École et, dans son Jnstauratio Magna (1), 
prêchera avec un trop complet succès la réforme de la philoso- 


pages d'un petit in-f° à deux colonnes), et pour le reste dans un ms. du Calvaire 
d'Angers (5 pages in-4° à deux colonnes), le tout d’une écriture très menue. — Tous 
les autres manuscrits qui seront cités dans cette étude appartiennent au Calvaire 
d'Angers. 

(1) De cette grande entreprise, dont l’objet était le remaniement et la classification 
des connaissances humaines, Bacon n’a publié que deux parties, le Novum organum 
1620 et le De Dignitate et augmentis scientiarum (1623). 


340 LE PÈRE JOSEPH 


phie, réforme continuée en 1624 par Gassendi dans ses Exerci- 
tationes paradoxicæ (1) et consommée par Descartes. 

Le P. Joseph fut donc le disciple d’Aristote, qu’il estime avoir 
été « le plus bel esprit de la nature (2) », de saint Denis et de 
saint Augustin, qu'il cite à l’appui de ses thèses et qui, quoiqu'’on 
ait souvent cru le contraire, ont été, le premier cher à tout le 
Moyen-Age et un des maîtres les plus suivis à cette époque, 
l’autre, comme dit Bossuet, « l’oracle de toute l’École (3) ». 

Mais des grands docteurs du treizième siècle, quel était celui 
qu’allait suivre le P. Joseph ? Saint Thomas n'était guère en 
faveur dans l’Ordre Franciscain. Les Observantins et les Con- 
ventuels lui avaient toujours préféré Duns Scot, et les Capucins, 
saint Bonaventure. Depuis le commencement de leur réforme 
en 1525, les Capucins avaient suivi comme leur principal maître 
le Docteur Séraphique. Pour eux Duns Scot n'avait été qu'un 
auxiliaire. Mais au dix-septième siècle, plus d'un parmi eux allait 
essayer de les concilier l’un et l’autre avec l’Ange de l'École, au 
risque de faire un mélange de doctrines incohérentes et incom- 
préhensibles (4). Le P. Joseph ne sera pas de ces conciliateurs 
malheureux. 

Saint Bonaventure, comme Duns Scot, fait de la philosophie 
et de la théologie des sciences pratiques, dont le but principal 
consiste dans la direction des actes de l’homme et de sa volonté 
vers Dieu. L'amour de Dieu est le dernier mot de la doctrine de 
saint Bonaventure, elle y tend comme à sa fin et à son but su- 
prême (5). Sous ce rapport, le P. Joseph fut le très fidèle, le 
passionné disciple du Docteur Séraphique. Lorsqu'il expliquait 
à ses élèves les subtilités d’Aristote, il ne manquait jamais de 
mêler à sa leçon des réflexions propres à établir la solidité de la 


(1) Exercitationes paradoxicae adversus Aristotelaeos, in quibus praecipua totius 
Peripapeticae doctrinae atque dialecticae fundamenta excutiuntur, opiniones novae 
aut ex veteribus obsoletae stabiliuntur (Grenoble, 1624). 

(2) Le P. Joseph, XX XJIe Exhortation sur un texte du XX XIIIC chapitre d'Isaie, 
ms. III, f. 346 r. : « Pour vous faire voir la tromperie des philosophes, c'est 
qu'Aristote, que j'estime avoir été le plus bel esprit de la nature, se va noyer par 
désespoir, pour ne pouvoir connaître les secrets du flux et du reflux d’un fleuve. 
N'était-il pas un vrai fol et un grand sot? » Allusion à la ridicule légende qui repré- 
sente Aristote se précipitant dans l’Euripe, dépité de ne pouvoir comprendre le flux 
et le reflux de ce fleuve, et s’écriant : « Puisque je ne peux te comprendre, tu me 
comprendras. » 

(3) Bossuet, Défense de la Tradition, X, 24. 

(4) P. Prosper de Martigné, La Scolastique et les traditions Franciscaines, pp. 
25-40. 

(5) P. Prosper de Martigné, La Scolastique et les traditions Franciscaines, p. 135. 


LE PÈRE JOSEPH 341 


doctrine de Jésus-Christ, et il leur répétait souvent qu’ «ils 
seraient bons philosophes, quand à la science ils joindraient la 
vertu et l’oraison (1). » « Il apprenaït aux étudiants plus encore 
la perfection séraphique qu’une science querelleuse, tant il avait 
l'esprit élevé et uni à Dieu », dira de lui un de ses novices de 
Meudon (2). 

Mais si le Père Joseph suivit l’esprit apostolique et pratique de 
saint Bonaventure, il préféra à sa doctrine philosophique celle 
de saint Thomas dont il se déclara hardiment le disciple. Du 
reste ce capucin thomiste n'avait nullement la pensée qu'on a 
pu prêter à ses successeurs (3), de demander au Docteur Angé- 
lique un enseignement plus facile que celui du Docteur Séraphi- 
que. C’est bien par attrait et par conviction qu'il s’attacha à la 
doctrine de saint Thomas et qu’il travailla à la mettre en honneur 
dans l'Ordre des Capucins. Il voulait que tous leurs prédicateurs 
connussent d’abord ce maître : « Premièrement, dira-t-il bientôt 
à ses novices, il est nécessaire de savoir saint Thomas, de n’en 
ignorer aucune question ou conclusion (4). » Son exemple au- 
torisait son conseil ; car ses écrits sont pleins de la doctrine 
de saint Thomas, et c’est une bonne fortune pour nous de pou- 
voir l’y puiser, sûrs de produire ainsi une esquisse fidèle de l’en- 
seignement qu’il donna au couvent Saint-Honoré. 

# 
* * 

Comme toute l'École, qui voit en l'homme une triple vie, 
végétative, sensitive, intellective, le P. Joseph distingue en nous 
la partie « infime » ou « basse », qui comprend « les inclina- 
tions, complexions et humeurs naturelles » ; la partie « infé- 
rieure » ou « mitoyenne », où sont « les passions et sens tant 
intérieurs qu’extérieurs, et la partie « supérieure », qui comprend 
« les deux puissances, intellect et volonté (5). » « L'homme a la 
végétation avec les plantes, l’être sensible avec les bêtes et l'être 
intellectuel avec les Anges (6). » 


(1) Lerminier, Vie du P. Joseph, I, 10. 

(2) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, II, 17. 

(3) P. Prosper de Martigné, La Scolastique et les traditions Franciscaines, pp. 
31-32. 

(4) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, 11, 36. 

(5) Le P. Joseph, XL‘ Exhortation sur Isaïe, f. 452 v. — Cf. XX VIII Exhorta- 
tion sur Isaïe, f. 303 r.-v. 

(6) Le P. Joseph, XX XJII* Exhortation sur Isaïe, f. 351,r. — Cf. Les Exercices 
spirituels des Religieuses Bénédictines du Calvaire, 1"° partie, pp. 217-218. 


342 LE PÈRE JOSEPH 


Le P. Joseph appuie la théorie des complexions et des incli- 
nations sur les quatre éléments, reproduisant ainsi l’explication 
donnée par Aristote, qui lui-même l'avait empruntée à Empé- 
docle et à Hippocrate. En effet, cette question ne relève pas 
moins de la médecine que de la philosophie. Empédocle le pre- 
mier avait cru voir les quatre éléments constitutifs du monde 
dans le feu, l’air, l’eau et la terre. Hippocrate avait ensuite établi 
qu'en chacun d'eux 1l y avait deux qualités, la première active, 
et la seconde toute passive ; que le feu était chaud et sec ; l’air 
humide et chaud ; l’eau, froide et humide; la terre,sèche et froide ; 
qu'en raison de leur légèreté relative, le feu était le plus élevé et 
la terre la plus basse, l’air étant au-dessous du feu, et l’eau au- 
dessus de la terre ; que notre corps était formé de ces quatre 
éléments ; qu’au feu se rapportait la bile jaune, à l’air le sang, à 
l'eau la pituite, et la bile noire à la terre ; que la santé tenait à 
ua juste tempérament et à un parfait équilibre entre le froid et 
le chaud, le sec et l’humide ; que leur inégalité causait la maladie 
et l'absence de l’un d’eux, la mort (1). Aristote (2) et Galien (3) 
approuvèrent cette théorie et lui assurèrent son crédit pour de 
longs siècles. En vain dans la première moitié du seizième siècle, 
le fameux alchimiste et médecin Paracelse, professeur de physi- 
que et de chirurgie à Bâle, fit-il une guerre acharnée aux quatre 
éléments d’Aristote (4), et prétendit-il que « son bonnet en savait 
plus long que Galien », l'École demeura fidèle à Galien et à 
Aristote. En 1573, Ambroise Paré, le premier chirurgien de 
Henri IIT, prenait encore à son compte la théorie d'Hippocrate, 
quand il écrivait : « Ce sont les quatre corps simples, feu, air, 
eau et terre, qui sont la matière de tous les corps naturels. De 
la mixtion des substances et qualité des éléments viennent les 
tempéraments et complexions ou mélanges de chaud, froid, sec 
et humide. Cette harmonie est l’âme tant des bêtes brutes que 
des plantes, laquelle, comme étant leur forme essentielle, leur 
donne être et vie (5). » 

Le P. Joseph dans ses Conférences du Calvaire, dans son 
Traité sur le droit usage des créatures et dans son Explication 


(1) Hippocrate, De la nature humaïne. 

(2) Aristote, De la génération et de la corruption, II, 3. 

(3) Galien, Traité des éléments. 

(4! Aux quatre éléments d’Aristote Paracelse opposait les trois principes des 
mixtes, sel, soufre et mercure. 

(5) Œuvres d'Ambroise Paré, livre [® de l’Introduction, 5. 


LE PÈRE JOSEPH 343 


des facultés de l'âme, n’a pas d’autre manière de faire compren- 
dre la vie végétative en nous, le tempérament, son influence 
physique et morale. Pour lui encore les principes de la vie du 
corps sont toujours « le feu, l’air, l’eau et la terre » (1), et à 
chacun de ces éléments il reconnaît les mêmes qualités que leur 
avaient attribuées Hippocrate et Aristote. « Celles du feu sont 
la chaleur et la sécheresse. A l’opposite, 1l y a l’eau, dont les 
qualités sont l'humidité et la froideur. Après, il y a la terre, qui 
a cette propriété d'être extrêmement froide et sèche. Les qualités 
de l’air sont le chaud et l’humide (2). » 

Le mélange de ces éléments et de ces qualités, aux yeux du 
P. Joseph, forme aussi le tempérament. « Toutefois, dit-il, il n’y 
a personne si bien formé et d’un si juste tempérament, qu’il 
n'y ait quelque élément prédominant sur les autres. En certaines 
personnes, la qualité prédominante sera la chaleur ; en d’autres 
l'humidité. Il y en a qui tiennent de l'air et quelques-uns de la 
terre (3). » La terre produit le tempérament mélancolique ; 
l’eau, le phlegmatique ; l'air, le sanguin, et le feu, la colère. La 
prédominance de tel ou tel élément engendre diverses maladies. 
C'est ainsi que l’excès de chaleur produit les coliques bilieuses 
et les fièvres, et l'humidité, la paralysie et l’hydropisie. Au 
moral, le feu « donne la colère et l’audace et rend l'esprit actif, 
ouvert, pénétrant, rempli d'inventions pour toutes sortes d'arts 
et de sciences ». La terre cause la mélancolie, la tristesse, la 
pesanteur, mais aussi elle donne la fermeté, la constance et la 
ténacité. Jointe au feu, elle rend « l’entendement fort bon et 
plein d'intelligence ». L'air « compose les inclinations joviales 
et sanguines, qui aiment à rire et passer doucement le temps ». 
Le sanguin « est tourné vers l'amour et la joie, se plaît aux 
badinages et sottises, s'emporte pour des chimères, met de la 
ténacité dans les choses de néant, recherche tout ce qui peut 
donner plaisir et contentement à la nature ». Agréable à soi et 
aux autres, il est léger et inconstant. Où dominent le phlegme 
et la pituite, c’est-à-dire l’eau, on a «les personnes molles, 
lâches, qui se traînent plutôt qu'elles ne se portent, craintives et 
fort timides ; tout leur fait peur et les met en épouvante, elles 
sont fort amies de leurs commodités ; essayant de ne rien souf- 
frir au corps ni à l’esprit, elles ont une grande douceur ; mais 


(1) Le P. Joseph, XLI* Exhortation sur Isaie, f. 421 r. 
(2) Le P. Joseph, XLI* Exhortation sur Isaïe, f. 421 v. 
(3) Le P. Joseph, XLI* Exhortation sur Isaïe, f. 422 r. 


344 LE PÈRE JOSEPH 


si vous venez à les piquer, cette douceur ne paraît plus. Elles 
disent fort bien aux autres comme il faut faire pour pratiquer la 
vertu, pour ce qu'elles ont de bonnes connaissances ; mais 
quand on vient aux effets, elles quittent tout là. » Les personnes 
sanguines et phlegmatiques, ne sont braves et généreuses qu’en 
paroles, « au contraire de celles de feu et de terre, qui sont cou- 
rageuses, fermement attachées au bien qu'elles ont une fois 
embrassé, entreprenant de grandes choses ; ce sont pour l’ordi- 
naire de bons esprits (1). » 

Pour le P. Joseph, le meilleur tempérament est celui où le 
feu domine, non en quantité, mais en éminence. En trop 
grande quantité, « il brûle et gâte tout le tempérament ». Quand 
il n’est qu'en éminence, « il l’assaisonne, et laisse les autres qua- 
lités en leur naturel, sinon qu'il les corrige et anoblit ». Et le 
P. Joseph ajoute : « David avait un pareil tempérament. 
Alexandre avait plus de feu que lui en quantité, colère, ivrogne ; 
César avait plus de mélancolie, constant, tenace, songe-creux, 
plein de desseins et qui ne se donnait pas grand repos ; Marc- 
Antoine, tout sanguin, joueur, bouffon, amoureux ; Pompée, 
sanguin et phlegmatique, vain, doux, facile, qui se décourageait 
aux difficultés ; Salomon, de complexion presque pareille, facile 
à perdre, il se fût découragé dans l’adversité ; Caton, colère, il 
se tue, toujours grondeur et hargneux ; Thémistocle, comme 
Alexandre ; Alcibiade, comme Pompée ; Épaminondas, comme 
César ; Moïse d’un tempérament très parfait, comme David et 
Josué ; Samson, plus sanguin, joyeux et colère (2). » 

Après avoir ainsi établi les qualités et les défauts des quatre 
tempéraments et les avoir montrés dans les personnages les plus 
célèbres de l'antiquité profane ou sacrée, le P. Joseph fait voir 
les influences que les complexions ou inclinations exercent sur 
nos facultés supérieures, intellect et volonté (3) ; il entre dans 
de nombreux détails pour expliquer comment la grâce réforme 
et anoblit même la partie infime de notre être. Évidemment, 
c'était le but principal et immédiat que poursuivait le confé- 
rencier du Calvaire. Mais, en bon disciple qu'il était de saint 
Bonaventure, le lecteur du couvent Saint-Honoré lui-même ne 
dut pas le négliger pour ses jeunes philosophes. 


(1) Le P. Joseph, XLI* Exhortation sur Isaïe, f. 422-425. 

(2) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme. 

(3) Avec ces observations du P. Joseph on pourrait comparer, et non sans intérêt, 
les observations d'Alfred Fouillée, dans son ouvrage sur les T'empéraments et 
caractères, et celles de Théodule Ribot, dans sa Psychologie des sentiments. 


LE PÈRE JOSEPH 345 


* 
* * 


Au-dessus de la vie végétative, nous avons la vie sensitive. 
Dans cette vie les scolastiques distinguent les facultés cognosciti- 
ves, qui sont les sens externes et internes, et les facultés appéti- 
tives, qui sont l’appétit concupiscible et l'irascible. 

Comme saint Thomas, le P. Joseph admet la division aristo- 
télicienne des cinq sens externes, qui sont la vue, l’ouïe, l’odorat, 
le goût et le toucher (1). En ce qui concerne la perception des 
sens externes, le P. Joseph suis fidèlement la théorie scolastique. 
Il rappelle et exploite une comparaison qu’il sait recommandée 
« par la meilleure théologie et philosophie », celle que donna 
saint Paul : Videmus nunc per speculum. « Tout ce que nous 
connaissons en cette vie, dit-il, c’est par forme de miroir. Sup- 
posons qu’il y ait un miroir contre cette muraille. Tout ce qui 
est dans la chambre semble être dedans, même ce qui est plus 
éloigné. En effet, on y voit toutes les choses opposées. Mais 
elles n’y sont pas corporellement, mais par rejaillissement, par 
espèce, par idée et par représentation. Le miroir est votre œil, 
qui reçoit les espèces de tout ce que vous voyez. Par exemple, 
vous voyez une de vos sœurs (le P. Joseph s'adresse aux reli- 
gieuses du Calvaire) ; en même temps il se forme une certaine 
idée, une espèce imperceptible, qui sort d’elle et passe dans votre 
œil (2). » D’après le P. Joseph, comme d’après l'École, pour 
qu’il y ait sensation, trois choses sont nécessaires, « d’abord 
l'objet qui est représenté, puis l’espèce qui en résulte, et en troi- 
sième lieu l'œil ou le miroir par lequel on voit. » Ce qu'il a 
exprimé en ces autres termes : « L'objet qui jette son espèce, 
puis la capacité de la vue qui reçoit la chose, et la lumière et 
illustration pour la voir (3). » Celui-là en effet ne peut rien voir, 
qui n’a pas d'objet devant lui, qui n'en reçoit pas une espèce et 
qui n’a pas son miroir éclairé. Le P. Joseph ajoute que l'objet 
doit être « en une distance proportionnée à la capacité de l’œil ». 
Autrement il n’y aurait pas présence. 

On s’est souvent demandé si, dans ce concours des divers élé- 


(1) Le P. Joseph, X XVIIIe Exhortation sur Isaie f. 303 v. — Dans son Explica- 
tion des facultés de l'âme, il avait d'abord essayé de les ramener à trois. C'était 
l’exagération de l'opinion d’Aristote, qui a cru voir dans l’attouchement et l’odorat 
comme une double extension du goût (De l'âme, 111, 12, 7). 

(2) Le P. Joseph, XXJ° Exhortation sur Isaïe, f. 232 r.-v. 

(3) Le P. Joseph, XXTI° et XXII° Exhortations sur Isaïe, ff. 232 v.-230r. 


346 LE PÈRE JOSEPH 


ments de la sensation, saint Thomas ne faisait pas de l'espèce 
l'unique principe actif. Certains philosophes l'ont cru (1). C’est 
sûrement sa tendance apparente (2). C’est aussi celle du P. 
Joseph, qui ne présente pas dans l'âme, comme le fait Duns 
Scot, la coopératrice de la cause agissant sur les organes (3). 
Encore ici le P. Joseph est plus près des Thomistes que des 
Scotistes. 

Qu'est-ce que cette espèce ? « C’est, dit le P. Joseph, une 
chose réelle, une image ou représentation qui sort des objets 
créés, traverse l’air et entre en notre œil imperceptiblement (4). » 
Barthélemy Saint-Hilaire a prétendu que les espèces sensibles 
des scolastiques n’existaient pas chez Aristote (5). C’est une 
erreur. Îl est vrai qu’Aristote n’en a pas déterminé la nature (6). 
Cette espèce « voyageuse », est-elle un effluve, comme le veut 
Démocrite, une émanation d’atomes ? Admissibles pour le goût 
et l’odorat, les atomes ne peuvent l’être pour la vue et l’ouïe (7). 
Pour l’ouïe et la vue, l’image est bien « immatérielle », comme 
dit saint Thomas (8), insaisissable aux sens, « imperceptible », 
comme dit le P. Joseph (9). « On voit les choses spirituelle- 
ment », dit-il encore. C’est même pour cela que dans le miroir 
« elles paraissent plus belles qu’en elles-mêmes (10). » 

Où se produit la sensation externe ? Faut-il avec Bossuet pla- 
cer le siège de la sensation dans la partie antérieure du cerveau ? 


(1) « S. Thomas, dit le P. Prosper de Martigné, La scolastique et les traditions 

franciscaines, p. 335, incline à faire de l’espèce l'unique principe actif, disent les uns, 

presque le seul principe actif de la sensation, affirment les autres. » Cf. ibid., p. 515, 
et E. Pluzanski, Essaï sur la philosophie de Duns Scot, p. 43. 

(2) Mais malgré cette tendance, qu'il tenait d'Aristote (Cf. Waddington, De {a psy- 
chologie d’Aristote p, 337) et qui se manifeste surtout dans certaines comparaisons 
qui lui sont familières (Cf. le P. Prosper de Martigné, La scolastique et les tradi- 
tions franciscaines, pp. 335-356), saint Thomas ne saurait avoir regardé les sens 
comme des puissances purement passives. C’est l'auteur même du Commentaire des 
Sentences qui a dit de saint Thomas (In ium, d.11,q.1,a.1): « Sentire, quantum 
ad ipsam receptionem speciei sensibilis, nominat passionem ; sed, quantum ad actum 
<onsequentem ipsum sensum perfectum per speciem, nominat operationem ». 

(5) E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, p. 42. 

(4) Le P. Joseph, XX* Exhortation sur Isaïe, f. 238 v. 

(5) Barthélemy Saint-Hilaire, Traduction des Œuvres d’Aristote, préface. 

(6) S. Thomas, Summa Theoiogica, pars 12, q. 84, a. 6. 

(7) Cf. E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, pp. 43-45. 

(8) S. Thomas, Sumina Theologica, pars 12, q. 78, a. 3. 

(9) Le P. Joseph, XX7I€ Exhortation sur Isaie, f. 238 v. 

(10) Le P. Joseph, XXI° Exhortation sur Isaïe, f° 234 v. : « Dans ce miroir atta- 
<hé à la muraille, on voit toutes les choses qui sont dans la chambre, en quelque 
manière plus belles qu’en elles-mêmes, d'autant qu'on les voit spirituellement. » 


LE PÈRE JOSEPH 347 


Est-ce bien là qu'aboutit le dernier coup de l’objet extérieur, 
comme de là part le premier branle des mouvements ? L'âme 
« y tient-elle en main les rênes par où tout le corps est poussé et 
retenu ? » Est-elle comme « le pilote qui conduit tout le vaisseau 
par le gouvernail, et préside-t-elle du cerveau à tous les mouve- 
ments du corps ? (1) » Oui, si l'âme est seulement le moteur du 
corps, et cette comparaison de Bossuet peut être alors non moins 
juste que pittoresque. Mais si l’âme est la forme du corps, 
comme le soutiennent les scolastiques, il n’y a plus de raison 
de la reléguer sur ce sommet majestueux ; elle est tout entière 
présente à tout le corps, dont elle informe et anime également 
toutes les parties ; elle est par les sens en contact immédiat avec 
la réalité extérieure, et le siège de la sensibilité est l’organe lui- 
même. Sur ce point encore le P. Joseph paraît d'accord avec les 
scolastiques et il ne dit pas un mot qui fasse croire qu'il pro- 
longe le mouvement de l'espèce au-delà de l’organe des sens. 

Aux cinq sens extérieurs l'École joignait les sens internes, 
c'est-à-dire ceux dont les organes ne paraissent pas et qui ne 
demandent pas un objet externe actuellement présent. Saint 
Thomas après Aristote, admet quatre sens internes : le sens 
commun, l'imagination, le sens appréciatif et la mémoire sensi- 
tive (2). Duns Scot rejette l'imagination, le sens appréciatif, et, 
bien que d’une manière moins formelle, la mémoire sensitive (3). 
Le P. Joseph se tient plus près de saint Thomas que de Duns 
Scot, et admet «le sens commun, l'imagination et le sens 
mémoratif (4). | 

« Par le sens commun, dit-il, nous concevons en gros les 
formes des choses qui ont été offertes aux sens extérieurs, comme 
sont les figures de ce que nous avons vu, ouï, touché (5). » 
Dans la théorie scolastique, l’organe du sens commun est un 
organe central, le cerveau, où les sensations des sens particuliers 
sont répétées pour y être comparées et complétées ; en effet au 


(1) De la connaïssance de Dieu et de soi-même II, 5, 15 et 20. 

(2)S. Thomas, Summa Theologica, 12 p., q. 78, a. 4. « Necesse est ponere quatuor 
vires interiores sensitivæ partis, scilicet sensum communem, imaginationem, æsti- 
mativam et memorativam. » 

(3) Cf. E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, pp. 48-49. — Duns 
Scot, In 4#mSent., d. 45, q. 2, De anima, q. 9 et 10. 

(4) XVe Épître du P. Joseph à sa mère. — Cf. Exercices spirituels des Religieu- 
ses Bénédictines du Calvaire, 1"° partie, p. 218. « Nous avons trois sens intérieurs, 
Savoir : l'imaginative, l'estimative (qui n’est autrement définie que le sens commun) 
-tla mémorative. » 

(5) XVe Epiître du P. Joseph à sa mère. 


348 LE PÈRE JOSEPH 


sens commun est attribuée la conscience sensitive, c’est-à-dire 
lPaperception réfléchie par laquelle le sujet connaît qu'il a une 
sensation (1). 

Conformément à la doctrine de saint Thomas, le P. Joseph 
définit l'imagination « un organe sensible et puissance inférieure 
de l’âme par laquelle se connaissent les choses matérielles et 
visibles, quoique absentes (2). » « Elle a son lieu dans la tête, 
au devant d’icelle, et même quand on vient à l’ouvrir, comme 
ceux qui font des anatomies, ils trouvent le lieu où elle est au 
droit du front (3), divisé en petites cellules, dans l’une desquelles 
se conservent les espèces des choses matérielles et sensibles (4). » 
Avec à-propos ce scolastique va nous prouver qu'il a de l’imagi- 
nation. En effet, il nous présente l’âme comme une « princesse » 
qui a nombre « d’officiers, grandes cours, chambres et anti- 
chambres précédant la royale salle où principalement elle fait sa 
résidence. » « Les formes des choses étant passées par le sens 
commun, elles sont reçues de l'imagination, où elles s'impri- 
ment et prennent de nouveaux habits et visages pour pouvoir 
être connues de l'’intellect, qui est l’une des puissances hautes, 
qui est comme l’écuyer de la reine, à laquelle nul ne parle que 
par son moyen. Or, parce qu'il est tout spirituel, il ne peut 
comprendre les formes corporelles que premier elles n'aient 
changé d’habit et pris une forme spirituelle, ce qui se fait en 
l'imagination, comme en l’antichambre de ces princes où l'on 
change de cape. Ici, à cause que toutes les formes des créatures. 
sont reçues comme au lieu où entrent les pages et laquais, il y a 
le plus souvent une grande confusion, et là, se pressent tant de 
pensées inutiles, tant de chimères et rêveries, que ceux qui ne 
sont entrés plus avant dans le palais, négligeant ses connais- 
sances, sont tout inquiétés, et parmi ces bruits et désordres ne 
peuvent entendre la douce voix de leur Dieu (5). » « Près de la 
chambre de l'imagination se trouve le sens mémoratif, un petit 
recoin auquel entrent ces formes qui souvent sans notre volonté 
et malgré icelle, se représentent importunément aux yeux de 
l'intellect, lequel a beau les rebuter comme canailles et gens indi- 
gnes de parler à la reine, toujours ils retournent jusqu’à tant que 


(G)E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, p. 47. 
(2) Le l. Joseph, XXX° Exhortation sur Isaïe, f. 325 v. 

(3) Ébauche de la théorie des localisations cérébrales. 

(4) Le P. Joseph, XX X*® Exhortation sur Isaie, f. 324 v. 

(5) XVe Épître du P. Joseph à sa mére. 


LE PÈRE JOSEPH 349 


l’âme, ayant acquis plus de maîtrise, fasse déloger telles gens de 
son palais (1). » 

L'’imagination a été appelée « la folle du logis ». Le P. Joseph 
en a, dans des termes pittoresques, dépeint les égarements. « En 
l'imagination font leur demeure toutes les pensées légères 
errantes, qui volent devant les yeux de notre esprit, comme une 
grande bande d'oiseaux de divers plumages, qui font un bruit 
perpétuel par leurs chants différents et troublent la paix de notre 
âme. Mille fantômes de vains désirs s'élèvent dans cette imagi- 
nation ; mille petits dépits, dédains, jalousies, soupçons, juge- 
ments téméraires pour le moindre déplaisir que nous recevons, 
nous inquiètent et font des tours et retours dans notre fan- 
taisie avec rumeurs et tintamarres, comme des pies grièches 
dénichées ; mille petits souhaits de biens imaginaires naissent 
dans notre cœur, et, comme des étourneaux gloutons, ouvrent le 
bec avec des cris importuns après la proie de quelque vil con- 
tentement. Ainsi les idées des faux biens que nous poursuivons, 
nous travaillent et nous sont fort dommageables ; encore que 
ce soit sous l’apparence du bonheur, elles nous éloignent de 
Dieu, où gît notre seule félicité et font que notre âme ainsi éga- 
rée est abattue et prise des malins esprits, vautours et milans 
ravisseurs, auxquels elle sert de curée (2). » 

Le P. Joseph observe avec raison que l’imagination des bêtes 
est beaucoup plus réglée que la nôtre. « Le loup, dit-il, pense à 
prendre sa proie, la brebis à brouter l'herbe, le renard à manger 
les poules, et ainsi des autres ; leur imagination suit leur instinct 
naturel (3). » C’est pourquoi elle est beaucoup plus sûre que la 
nôtre. « Les bêtes, dit encore le P. Joseph, ne sont pas trom- 
pées en leur imagination si souvent que nous. Voyez un chien, 
quelle industrie il a à discerner les détours des animaux qu'il 
poursuit et à connaître son maître entre mille autres habillés de 
la même façon ; les hirondelles, à connaître les saisons et pays 
qui leur sont propres à faire leurs nids, à choisir le lieu le plus 
à couvert et à l’abri des vents pour y mettre leurs petits ; l'abeille, 
à distinguer les bonnes fleurs propres à faire le miel d'avec celles 
qui ne le sont pas. Ainsi des autres animaux, auxquels on 
remarque plusieurs semblables industries. Pourquoi cela ? Pour 
ce que Dieu par sa bonté supplée le défaut de la raison, dont ces 


(1) XVe Épitre du P. Joseph à sa mère. 
(2) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme. 
(3) Le P. Joseph, XXX* Exhortation snr Isaie, f. 325 v. 


350 LE PERE JOSEPH 


animaux sont privés. Mais, nous autres, il nous veut conduire 
par la raison et la foi, de manière que, quand nous agissons par 
le sens de l'imagination comme des bêtes, il nous laisse trom- 
per, afin que nous ayons recours à ces infaillibles guides dont il 
nous a pourvus (1). » 


* 
* * 


Touchée du plaisir ou de la douleur ressentis ou imaginés 
dans un objet, l’âme le poursuit ou s’en éloigne. Ce mouvement 
se nomme passion ou appétit. Le P. Joseph suit la classifica- 
tion des passions établie par Aristote (2) et admise par saint 
Thomas (3). Il reconnaît donc onze passions : six relevant de 
l'appétit concupiscible, « à savoir l’amour et la haine, le désir et 
la fuite, le plaisir et la tristesse », et cinq de l’irascible, l’audace, 
la crainte, l'espérance, le désespoir et la colère (4). 

L’appétit concupiscible comprend d’abord « l'amour, qui a le 
bien pour objet ; car jamais on n'aime que ce qui est bon ou ce 
qu’on est'me tel ; nul ne peut aimer le mal, sinon sous l’appa- 
rence de quelque faux bien (5). » « La volonté se porte néces- 
sairement à aimer le bien. Tournez-la de quelque côté que vous 
voudrez, elle ne peut qu’elle n’aime le bien, vrai ou apparent ; 
il est impossible qu’elle aime le mal (6). » « L'amour est le pre- 
mier mouvement de la volonté vers le bien vrai ou apparent(7)». 
« le premier mouvement de la volonté qui excite et attire tous les 
autres (8) », « le premier mouvement qui pique et émeut l’âme 
et donne le branle à tous les autres (9) » ; « après suit le désir, 
car tout ce qu'on aime, on le désire, et lorsqu'on l’a, il ÿ a dela 
joie en sa jouissance (10) » ; « la joie est le repos de la volonté en 


(1} Le P. Joseph, XXX* Exhortation sur Isaïe, f. 325 r. et v. 

(2) Aristote, De l'âme. 

(3) S. Thomas, Summa Theologica, la Ilae, q. 23 et q. 25. — La même classifi- 
cation se trouve dans saint François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, I, 3, et 
dans Bossuet, De la connaïssance de Dieu et de soi-même, 1, 6. 

(4) Le P. Joseph, Exercices spirituels des Religieuses Bénédictines du Calvaire, 
1e partie, p. 220, et XX VJIl‘et XXA‘et XXXIII* Exhortations sur Isaïe, ff. 303 
v. 326-327, 349-350. 

(5) Le P. Joseph, XXX* Exhortation sur Isaïe, f. 326 v. 

(6) Le P. Joseph, VIe Exhortation sur Isaïe, f. 86 r. 

(7) Le P. Joseph, Exhortation pour la fête de Noël, du 27 décembre 1633, ms. Il, 
p. 103. 

(8) Exhortation sur la Visitation, du 13 février 1637, ms. II, f. 54 r. 

(9) Le P. Joseph, X* Exhortation sur Isaïe, f. 124 v. 

(10) Le P. Joseph, XXX* Exhortation sur Isaie, f. 326 v. 


LE PÈRE JOSEPH 35r 


la jouissance de la chose aimée (1). » « A ces trois passions sont 
opposées les trois suivantes, qui sont la haine, la fuite et la tris- 
tesse. Ainsi, quand vous aimez bien Dieu, vous haïssez le péché, 
qui lui est contraire, et quand vous haïssez une chose, vous la 
fuyez aussitôt, et si on ne le peut faire, on est triste, ce qui est 
opposé à la joie (2). » 

L'amour tend à l’union, et nous n’aimons rien sans que nous 
désirions l'obtenir. Il nous en faut donc les moyens. C’est pour- 
quoi Dieu a mis en nous les cinq passions de l’irascible. « Les 
passions de l’appétit concupiscible se portent au bien sensible, 
considéré purement en ce qu'il a d’aimable ; celles de l’irascible 
envisagent le bien, mais comme une rose entourée d’épines et 
accompagnées de difficultés qu’on s'efforce de surmonter, afin 
d'ôter à la partie concupiscible les obstacles de son contente- 
ment (3). » « Ces passions se portent à résister au mal qu’elles 
savent leur être nuisible et à la recherche du bien qu'elles con- 
naissent leur être utile. Nous nous mettons en colère, parce 
qu'on nous veut Ôter ce que nous aimons et désirons, ou qu'on 
ne nous le veut pas octroyer. Et quand cette colère porte à entre- 
prendre plus que l’on ne peut, alors elle se nomme audace. Il y 
a des personnes si audacieuses qu'elles se jetteraient dans le feu 
et passeraient au travers des glaives tranchants sans effroi. Un 
seul homme combattra contre cent et croira lespouvoir vaincre, 
étant animé de cette passion. La crainte est opposée à l’audace. 
C’est ce qui fait qu’on se retire des périls et que même on craint 
où il n’y a nul sujet de craindre, ainsi qu’on voit en des naturels 
extrêmement timides. L’espérance suit après, qui accompagne la 
colère et sert à l’animer par l'espoir qu'elle lui donne de con- 
duire à chef ses intentions. Que si cela manque, le désespoir 
survient, qui emporte l’âme en un abîme de découragement. Ce 
mouvement est plus à craindre que tous les autres (4). » « Voilà, 
ajoute le P. Joseph, les onze passions par lesquelles le monde 
est agité. Aucun mouvement n’est en nous que par icelles. C’est 
par elles que la volonté est poussée au bien et au mal (5). » 

Toutes ces passions sont les manifestations de la vie sensitive. 
La vie sensitive est commune à l’homme et à l'animal. C'est 


(1) Le P. Joseph, Exhortation pour la fête de Noël, du 27 décembre 1633, ms. 
II, p. 103. 

(2) Le P. Joseph, XXX* Exhortation sur Isaïe, f. 326 v. 

(5) Le P. Joseph, Exercices spirituels, 1"° partie, pp. 220-221. 

(4) Pensée éminemment thomiste. 

(5) Le P. Joseph, XX X* Exhortation sur Isaïe, f, 327 r. 


352 LE PÈRE JOSEPH 


pourquoi le P. Joseph a eu l’heureuse pensée de montrer chacu- 
ne de ces passions dans les divers animaux où elle domine. Ces 
peintures pleines de pittoresque, offrent plus d’un trait que n’eût 
pas rejeté notre La Fontaine, cet éminent peintre des bêtes et 
de l’âme humaine. 

« L'amour naturel, dit le P. Joseph en son Explication des 
Jacultés de l'âme, ressemble en apparence à un agneau doux, 
bénin et débonnaire. Il rend l’homme si bête qu’il se laisse tondre 
sans crier et qu’il flatte et amadoue ceux qui l’écorchent.. La 
Joie court et bondit comme un chevreuil dans le transport de 
quelque vain contentement, qui nous émeut à donner carrière 
très libre à toutes nos humeurs, nous pousse à mille légèretés, 
saillies et boutades à l’improviste, nous fait mouvoir par surprise 
au moindre vent qui fait branler les feuilles... Le mouvement de 
la haine se jette et s’acharne comme un loup sur tout ce qui le 
fâche, se laisse emporter à ses aversions naturelles, ne peut rien 
souffrir de ceux qui sont comme lui dépits, malins, pleins de 
rancunes, de ruses, de cabales et artifices pour surprendre les 
gens de bien, comme le loup fait le mouton... La tristesse 
appesantit les âmes terrestres, les rend sauvages et farouches 
comme les ours, qui meurent de mélancolie, qui donnent de 
la patte à tous ceux qui s’approchent d'eux et leur montrent 
mauvais visage. La colère rend l’homme semblable au lion, 
qu’on dit être toujours en fièvre. C’est la plus pernicieuse de 
toutes les passions, et surtout chez les grands, car ils devien- 
nent les ennemis du genre humain ; ils font ravage et dégât 
dans les peuples et provinces ; ils se rendent insupportables, 
félons, cruels, inhumains. Aussi ces hommes sont-ils environnés 
des fléaux de Dieu et des clameurs, complaintes et malédictions 
de tout le monde... L’audace diffère de la colère en ce que 
l’audacieux n’est pas tant ému par courroux que par un orgueil 
brutal qui lui fait lever les cornes et le pousse à fendre la presse 
et à fouler tout le monde aux pieds, ainsi qu’un taureau échauffé, 
lequel n’est pas vaillant et courageux comme un lion ; il paît 
l'herbe comme les autres. Ce sera quelque homme d’un esprit 
commun, mais puissant par sa qualité, par ses amis. S'il est 
offensé, il entre en chaleur, il tonne, il mugit, il s’enfle en sa 
peau, il frappe la terre du pied, il remplit l’air de bruit et de 
menaces ; rien ne lui semble difficile, il s’élance au travers de 
tous les périls, il heurte tout, il entreprend au-dessus de ses 
forces, tandis que son humeur le tient et que le taon de son am- 


LE PÈRE JOSEPH 353 


bition présomptueuse et de son dépit aveuglé lui perce le flanc 
jusqu’au vif... La crainte fait fuir comme un pauvre lièvre qui 
n'a force qu’à bien courir et qui ne voit goutte en courant ; car 
il voit fort peu devant lui et n’aperçoit que de côté, comme 
si la nature ne lui avait donné des yeux que pour connaître le 
péril des chiens qui le poursuivent et se rendent plus diligent en 
sa fuite éperdue... Le désespoir est la plus déraisonnable de 
toutes les passions ; elle ôte aux bêtes tout ce peu d’apparence 
de raison qu’elles montrent au soin qu'elles ont de se conserver. 
Car lors elles se précipitent elles-mêmes ; il n’y a plus moyen 
de les empêcher de périr avec dommage d'autrui, qu’en les 
tuant... (1) » 

Le P. Joseph a le culte du symbolisme. Il a comparé nos pas- 
sions aux animaux. Îl va les comparer, de même que nos sens 
et nos facultés, aux serviteurs du roi. Ce sont autant d'officiers 
qui servent dans le palais et le château de l'esprit. Les sens 
extérieurs sont « les archers qui font la garde aux portes du 
logis, qu'ils ont charge d'ouvrir et fermer selon les occurrences » 
Les passions sont « les gardes du corps du prince et ses autres 
domestiques qui approchent plus près de sa personne. » L’ima- 
gination « a le soin des galeries et du cabinet des peintures et 
présente chaque jour à l'esprit de nouveaux portraits et repré- 
sentations. » L'amour est « le capitaine des gardes, dont toutes 
les autres passions reçoivent le mot. » La joie est « le maître de 
musique, qui chaque jour invente, comme autant d’airs nou- 
veaux, de nouvelles jouissances, lesquelles ne durent pas plus 
longtemps que la tirade d’une belle voix bien roulante et qui 
s’évanouit dans l'air aussitôt qu’elle y est formée. » La haine est 
« le maître d'hôtel ,l’intendant et le contrôleur de la dépense, qui 
hait les larrons, tance et rabroue tous ceux qui ne font pas leur 
devoir. » La tristesse est « le médecin qui donne la rhubarbe 
amère des ennuis, des afflictions. » La colère est « l'huissier de 
la porte du cabinet ou de la chambre qui écarte les importuns. » 
L’audace est « le commandant des chevau-légers, qui est tou- 
jours en campagne, donne partout tête baissée où on l'envoie, 
autant étourdi que vaillant. » La crainte « fait toujours la ronde 
et pose partout des sentinelles pour ne laisser surprendre le 
château. » Le désespoir, « qui trouve des difficultés partout, est 
celui qui tient les finances. » L’intellect et la mémoire sont « les 


1) Le P. Joseph, Explications des facultés de l'âme. 


E. F. — XXIX. — 3 


354 LE PÈRE JOSEPH 


principaux conseillers d'État. » L'intellect est « le chancelier 
qui tient le sceau et donne la forme authentique aux diverses 
pensées. » La mémoire est « le secrétaire d’État, qui reçoit, 
garde et ouvre les paquets, les tient rangés en bon ordre pour les 
présenter au conseil, maintient les correspondances au dedans et 
dehors du royaume pour les affaires de son maître, tient registre 
de tous les résultats des assemblées, bref, est le répertoire de 
tous les droits et titres principaux de la couronne (1). » 

Le P. Joseph nous montre encore notre corps et notre âme 
comme les théâtres de combats acharnés. Les quatre éléments 
qui composent notre corps, « s’entrebattent continuellement » ; 
leurs qualités diverses, froid, chaud, sec et humide « veulent 
toutes dominer et se surmonter mutuellement (2). » Semblables 
à des bêtes, « les passions demandent différentes pâtures et sont 
toujours en guerre. L’amour est combattu de la haine ; la 
tristesse combat la joie ; la fuite, le désir. Bref, nous sommes 
comme un champ de bataille où tout cela s’entrechoque sans 
cesse (3). » 

Mais, ainsi que notre philosophe devait se le demander, 
« pourquoi donc Dieu a-t-il mis en nous un si grand nombre 
de passions qui nous tirent plutôt du côté de la terre qu’elles ne 
nous portent à lui,qui nous rendent semblables à des bêtes brutes 
plutôt qu’à des personnes douées de raison ? Pourquoi a-t:il 
voulu nous donner un si grand poids, vu qu’il semblait être 
plus convenable de nous donner des ailes pour nous élever ? Il 
semble que l'âme soit selon une certaine figure, par laquelle les 
anciens représentaient la vertu sous la similitude d’un jeune 
homme qui avait des ailes à la tête qui l’élevaient en haut, et 
des fers aux pieds qui l’attiraient en bas. L'invention en était 
belle pour les payens, lesquels reconnaissaient bien et nous 
voulaient montrer par là que la vertu consiste en une certaine 
médiocrité (4), et que nous avons besoin d’un contrepoids, 
ainsi que ceux qui dansent sur la corde, qui est un jeu pour 
passer le temps, se servent de certain bâton ferré, lequel semble- 
rait plutôt les devoir abaisser, et néanmoins c’est ce qui les fait 
aller en équilibre et juste balancement (5). » Ce contrepoids 

(1) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme. 


(2) Le P. Joseph, Exhortation sur la Sainte Trinité, 11 mai 1636, ms. 11, p. 870. 

(3) Le P. Joseph, Exhortation sur la Sainte Trinité, 11 mai 1636, ms. II, pp. 
879-880. 

(4) Médiocrité ici a le sens du latin mediocritas, une moyenne. 

(5) Le P. Joseph, XÆXTJIIe Exhortation sur Isaïe, f. 350 v. 


LE PÈRE JOSEPH 355 


retient l’homme dans le juste milieu où Dieu l’a placé, « entre 
les créatures purement corporelles et les créatures purement 
spirituelles (1). » L'homme ne peut oublier ainsi qu’il a en lui 
et la vie végétative, et la vie sensitive comme les animaux, et la 
vie intellectuelle comme les anges. 


* 
* * 


Quelle est donc cette troisième vie ? 

« L'homme, dit le P. Joseph, est composé de deux parties, 
l’une spirituelle, l’autre corporelle. La spirituelle, qui est l’âme, 
est la plus excellente. L'âme est une certaine essence invisible 
qui n’occupe aucun lieu selon l'extension matérielle, et néanmoins 
elle a son lieu particulier, son opération et son mouvement en 
l’homme, et, selon la simple essence, demeuresuspendueen Dieu, 
duquel elle porte l’image. Cette âme a trois perfections distinctes ; 
car elle est végétative, elle est sensitive et en troisième lieu elle est 
intellectuelle. Par la végétative elle a rapport avec les plantes,en ce 
que, tout ainsi que l’âme végétative donne vie aux plantes, ainsi 
fait l’âme intellectuelle au corps humain ; elle le fait vivre et elle 
le fait croître. Et comme les bêtes ont mouvement et sentiment 
par l’âme sensitive qui est en elles, ainsi l’âme raisonnable don- 
ne sentiment et mouvement au corps humain. En troisième 
lieu, elle est intellective, c’est-à-dire qu’elle a raison et intelli- 
gence, en quoi elle a rapport avec les anges (2), » 

Le P. Joseph admet ainsi en termes formels l'animisme de 
l'Ecole. II reconnaît une âme ou principe immatériel aux 
plantes, un autre aux bêtes, et notre âme, qui est esprit, remplit 
chez nous les fonctions de ce double principe; c’est la même âme 
qui nous fait vivre, sentir et penser. Mais cette vigueur végéta- 
tive et sensitive qu'elle répand en nous, est sujette à mille alté- 
rations et changements, même au non-être. Comme l'âme des 
plantes et des bêtes, elle est amoindrie par la maladie, détruite 
par la mort. Notre âme peut ainsi cesser ses fonctions, sans 
qu’elle-même cesse d’être. « Vous me demandez peut-être, dit le 
P. Joseph à ses religieuses du Calvaire : Pourquoi donc les anges 
ne sont-ils point appelés âmes comme notre âme, puisqu'ils sont 


(1) Le P. Joseph, XXXIII* Exhortation sur Isaïe, 351 r. 

(2) Le P. Joseph, Exercices spirituels, 1"° Partie, pp. 217-218. Cf. la XXX® 
Exhortation sur Isaïe,la VII° Exhortation sur le noviciat du Calvaire,ms.XVI, et la 
XVIe Exhortation sur l'Exercice des dix jours ms. VII. 


356 LE PÈRE JOSEPH 


de même nature ? — Votre âme est ainsi appelée à cause de 
l'obligation qu’elle a d'informer le corps, et, quoique sa nature, 
soit toute pareille à celle des anges, toutefois leurs opérations 
et conditions sont bien différentes. La condition de ces célestes 
esprits est d’être séparés du corps, et leur propre est d’être tou- 
jours unis à Dieu. Ils sont de grands seigneurs, et nous autres 
sommes de pauvres meuniers attachés à notre moulin et obligés 
de conduire nos ânes (1). » 

L'âme a deux puissances ou facultés, qui sont l'intellect et la 
volonté. Dans son Explication des facultés de l'âme et aussi 
dans ses Exercices spirituels de la Congrégation du Calvaire (2), 
le P. Joseph avait, de même que sainte Thérèse, distingué trois 
facultés de l’âme et présenté la mémoire comme une faculté dis- 
tincte de l’intellect. Mais dans ses Exhortations il a modifié sa 
classification. J1 y enseigne que, « selon saint Augustin et saint 
Thomas (3),la mémoire ne procède pas directement de la subs- 
tance de l'âme et partant n’est pas une faculté distincte, mais 
conjointe à l’intellect (4). » « Ce n’est qu’une réflexion de l’en- 
tendement sur les choses passées (5). » 

L'intellect et la volonté sont appelés puissances, « parce que, 
dit le P. Joseph, par icelles l’âme est puissante de vouloir, et 
opère ce qu'elle veut et sans elles ne pourrait rien faire (6) » ; 
facultés, « ce qui signifie le pouvoir qu’elles ont d'opérer (7). » 
C'est, en termes moins précis, la définition de saint Thomas, 
qui voit dans chacune de ces facultés « le principe prochain de 
l'opération de l’âme » (8) et fait de l'âme la cause formelle, non 
efficiente de ses actes. L’âme est la racine ; la puissance, la 
branche, et l’acte humain, le fruit. 

Dès lors il est évident que sur la nature de la distinction de 


(1) Le P. Joseph, V* Exhortation sur le noviciat du Calvaire, ms. XVI, ft. 68 v. 

(2) Première partie. p. 221. 

(31 Summa Theologica, 12 pars, q. 70, a. 6 et 7. 

(4) Le P. Joseph, XXZX* Exhortation sur Isaïe, f. 310 v. 

(5) Le P. Joseph, XXVIII* Exhortation sur Isaïe, f. 309 v, et 303 v. — Cf. XIIe 
Exhortation sur Isaïe f. 160 v ; IX* Exhortation sur l’Exercice des dix jours, ms. 
VIL, p. 364 ; Exhortation sur l'Évangile du dimanche de l’Octave de l’Épiphanie, 
ms. II, p. 361 ; Exhortation où est enseigné comme l’on doit régler les trois parties 
de l'âme, ms. IV, Pièces diverses, p. 410. 

(6) Le P. Joseph. XIIIe Exhortation sur l'Exercice des dix jours, ms. VII, pp. 
508-509. 

(7) Le P. Joseph, XXVIIT* Exhortation sur Isaïe, m. III, f. 304 r. 

(8) S. Thomas, Summa Theoloqica, 12 pars, q. 78, a. 4: « Proximum principium 
operationis animae ». 


LE PÈRE JOSEPH 357 


l’âme et de ses facultés le P. Joseph sera pour saint Thomas 
contre Duns Scot. Duns Scot, reprenant l'opinion de quelques 
philosophes anciens, avait prétendu que les facultés de l'esprit 
humain « n’ont de distinction réelle ni entre elles n1 avec l’es- 
sence de l’âme (1). » Il n’admettait qu’une distinction de raison. 
Au contraire, saint Thomas, d'accord avec les saints Pères, 
avait soutenu qu’il y a, soit entre les facultés et l’essence de 
l’âme, soit entre les facultés elles-mêmes, une distinction réelle, 
en telle sorte qu’elles sont des entités réelles, des modes réels 
qui affectent la substance de l’âme (2). Le P. Joseph adhère 
pleinement à l'opinion thomiste. « Nos facultés de l'intelligence 
et de la volonté, dit-il, ne sont pas l'âme, mais deux puissances 
distinctes (3). » « Elles sont seulement outils et organes dont 
l’âme se sert en toutes ses opérations (4). » Les facultés doivent 
être « unies et conjointes à l’âme », sans quoi elles n’existeraient 
pas (5). L'âme a de même besoin de ses facultés, sans quoi elle 
n'opérerait pas. « [l n’y a que la seule essence divine qui opère 
d'elle-même (6). » « Le feu n’opère point par sa substance, mais 


(:) Duns Scot, in 2um Sent, d. 16 : « Dico quod non distinguuntur realiter inter 
se nec ab essentia. » Plus tard, Descartes acceptera cette théorie, qui, du reste, était 
la conséquence nécessaire de son axiome : « Cogito, ergo sum ». Pour lui en effet 
l’âme est une chose qui pense, et qui ne serait pas sans la pensée. Bossuet se rangera 
lui aussi à cet avis, quand il écrira, dans La connaissance de Dieu et de soi-même, 
I, 20 : « L'entendement n'est autre chose que l'âme, en tant qu’elle conçoit ; la 
mémoire n'est autre chose que l'âme en tant qu'elle retient et se ressouvient ; la 
volonté n'est autre chose que l'âme en tant qu’elle veut et qu’elle choisit. De même 
l'imagination n'est autre chose que l’âme en tant qu'elle imagine et se représente les 
choses. La faculté visive n’est autre chose que l’âme en tant qu'elle voit, et ainsi des 
autres ; de sorte qu'on peut entendre que toutes ces facultés ne sont au fond que la 
même âme qui reçoit divers noms à cause de ses différentes opérations. » 

(2) S. Thomas, Summa Theologica, la pars. q. 77, a. 1. Les thomistes donnent 
pour raisons, que, si l'intelligence et la volonté étaient identiques à l’essence de l'âme, 
elles seraient égales entre elles, ce qui n'est pas ; que la puissance et l'acte sont de 
même genre, qu'en conséquence la puissance est un accident comme l'acte lui-même ; 
que la même chose ne peut être en mème temps et sous le même rapport acte et 
puissance ; que l'essence de l'âme comme premier principe (ils admettent l'ani- 
misme), est toujours en acte, tandis que ou bien les facultés n’y sont pas nécessai- 
rement, comme chez les personnes qui ont l'usage de leur bon sens, ou bien même 
n’y sont jamais, comme chez les fous ; que l’âme ne peut être à la fois une par son 
essence, et multiple par ses facultés, alors que ces facultés sont ou subordonnées ou 
opposées les unes aux autres, qu’elles s’excitent ou se combattent mutuellement (Cf. 
Zigliara). 

(3) Le P. Joseph, XZZI* Exhortation sur l'Exercice des dix jours, ms. VII, p. 
5u8. 

(4) Le P. Joseph, IX* Exhortation sur l'Exercice des dix jours, p. 364. 

(5) Le P. Joseph, ZX* Exhortation sur l'Exercice des dix jours, p. 304. 

(6) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaïe, ms. Il, f. 05 v. 


358 LE PÈRE JOSEPH 


par sa chaleur et lumière (1). » « Notre esprit n’opère jamais 
par lui-même, mais par ses puissances (2). » Du reste « la subs- 
tance peut bien être sans les accidents. Quand Dieu supprima la 
chaleur du feu qui était dans la fournaise où les trois enfants 
furent jetés, il ne brùlait point, et néanmoins il ne cessait pas 
d'y avoir du feu ». Ainsi, « quand l’on dort, l’âme n’opère pas 
par ses puissances ; pourtant la substance demeure et subsiste 
toujours. Quand l’on devient fol, l’âme ne cesse pas de demeu- 
rer, quoiqu'elle n’ait pas l’usage libre de ses facultés. C'est 


pourquoi la substance n’est pas la même chose que les acci- 
dents (3). » 


(À suivre) Louis DEDOUVRES 


(1) Le P. Joseph, XXIe Exhortation sur Isaie, {. 241 tr. 


(2) Le P. Joseph, VIIe Exhortation sur Isaie, t. 65 r. — Cf. X XIXe Exhortation 
sur Isaïe, f. 509 r. 


(3) Le P. Joseph, XX/X*€ Exhortation sur Isaïe. f. 300, r.-v. 


DEUX ÉPITAPHES SATIRIQUES 
SUR L'ÉMINENCE GRISE. 


Comme tous les hommes d'état, le P. Joseph du Tremblay 
eut les honneurs de l’épigramme. Ceux que sa mort réjouit, ne 
se firent pas faute d'en user,voulant ainsi se venger du puissant 
conseiller royal qu'ils avaient craint et haï sa vie durant. Frappé 
d’apoplexie, il rendit le dernier soupir sans avoir pu faire une 
confession verbale, bien qu'il eût fréquemment manifesté sa 
contrition en se frappant la poitrine (1). À ce sujet circula bien- 
tôt le quatrain suivant : | 


Cy-git ce moine de profession 
Qui du Cardinal secrétaire 
Sçut si bien le secret taire 
Qu'il est mort sans confession. 


L’épigramme suivante fait allusion à sa collaboration avec 
Richelieu : 


Cy-git au chœur de cette église 
Sa petite Éminence grise 

Et quand au Seigneur il plaira 
Son Éminence rouge y gira. 


Comme il fut enseveli devant le maître-autel de l’église Saint- 
Honoré à Paris, à côté du P. Ange de Joyeuse, on trouva plai- 
sant de s’en étonner de la façon suivante : 


Passant, n'est-ce pas chose étrange 
Qu'un démon soit auprès d’un Ange. (2) 


(1) Ricnarn, Histoire de la vie du R. Père Joseph Le Clerc Du Tremblay, Capu- 
cin, t. II p. 290 sv. Paris, 1702. 

(2) Ces trois épigrammes sont citées par l'ANOxYME qui a prétendu montrer le 
P. Joseph sous son véritable jour en opposition avec la biographie citée de l'abbé 
Richard qu'il traite de fantaisiste, Cfr. Le véritable Père Josef, Capucin nommé 


360 DEUX ÉPITAPHES SATIRIQUES 


Ces trois épigrammes ne sont que méchantes. Il n’en est pas 
de même des deux épitaphes satiriques envoyées le 1 et le 22 
janvier 1639 au cardinal secrétaire d’état François Barberini par 
Richard Stravius, archidiacre d'Arras et administrateur de la 
nonciature apostolique de Bruxelles (1). D'allure grave, d’expres- 
sion haineuse, elles vouent à la malédiction de Dieu et des hom- 
mes la vie privée et publique du P. Joseph. Comme le dit Stra- 
vius dans le billet accompagnant la seconde épitaphe, elles sont 
extraites toutes les deux de libelles écrits contre l’œuvre du 
célèbre Capucin : 

Epitaphium Patris Josephi Capucini. 

Morare hospes et impiis manibus male precare. 
Infelicis memoriæ monachus hic jacet, 
Vir protonefarius, quippe qui vivus diritate consilii 
Et morum nequitia omnes retro scelestos homines superaverit. 
Natus in humani generis perniciem, 

Et opprobrium sæculi. 

Etsi dominus, 
Ambitus tamen et irarum servus congeriem malorum addidit. 
In fide et voluntate perditus homo, 
Et nihil minus quam Deum et Religionem curans. 
Ut fuit pacis et quietis publicae infestissimus hostis, 
Ita belli inter christianos principes et sacrilegii author, 

Et propagator extitit acerrimus. 
Denique post eversum fere totum orbem, 

[psius mentis pravitate, 

Cum illi adsummum crudelitatiset iniquitatis culmen jam deesset nihil, 

Scelerum oppressus innumera multitudine, 
Misere cruciatus inferis animam reddidit : 
Occubuit in dœmone XIV Kal. Januarii. (2) 


La seconde épitaphe est plus longue et aussi plus violente. 
Son auteur a voulu frapper l'imagination des lecteurs par l’affir- 
mation calomnieuse du contraste saisissant entre la profession 
religieuse du P. Joseph et sa conduite fourbe, superbe et san- 
guinaïire : 

Epitaphium P. Josephi. 
Siste qui hactenus inaudita vis audire, 


au cardinalat, contenant l'histoire anecdote du cardinal de Richelieu. p. 571. 
Saint-Jean de Maurienne, 1704. 
1) Archives Vaticanes. Nunziatura di Fiandra, volume 25. 
(2) Le 18 décembre 1638. 


SUR L'ÉMINENCE GRISE 367 


Hic lege non cœli, sed aulae, non sanctorum sedadulatorum miracula. 
Pater Josephus Le Clerc fuit patria Parisiensis. 
Corpore taetrius fœtente vivo quam mortuo, 
Anima faedius cauteriata quam capite (1) 
His constabat homo inhumanus, christianus pacis hostis, 
Catholicus Ecclesiae persecutor, sacerdos vir sanguinum ; 
Religiosus larva et barba, monachus in turba et turbator ; 
Aulicus pannosus et putidus, consiliarius iracundus et praeceps; 
Negotiator quia duplex, inconstans. 
Rector missionum apostolicarum et patronus Calvinistarum ; 
In rheda et lectica mendicus, 
In Pontificum cænis austerus, 
Contemptor dignitatum in ambitu romanae purpurae. 
A servis temporis servus fidelis et prudens dictus, 
Dum Turcarum et haereticorum non modo fautor sed actor esset. 
Pacificus, dum author discordiaium Reginae Gallicae ; 
Innocens, dum innocentibus carceres compleret, 
Oneraret patibula, theatra cruentaret. 
Domus Dei columna, dum illam omnibus machinis everteret. 
Qua die oppidum Brisaccum a catholicis ad haereticos 
Ejus potissimum impulsu transiit, 
Forti apoplexia correptus est et obrutus. 
Qui longa confessione, magna contritione, 
Et multa satisfactione videbatur egere, 
Non se, non Deum agnoscens extinctus est. 
In oratione funebri et veritatis de pulpito recitata, 
Mendacii scalis coelum ascendit. 
An illic receptus graves theologi dubitant, 
Nisi introduxerint suffraganeum suum 
Pia suffragia Cardinalis Richelieu et Archiepiscopi Burdiga- 
Qui ejus exequiis interfuerunt [ensis (2) 
Ad praesens Dei judicium interriti. 
Vis cadaver terrae mandari ? 
Urbes ejus consiliis redactae in cineres, 
Tumulum tumultuarium congerent. 
Vis in cineres redigi ? 
Oppida quam plurima excitatis ab illo ignibus succensa, 
Bustum incompositum component. 
Vis mergi ? 
Lacum efficient infinitorum quos afflixit lachrymae. 


(1) Le P. Joseph, qui avait la vue faible et basse, portait un cautère derrière la tête 
comme remède contre la myopie. On le voyait quand son capuce se baissait. Cfr. 
J'ANONYME cité, p. 530 n. 1. 

(2) Henri d’Escoubieau de Sourdis. 


362 DEUX ÉPITAPHES SATIRIQUES 


Vis projici ? 

Accurrent undique lupi quos miserorum sanguine pavit. (1) 
Obiit aetatis anno 64. 

Si ad centesimum inter nos servatus fuisset, 

Tamdiu bona pax exulasset a nobis ; 

Illam si exoptas Deum roga 

Ut a Consiliis Gallicis avertat alterum Patrem Josephum. 

Virum sanguinum et dolorum abominabitur Dominus. 


Ces deux épitaphes ont très probablement été rédigées par des 
français réfugiés aux Pavs-Bas et peut-être bien par l'abbé de 
Saint-Germain dont nous parlons en note et qui résidait encore 
à Bruxelles en 1638. (2) Nous ne nous attarderons pas à réfuter 
les calomnies dont elles abondent. Il est en effet clairement 
prouvé aujourd’hui que le P. Joseph fut un religieux qui malgré 
trois dispenses se conforma toujours autant qu'il put aux pres- 
criptions de sa règle ; il fut en même temps un directeur spirituel 
hors ligne et un maître-dialecticien à la parole pacifique et per- 
suasive durant les controverses anticalvinistes sous Louis XITI. 
Quant à sa politique extérieure, voici comment la jugent ses 
deux meilleurs historiens. « Son but idéal, c'était toujours la 
pacification de la chrétienté, l’union des nations chrétiennes 
contre les infidèles. C'était à la France qu'il appartenait d'im- 
poser cette pacification, de présider cette union. Au fond de son 
cosmopolitisme catholique, il y avait donc un sentiment national 
très ardent. La réconciliation des peuples chrétiens avait deux 
adversaires, les protestants et la maison d'Autriche, qui contri- 
buaient également à diviser et à paralyser l'Europe en face de 
la Barbarie musulmane. Il fallait les affaiblir tous les deux et 


(1) Il y a une certaine ressemblance entre ces quatre interrogations et celles que 
l’abbé de S. Germain, fidèle à la Reine-Mére et par conséquent hostile à Richelieu 
et à son conseiller, adresse au P. Joseph dans son livre Vrais et bons avis de Fran- 
çois fidelle, dédié au Roi, imprimé à Anvers en 1651 et cité par l'ANONYME o. c. p. 
555 : « Si une goutte de sang crie vengeance au Ciel contre celui qui l'a repandu, 
quel bruit doivent faire devant le trône de Dieu plus de mille torrens de sang 
humain, versé en autant de batailles ou de combats, ou de siéges de places ; si la 
petite larme qui coule sur la joue de la veuve affligée va de la terre jusques à l'Em- 
pirée pour éemander justice : quels jets d’eau peuvent faire cent mille fontaines de 
pleurs qui montent avec impétuosité jusques au Paradis ; si la plainte d'un pauvre 
ouvrier frustré de son salaire retentit dans les oreilles de Dieu : quels tonnerres et 
éclats feront les cris de tant de millions de paysans, artisans, femmes et enfanschas- 
sez de tous leurs travaux et mourant dans les flâmes, dans les rivières, dans les bois, 
dans les hôpitaux, dans les ruës et par tout. » 

(2) Bibliothèque Vaticane, Fonds Barberini latin. 6142, fol. 22 v. Lettre chiffrée 
de Stravius au cardinal F. Barberini du 25 janvier 1658. 


SUR L'ÉMINENCE GRISE 36 3 


l’un par l’autre, d’abord par la négociation, qui donnerait à la 
France le rôle de médiatrice pour l'amener ensuite à celui 
d’arbitre, puis par les armes » (1). 

« Que l’on dise que le P. Joseph n’a pas suivi la politique 
idéale des nations catholiques, c'est la vérité. Mais que l’on 
affirme qu'il ne l’a pas suivie, le pouvant faire, c’est une erreur. 
Que l’on prétende qu'il a de gaité de cœur jeté la France dans 
les alliances protestantes, c’est une calomnie. Alors qu’il soute- 
nait avectant d’ardeur et de suite sa politique étrangère, le 
P. Joseph — nous en avons les preuves authentiques — souf- 
frait cruellement de ne pouvoir tourner plus vite les événements 
à son gré, c’est-à-dire au profit de la cause religieuse qu'il avait 
à cœur de défendre de pair avec les intérêts français... » (2) 
« Jamais, jamais le promoteur de la croisade contre les infidèles 
n’eùût accepté ces alliances protestantes ni déclaré la guerre à des 
nations catholiques, si les Espagnols eux-mêmes, en attaquant 
avec non moins de ténacité que de dissimulation la France 
catholique elle aussi et la fille aînée de l’Église, si les Espagnols, 
en excitant, en soudoyant les huguenots contre nous, chez nous, 
n’eussent pas contraint le P. Joseph à user d’abord du droit 
naturel de légitime défense, ne l’eussent pas forcé à suspendre 
le cours de sa politique directement catholique, politique que 
lui-même, depuis neuf ans, avait offerte à l'Espagne, et loyale- 
ment, généreusement expérimentée. » (3) 


FRÉDÉGAND CALLAEY, 
O. M. C. 


(1) G. Facxiez, Le P. Joseph et Richelieu t. 1. p. 244. Paris, 1894. 

(2) L. Devouvres, Le Père Joseph. Conférence donnée à l'Université catholique 
de l'Ouest le 15 mars 1890 p. 59. Angers 1896. 

(3) O. C. p. 38. Le mie. Le P. Joseph polémiste, ses premiers écrits, Paris, 1895 ; 
Le Pére Joseph polémiste. Réponse à M. Gust. Fagnier. Extrait de la Revue de 
facultés catholiques de l'Ouest. Angers, 1807 ; Le Père Joseph et le siège de la Ro- 
chelle. Mémoire lu au Congrès d'histoire comparée à Paris, 1900, Macon 1401; Le 
P. Joseph. Études critiques sur ses œuvres spirituelles. Paris, 1905 (paru d'abord 
dans les ‘tudes Franciscaines t. 1, 1899 sv.) ; G. Facniez, L'opinion publique et la 
polémique autemps de Richelieu (extrait de la Revue des Questions historiques, 
octobre 1896) Paris ; APOLLINAIRE DE VALENCE O. M. Cap. Le P. Joseph. Nimes, 1894; 
Le MèvE, Quatre opuscules du P. Joseph du Tremblay, édités par le P. Apollinaire, 
Nimes 1895. J. ParmenTiEr, De P. Josephi Capucini publica vita (thèse doctorale). 
Paris, 1877. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE 
SCOLASTIQUE 


A. Idéés et Faits. 


A travers le modernisme condamné par l'Encyclique Pascendi cir- 
cule, personne ne l’ignore, le virus des doctrines philosophiques en 
faveur parmi les penseurs modernes, le relativisme et le subjectivisme, 
le kantismeet le pragmatisme.Delà viennent les méthodes défectueuses, 
les principes faux et les conclusions hétérodoxes qui, chez le moder- 
niste, caractérisent le croyant, le théologien, l'historien, l'apologiste 
et le réformateur. Les faits ont montré combien grand était le mal. 
On a donc compris sans peine le devoir d'y apporter promptement un 
remède efficace. Des idées pratiques ont été échangées par les hommes 
les plus compétents, sur l’enseignement de la philosophie dans les 
collèges, les séminaires, les universités catholiques. Quelques essais 
même ont été tentés. Donnons-en ici un rapide aperçu. 


[. 


LA PHILOSOPHIE AU COLLEGE. — Il existe, du moins au premier 
aspect, une divergence très apparente entre la philosophie que les 
programmes universitaires imposent aux collèges catholiques et la 
philosophie scolastique, que le Souverain Pontife Pie X nous montre 
comme le remède aux erreurs de notre temps. Aussi la question s’est- 
elle posée tout d’abord des réformes désirables et possibles à introduire 
dans cet enseignement. 

Au Ve Congrès de l'Alliance des Grands Séminaires, tenu à Paris. 
au mois de juillet 1910, des critiques assez sévères ont été adressées à 
l’enseignement philosophique des collèges et des petits séminaires. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 365 


On s’est arrêté particulièrement aux mauvais résultats, aux disposi- 
tions intellectuelles très défectueuses qu'il laissait dans l'esprit des 
collégiens devenus grands séminaristes. 

Il y aurait, d’après un rapport de M. Dubosq, professeur de philo- 
sophie à l'École de Théologie de Bayeux, une opposition assez 
marquée entre les élèves qui viennent au séminaire immédiatement 
après la rhétorique et ceux qui n'y entrent qu'après avoir fait la philo- 
sophie universitaire. « Les premiers, tout neufs en philosophie, sont 
dociles et s'intéressent volontiers à la scolastique ; les seconds s'ouvrent 
difficilement et arrivent imprégnés d'un esprit réfractaire à notre 
philosophie. » Ce dégoût fatal vient de ce que, au collège « les bache- 
liers ont étudié les questions modernes sous un aspect qui les a vive- 
ment intéressés » et qu'au séminaire ils se trouvent en « face de ques- 
tions vieillies envisagées à des points de vue qui n'ont rien de 
commun avec la pensée contemporaine. » 

La cause du mal se ramènerait donc à un antagonisme réel ou 
apparent entre la philosophie universitaire et la philosophie scolas- 
tique au double point de vue des doctrines et des méthodes. 

Pour guérir ce mal les palliatifs paraissent à plusieurs insuffisants. 
M. Peillaube, entre autres, est tranchant. « Il faut faire cesser le scan- 
dale de deux philosophies enseignées dans les écoles catholiques, l’une 
pour le baccalauréat, qui sera estimée et l’autre pour le grand sémi- 
naire, qui sera méprisée. [1 n'y a qu'une philosophie chrétienne et 
des prêtres, où qu'ils enseignent, dans un collège ou un grand 
séminaire, ne peuvent enseigner qu'elle. » 

C'est aussi en ce sens que fut rédigé le vœu, exprimé et présenté par 
M.Paulot, supérieur du séminaire de Reims: « Que l'enseignement soit 
unique dans nos grands et nos petits séminaires, qu'il soit franchement 
scolastique et que, pour cela, les professeurs aient tous reçu la même 
initiation scolastique. » 


* 
# 


Émanant des représentants les plus autorisés des Maîtres du Clergé 
de France, ces graves réflexions devaient attirer l'attention des pro- 
fesseurs des collèges catholiques. La discussion du Congrès avait été 
pleine de courtoisie : aucune question de personne ne pouvait être 
soulevée dans le débat. On y versa donc seulement quelques précisions, 
demeurées peut-être trop dans l'ombre au sein du Congrès. 

Je trouve sur ce sujet deux articles dans la Revue Pratique d'Apo- 
logétique. 


366 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


Le premier est de M. Guibert (1) et contient de sages pensées de 
conciliation. L'auteur ne croit pas à l'existence d’un confit très aigu 
entre l’enseignement des collèges chrétiens et celuidesgrands séminai- 
res. Aussi rappelle-t-il simplement le principe fondamental dont tout le 
monde reconnaît la légitimité. Aux jeunes gens de nos collèges destinés 
aux Carrières libérales et au sacerdoce, on ne doit enseigner que la 
philosophie chrétienne, car il n’y a qu'une philosophie chrétienne. 
« [1 n’est pas indifférent à notre foi catholique qu'on adopte tel ou tel 
système, qu'on pense ceci ou cela sur le monde et ses origines, sur 
l’homme et sa nature, sur Dieu et son action providentielle, sur le 
devoir et son fondement. Notre foi suppose à ces questions capitales 
une certaine solution et leur fait suite. Cette solution est à la fois 
rationnelle et chrétienne : rationnelle, en tant qu’elle procède des 
seuls efforts de la raison, comme il convient à une philosophie ; 
chrétienne, en tant qu'elle présente une base solide au majestueux 
édifice de nos croyances religieuses et de nos sciences sacrées. »… 
« On ne peut donc tolérer un double courant philosophique. La bonne 
philosophie sera, à la fois, ancienne et moderne, ancienne par la doc- 
trine qu'elle professera, moderne par les problèmes nouveaux qu'elle 
abordera. » 

Cependant, au collège et au séminaire, on ne poursuit pas absolu- 
ment le même but et des nuances assez accentuées peuvent et doivent 
même marquer les deux enseignements sans nuire à la pureté de la 
doctrine. M. Guibert délimite aussi le domaine de la conciliation 
possible. « Les séminaristes étudieront dans leurs manuels latins afin 
de se familiariser avec la langue des sciences sacrées; ils aimeront à pos- 
séder et à feuilleter la Somme de saint Thomas... Mais en même temps 
par leurs livres et par l'enseignement oral de leurs maîtres, ils seront 
mis au courant des questions du temps présent, ils apprendront quels 
aspects nouveaux prennent les problèmes anciens, ils s’exerceront à 
résoudre les difficultés actuelles par les principes qui dominent tous 
les temps. — Les collégiens de leur côté étudieront dans des manuels 
français et ils multiplieront dans la même langue les exercices de com- 
position. Mais rien n'empêche que dans la langue nationale on professe 
une philosophie très traditionnelle et très chrétienne. Il suffit pour 
cela que les manuels y aient puisé leurs inspirations et emprunté 
leurs solutions, que les maîtres enseignent dans le même sens. » 

N'est-ce pas en réalité ce qui se fait. « La justice commande de 


(1) L'Enseignement philosophique dans les Écoles catholiques. Revue pratique 
d’apologétique. 1°" janvier 1911, pag. 509-515. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 307 


reconnaître que c'est cet esprit qui anime nos divers manuels de phi- 
losophie, tant ceux qui sont destinés aux grands séminaires que ceux 
qui ont été écrits pour les collèges catholiques ».. « Les élèves peuvent 
donc passer d’une école à l’autre ; il n'y aura aucun heurt d'idées à 
redouter ; il n’y aura qu'une adaptation de méthode à opérer. » 

M. Guibert reste donc dans une note très optimiste. D’autres ont 
brodé sur un fond plus noir. Tel M.Cussac, vicaire général d'Avignon, 
rappelant, dans Les Questions Ecclésiastiques, (1) le cri d'alarme 
qu'il avait poussé, en 1908, dans une brochure parue sous ce titre 
Caveant Consules. 

« Dans les Petits Séminaires, des maîtres d’un mérite incontesté, 
mais imbus, par leurs études universitaires, en vue de l'obtention de 
la licence ès lettres, de la philosophie kantiste, enseignent le criticisme 
et jettent dans les esprits de leurs élèves le discrédit sur la philosophie 
chrétienne. Quelle théologie espérer de jeunes gens, hérissés de préju- 
gés critiques, toujours prêts à démolir l’enseignement traditionnel et 
à trouver surannée et défectueuse l'argumentation du professeur de 
dogme. Tels étaient les périls que nous signalions. Et les doléances au 
Congrès nous prouvent que le mal n’a pas diminué. » 


Présentée comme un fait général, cette accusation est évidemment 
exagérée. En un pareil débat des nuances sont nécessaires. 

M. Lenoble, Préfet des Études au Collège de Pont-Levoy les 
apporte dans un autre article de la Revue Pratique d'Apologétique,(2} 
où il répond directement aux critiques du Ve Congrès de l'Alliance 
des Grands Séminaires. 

Est-il vrai que les séminaristes qui entrent au séminaire après la 
rhétorique sont plus dociles aux enseignements du professeur de phi- 
losophie scolastique que ceux qui ont suivi au collège les cours de 
philosophie ; qu’ils se plient avec plus de souplesse à la méthode syl- 
logistique et s’assimilent la doctrine avec moins de répugnance ? Est- 
il exact de dire en somme qu’un bachelier en philosophie est presque 
nécessairement destiné à regimber contre la doctrine et l’enseignement 
de la scolastique ? M. Lenoble ne le pense pas et il est difficile de ne 
point lui donner raison. 


(1) Les Questions Ecclésiastiques. Le V° Congrès de l’Alliance des grands sémi- 
minaires. Mars 1911, pag. 244-250. 

(2) N° du r5 juillet 1912 : l'enseignement de la Philosophie dans les collèges chré- 
tiens, p. 584-608. 


368 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


Si modeste que soit le bagage de science emporté par les philosophes 
des collèges, « il les dispose pourtant à entrer de plain-pied dans 
l'étude, dès l'ouverture des cours, sans passer par cette période de 
pénibles tâtonnements que traverse toujours celui qui aborde, pour la 
première fois, l'austère discipline de la philosophie... Des fleurs de la 
rhétorique aux abstractions de la scolastique, la transition ne laisse 
pas d’être brusque... Le séminariste bachelier franchit plus allègre- 
ment ces steppes arides qui bordent la région de la philosophie ; pour 
mieux dire ils n'existent pas pour lui ; un travail d'adaptation doit 
sans doute l’assouplir à une méthode nouvelle ; mais il dépend de lui 
qu'il s'effectue avec rapidité ; il connaît déjà l'objet de la philosophie, 
les principaux problèmes qu'elle agite, les solutions qui en ont été propo- 
sées, les grands courants qu’a suivis dans les siècles la pensée humaine ; 
il a acquis quelque habitude de la réflexion qui est la première qua- 
lité de l'esprit philosophique : nous ne dirons pas qu'il est rompu âu 
langage de cette science, mais une foule de termes lui sont familiers 
dont les débutants voudraient bien déchitfrer aussi aisément la mys- 
térieuse signification. Bref cette catégorie d'élèves fournit au profes- 
seur des auditeurs préparés à suivre attentivement ses premières 
leçons et capables d'en retirer un profit immédiat. » 

Mais on objecte que malgré cette préparation, le bachelier est 
rebelle à l'enseignement du professeur de scolastique. Est-ce une 
critique vraiment sérieuse ? [l se peut en effet que cet élève soit moins 
docile : mais il y a docilité et docilité. Un grand séminariste qui, après 
avoir achevé sa philosophie scolastique, la recommencerait, serait, 
d'apparence, moins docile aux leçons de son maître que pendant son 
premier stage. Les leçons antérieures ont éveillé son esprit critique ; 
il est en possession d'une doctrine plus ou moins personnellement 
assimilée ; il saisit des difficultés là où jadis il n'en aurait pas trouvé. 
Personne n'ignore que beaucoup d'élèves concluent souvent ad mentem 
auctoris ou jurent in verba magistri. 

Rien d'étonnant dès lors que les bacheliers soient moins dociles. 
Est-ce un mal ? Avec M. Lenoble beaucoup ne le penseront pas de 
ceux qui ont l'habitude de l’enseignement de la philosophie scolas- 
tique et se réjouissent d’avoir pour auditeurs des esprits éveillés. « Ils 
désirent en effet, dans l'intérêt de la grande cause dont ces jeunes gens 
seront les champions, développer toutes les riches virtualités qui som- 
meillent dans leur âme, tenir en haleine leur curiosité intellectuelle, 
leur inspirer le désir d’une science large, variée et approfondie, former 
en eux un esprit vigoureux et étendu qui se défie des explications 
superficielles et verbales, retourne les questions sous leurs faces mul 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 369 


tiples, appelle avec passion la lumière et sache discerner, dans les 
systèmes si confusément mêlés de l'époque contemporaine, les dange- 
reux sophismes qu'ils dissimulent comme aussi la part de vérité qu'ils 
peuvent quelquefois contenir. Pour ce motif, si le sens critique se 
manifeste parfois chez certains de leurs élèves sous une forme un peu 
vive, ils en réprimeront les saillies, mais ils se garderont de l'étouffer ; 
ils y verront le précieux indice d'une activité mentale qui demande 
seulement à être disciplinée ; et elle ne répugne pas à la discipline. » 

Ces jeunes bacheliers conçoivent-ils vraiment du dédain pour la 
scolastique, comme on le prétend ? Il se peut qu'aux premiers instants 
il y ait chez eux un certain désarroi. Beaucoup de questions étudiées 
en philosophie scolastique sont moins actuelles que celles dont 
s'occupe presque exclusivement la philosophie universitaire. La lan- 
gue latine surtout réclame une attention spéciale, rend plus ardue la 
recherche du vrai et impose parfois au collégien devenu séminariste 
un réel sacrifice esthétique. De là le désarroi plus d’une fois remarqué. 
Mais le bachelier en philosophie est encore sur ce point moins déso- 
rienté que le rhétoricien transplanté tout d’un coup du jardin fleuri 
de la littérature dans le champ aride des spéculations scolastiques ! 

Le sérieux de la discussion dans le conflit présent ne paraît donc 
pas devoir porter sur les dispositions des élèves, sur les méthodes 
didactiques mais sur le fond même des doctrines enseignées. Y a-t-il 
antagonisme réel entre l’une et l’autre, entre celle du collège et celle 
du grand séminaire ? La nécessité de préparer les jeunes gens au 
baccalauréat, en les soumettant aux programmes imposés par l’Uni- 
versité ne les oblige-t-elle pas à s'empoisonner l'esprit des doctrines 
relativistes et’modernistes ? 

Bien placé pour résoudre cette angoiïissante question, M. Lenoble 
répond négativement. Alors même que les interrogateurs se rallient 
personnellement à des principes métaphysiques directement opposés à 
la philosophie chrétienne, ils respectent généralement les convictions 
du candidat. « Ce que l’on trouve, grâce à Dieu toujours, — nous 
n'avons pas personnellement de raison d'en douter — c’est un large 
esprit de tolérance et de justice. Ces hommes à l'intelligence si éclai- 
rée, qui tiennent entre leurs mains le sort des candidats, ont un sens 
trop net de la situation pour exiger que ces jeunes gens, afin de 
mériter le laurier de la victoire, reflètent leur propre mentalité. Ils 
ne sont pas au service d’une école philosophique, avec mandat de dis- 
tribuer les faveurs aux adeptes et d'écarter impitoyablement les dissi- 
dents ; leur rôle est tout autre : juger si l'élève, à quelque confession 
métaphysique qu'il appartienne, a acquis par une application conve- 


E. F. — XXIX. — 24 


370 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


nable durant l’année scolaire, une connaissance suffisante des questions. 
fixées par le programme, lui décerner le diplôme, si cette condition 
est remplie, l’ajourner à une session ultérieure dans le cas contraire ;. 
et nous répétons qu'aucune raison ne nous autorise à penser qu'ils ne 
se renferment pas avec conscience dans ce rôle. » 

Pas plus que les exigences des jurys d'examen, les programmes 
n'imposent un enseignement en contradiction flagrante avec la philo- 
sophie traditionnelle. Tout le plan d’études tracé par les programmes 
officiels « peut être animé d’un souffle franchement et largement chré- 
tien. On a observé maintes fois qu'il réduit singulièrement la place de 
la métaphysique. Nous ne l'ignorons pas. Les indications concernant 
cette partie, qui est pourtant la philosophie par excellence,tiennent en 
trois lignes : valeur et limite de la connaissance ; problèmes de la 
philosophie première : la matière, l'âme et Dieu ; rapports de la méta- 
physique avec la science et la morale... La lettre du programme. 
accorde donc dédaigneusement trois lignes aux spéculations de la 
philosophie première, mais 1l importe assez peu. Cette brève formule 
peut prendre sur les lèvres du professeur un ample développement qui 
réfutera les graves erreurs que l’on respire pour ainsi dire, de nos jours, 
dans l’air ambiant, relativisme subjectif, positivisme, matérialisme, 
panthéisme, agnosticisme, sans compter les autres. Qui ne sait, en 
outre, que, dans les autres parties de la philosophie, les principales. 
avenues débouchent sur la métaphysique, qui constitue le point de 
vue central de tout cet enseignement ? » 

Défenseur de la cause de l’enseignement secondaire chrétien, 
M. Lenoble a loyalement et vigoureusemeut conduit sa plaidoirie. 
Sur le dernier point cependant, il ne fait que soulever une question de 
possibilité :acelle d'animer d'un souffle franchement et largement chré- 
tien l'exposition du programme officiel. » 


* 
M + 


Au Congrès de l'Alliance des maisons d'éducation chrétienne, 
(Août 1911) les représentants de l'enseignement secondaire semblent 
avoir voulu passer de la possibilité au fait. On s’y est occupé directe- 
ment « de la catholicisation » des programmes officiels en fixant les 
principes qui devaient diriger les professeurs dans l'exposition des 
points les plus importants et les plus épineux. 

M. Ségault résumait les conclusions auxquelles l'assemblée s'était 
arrêtée, dans un article de la Revue de Philosophie, (1) dont voict 


(1) N° du : Novembre 1911. — Travaux de la section de philosophie au Congrès 
de l'Alliance des maisons d'Education chrétienne à Vannes, pag. 642-651. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 371 


quelques extraits. Le premier des problèmes étudiés fut celui de /a 
connaissance « point de départ de tous les systèmes philosophiques et 
clef de voûte non seulement de la psychologie, mais de toute méta- 
physique. On s’est accordé à repousser les théories subjectivistes, 
théories chimériques, ruineuses de toute philosophie et de toute 
foi... On se rangeait donc résolument du côté des théories objecti- 
vistes. » Toutefois comme il y a place, en cette doctrine, pour les 
opinions diverses, allant du relativisme le plus outré au plus mitigé, 
« la commission a conclu que, tout en faisant dans la connaissance 
une certaine part au relativisme, il fallait donner la plus grande part 
à l'objectivisme. » 

La même sagesse a inspiré les résolutions relatives aux rapports de 
l'intelligence et de la volonté, problème actuel qui a, en ces derniers 
temps « donné naissance à ces courants de la philosophie contempo- 
raine qui s'appellent dogmatisme moral, volontarisme intellectuel, 
pragmatisme, problème extrêmement délicat et subtil. » Aussi l’assem- 
blée n'a-t-elle fait « qu'effleurer légèrement la question et demander 
que le professeur ne craigne pas d'affirmer la puissance de la volonté 
avant et après l'acte d'intelligence, mais l'infirmité, la nullité de la 
volonté dans l'acte même d'intelligence. La volonté nous sert pour 
aller vers la vérité, comme l’a dit un sage, de toute notre âme et de 
toutes nos forces, mais c'est l'intelligence qui reconnait la seule 
vérité, qui la saisit et qui se fond avec elle dans une mystérieuse et 
délicieuse transformation. » 

Plus épineuse encore est la question des méthodes dans les sciences 
physiques, morales et historiques. Elle a spécialement préoccupé les 
Congressistes sans toutefois aboutir à des principes très nets et très 
fermes. Deux pensées néanmoins semblent émerger de la discussion. 
D'une part on demande de la courtoisie et du respect mutuel aux 
professeurs de sciences physiques et de philosophie, afin que l’un ne 
cède pas à la tentation de diminuer la valeur de l’enseignement de 
l'autre. Et le moyen d'entente serait que « le philosophe soit un peu : 
savant, le savant un peu philosophe et que le prêtre, philosophe, 
savant ou littérateur se souvienne toujours qu'il est avant tout théolo- 
gien et apologiste. » D'autre part, dans les sciences historiques et 
morales, on a reconnu la nécessité de mettre les élèves en garde contre 
les prétentions de l'hypercritique. 

Au sujet de la morale, l'accord était facile. « On a conseillé au 
professeur de bien montrer le fondement métaphysique du devoir, qui 
est, comme fondement prochain, le bien, comme fondement dernier, 
Dieu, non pas Dieu dans sa liberté qui serait fantaisiste et capricieuse, 


372 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


mais dans sa sagesse et sa sainteté infinies, Dieu qui ne peut pas com- 
prendre, vouloir et imposer autre chose que le bien absolu, et la hié- 
rarchie inviolable des biens relatifs. » 

En toutes ces discussions, s'affirme donc et sans hésitation la volonté 
d'opposer une digue au courant de la philosophie moderne. On a 
rejeté comme dangereux l’enseignement de la philosophie par le 
simple exposé historique et le développement progressif des doctrines. 
Tous les membres du Congrès pensent qu'il faut commencer les cours 
« par un exposé doctrinal appuyé sur de fortes raisons, afin que 
l'élève, nourri de pensées substantielles puisse aborder sans trouble les 
systèmes plus ou moins erronnés qu'il lui faut discuter. » 

Un même esprit et une même volonté inspirent donc les conclu- 
sions et les vœux des deux Congrès. On ne voit point surgir cet anta- 
gonisme dont on avait fait trop facilement un épouvantail. « Les 
professeurs de l'enseignement secondaire libre, conscients de leurs 
responsabilités, persuadés que les convictions religieuses de leursélèves 
sont liées à l’orthodoxie et à la solidité de leur enseignement sont 
résolus à orienter leur pensée et celle de leurs élèves, dans le sens de la 
foi, sans hésitation et sans indiscrétion maladroite. » (1) Ce qui reste 
à trouver, c'est peut-être un manuel conçu suivant ces résolutions et 
‘ servant de guide aux jeunes philosophes. Nous verrons plus loin ceux 
que l'on nous offre. 


IT. 


LA PHILOSOPHIE AU SÉMINAIRE. — Une question toujours 
débattue, relativement à l’enseignement de la philosophie scolastique, 
c'est celle de la distribution et de la disposition des matières qui en 
forment l’objet. 

Le R. P. Gény, professeur de philosophie à l'Université Grégorienne, 
l'avait posée, avec une netteté remarquable, dans un travail publié 
dans les Études en 1908. (2) M. Audin l'a reprise dans la Revue 
Thomiste, en 1911. (3) Il précise ainsi le problème : e Comment 
pourra-t-on disposer les diverses parties de la philosophie, de manière 
à procéder constamment du connu à l'inconnu, à placer avant les 
questions les plus difficiles celles qui le sont moins, à donner enfin en 
métaphysique plus de place à la méthode inductive et à rendre par là 
l'étude de cette science moins hérissée de difficultés. » 


(1) Enseignement chrétien, 1e oct. 1911, Supplément. 

(2) L'enseignement de la Métaphysique scolastique. Août et septembre 1908. 

(3) De la méthode dans l'enseignement de la Philosophie scolastique, n° de sep- 
tembre-octobre, pag. 617-628. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 373 


Une première réponse, de portée générale, semble s'imposer et, faci- 
lement, tous les scolastiques s’y rallieront, « il ne saurait être ques- 
tion de changer l’ordre établi entre les trois grandes parties de la 
Philosophie : Logique, Métaphysique, Éthique. » Mais quel ordre 
déterminer au sein de ces cadres généraux, entre les parties secondaires 
qui doivent les remplir ? 

M. Audin propose de disjoindre de la Logique, la Critériologie. Ce 
serait une tentative heureuse, car il paraît bien difficile de comprendre 
la valeur de nos connaissances sensibles et intellectuelles tant que le 
mécanisme des facultés cognitives n’a pas été expliqué. « La Critério- 
logie doit être mise ou dans la Psychologie ou à la suite de celle-ci. 
La raison en est que la capacité de nos facultés de connaissance et les 
résultats légitimes auxquels nous pouvons arriver par l'usage de cha- 
cune d'elles, ne se peuvent déterminer autrement qu'en les déduisant 
de leur nature préalablement connue. Or la nature des facultés de 
l'âme s'étudie en Psychologie. Donc la Critériologie ne saurait venir 
avant celle-ci. » — Toutefois ne pourrait-on pas toujours garder, en 
cette place, tout ce qui concerne la Critériologie générale, et l'exposé 
des divers systèmes qui nient ou diminuent la valeur de la connais- 
sance scientifique ? 

La disposition des matières métaphysiques est plus difficile à otene 
niser. Quel ordre d’abord entre les trois traités généraux : Ontologie, 
Cosmologie, Psychologie ? De divers côtés, une tendance se manifeste 
pour remettre l'Ontologie après la Cosmologie et la Psychologie. Le 
P. Hugon, dans son Cursus Philosophiæ Thomisticæ, s'est arrêté à 
ce programme. Le Traité élémentaire de Philosophie, à l'usage des 
classes de l'École de Louvain, a fait de même. Cette division répond 
assurément au principe : placer avant les questions les plus difficiles 
celles qui le sont le moins. Mais comment procéder ? Si l'on veut vrai- 
ment traiter du monde inorganique ou organique, et de l'activité 
humaine per allissimas causas ou per prima principia, presque toutes 
les questions d’ontologie devront être exposées déjà au cours de la 
Cosmologie et de la Psychologie. Et c'est ce classement surtout qui 
crée des difficultés. | 

En Cosmologie, M. Audin s'arrête à ce plan. « Il semble naturel de 
diviser la Cosmologie en trois sections. La première traitera de la 
division et de l’unité ; la seconde sera le traité des causés, la troisième 
étudiera la composition de substance et d'accidents et puis de matière 
et de forme qui convient à l'être corporel. » — Cette conception n’est 
pas sans mérite. Ne serait-il point préférable cependant de se rattacher, 
dès le début, plus rigoureusement au réel concret que l'on veut étudier 


374 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


philosophiquement : Propriétés communes des corps : point de vue 
statique, l'étendue et tout ce qui s’y rattache ; point de vue dyna- 
mique : le mouvement, l'acte et la puissance, la causalité efficiente, 
intrinsèque et finale du monde physique. | 

En Psychologie « une première partie empirique et descriptive 
ayant pour résultat de nous mettre par rapport aux vivants au même 
point où les sciences physiques nous avaient déjà mis par rapport aux 
corps inanimés ; » une seconde partie, « la Psychologie rationnelle, 
qui des phénomènes observés et classés tirera toutes les conclusions 
possibles sur leurs principes et sur leur sujet ; elle déterminera ainsi la 
quiddité du vivant et prouvera que chaque vivant est constitué par 
une forme substantielle unique appelée Âme, avec des facultés opéra- 
tives multiples, auxquelles s'ajoutent, dans les animaux et surtout 
dans l’homme, certains compléments appelés «habitus». Faudra:t-il 
alors démontrer la spiritualité de l'âme humaine, et conséquemment 
son immortalité ! Non pas encore, car la solution de cette question 
implique certaines considérations sur l’Être transcendental, lequel doit 
faire le sujet d’une spéculation postérieure à toute la Métaphysique 
expérimentale. » — Cette distribution, dans l’ensemble est excellente 
et presque tous les auteurs l'ont acceptée. Cependant beaucoup pen- 
seront que le rejet après la Théodicée des problèmes de l'origine, de 
la nature et de l’immortalité de l'âme n'est pas heureux. Pour les 
résoudre, ni les doctrines sur l'être transcendental, ni les preuves de 
l'existence de Dieu, ni les notions sur ses attributs ne sont indispen- 
sables : les principes métaphysiques déjà exposés en cosmologie et les 
conclusions de la psychologie suffisent. Aucune raison ne permet donc 
d'enlever à la psychologie quelques-uns des problèmes les plus inté- 
ressants dont elle traite et de la découronner de ce qui l’achève si 
naturellement. 

L'Ontologie réduite, en conséquence, à quelques questions sur l'être 
en général, ses modes communs et ses propriétés trancendentales pour- 
rait être complétée par une synthèse des doctrines déjà étudiées sur 
la substance et l'accident, dont l'utilité ne saurait être douteuse. Et 
dans cet agencement ne vaudrait-il pas mieux placer l’Ontologie après 
la Théodicée elle-même, comme synthèse de l'être ? Toutefois, si ce 
changement semble trop novateur, il ne paraît pas y avoir d'inconvé- 
nient sérieux à couronner la Métaphysique par la Théodicée. C’est ce 
que propose M. Audin, qui assigne à la Métaphysique générale : 
a l'être transcendental ou commun à tous les genres et le premier être, 
qui est Dieu. » 

Je n'ajoute ces quelques remarques au programme, tracé par 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 375 


M. Audin, que pour répondre à son désir de voir ses lecteurs lui 
signaler ce qui leur paraîtra incomplet et défectueux dans ses idées 
« afin que par la sincère coopération de tous, résulte le plus grand 
profit possible pour la grande et belle science qui ne laisse en 
un sens aucun objet en dehors de son domaine, et qui, de la con- 
naissance de l’homme et du monde, nous élève à la connaissance de 
Dieu. » 


PRE 


Parmi les procédés didactiques qu’il convient d'employer dans 
l’enseignement de la philosophie scolastique, ilen est un, assez démodé, 
vers lequel le P. Gény essaie, dans les Études, de ramener l'attention 
des professeurs : l' Argumentation scolastique. (1) 

Il est bien un peu désuet, en effet, cet exercice. On en médit beau- 
coup. Qui n’a entendu les reproches dont on l’accable. C’est un 
exercice pénible, ennuyeux et inutile. « Et voici la racine commune 
de ces trois défauts : l'exercice est trop exclusivement formel ; dans ce 
moule tyrannique qu'est le syllogisme, la pensée ne se meut pas à l’aise, 
ne peut exprimer les nuances qui souvent font toute la valeur d’une 
objection et d’une réponse ; aujourd’hui surtout le caractère concret 
et positif qu’a pris la science et même la science philosophique exige 
une allure plus libre ; qu'en mathématiques, le syllogisme soit encore 
l'outil à peu près unique, soit ! mais en histoire, en sociologie, en 
physique, en psychologie — et c'est de ces côtés que viennent les 
objections aux thèses philosophiques ; les arguments sont le plus sou- 
vent des inductions, des convergences d'indices, comment mettre en 
syllogismes ces organismes délicats sans les briser ? comment éviter 
que l'adversaire se plaigne de n'avoir pas été compris ? » 

Malgré ce réquisitoire, la dispute scolastique demeure « un instru- 
ment de vraie et solide formation intellectuelle. » Et le P. Gény en 
prend très habilement la défense. Sage et modéré dans son plaidoyer, 
il ne prétend pas en faire l'unique exercice de formation ; il concède 
que tous les esprits ne peuvent pas y exceller, quoique tous puissent 
arriver à s'en tirer honorablement ; il admet encore que dans les exer- 
cices ordinaires, on en prenne parfois à son aise avec le protocole 
traditionnel dont on gardera les sévères prescriptions pour les séances 
_salennelles. « L'attaque idéale est celle où le terrain choisi par l’adver- 
saire va se rétrécissant de plus en plus, par suite des distinctions 


(1) Études 5 mars 1912, p. 623-644. L'Argumentation scolastique. Sa valeur 
pédagogique. 


376 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


qu'apporte successivement le défendant ; ainsi la difficulté se précise, 
se lamine et en fin de compte, s'évanouit. Les belles passes d'armes 
que celles, où, lorsque le défendant a indiqué le sens vraiet le 
sens faux d’une mineure, l'attaquant reprend à chaque fois Atqui 
etiam in isto sensu.…. ! On sent l'auditoire captivé par le drame qui se 
joue entre l'erreur et la vérité. — Mais il n’est pas possible de prolon- 
ger longtemps une telle série : souvent, après deux ou trois distinc- 
tions, parfois après une seule... l'objection se trouve vidée et vouloir 
la restaurer serait verberare ærem. Il faudra donc passer à une. 
autre... et il est permis d’user d’une transition plus ou moins artifi- 
cielle, d’un quidquid sit, d’un saltem ou autre expression semblable 
qui justifie tant bien que mal la clausule consacrée : Ergo remanet 
difficultas... » Et même « dans les répétitions ordinaires faites à 
coups d'arguments, pourquoi proscrire l’aveu tout net : 7ranseo ad 
aliud. » 

Le chemin ainsi élargi, l'élève y peut entrer, mais à condition tou- 
tefois qu’un maître expérimenté le conduise et l'exerce. N'est-ce 
point ce maître qui souvent fait défaut ? Nul doute cependant que la 
discussion scolastique ne soit utile. 

Elle est utile à l'attaquant. « Mettre des objections en syllogisme, à 
supposer même qu'on n'ait pas à chercher ces objections, ce serait 
encore trouver des formules courtes et claires et en même temps faire 
saillir ou du moins tâcher de faire saillir le lien logique des pensées. 
Or, les formules courtes et claires sont traitresses, elles livrent la pen- 
sée toute nue, sans aucun ajustement ni ornement qui puisse en 
cacher la faiblesse ; il arrivera souvent, surtout lorsqu'on voudra 
utiliser les objections les plus modernes, qu'on les sentira se dérober, 
disparaître sous le vêtement littéraire ou l'appareil scientifique dont 
elles étaient soigneusement enveloppées. Dans la critique de surface 
comme dans la vie ordinaire, l’homme procède le plus souvent par en- 
thymêmes : tel fait est vrai, donc aussi telle thèse ; le syllogisme 
oblige à reconstituer tout le processus logique, à montrer qu'il y a 
« conséquence », à dégager la majeure qui se cachait honteuse comme 
toute généralisation hâtive. » 

Elle n’est pas moins difficile au défendant. « Et d’abord il est clair 
que celui-ci doit avoir exécuté, pour se préparer, un travail analogue à 
celui de son adversaire : il a dû faire le tour de cette place forte qu'il 
était chargé de défendre, en reconnaitre les points moins protégés, 
prévoir les objections possibles, avec les réponses à donner. On accor- 
dera que ce travail est éminemment propre à faire pénétrer et possé- 
der le cours. » — Maïs c’est avant tout dans l'usage de la distinction 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 377 


que se concentre le rôle du défendant. On l’a bien critiqué ce fameux 
«a distinguo » scolastique. Beaucoup n'y ont vu qu'une passe d'armes 
à l'usage des esprits subtils. Comme s'il n'y avait pas d'ailleurs une 
bonne subtilité « celle qui sait découvrir les dualités de sens introdui- 
sant en fait des équivoques, qui n'accepte pas d'emblée une proposition 
innocente en apparence, en réalité dangereuse, mais qui ne rejette 
pas non plus d'emblée une proposition un peu déconcertante, pour- 
tant au fond justifiable ».. « Or l'instrument par excellence pour 
ouvrir à la vérité un passage entre deux erreurs contraires, c'est ce 
glaive d'acier qui s'appelle la distinction scolastique. » Et ainsi 
apparaît « le fruit le plus excellent de la dispute scolastique : don- 
ner à l'esprit le sens du vtai, l'aptitude à distinguer promptement et 
sûrement la vérité de l'erreur. Quel avantage pour un homme, pour 
un prêtre surtout et plus spécialement encore pour un prêtre d’au- 
jourd'hui, que de pouvoir se reconnaître sans difficulté dans ce chaos 
des doctrines qui maintenant se disputent l'empire des intelligences. » 
Excellent avocat d’une excellente cause, le P. Gény va-t-il obtenir 
des Maîtres des Séminaires et des Instituts religieux un verdict qui 
rende pratiquement à l'argumentation scolastique sa vie et sa fécon- 
dité ? Nous le souhaitons, mais il est à craindre que l’obstacle du 
« temps » contre lequel viennent se briser tant d'essais de réforme ne 
se dresse encore devant l'argumentation scolastique pour en restreindre 
l'application fréquente. Et si l'argumentation est rare, les élèves 
pourront-ils suffisamment y prendre goût et en tirer profit Ÿ 


* 
+ + 


Le zèle du R. P. Gény pour le progrès de l'enseignement de la phi- 
losophie scolastique ne s’est pas borné à cette question de pédagogie 
traditionnelle. Il vient encore de publier dans le Recrutement sacer- 
dotalune intéressante étude sur le Rôle des sciences dans la formation 
philosophique. (x) 

Nul doute que les rapports ne soient assez étroits entre les Sciences 
et la Philosophie. Une école récente essaie, il est vrai, de les relâcher, 
de rendre même ces deux espèces de connaissance, absolument hété- 
rogènes et sans objet commun. « Pour nous, Science et Philosophie 
sont, sur des terrains divers, deux entreprises d'exploration métho- 
dique du réel, la première expliquant les faits par le jeu d'éléments 
que la seconde soumet à une analyse ultérieure. » 


(1) N°* de Juillet et Septembre 1912. 


578 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


Les points dé contact entre la Science et la Philosophie se ren- 
contrent en logique et surtout:en métaphysique. : 

En Logique. C'est là en effet que se pose généralement le problème 
critériologique. Or pour renverser l'édifice objectif de nos connais- 
sances, presque toujours les partisans du relativisme subjectif en 
appellent à la Science. » C'est la Science qui est censée avoir démontré 
la caducité des conceptions métaphysiques anciennes, en faisant voir 
partout le mouvement et le mouvement seul... C’est la Science qui a 
déclaré qu'elle saisissait, non des causalités mais de pures consécu- 
tions... C’est la Science qui en exaltant la plasticité des formes a ruiné 
pour jamais, dans bien des esprits, la conception des natures, des 
types spécifiques et par suite des lois stables. C’est la Science qui a 
fait tout cela et la Science entendue au sens strict, Mathématique, 
Physique, Biologie. — Phénoménisme, Positivisme et Évolutionnisme 
sont pour beaucoup de leurs partisans des conceptions strictement 
scientifiques, à la fois instruments de travail et résultats que leur fécon- 
dité et leur valeur ont fait transporter dans les autres domaines du 
savoir. ». De l'entraînement général de la Philosophie vers les sciences 
« le Criticisme a donc profité pour étendre son empire sur les intel- 
ligences.: »' a L | 

Le philosophe catholique ne peut donc, en face de ce mouvement, 
rester dans une muette impassibilité. Puisque les criticistes se moquent 
du « gros bon sens » de la Critériologie scolastique, il est nécessaire de 
montrer que ce «gros bon sens» méprisé s’accommode parfaitement avec 
les certitudes scientifiques. Impossible cependant de faire ces démons- 
trations sans une connaissance assez exacte des sciences. Ainsi s'agit-il 
de l’immutabilité de la vérité ? Il faudra connaître et réfuter les « affir- 
mations que nos contemporains se plaisent à répéter sur la relativité 
des formules scientifiques, sur l’usage et la portée des théories figura- 
tives, sur le criterium de l'utilité et de la commodité dans la Science. » 
Traite-t-on de la valeur objective des perceptions sensibles ? Il faut 
expliquer «les innombrables erreurs des sens, interpréter les différentes 
formes d'illusion et de sensations anormales, l’action des existants 
inadéquats ; la seule question des qualités secondes si délicate et si 
débattue demanderait une sérieuse connaissance de la psychologie des 
organes sensoriels. » Combien d’autres questions analogues ! La con- 
clusion s'impose. L'élève de philosophie doit posséder « une culture 
scientifique moyenne » et le maître un commencement de culture 
spéciale, au moins dans l’un des trois grands domaines de la Science, 
Mathématique, Physique ou Biologie. » Voilà pour la Logique 
critique. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 379 


‘ Plus évidents sont encore les rapports entre la Métaphysique et la 
Science. La Scolastique ne les a jamais méconnus. Fidèle à ses ori- 
gines aristotéliciennes, elle a toujours considéré les principes de la 
raison en fonction des faits d'expérience. Nos grands métaphysiciens 
ont été en même temps des esprits très positifs. 

Mais, comparées aux nôtres, leurs connaissances scientifiques 
étaient, malgré tout, très sommaires. En bien des cas, elles suffisaient. 
u Les faits dont se sert parfois le métaphysicien sont si obvies et si 
simples qu’il n’est pas besoin d’en faire une étude spéciale. » Cependant 
« à quel danger ne s'expose pas celui qui voudrait traiter sans une 
formation scientifique la plupart des questions cosmologiques et psy- 
chologiques ! » Le R. P. Gény le montre par un seul exemple, celui 
de l’unité du composé naturel et spécialement du composé vivant. 
Quelles sont les conditions de cette unité du côté de la matière? 
« Faut-il admettre une continuité parfaite ou seulement imparfaite des 
éléments matériels, et dans ce second cas, comment la concevoir ? Un 
métaphysicien peu averti fera son choix a priori : ne serait-il pas plus 
sage de consulter d’abord les faits, de voir s'ils n’excluent pas telle ou 
telle des hypothèses imaginées ? Il est très vrai que des principes méta- 
physiques certains peuvent faire condamner d'avance une recherche 
comme étant sans issue ; mais il faut qu'il s'agisse de principes vrai- 
ment certains ; et même en métaphysique tout n'est pas certain pour 
nous. » Ainsi la culture scientifique épargnera au philosophe bien des 
mécomptes. Donc « pas d'enseignement philosophique sérieux sans 
une solide formation scientifique. » 

Ï1 était bon de rappeler ces vérités. Elles invitent tous ceux qui tra- 
vaillent à la restauration de la philosophie scolastique dans les Sémi- 
naires et les [Instituts religieux à faire une large place aux sciences 
dans le plan général des études de philosophie. Avant tout, l’enseigne- 
ment doit être adapté au but poursuivi. On vise, au Séminaire une 
formation philosophique : les sciences sont appelées à y concourir 
comme moyens. Dès lors, « il n’y a aucune raison d'enseigner tout ce 
que l'on enseigne d'habitude dans les cours techniques. Il faut faire un 
choix de questions, formant, cela va sans dire, un ensemble cohérent 
et sans lacune, mais aussi élagué que possible. » 

Réduit à son minimum, l’enseignement des Sciences devrait au 
moins suivant le P. Gény comporter cinq classes hebdomadaires pen- 
dant une année scolaire. « On pourrait réserver une des cinq classes à 
la Biologie, les quatre autres seraient affectées pendant le premier tri- 
mestre aux Mathématiques, et durant le second et le troisième à la 
Chimie et à la Physique. » Si le cours pouvait se poursuivre pendant 


380 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


deux années, « on ferait en première année, trois heures de Mathéma- 
tiques et deux heures de Biologie : en deuxième année, les cmq heures 
seraient données à la Chimie et à la Physique, enseignées soit con- 
curremment soit successivement. » 

L'auteur suppose sans doute que les élèves de philosophie n'ont pas 
suivi déjà un cours de sciences pendant leurs études secondaires. Tel 
n'est point le cas des collégiens et des petits séminaristes qui générale- 
ment ont achevé leur première initiation scientifique lorsqu'ils entrent 
au grand séminaire. Pour ceux-là, un cours de sciences serait encore 
utile, mais beaucoup moins étendu et plus exclusivement adapté à leur 
formation philosophique. L'idéal serait de consacrer deux heures par 
semaine pendant deux années à cette étude. Les Mathématiques 
coïincideraient avec l'étude de la Logique ; la Chimie et la Physique 
avec celle de la Cosmologie ; la Biologie avec celle de la Psychologie. 
Comme l'idéal est toujours difficile à atteindre, on pourrait, avec deux 
classes pendant un an et en supprimant les mathématiques, se conten- 
ter de rappeler les synthèses de la Physique et de la Chimie et on 
s’appliquerait davantage aux données de la Biologie, moins étudiée 
pendant les cours du collège. N'est-ce point ce qu'il y aurait 
de plus pratique et de plus utile dans la plupart des grands séminaires 
de France ? 


TTL. 


LA PHILOSOPHIE A L'UNIVERSITÉ. — L’orthodoxie de l'ensei- 
gnement philosophique dans les Collèges chrétiens et les Séminaires 
dépend en grande partie de l’orthodoxie de la doctrine des professeurs. 
Pour ceux qui se préparent aux Universités Romaines, le problème de 
l'orthodoxie ne se pose pas. On l'a posé au contraire, et plus d'une 
fois, au sujet des ecclésiastiques qui prenaient leurs grades aux Uni- 
versités de l’État tout en suivant les cours de nos Instituts catholiques. 
Quand parut l'Encyclique Pascendi, les dénicheurs d’hérétiques pré- 
tendirent en avoir trouvé beaucoup parmi les anciens élèves de ces 
établissements. [Il y a tout à parier que le sophisme « AÀb uno disce 
omnes » a été en ces circonstances largement mis à contribution. 

Afin de mettre cependant un terme à ces jugements défavorables, la 
commission permanente des Évêques protecteurs de l'Institut catho- 
lique de Paris, a pris, cette année, de très sages résolutions, dont voici 
les points les plus importants. (1) 


(1) Cf. Revue de Philosophie. N° du if Août1912, p. 179-183. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 381 


La durée normale des études sera de trois ans. L'enseignement des 
deux premières années (licence) portera sur tout l’ensemble de la phi- 
losophie et sur les sciences annexes. La troisième année (doctorat) sera 
une année de spécialisation. C’est également pendant cette troisième 
année que ceux qui le désireront pourront se présenter à la licence 
de l'État. Aucun ecclésiastique ne pourra se présenter à la licence de 
l'État, sans être pourvu au préalable de la licence en philosophie 
scolastique. » 

« Il est aisé, continue le programme, de discerner les principes 
pédagogiques qui servent de base à cette organisation : 

« L'éducation d’un jeune philosophe comporte deux stades : d’abord 
un enseignement s'étendant à tout l’ensemble de la philosophie, 
ensuite une initiation aux recherches spéciales. Ces deux stades sont 
indispensables : d'une part une spécialisation prématurée serait infruc- 
tueuse, car tout se tient en philosophie et l’on ne peut utilement 
approfondir une partie sans avoir exploré l’ensemble ; d'autre part, 
cette première exploration ne saurait suffire, l'initiative et la vigueur 
de l'esprit ne s’acquièrent que dans des recherches spéciales. C’est 
pourquoi, dans la nouvelle organisation, l'enseignement des deux pre- 
mières années comprend un cours complet de philosophie, tandis 
que la spécialisation, commencée en seconde année. domine en troi 
sième année. » | 

Quant au but principalement poursuivi dans cette réforme, on 
l'avoue sans ambages : il s’agit de fermer les issues possibles au relati- 
visme de la philosophie moderne et de sauvegarder ainsi la doctrine 
traditionnelle de l'Église. « L'enseignement d’une doctrine philoso- 
phique doit précéder celui de l’histoire des doctrines diverses si l'on 
veut écarter le danger de former des sceptiques ou des dilettantes de 
la pensée plutôt que des penseurs de conviction. De même,pour sous- 
traire les étudiants au péril très menaçant de l'anarchie intellectuelle, 
et favoriser le développement continu et harmonieux de leur esprit, il 
est nécessaire que l’enseignement des divers professeurs s'établisse 
sur une base doctrinale commune. Tous les professeurs dé la Faculté 
appartiennent à la même école philosophique : leur enseignement 
sera conforme aux principes essentiels de la tradition aristotélicienne 
et scolastique. » 

L'heureuse initiative prise par l'Institut catholique de Paris a été 
imitée par ceux de Lyon et de Toulouse. Dans ces réformes, notons 
encore, en terminant, l'attention très particulière que l’on donne à la 
formation scientifique des jeunes philosophes. Leur intelligence est 
maintenue en contact avec les sciences concrètes. Tel est d’ailleurs 


382 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


le programme depuis longtemps tracé par l’École néo-scolastique de 
Louvain. 

Mais ne faudrait-il pas changer un peu, aujourd'hui, l'orientation 
générale de la philosophie néo-scolastique elle-même ? 


C'est la question que pose et résout affirmativement, dans la Revue 
néo-scolastique de Philosophie, (1) le P. A. Gemelli, directeur de la 
Rivista di filosofia neo-scolastica. Quelle direction nouvelle, le KR. P. 
Gemelli pense-t-il introduire ? Évidemment «il ne s’agit pas de détruire 
les principes qui se trouvent à la base de cette philosophie. Ceux-ci 
seront toujours les mêmes, ce sont les principes d'Aristote, des grands 
docteurs du moyen-âge, sic et simpliciter, de Boèce à Duns Scot, d'A. 
de Halès à saint Thomas et à saint Bonaventure. Parmi ces principes 
figurent au premier plan, le dualisme du sujet et de l'objet, de Dieu et 
du monde, de l'esprit et de la matière ; des théories comme celle de la 
matière et de la forme, de la puissance et de l’acte ne sont pas moins 
fondamentales, et j'en dirai autant de la solution du problème de la 
connaissance, qui tient le juste milieu entre l'idéalisme ou rationa- 
lisme d'un côté, le sensualisme et le positivisme de l'autre. Mais 
tout en conservant ces principes, l'on veut se mettre sur la voie de 
nouveaux problèmes, et les parcourir jusqu'au fond. » 

Ces nouveaux problèmes, le P. Gemelli les trouve du côté de 
l'idéalisme et voudrait que la néo-scolastique fût désormais sérieu- 
sement orientée vers ce sujet. Il y a vingt ans, aux essais de renouvel- 
lement qu'elle a tentés, la néo-scolastique s'est spécialement attaquée 
au positivisme. Dans ce but elle a demandé aux données des sciences 
positives un critère d'application des principes rationnels de la méta- 
physique. De cette «coquetterie» envers les sciences positives, les « Tho- 
mistes purs » se sont scandalisés. Le P. Gemelli leur donne raison et 
va même jusqu'à taxer d'erreur cette position, parce que « science et 
philosophie sont deux branches hétérogènes du savoir. La philosophie 
est quelque chose de plus, de différent et de mieux, qu'un « simple 
moyen de traiter la science du sommet des sciences », ou que la 
« somme des notions et des hypothèses scientifiques. » Elle est /a 
science unique et véritable, qui seule constitue le savoir absolu. Tout 
cela est méconnu par ceux qui songent à intégrer la philosophie par 
les progrès scientifiques. » 


(1) N° de Novembre 1912, page 549-554. 


BULLETIN .DE PHILOSOPHIE 383 


Aussi l’œuvre présente des néo-scolastiques devrait-elle être, avant 
tout et plus que tout, de « repenser le système scalastique comme tel, 
c'est-à-dire comme système et conception générale de l’univers. S'il 
est vrai que de nouvelles exigences philosophiques se font jour, c’est 
en fonction de ces D ini qu'il faut repenser 16 APeRe scolas- 
tique. » | de | 

Or les nouvelles exigences cbiloophiques sont celles de l'idéalisme 
qui forme les assises fondamentales de la pensée moderne. « Agissons 
donc avec l’idéalisme comme les néo-scolastiques ont agi avec le posi- 
tivisme, Étudions-le pour nous l'assimiler autant qu'il est assimilable, 
Les éléments incompatibles avec la philosophia perennis tomberont 
d'eux-mêmes comme tombe ce qui n'est pas marqué de la vérités. 
Si dans ce travail critique quelque doctrine d'antan est destinée à dis- 
paraître, c'est qu’elle constitue un élément contingent. Nous avons trop 
de confiance dans la vitalité éternelle du noyau de la scolastique pour 
craindre un seul instant qu’il puisse être entamé. » ÿ | 

Dans le débat actuel, le problème de la connaissance domine tous 
les autres : « nous sommes perdus si nous ne pouvons démontrer l’ob- 
jectivité du savoir contre l'idéalisme critique. » Mais s'arrêter simple- 
ment au « réalisme naïf de nos pères » serait insuffisant, car « s’il 
répond à un besoin vague de réalité objective, il est impuissant à 
dissiper le doute que la critique et le scepticisme ont réveillé dans l'âme 
humaine. » Un grand pas a été fait dans cette voie par Msr Mercier 
dont la Critériologie générale ouvre des horizons nouveaux. de 
il faut encore aller plus loin. : 

«a L'histoire de la philosophie moderne atteste l'effort ous Die 
l'esprit humain, sous l’impulsion d’une exigence obscure et profonde 
pour se débarrasser du doute et conquérir l'objectivité du connaitre. 
Pour en arriver là où l’idéalisme n’a pu mener, nous croyons qu'il faut 
passer par l’idéalisme, continuer les tentatives qu'il a faites avant nous. 
Ceux qui nous ont précédés sont tombés sur la brèche, mais c'est grâce 
à eux que nous pourrons pénétrer dans la forteresse ennemie. Voilà où 
nous tendons. Et la foi inébranlable que nous avons dans la valeur du 
savoir absolu nous rend sûrs de Ia victoire. Après tout, il s'agit, 
comme on le voit, d’une question de tactique. » 


u Il s’agit, comme on le voit, d’une question de tactique. » C'est la 
pensée que retient, des remarques du P. Gemelli, M. de Wuif, dans 
une courte note du même numéro de la Revue néo-scolastique (pag. 
555-558.) Le directeur de la Rivista di filosophia demande-t-il autre 
chose que ce qu'ont fait les néo-scolastiques de Louvain. Non. Une 


‘384 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


accentuation plus marquée dans un domaine plus spécial, et c'est tout. 
a En réalité, écrit, M. de Wuif, ce que veut le P. Gemelli, c'est qu'on 
fasse des applications nouvelles d'un programme existant, et qu'on 
tienne compte « pour le dépasser » de l'idéalisme néo-hégélien, qui 
revit en Italie, sousl'impulsion de B. Croce et de Gentile. En quoi tous 
l’approuveront. Si le néo-hégélianisme se réveille, il faut compter avec 
lui, comme il faut discuter avec l’humanisme de Schiller... Nos amis 
d'Italie sont mieux placés que personne pour signaler et suivre les 
progrès du néo-hégélianisme. Mais qu'on n'exagère pas son impor- 
tance. » ; 

Beaucoup moins bienveillantes sont, pour le P. Gemelli ; les pages 
publiées par M. Bulliot, dans la Revue de Philosophie. (1) Elles res- 
semblent beaucoup à un cri d'alarme. Il ne s'agirait point de nuance 
et de tactique mais bien de révolution dangereuse. 

M. Bulliot parait surtout effrayé du procédé choisi par le P. Gemelli 
pour dépasser l'idéalisme et aboutir au savoir absolu et objectif, 
procédé qui se ‘résume en ces deux lignes du texte : « Pour en arriver 
là, où l'idéalisme n'a pu mener, nous croyons qu'il faut passer par 
l'idéalisme et continuer les tentatives qu'il a faites avant nous. » N'est- 
ce pas une grave concession au relativisme de la connaissance et au 
« progressisme de la vérité elle-même ? Ainsi au lieu de fonder avant 
tout notre philosophie sur l’ensemble des grandes données de la science 
et sur la métaphysique éprouvée de la scolastique, il nous faudra 
suivre les exigences toujours nouvelles, toujours fluctuantes de la phi- 
losophie moderne. À une philosophie vraie, complète, construite pour 
des siècles, il nous faudra préférer une philosophie vivante adaptée de 
plus près aux exigences du lieu et du moment, mais aussi fatalement 
diminuée et fortement mouvante... La nouvelle école ne bâtira plus 
son palais ou sa maison à sa mesure, pour elle-même... en vue d’une 
explication, la plus intégrale possible, de l'univers réel ; mais elle le 
construira, ce palais, en partie, sinon principalement, d'après lé goût, 
suivant les plans de l'adversaire, à qui elle ambitionne, comme un 
suprême honneur, de donner l’hospitalité. » 

Ne va-t-on point glisser, de ce pas, :sur le chemin du modernisme ? 
M. Bulliot n’est pas loin dé le croire, car il rapproche de la pensée du 
P. Gemelli quelques idées de M. Le Roy, extraites de son livre Dogme 
et Critique. Ce rapprochement, à lui seul, équivaut à une accusation. 
Pour l'écrire, M. Bulliot æ du négliger l'affirmation si nette des prin-. 
cipes fondamentaux de la philosophie scolastique, que rapporte le P. 


(1) N°5 janvier 1013. Faut-il changer l'orientation de la néo-scolastique ? 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 385 


Gemelli au début de son article, perdre de vue le but auquel il veut 
aboutir : « dépasser l’idéalisme, » ou ne pas saisir exactement le pro- 
cédé à employer, dans cette marche en avant : se placer sur le terrain 
même de l’idéalisme « pour se l’assimiler autant qu'il est assimilable » 
et en rejeter «leséléments incompatibles avec la philosophia perennis.» 

Telle est pourtant bien, ce me semble, l’idée fondamentale que déve- 
loppe le P. Gemelli. Il exprime d’ailleurs en termes rassurants ses 
convictions et ses espérances. « Au demeurant, il est un point de doc- 
trine où l’idéalisme ne doit nous inspirer aucune crainte : la doctrine 
du savoir absolu que le positivisme récusait. Il y a là un terrain d’en- 
tente commune. Mais il importe de défendre contre la philosophie de 
l'identité (du sujet et de l’objet), celle de la conformité (adæquatio rei 
et intellectus) et d'opposer aux exagérations de la philosophie postkan- 
tienne le juste milieu de l’aristotélisme scolastique.» Avec un principe 
directeur aussi objectif, il est vraiment difficile de croire au danger 
que M. Bulliot dénonce avec tant de zèle. 


Toutes ces idées et tous ces faits témoignent d'un même désir sin- 
cère: celui de donner à la philosophie un caractère d’orthodoxie 
indiscutable, sans négliger cependant d’accorder une attention minu- 
tieuse aux problèmes actuels, Il ne s’agit pour personne de reproduire 
simplement les doctrines du passé, — ce qui n'aurait qu’un intérêt his- 
torique, — mais de les « repenser » en fonction des autres sciences, des 
opinions divergentes et des besoins intellectuels du temps présent. De 
ces efforts communs qui se manifestent à tous les degrés de l’ensei- 
gnement, résultera, nous pouvons l’espérer, un renouveau de la philo- 
sophie scolastique, dont les principes éternels sont la sauvegarde 
indispensable de la vérité et de la valeur de la raison humaine. 


(À suivre.) Fr. RAYMOND. 
O. M. C. 


E. F. — XXIX. — 25 


NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 


I. — LA PROBABILITÉ DE FAIT 
EN MATIÈRE DE JURIDICTION PÉNITENTIELLE. 


Sous ce titre, le R. P. Castillon, S. J., en trois longs articles 
de la Nouvelle Revue Théologique (septembre-octobre, novem- 
bre, décembre 1912), expose des idées assez neuves sur la sup- 
pléance, par l’Église, de la juridiction pénitentielle, en certains 
cas déterminés. On connaît la thèse ordinaire des manuels sur 
cette matière. En plus du péril de mort, « il est admis comme 

certain que l’Église supplée en cas d'erreur commune et de titre 
coloré ; comme probable, qu’elle supplée encore en cas d'erreur 
commune et de titre simplement putatif..……. On admet encore 
qu'il y a juridiction suppléée en cas de probabilité, surtout 
publique, de droit. Le point controversé est celui-ci : « L'Église 
supplée-t-elle aussi dans le cas de probabilité de fait ? » On le 
nie généralement ; et c’est ce jugement sommaire que le P. Cas- 
tillon voudrait voir revisé. 

Il sera utile tout d’abord, de noter quelques remarques secon- 
daires, semées çà et là au cours du travail, et qui ont pour but de 
dissiper certaines confusions regrettables. 

En premier lieu, pour ce qui regarde la coutume. — Elle est 
parfois présentée comme une source de juridiction suppléée. Il 
y a là un danger d’équivoque, qu’il importerait d'éviter. « En 
réalité la coutume a plutôt pour effet l’acquisition stable d’une 
juridiction habituelle. » 

Le cas de l'erreur commune avec titre coloré mérite une 
place à part. « Il a, en effet, un fondement juridique incontes- 
table et incontesté » à la suppléance de juridiction. A noter 
cependant « que cette erreur vise, dans sa conception classique, 
les esprits des fidèles, et non point précisément ceux des Docteurs 
ou des interprètes du droit... Le motif qui détermine l Église à 
suppléer la juridiction, c’est le bien de la communauté induite 
en erreur. » 


NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 387 


D’après l’enseignement ordinaire des auteurs, la probabilité 
de droit ne pourrait devenir source de juridiction suppléée que 
dans le cas seulement où elle est commune et publique, reconnue 
comme telle par de graves autorités. Le P. Castillon, au con- 
traire, s'attache à prouver qu'il suffit, pour vérifier cette notion, 
d'une probabilité privée. 

Ces remarques faites, voyons maintenant ce qu'il faut penser 
de la probabilité de fait. 

En général, les auteurs lui refusent toute valeur comme source 
de juridiction suppléée. Quelques-uns cependant la mettent, 
sous ce rapport, sur le même pied que la probabilité de droit. 
Le dernier en date, et peut-être le plus net, est Oyefti, dans sa 
Synopsis rerum moralium et juris pontificii, aux mots Confes- 
sarius et J'urisdicho. « Parlant des cas où l'Eglise supplée la 
juridiction du confesseur, qui en serait naturellement dépourvu, 
il écrit: « Ceci doit s'entendre non seulement des cas où une 
opinion probable affirme la juridiction dans un doute de droit, 
mais aussi dans les doutes de fait. » Il apporte cette raison que 
« absoudre avec une juridiction probable est devenu licite par 
une coutume qui milite aussi en faveur de la probabilité dans le 
doute de fait. » 

Sont de cet avis d’Annibale, dans la 4° édition de son ouvrage, 
Gury, dans ses Cas de conscience, Ferreres, Matharan, Gous- 
set, Müller, Haehnliein ; et c'est tout. La liste n’est pas longue, 
surtout si on met en regard celle des auteurs, en vogue aujour- 
d’hui, qui tiennent une doctrine opposée : Lehmkuhl, Noldin, 
Génicot, Bucceroni, Van der Velden, et tant d’autres, auxquels 
il y aurait encore à ajouter deux des nôtres, non cités par le 
P. C. : Timothée et Hilarius a Sexten. 

Mais l'argument d'autorité compte assez peu en Théologie 
morale, quand il se trouve en face de bonnes raisons. Or, les 
partisans de la première opinion prétendent bien en avoir en fa- 
veur de la probabilité de fait. De celles qu’ils apportent, nous ne 
relèverons ici que la principale, celle qu’Oÿjefti, on l’a vu plus 
haut, n’a pas manqué de mettre en avant ; voici leur argumen- 
tation : 

Le motif pour lequel l’Église supplée la juridiction en cas de 
probabilité, ce n’est pas (comme on l’affirme à tort, par suite 
d'une grave confusion), l'erreur commune des docteurs, mais 
bien la probabilité elle-meème de l'opinion. C’est bien ainsi que 
raisonne saint Alphonse, à la suite de Busembaum : « Il suffit 


388 NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 


que le doute soit levé par une raison probable, que l’on ait un 
motif sérieux d’affirmer la juridiction, pour que l’on puisse lici- 
tement absoudre. Pourquoi ? Parce que cette probabilité 
directe suffit pour fonder une certitude morale et pratique, parce 
que le Souverain Pontife donne en ce cas le pouvoir d'ab- 
soudre. » 

Or, ce principe vaut tout aussi bien pour la probabilité de 
fait que pour la probabilité de droit. « Toute juridiction ayant 
un fondement solide de droit ou de fait, mérite également aux 
yeux de l'Eglise, d’être suppléée. » 

Aussi saint Alphonse n’indique-t-il, du moins dans les n° 571 
et 573, aucune controverse sur la valeur de la probabilité de fait ; 
s’il la mentionne au n° 600, il ne lui accorde pratiquement aucu- 
ne importance, puisqu'il met sur le même pied, probabilité de 
fait et probabilité de droit. Chez ses prédécesseurs, si cette con- 
troverse n’est pas totalement absente, elle n’occupe cependant 
qu'une place restreinte. 

I] serait à souhaiter pour la pratique du saint ministère, que 
l'opinion signalée par le R. P. arrivât à prévaloir ; car c’est sur- 
tout sur le terrain de la probabilité de fait « que la juridiction 
suppléée peut avoir des applications aussi utiles que fréquentes, 
d'autant plus utiles qu'elles seront plus fréquentes. Exemple : 
Un prêtre, séculier ou régulier, appelé d’un diocèse dans un au- 
tre, a reçu des pouvoirs pour un ministère bien déterminé. 
D'après la teneur de sa délégation, il ne peut établir avec certitu- 
de si ses pouvoirs durent jusqu’à tel jour inclus ou exclu ? s'ils 
durent strictement jusqu’à l'exercice final de son ministère, ou 
tout le temps de son séjour ? ou peut-être quel est l'exercice pro- 
prememt final de son ministère ?.... Il prêche une retraite dans 
une communauté contenant diverses catégories de personnes : 
religieuses, élèves internes, dames pensionnaires, hôtes de pas- 
sage ; ou bien encore des personnes, fréquentant la chapelle, 
désirent profiter d’une occasion favorable et veulent se con- 
fesser ?... etc... etc... Autant de sources d’ennuis pour le confes- 
seur qui ne parvient pas à conclure avec certitude, si la juridic- 
tion lui a été déléguée pour telle catégorie de pénitents, à 
l'exclusion de tous les autres ?.... si sa délégation comprend les 
pouvoirs sur les cas réservés ?.. A toutes ces questions, il a des 
réponses probables, (également probables pour et contre) mais 
rien qui le tire d'embarras en établissant péremptoirement qu'il 
peut aller de l’avant ou qu'il doit s'abstenir, qu’il peut procurer à 


NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 389 


ses pénitents occasionnels, le bienfait spécial d’une bonne con- 
fession, ou qu'il doit les renvoyer à un autre confesseur, ou à un 
autre temps, qu'il peut absoudre des cas réservés déjà accusés 
ou qu'il doit imposer l'obligation de les accuser de nouveau. » 

« À ces exemples, 1l serait aisé d’en ajouter bien d’autres. 
Mais ils suffisent pour montrer combien naturellement, le légis- 
lateur ecclésiastique, ou le supérieur qui délègue, peuvent 
d'avance prévoir les doutes de fait et être dans la disposition d'y 
porter remède, en suppléant la juridiction. » 


II. — L'ŒUVRE SERVILE. 


« 11 semble qu'il se dessine dans la théorie une nouvelle évo- 
lution. On ne donne pas, de l’œuvre servile ni de l’œuvre 
libérale, une définition nouvelle plus pratiquement précise ou 
plus complète : tout a été dit depuis longtemps sur ce point ; om 
fait plutôt intervenir, pour déterminer le caractère de certaines 
œuvres de nature douteuse, ou même pour en interdire quelques 
autres en soi libérales, une considération contre laquelle depuis 
longtemps Escobar et Busembaum avaient protesté : la considé- 
ration du salaire.» (Villien ; Histoire des commandements de 
l'Église P. 97). 

Ce n’est point là d’ailleurs, un fait absolument nouveau : 
« Du XITIe au XVI: siècle, les casuistes avaient communément 
considéré, comme travail servile prohibé, celui qui est accompli 
en vue d’un salaire. Sylvestre de Prierio (+ 1523) soutient 
encore cette opinion. » (Dictionnaire de théologie catholique, 
Vacant-Mangenot ; art. Dimanche, col. 1323). 

Pour justifier l'affirmation de M. Villien, on peut d’abord 
citer quelques manuels : le plus net sur ce point est Berardi. 
Voici ce qu'il dit dans sa Praxis confessariorum (ed. 42. Vol. I, 
p. 271, 272). « Dicunt plures nihil influere si opus liberale pro 
mercede, aut opus servile ex merà charitate vel alhià sanctà inten- 
tione perficeretur, item nihil influere si corporis defatigatio 
in opere liberali subsistat, vel in opere servili non subsis- 
tat. Quamvis hoc etiam generatim verum sit (et profecto si 
quis die festo, etiam ex fine lucri, scriberet, minime delinqueret), 
tamen, juxta communem persuasionem, cum micà salis intelligi 
debet — Sic, v. gr. venari, piscari, flores artificiales facere, etc. 
ex brevi recreatione quidem licitum esset ; sed si modo mercena- 
rio (saltem si longo tempore et cum defatigatione fieret) illicitum 


390 NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 


foret ; unde dicendum quod hæ circumstantiae efficere possunt 
ut quaedam opera vel prohibeantur, quamvis sint liberalia, vel 
ex liberalibus servilia evadant. Hinc Benedictus XIV (De Syn. 
XIII, 1810) dixit : « Inter opera servilia piscationem quoque 
recensendam esse, quotiescumque ad lucrum exerceatur. » 

Tanquerey (Synopsis theol. moralis ; Ï n. 10390) fait entrer, lui 
aussi, dans la solution de certains cas douteux, la considération 
du gain. Il cite en particulier, le cas de la pèche : « Piscart non 
prohibetur, si fit recreationis causâ ; secus quando ad lucrum 
exercetur. » — Et il ajoute cette réflexion générale : « In his 
aliisque ejusmodi operibus, tanquam prohibita haberi debent, 
judicio nostro, ea omnia quae, ex communi aestimatione, cen- 
sentur exercitium artis lucrativae, quod ex se a sanctificatione 
diei dominicae mentem avertit. » 

Mais c’est surtout dans certaines Revues que l'on peut consta- 
ter la « nouvelle évolution » dont il a été parlé plus haut. Voir 
par exemple : Revue du Clergé français (T. 38, p. 313 ; T. 30, 
p. 194 et 436). — L’Ami du Clergé a souvent traité cette ques- 
tion ; par ex. en 1903, p. 968-972, à propos des Jardins 
ouvriers. Nous citerons deux passages plus récents, qui feront 
voir l’attitude qu'il a prise à ce sujet : 

CRETE Nous sommes à une époque de transition où les condi- 
tions sociales et économiques de la vie présente paraissent avoir 
modifié profondément les anciennes idées qui ont servi de base 
à la distinction fameuse des œuvres serviles et libérales. Les 
œuvres serviles restent toujours, par définition abstraite, défen- 
dues, c’est clair, et permises les libérales. 

Mais nous sommes de ceux qui pensent que le sentiment 
populaire commun autorise à ranger aujourd’hui, dans la caté- 
gorie « serviles » des œuvres autrefois réputées « libérales », et 
aussi, vice versa, à tenir pour libérales, des œuvres autrefois 
considérées comme serviles. » 

Copier de la musique, broder à l'aiguille, peindre un tableau, 
peuvent être ou n'être pas des œuvres condamnées le dimanche 
par l'opinion des fidèles de jugement sain. Permises à qui s’y 
livre accidentellement le dimanche, précisément pour se reposer 
ou se distraire ; défendues à qui s’y livre le dimanche, ainsi que 
les six jours précédents, comme à son rude labeur quotidien, 
pour y gagner de l'argent. Permises au dilettante, qui s'y récrée ; 
défendues au professionnel qui y exerce son « métier » ..….…. (Ami 


1909, p. 13, 14). 


NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 397 


«.…. On est plus porté qu’autrefois à faire intervenir les con- 
sidérations du gain, du gain professionnel surtout, pour arriver 
à établir la qualification du « métier », à tel point que si l’œu- 
vre, d’art en soi, devient un véritable gagne-pain, la besogne 
étant en définitive le métier de tous les jours, on se montre 
disposé à l’englober parmi les œuvres défendues, quoique non 
serviles au vieux sens du mot. 

L'opinion très commune de nos fidèles confirme tout-à-fait ce 
sentiment. Ils n’entendent rien aux délicatesses casuistiques de 
la morale, c'est vrai ; mais les moralistes sont malgré tout atten- 
tifs à tenir compte de leur opinion et pratique, quand il s’agit 
d’un point où l’évolution des mœurs est en cause. Or, malgré 
ce qu’en dit encore l’ancienne théologie, on fera difficilement 
accepter à nos bons chrétiens, qu’une personne, qui gagne sa 
vie à broder six jours de la semaine, puisse continuer de le faire 
encore le dimanche dans les mêmes conditions, alors qu’une 
tricoteuse, une couseuse, une repasseuse, ne le pourrait pas. 

Très certainement, sous cette poussée de l'opinion populaire, 
qui introduit de plus en plus la considération du métier et du 
gain dans la notion des œuvres défendues, nous sommes à la 
veille d’une modification disciplinaire sur ce point là. Les 
auteurs de morale montrent assez, par leur embarras, qu'ils 
la souhaitent et l’attendent, quand ils ne la demandent pas en 
abandonnant quelque peu l'antique définition de l’œuvre 
servile. 

Toutefois, tant que ce changement, dans l’enseignement et 
dans la pratique, ne sera pas opéré par voie authentique d’auto- 
rité, la licéité des travaux analogues à celui dont on nous parle 
(repousser du cuivre ou de l’étain), restera au moins douteuse... 
(Ami 1912, p. 320). 


III. — LES LOCUTIONS SOI-DISANT BLASPHÉMATOIRES. 


En 1903, les Évêques de Belgique adressaient à leur Clergé 
un « Monitum » collectif sur le vrai sens d’une formule fla- 
mande que l’on regarde à tort comme blasphématoire, et qui, 
en réalité, « est presque toujours excusable de péché mortel, 
bien qu'elle soit une manière de parler grossière et plus ou 
moins coupable, d’après les circonstances. » 

En 1908, paraissait l'Etude du R. P. Manise de la Congré- 
gation du T. S. Rédempteur, sur « quelques locutions françai- 


302 NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 


ses prétenduement blasphématoires » (1). Elle était précédée de 
la lettre suivante adressée à l’auteur par le Cardinal Mercier, 
archevêque de Malines : « Dans notre réunion de samedi 
dernier, mes collègues dans l’épiscopat et moi, nous avons 
examiné derechef votre étude sur le blasphème français. Nous 
avons cru ne pas devoir prendre d’attitude collective au sujet de 
la question de fond ; mais nous sommes d'accord pour vous au- 
toriser à publier votre travail sous votre responsabilité. L’opi- 
nion que vous défendez est d’ailleurs enseignée dans plus d’uñ 
séminaire de Belgique. » 

Il y a un an environ, les prélats belges se sont de nouveau 
occupés de cette question ; et ils ont fait paraître une Lettre 
importante, sous ce titre : « {nstruction au Clergé, a l'intention 
des confesseurs, des directeurs de patronages, de cercles d'étu- 
des, de cercles militaires, de sociétés ouvrières. » 

Après avoir flétri, comme :il convient, le blasphème propre- 
ment dit, ils abordent le sujet qui nous occupe, et ils s'expriment 
ainsi : « D'autre part, toutefois, 1l est consolant de penser que 
tels ou tels propos malsonnants, de rudes jurons, cesseraient 
d'offenser gravement le bon Dieu, si ceux qui les profèrent, et 
le public qui les entend, s’efforçaient d’en détacher le sens ma- 
licieux qui y est arbitrairement attribué aujourd’hui. » (Ici un 
rappel de la Lettre de 1903.) 

« Îl est une autre locution, française celle-ci, mais répandue 
aussi, plus ou moins altérée dans les régions flamandes du pays, 
qui, d'elle-même, dans son sens naturel et originel, n’est pas 
un blasphème, mais qui, à raison d’une signification conven- 
tionnelle, que le peuple a tort d'y attribuer, devient blasphéma- 
toire. Nous voulons parler de la locution « Nom de Dieu », 
précédée de l'adjectif « sacré ». De même que la formule 
flamande dont nous venons de faire mention, cette expression 
semble aussi le commencement d’une formule qui, à l'origine, 
était un serment. Elle signifiait primitivement, paraît-il : « Par 
le saint nom de Dieu, j'afirme que je dis vrai. » Dès lors l’em- 
ploi inconsidéré de cette formule restera toujours un péché 
véniel et demeurera, certes, interdit aux consciences chrétiennes. 

Mais s’ensuit-il qu'il faille à tout jamais les ranger parmi les 
formules de malédiction contre Dieu ? De graves et nombreux 
théologiens ne le pensent pas ; et voici comment ils expliquent 
leur sentiment : « Sacré », même devant le substantif, ne 


(1) V. Études Franciscaines, Août 1908. 


ER, LE 


NOTES DE THÉOLOGIE MORALE 303 


signifie pas nécessairement, ni même habituellement : maudit. 
Ne recourons-nous pas tous les jours, avec respect, avec piété, 
au « Sacré » Cœur de Jésus, aux « Sacrés » Cœurs de Jésus 
et de Marie ? L’invocation composée du mot « sacré » et du 
nom de notre Dieu, n’a donc, « en elle-même », aucune signi- 
fication injurieuse pour Dieu ; au contraire, prononcée avec res- 
pect, elle pourrait devenir une expression de la piété religieuse. 
Elle est souvent prononcée avec colère, sans doute ; mais le fait, 
que celui qui la prononce est en colère, n'en change pas la signi- 
fication. 

Néanmoins, « en fait », une vague persuasion que l’emploi 
du mot « sacré » devant le nom de « Dieu » constitue un 
blasphème horrible est si communément répandue et si profon- 
dément ancrée dans les consciences, que l’on blesserait très fort, 
aujourd’hui, les âmes chrétiennes, si l’on s’avisait de déplacer 
l'adjectif « sacré » dans l’expression : Nom « sacré » de Dieu, 
ainsi que nous le déplaçons sans hésiter dans l’invocation : 
Cœur Sacré de Jésus. 

Souvent, certes, ceux qui profèrent l’épithète « sacré » avec 
le « Nom de Dieu », ne se servent pas de cette expression 
parce qu’elle outrage Dieu, pour outrager Dieu ; néanmoins, 
aussi longtemps qu'ils ont la persuasion qu’elle outrage Dieu, 
ils commettent chaque fois qu'ils la profèrent délibérément, un 
péché grave, au grand scandale de ceux qui les écoutent. Cepen- 
dant ni ceux qui prononcent la formule, ni ceux qui l’entendent, 
ne seraient en état de dire exactement en quoi et pourquoi ils la 
jugent blasphématoire. Au fait, si elle est blasphématoire, c'est 
uniquement parce que, à tort, vaguement, ils la croient telle, et 
parce que, la croyant telle, ils pèchent par fausse conscience. 
Ne serait-il donc pas sage de redresser leur erreur, en restituant 
aux mots et à leur association leur signification originelle ? 

Car enfin, nos très chers Frères, si l'expression dont il s’agit 
cessait d’avoir, dans l'appréciation du grand nombre, le sens 
horrible qu’on lui attribue d'une façon irréfléchie aujourd’hui, 
pensez donc combien de péchés seraient évités !..…. » — Vien- 
nent ensuite les conseils pratiques au clergé pour faire pénétrer 
peu à peu ces idées dans l'esprit des fidèles. 

Suivent les signatures du Card. Archevêque de Malines, et 
des Evêques de Gand, Bruges, Tournai, Namur, Liège. 


P. CONSTANT. 


AMBASSADEURS DE FRANCE 


ET CAPUCINS FRANCAIS 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 


D'APRÈS LE JOURNAL DU P. THOMAS DE PARIS 
(Suite). (1) 


ENTRE AMBASSADEURS 


Les compétitions des puissances européennes avaient, nous l'avons 
dit, un contre-coup naturel à Constantinople. On n’approchait que 
rarement du Grand-Seigneur, il fallait souvent pour le trouver faire 
le voyage d'Andrinople où il séjournait une partie de l’année. Dans 
son journal, P. Thomas parle donc peu des Sultans, il note seulement 
la mort et l'enterrement du Sultan Amurat mort le 8 février « âgé de 
32 ans » et remplacé par « Sultan f[brahim, son frère de père et de 
mère âgé de 26 ans » qui « fust prendre l’espée » le 16 du même mois. 
Ce même Sultan « fust deposé » le 8 avril 1648 ; et « son fils, Sultan 
Mehemet, proclamé Empereur, âgé de 7 ou 8 ans. » 

Les compétitions se donnaient libre carrière auprès du tout puissant 
Grand-Vizir. Ces représentants de l'autorité changeaient assez souvent 
suivant les caprices de la fortune. Leur fin était plus d’une fois tragi- 
que. Nous lisons parexemple en 1644 au 31 janvier : « Le Grand- 
Vizir Mustapha Bascha a esté estranglé chez luy vers les ro heures par 
ordre du Grand-Seigneur. Ou encore au 10 may 1644 : « Les spahis 
et janissaires se sont sous-levés contre [psie Bascha Grand-Vizir et ont 
saccagé sa maison et celle du Grand Mufti (2) qui s’estaient retirés au 

(1) Études Franciscaines, Mars 1013. 

(2) Le Grand Mufti, aujourd'hui appelé Cheik-ul-[slam est après le Sultan le pre- 


mier dignitaire religieux, l'interprète le plus autorisé de la loi islamique.Un Sultan 
ne peut être déposé sans l'assentiment de ce dignitaire. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 395 


Grand Séraïl où Ipsie Bascha fust estranglé le lendemain puis exposé à 
la porte du Grand Séraïl, et Murat Bascha fust faict Grand-Vizir pour 
la seconde fois. » Les Grands-Vizirs et en leur absence de Constanti- 
nople, les Caïmacans (1) donnaient des audiences presque toujours ac- 
compagnées de cadeaux considérables que devaient offrir les Ambas- 
sadeurs. Les Turcs profitaient des querelles nationales pour « cares- 
ser » ou « bousculer » au besoin les Ambassadeurs. Le mot bouscu- 
ler doit être pris ici dans son sens littéral, le fait est noté en 1651 (10 
Décembre) et la victime fut l'Ambassadeur d'Angleterre qui dans une 
audience avait voulu passer avant celui de France. Irrité, il quitta le 
salon d'attente sans vouloir aller à l'audience. 

Anglais et Français n'étaient point toujours d’accord.En Avril 1644, 
nous voyons une simple querelle de « mariniers » des deux nations 
qui se prirent de querelle voulant occuper la même place dans le port 
de Galata. Des injures on en vint aux coups. Il y eut plainte récipro- 
que et échange de procès-verbaux entre les Ambassadeurs. Mais celui 
d'Angleterre accusa son collègue français de partialité et sans plus de 
cérémonie, passant par dessus les usages diplomatiques, recourut aux 
Turcs. Ceux-ci trop heureux d'intervenir et de « manger » quelque 
argent, ordonnent « au Voivode (2) Aly Aga d'informer moyennant 
7000 piastres. » Ainsi payé par les Anglais le Voivode dresse un hod- 
jet absolument en leur faveur auquel S. E. de France répond par 
un ars au Vizir « se plaignant que sa bandière a esté foulée aux pieds 
et deschirée par les Anglais. » Le Vizir commande que le capitaine 
Anglais soit mis aux fers avec son lieutenant ; on va le prendre à 
l'heure du quindy chez son Ambassadeur où il estait au presche, le 
jour du Dimanche. Le lundy on les met hors de cause et de procès. 
M. l'Ambassadeur de France faict cependant informer de nouveau 
contre eux et obtient un hodjet d'information à son advantage. » Le 
procédé des Anglais recourant au Turcs fut « universellement blasmé », 
les marchands trouvèrent chère la note à payer. 

Parfois les Vizirs semblaient refuser des faveurs qu'ils préparaient 
secrètement en dessous. Ainsi le 26 Mars 1648 l'Ambassadeur d’An- 
gleterre était mécontent des procédés Turcs; «avec tous les marchands 
anglais, il s'embarquait sur 7 vaisseaux anglais qui estaient dans ce 
port au milieu duquel ils se retirèrent avec bandière blanche en poupe 
et tous les postaux serrés excepté 3 et fisrent feu pour paraistre au 


(1) Caimacan ; désigne ici le ministre qui remplaçait le Grand-Vizir quand celui- 
ci était absent de Constantinople. 

(2) Voivode, mot slave signifiant gouverneur, prince. Ici est synonyme de chef de 
la police. 


396 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Grand-Seigneur résolus que leurs capitulations fussent gardées ou à 
partir. Le Grand-Vizir estait leur partyÿe duquel ils obtinrent tout ce 
qu'ils voulurent et chacun retourna chez luy. » 

La prise par les chevaliers de Malte d’un gallion transportant des 
sommes considérables appartenant aux Turcs et aussi de la marchan- 
dise humaine, des eunuques ainsi que des femmes pour le harem,avait 
donné lieu à un incident antérieur (18 décembre 1644) et amené chez 
le Cady favori du Grand-Seigneur, « M. l'Ambassadeur avec ceux 
d'Angleterre, Venise et Hollande. » Désinvolture des potentats turcs se 
faisant attendre à plaisir, rivalités pour la préséance, protocole diplo- 
matique y apparaissent sur le vif. « Les Ambassadeurs ont esté chez 
led. Cady. 

M. l'Ambassadeur (de France) y arriva le premier estant party de 
chez luy dès les 8 heures du matin. Il fust conduict à une chambre 
haulte proche celle de l'audience, le Bail de Venise arriva le second et 
y fust aussy conduict. Celuy d'Angleterre y arriva le 3e et s'arresta en 
une chambre basse. Le Résident d’'Hollande arriva le 4esme monta 
aussy à la chambre haulte où estaient les deux premiers. Les deux 
cadys à scavoir le favori qui est le cady de Natolie et son beau-père 
qui est le cady de Romélie se retournèrent de disner sur les dix à onze 
heures. Ils passèrent dans la chambre où estaient les susdicts Ambas- 
sadeurs pour entrer dans celle de l'audience et le Kaïa (1) vinst deman- 
der aussytost quel des Ambassadeurs devait estre le premier, M. La 
Borde respondist que c’estait son Maitre, ce que le Bail de Venise dict 
aussy tout franchement et haultement. L'on appela là-dessus le pre- 
mier drogueman d'Angleterre et il dist qu'on pourrait bien recevoir 
deux à deux consécutivement. L'on fist entrer M. l'Ambassadeur, 
Venise et Hollande ensemble. Il n'y avait que deux grandes chaises 
esgales, l'une pour nostre Ambassadeur, l’autre pour celuy de Venise, 
l'Hollande n'eust qu'un tabouret. Le beau-père du cady favory porta 
la parole disant que le Grand-Seigneur estait fort irrité de ce qu’on 
avait pris le gallion, qu'il voulait en faire du grand ressentiment mais 
qu'ils l'avaient appaisé en sorte qu'ils avaient appelé les Ambassadeurs 
par son ordre, pour scavoir d'eux comment et par qui s’estait faicte 
ceste prise, qui avait donné avis aux galères, que le dict gallion estait 
là, qu'ils fissent en sorte de scavoir le tout. Et le cady voulant faire 
escrire leur response le bail dict qu'ils luy donneraient response par 
escript.. L'audience de ces trois dura environ demy-heure. Et en 
sortant de l’audience on fist monter l'Ambassadeur d'Angleterre au- 


(1) Kaïa, appelé aussi Kehaya, interprète officiel et introducteur. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 397 


quel on donna une audience séparés. Nostre ambassadeur dist que si 
on eust faict entrer l'Ambassadeur d’Angleterre a vant luy, il n’eust pas 
faict d’autre violence ny de corps ny de combats, cela estant hors de 
propos et de décence, mais il eust présenté ses Capitulations, eust 
protesté de ce qu'ils les enfresgnoist et ne fust entré ni esté à l'audien- 
ce, mais se fust retiré comme ne les cognaissant plus pour alliez ni 
amys. Et il avait faict escrire un bel ars (1) pour le Grand-Seigneur 
dans lequel estaient toutes les raisons qui prouvaient que Maithe ne 
despend point de la France. » 

Un jour enfin, le P. Thomas servit de médiateur entre les Ambas- 
sadeurs de France et d'Angleterre. Le premier, dit le Père, « se laissa 
entendre à moy que si je trouvais jour à les racommoder ensemble il 
ne s’en esloignerait pas voyant la bonne correspondance de la Cour 
avec Cromwel. N'ayant pas veu M. l'Ambassadeur d'Angleterre le 19e 
du courant (Mars 1652) parce qu'il estait indisposé, j’y suis retourné à 
dessein de le racommoder avec le nostre, prenant subject de le remer- 
cier de la protection que les Anglais ont donné, aux Indes, à nostre 
Père d'Auxerre. Il me tesmoigna en estre très content et me prya de 
le faire scavoir à nos amys avec autres bonnes paroles. Dès le lende- 
main je le fis scavoir à M. nostre Ambassadeur qui se tesmoignant 
obligé des susdites bonnes paroles m’ordonna de le dire au susdit Am- 
bassadeur d'Angleterre. » Celui-ci à son tour « me prya de salüer nos- 
tre Ambassadeur de sa part et de luy dire qu’il estait son serviteur. Et 
son secrétaire me reconduysant jusqu’à la porte du logis me dist : 
Dieu soit loué,« voilà MM.les Ambassadeurs de France etd’Angleterre 
racommodés et bien ensemble. » 

Un seul Ambassadeur d'Allemagne, le Sr Smit, figure dans cette 
période du journal. « I] arriva le 18 janvier 1651 avec train d'environ 
150 personnes dont 40 au plus à cheval. M. l'Empereur accompagné 
de 50 cavaliers français a esté au devant de luy par ordre de S. E. et 
Ya accompagné jusque dans son logis. » Nous faisons mention de ce 
fait non pour le personnage lui-même mais à raison de la conséquence 
suivante. A l’occasion de ce voyage « le Résident d'Allemagne prist 
pour chappelain un Père Récollet de la famille de Jérusalem qui 
désire luy fournir tousiours des chappelains soubs prétexte des fré- 
quentes affaires que la dite famille a icy auprès du Résident pour le 
Vizir. Le Père gardien de Jérusalem estant venu ici, a faict la susdite 
demande, laissé pour cela le P. Francesco son premier compagnon et 
est parti pour chrestienté avec le susdit Ambassadeur, son trienne (2) 


(1) Rapport. 
(2) Trienne : Durée de trois ans fixée comme temps de la supériorité. 


398 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


de Jérusalem estant finy. » Nous voyons ainsi entrer en scène le 
commissaire de Terre-Sainte comme on appelle encore aujourd’hui 
le religieux chargé spécialement des intérêts de la Custodie de Terre- 
Sainte à Constantinople. Relevons à ce sujet une remarque du 
P. Thomas, qui se fait l'écho des accusations portées contre le drog- 
man Fornetti, auquel son Maitre l'Ambassadeur de France, repro- 
chait comme une sorte de trahison de traiter directement et secrète- 
ment avec le Grand-Vizir les affaires de ces religieux. 

Du Résident de Hollande nous disons seulement que par intermit- 
tence il donnait quelque aumône aux Capucins. Fidèlement, par lui- 
même, ou par un de ses religieux, le P. Thomas lui souhaitait « les 
bonnes fêstes » suivant la coutume du pays, comme aux autres repré- 
sentants. N'oublions pas qu'il s'agissait d’une nation protestante com- 
me l'était aussi l’Angleterre. A ces représentants hétérodoxes, disons-le 
en passant, les Conventuels portaient comme aux autres un cierge à 
la Chandeleur, mais « non bénict. » 


Les chargés d’affaires des nations occidentales durent recourir en 
plus d’une occasion aux bons offices de l'Ambassadeur de France pour 
leur propre sécurité. Venise donna sur ce point de multiples soucis à 
Mr de La Haye-Vantelet, cette puissance ayant de perpétuelles diffi- 
cultés avec les Turcs qui voulaient enlever à la Sérénissime République 
les derniers lambeaux de sa puissance d'antan. Candie fut longtemps 
le champ de bataille des deux rivaux. En attendant que l'ile tombât 
aux mains des Turcs en 1669, Rethymo, une de ses villes fortes, avait 
succombé en 1649 et la victoire avait été pompeusement célébrée à 
Constantinople. Aussi la position du Bail était des plus critiques. 
Lisons plutôt le journal du P. Thomas : « Le 28 Avril 1649, le Sr 
Bail et la plupart de sa suyte estant allé au Vizir faire response de la 
part de la République pour le chaoux (1) qu'on avait envoyé pour la 
paix fust arresté avec sa suyte et furent tous mis aux fers, excepté le 
Sr Bail et le Sr Grille premier interprète et furent menés à la tour 
noire. (2) (Bosphore). La nouvelle en vinst icy à midy que S. E. 
estait à table, Mr de la Borde la luyayant envoyé dire par Assam Bey. 
S. E. se leva aussytost de table sans manger et partist au bout d’une 
heure pour aller à Constantinople (3) au Vizir et faire ce qu'il pour- 


(1) Chaoux, officier subalterne du corps des janissaires, 
* (2) Probablement le château actuellement dénommé Roumélie-Cavak. 
(5) Le nom de Stamboul pour désigner la partie de la ville qui correspond à ce 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 3099 


rait pour leur deslivrance. » Nous résumons le récit. Tous ceux de la 
suite furent arrestés, excepté l’un d'eux « lequel estait descendu à la 
cour du Vizir pour quelque nécessité » et un laquais, « lequel estant 
à garder le cheval et entendant le bruict sur le Vizir, monta à cheval 
et se sauva et arrivant à la maison dict : se sauve qui pourra ». «Bien- 
tôt arrivent les Turcs qui envahissent la maison, saisissent le chappe- 
lain et quelques valets et les mènent les mains liées derrière le dos au 
logis du Vizir puis à la tour noire. » Inutile de dire que tout fut pillé 
consciencieusement. Pendant ce temps « les marchands Vénitiens et 
les interprètes se sauvaient où ils peurent la plupart en France (1) fai- 
sant transporter de chez eux le plus beau et le meilleur de ce qu'ils 
avaient. » Le logis du Sr. Baïl étant « bullé » la maison du Sr Grille 
fut envahie et dévalisée ; on laissa seulement « la chambre des servi- 
teurs pour loger la femme et les enfants » et neuf Janissaires restèrent 
de garde dans le logis. Le lendemain le Grand-Vizir faisait amener 
deux esclaves du malheureux drogman, renvoyant bientôt l’une et 
mettant l’autre « parmi ses femmes. » S. E. avait obtenu cette déli- 
vrance par le moyen de Mr de la Borde auquel il fut déclaré « que la 
cause de ce que la maison du Sr Grille estait affligée, estait les plain- 
tes continuelles qui venaient de leurs braveries etque ses filles estaient 
plus parées que les sultanes mesmes. » Quelques heures après, l’infor- 
tuné Grille était appelé en pleine nuit, soi-disant pour aller auVizir et 
étranglé par un Turc. Ce jour là même, « Mr de la Borde estant chez 
le Vizir le Kiaïa luy dist que le Sr Grille estait mort et que voulant des- 
cendre la montée qui estait un peu rompue il estait tombé et s'estait 
tué » ! Ce mensonge ne trompa personne. S. E. obtint du moins sans 
peine le corps du défunt « qui fust apporté à la maison sur les 3 heu- 
res de nuict, tout nud ayant esté tiré de terre où on l'avait mis bien 
profondément à Arnaoutkeuï (2) où il avait esté enterré à la chrétienne 
par un papas grec. » 

Le meurtre était le résultat des intrigues du Capitan Bascha qui 
« avaist dict qu'il ne partirait point qu'on eust estranglé Grille » et 
leva l'ancre aussitôt. L'examen du corps ne laissa aucun doute sur 
le genre de mort infligé à ce drogman. Sur la requête deS. E. les biens 
du défunt furent rendus à la veuve, la maisée « débullée » et l’esclave 
même, enlevée au harem du Grand-Vizir. Successivement après des ins- 


nom n'est jamais employé dans le journal du P. Thomas. C'est toujours le nom de 
Constantinople. 

{1) En France, c'est-à-dire au palais de l'ambassade de France. 

(2) Arnaout-Keui, village situé sur la rive européenne du Bosphore entre Cou- 
routchesmé et Bébeck. 


400 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


tances réitérées de Mr de La Haye, le Sr Raisonnat,le P. Chapelain et 
le Sr Tarsia furent tirés des fers de la tour noire et rentrèrent dans 
leurs chambres. Le 17 juin c'était le tour du Bail qui revenait à son 
logis dont pourtant on ne lui ouvrit les portes que le lendemain. 

Un ambassadeur de Venise le Sr Capello venu pour traiter la paix le 
20 Janvier 1653 ne fut pas mieux traité. Six jours après son arrivée 
faite d’ailleurs sans cérémonie, un chaoux venait le chercher dans la 
maison du Bail et le conduisait d'urgence au Grand-Vizir. Là fut lu 
un acte du Grand-Seigneur « que le Baïl eust à donner la Candie ou 
à s'en aller.» La réponse ne pouvait être que négative, en conséquence 
le Sr Capello, venu de « chrestienté » par terre dut en hâte reprendre 
le carosse qui l'avait amené ; on ne lui laissa même pas le temps de 
faire ses bagages « les chaises pour les mettre n'estant pas encore 
arrivées. » En route il fut arrêté, conduit à Andrinople et retenu 
captif. 

Nouvelle intervention française.Le 18 Décembre 1653 arrivait « par: 
terre à Ponte piccolo Mr de Vantelet, fils ainé de Mr l'Ambassadeur. 
Il y fust rencontré par Mr de Meaux, le Maiste d’hostel et quelques 
marchands et horologiers(1)au nombre d'environ 40.MM.Gomin et de 
Nointel l'accompagnaient. » Ce dernier devait un jour occuper le 
poste d'Ambassadeur près la Sublime Porte. Quelques semaines après 
le 7 Février 1654 Mr l'Ambassadeur et son Fils allaient à l'audience 
du Vizir. Celui-ci fit son présent qui fust de 5 vestes (2), l’Ambassa- 
deur en avait donné 6; à S. E.,à sonfils, à MM.Gomin et de Nointel et 
àäun gentilhomme danois de leur compagnie.Le Vizir fist lire la lettre 
que le Roy lui a escripte par Mr de Vantelet. Le 9 ils furent au Mufti, 
le 12 au Captan Bascha et leur rendirent les lettres de S. M. qui les 
priait de porter le Grand-Seigneur à faire revenir à Constantinople 
l'Ambassadeur Vénitien Capello détenu à Andrinople. » Le résultat se 
fit longtemps attendre, car le prisonnier ne rentra à Péra qu’en 
Octobre 1658. Au moment où S. E. plaidait pour lui, le malheureux 
faillit mourir s'étant donné trois coups de canif dans le ventre. Il fut 
sauvé à temps et « l’on dist pour l’excuser qu'il s’estait donnécescoups 
dans une fièvre chaude. »n Après sa mort ce représentant de Venise fit 


(1) Les horologiers, (horlogers) étaient assez nombreux à Galata. Les montres, 
surtout les montres parlantes (à sonnerie) faisaient toujours partie des cadeaux 
offerts aux officiers du Grand-Vizir. Il est souvent question de dépôts de montres 
faits par des particuliers entre les mains des capucins. 

(2) Les vestes étaient de longues robes à la turque. Les caftans ou pelisses bordées 
de larges fourrures coûtaient parfois des prix considérables et étaient réservées aux 
ambassadeurs des grandes puissances. De graves conflits éclatèrent plus d’une fois 
suscités par l’offrande d’une pelisse de moindre valeur. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 4ot 


encore parler de lui ; il était décédé sur un vaisseau anglais, or nous 
voyons (1663) l'Ambassadeur d'Angleterre entrer en grande colère 
parce que les marins de sa nation étaient accusés par Venise d'avoir 
placé le corps du Sr Capello en un lieu qui n'avait rien d’une chapelle, 
et d’être venus les uns après les autres l’arroser avec toute autre chose 
que de l’eau bénite et cela par mépris pour le catholicisme. A Venise 
« on regardait la chose comme asseurée. » On fit une enquête qui sem- 
ble n'avoir abouti à rien de décisif. 

Enfin une démarche de Mr de La Haye nous paraît aussi digne de 
mention. Venise encore est en jeu dans la personne d’un religieux fort 
influent de cette république.Il s’agit d’un gardien de Sainte Marie, le 
P. Locatelli qui, parti pour Andrinople en fut un jour ramené les 
« fers aus bras et mis à la prison des criminels, soupçonné d’espion- 
nage par les Turcs. » Le drogman Fornetti plaida sa cause au nom 
de S.E. mais les intrigues d'un certain Ismaël Aga autrefois métropo- 
lite de Rhodes firent échouer l’entreprise (1657). Bientôt même le Pro- 
vincial de Sainte Marie venait rejoindre aux fers son collègue et tous 
deux, sur la demande de S. E.,obtinrent « d'être conduits et laissés à 
la chaisne dans le bagne (1) des esclaves, » le P. Locatelli « se trou- 
vant,ce semble, plus assuré de la vie au dict lieu que dans sa première 
prison joinct qu'il peut y être plus commodément et y célébrer. » Le 
Provincial recouvra la liberté mais le P. Locatelli mourut de fièvre 
maligne le 14 Décembre de cette même année. Cruelle ironie du sort ; 
quelques jours auparavant arrivait à son adresse une lettre avec cette 
suscription : «AÏl Illimo et Rsim Monsignore Giov.Locatelli Archives- 
covo eletto di Naxia ! » (2) On ne manifesta pas cette nouvelle qui 
n'aurait pu qu'entraver la délivrance du prisonnier. Cette affaire avait 
amené la détention provisoire du drogman Fornetti et au nom de 
M. de La Haye, le P. Thomas pria alors le Résident d'Allemagne 
d'intervenir près du Vizir pour les deux captifs. Le Résident avait pro- 
mis de « travailler mais caute. n (3) n'augurant rien de bon de cette 
histoire, ne craignant pas toutefois qu'il y eût péril de mort PO le 
P. Provincial. 


(1) Il se trouvait souvent des prêtres prisonniers au bagne; ils avaient une certaine 
latitude pour exercerleur ministère. Les Capucins et les Jésuites allaient pour les 
fêtes confesser et célébrer les Saints Mystères. Il est souvent question dansie 
« Journal » d’un certain français M. Prévost, directeur du bagne, très zélé pour 
assurer le service religieux. Il y avait plusieurs bagnes, situés dans la Corne 
d'Or. Les esclaves, en dehors des cas de guerre, travaillaient dans les arsenaux de 
ce lieu. 

(2) A l'Illme et Rire Monseigneur Jean Locatelli, Archevêque élu de Naxos. 

(3) Prudemment, comme un bon diplomate. 


E.F.— xux. — 26 


402 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Cette même année était mort l'Empereur d'Allemagne ; le Résident 
envoya de suite son chapelain en donner avis à S. E. laquelle à son 
tour chargea le P. Thomas de « tesmoigner le déplaisir qu'elle ressent 
de ceste perte pour toute la chrestienté et l'obligation qu'elle luy a de 
l’avoir promptement advisée.» Avec une légère satisfaction,sans doute, 
P. Thomas note le protocole de cette visite : « Ledit S. Résident m'a 
conduict de sa chambre jusqu’à la porte de la Marine, se tenant à ma 
gauche (Mai 1657). » Le souverain défunt était Ferdinand III. 

Un mot seulement touchant l'Ambassadeur de Pologne. Ce pléni- 
potentiaire avait inutilement demandé au Grand-Vizir l’église Saint 
Sébastien pour les Jésuites Polonais ; le Vizir déchira brutalement la 
requête : M. de La Haye avait fait primitivement pour le même objet 
une démarche près de la Communauté des « Péraux », ceux-ci avaient 
répondu en termes fort maussades pour les fils de saint Ignace. A l'au- 
dience du Grand-Seigneur où fut reçu ce même Ambassadeur de Po- 
logne, Mr M. Gominet de Nointel avaient sans succès espéré une 
place, « ils ne furent pas introduicts à cause du chapeau, le Vizir 
n’admettant que ceux qui avaient fa/pac (1) pour être uniformes. » 
Ces Messieurs, semble-t-il, n'étaient plus en cet instant avec M. de 
Vantelet, fils de S. E., qui avait continué son voyage « pour Pologne 
et Allemagne. » 


AMBASSADEUR ET GRAND VIZIR. (1658-1661). 


Les principaux actes du protectorat des chrétiens exercés par M. de 
La Haye se terminent en 1658. Maintenant il doit surtout se défendre 
lui-même. Notre annaliste nous donnera de précieux renseignements 
sur cette crise douloureuse que nous traiterons assez amplement bien 
qu'elle touche surtout la politique. 

M.de La Haye avait eu le malheur de déplaire au Grand-Vizir Mé- 
hemet Keupruli (2), ne faisant point de visites et n'offrant pas quand 
celui-ci entra en charge les présents d’usage ; et cela pour deux motifs 
que nous trouvons dans nos archives dans une note de 1724 qui est le 
résumé du mémoire de Mr de Bonnac. $S. E. trouvait les dits présents 


(1) Sorte de coiffure se rapprochant du fez actuel, mais de forme plus haute, de 
consistance plus rigide et de couleur moins voyante. 

(2) Kupreuli, ou Keupruli a laissé le souvenir d’un homme des plus astucieux et 
d'un orgueil sans borne. Il y eut d’ailleurs plusieurs Vizirs de cette famille. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 403 


fort onéreux ; de plus il escomptait que le Vizir âgé de 80 ans ne 
saurait longtemps rester en charge. Il se trompait ; quand lui-même 
en 16671 retourna en France, Keupruli détenait encore le pouvoir et ne 
mourut qu’en 1662. M. de La Haye voulut réparer cette erreur, il 
était trop tard. 

Ce n’était pas d’ailleurs la première fois qu’un Vizir témoignait une 
antipathie prononcée pour l'Ambassadeur français. Retournons un ins- 
tant en arrière. En 1646 Mr de Varennes, envoyé extraordinaire du 
Roy de France étant venu sur un vaisseau flamand, le dit vaisseau 
« fust bullé incontinent après estre arrivé à la douanne sur un faulx 
advis donné qu'il estait plein de sequins des Vénitiens. Il apportait 
15000 piastres de la ville de Marseille à Mr l'Ambassadeur qui furent 
retenues et portées à la douanne de Constantinople où elles ont resté 
jusqu’au 23 de ce mois (May) que le dit vaisseau a esté débullé et l’ar- 
gent porté à Mr l'Ambassadeur. Le dit Sr de Varennes fust appelé dès 
le lendemain à l’audience du Vizir qui ne lui donna point de veste 
mais luy en fist excuse sur ce que les ennemis en tireraient de l’advan- 
tage. » Or quelques jours plus tard, le Vizir recevant le Sr Lancelo 
anglais, consul de Smyrne, nommé par ses compatriotes pour la pro- 
tection du négoce lui faisait présent d’un caftan et lui disait : « jete 
fais plus d'honneur qu'à celuy qui est venu de France », et il accen- 
tuait la différence en « régalant l'Anglais le lendemain des tambours et 
fiffres du Grand-Seigneur. » Tout cela, il est vrai, coûta cher au pro- 
tégé du Vizir ; l’Anglais débuursa pour « ceste nouveauté « 60,000 
piastres » Mr de La Haye se montra au contraire fort gracieux avec 
Mr de Varennes et lui donna le plaisir » de faire danser et jouer chez 
luy les Juifs. Tous les Français ont été conviés et les femmes aussy. 
Le R. P. de La Haye y a assisté ; les P. P. Jacques et Jean François 
d'Auxerre aussy. Je n'ay pas voulu y aller (ajoute le P. Thomas) mais 
le P. Jacques me dict qu'un chascun y estait et qu’il ne se faisait que 
choses honnestes. Je consentis que le P. Honoré, mon compagnon, 
accompagnast le dit P. Jacques. Les dits Juifs estaient en tout envi- 
ron 22 personnes, ont joué 3 heures et ont eu 20 piastres. » 

Revenons au Vizir Mehemet Keupruli qui prépare sa vengeance : 
Venise sera encore l’occasion de ce douloureux épisode. Une corres- 
pondance qualifiée de « contraire au droits des gens » par Mr de Bon- 
ñac s'était engagée entre Mr de La Haye et le commandement des 
armées de la Sérénissime République. Confiées à un Français qui se 
faisait appeler Vertamon,les lettres de S. E. furent livrées au Turc par 
ce malheureux qui avait apostasié la foi chrétienne. Le secrétaire au 
courant du secret du chiffre disparut fort à propos. Malheureusement 


404 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


un autre aventurier français habile en fait de chiffre vint à Constan- 
tinople et mécontent, on ne sait pourquoi,de S. E. se proposa d'aider 
les Turcs à déchiffrer les lettres en question. Que faire ? Il y allait de 
l'honneur de l'Ambassadeur et de la sûreté des Français. S. E. crut 
pouvoir en conscience faire disparaître un de ses subordonnés pour 
sauver les autres. P. Thomas qui parle très brièvement des lettres, ne 
dit rien explicitement sur ce meurtre légal, il note seulement l'empoi- 
sonnement d'un drogman et ajoute que le P. Jacques interrogé par 
l'Ambassadeur aurait appuyé ce droit de vie et de mort. Quant au 
mode de procéder, il aurait été expéditif, le traître précipité du haut 
de la galerie du palais mourut de cette chute et fut enterré dans le 
jardin. Les notes de 1724 auxquelles nous avons fait allusion portent 
au commencement de ce récit :on dit. Le P. Thomas a-t-il voulu taire 
la chose par discrétion ? L’empoisonnement dont il parle se confond-il 
avec ce fait ? Mystère : Il revient sur ce sujet en 1663 puis dit en ma- 
nière d'excuse que la République de Venise usa de la même rigueur 
avec un religieux de Péra accusé de trahison ; seulement le moyen 
employé pour faire disparaître le corps du délit fut plus macabre. 
P. Thomas tenait le récit de Mr de La Haye : Ajoutons que le Rési- 
dent d'Allemagne et le Sr Timoni,premier secrétaire d'Angleterre,sont 
également cités pour faits analogues dont ils durent effacer la trace au 
moyen de fortes avances payées à la « justice turquesque. » Il faut 
pour bien juger les faits les remettre en leur cadre de lieu et de temps. 


* 
4 + 


Mr de Vantelet,fils de l'Ambassadeur, venait d'arriver avec sa femme 
par le vaisseau « Le Grand-Henry » (25 Février 1658) pour aider son 
père dans sa charge. Or celui-ci était précisément incommodé par la 
pierre qui le tourmentait périodiquement. Les événements se précipi- 
tent. Le 6 Mai, Mr L'Empereur secrétaire «est appelé au caïimacan et 
retenu. » Il faut que Mr de La Haye lui-même aille le chercher le 
lendemain. Délivré, le secrétaire repart de suite avec Mr Fontaine au- 
tre secrétaire, le drogman Navone et La Ramée ; ils sont à Andrino- 
ple où le Vizir les appelle au sujet des lettres mystérieuses. L’Ambas- 
sadeur lui-même est mandé d'urgence ; il s’en excuse sur son état ; son 
fils part à sa place le 21 Mai, « ayant couché ceste nuict chez Melek 
Bascha caïimacan qui l’appela hyer vers le Kindy. » A l’Ambassade 
on est dans l’angoisse,madame tremble pour son mari, d'autant que le 
bruit se répand d'un mauvais traitement infligé par le Vizir. D'Andri- 
nople Tumase Navone écrit qu'il n’a lui-même essuyé aucune avanie ; 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 405 


mais le drogman Fornetti annonce le 29 Mai que « Mr de Vantelet a 
été maltraité de coups et de paroles et mis dans une fosse obscure. » 
Sur la nature de ces brutalités on épilogua plus tard parlant de coups 
de bâton. Dans le journal du P. Thomas au 18 Janvier 1669 nous 
lisons ceci : « Mr l'Évêque a appelé le P. Pierre pour lui communi- 
quer la relation latine faicte par le R. P. Thomas Jésuite, chappellain 
du comte de Lesbie, de l'Ambassade du susdit Comte, de laquelle il lui 
avait faict extraire ce que dessus. » Voici le début de cette pièce : « Sub 
finem Novembris appulit Constantinopolim Orator Gallicus De Van- 
telay La Haye is qui paucis abhinc annis inconcussa et imperterrita 
cum mente impactam a purpuratorum prœside alapam acceperat cum 
parenti suo oratori tunc gallico comes advenisset. (1}r Notre P. Tho- 
mas ajoute : « Je résolus de n’en point parler à S. E. cela ne servant 
qu'à l'irriter contre le dit P. Jésuite. Le 20 au matin, elle avait le dit 
livre et le lisait quand « j'arrivay dans sa chambre et elle m'en parla. 
Je fus estonné qu’elle l'eust, ledit P. Pierre m'ayant dist que Mr l’Évé- 
que avait eü mille peines à l'avoir tant on le tenait secret. S. E. me 
dit scavoir cinq personnes qui l’avaient, outre les R.R. P.P. Jésuites. 
Je juy dis n’en scavoir que ce qu’il note de l’arrivée de S. E. icy qui 
avait peu d'années auparavant receu un soufflet du Vizir. May sortant, 
la dite Excellence me le donna pour le lire. Je le mis sous nostre table, 
et ne dis qu’au dit P. Pierre que je l’avais. » Mr de Vantelet car c'était 
lui qui se trouvait en 1669 ambassadeur, ne niait nullement sa mésa- 
venture. Seulement le livre soi-disant secret passait bientôt de main 
en main au grand étonnement du P. Thomas, qui déclare n'avoir 
montré le livre qu'à un certain Mr Banois etimprouve fort la diteurela- 
tion du soufflet » comme « mise hors de propos. » L'Ambassadeur fut 
mis au courant de cette indiscrétion par un petit billet où l’on accusait 
un Sr de Monceaux alors secrétaire. De ce temps comme de nos jours, 
un secret à Péra était vite connu de tous | 

Quant à la cause du mauvais traitement on la devine sans peine ; le 
Vizir voulait la traduction des lettres ; Mr de Vantelet répondait n'a- 
voir pas la clef du chiffre. Pareil affront ne pouvait passer inaperçu ; 
S. E. va «au caïmacan se plaindre du traitement faict à son fils et 
demande charriot pour aller à Andrinople.» Île obéissait à la fois à un 
point d'honneur et aux supplications de sa belle-fille. Les choses n'al- 


{1} Vers la fin de Novembre arriva à Constantinople l'Ambassadeur français de 
Vantelay La Haye, celui qui, peu d'années auparavant, avec un calme et une séré- 
nité imperturbables avait reçu un soufflet du chef des ministres vêtu de la poupre (le 
Grand-Vizir) ; c'était à l’époque où il était venu tenir compagnie à son père alors 
ambassadeur. | 


406 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


laient pas si simplement ; pour faire ce voyageil fallait une permission 
du Grand-Seigneur, Mr La Forest va la demander à Andrinople le 
1er Juin et envoie de là, par un Turc qui l'avait accompagné, des 
lettres où le prisonnier rassure sa femme et son père. Réponse est faite 
par un chaoux au caïmacan et licence donnée à S. E. d'aller à An- 
drinople. « J'ai offert, (dit le P. Thomas) nostre service à S. E. pour 
le susdit voyage, elle m'en a remercié ayant dist auparavant au 
P. Jacques qu'elle ne ménerait aucun d’entre nous cela n'étant qu'un 
petit voyage. » Me de Vantelet, sur ces entrefaites, (11 Juin) donna le 
jour à un fils qui ne fut baptisé qu’en Novembre par Mgr l'Archevè- 
que et reçut le nom de François. 

C’est ensuite un chassé-croisé de secrétaires et de drogmans. Après 
de nouvelles lettres apportées par Mr Poulet, dit d'Armenonville, et le 
départimmédiat de celui-ci escorté par le drogman Journot, le 17 Juin, 
S. E. part « dans un carosse à la polonaise, accompagné d'environ 
quarante personnes montées sur 8 charriots. » À Andrinople où Mr de 
La Haye arrive le 22 (Juin) « jour de samedy » l’entrevue de l'Am- 
bassadeur et du Vizir ne fait qu’envenimer la situation, Keupruli 
savoure sa vengeance. En vain S. E. donnait de bonnes raisons, « le 
Vizir ne le voulust pas excouter quoyqu'elle luy promist deschiffrer la 
lettre mais moyennant 3 ou 4 heures de temps requis pour cela. Il 
voulait qu'elle la leust à l’heure mesme ce qui estait impossible et lui 
se levant et partant soudain donna ordre qu’elle feust gardée chez elle 
avec seulement 4 de ses gens qui sont Mr le Maistre, Mercier, Saint 


Martin et Nicolas, gardés par deux chaoux sans pouvoir sortir mais . 


visités par qui y veult aller. » 

On juge de l’émoi de Me de Vantelet. Le P. Thomas la visite sou- 
vent et lui porte les consolations de la religion, il lui donne même 
« un beau signet pour mettre dans ses heures et cinq figurines. » Ma- 
dame profite de ces entrevues pour demander au P. Thomas de faire 
venir près d'elle le P. Robert de Vantelet, appelé aussi le P. Robert 
de Dreux son oncle, croyons-nous. Ce Père avait jadis été destiné à la 
fondation d’une mission à Névucésarée, mais il avait dû revenir, la 
région était par trop inhospitalière.Il était à ce moment à Smyrne.Le 
P. Thomas répondit que la chose dépendait du P. Provincial mais 
qu'il « en escrirait ». Il ne semble pas avoir mis beaucoup d'empresse- 
ment à correspondre à ce désir, on le comprend sans peine, le minis- 
tère étant parfois gêné par une union trop intime. Il objectait que le 
P. Robert « ne pourrait attendre si longtemps pour dire la Messe », 
celle-ci étant souvent tardive ; mais Madame répondit qu’elle se con- 
tenterait de voir le P. Robert non à Péra mais à Saint Georges. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 407 


Sachant fort bien que « les ministres n'attaquent que sa personne » 
M: de La Haye, pour ne pas nuire aux commerçants français, envoie 
à Mr de La Forest commission de protéger le négoce ; il donne à 
son représentant le titre de «a Mr le Consul » et la nation le 
fait reconnaître par le caimacan. En France le Roy se fâche ; — on 
s'irriterait À moins — : d'Angers le 27 Juillet «il mande avoir appris 
le mauvais traittement faict au fils de S. E. » ; il en conclut « que le 
Grand-Seigneur veult rompre avec luy » et ordonne à Mr de La 
Haye, « d'aller trouver le Vizir pour luy tesmoigner son mécontente- 
ment, et luy mander sa response, afin qu'il sache ce qu'il aura à 
faire. » Chargé de la commission le drogman Journot traduit la lettre 
en turc et la porte au caïmacan. Celui-ci plus doux que le Vizir prê- 
che la patience et annonce le prochain retour du Grand-Seigneur à 
Constantinople. 

D'Andrinople, Mr de La Haye, que l’or voudrait renvoyer « par 
terre » en France, songe au contraire à profiter pour le voyage du 
« Grand-Henry » resté à l'ancre dans le port » mais il recommande 
de ne pas révéler ses projets à sa belle-fille. Revenu d'expédition le 
Grand-Vizir pendant ce temps s’arrêtait à Andrinople et sans faire la 
moindre excuse, affectant l’étonnement de trouver encore là MM. de 
La Haye père et fils, ordonnait de les laisser partir pour Constanti- 
nople. 


* 
+ + 


Notons ici, à cette époque, le décès du premier secrétaire M. de la 
Borde à Péra ou Galata. Le décès fut annoncé dit le P.Thomas,«cryé» 
de bon matin en langue grecque : « le grand drogman de France est 
mort » annoncèrent les crieurs. En l'absence du vicaire patriarcal, on 
céda aux P. P. de Saint Pierre qui avaient administré les sacrements 
au mourant l'honneur de le conduire à se sépulture ; et ce sur invita- 
tion de Me de Vantelet. L'Ambassadeur fit dire par les Capucins 52 
messes pour le défunt. 

Délivrés, les nobles captifs revinrent enfin. Le 19 octobre « Mr de 
La Haye, le fils, est arrivé icy sur le midy, accompagné d'Agi-Assam 
janissaire et de Thomas palfrenier, estant party d'Andrinople le 17 
après avoir esté mis en libertéle 14,et Mr son père aussy qui reviendra 
à sa commodité. Le P. Thomas va de suite offrir ses hommages au 
voyageur et reçoit confirmation du mécontentement du Roy, le 
comte de Brienne ayant écrit sur ce sujet au nom deS. M. Enfin 
S. E. arriva au palais le 11 Novembre ; le P. Thomas l’apprit allant 
à l'autel et « soudain après la Messe alla la saluer et congratuler de sa 


408 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


santé. » L'ancien ambassadeur de Venise Capello et le Résident d'Al- 
lemagne sont revenus en même temps. 

Le duel, c'en était un, entre le Vizir et l'Ambassadeur, dura encore 
près de trois années ; ce dernier ne voulant pas, faute d’autre moyen 
de représailles, avoir l'air de céder devant les menaces. C'est au tour 
du caïmacan à montrer les dents ; dès le 18 de ce même mois de No- 
vembre 1658, il ordonne à Mr de La Haye de se retirer sur un des 
vaisseaux français avec toute sa maison. L'ambassadeur allant à l’au- 
dience « avec une suyte d'environ 100 personnes, parla fort et haulte- 
ment »,Thomaso Navone faisant le drogman et fort bien; il refuse le 
«sorbet» en signe de mécontentement et déclare vouloir emmener tous 
les marchands. Ceux-ci, bien stylés, vont à leur tour au caïmacan et 
annoncent leur départ. Refus du caimacan qui leur dit d’élire quel- 
qu'un pour protéger le commerce. « Cecy, disent les marchands, ne 
nous appartient pas, mais au Roy qui en a pourvu d'un qui est icy en 
Orient. — Où est-il ? — c'est le Ben Zadé. (1) — Qui? le fils du vieil 
Ambassadeur ? — Ouy. — Eh bien j'en parleray demain au Vizir. » 
En réalité celui-ci ne voulait ni du père ni du fils. 

Le 24 Décembre 1658, arrive de France, Mr Blondel envoyé du 
Roy ; ilest reçu en audience le 5 Janvier 1059, est gratifié d’un caftan 
ainsi que quatre de ses gens mais ne fait aucun présent.Malgré cela,le 
Vizir l'envoie «régaler le jour des Roys par ses tambours et trompettes 
qui n'ont voulu recevoir chose quelconque » « c’est pourquoy on les a 
faict boire et ensuyte ils ont joué de nouveau sur la galerie proche de 
l'office et du portier. » 

Dans une nouvelle entrevue avec le Vizir Mr Blondel demanda en 
vain une audience du Grand-Seigneur ; évincé, il déclara n'avoir qu'à 
s'en aller priant en conséquence « le Vizir de luy faire expédier son 
passe-port pour retourner trouver le Roy en diligence par où il estait 
venu. » Nouveau caprice du Vizir qui veut le voir prendre la mer, 
bien que Mr Blondel objecte que son train est resté en route et qu'il 
le doit retrouver. Le Vizir essaie alors les caresses : « Si tu veux res- 
ter ici Ambassadeur nous le voulons bien, tu verras le Grand-Seigneur. 
Mais nous ne voulons plus du vieil Ambassadeur ny de son fils. [l y a 
vingt ans qu'il est icy, c'est trop, on devrait renouveller tous les trois 
ans. » Puis ce sont de nouvelles chicanes sur la lettre du Roy qui 
n'est pas signée par S. M. ; à quoi Mr Blondel répond que « depuis 
plus de 500 ans le Roy ne signe aucune lettre mais les faict signer 
de son nom par un secrétaire d’Estat. » Cette question tient au cœur 


(1) Ben et Zadé l'un en hébreu, l'autre en persan ont le même sens ; le fils. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 409 


du Vizir qui y revient dans une autre audience, celle de congé, à la 
fin de Février et cela en termes violents qui irritent Mr Blondel. Il 
n’est pas jusqu’au mode de transport de la même lettre qu'il ne juge 
répréhensible : « quand on.écrit à un grand Empereur comme le sien 
on n'envoye pas la lettre en poste. » Mr Blondel s'excusant sur ce que, 
vu l'urgence « le Bascha de Bude (1) luy a faict diligenter » et enfin 
proposant de laisser copie de la lettre destinée au Grand-Seigneur, le 
Vizir refuse et veut l’original puis :l recommence la même antienne : 
« Emmène l'Ambassadeur avec toy. » D'où, réplique de Mr Blondel : 
« l'Ambassadeur ne peult partir que le Roy mon Maistre ne le rap- 
pelle ou que le Grand-Seigneur ne le renvoye par la force. » Or, mal- 
gré tout, le Turc ne voulait point de rupture. Une audience particu- 
lièrement secrète obtenue du Retschetab n'avait rien changé à la si- 
tuation. Bien plus, au nom du Vizir « un Turc envoyé de Tunis prist 
d'authorité pour la porter, la barque qui devait porter Mr Blondel et 
y mist la bandière turque. » Mr Blondel avait dû en effet se résigner 
à prendre la voie de mer, faute d'obtenir un chaoux pour assurer sa 
sécurité, Ces pourparlers avaient occupé tout le mois de Février ; seu- 
les quelques réceptions en l’honneur de Mr Blondel et de Mr de Galar- 
don son frère, entre autre un diner avec MM. de la Haye et de Pal- 
luau, chez Mr Faure, avaient rompu la monotonie de ces fatiguantes 
discussions. Le rer Mars, Mr Blondel s'embarquait. 


En ce moment même une nouvelle avanie accablait S. E. Des ba- 
teaux français transportant des marchandises pour le Séraïl ayant été 
perdus le Grand-Vizir en rendit responsable les marchands et réclama 
80000 piastres d’indemnité. Et comme le drogman Navone parlait de 
plaintes à l'Ambassadeur le Vizir repartit : « Ne me parle plus de cet 
homme là, si tu m'en parles davantage je le feray mettre dans la basse 
fosse. » Sans doute en vue de recouvrer plus vite l'argent imposé aux 
Français, on ne parle plus pendant quelque temps du départ de l’Am- 
bassadeur ; bien plus, les lettres du Roi ordonnant à S. E. de revenir 
sont interceptées. Par contre le Grand-Seigneur envoie en France dans 
une bourse « 5 ou 6 des monnaies de France apportées icy » se plai- 


(1, Bude, devenu Buda-Pest. Les voyages des courriers quand il ÿ avait urgence 
se faisaient par voie de terre. Il était nécessaire de s'assurer la protection des auto- 
rités des lieux que l’on traversait. Un chaoux était attaché à la personne de ceux qui 
traversaient le territoire turc et répondait de leur vie. 


410 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


gnant de ce que « contre la sincérité on apportait icy des monnaies 
qui n'estaient pas du poids requis à leur valeur. » 

Pendant ce temps le P. Thomas était assez sérieusement indisposé 
et sortait plus rarement de Saint-Georges mais il recevait les nouvelles 
par le secrétaire Mr de la Forest à qui il offre par reconnaissance « une 
belle paire d'heures en gros caractères.» [I] reçut aussi la visite d’un per- 
sonnage un peu énigmatique, un certain Mr de Valois se donnant pour 
chevalier de Malte «bastard du feu comte d'Auvergne portant dans son 
cachet les armes de bastard de France, estant fort adroit et poly dans 
ses entretiens et très-hardy » ; il se prétendait « envoyé du Pape pour 
dessein d’une croisade. » S. E. l'avait «fort caressé» reçu chaque jour 
à sa table et, comme elle était à la campagne,«quasi tousiours eü avec 
elle sur le canal de la Mer noire.» Sur ces entrefaites le P.Jacques est 
élu custode et quelques mois plus tard, un terrible sinistre rapproche 
les Capucins et l'Ambassadeur. En effet le 16 Avril 1660, vers 11 heu- 
res du soir le feu prenait à la marine, gagnait la douane et détruisait 
« quasi tout Galata ». Six églises, entre autres Saint-Georges, étaient 
brülées ; Saint-Benoit restait indemne. Le lendemain avant midi, tous 
les Capucins étaient retirés à Péra et S. E. les accueillant comme voi- 
sins leur donnait assurance que rien ne leur manquerait tant qu'elle 
serait là. 


+ 


La catastrophe finale approche. Le 24 mai,Mr de La Haye-Vantelet 
fils, et sa femme sont repartis pour la France. Le Grand-Vizir est ren- 
tré d'Andrinople et le Vizir a ordonné à « nos droguemans à ce qu'ils 
disent aux marchands d'eslire un Résident parce qu'il ne veult plus 
entendre le nom de S. E.» Sans plus attendre le chaoux Bachi, à 
cheval arrive au palais et « dist à S. E. qu’elle a ordre du Vizir de la 
conduire aux 7 Tours, (1) où il luy est concédé autant de serviteurs 
qu'elle voudra. » L’ambassadeur est ainsi mis en prison comme gage 
de l'indemnité non encore entièrement payée (Oct. 1660). Au domicile 
des Capucins il y avait eu vive alerte, on craignait un pillage qui leur 
fut épargné. 


(1) — Le château des 7 Tours, en turc Yedi-Koulé, fait partie des anciens murs 
de Constantinople commençant à la rive de la Marmara. On y enfermait particulié- 
rement les prisonniers de guerre. On visite encore les cachots réservés à ces hôtes 
illustres. Au commencement du XIX®siécle le chargé d’affaires de France Ruffin y 
fit un long séjour. Les gardiens de ces ruines montrent un endroit où on aurait jadis 
décapité des Sultans chassés du pouvoir. C'est par cette ligne de murailles qu’entra 
à Constantinople Mahomet II en 1453. 


A CONSTANTINOPLE AU XVII* SIÈCLE 411 


En Avril 1659 conduit par Mr Faure, le P. Thomas avait visité et 
confessé plusieurs Français détenus aux 7 Tours ; on avait bu « à la 
santé du Roy, de la République (Venise), de l'Ambassadeur et à la 
mienne », ajoutait le narrateur. Au départ le Père avait promis de 
venir l'année suivante dire la Messe. En attendant, pour les fêtes de la 
Toussaint il avait été avec le P. Martin de Thiers confesser et com- 
munier plusieurs captifs. Un Père Conventuel avait rendu même bon 
office à ceux de Venise. Vers Pâques le P. Thomas avait célébré la 
Sainte Messe dans la prison et il écrivait : « Peult-être ne s'estait-il 
jamais dist de messe au dict lieu, au moins ne s'y en estait-il point 
dist depuis que le Turc le possède : la dévotion a esté grande, les dits 
Messieurs n'ayant ni veu ni ouy Messes depuis 11 où 12 ans qu'ils 
sont prisonniers de guerre. » [Il avait apporté avec lui toutes les 
a hardes » nécessaires. Mais sans doute il ne soupçonnait point qu’un 
captif plus illustre allait lui rendre familier ce fameux château. Cha- 
que dimanche d'Octobre et Novembre, le P. Jacques custode ou le P. 
Thomas va aux 7 Tours autant que le permet le temps, le voyage se 
faisant par mer. Les jours où le temps est plus « fascheux » le service 
est réservé au P. Jacques plus vigoureux. S. E. assiste à la Messe, puis 
il y a assaut d'amabilité ; c’est à qui retiendra le Père à sa table. Par- 
mi ces gracieux prisonniers le Père note spécialement le S' Delfini 
Viennois et le chevalier de Beaujeu (1) d'Arles dont l'évasionallait plus 
tard amener de graves complications. (1670) 

Le Vizir triomphe donc ; les Français ont leur représentant provi- 
soire.« Le Sr Roboly accompagné de deux janissaires et de trois drogue- 
mans. et tous les marchands. a esté baiser les mains du Grand-Vizir en 
qualité de Vékil (2) esleu des dits marchands par l’ordre du Vizir pour 
le seul soing du négoce. Il présenta des vestes de satin pour 200 piastres 
et feust bien receu mais n’a point eü de caftan. » De son côté Mr de 
La Forest allait à Smyrne chercher le complément nécessaire au 
paiement de la prétendue dette et soigneusement escorté arrivait par 
terre le 7 Janvier 1661 avec 31000 piastres qu'il faisait porter à la 
douane puis au divan, ensuite avec les députés de Smyrne venus éga- 
lement par terre ainsi que le consul de cette ville, il allait compter la 
somme chez le Tiftardar (3). On voit quelles minuties exigeaient 
pareilles affaires. 

(1) Profitant du passage des vaisseaux français venus pour chercher l'ambassa- 
deur Mr de La Haye-Vantelet fils, ce chevalier s’évada et vint à bord de l’un d'eux. 

(2) Vékil, représentant d’une communauté ou d'une nation, reconnu officiellement 
par le gouvernement pour traiter les affaires civiles de ceux qu'il représente. 


(3) Tiftardar, en Tefterdar, officier préposé aux douanes et à la perception des 
impôts. 


412 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Alors, Mr Roboly présente au Vizir un ars par lequel la nation de- 
mande le délivrance de S. E. puisque l'argent est versé. Toujours 
fidèle à sa rancune Keupruli « faict encore le fougueux » mais le 
Reïschetab et le Kaïa lui représentent la « faiblesse et l’indisposition du 
dit Ambassadeur » et M: de La Haye rentre enfin dans sa maison. 
(Février 1661) | 

Restait à régler le départ. Les mêmes personnages déjà cités pren- 
nent en compassion S. E, ; Keupruli vieillit, peut-être songe-t-il 
déjà à l’avenir et au remplaçant. Le Vizir ayant convoqué le drogman 
Fornetti et demandé des nouvelles, celui-ci répond que le cardinal 
Mazarin étant mort, cela retarde les affaires mais que nos vaisseaux 
continuant le trafic,c'est un signe que la France ne veut pasde rupture. 
« Que faict le vieillard ? » demande alors le Vizir parlant de Mr de La 
Haye. « Ilest tousiours fort mal avec grandes douleurs de la pierre » 
« Le Kaïa adiousta (pour favoriser S. E.) qu'il estait plus mort que 
vif et n'en pouvait plus. » Alors le Grand-Vizir de conclure « qu’il 
s’en aille, s’il veult, qu’il aille aussy mourir chez luy. » Fort de cette 
disposition, l'Ambassadeur s'adresse au Kaïa dès le surlendemain 
(11 Mai) et demande ses passeports, seulement il veut attendre le vais- 
seau de Mr de St Aignan. Les passeports obtenus, S. E. remercie en 
envoyant des caftans au Kaïa et au Reischetab comme « présents de 
Baïram » s'excusant de n’en point envoyer au Grand-Vizir, « pour ne 
le point mettre en cholère. » Keupruli était difficile à contenter, ceux 
qui l'avaient disposé à « consentir au partement de S. E, » font savoir 
qu'ils craignent que « le dit Vizir, ne se faschant de ce que S. E. lui 
témoignait aucun contentement et recognaissance, ne luy envoyast 
par quelque commandement de partir dans trois jours au plus précipi- 
tamment. » Aussi malgré sa répugnance, l'Ambassadeur envoie pré- 
sents et «souhayts de Bon Baïram » heureux encore d'éviter une entre- 
vue que le Vizir au dire du Kaïa aurait désirée : Fornetti fit savoir que 
S. E. en estait hors de pouvoir pour ses incommodités et douleurs 
continuelles qui l’obligent souvent uriner » avec recours au chirurgien. 
Le P. Thomas tenait ces derniers détails de Mr Baron consul d'Alep 
extrêmement dévoué aux Capucins et présent à cette époque à Péra. 

21 Juillet « Mr l'Ambassadeur de la Haye-Vantelet est party ce ma- 
tin à 4 heures pour aller embarquer aux Isles sur un vaisseau français 
qui a faict voile vers le Kindy. » Telle est la note du P. Thomas pour 
relater un événement qui le touchait de près. Un instant il avait parlé 
de retourner lui-même en France; puis un peu avant le départil avait 
réitéré l'offre déjà faite par le P. Custode de «tel de nous qui luy plai- 
sait pour l'accompagner. » Soigneux des intérêts de sa consciences. E. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 413 


avait répondu « nous en remercier bien fort tous deux; qu'elle espère 
se mettre en bon estat en partant et s'y conserver en sorte qu'elle 
n'aura besoing d'aucun.» Mrde La Haye avait alors 68 ans, il avait dit 
son âge au P. Thomas ajoutant qu'il irait quelque jour lui demander à 
disner au couvent de Saint Honoré à Paris; à quoi le P. Thomas avait 
répondu qu'il le recevrait volontiers, dût-il tout d’abord aller quêter 
chez S. E. ce qui serait nécessaire pour ce repas (1649). Le P. Tho- 
mas perdait un ami très fidèle, les Capucins un bienfaiteur et la Reli- 
gion un protecteur très-dévoué. 


(A suivre.) P. BRUNO. 


NOTES ET DOCUMENTS 


ÜNE LETTRE INÉDITE DE PIERRE DE JEAN OLIVI. 


Le manuscrit n° 774 des nouvelles acquisitions latines de la 
Bibliothèque nationale de Paris est un petit volume (107X 1%0) 
de 107 feuillets, parchemin et papier entremélés ; l'écriture très 
serrée est du XIV: siècle. Il comprend plusieurs écrits de Pierre 
de Jean Olivi. (1) 

On sait que le Chapitre Général de Strasbourg (1282) confia 
l'examen des écrits de Pierre de Jean Olivi aux principaux théo- 
logiens de l'Ordre. Cet examen aboutit à une condamnation 
notifiée dans une lettre signée par tous les examinateurs et appe- 
lée pour cette raison Lettre des sept sceaux, et dans un mémoire 
qui fut transmis à tous les couvents de la province du condamné, 
la Provence. 

Olivi répondit à la Lettre des sept sceaux en souscrivant à la 
rétractation qu'on lui demandait, mais non sans indiquer 
dans quel sens il entendait les propositions incriminées (2). Au 
Mémoire ou Rotulus dirigé contre lui, il répondit plus longue- 
ment par un autre Mémoire justificatif daté de Nîmes 1285 (3). 


(1) D'après une étude récente de M. Ant. Thomas sur les formes provençales du 
mot Olivier, l'orthographe du nom de notre fameux spirituel serait Oliu ou mieux 
Olieu. Cf. Annales du Midi, Janvier 1913, p. 68. 

(2) Cette réponse figure dans le Ms. cité ff. 98-100. — Rubr. : Responsio quam 
fecit ad litteram Magistrorum presentatam sibi Avinione de qua fecit in principio 
prime littere superius posite mentionem. — Inc. : Quod divina essentia est una. — 
Des. : Et quod gloria non est augmentum anime essentiale, Explicit. Sit nomen 
Christi Jesu benedictum in eternum. Amen. D'Argentré l'a résumée dans sa Col- 
lectio judiciorum t. 1. p. 230. 

(3) Ms. cité ff 72"-94". — Rubr.: Benedictum sit nomen Domini nostri Jesu 
Christi et nomen sue matris in eternum et ultra. Hec est littere quam misit frater 
P. Jo. Parisius magistris et baccallariis respondendo ad articulos XXI sibi imposi- 
tos. — Inc. : Revendis in Christo patribus, fratri Arlotho de Prato, fratri Ricardo 


NOTES ET DOCUMENTS 415 


On y voit que les opinions du Lecteur provençal sur la pratique 
de la pauvreté avaient soulevé au moins autant d'émotion que ses 
opinions philosophiques et théologiques car dans notre manus- 
crit leur discussion occupe les ff. 83r-80r. 

Ces attaques ayant amoindri son prestige aux yeux de ses dis- 
ciples, ceux-ci le pressèrent de se justifier sur dix-neuf articles qui 
Jui étaient reprochés. Aucun de ces articles n’a trait à la question 
de la pauvreté. Preuve qu’ils étaient tous, sur ce point, du même 
avis. Olivi répondit à cette demande amicale par la lettre publiée 
ci-dessous (1). C'est un document nouveau sur le caractère 
ondoyant et nébuleux, insaisissable et mystique de ce chef des 
spirituels. 

Olivi commence par adjurer ses disciples de ne pas le plain- 
dre et de ne pas avoir pour lui la compassion charnelle de saint 
Pierre voulant détourner le Christ de sa Passion. Il leur déclare 
qu'il préfère aux honneurs et aux dignités universitaires de Paris 
l'abjection et l'humilité, les ignominies et les persécutions qui 
lui méritent la grâce de s’entretenir familièrement avec Dieu. 
Jamais il ne s’est soucié de correspondre avec ses disciples ; il 
consent cependant, pour cette fois, dans l'intérêt de la vérité, à 
se rendre à leur désir et à se justifier devant eux. 

Après avoir exposé une à une ses opinions sur dix-neuf arti- 
cles, il expose les règles de sa croyance au sujet des choses de 
Foi, des traditions ecclésiastiques et des opinions humaines. 
Ï1 s'explique aussi, non sans obscurités, au sujet des prophéties 
qu'on l’accusait de suivre, faisant ainsi allusion aux prédictions 
de Joachim de Flore. En tout cela, à côté de principes nette- 
ment catholiques, il en glisse de suspects qui, par leur subjecti- 
visme, ouvrent la porte à des théories hétérodoxes et font présa- 
ger les erreurs et les rébellions de ses disciples. 

Il affirme ensuite que l'Ordre de saint François sera prochai- 


de Mediavilla. — Des. : Supplico autem et humiliter postulo ut per daiseere presen- 
cium rescriptivam facere premissis litteram, vel dignemini destinare. Datum 
Nemausii. Anno Domini M° CC° LXXX° V° D'Argentré en a cité quelques frag- 
ments, (loc, cit. p. 226-230) d’après un imprimé du XVI® siècle. Le P. Ehrle en a 
publié le commencement. (Archiv. f. Litt. und Kirchg. t. III p. 418-21) d’après le 
même impriné presque introuvable aujourd’hui (loc. cit. pp. 466-70),. 

(1) Ms. cité ff. 94'-98". — D'Argentré en a publié quelques articles (loc. cit. 
pp- 231.2). Le P. Ehrle cite également quelques phrases (loc. cit, p. 414 n. 3, p. 42 
n. 2 et 4, p. 478. — Outre les trois documents dont nous venons de parler le Ms, 
N. acq. lat. 774 contient encore l'Expositio super Canticis (ff. 1-41), l'Expositio 
super Ysaiam (ff. 72-94) de P. de J. Olivi, un fragment du Liber de laudibus 
de Bernard de Besse (ff. 100. 1) et un sermon sur la pénitence (ff. 1016). 


416 NOTES ET DOCUMENTS 


nement troublé et bouleversé, mais qu'il résistera à la tempête et 
ramènera dans le sein de l'Église les juifs et les païens. C’est 
vers cet avenir qu'il se tourne avec prédilection, cherchant à 
le sonder au moyen des Écritures. En terminant, il a un 
mot de plainte pour les attaques dont il est l’objet et proteste de 


son attachement à la foi romaine, er son zèle pour la gloire de 
l'Ordre. 


[f. 94r.] Littera quam misit Parisius rescribendo fratri Raymundo 
Gaufridi (1) et sociis ejus nondum generali ministro. 


In Christo Jesu valde diligibili et vere dilecto fratri Rdet sociis 
karissimis, frater P. Jo. Olivi maximus peccatorum, immobilis ac sin- 
ceri suavitatem amoris. Quamwvis vestrorum sociorum affectum erga 
me pauperculum et homuncionem vilicissimum multipliciter sine 
meis meritis, ymo contra mea merita, verbo, conatu et opere ostende- 
ritis et exibueritis, in hoc tamen vos Petro assimilatos video qui Chris- 
to ferventer ad certamen currenti quasy carnaliter compäciens ait : 
propicius esto Domine ne fiat hoc. Quod quam molestum Christo fuit 
reprehensio subsecuta determinat quando ait :' Vade retro Sathana 
quia non sapis ea que Dei sunt sed que hominis..(2) Sic cum’ grandi 
molestia vix pertulit planctum multorum çarnali compassione lamen- 
tancium ipsum ac si numquam resurrecturum, quod ;aperte patuit 
quando eisdem ait : Filie Jerusalem nolite flere super me, set super 
vos ipsas flete et super filios vestros, quia adhuc venient dies etc. (3) 
Volensque eis evidencius saum Deum probare intulit : quia siin viridi 
ligno hoc factiunt, in arido quid fiet ? (4) O luculenta ratiÔ celestibus 
fecunda misteriis et sine mundana sapiencia ‘plena quamprinci pes hujus 
mundi ignorant! Si enim cognoscerent super omnia Christi humilitatern 
amarent. Igitur fratres mei [fol. 94v] dilectissimi addiscam, ÿmo et 
cogar humilibus consentire ubi sedes est veritatis et ubi radix' sapien- 
cie revelatur. Veritatem dico in Christo Jesu, non mentior, testimo- 
nium mihi perhibente consciencia in Spiritu Sancto quod :quadam 
grandi erubescencia, quodam consciencie stimulo, Parisienses ambitio- 
nes perhorrescens, vobis et sociis vestris scribere non Curavi, nisi 
aliquando et raro ex litteris mihi missis compulsus. Et longe ante 
predixeram, non ut vates propheticus, set instinctu interioris spiritus 

(1) L'imprimé du XVI1° siècle qui servit au P. Ehrle porte : frater R. de Camliaco. 
(loc. cit. p. 460, N° 7). Cette rubrique n’est pas sans intérêt pour l’histoire de 
Raymond Godefroy, Ministre général, qui sera déposé plis mare par ReniRes VIII 
à cause de ses attaches avec les Spirituels. 

(2) Math. XVI, 22. 23. 


(3) Luc. XXIII, 28. 20. 
(4) ibid. 31. 


NOTES ET DOCUMENTS 417 


inspiratus quia et si mundus vellet me ad ambitiones humani magis- 
terii sublevare, Christus hoc nullatenus pateretur, addens quod si 
hoc propter peccata mea permiteret, quia signum mihi esset repro- 
bationis aut saltem abiectionis ab illa singulari electione de qua 
ille gloriatur psallens : Ælegi abjectus esse in domo Dei mei 
magis quam habitare in tabernaculis peccatorum (1). O quando 
videbo quod ego vermis et non homo fiam obprobrium hominum et 
abiectio plebis ita ut omnes videntes derideant me, loquantur labis 
et moveant caput (2), ymo et persequantur inopem et mendicum 
et compunctum corde mortificare. Putasne nisi misisset Deus in corde 
prelati meiut me tanquam suspectum de veritate, aut forte tanquam 
falsarium veritatis abjiceret, diffamaret ac condemnaret, ut sic tandem 
abiectum et humiliatum, ille qui kumilia respicit (3) et qui ignobilia 
et contemptibilia mundi elegit (4) ad suum familiarem consorcium 
et colloquium me indignissimum sola sua gratia traheret et elevaret. 
Timeo ne scelera mea hoc tam ineffabile bonum impediant. Confido 
tamen in illius misericordia qui me aliquando sceleratum hominem 
suo lumine dignatus est illustrare ita ut psallens dicerem : Signatum 
est Domine lumen vultus tui super nos, dedisti letitiam in corde 
meo (5). Sinite igitur fratres, sinite me cum Iacob abisci et humiliari, 
quia prevalet honori abiectio et superbie humilitas principatur. Ve- 
rumptamen, licet in desiderio habeam, quia tamen occasionem dare 
non debeo ut contra veritatem credar falsarius veritatis et precipue ubi 
agitur de catholice fidei veritate, de articulis illis pure confiteor quod 
et coram ministro meo sincere confessus sum, quam confessionem diu 
est jam habet generalis minister sibi missam a ministro meo. 


Pierre de Jean Olivi s'explique ensuite sur dix-neuf proposi- 
tions erronées qui lui étaient attribuées. De ces explications nous 
ne retiendrons que celles qui peuvent avoir un intérêthistorique : 


Ï. — Quod gratia nihil ponat in anima... 
Il. — Quod ad deletionem culpe non exigatur gratia informans..…. 
IT. — Quod virtutes non dentur parvulis in baptismo : 


De hoc, sicut jam dixi, nichil est in scriptis meis, nichil etiam 
unquam asserui. Set quod ex necessitate ad eorum salvationem hoc 
fieri non oporteat, aut quod communiter hoc non fiat, dixi ante tem- 
pora Fr. Hieronymi esse opinionem profundo et sollempni scrutinio 
discuciendam, et non temerarie tamquam hereticam a quolibet 


(1) Ps. LXXXIIT. 10, 
(2) Ps. XXI, 7. 8. 

(3) Ps. CXII, 6. 

(4) I Cor. 1, 28. 

(5) Ps. IV, 7. 


E. F. — XXIX. — 27 


418 NOTES ET DOCUMENTS 


reprobandam quia aliquando latet fel ubi creditur esse mel et e con- 
trario..…… 


IV. — Quod virtutes potenciis anime nullum habitum super- 
addant...… 

V. — Quod caracter non plus ponat in anima quam dedicatio in 
ecclesia...… 

VI. — Quod anima et sue [potentie] sint per essentiam indifie- 
rentia...…. 

VII. — Quod anima intellectualis non informet corpus sed tantum 


per sensitivamyde hoc in duabus questionibus scripsi quod anima 
rationalis vere informat corpus et vere est forma corporis, quamvis 
ejus pars intellectiva corporis non sit forma, sit tamen nichilominus 
sibi consubstantialiter counita in uno toto et in uno supposito et in 
una natura totali seu completa Quid autem ad hoc me moverit potest 
legi in questione : An sensitiva hominis sit a generante (1). Videtur 
enim mihi quod ibi sit periculum destructionis sue immortalitatis et 
sue libertatis et sue intellectualitatis et ceterorum inconvenientium 
que ibidem qualitercumque tetigi.| In hoc vero quod ibidem asserui 
quod nullum periculum fidei, nec per me, nec per alios potui animad- 
vertere. Fateor enem quod si anima esset una natura et una simplex 
essentia in qua consisterent potentia quasy rami orientes a sua radice, 
sicut quidam magni senciunt, oporteret [fol. 95° ], ut credo, neces- 
sario tenere quod anima secundum totam suam essentiam informa- 
ret corpus, et hoc dixi expresse in disputacionibus meis et ad hoc 
credo quod inveniretur in papiris aut in cedulis. Tenenti vero posi- 
tiones istas oppositas omnia videntur consona veritati. Si autem non 
ita est, ostendatur mihi pie et solide quod libentissime cedo, revoco 
et emendo. De hoc etiam aliquantulum scripsi in questione de im- 
pedimento usus liberi arbitrii quod est infantibus dormientibus et 
amentibus..…… 

VIII. — Quod Deus non potest facere materiam sine forma... 

IX. — Quod Deus continue res creat, ita quod earum conservatio 
est continua earum creatio...…. 

X. — Quod non est ponere rationes seminales in materia que pro- 
ficiant in actum completum...… 

XI. — Quod forma non generetur de aliquo, sed de nichilo produ- 
catur ab agente creato...…. 

XII. — Quod quelibet creatura est suum esse, quia in creatura non 
differt essentia et esse : | 

Aliquando, tempore Fr. Hieronymi aliquid de hoc dixi, non tamen 
sic absolute et sic indistincte sicut isti ponunt..…. 


(G:) Cf. Arch. f. Litt. u. Kirchg. t. III, p. 472, Ja description du Cod. 
Biergh. 88. 


NOTES ET DOCUMENTS 419 


XIII. — Quod res non multiplicant species suas, sed absque specie 
cognoscuntur per essentiamm...… 

XIV.— Quod quantitas et forma substantialis et accidentalis sint 
idem per essentiam, quia quantitas non differt per essentiam a re 
quanta. Miror quod hoc mihi ponitur, cum ego solum recitatorie ad 
subtilitates principiorum metaphysicalium profundius intuendas dixe- 
rim non quidem omnino ita, sicut in hoc articulo ponitur, sed sub 
aliis circumstantiis sicut in questione : An voluntas sit potentia activa 
intueri potestis, et multo plenius in fine eorum que me movebant con- 
tra quedam dicta bone memorie fratris A. (1) sed illud credo non 
habetis..…. 

XV. — Quod locus nihil aliud est quam forma corporis am- 
bientis...…. - 

XVI. — Quod pueri pena sensus puniuntur in limbo : 

De hoc in scolis unquam asserui, nec scripsi. Dixi tamen aliquando 
oppinionem hanc esse discuciendam et non statim hereticam procla- 
mandam, proeo quod Augustinusin pluribus locis vocetenus hoc 
magis dicere videtur. Quia tamen post istos articulos in Provincia .a 
Generali missos, quidam hoc esse hereticum firmiter proclamabant et 
frater À. in quibusdam dictis suis hoc sapere videbatur, in explicatione 
eorum que contra aliqua dicta sua scripsi, credens, quod per gene- 
ralem tam sua quam mea examinarentur per modum denunciantis 
significavi quid periculi posset videri in negatione hujus dicti et si 
necesse fuerit suo loco libenter ostendam. 

XVII. — Quod in Deo sint ydee essentialiter aut realiter diffe- 
renter...…. 

XVIII. — Quod Deus in patria non videtur per aliquam similitu- 
dinem impressam, sed per essentiam suam. Quod Deus per essentiam 
suam videatur sic quod essentia Dei sit intellectui quasy forma seu 
ratio intelligendi immediata, seu quasy formale principium actus 
videndi prout Thomas dicere videtur, pluries in scolis determinavi 
esse hereticum aut saltem in fide periculosum. Quod autem Deus per 
similitudinem numquam videatur, numquam dixi, numquam scripsi, 
set ex recitatione positionis illius in qua dicitur quod actus intellectus 
aut species que est in acie ejus non differunt, forte hoc volunt incor- 
recte talia habere ut me judicii accusent, set judicatur totum dictum 
illud et si quid est noxium damnetur in nomine Christi..…. 


(1) Le P. Ehrle dont le texte porte : et multo plenius in explicatione illorum quæ 
scripsi contra fratrem Ar., identifie ce fr. Ar. avec Arnaud de Roccafolio (Archiy. 
J. Litt.u. Kirchg.t. 111 p. 478). Mais si ce dernier était encore Provincial de Pro- 
vence en 1300 (c/. Hauréau, Bernard Délicieux et l'Inquisition albigeoise, p. 5 et 
pièces justificatives p. 167) cette identification est impossible. Il faudrait alors son- 
ger à Arnaud Galhard (Archi. t. III p. 16) qui n'était peut-être pas le même que le 
précédent, ou à Arlotto de Prato qui mourut général en 1286. Dans cette dernière 


420 NOTES ET DOCUMENTS 


XIX. — Quod in augmento gratie anima substantialiter augmente- 
tur et quod gloria [est] augmentum anime essentiale...…. 

Hec de predictis XIX articulis [fol. 97v] pro vitanda prolixitate 
sufficiant. Ceterum quia non solum a nobis queritur quid confitemur 
ore sed et quid credimus corde, ac si instar hereticorum in via veritatis 
dolose et callide procederemus, minime in hac parte formidans, secu- 
re dicere quod sencio. 

Quecumque enim sunt Dei verba fidei (sic) per Romanam ecclesiam 
nobis explicite tradita, firma et explicita fide credo. 

Que vero de ipsa fide sunt, vel esse videntur, que tamen per scrip- 
turas sacras aut traditiones principales seu ecclesiasticas non sunt 
nobis explicite tradita aut clare interpretata, in talibus ante plenam 
assentionem, promulgationem ejus exopto, etiam si aliquam inspira- 
tionem in hujusmodi me sentirem habere. Scio enim quod lege divina 
prefixus est ordo hierarchicus scilicet oscurioribus per media ad 
infima divini radii deducantur nisi forte in casu illo in quo propter 
abusum superiorum fiant primi novissimi et novissimi primi (1), prop- 
ter quod subjugale jumentum homini loquens asina scilicet Balaam 
redarguit prophete et cohercuit insipientiam ; aut in casu illo in quo 
secundum apostolum ad Cor. : si minori aliquid revelatum fuerit 
prior taceat (2), sicut Moyses legislator a Jetro non est dedignatus 
doceri, nec Petrus a Paulo quamwvis in hiis casibus predictus ordo hie- 
rarchie servetur et si non ita aperte. 

Humanas autem oppiniones, humana excogitatas ratione, si magno- 
rum et fide dignorum eashumili et disciplinabili corde revereor, sed pro 
universo orbe non adhererem eis tanquam fidei catholice aut traditioni 
divine cui contradicere licet nunquam, non ab ea aliquatenus dissen- 
tire, nec de ea saltem leviter disputarem, quin pocius temerarium et 
in fide periculosum et quasy hereticum primus censeo, sic quibuscum- 
que humanis adinventionibus adherere, quod non solum per rationes 
sed etiam per plures auctoritates sanctorum et precipue Augustini pro- 
bare possem. Hoc est enim dicta hominum quasy ydola venerari ex 
quo pericula sectarum et scismata oriuntur ita ut quidam: Ego sum 
Pauli (3), ego autem Aristoteles, ego vero Thome. Si vero hoc omnino 
urgentes a me requirant an de diversis oppinionibus a me non affirma- 
tis sed recitatis alteram earum amplius credam, si de credulitate 
simplicis oppinionis queritur, fateor quod sic ; si vero de credulitate 
fidei nihil penitus credo nisi que supra dixi et modo quo dixi. Contra 


hypothèse il faudrait placer la date de cette lettre, non entre 1283 et 1283 (Archi. 
t. [11 p. 426.7), mais uprès 1286 et admettre que Pierre Olivi a été privé plusieurs 
fois de ses écrits. 

(:) Matth. XIX, 30. 

(2) 1 Cor. XIILI, 30. 

(3) I. Cor. I, 12. 


NOTES ET DOCUMENTS 421 


vero ea que fidei sunt nulli hominum scienter hobedirem. In aliis 
autem quantum salva consciencie puritate potero propter obedien- 
tiam, set contra veritatem consciencie nullo modo. Quamvis enim illa 
non spéctent ad fidem tamen pro nullo homine mentiri debeo et pre- 
cipue in doctrina. Si quis vero humanam oppinionem me compellat 
tenere ut fidem ita cito me posset ad ydolatriam inclinare nisi prius. 
mihi ostenderetur vere et infaillibiliter quod ipsa esset de fide. 

Sane quia mihi a quibusdam impingitur [fol. 98r] quod insana au- 
gurum sompnia sequor et quasdam fantasticas visiones et de futuris 
eventibus predicendis me temerarie intromitto, licet per litteras ves- 
tras non requisiveritis, nichilhominus veritatem puram in hac re 
propalare non vereor. Quomodo res aliter se habet vobis pandam et 
in hiis que dicam Deum invoco testem. Inprimis igitur dico quod 
ego nullum penitus sopmium, nullamque penitus visionem sequor 
aut sequendam esse censeo nisi hoc prius homini certissime et infailh- 
biliter constaret quod esset a Deo immissum et nisi ulterius hic homo 
certus esset de sana intelligentia ejus. Ad hujus autem plenam certi- 
tudinem tria precipue debent attendi. Primum est an ibi aliquid erro- 
neum aut dubium aut periculosum contineatur seu consulatur vel doce- 
atur.Omneenim tale merito suspectum haberi debet.Secundum est an 
omnia que ibi includuntur sint consona fidei et prouidencie Dei et pre- 
cipueilli que per sacras litteras explicatur: si enim non est consonum 
non est multum reputandum, videtur enim quasy extraneum a divino 
cultu ; si vero est dissonum est statim rejiciendum. Tertium est immu- 
tatio interioris gustus et sensus prout enim dicit beatus Augustinus 
hbro confessionum multipliciter sua quodam intimo gustu discernebat 
sompnia divina ab aliis que non erant divina. Et in hec omnia, inter- 
na unctio docet de omnibus. Quando enim mens infaillibiliter a Deo 
immutatur et illustratur dubitare non potest quin talis immutacio sit 
dextere excelsi. 

De futuris autem quo ad particulares determinaciones temporum 
et eventuum, determinando scilicet quod tali die vel anno hoc eveniet, 
aut quod ista vel illa singularis persona hoc vel illud faciet et sic 
de similibus, numquam quod sciam, aliquid asserui publice vel oc- 
culte quia certus sum quod talium certitudinem non habeo et teme- 
rarium judico quemcumque talia asserentem. Quia tamen quod- 
dam universale futurum certitudinaliter teneo scilicet quod ordo 
Francisci flagellis ac temptationibus innumeris primitus excussus, 
cribratus aut expurgatus in universo orbe Domini cultum altissime 
reparabit, seu potius Deus per eum ita ut, bestiis et feris expugnatis, 
universitatem seu universas reliquias Judeorum ac gencium in Christi 
Ecclesiam introducat et ad Christi sedem adducat. Idciro solum ali- 
quando de futuris loquor et quodam impulsu spiritus quasy loqui 
compellor et taliter morem teneo hominis divina et universalia con- 


422 NOTES ET DOCUMENTS 


templari volentis quamvis enim contemplator universalium ab omni- 
bus particularibus ea distinguendo secernat, nichilominus sine aliqua 
ymaginatione particularium ea plene cogitare non valet sic etiam 
divinorum contemplatores [fol 98*] ad divina speculanda omnium 
rerum assumunt ymaginationes et tamen optime sciunt quod nulla 
illarum est Deus. Volens igitur in hoc futuro desiderabili aciem men- 
tis mee semper tenere fixam et cursum vite mee dirigere ad illud, 
conjecturas particularium futurorum per specula scripturarum sacra- 
rum libenter assumo quamvis semper sciam et ita ore asseram quod 
de hujumodi particularibus certus non existo, quamviset in hoc ipso 
maius moderamine observem quam de me a plerisque credatur sicut 
plenius noverunt qui mihi magis sunt secreti. Ad ipsum autem sub 
consimili ymo strictiori moderamine aliquando reduco quorumdam vi- 
siones, non tamen omnes, set que juxta consonanciam scripturarum 
sacrarum verisimiliter videntur esse divine et ad hujusmodi magis 
aperte. 

Queso igitur, fratres mei, quid feci ordini meo ut fratres mei et 
patres sic me ubique terrarum dilacerent ut ante sim omnibus per 
infamiam notus quam natus. Et si sceleratus homo sum tamen 
Romane fidei zelum habeo et altissime et sincerissime regule nostre 
et omnis spiritualis sublimationis ordinis mei fratrumque meorum. 
Ego credo quod Deus mandavit eisdem quod propter occulta mea 
scelera me maledicant ac ut semper sim humilior et in fide exercita- 
tior me exercere non cessem. Curam igitur per gloriam et ignobilita- 
tem per infamiam et bonam famam ut castigatus et non mortificatus 
ut seductor et vorax (1) ut omnibus denudatus, etiam scriptationibus 
meis, Christi tamen clemencia non exutus set undique circumfultus. 
Vos autem bene valete optime in vite (sic) et Deus pacis sit vobiscum. 
Datum in Montepesulano feria quarta post Christi divinissimum 
Pascha. 

FR. GRATIEN. 
O. M. C. 


(1) II Cor. VI, &. 0. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 


Dans cette France si fertile en héros et dont l’histoire est une 
perpétuelle vicissitude de désastres dûs à la colère de Dieu et de 
prospérités qui les réparent, après les efforts d'un héroïque 
repentir, il y a des Epopées de deux sortes. Ou elles sont écrites 
d’un cœur inspiré, dans une langue informe, celle des premiers 
temps, ou composées en français, par des versificateurs sans 
goût, sans inspiration, sans poésie. 

Nous avons suivi les poètes de Gestes jusqu’à la Renaissance, 
étudié la Franciade de Ronsard, en même temps que ses autres 
œuvres ; et, si l'Apollon de la cour de Henri II, de Charles IX, 
et de Henri [TI a échoué quelque part, sans faire même soupçon- 
ner l'éclair du moindre talent, fût-ce en un seul vers, c’est bien 
dans l’épopée. Tout, jusqu’à son vers de dix pieds, y fait boîter 
les héros. 

Brisons là... Parlerons-nous des essais sur le Poème épique 
du P.le Bossu ou du P. Le Moyne, voire même de Voltaire ? 
Ils ne nous apprendraient rien. Voltaire surtout, le sec Voltaire, 
avait-il le droit de parler du surnaturel ou du merveilleux 
chrétien, lui qui n’y croyait point ? La religion lui servait d’ap- 
pareil ; c'était une indulgence accordée à la routine, un surna- 
turel de convention, un ciel de parade, en attendant qu'un 
temps meilleur tournât les yeux vers le ciel de la philoso- 
phie. 

Nous dirons à son heure, un mot seulement d’une Préface 
de Desmarets de Saint-Sorlin qui a écrit,en prose, sur l’épopée, 
les choses les plus justes du monde, à propos du Poème le plus 
misérable qui ait jamais paru sous les astres. Dieu permet de 
telles contradictions pour nous humilier, et met parfois la sagesse 
sur les lèvres les plus frivoles. 


424 LA POÉSIE ÉPIQUE 


Parlons, pour le moment, du poème du P. Le Moyne. Nous 
savons, en somme, ce que c’est qu’une Epopée. C’est le récit, 
en vers, d'une action héroïque qui se prolonge toute une année 
et qui est mêlée de combats, d'amours, d'épisodes intéressants, 
pathétiques, faits pour nous délasser de l’action principale, et 
nous y ramener ensuite avec un nouvel agrément. Ces épisodes 
doivent tenir par un fil bien visible au sujet ; ils sont dans l’épo- 
pée ce que certaines aventures sont dans notre vie et dépendent, 
comme elles, de nos passions. Or, ces passions sont la matière 
principale de l'intérêt. En résumé, le Poème épique n’est qu'une 
tragédie, plus longue, plus variée, où de nouveaux personnages, 
ceux-là d’un autre monde, viennent s'ajouter aux héros de l’his- 
toire, et nous faire passer des merveilles de la terre aux mer- 
veilles du ciel, à Dieu, à Jésus-Christ, à Marie, aux anges, aux 
prophètes, aux saints. Ou bien Boileau a-t:il raison ? A cet 
enchantement de la vie surnaturelle, à cette vue délicieuse d’un 
monde réel où nous vivrons un jour, et dont l’espérance animée 
par la foi, nous délasse dans les vers dictés par le génie ; devons: 
nous préférer les abstractions de l’allégorie et les fantômes de 
l'Olympe, auquel Virgile lui-même ne croyait plus ? Entre la 
vie et la mort, le choix d’un homme raisonnable et chrétien n’est 
pas douteux. Ajoutons que l'épopée doit avoir pour sujet une 
action illustre, un de ces évènements qui changent les destinées 
d’un pays, d’un continent, de la terre. Charlemagne, Christophe 
Colomb, Jeanne d'Arc, saint Louis ; les Croisades. 


* 
* * 


C'est saint Louis qu’avait choisi le P. Le Moyne, un homme 
d'esprit et de cœur. Mais le sujet ne suffit pas pour faire un 
poète ; 1l y faut ajouter la vocation et le génie réglé par le 
goût. Le goût lui manquait ; et, disons-le sans crainte, la vie 
trop compliquée du Jésuite nuisit à la perfection de l'artiste. 

Le P. Le Moyne est l’auteur de la Devotion aisée, si mécham- 
ment raillée par Pascal, où, « sans vouloir élargir outre mesure 
le sentier étroit du bien, » l’auteur démontre qu’il est « plus aisé 
de vivre chrétiennement que de suivre les errements du monde ». 
C'est un peu fardé et musqué, par endroits. Le bon Père, si 
jamais il songea à se défendre contre l’auteur des Provinciales, 
ne le fit pas, et il fit bien. En somme, s’il n’a pas la grande 
réputation de Pascal, il l’a meilleure. De la Galerie des femmes 


A 


LA POÉSIE ÉPIQUE 425 


fortes, de l'Art de régner, des Entretiens et Lettres poétiques, 
. Où il n’y a pas de poësie, mais de petits vers apprêtés, nous ne 
dirons rien, sinon que la manie de la préciosité a altéré cet esprit 
naturellement élevé et vigoureux du P. Le Moyne, et qu'il écrivit 
trop et sur trop de matières différentes pour bien écrire. 
Autant que possible, il faut poursuivre un but, un seul, pour 
réussir. Autrement nous pouvons plaire, ce qui est tout différent, 
en nous mêlant aux riens d’une société mobile ; mais la surface 
des choses changeant sans cesse, nous sommes vite oublié comme 
la mode. | 

Le P. Lemoyne, dit son savant biographe,le P. Chérot (1),de 
la même famille de saint Ignace, prêchait et confessait. A peine 
descendu de sa chaire et sorti de son confessionnal, il écrivait. 
Un jour, un Frère vint avertir le P. Sirmond que des dames le : 
demandaient : « Mon frère, répondit, sans rire le savant Jésuite, 
songez bien à ce que vous dites. Des femmes, me demander ! 
Sans doute, vous vous méprenez : il faut nécessairement que ce 
soit le P. Le Moyne que ces dames demandent ». Les Séguier, 
les de Mesmes, les Montmor, les d’Estrée avaient été ses amis et 
l'avaient accueilli dans leurs demeures de la ville ou des champs. 
Sa connaissance éclata dans mainte Epître où le versificateur 
ne faisait que servir le Jésuite. Afin de plaire aux gens de nais- 
sance et de leur rappeler Dieu, ne fallait-il pas prendre quelque 
chose de leurs allures. 


*k 
* * 


Mais arrivons au Saint Louis du P. Le Moyne qui parut en 
1658. Cette épopée à dix-huit chants. La muse du poète n’est 
pas une « de ces batteleuses qui n'ont autre chose à faire qu’à 
divertir les passants ». Elle enseigne aux rois « l’art de régner ». 
I] serait curieux de connaître combien de rois ont eu le temps de 
suivre ses enseignements. 

Le défaut principal du poème, sans oublier la déclamation, 
c’est la manière dont l’histoire y est maltraitée. Saint Louis fait, 
les armes à la main, la conquête de la couronne d’épines. On 
n’invente pas l’histoire à ce point là. Les hommes l'ont faite ; il 
ne faut pas la défaire dans un but, même élevé. Les saints ont 
assez de leur sainteté pour inspirer les poètes ; la peindre suffit, 
pas besoin de leur donner des traits nouveaux qui risqueraient 


(1) Étude sur la vie et les œuvres du P. Le Moyne. 


426 LA POÉSIE ÉPIQUE 


d’effacer les véritables. Saint Louis n’a pas conquis la couronne 
d’épines ; mais cette couronne, il l'a obtenue par une convention, 
pour en couronner la royauté et la France. 

Aussi lit-on avec surprise ces quatre premiers vers du premier 
chant : 


« Je chante un saint guerrier et la guerre entreprise 
Pour ôter aux sultans et pour rendre à l'Église 

Le diadème saint que prit le Roi des rois, 

Quand, pour vaincre la mort, il monta sur la croix ». 


Le mérite du poème du P. Le Moyne est donc ailleurs que 
dans l'invention. Cherchons-le. Est-ce dans le merveilleux ? I 
y a des fantômes, ceux de Charles Martel, Pépin et Charlemagne. 
Trois fantômes ! Un seul suffisait. Il y en a d’autres, des 
Pharaons et des Califes,évoqués par un magicien Mirème ; parmi 
eux, Saladin ! Mais leur intention est bonne ; les uns descendent 
du ciel pour donner la victoire aux Français. Enrevanche Saladin 
veut sauver l'État qu'il a fondé ; il demande le sang d’une 
victime. Ce sera Zachide la fille de Mélédin,le sultan; elle va 
mourir ; son frère Muratan veut la sauver ; c’est en vain. Dans 
son désespoir, il se poignarde, et tombe dans le Nil avec sa 
sœur ; mais ils ne meurent point ; et c’est Muratan converti qui 
indiquera au roi où est renfermée la couronne d’épines. Tout 
cela sent le roman ; et l'éclat des hyperboles ne fait point par- 
donner au poète l’audace banale de ses imaginations. I] y a trop 
de magie, et même d'amour dans cette épopée d’un saint reli- 
gieux qui a tant reproché au T'asse « les cajoleries, les mignardi- 
ses, les mollesses » (1) de Renaud et d'Armide ; et s’il entend de 
haut la mission du poëte qui est « le coopérateur et l'agent de 
Dieu, » pourquoi si peu d'unité chrétienne dans son poème ? 
Pourquoi cette étrange aventure de l’amour et de la jalousie d’AI- 
fasel ? A quoi bon cette histoire de Coucy qui envoie son cœur à 
Olinde? L'épisode du chevalier de Brienne est assez heureuse- 
ment imaginée. Blessé d'amour pour sa prisonnière Isabelle, il lui 
apporte l’eau salutaire, la fait chrétienne et l'épouse. Cela devait 
suffire à un poète qui admet l’amour en passant, pour satisfaire 
au préjugé commun et pour l’immoler au devoir. 

Cependant le P. Le Moyne a des étincelles de génie épique et 
chrétien. A certaines heures, le ciel l’inspire, il en fait descen- 


(1) Du poème héroïque. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 427 


dre, par exemple, Jésus-Christ, pour offrir au roi trois cou- 
-ronnes, entre lesquelles la couronne épineuse. 


« Avec elle (dit-il) je t'oftre une part à ma croix, 
N on à cette croix d'or qui luit au front des rois, 
Mais à ce bois chargé de souffrances humaines, 
Qui m'a fait à ce trône un degré de mes peines (1). » 


Que l’on dise encore que Dieu ne saurait parler par la bouche 
des hommes ! Il a bien parlé par la bouche d’un mortel, quand 
il en avait la chair et les lèvres. Pourquoi ne nous donnerions- 
nous pas la consolation de le faire revivre un instant, comme il a 
vécu jadis parmi nous ? Il se donne à nous dans la communion, 
et il nous serait interdit de donner la parole à celui que nous 
portons dans notre cœur ? 

Au-dessous de Jésus-Christ, saint Louis vaut bien Achille ou 
Agamemnon, comme Dieu vaut bien Jupiter, quoi qu’en dise 
Boileau, aussi vieux aujourd’hui en certaines parties de son 
œuvre, que s’il avait vécu du temps du vieux Nestor : 


« Vois sur ce front royal de grâce revêtu, 

La fleur de l’âge jointe aux fleurs de la vertu, 
Vois de ces yeux sereins l’agréable lumière, 
Vois la noble fierté de sa mine guerrière (2). » 


Ne sont-ils pas beaux aussi ces vers mis dans la bouche du 
comte d’Artois qui meurt pour Dieu sur le champ de bataille de 
Mansourah ? Un trait l’a blessé à la gorge, il recueille dans ses 
mains le sang qui coule et l'offre à Jésus-Christ : (3) 


« Il est vôtre, dit-il, Rédempteur des humains, 

Ce m'est un sort heureux de pouvoir vous le rendre, 

Pour celui que l'amour pour moi vous fit répandre. 

Tout ce que la fortune a de grand et de doux 

Ne vaut pas un filet de sang versé pour vous ; 

Et la mort qui me fait jouir de cette gloire 

Me couronne bien mieux que n'eût fait la victoire. » 


N'est-il pas bien peint, ce ciel résumé en quatre vers : (4) 


« Au delà de ces corps, sans ombre et sans matière, 
Il s'étend un pays de gloire et de lumière, 


(1) Saint Louis ou la Sainte Couronne reconquise. Poème héroïque, par le 
P. Le Moyne. L. 8, Paris Éd. 1658. 

(2) P. 241, L.8 

(3) P. 441, L. 14. 

(4) P. 216, L. 8 


428 LA POÉSIE ÉPIQUE 


Un pays où le jour égal et sans déclin, 
N'a point eu d’orient et n’aura point de fin. » 


* 
* *# 


Le dix-huitième chant, qui se termine au dix-huit millième 
vers du Poème, voit un combat homérique où il y a plus d’une 
amazone intrépide et la prise de la Sainte Couronne de Jésus- 
Christ renfermée dans « le grand pavillon de pourpre marqueté, » 
et dans une cassette d’or. Celle-ci est consumée par le feu du 
ciel, et la couronne d’épines s'élève d’elle-même dans les airs, 
pour retomber sur le front incliné de saint Louis. 

L'invention est poétique. 

[1 n’est pas permis, tout connus qu’ils sont et populaires parmi 
les lettrés, de ne point citer les vers du poème de saint Louis qui 
._ peignent l’intérieur des pyramides : (1) 


« Sous les pieds de ces monts taillés et suspendus, 
Il s'étend des pays ténébreux et perdus, 

De spacieux déserts, des solitudes sombres, 

Faites pour le séjour des morts et de leurs ombres. 
Là, sont les corps des rois et les corps des sultans, 
Diversement rangés, selon l'ordre des temps. 

Les uns sont enchâssés dans de creuses images, 

A qui l’art a donné leur taille et leurs visages. 

Et dans ces vains portraits, fastueux ornements, 
Leur orgueil se conserve, avec leurs ossements. 
Les autres, embaumés, sont passés en des niches 
Où leurs ombres encore, éclatantes et riches, 
Semblent perpétuer, malgré les lois du sort, 

La pompe de leur vie en celle de leur mort, 

De ce muet sénat, de cette cour terrible, 

Le silence épouvante et l'aspect est horrible. 

Là, sont les devanciers avec leurs descendants, 
Tous les règnes y sont, on y voit tous les temps ; 
Et ce peuple de rois dont la flatteuse histoire, 

N'a pu sauver qu’à peine une obscure mémoire. 
Vingt siècles descendus dans cette sombre nuit, 

Y sont sans mouvement, sans lumière et sans bruit ». 


Le jour où il écrit ces vers, le P. Le Moyne fut un vrai poète. 
Ce qui lui manque, ce n’est ni la grandeur, ni la foi au surna- 


(1) L.5. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 429 


turel ; elle a inspiré ses plus beaux passages ; ni la délicatesse ; 
c'est le goût. Il est tour à tour subtil ou déclamatoire, obscur ou 
emphatique, même trivial. Il a écrit vite, et très vite, se laissant 
aller à l'élan un peu désordonné de son imagination, suivant sa 
plume des yeux, sans la retenir jamais pour choisir entre deux 
expressions la meilleure, la plus noble et la plus naturelle à la 
fois, ou pour abréger quelque épisode insolent qui entreprenait 
à l'aventure sur l’action principale du poème. 
*% 
à * 

Un denos premiers Académiciens, le Parisien Jean Desmarets 
de Saint-Sorlin, a-t-il fait mieux ? C'est l’auteur de la Comédie 
des Visionnaires. Libertin converti, il composa, en 1657, sans 
doute pour expier ses fautes et les nôtres, un poème épique, 
Clovis, « inférieur au saint Louis et à Alaric, ennuyeux à la 
mort. » C’est Boileau qui le dit. Nous le trouvons même injuste 
de mettre en présence le P. Le Moyne et Desmarets. Il y a plus 
loin de l’un à l’autre que de France en Egypte, aux Pyramides; 
nous n'avons pas lu un bon vers, non pas même un, dans Clovis 
ou la France chrétienne. C’est insignifiant d’un bout à l’autre, 
c’est le chef-d'œuvre de la platitude. Mais Desmarets, en tête de 
son Épopée, a écrit une préface (en prose heureusement) sur le 
genre épique et la nature du merveilleux dont il doit être rempli. 
Ce n’est plus le même homme ; c’est un écrivain de mérite dont 
le christianisme a pénétré la critique et qui s’élève infiniment 
au-dessus des théories étroites de Boileau, au troisième chant de 
son Art poétique. Citons, pour préciser notre pensée et la théorie 
de Saint-Sorlin, quelques lignes de son Advis au lecteur : 


« L’envie voudra faire croire que c’est manquer d'invention que 
d'employer des choses surnaturelles ; sans considérer que le Poème 
héroïque n’est pas comme un Roman où l’on ne fait intervenir ni le 
ciel ni l’enfer, parce qu’il ne s'agit que de certaines affections dans les- 
quelles le ciel ni l’enfer ne s'intéressent point particulièrement. Mais 
le poème héroïque est si noble et si relevé qu'il doit avoir un sujet 
important non seulement à toute la terre, mais encore à la gloire de 
Dieu, et qui, par conséquent, soit conduit par l’assistance du ciel et 
traversé par la malice des démons. De sorte que le ciel et l'enfer sont 
comme des personnages du Poème. Et lorsque les démons ont fait agir 
leurs suppôts, comme font les enchanteurs, il faut faire intervenir le 
ciel, par les personnes qu'il aime et auxquelles il fait part de sa puis- 
sance, afin qu’il confonde les ruses des démons et que la victoire sur 


430 LA POÉSIE ÉPIQUE 


l’enfer soit attribuée à Dieu seul, et non à l’esprit du poète, ni à la for- 
tune. Encore y a-t-il beaucoup d'invention à faire bien agir le ciel et 
l'enfer, parce qu'il faut que les choses faites par le ciel paraissent bien 
ordonnées, sagement conduites et exécutées avec un glorieux succès ; 
et que les malices de l'enfer soient si subtiles et si spirituelles que vrai- 
semblablement elles paraissent avoir été inventées par le démon même, 
qui est plus fin et plus subtil que tous les hommes... » 


Puis, parlant de son poème, il ajoute : « Le Poème de 
l'Énéide a fait voir le fondement de l'empire Romain, » dans 
« celui-ci, il s’agit de la conquête de la France, de l’établisse- 
ment du christianisme en la plus noble monarchie qui soit main- 
tenant au monde, et de donner un grand roi et ses successeurs 
pour protecteurs de l’Église. Ainsi le ciel avait un particulier 
intérêt à favoriser cet important ouvrage, et l'enfer employait 
tout son pouvoir et toutes ses ruses pour le traverser ». 

Le ciel et l’enfer sont donc étroitement unis, que dis-je, iné- 
vitablement, dans l’Épopée de Desmarets, dont le sujet est un 
des plus grands et des plus chrétiens qui soient au monde ! 

« Il est certain, dit encore Desmarets que les images des cho- 
ses surnaturelles touchent bien plus sensiblement l'esprit et le 
préparent à opérer de bien plus grandes choses que ne feraient 
des aventures purement humaines ». 

Rien de plus raisonnable, et Desmarets insista encore dans 
un Discours qui précédait la nouvelle édition de Clovis, en 1673 : 

« Dans les sujets divins, dit-il, les figures sont comme dans 
leur pays natal, puisque les saintes Ecritures en sont toutes 
pleines ; et c’est le Saint-Esprit qui en est l’auteur et qui les a 
inspirées, comme créateur de la nature, laquelle il connaît par- 
faitement, et de laquelle il a toujours tiré de belles figures pour 
la magnificence de ses expressions...., et quand nous nous ins- 
pirons du paganisme, au lieu de nous inspirer des Livres Saints, 
nous cherchons l’ombre au lieu de chercher la lumière. Un 
chrétien qui connaît la grandeur, la beauté, la droiture et les 
miracles de la religion, et qui attribue à Dieu toutes les lumières, 
a mille fois plus d'esprit et de jugement que n’en eurent roi 
les plus grands génies des Gentils. » 

Malgré Boileau, malgré Corneille et Bouhours, alerté ce 
teuil qui revint au camp de Dieu (sur le conseil de Bossuet), 
après un écart passager, Desmarets avait raison, et la postérité 
lui a rendu justice, non pas autant qu'il l'aurait voulu, car il se 


LA POÉSIE ÉPIQUE 431 


trouvait, dit-on, médiocrement loué, de son vivant, quand on le 
comparait à Homère... 
Voici quelques vers de l’Homère Desmarets : 


« Quittons les vains concerts du profane Parnasse ; 
Tout est auguste et saint au sujet que j'embrasse. 
À la gloire des Lis je consacre ces vers. 

J'entonne la trompette et répands dans les airs 

Les faits de ce grand roi, qui sous l'eau du baptême, 
Le premier de nos rois courba son diadème. » (1) 


C’est aussi plat qu’emphatique. 
Voici les derniers du vingt-sixième et dernier chant. Alaric est 
vaincu par Clovis : 


« Le Goth est étendu près du roi glorieux, 
Même après le trépas, il semble furieux, 

Et l’on remarque encor sur son visage blème, 
Son invincible orgueil qui survit à lui-même. » 


Il y en a de bien plus mauvais. C’est à faire regretter le paga- 
nisme. 

Marie-Magdeleine ou le Triomphe de la grâce du même 
auteur (1669) est au-dessous de Clovis. Et cependant le poète 
osa un jour écrire, dans sa douleur d’être méconnu... 

« .…. J'en appelle à toi, juste postérité. » 

Et la postérité se moque aujourd’hui des deux épopées de 
Desmarets de Saint-Sorlin. Il lui manqua, en vers, la rare dis- 
crétion dont fit preuve son confrère Conrart, en vers et en prose. 


+ 


* 
+ *% 


Que dirons-nous de Saint-Amant,(2) auteur d’un Moïse sauvé, 
en douze parties ? 

Marc-Antoine de Gérard, surnommé Saint-Amant, mort en 
1661, l’auteur du Melon et de Moïse sauvé des eaux, poète bouf- 
fon et poète épique, voyageur et viveur, avait parcouru l’Europe, 
l'Amérique et ce que l’on connaissait alors de l'Afrique. Igno- 
rant de l’antiquité grecque et latine, il parlait l'italien, l'espagnol 
et l’anglais ; et ses premiers essais plus ou moins imités du 
cavalier Marino et de Gongora, respirent le gongorisme et le 


(1) L. I. 
(2) Né en 1596. 


432 ILA POÉSIE ÉPIQUE 


cultorisme. Mais le défaut qui appartient en propre à ce bohême 
de talent, c’est l'inégalité grotesque d’un style où les plus basses 
circonstances côtoient les plus nobles descriptions. Son génie 
reflète les contrastes de son âme. Il a 


« Le cœur plein d'amertume et l’âme ensevelie, 
Dans la plus sombre humeur et la mélancolie, » (1) 


Mais il envoie bien loin et bien vite ses funèbres Visions, pour 
dire : 


a Cà ! que l’on m’apporte une coupe du vin frais. » (2) 


ou pour chanter le melon : 


«a Ni le frais abricot qu'il aime, 

Ni la fraise avecque la crême, 

Ni la manne qui vient du ciel, 

Ni le pur aliment du miel, 

Ni la poire de Tours sucrée, 

Ni la verte figue sacrée, 

Ni la prune au jus délicat, 

Ni même le raisin muscat, 

Parole, pour moi, bien étrange 

Ne sont qu'amertume et que fange, 
Au prix de ce melon divin, 
Honneur du climat angevin… 

O fleur de tous les fruits ! Ô ravissant melon ! » 


Ce n'est pas épique, pour un auteur d’'Épopée. Çe « bon 
gros, comme on appelait Saint-Amant, pensionné jusqu’à trois 
mille livres, par le roi de Pologne, ne se sentait pas abso- 
lument fait pour le genre héroïque ; et l’Académie dont il fit 
partie, soucieuse de l’achèvement de son dictionnaire, le char- 
geait des mots burlesques. Cependant, Moïse le tentait. Son 
embonpoint l’entraînait vers lés bonnes choses que la nature a 
semées pour le plaisir des yeux et des sens ; mais son excellent 
cœur contredisait, par instants, son estomac. Il y avait lutte, en 
un mot, entre Moïse et le melon ; il y eut conciliation. Et 
Moïse vint en premier lieu, mais réduit à figurer dans une idylle, 
vers 1660. Ce n'en est pas une ; c'est une épopée, ou si nous 
voulons, un poème héroïque mal réussi, calqué sur l’Adonis. 


(1) Visions. 
(2) La pluie. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 433 


Le poète nous met sous les yeux au deuxième chant, Moïse exposé, 
sauvé et nourri par sa mère, sur l’ordre de la fille du Pharaon qui 
ne la connaît point. Dès qu’elle est seule avec son enfant, rendu 
d’une façon si miraculeuse à son amour. Jocabel (1) 


qui s'était retenue, 
De crainte que pour mère elle ne fût connue, 
Lâche aussitôt la bride à tous ses sentiments 
Ajoute aux ris, aux pleurs, aux doux embrassements, 
Des baisers, des soupirs, des paroles de joie, 
Qu'avecque des transports jusqu'aux cieux elle envoie. » 


Et le poëte finit, en s'écriant : 


Taisons-nous donc, ô Muse, et jurons en ce lieu 
De ne jamais parler qu'à la gloire de Dieu. 


Mais avant ce gracieux épisode,divers récits nous ont fait con- 
naître toutes les merveilleuses péripéties de la vie de Moïse. De 
sorte que nous le voyons, au milieu ou aux deux tiers du poème, 
accomplir des miracles et passer la mer Rouge, puis, à la fin, 
couché dans son berceau. C’est d’une invraisemblance qui tou- 
che au ridicule. 

Mais l'imagination du poëte est riche. Il peint en ces beaux 
vers, à l’aide d’une comparaison, les aventures du berceau flot- 
tant de Moïse, (2) et son retour au port : 


« Tel qu'un riche navire, après mainte fortune 
Éprouvée, en maint lieu, sur le vaste Neptune, 
Revient, avecque pompe, au hâvre souhaité, 
Sous la douce lenteur des souffles de l'été, 

Qui faisant ondoyer dans les airs pacifiques. 
De tous ses hauts atours les grâces magnifiques, 
Enfle à demi la voile, et d’un tranquille effort, 
Presqu'insensiblement le ramène à son port : 
Tel vit-on le berceau, tout brillant de la gloire 
D'avoir sur les périls remporté la victoire, 
Revenir aussitôt se remettre à couvert 

Dans l'agréable sein de son asile vert. » 


(1) 22° partie. 

(2) Saint-Amant. Moise sauvé des eaux. Septième partie. 

Ajoutons : La bergère qui aperçoit le berceau (7° p.) et caresse l'enfant, comparée 
à l'hirondelle qui caresse ses petits. C'est gracieux! Mais la bergère péchait à la 
ligne ; et le poète nous fait assister à toutes les péripéties de son amusement. 


E. F. — XXIX. — 28 


434 | LA POÉSIE ÉPIQUE 


C’est dans cet asile que Jocabel, c'est-à-dire, la mère, avait 
déposé le berceau. 


« (1) De joncs et de glaïeuls il était renfermé, 
Et l’art même, à propos, semblait l'avoir formé. » 


Avec quelles hésitations Jocabel ne s’éloigne-t-elle pas de la 
rive : (2) 


« Telle que dans l'horreur d'une forêt épaisse 
Une biche craintive et que la soif oppresse, 
Quitte à regret son faon, depuis peu mis au jour, 
Quand pour chercher à boire aux fossés d’alentour, 
Ayant au moindre bruit les oreilles tendues, 

On la voit s'avancer, à jambes suspendues 

Faire un pas, et puis deux, et soudain revenir, 
Et de l’objet aimé montrant le souvenir, 
Montrer, en même temps, par ses timides gestes 
Le soupçon et l’effroi des images funestes 

Qui semblent l’agiter pour autrui seulement ; 
Telle fut Jocabel en son éloignement. » 


Quelle n’est pas sa joie quand elle apprend, par une bergère, 
que son fils est demeuré sauf. Le frère de Moïse, Aaron, sans 
trop savoir pourquoi, n’est pas le moins heureux..., mais avec 
quel luxe de détails insignifiants ou ridicules : 


« Le simple et jeune Aaron, tournant à l’entour d'elle, 
Semble prendre sa part de ces douces nouvelles, 

I] regarde, il se hausse, et béant, et ravi, 

Tant plus en est repu, moins en est assouvi. 
Quelquefois l’innocent, d’une petite bouche, 

Selc:, que le propos sa connaissance touche, 

Parle, s'exclame, rit,le propos interrompt, 

Et met à Jocabel un chagrin sur le front. 

Mais aussitôt d'un signe entre affable et sévère, 

Étant réprimandé par la main de sa mère, 

Aussitôt il se tait, et, d'un geste craintif, 

Se montre, non moins qu'elle, au discours attentif. » (3) 


Il faut traverser, quels épais taillis, avant de rencontrer, dans 
le Moïse, quelques clairières verdoyantes et doucement éclairées 


(1) Moise sauvé des eaux. Première partie. 
(2) Moïse sauvé des eaux, Première Partie. 
(3) Moise sauvé des eaux. Septième partie. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 435 


par un ciel poétique. On admire les demi-dieux ; mais les demi- 
poètes ne sont guère que ridicules, et dès le temps de Boileau, 
« le Moise moisissait par les bords. » 

On a beaucoup vanté (pour finir) l’ode ou l’élégie de Saint- 
Amant à la Solitude. Elle renferme quelques beaux vers, c’est 
vrai, ceux-Ci entre autres : 


« O que j'aime la solitude. 

Que ces lieux sacrés à la nuit, 

Éloignés du monde et du bruit, 

Plaisent à mon inquiétude ! 

Mon Dieu ! que mes yeux sont contents 
De voir ces bois qui se trouvèrent 

A la maturité des temps, 

Et que tous les siècles révèrent, 

Etre encore aussi beaux et verts 
Qu'aux premiers jours de l'univers ! » 


Mais ceux-ci : 
« Que je prends de plaisir à voir 
Ces monts pendus en précipices, 
Qui pour les coups du désespoir, 
Sont aux malheureux si propices, 
Quant la cruauté de leur sort 
Les force à rechercher la mort. » 


Le plaisir de voir ces précipices favorables au suicide ! Peut- 
on être plus grotesque? Adieu Saint-Amant ou Marc-Antoine de 
Gérard, l’homme de Moïse et du melon ! 


*k 
* * 


Georges Scudéri, né en 1601, (1) du même temps mais plus 
jeune de sept années que l'auteur de Moïse, épique et tragique, 
tour à tour, dans ses vers, mais toujours comique, autrement 
dire, extravagant, dans la prose de sa vie, avait servi dans l’armée 
du roi, et portait la rapière. « Vaillant, riche et toujours bien 
mis, » (2) généreux même, (3) il jalousa pourtant Corneille après 
l'avoir célébré, et chanta en 1654, dans A laric ou Rome vaincue 


« le vainqueur des vainqueurs de la terre » 
(1) Mort en 1667. 


(2) D'Olivet. Histoire de l’Académie. 
(3) 11 laissa dix mille livres aux pauvres à sa mort. 


436 LA POÉSIE ÉPIQUE 


C'est ce 


« Bienheureux Scudéri dont la tertile plume 
Pat tous les mois, sans peine, enfanter un volume. » 


Savant, à l'excès, dans la préface de son épopée, il cite à l’ap- 
pui de sa Poétique, Aristote, Homère, Macrobe, Piccolomini, 
Vida, Vossius, Robert, Lucain, Stace, Silius Italicus, Boiardo, 
l'Arioste, Le Tasse. Il débute par Empédocle. Il savait l’ita- 
lien, le latin, le grec, et a fait faire quelques progrès à la poésie 
descriptive. Îl est moins mêlé et moins inégal que Saint-Amant; 
mais on pourrait lui appliquer le vers de Voltaire au sujet de 
l’abbé T'rublet, avec une variante : 


« Il décrivait, décrivait, décrivait. n 


La Table des matières de l’Épopée d'Alaric, est vraiment 
curieuse. Depuis le premier livre jusqu’au dixième qui est le der- 
nier, nous lisons : Description de la décadence de Rome. Des- 
cription d'un palais d'architecture gothique. Description de 
l'approche du démon, et le reste ; enfin description de la prise 
de Rome. Il n’y a que des descriptions, et des comparaisons (1) 
en somme peu ou point d'action. C’est donc un poème descrip- 
tif, sous le nom d’Epopée !.… Avec le poète, décrivons un ange. 
Cet ange, pour se mêler, un instant, aux hommes, prend la 


forme humaine. (2) 


« De l'or de la nuée, il fait sa chevelure, 

D'un azur pris au ciel, ses yeux ont la peinture ; 
L'incarnat de l’aurore éclate dans son teint 

Et de ces trois couleurs tout son plumage est peint, 
Du blanc de cette nue est sa tunique blanche ; 
D'un pourpre ardent et vif il est peint sur sa hanche 
Son écharpe volante est d’un jaune doré, 

Et rien n’est vu si beau que l'ange ainsi paré. 
Tous ses traits sont divins, et sa taille est divine, 
Son air majestueux marque son origine 

Et de l'esprit tout pur l'immortelle clarté 

Brille sur ce beau corps, bien qu'il l’ait emprunté. 
Alors trouvant dans l’air une invisible voie, 

I fond, en battant l'aile, où son maître l’envoie ; 


(1) Au moins 200 Descriptions ; autant de Comparaisons. 
(2) Rome vaincue. L. I. 


LA POÉSIE ÉPIQUE 437 


Et tel que le faucon qui se dérobe aux yeux, 
Ce divin messager semble tomber des cieux. » 


Quoique mêlé de traits d’un goût douteux, ce tableau fait son- 
ger à plus d’un artiste ciseleur, en poésie descriptive, de notre 
dix-neuvième siècle ; à Léon Gautier par exemple. Sur ces 
hommes d'imagination, multipliés aujourd’hui, au milieu de 
nous, Scudéri a cet avantage qu’il est, en quelque sorte, l’inven- 
teur du genre faux, sans doute, et monotone, inanimé, faute 
d'émotion dans l’âme du poète et d'inspiration réelle, mais qui 
peut, à la rigueur, plaire un instant, aux amateurs de belle ver- 
sification. 

Il a un autre avantage, le même Scudéri : cette fois sur ses 
contemporains ; sans omettre même le R. P. Le Moyne, c’est 
qu’il parle un langage assez constamment grave et noble, moins 
farci de choses vulgaires et triviales. A la différence de Saint- 
Amant, il relève les détails, où il se plaît à l’excès, par une cer- 
taine élégance de langage. (1) 

Mais, pour parler comme Boileau, 


ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. (2) 


dans le palais enchanté, bâti par un fantôme et où se promène 
Alaric; il y a une salle de bains : 


Chaque angle a sa colonne, et l'on y voit encor 
Le linge et les parfums en quatre vases d'or, 
De qui les bas-reliefs sont superbement riches. 


Ailleurs de petits amours jouent avec le casque et les armes de 
Mars. Voltaire ne dédaignera pas cette image dans sa Henriade; 
mais toutes ces beautés 


« Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin 
Et je me sauve à peine au travers du jardin. » (3) 


En somme le poème dAj/aric, par son emphase sans trève, 
semble une gasconnade perpétuelle ; et la lecture, à force de 
descriptions et de comparaisons, en est fatigante, au delà de ce 


(1) Il y a cependant plus d’un trait, au moins vulgaire. Voir la nymphe « qui tord 
ses cheveux dans l’eau » L. 3. 

(2) Scudéri a dit: ce ne sont que festons, ce ne sont que couronnes. L. 3. 

(3) L. 3. 


438 LA POÉSIE ÉPIQUE 


qu'on peut imaginer. L'auteur y a laissé l'empreinte indélébile 
de son caractère présomptueux. Mais c’est trop nous attarder à 
Scudéri, passons à d’autres. 

A d’autres : Et soyons condamnés à apprendre textuellement 
deux cents vers de la Pucelle, si nous nous plaisons, plus qu’il 
ne faut, dans Chapelain, aussi prodigue de ses vers qu'il fut 
avare de son or. 


(A suivre.) A. CHARAUX 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


THÉOLOGIE 


Les Sept Sacrements de l'Église, par A.-D. SERTILLANGES, pro- 
‘fesseur à l’Institut catholique de Paris. — 1 vol. in-12, 1 fr. 00. — Paris, 
P. Lethielleux, 10, Rue Cassette (6e). 


Dogme lumineux, morale solide, mystique profonde : le trésor inépuisable 
de ces quelques pages renferme tout cela, mais gravitant autour d’une seule 
et grande idée scripturaire et patristique, celle du Christ, centre de toute la 
création et chef de l’Église. Dans le Christ, tout se récapitulé ; c’est, non 
comme individus, mais en tant que membres de son Corps mystique, que 
nous sommes prédestinés et sauvés. Tout, dans le plan divin, est prolonge- 
ment du Christ ; et, dans l'espèce, les Sacrements sont le prolongement, 
merveilleusement adapté à notre nature, « de l’action symbolique et réelle 
de Celui qui est le Sacrement par excellence et unique ». Aussi leur action 
sanctifiante est-elle bien moins individuelle que collective : chaque sacre- 
ment «est un acte social », « le plus social de tous étant l’Eucharistie », 
qui contient en substance le chef où se concentre l'Église, et dont le fruit 
principal est « l’unité du Corps mystique », l'union de tous les membres 
dans le Christ et par le Christ. « Unus panis multi sumus, omnes qui de 
uno pane participamus ». 

L’Esprit-Saint, qui inspira le programme pratique de Pie X : «instaurare 
-omnia in Christo », attire en même temps de plus en plus les intelligences 
vers cette synthèse sublime et fondamentale de notre sainte Religion. Le 
« grand mystère »,comme parle saint Paul, dominait tout l’enseignement de 
l’apôtre ; depuis longtemps on l’a délaissé pour des vérités plus particulières 
et, par le fait, moins complètes. — Le présent ouvrage, que l’auteur, dans 
son humilité, mais aussi dans sa clairvoyance, consacre à la jeunesse, ne 
sera pas inutile, à ce point de vue, même aux esprits familiarisés avec les 
Spéculations théologiques. F. OCTAVE. 


APOLOGÉTIQUE 


Le Matérialisme et la Science. — Erreurs et préjugés à détruire, 
par l'abbé A. C. E. Fournier, des Clercs de N. D. de Chartres, et MAURICE 
THouvEnIN, docteur ës-sciences, professeur à l'Université de Besançon. — 
Paris, Beauchesne, Éd. 117, rue de Rennes. — 1913. — Prix o fr. 75. 


Matérialisme et science : deux mots qui, à l’heure présente, se réclament 
avec acharnement l’un de l’autre, et qui, en réalité, s'excluent comme deux 


440 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


contradictoires. 11 n'y a pas d’édifice scientifique possible, sans spiritualisme 
à la base et au sommet ; loin donc de s'opposer aux données de la science, 
la Révélation est son plus ferme aopui. — C’est la conclusion qui se dégage, 
sous un tour négatif, de l'excellent ouvrage de MM. Fournier et Thouvenin, 
dont le but est de Jeter le ridicule sur la fausse science, qui prétend réfuter 
la Révélation, et prouver l'impossibilité du miracle. — Les objections les 
plus actuelles du matérialisme centre les dogmes chrétiens, sont examinées. 
dans le détail, et pulvérisées sur le terrain même où leurs auteurs se sont 
placés. Les théories de |’ « éternité de la matière et du mouvement », de la 
« panspermie cosmique, où ensemencement des mondes entre eux », du 
« singe anthropomorphe et du pithécanthrope », sont, en 1913 comme il y 
a 20 ans, les forteresses de sable, tour à tour écroulées et reconstruites, où 
l’athéisme contemporain se retranche bien maladroitement contre les inéluc- 
tables preuves de l'existence de Dieu et de son intervention dans la nature. 
— Une seconde dissertation sur la possibilité et l'existence du miracle, 
achève de convaincre le lecteur que « la plus grande ennemie de l'Église, 
c'est l'ignorance. 

On lit quelque part dans ce livre, que rien n'empêche un même individu 
d’être à la fois savant, et philosophe ou théologien … toutefois il vaut mieux 
que théologien et savant soient deux personnes distinctes, car on évite ainsi 
que le théologien absorbe le savant ». — Dans « le Matérialisme et la 
Science », la philosophie ou la théologie, loin d’absorber la science, se fond 
si harmonieusement avec elle, que l’on croirait facilement à l’égale compé- 
tence de ses auteurs sur les deux domaines. 

Cette brochure doit avoir sa place dans toute bibliothèque de prêtre ou de 
conférencier. Ils y trouveront les réponses promptes et décisives aux objec- 
tions de la science athée, que colporte partout une presse immorale et impie. 

Fr. OCTAVE. 


PRÉDICATION 


Sermons et Panégyriques pour le temps actuel. — Un mission- 
naire au XX siècle, par E. Jarossay, Missionnaire apostolique. — 2 vol. 
in-12 de 438 et 450 pages. — Prix : 7 fr. — Téqui, Libraire-Éditeur, 82, 
rue Bonaparte, Paris. 


Toutes les âmes apostoliques éprouvent, quand la vieillesse ou la souf- 
france viennent entraver leur activité, l’impérieux besoin de travailler encore, 
de communiquer à d’autres l'amour dont leur cœur se consume pour le 
Sauveur Jésus. Réduites au silence, elles prennent la plume, écrivent pour. 
continuer, par ce moyen, d'instruire et d'édifier. Ce sont là, les raisons qui 
ont déterminé la publication de ces deux volumes, c’est le but qu'ils 
poursuivent. 

Les instructions qu'ils contiennent ont été publiées déjà par l’A mi du 
Clergé dans son fascicule de la prédication ; ce fait seul suffit à les recom- 
mander. Au nombre d’une soixantaine, elles forment, par l'ensemble des 
questions traitées, un exposé à peu près complet de la doctrine Chrétienne, 
adapté aux besoins religieux de notre temps. 

Le premier volume renferme les premières vérités fondamentales de notre 
foi : Dieu, ses droits, sa providence ; Jésus-Christ, les fins dernières, plus. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 44 


sept instructions sur l’Eucharistie pouvant servir de retraite préparatoire à 
l’Adoration perpétuelle. 

Le second volume expose quelques-unes des vertus chrétiennes : la force, 
la charité, la souffrance ; — certaines obligations : le zèle familial, l’éduca- 
tion, suivies d'une série de sermons sur la T. Ste Vierge. Le volume se clôt 
par plusieurs panégyriques des saints les plus honorés dans le centre de la 
France : saint Etienne, saint Marc, saint Vincent, saint Aignan, saint 
Paterne, etc. 

Le tout est écrit avec simplicité, clarté; çà et là des traits édifiants aident 
à graver plus facilement dans la mémoire les enseignements donnés. 

Fr. J. de P. 


ÉCRITURE SAINTE 


Psalmi et Cantica Breviarii explicata in ordine ad recita- 
tionem Breviarii, par AcH. VANDER HEEREN, s. T. L., in Majori semi- 
nario Brugensi S. Scripturae professore. — Grand in-8. de 460 pages. — 
Broché 6 fr. Cartonné, 7 fr. Relié chagrin 1/2 dos flexible, 8 fr. — Charles. 
Beyaert, éditeur, 6, rue Notre-Dame, Bruges. 


L'ouvrage de M. Vander Heeren est tout en latin, je me hâte d'ajouter 
pour ceux que cette déclaration effraierait, mais dans un latin très facile à 
comprendre. C'est plus qu’un commentaire des Psaumes et des Cantiques 
qu’il nous donne, son livre pourrait fort bien s’intituler : Introduction à 
l'étude des Psaumes et de la poésie hébraïque, puisque les quatre-vingt 
premières pages sont consacrées à ces données préliminaires. Pour plus de 
précision nous signalons quelques titres : Excellence de la psalmodie ; le 
livre des Psaumes, livre divin et liturgique ; son usage chez les juifs et chez 
les chrétiens. — Le nombre des Psaumes, leur ordre; division en cinq 
livres. Suit une étude suffisamment complète, malgré sa brièveté, sur le texte 
lui-même et sur quelques-unes des versions : les Septante, l'Itala ; les 
différents travaux de saint Jérôme sur le Psautier : Psautier, romain, gallican, 
psautier secundum veritatem hebraicam. 

Le paragraphe Ve est consacré à la théologie des Psaumes, tandis, que 
le VIe nous explique leurs différentes sortes : Psaumes de louanges, d'actions. 
de grâces, didactiques, historiques, prophétiques, déprécatoires, impétra- 
toires et pénitentiaux. Une note essaie de nous faire comprendre ce qu'étaient 
les Psaumes Graduels (Ps. CXIX à CXXXIII.)? Pour nous aider à mieux 
saisir le sens de ces divers chants sacrés, l’auteur expose ce qu'est le paral- 
lélisme, la strophe et quelques autres règles de la poésie hébraïque, potissi- 
mum de alphabetismo. Malgré ces données, certains passages demeurent 
obscurs, le texte a été corrompu : les raisons de cette altération. 

Ces explications fournies, l’auteur en arrive à l'étude des Psaumes en eux 
mêmes. Avant chacun d'eux, 1l commence par indiquer le genre auquel il 
appartient, s’il est laudatif, didactique ou eucharistique etc. ; la marche des 
idées exprimées, leur groupement d’après les versets, puis sur une première 
colonne le texte de la Vulgate imprimé en petites lettres. Dans la seconde 
colonne et d'une façon parallèle, l'explication de ce texte, La paraphrase est 
faite d’après la Vulgate toutes les fois que le texte donne un sens possible et 
admissible ; dans le cas contraire, l’auteur a recours au texte hébreu. Toute- 


442 À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


fois dans la première comme dans la seconde alternative, des mots imprimés 
en italiques ont été ajoutés pour développer ou compléter l’idée par trop 
succinctement exprimée. Suivent en dernier lieu les applications du Psaume, 
l'énumération des offices où il se trouve intercalé, et, un mot à l'adresse du 
prêtre qui le récite ou le lit pour lui donner une application immédiatement 
pratique. Ainsi par exemple : Ps. 1, Beatus vir qui non abiit, je lis : Utinam 
et sacerdos intelligat, quod beatus ille vir, qui in in lege Domini meditatur 
eamque implere satagit ! Vera felicitas nostra in eo sit quod, a peccatorum 
vita recedentes, legi divinae adhaereamus integri : Diligentibus Deum 
Omnia cooperantur in bonum. (Rom., VILL.) 

Ce travail de M. Vander Heeren est un des meilleurs que nous ayons ren- 
contré jusqu’à ce jour sur les Psaumes. Nous le conseillons aux Professeurs 
et à tous ceux qui font de l’Écriture-Sainte une sérieuse étude, à tous les 
prêtres par conséquent, qui chaque jour doivent se nourrir du pain de la 
parole divine pour être capables de le rompre aux âmes confiées à leur 
sollicitude. Fr. J. de P. 


Le nouveau Psautier du Bréviaire romain, traduction sur les 
originaux des Psaumes et des Cantiques avec les principales variantes des 
Septante, de la Vulgate et de la version de saint Jérôme, par le Chanoine 
E. PANNIER, consulteur de la Commission biblique, Professeur à l’Université 
de Lille. — In-8 de 360 pages. — Prix : 4 fr. — René Giard, 2, rue Royale, 
Lille. — Lethielleux, 22, rue Cassette, Paris VIe. 


Cette traduction des Psaumes est parue pour la nremière fois en 1908. 
L'édition presque épuisée, à l'heure présente, a suggéré, à l’éminent pro- 
fesseur de l’Université de Lille, le dessein de donner à nouveau ce travail 
au public après l'avoir mis en concordance avec la nouvelle disposition du 
Psautier. 

Dans ce volume, les Psaumes sont donc classés d’après l'ordre de leur 
récitation quotidienne et non d’après le chiffre qu'ils portent. Un petit 
sommaire placé au début de chaque psaume indique l’auteur, s’il est connu, 
l'idée maitresse ; d’une façon approximative la date de composition, le 
nombre des strophes, les caractères de la versification. Dans le psaume lui- 
mème, des crochets indiquent les additions, les doubles traductions, les 
variantes ; en un mot tout a été mis en œuvre pour faire disparaître ce 
Caractère souvent énigmatique, cette marche irrégulière et incohérente qu’on 
rencontre parfois dans ces chants inspirés et qui par là mème en rendaient 
la compréhension diflicile. 

Nous ne regrettons qu’une chose, encore est-ce une opinion personnelle : 
M. le Chanoine Pannier en adoptant pour cette traduction l’ordre du nou- 
veau psautier avait en vue, sans nul doute, de donner aux prêtres et aux 
religieux astreints à l'office liturgique, un moyen facile, de préparer à l'avance 
la récitation de leur bréviaire, et de pouvoir, le moment venu, en saisir tout 
le sens, en goûter toute la beauté. 

[Il me semble que pour obtenir ce résultat, quoiqu'il en dise, il eut été 
préférable de mettre le texte latin en regard de la traduction française. 
Voyant sur le mème plan les deux textes juxtaposés, la traduction, nous le 
pensons du moins, se serait gravée plus facilement dans la mémoire. Il est 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 443 


toujours encombrant d’avoir plusieurs livres devant soi. Cette simple opinion 
n'enlève rien à la valeur du travail de M. Pannier, nous lui souhaitons un 
accueil encore plus bienveillant que celui fait à son édition de 1908. 

| FR. J. de P. 


Les psaumes du Bréviaire traduits de l’hébreu [texte latin et 
traduction française), par l'abbé H. LesèTRE, curé de Saint Étienne-du- 
Mont à Paris. — In-8 (XII1-412 p.) — Prix : 2 fr.; en reliure toile 2 fr, 75. 
— Lethielleux, Éditeur, 10, rue Cassette, Paris VIe. 


Traduction française, faite directement sur l’hébreu ; placée en face de la 
Vulgate, elle permet de rectifier de suite les incorrections de cette dernière, 
restée telle depuis la seconde revision de saint Jérôme qui constitue encore 
le texte de nos bibles latines, 

Nous retrouvons ici, avec quelques retouches la précédente traduction du 
même auteur publiée en 1883 dans les Commentaires de la Bible de Lethiel- 
leux et dont la fidélité déjà éprouvée par la faveur des gens experts s'est 
trouvée confirmée de nouveau en 1904 par la préférence que lui ont accordé 
les continuateurs de Belle de M. l'abbé Crampon. 

Pour plus de commodité l’ordre suivi est celui du bréviaire, une indica- 
tion sommaire du sujet est mise en tête de chaque psaume, quant aux notes 
elles sont rares et se bornent à quelques renseignements très succincts. 

Rien des cantiques de Laudes; ils n'avaient pas à figurer ici, dit Monsieur 
Lesètre parce que presque tous ayant été directement traduits de l’hébreu en 
latin présentaient peu d’incorrections. 

Les passages de la Vulgate qui diffèrent notablement du texte original ont 
été imprimés en italiques dans la traduction française, afin qu’on puisse les 
reconnaître au premier coup d'œil. 

Ce travail remplira certainement le but proposé qui est de faciliter l’intel- 
ligence du sens littéral des psaumes. Fr. M.-A. 


ASCÉTISME 


Le Chrétien intime. Tome VII. — Le Culte des mystères et 
des paroles de Jésus. Élévations Évangéliques. Tome II, par CHARLES 
SAUVÉ, s.s. — In-8 écu de 500 pages. — Prix: 3 fr. 50, franco 4 fr. — 
Paris, Librairie Vic et Amat, 11. rue Cassette, 11. 


« Heureux le jour, disait un pieux et savant évêque, où Jésus devient 
quelqu'un pour nous ». Faire que Jésus devienne quelqu'un pour nous, 
c'est le but que poursuit M. Sauvé dans ses nombreux ouvrages, où, inutile 
de le redire, la piété et la doctrine se donnent la main comme deux insépa- 
rables sœurs. 

Ce tome VIle du Chrétien intime se rapporte tout entier à la vie publique 
du Sauveur, à son ministère. Ses paroles comme ses actes, ses moindres faits 
y sont exposés et médités parce que : « toutes les actions et toutes les paroles 
de Notre Seigneur sont, au moins de loin, révélatrices de sa personne. Ce 
sont des rayons divins qui nous conduisent à l’Astre adorable, ravissement 
du monde intime des âmes : la Personne et le Cœur de Jésus », que l’auteur 


444 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


veut nous faire étudier et connaître pour nous unir à eux par la foi, l’ado- 
ration, la confiance, la charité, la prière. 

Tout près de Jésus, M. Sauvé n’a pas oublié de faire ressortir la physio- 
nomie d’une autre personne qui peut beaucoup pour notre initiation à la 
Personne et au Cœur de Jésus ; cette personne c'est la très douce Vierge 
Marie. 

Faut-il ajouter à cette connaissance intime de Jésus et de Marie qu’en- 
gendre la lecture de ce livre, un autre mérite, celui de l’adaptation. Dans 
toutes ces Élévations, grâce aux applications pratiques qui les suivent, 
chaque âme peut voir ce qui lui manque, les vertus qu'elle devrait acquérir 
pour devenir parfaitement conforme aux désirs du Maitre. 

Prêtres et fidèles aimeront à lire et à méditer ces pages ; sur leurs âmes 
elles produiront une salutaire influence, et, en échauffant leurs cœurs, les 
aideront à marcher courageusement dans la voie, parfois difficile, de la 
perfection chrétienne. FR. J. de P. 


Lettre à une Supérieure Religieuse au sujet d'un décret 
Pontifical, traduit de l'italien par l'abbé A. E. GAUTIER, du clergé de 
Bordeaux, docteur en droit-canon. — In-12 de 130 pages, 3e édition revue 
et augmentée. — Prix: 1fr. — P. Téqui, Libraire-Éditeur, 82, rue Bona- 
parte, Paris. 


Ce décret pontifical n'est autre que le décret « Quemadmodum » du 
17 décembre 1890 concernant la reddition du compte de conscience à des. 
supérieurs non revêtus du caractère sacerdotal. Les explications données 
dans ce commentaire sont claires et précises ; elles se groupent autour de 
ces deux idées maitresses : ce qui se faisait, ce qu'il faut faire maintenant 
par rapport à cette fameuse reddition de compte, aux confesseurs ordinaires 
et extraordinaires, à l'usage de la sainte communion. Et comme l'esprit 
humain, surtout chez les femmes, est fécond en expédients pour ressusciter, 
sous une forme ce qui vient d’être condamné sous une autre, l’auteur entre 
dans des détails, peut-être minutieux, mais utiles à coup sûr pour prévenir 
toutes tentatives de retour aux errements passés. 

Ce décret devant être lus une fois par an, en langue vulgaire, à haute et 
intelligible voix, dans chaque communauté religieuse tant d'hommes que de 
femmes, les Supérieurs trouveront dans cette brochure un guide sùür non 
seulement pour se conduire eux-mêmes mais encore pour donner les expli- 
cations et les développements, susceptibles d'être demandés par les sujets, 
à l’occasion de cette lecture publique. FR. J. de P. 


L'Évangile du paysan, par Prosper GERAL», prêtre du diocèse de 
Limoges. — Un vol. in-16 (XIV-366 p.) — Prix : 3 fr. 5a, franco 3 fr. 75. 
— Gabriel Beauchesne, Libraire-Editeur, rue de Rennes, 117, Paris (6e). 


Ce livre dénote une grande communion avec les choses et les gens de la 
terre. Il s'adresse non aux intellectuels mais aux petits pâtres, et leur restitue, 
pour ainsi dire, la prédication divine dans son cadre naturel. 

Les scènes évangéliques y sont groupées autour de l’étable de Bethléem, 
du village de Nazareth, des noces de Cana, de la montagne des Béatitudes, 
du Semeur, de la Moisson, etc... Chacun des récits est complété par des 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 445 


leçons et des conseils appropriés aux besoins des laboureurs et qui dénotent 
une profonde connaissance des familles paysannes. 

Le but évident de l’auteur était de faire quelque chose de simple qui fut 
à la portée du pâtre et du laboureur. Il y a réussi mais en ÿ trahissant 
malgré lui sa belle culture intellectuelle et son grand talent de psycho- 
logue. 

Souhaitons à ce beau livre le sort qu'il mérite: qu’il aille réchauffer 
beaucoup d’âmes, éclairer beaucoup de cœurs. Les paysans l’aimeront, les 
gens de la ville l’aimeront peut-être plus encore, et tous retireront de sa 
lecture un double avantage : entendre un peu mieux l'Évangile et mieux 
apprécier la vie des champs. F. M.-A. 


Le Petit Office de l’Immaculée-Conception. Histoire. Commen- 
taire. Exemples, par le P. Pau DEBucxy s. s. — Deuxième édition, revue 
et augmentée, — Un beau vol. in-8° inéd. de 314 pages avec gravure. — 
Broché, 3 fr. (port en sus o fr. 20). — P. Lethielleux, éditeur, 10, rue 
Cassette, Paris, (VIe). 


Orienter et édifier les fidèles qui récitent le petit office de l’Immaculée- 
Conception et leur en faire goûter tout le charme en éclairant leur piété, 
tel est le but de ce travail. 

Trois parties : 

19 « Histoire » du petit office. — Résumé d'articles très appréciés parus 
déjà, en tirés à part, chez Vromant à Bruxelles. Cette histoire est parfaitement 
nette et permet de distinguer au cours des siècles, « l'origine, les vicissitudes 
et les succès » du Petit Office. Dans l’ « origine » le point intéressant est la 
personne de l'auteur. — Est-ce le franciscain Bernardin de Busto (1440- 
1500) ? — Conclusion affirmative appuyée sur l'opinion d'éminents commen- 
tateurs dont le Père Colin biographe de saint Alphonse Rodriguez et 
Ziegelbauer. Puis le Père Debuchy ajoute : « nous voyons dans cette œuvre 
« le témoignage de la piété d’un grand ordre religieux et cela nous porte à 
« estimer hautement cette prière qui a soutenu les espérances du passé et 
« qui peut désormais vivifier notre foi ». 

Les « vicissitudes » du Petit Office sont particulièrement intéressantes, on 
y retrouve un écho des luttes théologiques antérieures à la proclamation du 
dogme, enfin la « réhabilitation », les « succès » dont l'exposé fournira un 
précieux encouragement aux apôtres de sa propagation. 

2° Le « commentaire » est substantiel. Il dénote un théologien nourri de 
l'étude de la Bible et des Pères, et, fait ressortir avec clarté toutes les 
richesses de fond du Petit Office. De plus, il est agréable à lire, son genre 
d'exposition mettant fort en valeur tous les diamants littéraires que le poète 
franciscain a si finement taillés. 

Ces belles pages sont aussi doctrinales que pieuses et fourniront des 
lectures variées pour mois de Marie, neuvaines, réunions de congréganistes, 

3o Les « exemples » tirés principalement de la vie de personnages qui 
récitaient avec dévotion le Petit Office ajoutent à cette seconde édition un 
nouvel élément d'intérêt et d'édification. 

Que ce livre se répande, il fera beaucoup de bien, c'est l’œuvre d’un 
homme de science et de prière qui nous apprendra à prier et à saisir les 


446 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


merveilleuses ressources de cette piété ancienne dont nous sentons le besoin 
à notre époque. Fr. M.-A. 


Les magnificences de l’Église, par Pauz LoevenGar». — Un vol. 
in-16. — Prix : 3 fr. 50. — Librairie académique Perrin et Cie, éditeurs, 
35, quai des Grands-Augustins, Paris. 


Bel ouvrage, intéressant, qui rappelle le « Génie du Christianisme » avec 
en plus un cachet de mysticisme très marqué. Destiné au grand public qui 
ne lit pas les livres purement théologiques, il lui fera connaître les beautés 
de la Religion. Les plus grandes magnificences catholiques y sont exposées : 
celles du Dogme, du Culte, des Sacrements, du Sacerdoce, des Ordres 
religieux, lci je m'arrête un instant. L'auteur passe en revue les principales 
familles religieuses, donnant à chacune quelques éloges. I1 s'excuse d’être si 
court sur le chapitre des Franciscains, renvoyant à Joergensen qui, d'après 
lui, aurait dégagé d'une façon définitive l'esprit de l’Ordre ? On peut ajouter 
aussi à sa décharge qu'il revient à plusieurs reprises sur saint François 
d'Assise, lui empruntant notamment son « Cantique du Soleil » pour 
exposer le culte de Dieu dans les créatures, et plus loin voulant exprimer le 
respect dû au sacerdoce, il reconnait ne pouvoir mieux faire que de laisser 
parler le « Poverello ». Ailleurs 1l rapporte la révélation si nette de la bien- 
heureuse Angèle de Foligno sur la pénétration du corps mystique, qu'est 
l'Église, par la charité divine animant la charité commune, partie aujour- 
d’hui trop négligée de la Communion des Saints. 

Le dernier chapitre intitulé : « Vision du Christ dans l’année liturgique » 
est une vue d'ensemble très oratoire, le style en est chaud et tend directement 
à provoquer l'émotion, c’est un peu aussi la note générale du livre entier. 

F. M.-A. 


ÉDUCATION 


Des Armes pour la vie. — Conseils aux jeunes, par le Docteur 
ÉTIENNE LEVRAT. — In-12 de 236 pages. — Bloud et Cie, Éditeurs, 7 
Place Saint-Sulpice, Paris. 


On pourrait donner le titre de « Manuel de l'étudiant » à ces pages écrites 
pour la jeunesse studieuse qui, ses humanités terminées, s’en va fréquenter 
des écoles spéciales. C’est en même temps qu’un programme de vie, les 
moyens pratiques de le réaliser que l'auteur met sous les yeux des jeunes. 

Tout d’abord qu'est-ce que la vie? D'ou vient-elle ? Exposition et réfutation 
des diverses systèmes scientifiques. La vie ; elle vient de Dieu, preuve en est 
donnée. Elle a donc un sens, et ce sens complet, que seul donne la doctrine 
catholique, « se résume en la lutte pour la possession de la vie éternelle par 
nous et par les autres, grâce à nous, à nos efforts ». « Le sens de la vie: 
présente, c’est l'amour, » Aimer Dieu et les hommes et par là conquérir la 
vie pleine et parfaite. 

Pour atteindre ce but, il est besoin de règles précises à notre nature infir- 
me, d'où nécessité d’une morale « pour assurer la vie de l’âme en assurant 
et défendant d’une façon plus immédiate la vie du corps » qui influe d'une. 
façon certaine et réagit sur les mouvements de l'âme. En conséquence 
l'hygiène physique d'abord : alimentation, ce qu'elle doit être pour un étu- 


OUVRAGES ENVOYÉES A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 447 


diant, — les heures des repas, — les sports, ceux qu’il faut admettre ou 
rejeter. — L'hygiène intellectuelle : essai d’un règlement de vie, — méthode 
de travail, — les heures à consacrer à l'étude ; — les distractions : prome- 


nades, théâtres, lectures ; une sélection s'impose comme elle s'impose dans 
le choix des camarades et des amis, — qualités des uns et des autres, 

S'adressant à des jeunes gens de dix-huit, vingt ans, l’auteur les met en 
garde contre la crise sexuelle. La continence et la chasteté sont possibles, il 
suffit de vouloir et de prendre les précautions nécessaires. Bien loin d’être 
néfaste à la santé « la chasteté, la continence est un puissant facteur de santé 
physique et morale. Elle est créatrice d'intelligence et de volonté. Le jeune 
homme chaste est le vainqueur de l'avenir. » 

Un autre chapitre traite du mariage. Quand convient-il à un étudiant de 
se marier? Pendant ses études ou seulement après? Le docteur Levrat 
patronne la seconde opinion; ses raisons sont sérieuses pourtant elles ne 
rallieront pas tous les suffrages ! 

Le livre s'achève par un dernier paragraphe sur l'hygiène de l'âme. 
L'auteur après avoir posé comme condition sine qua non pour réussir dans 
la vie : la confiance en soi, la maîtrise de soi, y conseille les nobles dévoue- 
ments aux services des œuvres sociales, des œuvres de charité en laissant un 
peu de côté les luttes politiques. Enfin dernier conseil : les enseignements. 
déjà lointains du catéchisme ne peuvent suffire. « Ils sont la base essentielle 
de toute vie chrétienne, mais il faut les compléter ..….. » « Connaître sa 
religion est nécessaire, la pratiquer est indispensable. » Et encore cette 
dernière ligne : « le plus important des remèdes de l'âme, la prière, la 
religion. » 

Puisse ce livre être lu et médité par de nombreux jeunes gens. Nous 
voudrions le voir entre les mains de tous les étudiants, sûr que plus d’une 
âme en serait éclairée et y puiserait une ardeur nouvelle pour la réalisation 
du programme si admirablement tracé. 

On nous permettra pourtant d'exprimer un regret, celui de n'avoir ren- 
contré qu’une assez fugitive allusion à la pratique des sacrements comme 
auxiliaires dans les luttes de la vie. La confession et l’Eucharistie ne sont- 
elles pas les principaux préservatifs quand :l s’agit de continence et de 
chasteté ? Sans doute, M. le docteur Levrat a déclaré que ce n'était pas som 
rôle de faire un cours d'éducation religieuse, c'est vrai, mais ces choses là 
dites par un laïque à des laïques ont parfois plus de poids que si elles étaient 
émises par la bouche d’un prêtre. Simple réflexion d’ailleurs, qui n'enlève 
rien au mérite de l'ouvrage! Fr. J. de P. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION 
DES ÉTUDES ü) 


Analecta Franciscana sive Chronica aliaque varia documenta ad historiam 


(1) L'annonce de ces ouvrages ne constitue pas par elle-même une recommanda- 
tion. Nous ne faisons que les signaler ici, en attendant que les rédacteurs des 
Études en fassent le compte-rendu, s’il y a lieu, dans le bulletin bibliographique. 

P J grapniq 


448 OUVRAGES ENVOYÉS À LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


Fratrum Minorum spectantia edita a Patribus Collegii S. Bonaventurae. 
Tomus V. — De Conformitate Vitae B. Francisci ad vitam Domini Jesu 
Auctore Fr. Bartholomaeo de Pisa. Liber II et III. — Ad Claras Aquas 
Ex Typ. Collegii S. Bonaventurae, 1912. In-4° CXXVI11-558 pp. Prix : 15 fr. 


JEAN Hacuin. — Le Droit pratique usuel et rural, par JEAN HaAcHiN 
docteur en droit, 8e mille. Reims, Action populaire, 5, rue des Trois-Raisi- 
nets. Paris, Maison-Bleue, 4, rue des Petits-Pères. In-8° de XXI1I1-654 pp. 
Prix : 5 fr. 


KNABENBAUER (Joseph) S. J. — Cursus Scripturae Sacrae. Commentarii in 
Psalmos, auctore Josepho Knabenbauer, S. J. Parisiis, Sumptibus P. Le- 
thielleux, 10, via dicta « Cassette » 1912. In-8° de 492 pp. 


GusTAvE MonTeis (Abbé). — L'amour contre la haine, pour faire suite 
a la jalousie. Paris, Gabalda, 1913. In-12 de VI11-370 pp. Prix : 3 fr. 50. 


Maze-SENCIER (Georges). — Les vies sociales. Paris, Marcel Rivière, 31, 
rue Jacob, 1913. In-16 de 390 pp. Prix : 3 fr. 5o. 


A.-D, SERTILLANGES. — Les Sept Sacrements de l'Église. Paris, Lethiel- 
leux. In-12 de 153 pp. Prix : 1 fr. 


La Répartition Proportionnelle Scolaire. 2° Édition. Paris, Maison- 
Bleue, Reims, Action populaire. Paris, Lecoffre. In-8° de 127 pp. Prix: 
1 fr. 50. 


FéLix ANIZAN (Abbé). — Les Hommes de France au Sacré-Cœur. Avant- 
Propos de M. l'abbé Maucotel, Vicaire Général Honoraire, Directeur diocé- 
sain de l'Œuvre du Sacré-Cœur. Aux bureaux de l’'Œuvre du Sacré-Cœur, 
Verdun (Meuse). In-12 de 70 pp. 


CHARLES BouTARD (Abbé). — Lamennais, sa vie el ses doctrines. T. III. 
— L'éducation de la Démocratie (1834-1854). Librairie académique, Perrin 
et Cie, Paris. 


ALBERT BATTANDIER (Mgr). — Annuaire Pontifical catholique XVIe 
année, 1913. Paris, Bonne-Presse, 5, rue Bayard, 


Pauz DeBucuy, S. J. (R. P.). — Le Petit Office de l'Immaculée-Concep- 
tion, — Histoire. — Commentaire. — Exemples. — 2° Édition, in-8 méd, 
de 314 pp. Franco 3 fr. 20. P. Lethielleux, éditeur, 10, rue Cassette, 
Paris, VIe. 


Pau LoEvENGARD. — Les Magnificences de l'Église. Un volume in-16. 
Prix : 3 fr. 50. Librairie académique Perrin et Cie, éditeurs, 35, Quai des 
Grands-Augustins, Paris. 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


TAMINES. — IMP. DUCULOT-ROULIN. 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


A PROPOS 
D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


Le R.P. Garrigou-Lagrange dans son intéressante étude 
consacrée à « La Valeur analogique et transcendante des notions 
premières » dans la Revue Thomiste 1913, (1) fait allusion aux 
articles publiés par moi dans la Revue de Philosophie (juillet- 
août 1912) relatifs à l'univocité de Duns Scot. Bien que ces allu- 
sions n'aient rien d’agressif, je suis, je l'avoue, très confus de 
l'interprétation négative que l’auteur prête à mes conclusions. (2) 
De plus, les quelques pages que le savant professeur de l’Ange- 
lico consacre aux antinomies scolastiques ne sont pas indemnes 
du reproche d’inexactitude. Me sera-t-il permis d'apporter quel- 
ques précisions ? 


Je signalerai tout d’abord au R. P. Garrigou-Lagrange une 
sorte d’emboitement des perfections en Dieu, qui manifestement 
serait en opposition avec les lois les plus élémentaires de la di- 
vision logique. L'intellection et le vouloir, — je veux bien que 
ce soit par mégarde, — de ce chef,ne seraient pas et seraient tout 
de même distinctes en Dieu, voire « indépendamment d’une 
relation aux créatures actuelles ou possibles. » R. fhom. janvier- 
février 1913, p. 18, lignes 1 et 16. 

A la page suivante, il dit : « L’essence et l’existence ne se dis- 
tinguent dans la créature, que parce que l'essence est puissance 


(1) Revue thomiste 1912 p. 737 et 342 et numéro premier de 1913. 
(2) Et de fait montrer que Duns Scot et saint Thomas sont d'accord avec cette 


différence que celui-là dit quelque chose de plus, est-ce réduire une controverse à 
ane simple question de paroles ? 


E. F. — XXIX. — 29 


450 A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


à l'égard de l’existence.(1)» Et j'en conviens sans peine. La théo- 
rie commune de l'acte et de la puissance appelle la distinction 
de l'essence et de l'existence dans la créature. Cela ne fait pas 
l'ombre d’une hésitation dans l'esprit de tout scolastique bien 
informé, à quelque école qu'il appartienne. Si les essences n’é- 
taient pas connues, elles ne deviendraient pas de fait : et donc 
quand elles passent dans le domaine de l'existence, c’est qu'au- 
paravant elles n'étaient pas de cette façon. Sans doute ! Mais 
n'avaient-elles pas déjà une existence idéale, une existence de 
concept en Dieu ? — Par suite, quand une essence est réalisée 
dans le concret, l’on a une essence et une existence de concepts 
qui deviennent une essence et une existence physiques ou réel- 
les. Par conséquent, il conviendrait de retenir que si l'acte 
et la puissance dans la créature survivent à la réalisation 
concrète de celle-ci, c’est non pas parce qu'il y a distinction 
réelle de son existence à son essence, mais parce que de fait, le 
créé est susceptible de transformations indéniables. De là, une 
distinction réelle entre l'acte et la puissance, vu que l'acte est acte 
et que la puissance exprime en plus de la contingence, le deve- 
nir, soit virtuel, soit obédientiel. Par suite, j'avoue que, pour 
ma part, je saisirais mieux la distinction de l'essence et de l’exis- 
tence si, comme il l’a fait ailleurs, le R. P. Garrigou-Lagrange 
me conviait à prendre mon point de départ de l’irréductibilité 
des concepts. Si je ne me trompe, ma mémoire se réfère à un 
numéro de la « Revue des sciences philosophiques et théolo- 
giques » que je n'ai pas sous la main. De toute façon, je suis 
ici d'accord avec le R. P. Garrigou-Lagrange pour souligner la 
distinction de l’essence et de l'existence, — abstraction faite de 


la question de degré. 


I] 


Je voudrais, maintenant, répondre à quelques assertions qui, 
à ma connaissance, entament sans fondement la renommée 
doctrinale d’un ancien qui, au témoignage de Cajetan, « in mul- 
tis D. Thomae doctrinam impugnavit, sed hoc cum magna mo- 
destia et sine irreverentia. » L’estimable professeur du Collège 
angélique n’eut-il pas gagné à se souvenir de ce passage, qu’il 
accompagne d’un « pourtant » qui peut en provoquer d’autres ? 


(1) L’on peut renverser les termes et prononcer que «l'existence est en puissance, 
à l'égard de l'essence. » 


A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 451 


Puisque « c’est à regret » qu'il insiste sur certaines « diver- 
gences », quel mal y aurait-il à montrer que leur portée est en 
réalité moindre qu'il l’affirme. 

Pour commencer, « la doctrine de l’univocité de l'être et celle 
de la distinction actuelle formelle des attributs divins sont-elles 
étroitement connexes ? » Rev. thom., janv. fév. 1913, p. 32. 

A cela, je réponds : cela n’est pas exact — et si cette connexité 
pouvait exister elle ne serait pas sans inconvénients. — Pour- 
quoi ? — C'est qu'alors l’univocité envahirait le domaine de la 
réalité dans ses définitions irréductibles pourtant, et l’on abouti- 
rait bon gré mal gré soit à l’anthromorphose de Dieu, soit à la 
déification de tout. 

Duns Scot a cependant situé sa théorie de l’univocité à égale 
distance de ces deux extrêmes. Si donc il n’a pas voulu sombrer 
dans le précipice qu'il signale, et qu’on l’en puisse cependant 
accuser, et ce, nonobstant ses intentions, c’est que, sans doute, 
le sentier dans lequel il se serait engagé, côtoie des abîmes sans 
barrières et de plus, parce que la lumière ne projette pas ses 
clartés sur ce chemin inexploré. 

Au fait, on serait loin de l’egregia subtilitas et copia, dont 
parle Cajetan, ce qui sûrement est une façon digne de reconnai- 
tre les rares mérites d’un adversaire, pour lequel on professe une 
réelle admiration. Je tiens aussitôt à préciser qu’il n’y a pas de 
l’univocité à la distinction-actuelle de connexité d'aucune sorte. 
La raison en est toute simple. — En regard des attributs sim- 
ples, — le rôle de l’univocité est uniquement de solutionner en 
Dieu, par voie de causalité et d’exemplarité la question : an sint. 
La distinction actuelle-formelle de son côté, ne vise pas à définir 
ces attributs, mais à montrer comment, sans contredire à la 
simplicité divine, (1) quelques-uns de ces attributs s’excluent 
dans le concept sans que, cependant, cette irréductibilité de con- 
cept — per formalitatem — s'oppose à ce que, par exemple, l’in- 
telligence et la volonté soient réellement en Dieu, — et donc, 


antérieurement à la distinction logique, puisque Dieu est acte 
Pur. 


(1) L'on remarquera que — Oxon. 1. I, d. 4, 5, 6, 7. — Duns Scot répond par la 
distinction formelle à cette question : utrum possibile sit cum unitate essentiæ stare 
pl'uralitatem personarum ? — Et tout en montrant bien que de l'essence divine aux 
trois personnes il admet une distinction de raison avec fondement actuel, il exprime 
modestement qu'il propose cette solution sans préjuger au préalable de ce que d’au- 
tres, dans la suite, pourraient proposer de plus vraisemblable : dico, dit-il, sine as- 
sertione et sine præjudicio sententiæ melioris.— Oxon. 1. I, n. 325. Quaracchi, 1912. 


452 A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


Je dis « antérieurement à la distinction logique, » car Duns 
Scot déclare explicitement que la distinction formelle qu’il pro- 
pose, sous réserve de celle qu’on pourra lui substituer quand on 
aura trouvé mieux, n’est — à bien l'entendre, — « ni une dis- 
tinction actuelle réelle, non plus qu’une distinction actuelle 
potentielle, mais qu’on peut à son gré l'appeler soit « une dis- 
tinction de raison avec fondement objectif, soit virtuelle, » — et 
qu'évitant même de l'appeler une « distinction proprement dite, 
— differentia — » l’on doit plutôt entendre par là «une non 
identité formelle », soit une irréductibilité des concepts sans tou- 
tefois les vider de leur valeur de définition. (1) 

Je pourrais citer à l'appui les interprétations autorisées de 
Pierre d’Aquila, Mastrius, Frassen, Ponce, Sahnig, Dupas- 
quier, Boyvin, Faber, Faventinus et autres. (2) Mais à quoi 
servirait cet apparat d’érudition, si la nature de la distinction 
formelle est déjà nettement comprise par la lettre du Subtil ? 

J'en conclus péremptoirement qu’elle ne tombe pas sous l’ac- 
cusation de réalisme outré et qu’un formalisme réaliste de l'uni- 
vocité de l'être est inconnu dans les régions scotistes. 


III 


Autre question : « l’univocité admise », s'ensuit-1l que 
« l'être, comme être, ne soit plus essentiellement varié ? » Je ré- 
ponds : oui, si l’univocité engage ou entame seulement la défi- 
nition du réel ; non, si c’est tout le contraire qui a lieu. 

L’univocité engagerait manifestement le réel dans sa défini- 
tion, dans ses modalités variées, si l’on disait : l'être de Dieu est 
univoque avec l’être des créatures (formule du panthéisme). Elle 
entamerait la définition, et donc entraînerait à soi le réel, si l’on 
disait : l’être-substance est univoque, (autre formule de certaines 
formes du panthéisme). (3) 


(1) Cf. Scot, Oxon. L. 1, d. 2, n. 266-267. Quaracchi 1912. 

(2) Parmi les auteurs récents, Casanova, Prezzolini, Minges. Kampmann, Déodat- 
Marie,Raymond, Prosper de Ma:tigné, de Wulf, etc., ont parlé dans le sens que les 
scotistes ont toujours attaché à cette distinction.Il faut croire que si d’autres s’obsti- 
nent à vouloir l'entendre, de manière qu'ils ne peuvent se comprendre eux-mêmes, 
c'est où inaptitude ou parti pris. 

(3) Ilen faudrait dire autant si l'on admettait avec le R. P. Garrigou-Lagrange. 
(Revue thomiste, 1912, p. 736), que le « rapport d'existence étant essentiellement 
varié » de fait, le concept d'existence est lui-même essentiellement varié. Mais alors 
je lui demanderais : à quoi votre distinction réelle entre l'essence et l'existence est- 
elle utile, sinon à faire croire que l'on peut être de fait sans être ceci ou cela ? 


A PROPOS D’ANTINOMIES CONCILIANTES 453 


Et de fait, M. Leroy dans Dogme et Critique fait le procès 
d’une certaine univocité et déclare qu'elle converge au pan- 
théisme, après avoir déclaré au préalable que nul scolastique 
n’est partisan d’une univocité quelconque. 

Je tiens à dire expressément que si le contenu de l’univoci- 
té dans la pensée de Scot était rivé à l’une ou l’autre de ces 
deux acceptions, sa thèse serait manifestement insoutenable. Il 
resterait alors seulement à prendre note de ses intentions, comme 
circonstances atténuantes. 

Or, tous savent qu’une grande école a reconnu de tout temps 
à l’univocité la valeur d'utilisation que le R. P. Raymond et 
moi avons prônée ici même. C'est donc que cette théorie est 
parfaitement conciliable avec les vérités que l’on voudrait inté- 
resser au débat et que de plus, elle est le remède efficace contre 
le partage et l’agnosticisme. 

C'est qu’en effet, l’univocité scotiste ne dit pas : l'être comme 
être n’est pas essentiellement varié, — mais uniquement — le 
concept d’être, en tant qu'affirmation de l'existence opposée au 
néant tout court, n’est en aucune façon la définition de ceci ou 
de cela. Alius est conceptus simpliciter simplex, et alius est 
conceptus simplex... Conceptum simplicem voco qui non est 
resolubilis in plures conceptus, ut conceptus entis.. Conceptus 
simplex, sed tamen simpliciter simplex, est quicumque potest 
concipi ab actu simplicis intelligentiæ licet possit resolvi in 
plures conceptus seorsum conceptibiles, sicut est conceptus def- 
niti. Oxon. 1. 1, d. 3, n. 355. Quaracchi, 1912. 

En d’autres termes, quand je dis : être univoque, je réponds 
à la question : l'être est-il ? (1) Mais si vous me demandez : 
qu'est-ce que l'être, je ne conçois pas qu’il me soit possible de le 
définir autrement que par analogie de proportion. 

La distinction entre l'affirmation de l'être et sa définition 
étant admise, Je demanderai au KR. P. Garrigou-Lagrange, si le 
concept d'existence pure et simple à part de l’essence lui définit 
quoi que ce soit ? — Me répondra-t-1l que ces concepts ne se 
distinguent pas en Dieu; je lui objecterai que si, dans notre sa- 
voir discursif et abstrait, il faut s’interdire les distinctions de 
pure raison que la réalité telle quelle n'autorise aucunement, 
l’on devra désormais fondre en une seule les deux questions 


(1) Quel auteur, et dirais-je, lequel parmi nous ne sépare pas sans que le sens 
commun en soit offusqué, les questions d’existence des questions de nature ? 


454 A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


fondamentales de la théodicée : Dieu est-il, qu'est-ce que 
Dieu ? (1) 

L'irréductibilité évidente de ces deux problèmes témoigne, 
en effet, de l’utilisation pratique de l’univoque de Duns Scot. 
C'est donc que celui-ci, loin de nuire, rend de réels services. 
Le Subtil en avait fait la remarque de son vivant. 

Conséquemment, c’est à bon droit que j’ai déjà proclamé (2) 
l'application nécessaire de la théorie de Scot à la distinction de 
l'existence et de l'essence soulignant la différence qu'il y a entre 
affirmer et définir. (3) 

Le nœud de la difficulté est là ou nulle part. Exister, est-ce 
dans l’idée abstraite être ceci ou cela — et par suite, peut-on 
affirmer sans définir ? — Si oui, Scot a raison. Diriez-vous : 
existence-concept égale essence-concept, et donc affirmer l'être, 
c’est le définir ? Il vous faudra ensuite éliminer de vos spécula- 
tions, tout ce qui manifestement ne découlerait pas de ces pré- 
misses adoptées après réflexion. 

Et pour qu'on ne m'accuse pas d’imprécision, j'affirme en 
conséquence que nier, du point de vue concept, l’irréductibilité 
de l'existence à l'essence, c’est s’interdire à tout jamais le droit 
de parler de « valeur analogique et transcendante des notions 
premières.»C'est qu’en effet, l’analogie dit : l'être réel est ceci ou 
cela. Elle n’exprime pas : ce qui est, est. Et donc, au lieu d’a- 
xiomes, l’on prononcerait : « ceci est ; ceci n’est pas ; ce qui est 
ceci, n’est pas cela. » L’on aurait une science basée sur les faits. 
La logique et la métaphysique manqueraient de base ou du 
moins il faudrait, pour être conséquent, se contenter d’une logi- 
que et d'un métaphysique, l’une et l’autre d'ordre empirique, 
et donc sans axiomes et sans transcendentaux. (4) 


(1! Duns Scot (Cf. Rev. thom. 1913. p. 45) n'a enseigné nulle part que « l’être en 
Dieu est formellement et actuellement distinct des autres perfections absolues » — 
mais il a parlé d'une distinction formelle entre la nature divine et les trois person- 
nes. Disons-le hautement : il n’est pas dans l'exposé arbitraire que le P. Garrigou- 
Lagrange fait du scotisme, une seule ligne qui ne soit une déformation évidente 
de la doctrine du Subtil. 

(2) Rev. de phil. février 1912. 

(3) L'on pourrait ici, rappeler que les créatures, en tant qu'elles existent — in li- 
nea existentiæ — se subordonnent à la causalité efficiente première, —et qu'elles se 
réfèrent à la divine essence, ou si l’on veut à l’exemplarité des idées éternelles en 
Dieu, quant au mode d’être. Cette distinction est en rapport direct avec les con- 
cepts univoques de Scot, ainsi qu’il l’expose lui-même au De rerum Principio, q. 8, 
D. 228. Quaracchi, 1912. 

(4) Ce qu'il importe de sauvegarder avant tout, c'est la distance énorme des pré- 


A PROPOS D’ANTINOMIES CONCILIANTES 455 


C’est ce que disent les articles dans lesquels on a cependant 
vu un «effort pour atténuer cette univocité. » Au fait, il n’y a 
pas eu d'effort de notre part, mais simplement le recours con- 
sciencieux à la lettre du Subtil et une interprétation loyale et dé- 
sintéressée de la doctrine. Étre objectif c’est, à n’en pas douter, 
se mettre d'accord pour le fond. 


IV 


Le P. Garrigou-Lagrange tient-il à savoir comment avec l’u- 
nivocité, on écarte « le danger de confondre l'être de Dieu et 
celui des créatures ? » 

Ce résultat sera sûrement obtenu si dès l’abord de la défini- 
tion, on sépare l’un de l’autre, l’Infini du fini. Or c’est ce que 
fait Scot. L'être, du point de vue modal, se sépare en infini et 
fini, avant que le fini soit conçu en fonction des catégories et des 
genres. Ainsi prédicaments et prédicables sont parallèles aux 
modalités limitées du créé. Dieu est en dehors de ceux-là comme 
de celles-ci. Il est donc transcendant à tout dans la réalité et 
dans le concept. C’est qu’en eflet, il y a, du point de vue concret, 
de Dieu à la Créature, la différence de l’Infini au fini et parce 
que l’Infini est Acte Pur, et donc Unique, c’est vainement que 
vous tenteriez de subordonner la réponse Qu'est-ce que Dieu 
aux données différentielles de la connaissance du multiple. 

D'où il appert que si Capréol a voulu identifier l’éfre univo- 
que de Scot au monisme de Parménide, il s’est lui-même rendu 
responsable d’une déformation. Quant à M. Vacant, si comme 
le dit le P. Garrigou-Lagrange, il a mis Scot entre l'alternative 
d’une querelle verbale ou d'imprévoyance vis-à-vis du panthéis- 
me, c'est que manifestement ce qu'il a lu de Scot est bien près 
de zéro. On ne m'accusera pas, je pense, de parler ici à la légère 
— car, dans l’exposé abondant que j'ai fait de l’univocité, (1) il 
n'est pas une ligne de moi qui ne soit fondée sur l'interprétation 
littérale des sources scotistes. 

Et ici une question pour passer : Pourquoi le P. Garrigou- 
Lagrange n’a-t-il pas traduit et expliqué l'emprunt qu'il fait à la 
Somme de Montefortino ? Rev. thom., 1912, p. 723-724. 
dicaments aux transcendentaux. L’analogisme outré (De Maria, Lorenzelli, Mat- 
tiussi, Petazzi, etc.) tend à faire des transcendentaux une affiliation aux catégories 
alors qu’il faudrait séparer l’ordre logique de l'ordre chronologico-logique. 


(?) Rev. thom., janv. fév. 1913. p. 36. 
(1) Études Franciscaines 1911-1912. — Rey. de phil. 1912-1913. 


456 A PROPOS D’'ANTINOMIES CONCILIANTES 


Ne serait-ce pas céder manifestement à une manie inguéris- 
sable quand on prononce : « Le scotiste J. de Montefortino, qui 
a composé avec la doctrine et le texte de Scot une somme théo- 
logique dont la division en questions et articles répond à celle 
de saint Thomas,prend toujours la contre-partie de la thèse-tho- 
miste quand il s’agit de l’analogie. (1) » À cela je réponds que 
mon contradicteur m'épargnerait le soin assez gênant pour moi 
de lui apporter un démenti si, comme il l’insinue, il avait réelle- 
ment bien lu Montefortino. Car l’exposé que j'avais ébauché de 
l’univocité dans la Revue de Philosophie (1910) au cours de mes 
études sur l’Etre transcendant et sur la Perfection en Dieu 
d'après Duns Scot ne s’est pas trouvé modifié d’une syllabe bien 
que je l’eusse rédigé à une époque où je n'avais pas momen- 
tanément à ma portée le texte de Wadding. 

Je ne m’exprimerais pas, ce me semble, avec assez de liberté 
si, m'arrêtant à la citation que le R. P. Garrigou-Lagrange à la 
p. 36 fait de Capréol, je ne pensais pas que contraindre Dieu à 
s’annihiler lui-même au cas où l’âne revienarait à son néant 
d'origine, c’est manifestement faire une trop complète abnéga- 
tion d’indéniables aptitudes aux plus hautes spéculations méta- 
physiques. Une cause est bien près d’être perdue, quand pour 
la défendre, on descend dans le champ clos de l’irrévérence et de 
la trivialité. 

Les néo-scolastiques se feraient honneur à eux-mêmes et ils 
serviraient efficacement la cause du Péripatétisme si, en notre 
temps de louables efforts pour la reconstruction de l'édifice ruiné 
par le criticisme de Kant, ils se résignaient enfin à mettre le culte 
de la vérité au-dessus des étroitesses, dont s'accompagne tou- 
jours l'esprit de système. D'’aucuns se sont résolument engagés 
dans cette voie. Les néo-scotistes sont de ce nombre — et s’ap- 
pliquant à supprimer les antinomies anodines du scolasticisme 
à son déclin, ils entendent ne pas faire échec à la tactique des 
Papes, dont le dessein est d’opposer au modernisme récalcitrant 
les armes glorieuses qui, dans la rencontre émouvante de l’aver- 
roïsme aux prises avec saint Thomas et Duns Scot, devait assu- 
rer à l’intangible vérité un triomphe qui, ce me semble, devrait 
stimuler vers l'entente les esprits bien intentionnés. 


(1) Voir Montef. p. 1. q. 4 art. 3. 


477 


A PROPOS D’ANTINOMIES CONCILIANTES 457 


V 


De l’aveu de mon contradicteur, de récents travaux marquent 
« un effort pour atténuer » les antinomies provenant le plus 
souvent de malentendus que lui-même entend maintenir contre 
les dénégations bien fondées des néo-scotistes. Et c'est pourquoi, 
(Rev. th., janv., fév. 1912) reprenant une vieille marotte du P. 
del Prado, il arrive à cette grave conclusion : « L’univocité de 
l'être paraît compromettre absolument la distinction essentielle 
et nécessaire de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel. » 

Et quels arguments, grand Dieu, pour justifier une assertion 
que, par euphémisme, l’on qualifiera seulement d'arbitraire ! 
— DuNs SCOT « S’'EFFORCE DE RUINER LA DÉMONSTRATION » 
PAR LAQUELLE SAINT THOMAS PROUVE QUE « L'ESSENCE 
DES CHOSES SENSIBLES » EST « L'OBJET PROPRE, NATUREL, 
PROPORTIONNÉ DE L'INTELLIGENCE CRÉÉE » ET QU'AINSI 
&« UNE INTELLIGENCE CRÉÉE NE PEUT PAS CONNAITRE PAR SES 
SEULES FORCES NATURELLES L'ESSENCE DIVINE. » Rev. th. p. 37 
1913. 

J] cite à l’appui un passage où Duns Scot émet deux affirma- 
tions : la première est la constatation d’un fait : la chose sensible 
est l’objet proportionné de l'intelligence humaine ; la seconde 
est un postulat fondé sur la spiritualité de l’âme et sur la nature 
appropriée à celle-ci de l’espèce intelligible, dont la présence 
comble le vide initial de l’entendement humain. 

Le texte allégué—Oxon.l.1,d.3, q.8. n°%24 et 25—est évidem- 
ment entaché de réminiscences augustiniennes comme il résulte 
du contexte. De l'aveu des néo-thomistes, saint Thomas eut à 
se défendre contre l’augustinisme, incarné notamment dans la 
personne de saint Bonaventure, qui à l’occasion ne se fait pas 
faute de blâmer la tentative de détrôner saint Augustin pour lui 
substituer un philosophe païen.Duns Scot, par contre, est gagné 
à la cause de l’aristotélisme et s’il fait à l’augustinisme une con- 
cession d’ordre purement hypothétique, il n’en faut pas conclure 
à une opposition entre lui et saint Thomas eu égard à l’objet 
proportionné de l'intelligence créée. J’en appelle contre le P. 
Garrigou-Lagrange au P. Garrigou-Lagrange. Et la justification 
de mon appel est dans cette ligne hors texte en confirmation 
de ce que Scot affirme de l'intelligence dans le corps glorifié: (1) 


1) La coordination des facultés, les unes sensibles, les autres inorganiques, n’exis- 
? 


458 A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


« Comme si cela ne pouvait pas être un privilège gratuit de l'état 
glorieux ! À quoi je réponds : a posse ad esse non valet illatio ! 

Comment se fait-il, demande le Subtil, que l'intelligence qui, 
de sa nature, se repaît d'idées pures, se trouve de fait dans la 
dure nécessité de recevoir par les sens l’image sur laquelle elle 
accomplit son extraction de l’universel par abstraction ? Cette 
nécessité, constate-t-il, est un fait érigé à la fixité d’un état. Et il 
entend par état «une permanence stable fondée sur les décrets 
de la Divine Sagesse — stabilis permanentia legibus divinæ 
sapientiæ firmata. « Il a été établi, dit-il, selon les lois de la 
Sagesse supérieure, que notre intellect, ne conçoit présentement 
que les choses, dont l’essence est extraite de l’image sensible, et 
cela, soit en punition du péché originel, soit par suite de l'accord 
naturel des puissances de l’âme eu égard à leurs opérations, en 
ce que nous constatons que deux facultés, l’une supérieure, l’au- 
tre inférieure, s’exercent sur un même objet ; et de fait en nous, 
aucune connaissance de l’universel n’est donnée sinon par les 
images singulières. » À propos de ce passage, je ferai remarquer 
que le P. Garrigou-Lagrange dont la traduction est toute diffé- 
rente (1) : 1° a tronqué le texte, ce qui d’ailleurs ne porterait pas 
à conséquence ; 2° qu’il l’a renversé à sa guise, ce qui dans les 
détails en modifie légèrement le sens ; 3° que c’est mal traduire 
par « coïncidence » le mot concordia, qu’on entendrait difficile- 
ment d’une coordination des facultés vers le même objet de con- 
naissance. 

Mais là où notre néo-pourfendeur de Scot se révèle dialecti- 
cien avisé, c'est quand d’une hypothèse, qui n’engage pas les 
conditions actuelles et permanentes de la connaissance, il conclut 
à l'identification des deux ordres irréductiblement superposés, 
mais non disjoints de la nature et de la grâce. (2) 


tera plus pour nous quand nos corps seront ressuscités glorieux, c’est-à-dire que 
l’âme n'aura plus besoin pour connaitre des images sensibles,sans quoi présentement 
nous ne savons rien de rien. Îci. je rappellerai que, pour l’âme séparée, Duns Scot 
n’admet pas les espèces infuses de saint Thomas, qu'il ne faut pas confondre avec le 
lumen gloriæ. 

(1) Le P. Garrigou-Lagrange pousse la traduction un peu plus loin ; mais il eut 
mieux fait de partir d'un peu plus haut. Avec son procédé, on pourrait tout aussi lé- 
gitimement traiter Scot de platoniste ou de cartésien, surtout si l’on arrive à saisir 
que le mot « coïncidence » dans sa traduction atteint au fond le rapport des facultés 
organiques et inorganiques à l'objet de la connaissance, et par extension, de l'appé- 
tit lui-même, qui est une conséquence naturelle du mode d'union de l'âme et du 
corps. Cette union, d'après Scot, est strictement substantielle. 

{2) Cette accusation mérite d’être relevée. Dieu, dit Scot, est au point culminant 


A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 459 


Et pourquoi cette énorme conséquence ? — Serait-ce pour 
avoir prononcé : ce que nous connaissons le plus parfaitement 
en raison de l’objet proportionné de notre connaissance ce sont 
« perfectiora sensibilia ? » (1) 

Est-ce parce que la fin de Ia référence du P. Garrigou-La- 
grange indique que « l’objet de notre entendement pris isolé- 
ment serait plutôt « quelque chose de commun à tous les in- 
telligibles ? » Faut-il être grand clerc pour comprendre que ce 
quelque chose de commun à tous les intelligibles c’est l’idée 
d’être en tant que non réduisible à la pluralité de concepts — et 
donc l'idée nue d'existant, c’est-à-dire une affirmation mentale- 
ment isolée de la définition ? Au surplus, les néo-thomistes ne 
parlent-ils pas d’un objet formel de la connaissance ? Or cet ob- 
jet formel indique précisément le sens qu’il fallait donner à la 
présente citation. 

Faut-il sur la foi de M. Vacant accepter que la distinction du 


de l’analogie en sa totalité — in summo totius analogiæ — Oxon. 1. IV, d. 48, q.8 
n. 2. — L'homme peut-il connaître Dieu par les seules lumières de la raison ? — 
Oui, en remontant par voie de causalité des effets à la Cause Première. Oxon. I. I, 
d. 3, q. 4.— Peut-il désirer naturellement la vision directe de Dieu ? — Il ne vien- 
drait jamais à l’idée d’un homme, laissé à ses lumières naturelles, d’imaginer que 
cette vision soit possible, et donc, il ne la pourrait convoiter de cette façon. — Oxon. 
1. IV, d. 49, q. 8, n. 3. — Prol. q. 1, n. 11. En soi, cette vision directe, est-elle, tout 
au moins à la portée d’un esprit dégagé de la matière ? —En aucune manière : Deus 
sub propria ratione Deitatis non est præsens alicui intellectui creato, nisi ipse volue- 
rit fieri præsens. Oxon. 1. II, d. 3, q. 9. Cf. Quodl. q. 14, n. 10. — Peut-il, après ré- 
vélation démontrer que cette vision n'est pas, Dieu aidant, impossible ? — Oui, on 
peut démontrer la puissance obédientieile de l'humaine nature.— Oxon.l. IV,d. 40. 
q. 8, n. 2. — Que peut savoir l’homme sacs la lumière de la grâce ? — Tout ce qu'il 
peut: 1° déduire des principes indiscutables par voie de raisonnement; 2° connaître ce 
qui tombe évidemment sous l'expérience des sens; 3° remonter des effets aux causes, 
voire à la Cause Première, et donc, atteindre à une connaissance abstraite de Dieu, 
— Oxon. 1. I, d. 3, q. 4. Peut-il sans la grâce faire et vouloir le bien ? — Non, ce 
serait tomber dans le Pélagianisme Oxon. 1. II. d. 28, n. : — Peut-il tout au moins 
aimer Dieu par dessus tout ? — Non pas, sans un secours au moins actuel. Oxon. 
1. LIT, d. 27, n. 11. — Peut-il sans elle observer la substance des préceptes, mériter 
la vie éternelle ? — Non. Oxon. 1. III, d. 27,1. 11,d.28 Report. 1. IT, d. 28. 1. I, d. 17 
q. 3, n. 209. Peut-il, sans ce secours, se disposer initialement à la justification f Non, 
le semi-pélagianisme est ici visé. Oxon. 1. I, d. 41, n. 5. — Peut-il sans elle sortir 
du péché, l'éviter, se bien comporter, persévérer dans la vertu ? Non. Oxon. I. II, 
d. 28. — Report. ibid. 1, IV, d. 6, q. 10, n. 16.— 1.1, d. 17, q. 2. — d. 3, q. 6, n. 
35. — Est-ce ce qu'on appelle identifier l’ordre de la nature à l’ordre de la grâce ? 
Ajoutons que, prenant la partie négative de la thèse, pour la thèse elle-même, d’au- 
cuns ont interprété Scot d’après les objections qu'il réfute. — Cf. traduction italienne 
de l'Histoire de l’Église du cardinal Hergenrüether, t. IV. p. 416, 417. N'ayant pas 
le texte original sous la main il m'est impossible de vérifier si cette grosse méprise 
est imputable à l'auteur ou au traducteur. (E. Rosa, S. J.) 
(1) Oxon. 1. I, d. 3, n. 363. Quaracchi, 1913. 


460 A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 


surnaturel « dépend d’une détermination arbitraire de Dieu » 
parce que, selon Scot, la création des deux ordres est libre et con- 
tingente ? Je le déclare à contre cœur. — Il y a aux pages 38 et 
39 du dernier article du P. Garrigou-Lagrange, treize lignes qui 
feraient hausser les épaules à un élève de théologie de première 
année. Je n’ai pas à venger la bonne renommée de Vacant, (1) 
Ripalda et Billuart, puisque ces treize lignes ne sont pas mon 
fait. Je ne sais pas ce que diront les lecteurs de la Revue tho- 
miste. Car comment concevoir qu’une entité surnaturelle, la 
grâce par exemple, soit incréable ? Dieu élevant l’homme à une 
fin surnaturelle, — c’est-à-dire en dehors de ce qu’il serait en 
droit d'attendre en vertu de sa destinée naturelle, — lui révèle 
cette fin et le met à même de l’atteindre par le fait qu’il le cons- 
titue en grâce. La notion de surnaturel est d'ordre relatif et, 
par exemple, il serait surnaturel pour un âne de se livrer à une 
conversation sur la désessenciation extrême de l'être. Et ainsi 
créer une entité (2) surnaturelle, en l'espèce la grâce habituelle, 
actuelle sacramentelle ou autre,serait-ce donc réaliser « un Dieu 
créé, un Dieu contingent ? » 

Si c’est sur de pareils raisonnements que l’on entend fonder 
le procès contre le prétendu « contingentisme arbitraire » de 
Duns Scot, 1l va de soi que ce serait leur faire trop d’honneur 
que de les prendre en considération. 


VI 


L'on ferait preuve d’une originalité bien grande si, esquis- 
sant d’une part un éloge enthousiaste de l’admirable sùreté doc- 
trinale de l’Aquinate, on ne déversait pas un peu de sa bile sur 
un émule d'antan. Le KR. P. Garrigou-Lagrange se dérobe diffi- 
cilement à cette tentation et, soit qu'il écrive un article ou qu’il 
relate le fond d’un ouvrage, soyez sûr qu'il saisira volontiers 
l'occasion de dire leur fait à Duns Scot et à Suarez. C'est, d’ail- 
leurs, une manière de témoigner qu'il y a, au ciel d'azur des re- 


(1) L'on se demanderait pourtant et à bon droit : où donc M. Vacant a-t-il puisé 
sa conception inédite des théories scotistes | — Le P. Minges répond : c’est bien 
simple ! M. Vacant n a pas lu Scot. M. M. Rousselot et Huby (Christus, p. 858 et 

75) et F. Janssen (Dict. Vacant-Mangenot,T. 5 col. 1392, 1394), ont-ils réellement 
quelque connaissance des œuvres de Scot ? 

(2) Je dis entité surnaturelle, et non substance, puisque les théologiens paraissent 
inclinés à faire de la grâce un accident et qu'ils ne s'entendent pas sur la nature de 
l'acte productif de la grâce. 


A PROPOS D'ANTINOMIES CONCILIANTES 461 


nommées impérissables, des flambeaux lumineux qu’un sursaut 
de jalouse indignation n'éteint sans doute pas. 

Après la récente et belle étude du R. P. Raymond sur le Mo- 
dernisme et Duns Scot (1) je croirais m’attarder démesurément à 
redresser les falsifications d’un adversaire peut être de bonne 
foi, (2) si je m’engageais avec lui dans le domaine du vouloir. 
Parler de « volontarisme » à propos de Scot, c’est être dupe des 
mots. Une prudence élémentaire commande au préalable l'exposé 
objectif des systèmes sur lesquels on veut essayer une apprécia- 
tion exacte et contorme aux procédés scientifiques. 

Nous ne demandons pas pour Scot une « atténuation » quel- 
conque de ce qu'il a réellement dit et enseigné. L’étude attenti- 
ve et désintéressée de la lettre de saint Thomas et de Duns Scot 
donnera d'elle-même, une conciliation toujours facile quand on 
compare l’un à l’autre deux puissants esprits, qui ayant aimé la 
vérité pour elle-même, l'ont sûrement puisée en ces régions 
sereines que n’assombrissent pas les épais nuages dont s’enve- 
loppe l'esprit incapable de discerner le vrai, sinon par les yeux 
de Socrate ou de Platon. (3) 

S. BELMOND. 


(1) Études franciscaines janvier, février 1913. 

(2) Se réclamer de Cajetan ou de tout autre, vérifier les références, sans se donner 
la peine de les lire dans tout le développement que comporte une interprétation 
exacte, n'est pas une base suffisante pour asseoir ce que l’on voudrait appeler « son 
sentiment personnel. » 

(3) Il nous serait facile, en nous inspirant de la méthode allemande, d’accumuler 
une infinité de témoignages pour prouver : 

1° Que Duns Scot montre la conciliation entre l’univocité et l’analogie dans tous 
ses ouvrages. Oxon. Report. Metaphy, Quod'ibetal. 

2° Que son école l’a constamment interprété comme il convenait, sauf quelques 
exceptions assez peu nombreuses. 


RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÉTE 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 
(1221 — 1238) 


LA PÉNÉTRATION. — Elle se fit par le Brenner. Le point de 
rassemblement avait été Trente. La petite troupe comprenait 
douze clercs et treize frères lais. À sa tête marchaït un allemand, 
le bienheureux Césaire de Spire, et elle comptait plusieurs autres 
frères de cette nationalité. L’un d’eux, Fr. Barnabé, prêchait si 
remarquablement dans sa langue maternelle et en italien qu'il était 
plus apprécié encore comme prédicateur que Césaire de Spire, 
dont cependant un chroniqueur nous affirme que sa parole était 
assez entraînante pour avoir «amené des femmes riches à ne jamais 
s'habiller que simplement » ! Fr. Césaire, soit dit en passant, 
avait été pour cela accusé de manichéisme et la mort par le feu 
avait été réclamée contre lui. Notons aussi qu'il était élève de 
l’Université de Paris,et que Conrad de Reisenberg, le futur prince- 
évêque de Hildesheim avait été son maître. [l avait pris part à 
la croisade d'André, roi de Bohême. Le Fr. Abraham était 
Hongrois. Les italiens, Fr. Jean de Plan-Carpin, Fr. Thomas de 
Celano, Fr. Jourdain de Giano, intelligences fines et profondes, 
rivalisaient de bonne humeur et de gaîté avec le diacre Palme- 
rius. Jean de Plan-Carpin était polyglotte et éblouissant admi- 
nistrateur, Thomas de Celano poète et musicien ; quant à 
Jourdain, né à Giano,en Ombrie, dans ce vallonnement dont les 
rebords dominent Assise vers le sud,quandil sera vieux il prendra 
la plume et contera avec une verve amusante ses campagnes de 
soldat du Christ en Allemagne, dans une chronique dontona 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 463 


dit que ses pages pleines de candeur et de virilité exhalent déjà 
le parfum des Fioretti. Ces hommes, pour me servir des expres- 
sions d’un écrivain protestant, étaient « braves comme des héros 
et simples comme des colombes ». L’un d’eux appartenait à 
l’une des plus illustres familles de Toscane ; il signait : Simon, 
comte de Colazone. 

Cette petite troupe au visage clair, ne marchait pas à l’aven- 
ture. Elle était organisée. Elle avait ses fourriers, des fourriers 
à l'esprit lucide dont le nom sera un jour sur toutes les lèvres, 
des fourriers qui conquerront des mondes, devant lesquels les 
potentats, même ceux de l’Asie lointaine couverts d’or et de 
pierreries, s’inclineront, des hommes éminents par le coup d'œil 
et par le cœur, ce Fr. Jean de Plan-Carpin et ce Fr. Barnabé 
d'Allemagne dont j'ai déjà cité les noms. Ils marchent à l’avant- 
garde. On a dit d’un religieux mort récemment qu’il était impos- 
sible de lui parler pendant plus de cinq minutes sans avoir envie 
de se mettre à genoux devant lui. Fr. Jean, qui devait mourir 
archevêque de cette ville d’Antivari dont on parle tant en ce 
moment, semble avoir été de cette race d'hommes ; les chemins 
s'aplanissaient sous son regard. Il avait conquis à Trente les 
bonnes grâces de l’évêque et du clergé, et Fr. Barnabé celles de 
la foule. Une première recrue vint se joindre à nos vingt-six. 
C'était un riche citoyen de la ville, qui parlait allemand et italien; 
il demanda la permission d’habiller de neuf tous les frères ; puis 
il vendit ses biens, en distribua le produit aux pauvres, et entra 
dans l'Ordre. De vingt-six la petite troupe était montée à vingt- 
sept personnes. 

Le grand obstacle au transit entre l'Italie et l'Allemagne, était 
tout naturellement formé en cette année 1221 dont nous par- 
lons, par les Alpes. La région des sommets constituait entre les 
deux contrées une barrière presqu’infranchissable. Au commen- 
cement du quinzième siècle encore, la traversée de l’Arlberg était 
considérée comme pleine de périls. Au mois d'octobre 1414, 
l’antipape Jean XXIITI se rendant au concile de Constance, y fut 
victime d’un accident qui lui arracha une exclamation bizarre, 
et qui aurait pu avoir les suites les plus graves, Même les mar- 
chands de St-Gall évitaient cette traversée, et prenaient par 
Innsbruck pour rejoindre le Brenner. Le passage par le Simplon 
était encore inconnu. Ce n'est qu’une quinzaine d’années plus 
tard qu'il fait son apparition dans l’histoire. Ce n'est donc que 
par le Brenner que les enfants de saint François avaient des chan- 


464 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


ces de passer sans encombre, et c'est sa trouée qui leur servit 
de point de direction. 

La route de Trente au Brenner, par le fait même qu'elle 
formait l'unique trait d'union entre le monde italien et le monde 
allemand, était alors très fréquentée.C'est par elle que le produit 
des mines de la région du Nord s’acheminait vers les plaines du 
P6 : l'or, l'argent et le plomb de la Moravie, le métal blanc de la 
Saxe, les pépites du Rhin, le cuivre du Mansfeld, l’étain de 
Bohême, les sels gemmes de la Poméranie, les fers du Fichtelge- 
birge passaient par là. En sens inverse les produits plus raffinés 
de la civilisation italienne, les étoffes précieuses, les verreries, les 
épices de l'Orient, gravissaient les côtes en longues caravanes et 
se déversaient dans les vallées du Danube et du Rhin. C'était 
un va-et-vient constant. Des hospices s’élevaient un peu partout 
sous la pression de la charité chrétienne pour servir d’abri aux 
misères que traîne toujours après lui un semblable trafic : il y 
en avait à Trente, à Saint-Nicolas, à Bozen ; tout fait supposer 
que nos Mineurs y demandèrent l'hospitalité, car ils ne semblent 
pas d’abord avoir beaucoup souffert. Mais plus loin les difficultés 
commencèrent : la petite troupe de Fr. Césaire manqua mou- 
rir de faim : « A Brixen, écrit fr. Jourdain, nous nous enfon- 
çàmes dans le massif montagneux et nous arrivâmes à Sterzing 
après le dîner. Comme les habitants ne nous offrirent pas de 
pain et que nous nesavions pas mendier, nous nous remimes 
en route avec l'espoir d’arriver avant la nuit dans un endroit 
où nous serions restaurés pour l’amour de Dieu. Nous arrivâmes 
ainsi à Mittenwald ; là notre pénurie fut si grande que nous 
tempérâmes les morsures de notre faim, ou plutôt que nous les 
rendîmes encore plus aiguës en nous partageant deux petits pains 
et sept raves. Puis nous tinmes conseil pour savoir comment 
nous pourrions calmer les appels de nos entrailles afin de pou- 
voirau moins dormir après l'étape de sept milles que nous venions 
de fournir ; et nous décidämes de boire de l’eau d’une source 
pure qui coulait là, pour nous remplir un peu l'estomac. Le 
lendemain nous nous levâmes affamés et à jeûn et nous reprimes 
notre route; et au bout d’un demi-mille, nos yeux commencèrent 
à se troubler, nos jambes à flageoler, nos genoux à fléchir, et 
nos forces à nous abandonner ; alors, poussés par les angoisses 
de la faim nous cueillimes sur les buissons épineux, sur les 
arbustes et sur les herbes qui poussaient le long de la route, les 
fruits qu'ils portaient. Mais, comme c'était un vendredi, nous ne 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 465 


voulûmes pas rompre le jeûne. Cependant il nous semblait que 
nous étions un peu soutenus par l’idée que nous avions sur nous 
quelques baies et quelques fruits et que, si l'extrême nécessité 
nous y forçait, nous pourrions les manger. Et ainsi, tantôt nous 
arrêtant, tantôt avançant lentement, nous parvinmes difficile- 
ment à Matrey. Et voici que Dieu, auquel le pauvre est confié, 
pourvut avec sollicitude aux besoins de ses pauvres, et qu’à 
l'entrée de la ville deux hommes se présentèrent à nous et nous 
achetèrent deux pains d’un denier ; cependant que pouvaient 
être deux pains pour nous qui étions si nombreux ? Et comme 
c'était alors le temps de la récolte des raves, nous en mendiâmes, 
et nous remplaçâmes par elles le pain qui manquait. Après avoir 
dîné de cette manière, nous nous remîmes en route plus gonflés 
que nourris, et de ferme en ferme, de château en château, de 
monastère en monastère, nous arrivâmes à Augsbourg. » 


AUGSBOURG. — Rien n’est plus touchant que ce que je pour- 
rais appeler le « coup de théâtre d’Augsbourg ». Quand les 
enfants du Poverello y arrivent, hâves, exténués, noircis par 
le voyage et maigris par la traversée des montagnes, l’évêque 
Siegfried III de Rechberg, tombe dans leurs bras, les embrasse, 
les choie, les dorlotte, les confie à son neveu, et celui-ci aban- 
donnant sa maison les y installe à sa place ; en même temps le 
clergé et le peuple leur font fête. À Trente quelques jours aupa- 
ravant, ils étaient vingt-sept ; le seize octobre, à Augsbourg, ils 
sont trente-et-un ; quatre nouvelles recrues déjà sont venues 
grossir leurs rangs. 

Nos villes modernes ont des rues en éventail. Le rôle que ces 
rues jouent dans nos cités, Augsbourg le joua dans l’histoirée de 
nos Mineurs. Elle fut la place d’où ils s'éparpillèrent sur l’ho- 
rizon. Mais tandis que nos rues en éventail viennent toutes buter 
contre le point autour duquel elles s’étalent, Augsbourg le con- 
tinuait par la route romaine qui l’unissait à Venise. 

J'ai déjà fait ci-dessus une première allusion aux relations 
commerciales qui, au treizième siècle, unissaient l’Allemagne et 
l'Italie. Si nous voulons nous rendre compte avec exactitude des 
ressources d’apostolat que les Mineurs trouvaient à Augsbourg, 
et si nous voulons être à même de juger leur conduite ultérieure, 
1l faut déterminer de la manière la plus nette les points où, 
d'Augsbourg, ils pouvaient tendre ; autrement dit, il faut préci- 
ser où menait cet éventail de routes qui, d'Augsbourg, s'ouvrait 


E. F, — XXIX, — 30 


466 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


$ur l'horizon. En un mot: pourquoi nos Mineurs sont-ils venus 
d’abord là et non ailleurs ? 

Un document de 1276 nous l’apprendra. Les principaux 
articles du commerce d’Augsbourg sont à cette époque, nous 
dit-il : l'huile, les figues, le poivre, la soie, les brocards d’or, le 
coton, la verrerie de Murano, — les fourrures, le cuir, la laine, 
le lin, — le fer, le cuivre, le plomb, l’étain, l'argent et l'or. 
C'est-à-dire que, d’Augsbourg on peut aller facilement, au 
moyen de routes suivies quotidiennement par le commerce, aux 
endroits d’où partent toutes ces denrées : huile, figues, poivre, 
soie, fourrures etc. Dès lors nous comprenons pourquoi nos 
Mineurs sont venus à Augsbourg. 

L’huile, les figues, le poivre, la soie, les brocards d’or, le 
coton, la verrerie de Murano, viennent de Venise. C’est le 
manche de l'éventail, la route de l’Adriatique. Sur cette route 
circulent des courriers réguliers qui transportent la correspon- 
dance de la ville épiscopale à la cité des doges et de la cité des 
doges à la ville épiscopale. Par elle, les enfants du Poverello 
restent en rapports journaliers avec la vallée du Pô, avec Padoue 
qu’Antoine va illustrer, avec les petits couvents ensoleillés de la 
Marche d’Ancône, avec le rocher abrupt de l’Alverne, avec la 
plaine lumineuse de l’Ombrie et les oliviers de la Portioncule. 
Ïs reçoivent par là non pas la soie, le brocard et l’or, mais ce qui 
vaut mieux, le parfum, j'allais dire : la suavité d'Assise. Devant 
eux, l'éventail s'étale ; ce sont les routes qui conduisent aux 
pays des fourrures, du cuir, de la laine, du lin, du fer, du cuivre, 
du plomb, de l’étain, de l’argent et de l’or, c'est-à-dire les routes 
par lesquelles leurs pieds porteront de la Russie au Rhin, de la 
Suède à la Hongrie, de la Bohême à la Frise, cette suavité, ces 
joyaux inestimables venus de là-bas : je veux dire : la joie sereine 
et pure dans la très sainte pauvreté, en d’autres termes, le par- 
fum de l'Évangile. Voilà donc ce qu’est Augsbourg pour eux : le 
point d’où diffusera la lumière venue d’Assise, le point aussi où 
elle aboutit. 

De cet éventail de routes, Fr. Césaire n’en utilise d’abord que 
trois ; le 16 octobre il réunit ses frères ; et il en envoie quelques- 
uns vers le sud-est, à Salzbourg ; d’autres vers le nord-est, à 
Ratisbonne ; et enfin il achemine le gros de sa troupe vers 
l’ouest, dans la vallée du Rhin. Ces trois troupes, quel fruit de 
salut vont-elles produire et comment vont-elles les produire ? 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 467 


LA VALLÉE DU RHIN. — Tirez une ligne droite de l’extré- 
mité septentrionale de la mer Adriatique jusqu’à l'embouchure 
de l’Elbe, vous aurez à peu de chose près la frontière orientale 
de l’empire que Charlemagne laissa à ses fils. Vous aurez en 
même temps à peu de chose près l'extrémité orientale de la zone 
de peuplement de la race germanique au début du treizième 
siècle. A l’est de cette ligne vit le slave, le slave dégermanisé, ou 
plus exactement, le slave non germain, le slave païen, le slave 
obstiné dans son paganisme, embourbé dans sa paresse, rêvant 
d’héroïsme, et arrivant péniblement au christianisme, ou n’y 
arrivant qu'à travers le schisme et l'erreur. Ce slave qui parle une 
langue toute différente de l'allemand occupe les trois cinquièmes 
de ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, le germain n’en occupe que 
tes deux autres cinquièmes. Voilà ce qu'il ne faut pas perdre de 
vue si on veut comprendre et la route que nos Mineurs vont 
suivre et l’histoire de leur établissement en Allemagne. 

L'Allemagne, au moment où le Mineur y fait sa première 
apparition, est donc surtout et essentiellement la vallée du Rhin. 
Voilà la donnée fondamentale. où 

Et dans cette vallée du Rhin ce qui commence à tenir la pre- 
mière place au soleil de la vie sociale c'est a ville. Un mot sur 
ce qu'elle était et sur ce qu'elle est alors. 

La ville était un organisme totalement inconnu “de l’ancien 
Germain. Rome avait bien autrefois élevé sur les rives du fleuve 
ou dans son voisinage les bâtisses puissantes de Cologne, .de 
Trèves, de Mayence et de Strasbourg ; mais la vie n’y avait cir- 
culé que peu de ternps. Dès le troisième siècle la stagnation était 
venue ; aux alentours de l'an mil la stagnation est devenue la 
mort. Le concept de cité semble alors avoir disparu dé l'esprit 
du germain. Quand tout-à-coup, au onzième siècle, comme un 
éclair dans la nuit, paraît au cours d’un document ie mot de 
burgensis, bourgeois. Une puissance venait de naître ; le che- 
min suivi depuis près de six siècles par l'humanité, va se bifur- 
quer. | 
Je n'ai pas à rechercher si ce concept de cité avait ou n'avait 
pas dans les siècles obscurs du haut moyen-âge quelque préhis- 
toire ou plutôt je pourrais affirmer que si; mais la ville allemande 
du haut moyen-âge n'était qu’un village fortifié pourvu d’un 
marché.Maintenant, un organisme différent est né. Comment ? 
J1 serait trop long de ke raconter ici ; je ne fais pas l’histoire de 
la civilisation ; je cherche simplement à dégager l'influence que 


468 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


le développement de cette civilisation eut sur les Mineurs et, 
réciproquement, l'influence que les Mineurs eurent sur le déve- 
loppement de cette civilisation. | 

Au onzième siècle paraît donc subitement le mot de bourgeois; 
au douzième le nombre des villes se multiplie avec une éton- 
nante rapidité ; au treizième, elles prennent conscience de leurs 
forces et deviennent une puissance de premier ordre. La Hanse 
ainsi que la Ligue des villes Rhénanes font leur entrée dans le 
monde et la bourgeoisie ne cherche plus son appui qu’en elle- 
même. Elle a maintenant une idée très nette de ce qu'elle est. 

Dès lors tout est changé dans l’ancien état des choses, le cours 
traditionnel de la vie fait place à des occupations nouvelles. 
L'économie purement domestique ou patrimoniale devient 
l’économie politique. L'existence patriarcale du château-fort, de 
l'abbaye, de la ferme isolée, passe au second plan. Le groupe 
sporadique, vivant sur lui-même, où chaque cellule sociale pour- 
voit à ses besoins, se nourrit, s’habille, s’entretient par son acti- 
vité propre, disparaît ; à cet ancien état de choses se substitue 
l’agglomération urbaine et la division du travail. Dans les villes, 
l’industrie naît. On y tisse la laine dans des proportions encore 
inusitées, on y fabrique plus de draps en une année, que la 
veille en dix ans ; en Flandres, le chaussetier ou le bonnetier 
devient une puissance. Partout,on martelle le cuivre, on fabrique 
des meubles, on tourne le bois, on coule le bronze, on travaille le 
fer. L’orfèvre, dans sa boutique, est une sorte de seigneur. Les 
corporations font la loi dans les villes. La démocratie est née. 

Cette démocratie est énorme et multiple : le barbier, le fabri- 
cant d'instruments de musique, le cordonnier, le tailleur, le 
maçon, le brasseur, le boulanger, sont maintenant travailleurs 
libres. Hier, on rasait, on fabriquait des instruments de musi- 
que, on faisait des souliers et des habits comme aujourd’hui ; 
mais ce travail se faisait au château ou à l’abbaye, sous la sur- 
veillance et la conduite d’une autorité constituée. Aujourd’hui le 
travailleur a pour devise : « Ni maître ni valet de personne, libre 
Je SUIS. » 

Pour vous rendre compte de ce qu’était une ville allemande 
au treizième siècle, parcourez les chroniques d’une cité comme 
Cologne par exemple ; les orfèvres, les sculpteurs, les ciseleurs, 
les tisserands, les parcheminiers y abondent. Les tailleurs de 
pierre y grouillent ; c’est parmi eux que Renaud de Montauban 
s'engage pour faire pénitence de ses fautes passées. Les maîtres 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 469 


d'œuvre sont fameux. Tout un monde de sculpteurs, de fon- 
deurs, de tabletiers, de peintres à fresque gravite autour d'eux. 
À cette foule il faut ajouter les verriers, les brodeurs, les tisse- 
rands, les bateliers, les travailleurs du cuir, du fer, de l'étain, 
les cavistes des grands chaix aménagés pour les vins du Rhin, 
les rouliers, les forgerons, les artisans de toute nature qui pul- 
lulaient sur les bords du fleuve, dans le centre de la ville et le 
long des remparts. Ce monde était fantasque, exalté. I] vivait 
dans les rues étroites et sombres de la vieille ville ; avec la liberté, 
tous les maux physiques, intellectuels et moraux de l’humanité 
semblaient avoir fondu sur lui. Le détraquement des esprits 
était incroyable. Pour un compagnon qui réussissait, qui deve- 
nait maître, qui acquérait l’aisance et la renommée, dix coulaient 
aux bas fonds. Tous les vices, toutes les révoltes y germaient. 
L'idée religieuse, quand elle y pénétrait, s’y corrompait, se 
changeait en choses absurdes et abominables. Des maximes 
comme celles-ci y avaient cours : « L'homme parfait n’a besoin ni 
de jeûner, ni de prier. — Il ne doit obéissance ni aux autorités 
constituées, ni aux commandements de l'Église. — S'il avance 
toujours dans la grâce, il peut devenir aussi parfait que Jésus- 
Christ en personne. » Un souffle de folie montait de ces ruelles 
obscures du vieux Cologne ; dans sa dégradation, l'artisan hallu- 
ciné par la misère se croyait Dieu. Et quand la peste éclatait, 
quand soudainement la lèpre multipliait ses ravages, l'anarchie 
se gonflait en vagues qui menaçaient de tout emporter. | 

C'est au milieu de cet enfer sans lumière et sans air, de ce 
tohu-bohu de la misère et de la folie, de ce chaos amorphe, où, 
pour me servir de l'expression d’un écrivain allemand « le vice 
et le crime avaient passé à l’état d'habitude », que les enfants du 
Pauvre d’Assise vinrent s'établir. Ils firent briller d’abord là, 
dans les villes regorgeant d'artisans, et non ailleurs, leur idéal. 
Pourquoi ? 


. SITUATION DES ORDRES RELIGIEUX EN ALLEMAGNE LORS DE 
L'ARRIVÉE DES MINEURS. — Si l’on recherche quelle était la 
situation des ordres religieux d'hommes en Allemagne au mo- 
ment de l’arrivée des Mineurs, voilà ce que l’on constate. 

On v trouve des Bénédictins, des Prémontrés, des Cisterciens, 
des Chartreux, et quelques Ordres secondaires, qui n’ont pas 
d'importance pour le sujet qui nous occupe. 

Ces Ordres avaient rendu à l’Allemagne des services inappré- 


470 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


ciables. Ils y avaient propagé, avec la lumière divine, celles de 
l'intelligence humaine, Tout ce que le Christ avait prêché, tout 
ce que la raison avait conquis dans le domaine du vrai, du bien 
et du beau, ils le lui avaient révélé. A la prédication de l'Évangile 
ils avaient joint le défrichement des terres. Partout où ils s’im- 
plantaient, au milieu des forêts, des landes ou des marais, un 
centre en même temps chrétien et agricole naissait. « Toute 
l’agriculture savante du moyen-ôge, a écrit un historien alle- 
mand, est sortie des églises et des couvents ; de même qu'ils 
étaient des pépinières de vie intellectuelle, ils furent des pépi- 
nières de culture économique ». « Nous appliquons notre zèle, 
écrit un Prémontré allemand du moyen-âge, à l’agriculture, que 
Dieu a créée et ordonnée ; nous, moines, et les convers nos 
frères, nous travaillons en commun avec nos journaliers, chacun 
aussi bien qu'il le peut ; et ainsi nous vivons tous de notre tra- 
vail. » Les abbés eux-mêmes étaient tenus de mettre la main aux 
travaux des champs. 

Ces abbayes avaient partout créé la dignité du travailleur 
manuel. Réhabiliter ne serait pas assez dire : l’ancien germain 
avait horreur du travail. Celui-ci était le fait de l’esclave. Lui, 
l’homme libre, il passait sa vie dans la guerre et dans l'oisiveté. 
Partout où une abbaye se fondait, ce préjugé barbare tombait 
pour faire place à l’activité chrétienne. En même temps les 
plantes et les arbres utiles se multipliaient. « Des moines 
quittaient-ils un de leurs monastères pour en fonder un autre, 
écrit le P. Michael dans sa remarquable Histoire du Peuple 
Allemand, ils emportaient avec eux toutes les espèces de plantes 
de leur maison-mère. De la maison qu'ils venaient de fonder, les 
semences et les pousses étaient, par une nouvelle fondation, 
portées plus loin, puis plus loin encore, et elles parvenaient 
ainsi jusqu'aux limites de l’Europe. Dans leurs pérégrinations, 
les moines découvraient-ils une plante nouvelle, elle recevait 
l'hospitalité dans le jardin du couvent, et y était d'autant mieux 
soignée que les frères s’entendaient aux travaux hydrauliques. 
Du jardin conventuel, la plante nouvelle pénétrait dans les jardins 
des villages voisins. Notez en plus que par l'intermédiaire des 
moines les régions climatiques les plus différentes échangeaient 
leurs produits. C’est par cette voie que pénétrèrent en Allemagne 
les plus fines espèces de fruits de la France et de l’Italie. Ce sont 
des Cisterciens de Morimond, au sud de Toul, qui apportèrent 
dans la province de Cologne la reinette grise qui poussait en 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 471 


abondance aux alentours de leur abbaye. Des bords du Rhin les 
mêmes moines portèrent cette même reinette grise en Thuringe. 
Le fruit fut ensuite amélioré par la greffe. Ainsi naquit un sous- 
genre de la reinette, la pomme de Borsdorf si recherchée des 
amateurs, qui, de la Thuringe où elle avait vu le jour dans la 
ferme abbatiale de Borsdorf, fut portée par les moines à Leubus, 
une de leurs filiales, et de là en Silésie eten Pologne. » 

Le zèle intelligent que je viens de relever dans la propagation 
de l’arboriculture fruitière, je pourrais le montrer dans toutes les 
autres branches de l’activité rurale. Partout l’abbaye bénédictine 
remplit son double apostolat : faire de l’homme un chrétien et 
propager dans le monde le patrimoine de la science humaine. 
C’est l’abbé bénédictin d'Admont en Styrie qui pose les prin- 
cipes de la silviculture et qui met le premier en lumière le rôle 
économique de la forêt. Ce sont les cisterciens de l’Est qui les 
premiers en Allemagne commencent la lutte contre le marais. 
« Au bout de quelques générations, écrit un auteur allemand, 
un désert habité par des Cisterciens devenait une contrée floris- 
sante couverte de villages. » Partout le couvent était l’orme 
auquel vient se marier la vigne du Seigneur. Partout le premier. 
travail de défrichement, le travail dur et ingrat par excellence, 
était fait par des moines. La civilisation chrétienne naissait 
ensuite tout autour sous forme de bourgs, de villages et de 
fermes. Le « pays de l’épouvante et de la solitude sauvage » 
devenait sous la main du moine celui de la paix, du travail et 
de la vie civilisée. | 

Mais tous ces bienfaits deviennent insuffisants du jour où la 
cité naît. L'ouvrier des villes, lui, n’a aucun rapport avec ce 
Bénédictin, ce Cistercien, ce Prémontré qu’il connaît à peine de 
nom. Ïl ne l’a jamais vu, il ne subit en rien son influence bien- 
faisante. La reinette, la pomme de Borsdorf, le marais et la forêt 
ne sont qu'un vain mot pour lui. L'abbaye s'élève loin des villes, 
dans la campagne, dans un vallon, dans un pli deterrain. Il 
l'ignore. Flle a été créée à un moment où Jui, l’ouvrier, n’exis- 
tait pas ; elle répondait à des besoins auquel lui, l’ouvrier, est 
étranger ; elle a été, elle est encore, un foyer de vie spirituelle et 
de civilisation ; mais ses rayons n'arrivent pas jusqu’à lui. Lui, 
il claque des dents, de misère, au fond de sa ruelle obscure, 
privé de tout secours religieux. Personne n’est près de lui pour le . 
soulager ou pour lui rappeler les huit béatitudes. Ou bien, s’il 
arrive au bien-être, il se laissera aller à l’orgueil, à la convoi- 


472 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


tise, à la bestialité. En un mot, il erreau milieu d’un état de 
choses nouveau, à l'aventure, comme une bête privée de raison. 
Car personne ne s'occupe de son âme. 

C’est parce que personne ne s'occupe de lui, — de lui qui forme 
aujourd'hui la masse la plus nombreuse de l’humanité rachetée 
par le sang de Jésus-Christ et qui, en même temps, pourra deve- 
nir le plus ferme soutien de l'Eglise, — c’est parce qu'aucun 
organe n’aencoreété créé pour vivifier cette masse aussi amorphe 
que redoutable, — c'est à cause de cela que le Mineur fera 
d’abord la conquête des villes. Et comme les villes s'élèvent dans 
la vallée du Rhin, d’Augsbourg il se rendra dans la vallée du 
Rhin. 


LA CONQUÊTE DES VILLES. — La conquête se fit d’abord par 
contact. Lorsque les fils du Poverello y firent briller leur idéal, 
toutes les bizarreries religieuses qui pullulaient dans les bas-fonds 
des cités rhénanes se dissipèrent comme des oiseaux de nuit 
fuient aux premiers rayons du soleil levant. Car ces bizarreries 
n'étaient au fond, que le produit d’un besoin d’idéal. Dès qu'on 
présenta aux âmes la nourriture saine dont elles avaient besoin, 
elles abandonnèrent le met douteux ou frelaté. L’épuration fut 
instantanée. L'ob$curité se dissipa comme l’ombre où jaillit un 
flambeau éblouissant. Tout s’assainit ou s’améliora. On n'ins- 
talle; pas quelque part les lumières de l'Evangile sans qu'il en 
résulte quelque bien. Tout prit un aspect plus clair. L’horizon 
devint net. L’abime creusé entre la religion et ces humbles se 
combla instantanément, car le Mineur vivait avec le peuple. « Ce 
n'est pas pour construire des couvents que François avait en- 
voyé ses disciples en Allemagne » écrit éminemment le P. Patri- 
cius Schlager dans sa Contribution à l'histoire de la Province 
franciscaine de Cologne. Et six siècles avant lui Jourdain de 
Giano avait donné ou à peu près cette définition du couvent tel 
_ que l’entendaient les premiers apôtres franciscains d'Allemagne : 
« Une maison bâtie le plus près possible de l’eau, pour qu'on 
puisse aller s’y laver les pieds.» Près de l’eau, mais au milieu du 
peuple. : 

Vivant avec le peuple, restant avec lui en contact continuel, le 
Mineur s'était, du premier coup, proclamé l’apôtre de cette 
force nouvelle qui montait à l'horizon, le prolétariat. 

En face de ce prolétariat, les anciens ordres religieux, ces 
grands bienfaiteurs de l'humanité, apparaissaient presque forcé- 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 473 


ment, par une cruelle ironie des chosès, comme une puissance 
hostile. Ils avaient défriché, cultivé, mis en valeur, des étendues 
immenses de déserts. Et maïntenant ces propriétés illimitées 
rendaient à peu près impossible aux petites gens l'accession à la 
propriété. Du coup, ils devenaient l’ennemi. 

Au lieu de vivre au milieu d’un vaste domaine, le Mineur, 
lui, vivait dans la ruelle empestée, porte-à-porte avec le débar- 
deur et avec le rinceur de bouteilles ; et quand le débardeur et 
le rinceur de bouteilles avaient la variole ou la peste, le Francis- 
cain le soignait. Bientôt :il se trouva le bienfaiteur d’une 
foule de braves gens, de toute une poussière humaine qu’on ne 

s'était que trop souvent contenté jusque là de fouler aux pieds. 
Et du coup, il était populaire ; car la rue, au moyen-âge, était 
un organe de circulation d'idées et d’affections bien autrement 
vivant qu'aujourd'hui et la fraternité de la place phoque n y 
était pas alors un vain mot. 

Et puis, surtout,le Mineur apportait à tous ces humbles la con- 
ception évangélique de la vie, la sérénité de l’âme, la paix du 
cœur, les béatitudes qui donnent le royaume et une énergie 
de renoncement si vraie, si loyale, si éloignée de toute com- 
plaisance personnelle, de toute illusion passionnelle, qu’au 
bout de peu d’années toute la vallée du Rhin se couvre de 
maisons franciscaines. Mayence, Worms et Spire ont des enfants 
du Poverello dès 1221. Ces trois villes sont les filles aînées des’ 
Mineurs d’Augsbourg. Le poste religieux de Mayence com- 
mande la vallée du Mein jusqu’au Fichtel-Gebirge. Worms et 
Spire assurent la conquête spirituelle du Rhin, porteur d’hom- 
mes et de choses. Grâce à lui, le va-et-vient est facile ; et bientôt, 
quand Cologne à son tour aura été occupée par la petite troupe 
des disciples d'Assise, et que la pénurie en prêtres sera telle qu’un 
seul prêtre — un simple novice — sera chargé des besoins spiri- 
tuels des résidences de Worms et de Spire, ce prêtre unique 
pourra officier aux grandes solennités tantôt dans l’une, tantôt 
dans l’autre de ces deux villes et suffire dans toutes les deux aux 
confessions des religieux. Cologne bientôt occupée, devient rapi- 
dement le centre de gravité de l'Ordre sur le Rhin. Ses relations 
commerciales sont immenses. Elle envoie en Angleterre ses vins 
et ceux de la Moselle, elle en rapporte des peaux et des laines, 
de l’étain, du cuivre, du fer et du plomb. Le papier vient de 
France ; par Vienne elle prend contact avec la mer Noire et avec 
Orient. Son monde d'ouvriers fournit aux Mineurs une matière 


476 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


mettre moins d'opposition, il y a divers groupements. Nous 
voulons présenter aux lecteurs des Études Franciscaines un de 
ces groupements, le principal peut-être. 11 a son centre de publi- 
cation à la librairie Beauchesne, et propose ses œuvres en deux 
séries : Bibliothèque de théologie historique, et Études de théo- 
logie historique. Les derniers travaux parus méritent de fixer 
l'attention. 


La théologie de Saint Paul, par le P. Prat S. J. 
Deuxième Partie 


Ce volume termine une œuvre depuis longtemps sur le chan- 
tier — le premier volume date de 1908. — II propose une Théo- 
logie de saint Paul, c’est-à-dire la synthèse du dogme chrétien, 
telle que l’a conçue l’Apôtre. 

‘ L'auteur présente les enseignements de saint Paul sur les dif- 
férents points du dogme, mais il s'attache surtout à en montrer 
l'unité et l’enchaînement harmonique. Le titre : Conception 
Paulinienne d'ensemble sur le Christianisme, traduirait bien la 
matière du présent volume. | 
. Le P. Prat établit une thèse; et, s’il était permis d'emprunter 
une formule chère aux hétérodoxes qui sont à la recherche des 
Essences du Christianisme, cette thèse devrait être intitulée. : 
l’'Essence du Paulinisme. Ce ne. 

. Le livre 1* traite cette question fondamentale: Après. AVOIL 
rappelé les conceptions variées des adversaires, indiqué les dif- 
férentes écoles et les: diverses tendances ;: après avoir montré 
comment ori a essayé, surtout en ces derniers temps, d’opposer 
« Paut et Jésus », le P. Prat s'applique à définir à son tour le 
Paulinisme, p. 40. « Nos recherches, dit-il, nous conduisent 
toujours au même résultat : l'Évangile de Paul, autrement dit le 
Mystère de Dieu, le Mystère du Christ, le Mystère de l'Évangile, 
ou simplement le Mystère, c’est dans sa formule la: ‘plus large.et 
la plus précise le Mystère de la Rédemption des hommes par le 
Christ et dans le Christ. » 

-. Dans la. pensée de saint Paul, il y a donc une idée es le 
Christ : tout converge de ce côté, tout part de là, tout y ramène. 
Le Christ est le milieu, le HAE et le terme de tout, dans 
l'ordre naturel et dans l’ordre surnaturel ; tout est en ‘lui, tout 
est pour lui; tout est par lui. : 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 477 


La théologie Paulinienne n'est ni « Anthropocentrique, ni 
que mais Christocentrique ». 

Ce point est fort bien établi par l’auteur : le pivot central de la 
Théologie Paulinienne est le Christ. Mais le Christ peut être con- 
sidéré sous divers aspects. Quel est l’aspect sous lequel le con- 
sidère Paul, quand il en fait le centre de sa synthèse théolo- 
gique ? p. 40. | | 

« Jésus-Christ : tel est le thème général de sa prédication : 
Jésus-Christ crucifié : tel est le sujet spécial. » Et ce sujet est 
complexe. D'abord, la croix n’est pas séparée de la résurrection, 
elle forme avec elle un seul tout. Le Christ, centre de la Théo- 
logie Paulinienne, est donc inséparablement le Christ mort et 
ressuscité. Bien plus, la mort et la résurrection de Jésus-Christ 
ne lui sont pas strictement personnelles : tout chrétien doit 
mourir et ressusciter en lui et avec lui. 

Dès lors, la formule qui exprimera adéquatement le centre de 
la Théologie Paulinienne, ou si l’on préfère, l’essence du Pauli- 
nisme, sera la suivante : Jésus-Christ, dans sa mort et dans sa 
résurrection, — considéré non pas individuellement, mais en 
tant qu'il est notre chef, dans lequel nous mourons et ressus- 
citons. Cette idée complexe est synthétisée par saint Paul en un 
sul mot, qui revient à chaque instant dans ses écrits : ” 
Christo Jen 

Voilà, d'après l’auteur, l’idée et le mot qui contiennent la  … 
thèse théologique de l’Apôtre, et c’est sur ce pivot que gravitera 
tout l’enseignement Paulinien : le Père Prat va nous le montrer, 
mais nous ne pouvons suivre ici le savant exégète que dans une 
sèche analyse. 

Le livre [1° Préhistoire de la Rédemption, étudie l'homme au 
point de vue naturel, d’abord, puis, au point de vue historique : 
entendez par là, la nature humaïne sous l'empire du péché. — 
Le Père prend l'initiative de la délivrance ; il prépare le salut, 
d’abord par la loi de nature, puis, par l’ère des promesses, enfin 
par le règne de la loi. Mais toutes ces étapes ne sont que provi- 
soires : avec le Christ, voici la Plénitude des temps. 

Les ITI° et IV: livres étudient le Christ et son œuvre. Il est 
préexistant, il est Seigneur, il est Dieu. Saint Paul précise ses 
relations, soit dans l’intime de la vie divine, soit avec l'extérieur. 
Mais il s’est aussi fait véritablement homme, et voici son œuvre: 
Envoyé divin, il est nouvel Adam, et il nous sauve, comme le 
premier Adam nous avait perdus ; il nous sauve par sa mort 


474 _ RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


d'apostalat de richesse inépuisable; et en même temps ses rela- 
tions commerciales leur font entrevoir au delà de la vallée du 
Rhin. un champ illimité de missions dans lequel ils vont bientôt 
s'élancer. 

Ainsi le Rhin était l'artère vitale du nouveau domaine spiri- 
tuel des Mineurs. Bientôt ils explorent aussi ses affluents et 
Strasbourg reçoit une de leurs colonies. Dès 1223 Trèves est 
occupée, puis Luxembourg. Déjà Salzbourg est un centre 
d'action franciscaine et, sur le Danube, Ratisbonne avec ses 
immenses ressources. L'Ordre déborde aussi sur la Lorraine. 
Coup sur coup, avec une rapidité foudroyante Metz, Bois-le- 
Comte, Bruxelles, Louvain, tombent aux mains des enfants du 
Pauvre d'Assise, Saint-Trond et Malines suivent. Partout 
« le conseil et le peuple rivalisent pour combler les Mineurs de 
bienfaits ». Toute la rive gauche du Rhin est couverte de rési- 
dences franciscaines. 

. I 'est clair que les Mineurs viennent de travailler pour le 
Seigneur avec un zèle et une habileté merveilleuse. Ils ont du 
premier coup saisi le cœur même de la nation. Leur succès 
tient du prodige. Dès le premier chapitre provincial tenu à Spire 
en 1222 leur nombre est si grand que l’évêque met sa cathédrale 
à leur disposition, Le monde semble tomber à leurs pieds. Nul 
ne leur résiste. Pourquoi ? Ils ont, avec une perspicacité 
incroyable, deviné l'endroit précis où ils devaient porter leurs 
premiers coups, le prolétariat naissant de la vallée du Rhin. 
Mais est-ce tout ? Et tout dans leur succès s’explique-t-il par ce 
seul fait? Évidemment non. Continuons donc l'étude sommaire 
de leurs conquêtes. . . 


(A suivre.) H. MATROD. 


BULLETIN 
DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


MONOGRAPHIES THÉOLOGIQUES 


La science théologique subit, à notre époques une véritable 
transformation. Depuis quelque temps déjà, la scolastique faisait 
large part, dans l’enseignement des Séminaires, à la théologie 
positive, — trop large part, peut-être ; le manuël de: M. Tan:- 
querey, par exemple, qui par ailleurs a de réels mérites, ét eat 
devenu, au. moins pour là France, lé: vade-mecum du Clergé, 
sacrifie vraiment trop l'étude des cpinions et des É coles ul 
logiques. 

Quoiqu’il en soit, bo connaissance de la théologie ee est 
devenue nécessaire, mais elle rencontre chez Îles catholiques, 
une double difficulté : d’une part, les attaques des hétérodoxes. 
Acculés au point de vue philosophique à des invraisemblances, 
ils ont trouvé bon d'orienter leurs travaux vers les données trop 
inexplorées de l'histoire. D’autre part, l'étendue, on pourrait dire 
limmensité de la tâche. Le nombre des œuvres à dépouiller est 
énorme, il augmente chaque jour des nouvelles découvertes de 
nos érudits ; il faut critiquer la valeur des textes, il faut en faire 
une exégèse minutieuse : c'est là une tâche considérable, qui 
ne peut être conduite à bien, que par des études PSE 
de détail. 

Les catholiques l'ont compris, et avallenr ce: aussi voit- 
on paraître, depuis quelques années, une belle efflorescence de 
monographies théologiques. + 

Ces travaux éclosent sous l'influence de tendances variées. : il 
y a diverses écoles, ou si on préfère un mot qui a l'avantage de 


476 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


mettre moins d'opposition, il y a divers groupements. Nous 
voulons présenter aux lecteurs des Études Franciscaines un de 
ces groupements, le principal peut-être. 11 a son centre de publi- 
cation à la librairie Beauchesne, et propose ses œuvres en deux 
séries : Bibliothèque de théologie historique, et Etudes de théo- 
logie historique. Les derniers travaux parus méritent de fixer 
l'attention. 


La théologie de Saint Paul, par le P. Prat S. J. 
Deuxième Partie 


Ce volume termine une œuvre depuis longtemps sur le chan- 
tier — le premier volume date de 1908. — II propose une Théo- 
logie de saint Paul, c’est-à-dire la synthèse du dogme chrétien, 
telle que l’a conçue l’Apôtre. 

: L'auteur présente les enseignements de saint Paul sur les dif- 
férents points du dogme, mais il s'attache surtout à en montrer 
l'unité et l’enchaînement harmonique. Le titre : Conception 
Paulinienne d'ensemble sur le Christianisme, traduirait bien la 
matière du présent volume. 

. Le P. Prat établit une thèse; et, s’il était permis d'emprunter 
une formule chère aux hétérodoxes qui sont à la recherche des 
Essences du Christianisme, cette thèse devrait être intitulée : : 
l’'Essence du Paulinisme. és 
. Le livre [® traite cette question fondamentale. Abrés AVOIL 
rappelé les conceptions variées des adversaires, indiqué les dif- 
férentes écoles et les diverses tendances ;' après avoir montré 
comment on a essayé, surtout en ces derniers temps, d'opposer 
« Paul et Jésus », le P. Prat s'applique à définir à son tour le 
Paulinisme, p. 40. « Nos recherches, dit-il, nous conduisent 
toujours au même résultat : l'Évangile de Paul, autrement dit le 
Mystère de Dieu, le Mystère du Christ, le Mystère de l'Évangile, 
ou simplement le Mystère, c’est dans sa formule la plus large et 
la plus précise le Mystère de la Rédemption des hommes par le 
Christ et dans ke Christ. » ., 
- Dans la pensée de saint Paul, il y a donc une idée mère : le 
Christ : tout converge de ce côté, tout part de là, tout y ramène. 
Le Christ est le milieu, le principe et le terme de tout, dans 
l'ordre naturel et dans l’ordre surnaturel ; tout est en lui, tout 
est pour lui, tout est par lui. 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 477 


La théologie Paulinienne n'est ni « Anthropocentrique, ni 
Théocentrique, mais Christocentrique ». 

Ce point est fort bien établi par l’auteur : le pivot central de La 
Théologie Paulinienne est le Christ. Mais le Christ peut être con- 
sidéré sous divers aspects. Quel est l’aspect sous lequel le con- 
sidère Paul, quand il en fait le centre de sa synthèse théolo- 
gique ? p. 40. | | 

-« Jésus-Christ : tel est le thème général de sa prédication : 
Jésus-Christ crucifié : tel est le sujet spécial. » Et ce sujet est 
complexe. D'abord, la croix n'est pas séparée de la résurrection, 
elle forme avec elle un seul tout. Le Christ, centre de la Théo- 
logie Paulinienne, est donc inséparablement le Christ mort et 
ressuscité. Bien plus, la mort et la résurrection de Jésus-Christ 
ne lui sont pas strictement personnelles : tout chrétien doit 
mourir et ressusciter en lui et avec lui. 

Dès lors, la formule qui exprimera adéquatement le centre de 
la Théologie Paulinienne, ou si l’on préfère, l'essence du Pauli- 
nisme, sera la suivante : Jésus-Christ, dans sa mort et dans sa 
résurrection, — considéré non pas individuellement, mais en 
tant qu'il est notre chef, dans lequel nous mourons et ressus- 
citons. Cette idée complexe est synthétisée par saint Paul en un 
sul mot, qui revient à chaque instant dans ses écrits : Zn 
Christo J'esu. 

Voilà, d'après l’auteur, l’idée et le mot qui contiennent la syn- 
thèse théologique de l’Apôtre, et c’est sur ce pivot que gravitera 
tout l’enseignement Paulinien : le Père Prat va nous le montrer, 
mais nous ne pouvons suivre ici le savant exégète que dans une 
sèche analyse. 

Le livre [1° Préhistoire de la Rédemption, étudie l’homme au 
point de vue naturel, d’abord, puis, au point de vue historique : 
entendez par là, la nature humaine sous l'empire du péché. — 
Le Père prend l'initiative de la délivrance ; il prépare le salut, 
d’abord par la loi de nature, puis, par l’ère des promesses, enfin 
par le règne de la loi. Mais toutes ces étapes ne sont que provi- 
soires : avec le Christ, voici la Plénitude des temps. 

Les ITI° et IVe livres étudient le Christ et son œuvre. Il est 
préexistant, il est Seigneur, il est Dieu. Saint Paul précise ses 
relations, soit dans l’intime de la vie divine, soit avec l'extérieur, 
Mais il s’est aussi fait véritablement homme, et voici son œuvre: 
Envoyé divin, il est nouvel Adam, et il nous sauve, comme le 
premier Adam nous avait perdus ; il nous sauve par sa mort 


478 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


rédemptrice, laquelle nous réconcilie avec Dieu, et anéantit nos 
ennemis. À noter que l’Apôtre range parmi ces ennemis, non 
séulement la mort, la chair et le péché, mais encore la Loi 
Mosaïque elle-même. 

Les livres V: et VIe décrivent les canaux et les fruits de la 
Rédemption. Les canaux sont la foi, qui est le principe de la 
justification, les sacrements, qui en sont l'instrument, et l’Église, 
organisme constitué, pour donner la foi, la conserver et l’étendre 
par les sacrements. Les fruits sont la Vie chrétienne, produisant 
sur la terre une transformation sociale, familiale et individuelle, 
en attendant les transformations eschatologiques finales. 


*# 
* * 


Il y a vraiment, dans ce plan général, une belle synthèse, et 
cette synthèse correspond bien à l’ensemble de l’enseignement 
Paulinien. La manière d’ailleurs dont la présente le P. Prat, 
témoigne d’une étude approfondie, et d’une connaissance vrai- 
ment extraordinaire du texte de l’Apôtre. 

Et pourtant, n’y aurait-il point une lacune dans cette syn- 
thèse : il est si difficile de synthétiser, quand on n’a pour base 
que des pièces séparées, où l'auteur a donné sa pensée par 
fragments, au gré des occasions et des PIÉOÉSNRARORS de ses 
correspondants ! | 

Or, un point de l’enseignement Paulinien, et un point qui ne 
semble pas accessoire dans k Fe de l’Apôtre semble avoir 
échappé au P. Prat. 

Est-ce que vraiment, en effet, le Christ est toujours conçu par 
saint Paul en fonction de la Rédemption? exclusivement en fonc- 
tion de la Rédemption ? — Nous allons émettre ici une idée qui 
n'est pas entrée encore dans la mentalité de tous les théologiens, 
et C’est sans doute ce qui excuse le P. Prat; certains textes 
pourtant, devaient l'amener sous sa plume. La fonction du 
Chnist-Fête est-elle ‘exclusivement en saint Paul une fonction 
soteriologique ? J'avoue que le livre du savant jésuite, m'a de 
plus en plus convaincu du contraire. 

- Ne dit-il pas en effet, p. 133 : « Quelquefois nous les 
perspectives se reculent, le plan divin s'étend à l’universalité des 
êtres, et la créature converge toute entière vers l'humanité du 
Christ. » Voilà précisément l'interprétation toute naturelle du 
texte /nstaurare omnia in Christo. Pourquoi alors chercher de 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 499 


ce mot des interprétations comme celles-ci : réunir les différentes 
parties de l’univers que le péché avait séparées, — ou le Christ 
résume les figures de l’Anciëénne alliance, — ou encore le Christ 
est l’abrégé de toute la création. Ne semblet-il bas bien plus 
naturel de voir dans l'Instaurare omnia in Christo cette belle 
pensée : Le Christ, c’est-à-dire le Verbe Incarné, est le centre de 
toute l’œuvre divine ad extra. 

Les explications techniques de la note F. p. 132 ne sont point 
du tout faites pour infirmer cette interprétation. L'auteur donne 
entre autres, parmi les traductions de l'Znstaurare celle-ci de 
saint Chrysostome: « Dieu nous a révélé le secrèt dessein qu’il se 
proposait d'exécuter à la plénitude des temps, de donner à toutes 
choses un couronnement dans la personne du Christ. » Peut-on 
trouver meilleure formule pour exprimer la thèse de la Primauté 
absolue ? | 

Notons encore que l'expression Paulinienne : Premier-né de 
toute créature, s’interprète beaucoup mieux de l’humanité que 
de la divinité. Elle s’interprète de l’humanité, non sans doute 
pour aboutir à une humanité préexistante, seule. hypothèse 
supposée par l’auteur, mais à une humanité prévue de Dieu, 
voulue par lui avant tout, et voulue comme un centre vers AE és 
tout converge. 

Le Père Prat lui-même, après avoir nn toutes les formu- 
les de saint Paul relatives ‘à la Primauté du Christ, arrive ‘à ‘en 
faire l’aveu, p. 215 : « Tout est pour lui à un double titre : et 
parce que la création est son œuvre, et parce que Dieu, embras- 
sant du regard l’ensemble de ses conseils, rattachait d'avance à 
son Fils par un lien spécial de finalité, le ronde e la : nature et 
le monde de la grâce. 

Nous en sommes pleinement convaincus, et la savante étude 
du P. Prat a confirmé notre conviction, saint Paul a conçu le 
Christ comme le fondement de tout, comme possédant une pri- 
mauté qui n'est point accessoire, mais qui est au contraire le 
pivot et le centre de toute l’œuvre divine ad extra. 

Sans doute, le Christ est aussi Rédempteur, la Rédemption 
par la croix nous parle au cœur d’une manière spéciale, et saint 
Paul, nous le reconnaissons volontiers, a surtout prêché Jésus- 
Christ rédempteur : Jesum Christum, et hunc crucifixum. » Le 
Christ lui est apparu sur sa croix comme le principe transforma- 
teur de l'humanité pécheresse. Mais si le Christ Rédempteur ‘est 
le centre de la prédication Paulinienne, et un point fondamental 


480 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


de sa théologie, il n’en est pas l'essence, car il ne l’épuise pas. 
De nombreux textes débordent ce cadre, et font entrevoir assez 
clairement dans la pensée de l’Apôtre un Christ transrédempteur 
pour qu’il soit impossible de n’y point faire allusion dans une 
théologie de saint Paul. | 

En saint Paul, comme d'ailleurs en toute l’Ecriture, le Christ 
est le centre de l'œuvre divine ; il est rédempteur, c’est vrai, — 
et cet aspect de sa mission, aspect tout de miséricorde, nous 
frappe comme il a frappé saint Paul, il influence la prédication 
chrétienne, comme il a influencé la prédication du grand apôtre ; 
— mais le Christ n'est pas exclusivement Rédempteur « Zn ips0, 
nous dit saint Paul,condita sunt universain cœlis et in terra»; il 
est, dans la pensée et Fintention divines, indépendamment de 
la Rédemption, le chef des hommes et le chef des anges, il est 
le centre de toute l’œuvre divine ad extra. 

Les Études Franciscainesdevaientfairecetteréserve sur la thèse 
du P. Prat. Nous ne pouvons suivre maintenant le savantexégète, 
dans l'étude des doctrines Pauliniennes sur les différents points 
de l’enseignement chrétien : partout nous trouverions une recher- 
che consciencieuse, une interprétation savante, une admirable 
clarté. 

Signalons au passage : la Divinité de Notre Seigneur, au livre 
J1I.ch. I; — la Rédemption : saint Paul la base sur le principe 
de la solidarité, avec le triple aspect de rachat, de substitution 
pénale, et de satisfaction ;. la Résurrection y joue un rôle non 
moins que la Mort. 

Signalons encore l'étude de la justification et des sacrements 
d’après saint Paul ; la conception Paulinienne de l'Eglise corps 
mystique du Christ, etc. 

Chacun des chapitres du P. Prat sera une mine pour le théo- 
logien qui voudra connaître l’enseignement du grand apôtre sur 
chaque point de notre dogme. Il y trouvera, non pas une expo- 
sition détaillée, mais des séries d'indications et d’énumérations 
sommaires, serrées les unes contre les autres, débordant dans 
des notes d’une exégèse serrée, dans des appendices condensant 
en quelques pages la matière de véritables traités. 

Car tout est dense et serré en ce gros volume. Le Père Prat 
rit lui-même de la remarque qui lui en a été faite pour le premier 
volume, et il se demande si elle contient un reproche ou un 
compliment. Certes, la même remarque est à faire pour ce second 
volume ; mais nous laisserons au lecteur du P. Prat le soin de 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 4ëx 


décider s’il faut la tourner en reproche où en faire un compli- 
ment. 


Nestorius et la Controverse Nestorienne, 
par Martin Jugie, des Augustins de l'Assomption.-Paris 1912. 


Le sous-titre de ce livre ne doit pas être pris pour une expli- 
cation adéquate du titre ; et puisque le vocable est universelle- 
ment admis aujourd’hui, il eût mieux valu intituler cet ouvra- 
ge : la Théologie de Nestorius. 

Il y a, en effet, deux parties distinctes dans le volume du 
P. Jugie : la première traite des questions qu’évoque naturelle- 
ment à l’esprit le nom de Nestorius, et c’est à celle-là que con- 
vient le sous-titre : La controverse Nestorienne. La seconde 
partie étudie les autres points de la théologie de Nestorius. 
Cette seconde partie, notons-le tout de suite, est une nouveauté, 
et une heureuse nouveauté. L'auteur en fait la remarque dans 
sa conclusion, p. 289. « Si jusqu’à ce jour, c’est surtout l’héréti- 
que qui a attiré l'attention, le présent ouvrage, nous l’espérons, 
fera ouvrir aussi les yeux sur le témoin de la tradition, et si 
quelque rayon de gloire en doit rejaillir sur le front du condam- 
né d’Ephèse, nous aurons l'esprit assez large et le cœur assez 
bon pour ne pas nous en attrister, car cette sorte de réhabilita- 
tion lui viendra de la vérité. » 

C'est ainsi que l’auteur trouve en Nestorius, un bon histo- 
rien des hérésies Christologiques. L’Arianisme qui faisait du 
Christ un Dieu créé et une nature humaine incomplète, — le 
Monophysisme soit par absorption de la divinité dans l’hu- 
manité, soit par absorption de l'humanité dans la divinité, — 
l’Apollinarisme qui pour expliquer l’union supprimait l’âme 
raisonnable, — sont exposés fort nettement, et la chose se con- 
soit, puisque Nestorius exagérait dans le sens de la division. 
L'erreur de Paul de Samosate l’embarrasse davantage; la doctrine 
de cet hérétique se rapprochait tant de la sienne ! Elle consistait 
à n’affirmer dans le Christ qu’une union morale au sens large. 
Il essaye de distinguer son enseignement de celui de Paul, mais 
il n’y arrive qu'imparfaitement. 

Sur la Rédemption, Nestorius enseigne substantiellement la 
doctrine catholique. Il parle bien de Rédemption exemplaire, 
mais pour lui, ce caractère n'est pas exhaustif, comme il l'était 
pour Pélage, de l’idée et de l’œuvre de la Rédemption. 


E. F. — XXIX, — 31 


482 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Le P. Martin Jugie expose ainsi la doctrine de Nestorius 
p. 220. « Par la désobéissance du premier homme, la nature 
humaine toute entière a contracté une dette vis-à-vis de Dieu. 
Comme elle était insolvable, Dieu a porté contre elle une senten- 
ce de condamnation. ensuite de quoi elle est devenue sujette du 
démon. Nouvel Adam, le Christ est venu payer notre dette à la 
Justice Divine, et nous enlever ainsi très justement à la domina- 
tion de Satan. » | 

Nestorius enseigne bien ici la satisfactio Vicaria, et sur la 
théorie des droits du Démon, il se rattache à la théorie mitigée 
des Anthiochiens, la théorie de l'abus de pouvoir. 

Malheureusement son erreur Christologique vient déparer des 
données jusque là si exactes. Le Rédempteur n’est pas le Verbe 
lui-même, mais la personne humaine moralement unie au Verbe. 

Au sujet de la grâce, on a accusé Nestorius de Pélagianisme ; 
il aurait été imbu de cette doctrine par son maître, Théodore 
de Mopsueste. Le Père Martin Jugie prend à tâche de le déga- 
ger de cette accusation. Il donne des raisons historiques, mais il 
s'applique surtout à le prouver par les textes. Il nous montre 
Nestorius prêchant qu’Adam portait en lui l’image de Dieu, 
image consistant pratiquement en une parfaite soumission de sa 
volonté à la volonté divine. Le péché a détruit cette image, mais 
nous la recouvrons par le Christ. Il n’est point question explici- 
tement en tout cela de la forme créée, mais le P. Jugie prétend et 
prouve que les paroles de Nestorius la contiennent assez claire- 
ment. 

En tout cas, et ici nous sommes loin du Pélagianisme, le 
péché originel a fait perdre la ressemblance divine, ajoutant la 
sujétion au démon, les peines de la vie, et la damnation. On 
comprend dès lorsque le pape saint Célestin ait pu écrire à Nes- 
torius : « Legimus quam bene teneas originale peccatum. » 

Sur l’Eucharistie, il affirme expressément la présence réelle, 
et reconnaît dans la messe le caractère de vrai sacrifice. Mais 
l'erreur Christologique a influencé la conception de la présence 
réelle. Nestorius trouve entre Notre Seigneur et le pain, dans 
l'eucharistie, le même genre d'union qu'il a trouvé entre le 
Verbe et la nature humaine ; la substance du pain reste toute 
entière : c’est l’erreur de l’Impanation. 

Sur d’autres points de la théologie, le Père Martin Jugie 
trouve encore en Nestorius des affirmations précieuses. Rele- 
vons seulement la doctrine de la Primauté du Pape. 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 483 


Tous les théologiens savent que la Primauté de l'Évêque de 
Rome et l’Infaillibilité du Pape, ont été mises dans un reliefsai- 
sissant par les affaires du Nestorianisme et le concile d'Éphèse. 
Le Père Jugie a relevé ce fait dans un appendice ; mais ce qui est 
le plus piquant, c'est que Nestorius lui-même fournit son 
appoint, en faveur de cette Primauté. 

Ne loue-t-il pas saint Léon d’avoir condamné Eutychès par un 
jugement divin. 11 s’agit, il est vrai, ici, d’une condamnation qu'il 
regarde comme favorable à son erreur ; mais il est à noter que 
jamais il ne s’est mis en révolte directe contre le pape Célestin. I] 
accuse saint Cyrille, il l’attaque avec violence, avec insulte : il 
n’accuse pas, il n’attaque pas Célestin. I] le regarde comme igno- 
rant l'affaire, comme mal renseigné, comme agissant d’une ma- 
nière inconsciente : c’est tout. N’avait-1il pas commencé d’ailleurs 
par envoyer à Rome la copie des sermons incriminés. Il sentait 
que s’il pouvait montrer que Rome était avec lui, il serait d’em- 
blée reconnu comme champion de la vérité. 

On le voit par ces indications, la théologie de Nestorius, si on 
la prend dans son ensemble, contient sur nos grands dogmes des 
affirmations précieuses. En les mettant en relief, le P. Martin 
Jugie a fait œuvre nouvelle : il a réhabilité l’hérésiarque. …. 
partiellement. 

L’a-t-il réhabilité complètement ? At-il donné raison à Nes- 
torius, même dans la controverse Nestorienne ? 


* 
+ * 


Plusieurs essais, le lecteur ne l’ignore pas, ont été tentés en ce 
sens. Dès 1645, un calviniste anonyme publiait un ouvrage pour 
réhabiliter Nestorius et condamner saint Cyrille. Le P. Petau 
consacra un livre tout entier à la réfutation de ce travail. 

La controverse a été reprise de nos jours à la suite d’une dou- 
ble publication : les Nestoriana du D" Loos, compilation de 
fragments divers attribués à Nestorius, et le Livre d Héraclide de 
Damas, ouvrage composé par l’hérésiarque, vers la fin de sa vie, 
et que l’on a retrouvé récemment dans une traduction syriaque. 

La controverse a été vive : certains catholiques même n’ont 
pas été loin d'enlever à saint Cyrille le brévet d’orthodoxie, pour 
le décerner à Nestorius. Le P. Martin Jugie résume cette polé- 
mique, et disons-le tout de suite, tranche nettement en faveur de 
saint Cyrille contre Nestorius. 


484 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Toutefois il a soin d’avertir que pour maintenir cette position, 
il est nécessaire au préalable, d'établir nettement la terminologie 
des deux adversaires. 

Trois mots ont joué un rôle considérable dans la controverse : 
ua, Yrootanc, [lposwrov, Nature, hyposthase, personne. Ces 
mots ont actuellement dans le langage théologique un sens reçu 
qui ne laisse pas place à l’équivoque. Il n’en était pas de même 
au début des discussions Christologiques, et il ne faudrait pas 
projeter en arrière les précisions qui en ont été faites au concile 
de Chalcédoine. Le faire serait s’exposer à transformer en un 
imbroglio complet la controverse Nestorienne. 

Nestorius ne distingue pas le concret de l’abstrait ; il ne dis- 
tingue pas davantage la nature complète et la personne. Dès lors, 
pour lui se pose le dilemne : où la nature humaine est complète, 
et alors nous avons la personne humaine, — où la nature 
humaine est incomplète, et alors nous versons dans les hérésies 
condamnées de l’Arianisme et de l’Apollinarisme : il n’y a pas de 
milieu. 

Il faut donc affirmer dans le Christ un moi humain ; il faut 
reconnaître en lui une personne divine et une personne humaine. 

Ces deux personnes restent distinctes, mais elles sont unies. 
Quelle sera pour Nestorius la nature de cette union ? Elle sera 
une union de volonté. Il la décrira comme le don mutuel d’une 
personne à l’autre, comme une communauté d’amitié, et.d’ami- 
tié si intime qu'elle ne peut avoir rien de comparable, si intime 
qu'elle permet de considérer les personnes unies comme conglu- 
tinées ensemble, et à ce point qu’on puisse et doive les considé- 
rer comme formant par leur union une seule personne, mais une 
personne nouvelle, différente des deux premières. 

Et voilà comment Nestorius arrive à découvrir trois personnes 
dans le Christ : personne divine, personne humaine, et personne 
d'union. 

Ces trois personnes seront-elles de même genre ? Non. Deux 
sont d'ordre physique, la troisième est seulement morale. Le 
prosopon d'union est artificiel ; ce mot est une figure, une ma- 
nière de parler qui exprime une union intime, très intime, mais 
seulement morale. 

Or, voici les conséquences : pas de communication d’idiomes. 
On ne peut pas dire : le Verbe a souffert, Jésus est adorable, 
mais : le Verbe est adorable, et Jésus a souffert. La très sainte 
Vierge ne peut être appelée Theotocos : mère de Dieu, car elle 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 485 


n’a pas engendré la personne divine ; elle doit être appelée Chris- 
totocos : mère du Christ, elle a engendré la personne humaine. 
Certains noms, toutefois, désigneront le prosapon d’union, tels : 
Seigneur et Christ, et de ces noms on pourra dire par exemple : 
le Christ est homme, le Christ est Dieu. 

Voilà donc quelle a été l'erreur de Nestorius. Il n’est pas arrivé 
à concevoir qu’une nature puisse exister complète en tant que 
pature, sans posséder en même temps, sa propre personnalité ; et 
chaque fois qu’il a parlé de la nature humaine du Christ, 1l faut 
entendre ce mot, suivant une expression heureuse du Père Jugie, 
dans le sens de Nature-Personne. 

Le prosopon d'union, par contre, n'indique qu’une personna- 
lité morale et accidentelle : le Verbe-Personne considère comme 
sienne la Nature-Personne humaine, il se l’approprie par bien- 
veillance, par affection, et à son tour, la Nature-Personne 
humaine considère comme sienne la Nature-Personne du Verbe, 
et lui est unie étroitement par l’amour. 

Pour tout dire en un mot, il y a adhésion amoureuse des per- 
sonnes, il n’y a pas union hyposthatique. 

Nous devons remercier le P. Martin Jugie d’avoir si nettement 
élucidé cette question obscure. Chacune de ses assertions est 
appuyée sur de bons textes, savamment interprétés. Il ne sera plus 
permis désormais de contester sérieusement le Nestorianisme de 
Nestorius. Il résulte clairement des textes de l’hérésiarque lui- 
même, si on a soin de leur restituer le sens qu’ils avaient dans la 
pensée de l’auteur que Nestorius était Nestorien. 

Mais saint Cyrille était-il orthodoxe ? et si le brevet d’ortho- 
doxie ne doit pas être restitué à Nestorius, doit-il au moins être 
enlevé à saint Cyrille ? 

Le Père Jugie ne le pense pas ; mais ici encore, il faudra faire 
attention. Et si, comme nous l’avons vu, il est nécessaire pour 
comprendre l'erreur de Nestorius, de tenir compte de sa termi- 
nologie, de même, il faudra tenir compte de la terminologie de 
saint Cyrille pour comprendre son orthodoxie. 

Saint Cyrille en effet, n’a pas tenu en Christologie un langage 
uniforme. Ayant à la fois à combattre Nestorius hérétique, et à 
se défendre contre les Antiochiens orthodoxes, il a donné aux 
mots quas et unoctans des sens différents. Elle-même, la formule 
fondamentale de saint Cyrille : Une seule nature incarnée de 
Dieu le Verbe, que le saint Docteur croyait de saint Athanase, 
était d’Apollinaire. Et l’on arrive ainsi à formuler cette gageure, 


486 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


que Nestorius a enseigné l'erreur avec des formules orthodoxes, 
tandis que saint Cyrille enseignait la vraie doctrine avec des for- 
mules plutôt hétérodoxes. C'est pourtant bien ce qui résulte de 
l'étude du P. Jugie. 

Saint Cyrille parle non seulement de deux natures, mais encore 
de deux natures-personnes, même après l’union : seulement il 
veut qu'on fasse de cette expression la traduction d’une simple 
distinction logique qui n’existe pas dans l’ordre réel : dès lors, 
il n’est pas Nestorien. Il parle aussi d’une seule nature du Dieu 
Verbe Incarné, selon la formule pseudo-Athanasienne, mais sans 
y cacher l'erreur qui devait poindre bientôt de l’Eutychianisme. 

Il faut lire dans le Père Jugie cette discussion toute entière 
pour se rendre compte de la difficulté qu'ont eue les premiers 
Pères pour trouver les formules qui traduisent exactement le 
mystère de l’Incarnation. On ÿ trouvera par surcroît une leçon 
de prudence. Il ne faut pas trop vite, en effet, effrayé de telle où 
telle parole équivoque relevée par un adversaire, jeter bas les 
armes, — et,qu'on me permette l'expression, — lâcher nos saints 
Docteurs. On ne doit pas s’arrêter à l'écorce parfois déconcer- 
tante, de leurs paroles, il faut pénétrer la moelle : c'est ce que ne 
font pas toujours nos modernes historiens du dogme. 

Donc, et en résumé : si Nestorius a été un témoin fidèle, et 
souvent précieux, sur beaucoup de points de l’enseignement 
catholique, il a certainement enseigné l'erreur Nestorienne. 
Pour le bien comprendre toutefois, il faut tenir minutieusement 
compte de sa terminologie, et du sens spécial qu'il donne aux 
expressions de Nature et de Personne. Le Père Jugie, qui a fait 
cette étude avec une compétence incontestable, conclut nette- 
ment à l’hétérodoxie de Nestorius comme aussi, quoique peut- 
être plus laborieusement, à l’orthodoxie de saint Cyrille. 

Il est plus hésitant, lorsqu'il se pose la question de bonne foi. 
Îl est certain d’abord, et le livre d'Héraclide en fait foi, que Nes- 
torius est resté jusqu'à la mort dans son erreur. Mais, « autant 
qu'on peut le conjecturer par ses écrits, dit le P. Jugie p. 63, il 
se figurait réellement que sa doctrine était la pure orthodoxie..…. 
Les attaques de saint Cyrille lui firent l'effet de misérables chi- 
canes inspirées par la jalousie et la haine... Ces circonstances, 
jointes à la fatuité et à la présomption qui faisaient le fond de son 
caractère, expliquent suffisamment comment il arriva à se consi- 
dérer comme un martyr de la foi véritable, et à identifier sa cause 
avec celle de Dieu. » 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 487 


Vraiment, ce portrait moral n’est pas flatteur. Nestorius vit et 
meurt convaincu qu'il est dans la vraie doctrine, mais cette con- 
viction ne l’excuse guère, résultante qu’elle est de la fatuité et de 
la haine. 


L'Éternité des peines de l'Enfer dans saint Augustin, 
par Achille Lehaut. 


Les deux ouvrages que nous venons d'examiner, ont étudié la 
doctrine complète, l’un d’un Apôtre, l’autre d’un hérétique : l’ou- 
vrage que nous présentons maintenant, spécialisant davantage, 
va étudier dans le seul saint Augustin un seul dogme de notre 
foi : l’Éternité des peines de l'Enfer. 

Saint Augustin a insisté spécialement sur ce dogme : il l’a fait 
tantôt en polémiste, et tantôt en pasteur d’âmes. 

Comme polémiste, le saint Docteur a dû défendre le dogme de 
l'éternité des peines, contre des ennemis divers. M. Lehaut 
essaye de deviner d’abord ces ennemis restés mystérieux ; il en 
trouve trois groupes : les Origénistes, partisans de la réhabilita- 
tion future, non seulement des damnés, mais encore des démons; 
— les Miséricordieux, distincts des précédents en ce qu'ils n’ad- 
mettent que la réhabilitation des damnés, soit de tous les damnés 
(thèse miséricordieuse large), soit des seuls chrétiens, (thèse 
miséricordieuse restreinte). Les chrétiens seraient sûrs d’échap- 
per un jour à l’enfer, parce qu’ils ont eu la foi, ou reçu l’Eucha- 
ristie, Où fait l’aumôûône, matérielle et spirituelle ; — les 
Incroyants : ils faisaient déjà les objections si souvent relevées 
par les impies : objection physique ; impossibilité pour le corps 
de rester éternellement vivant dans le feu ; objection morale ; 
contradiction dans les paroles du Christ : il affirme que nous 
recevrons selon nos actes, or nos actes sont passagers, comment 
alors peut-il menacer d’une peine éternelle ? injustice au point 
de vue rationnel à punir d'une peine éternelle une faute qui ne 
dura qu’un instant. 

Il y a dans cette partie de l'ouvrage de M. Lehaut, un intéres- 
sant essai de reconstitution. L'auteur cherche l'adversaire que 
vise le saint Docteur, la plupart du temps, il ne peut que le 
deviner. Par contre, il est fort documenté sur les réponses, il 
peut reconstituer dans les plus petits détails la marche de la pen- 
sée de saint Augustin. 

A l’Origénisme d’abord, s'oppose comme une barrière infran- 


488 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


chissable l’Ite in ignem æternum qui paratus est Diabolo, du 
jugement dernier. 

Aux Miséricordieux, il fait remarquer que leur affirmation 
prête à Dieu un mensonge ; Dieu annoncerait une peine éter- 
nelle qu'il serait décidé à ne pas appliquer. Le saint Docteur 
démontre de plus que les textes scripturaires par lesquels la thèse 
miséricordieuse restreinte prétend assurer le ciel à la foi, où à la 
communion, où à l’aumône, sont détournés de leur véritable 
sens. 

Aux Incroyants, il n’essayera pas d'opposer l’Écriture, mais 
il se servira contre eux, de la raison. Un corps vivant, disent-ils, 
ne peut subir éternellement la peine du feu : d’abord, remarque 
saint Augustin, ce n’est pas le corps qui perçoit la souffrance ; 
c'est l'âme. Et puis, connaît-on bien toutes les lois des corps ? 
D'ailleurs, supposé que les lois des corps soient ici dépassées, 
est-ce que Dieu n’a pas le pouvoir d’y déroger ? 

Quant à l’objection morale, qu’on la tire des paroles de Notre- 
Seigneur ou de la seule raison, saint Augustin la résout, en dis- 
cutant la nature de l'égalité qui doit se trouver entre la faute et la 
peine. Îl ne faut pas mesurer cette égalité par la quantité de 
temps, pas même par la quantité en général ; il faut la mesurer 
suivant une estimation morale, et c’est ainsi qu'ont jugéet que 
jugent tous les législateurs. 

D'ailleurs, conclut le saint Docteur, n’y a-t-il pas une certaine 
éternité dans la volonté qui pose l’acte mauvais et ne veut pas le 
rétracter : l’Éternité de l'enfer applique donc l'égalité de quan- 
tité, et même de quantité de temps. 

Saint Augustin a présenté ces réponses sous des formes diver- 
ses, et M. Lehaut, après les avoir suivies toutes les unes après les 
autres, peut conclure à bon droit que le saint Docteur a été ex- 
cellent polémiste pour défendre l'Éternité des peines de l'Enfer, 
contre les Hérétiques et contre les Incroyants. 

Mais saint Augustin s’est appliqué aussi à faire valoir ce dogme 
dans son enseignement épiscopal, c’est-à-dire, dans sa pastorale, 
et dans sa théologie. | 

En pastorale, le pieux Evêque exploite souvent l'éternité des 
peines. Il y trouve un argument excellent pour retenir les chré- 
tiens dans le devoir. Il veut qu’on poursuive les Donatistes, car 
les rigueurs à leur égard auront ce bon effet, qu’elles empêcheront 
ces hérétiques d’entraîfner les âmes en enfer, ce bon effet qu’elles 
les empêcheront de tomber eux-mêmes en enter. 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 489 


Un des premiers dogmes à proposer au catéchumène, sera 
l'éternité des peines ; le feu de l'enfer entretiendra les fidèles 
dans la vertu : il faut bien leur expliquer, en effet, que la misé- 
ricorde du Seigneur est seulement pour cette vie ; après la mort, 
il n’y a pour les pécheurs, même pour les enfants, qu’une seule 
chose à attendre : le feu de l'enfer. Et c’est à tout propos, dit 
M. Lehaut, que saint Augustin, dans l'assemblée des fidèles, se 
fait l'écho des enseignements divins sur l'éternité des peines de 
l'enfer. 

Quelles belles formules il sait trouver, pour fixer sa pensée 
sur ce point, dans le cœur de ses ouailles : le chrétien est celui 
qui veut échapper aux peines de l'enfer, — il est celui qui lutte 
contre la mort éternelle — per ftimorem ignis æterni, Christus 
intrat ! 

Si maintenant, nous étudions la théologie de l'éternité de 
l'enfer en saint Augustin, nous constaterons qu’il conçoit ce 
dogme sous un double aspect. Il regarde l'éternité des peines, 
d’abord comme un châtiment divin. Le péché est un désordre ; 
il ne peut rester impuni; qui le punira? Dieu. — Mais cet 
aspect doit être bien compris. La punition infligée par Dieu, est 
en conformité avec la nature même des choses. Il y a d’après le 
saint Docteur une liaison naturelle entre le péché et l'enfer ; 
l'éternité est le fruit naturel du péché : elle en sort comme l'arbre 
sort de sa graine. Le péché une fois posé entraîne à sa suite 
comme une conséquence qui lui est naturelle, sur la terre, les 
remords de la conscience, qui trouveront leur plein épanouisse- 
ment dans l'éternité des peines de l'enfer. 

Ces deux points de vue : châtiment divin, et suite naturelle 
du péché, ne sont d’ailleurs point isolés dans la pensée de saint 
Augustin. L'un découle naturellement de l’autre. Dieu, de par 
la nature des choses est le premier principe et le vengeur de tout 
ordre, et dès lors que le feu de l'enfer est la suite naturelle du 
péché, il revient à Dieu d'appliquer cette peine. 

Certaines paroles du saint Docteur, iraient-elles plus loin ? 
exprimeraient-elles l’idée d’un ordre du péché, avec le démon 
pour tête, parallèle à l'ordre de la grâce ayant pour tête Jésus- 
Christ ? Certains indices l’insinueraient, l'insistance par exemple 
à englober dans le seul péché d'Adam tous les péchés des 
hommes. Mais les explications du saint Docteur sont ici moins 
nettes, moins enchaînées, moins affirmatives, et M. Lehaut 
n'ose se prononcer. 


490 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


En terminant, remercions l’auteur d’avoir si bien groupé, et si 
bien mis en relief les passages épars de saint Augustin. Il en a 
fait une synthèse vraiment suggestive. On aimerait parfois dans 
cette étude plus de concision ; certaines pages ont une recherche 
de détails qui devient fatigante. Mais la vue d'ensemble est si 
belle qu’elle repose des fatigues du chemin ; il est beau de cons- 
tater que tout en saint Augustin, même l'éternité des peines de 
l'enfer se rattache et s'explique par son sublime principe : Fecisti 
nos ad te, et irrequietum est cor nostrum, donec requiescat in te! 


(A suivre.) Fr. DIEUDONNÉ. 


LE PÈRE JOSEPH 


LECTEUR EN PHILOSOPHIE 
(1603-1604) 


(Suite) (1). 


Distinctes réellement de l'âme, l'intelligence et la volonté ne 
le sont pas moins entre elles. « L'intellect et la volonté, dit le 
P. Joseph, sont choses distinctes, car l’un connaît et l’autre 
aime. Jamais l'intelligence n'a aimé, ni la volonté connu (2). » 
« Leurs opérations sont différentes, d'autant que l’intellect con- 
naît et n'aime pas, que la volonté aime et ne connaît pas (3) » ; 
« qu’assez souvent on ne connaît pas ce que l’on voudrait bien. 
et qu’on ne veut pas souvent ce qu’on connaît (4). » 

Quelle est l’origine de nos connaissances intellectuelles ? 
D'après toute l’École, les choses naturelles ne sont connues de 
nous que par l'intermédiaire des sens. C’est son fameux adage : 
« nihil est in intellectu, quod non prius fuerit in sensu. » C’est 
l'enseignement très formel de saint Thomas. C’est aussi celui 
du P. Joseph. « La connaissance des choses naturelles, dit-il, 
ne nous est pas donnée de Dieu immédiatement, mais l'espèce 


(1) Cf. Études Franciscaines, Avril 1913. 

(2) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaïe, f. 95 v. 

(3) Le P. Joseph, XIII Exhortation sur l'Exercice des dix jours, pp. 509-510. — 
Une des grandes erreurs de Bergson, (un disciple de Kant, qui, dans son étude sur 
l’Évolution créatrice, pousse les théories de son maître à leurs extrêmes consé- 
quences,) est d’avoir confondu la nature de l'intelligence et de la volonté et transféré 
arbitrairement à la volonté le rôle propre de l'intelligence, qui est de connaitre. 
C’est pour lui que saint Thomas semble avoir écrit, précisément à propos de la 
théorie de la connaissance, que la plus petite erreur au début produit quelque chose 
d’effrayant à la fin. 

(4) Le P. Joseph, XXZX* Exhortation sur Isaïe, f, 309 v. 


492 LE PÈRE JOSEPH 


s’en forme dans l’intellect comme dans un miroir ». « C’est, 
dit-il encore, un axiome de philosophie qui est infaillible, que 
rien ne peut entrer dans notre intellect, qui n’ait premièrement 
passé par nos sens (1). » « Selon la vraie philosophie, rien n’en- 
tre en notre intellect, qui n’ait passé par nos sens (2). » « Jamais 
l’âme ne connaît rien des créatures, qui ne soit entré par ces 
portes-là (3). » D'après saint Thomas, les représentations sensi- 
bles sont le point de départ (non le principe, comme le vou- 
draient les sensualistes) de l’activité intellectuelle et la matière 
obligée sur laquelle elle opère pour former ses concepts. Grâce 
à l’abstraction, l’intellect, appliqué aux représentations sensi- 
bles, les rend intelligibles. Les sens ont perçu dans l’objet ce 
qui l’individualise. En vertu d’une activité et d’un pouvoir qui 
lui sont propres, l’intellect, mis en présence de cette représenta- 
tion tout extérieure et superficielle, forme lui-même ses idées 
universelles. C’est encore ce que dit parfaitement le P. Joseph : 
« L'intelligence attire ces formes sensibles à soi, les purifiant et 
abstrayant (4). » Ainsi sur la manière de connaître les choses 
naturelles, le P. Joseph est le fidèle disciple de saint Thomas. 

I] l’est également, lorsqu'il s’agit de savoir comment l'âme 
humaine ici-bas connaît Dieu. Elle le connaît, dit saint Thomas, 
par les créatures, dont il apparaît comme la cause première, 
ayanten lui leurs perfections en éminence, n'ayant aucune de 
leurs imperfections (5). Le P.Joseph n’a pas d’autres arguments. 
« Dieu invisible, dit-il, est connu par les créatures. Tout ce qui 
a être, une fourmi, une goutte d’eau, bref, la moindre petite 
créature nous prêche qu'il y a un Dieu qui les a créées, qu’il ya 
un être souverain qui leur a donné l'être. Nous voyons claire- 
ment qu'elles n’ont pas l’être d’elles-mêmes, puisqu'elles ne le 
peuvent conserver. Par conséquent, il faut nécessairement que 
quelqu'un leur ait donné l'être, qui ait l'être de soi-même (6). » 
C’est l'argument de la cause première. « Puisque nous voyons 


(1) Le P. Joseph, VIIe Exhortation sur le noviciat de Calvaire, ms. XVI, f. 88r. 

(2) Le P. Joseph, Exhortation sur l'Exercice des dix jours, p. 1090. 

(3) Le P. Joseph, XV* Épître à sa mère. — Cf. l’Introduction à la vie spirituelle, 
traité IV, chap. 20. « Rien n'est en l'intellect que premier ne soit dans le sens. » On 
voit que le P. Joseph aime à ramener ses lecteurs comme ses auditeurs à ce principe. 

(4) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur le Noviciat de Calvaire, f. 88 v. 

(5) « Per viam causalitatis, eminentiæ et remotionis », Cf. S. Theol., 1° p., q. 12, 
a. 12. 

(6) Le P. Joseph, XX* Exhortation sur Isaïe, f. 222 v. — Cf. Exhortation sur la 
Trinité, 22 mai 1633, ms. II, p. 804. 


LE PÈRE JOSEPH 493 


tant de beautés et de perfections éparses dans les créatures en 
diverses manières, cela nous élève à connaître la beauté de Dieu, 
d’autant qu'il est aisé à croire que celui qui leur a donné l'être et 
la beauté qu’elles ont, la possède avec éminence. Tout de même 
de la bonté, de la justice et des autres perfections. Dieu les con- 
tient infiniment plus parfaitement comme la cause excelle son 
effet. Par ces excellentes maximes, fortes, vives et soumises à 
la raison humaine, nous ne pouvons nier qu’il y a un Dieu (1).» 
C’est l’argument de l’'éminente perfection. « Une autre manière 
de connaître Dieu est par négation. Ces deux connaissances se 
suivent bien. Car mettant en Dieu d’une manière infinie les 
perfections qui sont ès créatures, il s'ensuit qu’il ne participe 
point à leurs imperfections, autrement il irait du pair avec elles. 
Et par la négation des défauts qui sont ès créatures, nous venons 
à comprendre les perfections de Dieu. Il ne meurt pas, il n’est 
pas borné, etc. Mais il est éternel, immense, infini, etc (2). » 
« Vous dites : Dieu est lumineux comme un soleil, voilà l’affir- 
mation. Puis vous dites : C’est un soleil non sujet aux éclipses. 
Voilà qui est négatif (3). » Comme le P. Joseph le dit encore 
ailleurs, « il y a deux manières de connaître Dieu, l'une par voie 
négative, Ôtant de lui les imperfections des créatures ; l’autre 
affirmative, affirmant les perfections qui sont en lui (4). » 

Ainsi, d’après le P. Joseph, « nous ne voyons Dieu ici-bas 
qu'au travers des créatures, qui sont toujours des ombres et des 
voiles ». D'ailleurs, ajoute-t-il, « au lieu de chercher à connaître 
Dieu au travers du rideau, nous nous arrêtons trop souvent au 
rideau même, comme un enfant auquel on donnerait quelque 
chose de beau et excellent dans une boîte peinturée, il s'arrête à 
regarder la boîte, sans se soucier de l'ouvrir. Ainsi nous nous 
arrêtons à la boîte (5). » Ainsi n'avaient fait ni saint François, 
à quitoute la création révélait si sensiblement son Dieu, ni 
saint Bonaventure, pour qui, dans son Jtinerarium mentis ad 
Deum, la contemplation des créatures était le plus sûr moyen de 
s'élever à Dieu. Ainsi ne faisait pas non plus leur fidèle disciple, 
le P. Joseph. 


(:) Le P. Joseph, XX* Exhortation sur Isaïe, f. 223 r. — Cf, LX* Exhortation 
du noviciat de Calvaire, pp. 155-156. 

(2) Le P. Joseph, XX* Exhortation sur Isaïe, ff. 223 r. — 224r. 

(3) Le P. Joseph, IX* Exhortation sur le noviciat de Calvaire, p. 156. 

(4) Le P. Joseph, XJ* Exhortation sur Isaiïe, f. 137 r. 

(5) Le P. Joseph, XX* Exhortation sur Isaie, f. 124 r. 


494 LE PERE JOSEPH 


D'ailleurs, en non moins fidèle disciple de saint Thomas et de 
saint Paul, il n’espérait pas pouvoir ici-bas « connaître Dieu tel 
qu’il est en lui-même. » « Car, dit-il, c’est une chose certaine, 
selon la décision des théologiens, que nous ne le pouvons en ce 
monde. Il faut pour cela avoir la lumière de gloire, qui nese 
donne qu’en Paradis. Nemo videt Deum et vivit. Nul ne peut 
voir Dieu en lui-même sans mourir (1).» «Ce que nous voyons, 
dit-il encore, n’est pas le soleil, maïs l'air illuminé de sa clarté. 
Ainsi en est-il de Dieu. Nous en voyons bien quelques lueurs en 
cette vie, mais nous ne le voyons pas en lui-même et ne savons 
ce qui est en la divinité, c’est-à-dire en l’essence divine (2). » 
C’est pourquoi « tant que vous parlerez de Dieu par comparai- 
son des choses créées, soit négativement ou affirmativement, 
vous en parlerez toujours imparfaitement au prix de ce qu'il est. 
C'est à l’Ecriture ou plutôt à Dieu même qu'il faut demander sa 
propre définition. Ego sum qui sum, je suis celui qui suis, 
nous dit-il. Lui seul a le vrai être. » « Lorsque Dieu apparut à 
Moïse dans le buisson ardent, il lui dit: Ego sum qui sum, 
Moïse, sais-tu bien qui je suis ? je suis celui qui suis. C’est-à- 
dire, il n’y a que moi qui sois véritablement, je suis le vrai être, 
voilà qui est bien abrégé (3). » « Parlez de lui tant que vous 
voudrez, dites toutes les plus belles choses qui se puissent ima- 
giner, vous ne sauriez mieux exprimer qui il est qu'en disant 
qu’il est, c’est-à-dire le suprême Être indépendant (4). » 

D'ailleurs, s’il demande surtout à la sainte Écriture la définition 
de Dieu, le P. Joseph n’en reconnaît pas moins volontiers les 
lumières de la raison naturelle. Il veut que l’on « écoute ce que 
les philosophes païens nous disent de Dieu... Ils ont dit...…., 
l'esprit naturel a dit que Dieu était le vrai être... [ls ont dit que 
Dieu, qui est l'être, est un, vrai et bon. Ils ont trouvé ces quatre 
choses par la seule raison naturelle, qui sont les plus grandes 
choses que l’on puisse dire de Dieu (5). » Comme on le voit, le 
P. Joseph n’est pas de ces maladroits apologistes du christia- 
nisme qui, pour faire la part plus large à la foi, croient devoir 


(1) Le P. Joseph, ZX* Exhortation du noviciat de Calvaire, p. 155. 

(2) Le P. Joseph, Exhortation sur la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, 
12 novembre 1634, ms. II, f. 147 v. 

(3) Le P. Joseph, 1" Exhortation en la fête de la Sainte Trinité, 22 mai 1633, 


ms. 11, pp. 896-807. 
(4) Le P. Joseph, XI° Exhortation sur Isaïe, f. 139 r. 


(5) Le P. Joseph, II* Exhortation des sept choses nécessaires à la vie, ms. XVI, 
Pe 46. 


LE PÈRE JOSEPH 495 


restreindre le domaine de la raison. Non, il relève impitoyable- 
ment les défaillances de la raison, mais il lui reconnaît franche- 
ment tous ses droits. Loin d’amoindrir sa portée, il aime à 
prendre en elle un point d’appui pour établir plus solidement 
dans notre âme les vérités révélées, à emprunter sa lumière pour 
ne rien négliger de ce qui peut les mettre en leur jour. 


* 
* *% 


Distinctes entre elles, les deux facultés de l'intelligence et de 
la volonté sont loin d’être indépendantes l’une de l’autre. 
« Leurs actes, dit le P. Joseph, sont distincts et unis. Ils con- 
courent ensemble et s’entr'aident mutuellement (1).» « Le 
propre but de la connaissance est l’amour ; c’est-à-dire que 
l'amour suit la connaissance, en sorte que plus on connaît une 
chose parfaite, plus on l’aime. » « Il est vrai que ce qui est 
connu, n'est pas toujours aimé (2). » L’intellect agit quelquefois 
seul, mais la volonté jamais. « C’est une générale maxime 
que l’on ne puisse aimer sans connaître, quoique l’on puisse 
connaître sans aimer (3). » « La connaissance est comme le 
rayon clair qui frappe sur celui qui dort et le réveille, ou 
comme une cloche qu’on sonne à son oreille ; ainsi l’intellect 
excite la volonté (4). » Toutefois, si la connaissance précède 
nécessairement l'amour, il peut arriver que « l’âme aime plus 
qu’elle ne connaît. — Comment cela, me direz-vous, vu que la 
volonté est une puissance aveugle, laquelle ne peut agir sans 
être éclairée de l’intellect ? — C'est qu'ici elle fait précisément 
comme un aveugle, lequel encore qu'il ne voie goutte, ne laisse 
pas d'aller comme s’il voyait (5). » 

L'’intellect peut « prévenir l'opération de Ia volonté, la main- 
tenir ou la suivre (6) ». De ces trois lumières, « prévenante, 
confortante ou concomitante et subséquente », comme dit le 
P. Joseph, l’une ou l’autre est nécessaire pour que la volonté 
agisse, et quand les trois se rencontrent, « cela va bien (7) », 


(1) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaie. f, 96 r, 95 v. 

(2) Le P. Joseph, VI* Exhortation sur Isaïe, f. 84 v. 

(3) Le P. Joseph, VJtet VII Exhortation sur Isaïe, f, 85 r, 96 r. 

(4) Le P. Joseph, VIe Exhortation sur Isaie, f. 85 r. 

(5) Le P. Joseph, Exhortation du 33 janvier 1634, ms. IV, Pièces diverses. 
(6) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaïe, f. 6 r. 

(7) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaie, f. 96 r-v. 


496 LE PÉRE JOSEPH 


puisque la volonté est émue, affermie et confirmée dans l’accom- 
plissement de son acte. 

Ce concours de l’intellect peut être actuel ou virtuel.«L'intellect 
a en soi deux lumières, l’une claire et manifeste, l’autre secrète 
et virtuelle (1). » Son opération est actuelle, toutes les fois que 
la volonté opère avec discernement. « Alors l’entendement 
porte le flambeau devant la volonté (2). » Toutes les fois que 
nous n'avons pas réfléchi sur notre action, l'opération de 
l’intellect n’a été que virtuelle ; « elle se produisait sans paraf- 
tre ; mais si après coup nous voulons bien examiner notre 
acte, nous constaterons « la secrète lumière » que l’intellect y a 
apportée (3). La lumière prévenante et la lumière subséquente 
sont surtout actuelles, la concomitante est plutôt virtuelle (4). 

C’est parce que l’intellect a deux opérations, l’une virtuelle 
et l’autre actuelle, que « notre volonté se peut porter au con- 
traire de ce que l'intellect lui représente et aimer ce qu'il ne 
lui représente pas (5). » « Si, dit le P. Joseph, les plus grands 
et doctes esprits ne le peuvent comprendre, c’est qu'ils n’en- 
tendent pas les deux opérations de l'intellect, l’une actuelle 
et l’autre virtuelle, qui est cet instinct de conscience, cette 
lumière d'intelligence, que saint Paul appelle la loi de Dieu 
écrite en nos cœurs, laquelle le diable ne saurait éteindre, et qui 
nous porte bien souvent contre ce que la lumière actuelle de 
l’intellect nous représente (6). » De même « la volonté a deux 
sortes de consentements, l’un formel et distinct, l’autre secret ; 
le distinct est lorsque la volonté dit : Je veux cela ; le consente- 
ment virtuel est lorsqu'elle opère négativement par la néga- 
tion du mal, dans laquelle est comprise implicitement une 
acceptation du bien. (7) » On voit que sur la question du con- 
cours de l'intelligence et de la volonté, le P. Joseph est non avec 
Duns Scot, qui fait de l'intelligence la servante de la volonté, 
pedissequa voluntatis, mais avec saint Thomas, qui, d’une 
manière ou de l’autre, y voit toujours la cause déterminante des 
actions de la volonté. 

L'intellect et la volonté n’opèrent pas de la même façon. 


(1) Le P. Joseph, VIII Exhortation sur Isaie, f. 105r. 

(2) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaie, f. 96 v. 

(3) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaïe, f. 96 v. — Cf. sbid., f. 101 r. 
(4) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Isaie, f. 97 r. 

(5) Le P. Joseph, VIII* Exhortation sur Isaïe, f. 105 v. 

(6) Le P. Joseph, VIII Exhortation sur Isaïe, f. 105 v. 

{7) Le P. Joseph, VIII Exhortation sur Isaïe, f. 105 r. 


LE PÉRE JOSEPH 497 


« L'intellect, dit le P. Joseph, opère en recevant, comme, quand 
jé vous connais, j'en reçois l’idée en mon intellect, et plus je 
vous connais, plus cela s'imprime. La volonté n’opère pas ainsi, 
mais en sortant d'elle-même et se portant vers la chose aimée ; 
ce qui n'est pas de même en la connaissance, d’autant que par 
icelle nous ne nous portons pas en l’objet, ainsi au contraire nous 
l’attirons en nous, comme lorsque je regarde une personne, 
j'attiré en rhon ititellect un objet de ce qu'ellé est, que je n'avais 
pas auparavant ; mais la volonté sort pour se porter toute en 
son objet. (1) » 

« Le mouvement de la volonté est de s'unir, de s’insérer, 
transformer et sé donner toute à la chose aimée. Il y a deux 
sortes d’amours. Le premier est ce que l’on appelle vraie amitié, 
dont le propre est de se communiquer, diffondre et donner tout 
à ce que l’on aime, parce que l’on le veut. C’est ainsi que Dieu 
hous aime. Car il ne nous aime pas pour nous attirer à soi, 
mais pour se donner à nous. Aussi quand cette vraie amitié ést 
ên hous, elle nous porte à nous donner et à nous abandonnet 
entièrement à lui. L'autre amour est celui que l’on nomme de 
céncupistence. C’est uni amour tyranhique qui veut tirer tout à 
soi ét fait que l’on n'aime que pour le profit qui en revient. 
Tous les hommes aiment dinsi, et cette affection là est excitée en 
nous par le diable, qui pervertit notre volonté, lui faisant 
récevoit et attirer, au liéu que son propte est de se donner. 
Ainsi ellé se chargé de toutés les créaturés, qui l’aggravent et 
tÿrañhisefit, 14 où, quand la volonté soit et se porte à Dieu, elle 
est heureüsé et contente. 

« Quand la volonté agit par cet amour de concupiscence, elle 
ést contrainte, d'autant qu'elle renverse l’ordre naturel établi de 
Diéu, qui veut qu'elle opère eñ sé communiquant. C’est ce que 
l'on appelle amoür-propre. C’est lui qui fait que l’on veut tout 
pour doi, que l'6n veut être aimé, honoré et estimé des créatures, 
que l'on técherché ses éontentements, plaisirs èt propres inté- 
rêts, que l’on abuse des grâces de Dieu, des sacrements ét 
moyens de pétfectioni. Même, si on pouvait äftirer Dieu en soi, 
se l’approprier, on le ferait. C’est ce qui a perdu le diable, 
voulant monter plus haut que Dieu ne voulait. Or la volonté 
voulant ainsi tout attirer à soi, tant s’en faut qu’elle s'unisse, 
qu’au contraire elle se désunrit d'elle-même et des choses qu'elle 


(1) Le P. Joseph, VIII Exhortation sur Isaïe, f. 106 r. 


E. F. — XXIX. — 32 


498 LE PÈRE JOSEPH 


recherche ; car elle ne tire rien, ne pouvant changer son mou- 
vement naturel, qui est de se donner. Elle se donne, mais misé- 
rablement et avec division, en proie aux créatures. Au lieu de se 
réunir, elle se met en mille pièces et se dissipe en autant de 
sujets qu'elle a d’affections diverses. Cette pauvre volonté, au 
lieu de conserver sa liberté en se donnant, elle se rend esclave 
des choses où notre affection se porte. 

« Un homme ambitieux qui recherche l'honneur n'est jamais 
content. Un avaricieux, au lieu d’être maître de ses biens, il en 
est l’esclave et n’y trouve point le repos qu'il y cherche, car il 
n’y est pas. De façon que hors de Dieu la volonté est toujours 
inquiétée, distraite et mécontente. Je veux posséder telle chose 
et je n’en jouis pas. Partout je ne trouve joie ni repos ni en moi 
ni en cette créature. C’est une volonté tiraillée qui se donne 
sans dessein de se donner ; elle veut et ne veut pas. Ainsi elle 
est écartelée, comme un pauvre homme que l’on tire à quatre 
chevaux, dont un quartier est emporté d’un côté et l’autre de 
l’autre. Enfin elle est misérable et se détruit elle-même, parce 
qu'il y a de la contrariété entre tirer à soi et se donner soi-même, 
qui est sa propre inclination. Joint aussi qu’elle se porte à un 
néant qui la tire hors de son centre. Que si l'âme trouve du 
repos en tout cela, c’est signe qu'elle est morte ; comme ce 
pauvre homme, après qu'il est écartelé, il ne sent plus rien. (1) 

Le développement est un peu long. Mais quel profond 
commentaire, quelle lumineuse explication nous y trouvons de 
cette parole de Bossuet : « C’est s’abimer dans la mort, que de 
se chercher soi-même. Sortir de soi pour aller à Dieu, c’est la 
vie (2)! » | 

« De lintellect et de la volonté réunis résulte en l'âme 
humaine l'usage du franc arbitre (3). » Le franc arbitre « n’est 
ni l'intellect ni la volonté, mais il procède des deux (4). » « IL 
n'est pas proprement une faculté distincte (5). » Comme la 
mémoire, « le franc arbitre n'est pas une puissance », c’est-à- 
dire une faculté proprement dite (6). « Il consiste en l’acte 
libre produit par le concours de l’entendement et de la 


(1) Le P. Joseph, VIIIe Exhortation sur Isaie, ff. 106 v.-107 v. 

(2) Bossuet, Lettre au maréchal Bellefonds, du 27 janvier 1674. 

(3) Le P. Joseph. VIe Exhortation sur Isaie, f. 85 v. 

(4) Le P. Joseph, VI* Exhortation sur Isaie, f. 85 r. 

(5) Le P. Joseph, La Perfection séraphique, premier posthume, p. 144. 

(6) Le P. Joseph, ZX* Exhortation sur l'Exercice des dix jours, ms. VII, p. 365. 


LE PÈRE JOSEPH 499 


volonté (1). » Le franc arbitre est-il bien un acte? Le P. Joseph 
dit de même : « Du concours de ces deux puissances se forme 
le franc arbitre, qui n’est pas une puissance, mais un acte (2). » 
Il dit aussi, et cette fois son expression ne trahit pas sa 
pensée : « Le franc arbitre est un pouvoir que Dieu a mis à 
notre volonté, par lequel nous sommes libres de choisir ou 
refuser le bien ou le mal (3). » 

Sur quoi porte ce choix ? Sur le moyen, non sur la fin. 
« Notre volonté, dit le P. Joseph, agit par deux actes, l’un né- 
cessaire et litre libre... L'acte nécessaire de la volonté, c’est 
qu’elle se porte à aimer le bien..., cela par un instinct naturel 
que Dieu lui a donné. Mais elle est libre de choisir le moyen. » 
En effet, « le bien est véritable ou apparent. » « En quoi est-ce 
donc qu’elle se trompe ? Ce n’est pas en la fin, mais au choix du 
moyen. Les uns: croient que leur bien consiste à posséder de 
grandes richesses, à être bien honorés et à avoir beaucoup de 
pouvoir, à chercher leurs plaisirs. La volonté ne choisit donc 
point son objet, mais elle manque au choix du moyen, lequel 
nous est attribué (4). ». Tout cela n’est que le commentaire très 
juste de la définition donnée par saint Thomas, pour qui le 
franc arbitre est «le pouvoir de choisir ses DORE en vue de la 
fin à atteindre (5). » 

Cette puissance du franc arbitre est notre Sévié propriété. 
Car, comme dit le P. Joseph, « qu'est-ce qui est proprement à 
vous ? Ce, n’est pas votre corps, ni votre âme. C’est le franc 
arbitre et le pouvoir de choisir ce que vous voulez en. bien ou 
en mal, et c’est en quoi est le péché ou le mérite (6). » « Vous 
n'avez puissance sur aucune chose qui soit au monde, non seule- 
ment sut, le monde extérieur, mais encore sur votre monde 
intérieur ; vous n'avez rien en votre pouvoir que l'acte de 
votre volonté (7)..» C’est le franc arbitre qui gouverne en nous. 
Sur tout. l'être. humain il a une autorité souveraine, son 
empire est absolu, « Notre esprit, dit encore le P. Joseph, est 
en ce monde comme un, puissant il entouré de grands enne- 


‘a Le P. foseuh. La Perfection séraphique, premier posthume, P. 144. 

(a) Le P. Joseph, Exhortation sur l'Évangile du dimanche dans l'Octave dé 
l'Épiphanie, ms. 11, p. 361. 

(3) Le P. Joseph, ZA* Exkhortation sur l'Exercice des dix jours, ms. VII, P. 365. 

(4 Le P. Joseph, VIe Exhortation sur Isaïe, ff. 85 v.-86 v. : 

(5) Saint Thomas : « F'acultas-electiva mediorum, servato ot 'dine finis. » 

(6) Le P. Joseph, VI* Exhortation sur fsaie,f. 86v. 

(7) Le P. Joseph, VII* Exhortation sur Æsaïe, f. 09 r. 


500 LE PÈRE JOSEPH 


mis qui sont le monde et le diable, lesquels pratiquent aisé- 
ment par leurs menées et intelligences secrètes les domes- 
tiques de ce roi, et souvent ils le réduisent à un tel état que 
toute sa maison se joint à eux pour le trahir, depuis le moindre 
serviteur jusqu’au chef de son conseil et à son favori le plus 
familier. De sorte que ce roi serait perdu à tout moment, si son 
autorité et sa conduite n'étaient entre ses mains, pour en user 
absolument avec indépendance de tout ce qui est au dessous. 
Car autrement s’il était obligé de rendre obéissance à quelque 
autre moindre que lui, il ne serait qu'un roi imaginaire, un roi 
de comédie, que l’on met et que l’on dépose à plaisir, dont 
chacun tour à tour joue le personnage. C’est de Dieu seul que 
notre esprit reconnaît tenir son empire, auquel s’il ne se sou- 
mettait entièrement, il serait autant indigne de la royauté (1). » 
Le franc arbitre « est le pouvoir que Dieu a mis dans notre 
volonté de dominer sur tous les mouvements de l'âme. Il exerce 
tellement une domination souveraine sur eux qu’encore qu'ils 
soient tous bandés contre lui par révolte ou par trahison, tous leurs 
efforts ne peuvent le contraindre en ses résolutions ; toujours il 
retient sa franchise, avec autorité de les châtier pour leurs fautes 
passées et de leur faire changer de dessein pour l'avenir (2). » 
Ce n'est pourtant pas que le franc arbitre n'abaisse souvent 
cette autorité. Il a de nombreuses faiblesses, de tristes complai- 
sances pour des sujets révoltés. Ils s’entraînent et se fortifient 
les uns les autres, et la volonté cède. « ve prend plaisir à voir 
k pomme. Elle reconnaît aussitôt qu'elle est bonne à manger. 
Cela passe après dans la concupiscence, qui émet le désir d’en 
goûter, à quoi la pauvre volonté consent (3). » « Ainsi les 
valets deviennent les maîtres (4). » « Ce franc arbitre, dit encore 
le P. Joseph, n'est pour l'ordinaire qu’un faible roseau en 
la main des communs chrétiens, qui plie à tous les vents des 
passions diverses, selon les occurrences. Cela provient d’autant 
que, l’intellect, qui guide le franc arbitre, étant lui-même ému 
par les fantômes de nos sens, qui lui font varier ses vues par 
mille fausses apparences de bien, le sceptre et la puissance du 
franc arbitre penche et ne demeure droit en même assiette (5). » 


(1) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme, 

(2) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme. 

(3) Le P. Joseph, XX VII1e Exhortation sur Isaïe, f. 305 v. 

(4) Le P. Joseph, VI* Exhortation sur Isaie, f. 87 r. 

(5) Le P. Joseph, La Perfection séraphique, premier posthume, p: 144. 


LE PÈRE JOSEPH 501 


Le franc arbitre peut faiblir souvent. Il n’en remporte pas 
moins parfois de difficiles et glorieuses victoires. Le P. Joseph 
a pris plaisir à raconter une de ces victoires, fruit d’un combat 
acharné. Cette fois c’est à la Bible qu'il a emprunté son exemple. 
David a surpris Saül sans défense dans la caverne d’Engaddi, 
Il peut sans péril se défaire de son implacable ennemi. 
Il lui semble que Dieu a livré entre ses mains ce tyran 
abhorré des hommes, pour qu'il en délivre le monde. Son confi- 
dent l'invite à profiter d’une si belle occasion pour monter dans 
le trône qu'il sait par le prophète Samuel lui être destiné. Et 
le démon lui souffle cette persuasion par tous les sens. « Les 
yeux lui montrent son éternel persécuteur étendu devant lui 
sans résistance. Son imagination lui fait voir, comme en un 
tableau, l'excellence et les avantages de la dignité royale. Sa 
passion d'amour l’attire vers les plaisirs qu’une souveraine 
puissance ne prend pour l'ordinaire qu'avec trop de liberté. Sa 
joie chante et tressaut à la pensée de tant de biens qu'elle se 
voit sur le point de posséder sûrement. Sa haine s’irrite contre 
cet inique Saül, qui tant de fois injustement l’a voulu perdre. 
La tristesse lui saisit le cœur quand il considère les misères qui 
l’attendent, s’il manque son coup. Sa colère s’allume, quand il 
se souvient des indignités, des mépris, des opprobres qu’il 
reçus. Son audace et son courage l'incitent à poursuivre son 
entreprise, et, étant le maître de la vie de son ennemi, à hausser 
le bras pour la terminer tout à l'heure. La crainte le menace que, 
s'il y manque, c’est fait de lui ; s’il pardonne à Saül, Saül ne 
lui pardonnera pas. Le désespoir fortifie cette remontrance : il 
ne peut plus s'échapper des mains d’un grand roi qui vient en 
personne le chercher jusque dans les antres et les abîmes. Son 
entendement lui présente mille raisons qui l’invitent à repous- 
ser la force par la force et à accomplir un exploit mémora- 
ble. Enfin sa mémoire fait marcher en gros et en bataille 
tous les souvenirs des offenses souffertes, des hasards courus, 
des promesses de royauté faites par Dieu lui-même. Mais le 
franc arbitre demeure inexpugnable parmi tant d’assauts. David 
chasse de lui toutes ces mauvaises pensées. Il contraint sa 
raison de lui en ofirir de meilleures. Il se remet devant les 
yeux la crainte de Dieu, la confiance qu'il doit avoir à son 
secours. Îl ne veut prendre la couronne que de sa maïn et quand 
sa providence en ordonnera l'heure et les moyens. Il lui 
remet la vengeance. Il veut dépendre en tout de sa conduite. IL 


502 LE PÈRE JOSEPH 


tance ses sentiments. Il réprime ses passions, et, victorieux de 
lui-même, il s’en retourne innocent vers ses compagnons (1). » 
Ce tableau nous présente toute l'agitation d’un combat. Le cœur 
de David est un véritable champ de bataille, où, malgré le 
nombre des ennemis, la vigueur des coups portés, la suite inin- 
terrompue des assauts livrés, le franc arbitre repousse chaque 
attaque, dompte chaque passion, semble se fortifier dans la lutte 
et grandit en multipliant ses victoires. Après la chaleur du com- 
bat, la majesté du triomphe ! Deux traits ont suffi pour faire 
rayonner sur le visage du vainqueur toute la fière et noble satis- 
faction de son âme. 

La psychologie rend parfois le P. J éceoh éloquent. Son 
David par sa fermeté, par sa générosité, excite notre admira- 
tion. Son Abraham nous touche davantage encore. Car si sa 
volonté n’est pas plus énergique, son âme est plus émue. Il est 
donc plus héroïque. « Il se fait en effet une incroyable violence, 
quand, pour obéir à Dieu, il se résout de tuer de sa main propre 
son fils, son fils qu'il aimait plus que sa vie, son fils unique, 
son seul héritier, son cher Isaac, (2) l'enfant le plus accompli 
qu’on eût pu souhaiter, qu'il avait obtenu de Dieu par miracle 
en sa vieillesse, duquel Dieu lui avait promis qu'il ferait naître 
le Messie. Néanmoins contre toutes ses espérances, contre toutes 
les clameurs de ses entrailles, qui crient miséricorde au père 
pour ne point tuer son enfant, il ne voit, il n’écoute rien que la 
volonté de Dieu, qui lui-même adjoint de l’immoler, et, sans 
que l'ange lui arrête le bras, il l’eût tué dessus l'autel. (3) » 


(1) Le P. Joseph, Explication des facultés de l'âme. — Cf. I Rois, 24. 
(2) Ici Abraham et Isaac font penser à l’Agamemnon et à l’Iphigénie d'Euripide 
Iphigénie en Aulide, 1177-1178. 
’Anwecév o, & TÉxvov, 6 pUTEU TAG HATRP, 
Aôtèc xtavwv, oùx &A oc ouô” &AÂn yepl. 

Le P. Joseph n'est pas moins pathétique que le tragique grec. 

(3) Le P. Joseph. Explication des facultés de l'âme. —S, haie de Sales fs 
son Z'raité de la Prédication, III, 2, 4, 1, propose un exemple à la manière des 
Saints Pères, où il prétend remarquer tout ce qui peut rendre recommandable le 
sacrifice d'Abraham : « Abraham vieil, Abraham qui n'avait que ce fils, si beau, si 
sage, si vertueux et si aimable. Néanmoins, sans répliquer, sans murmurer et hésiter, 
il le mène sur la montagne et veut lui-même de ses propres mains l'immoler. » Si 
saint François de Sales a fidèlement résumé tous les saints Pères, aucun d’eux n'a 
été aussi éloquent que le P. Joseph. | | 

Quiconque a vu, dans la galerie Doria, à Rome, le Sacrifice d’Abrahäm, de Jean 
Lievens, n'a pas manqué d'admirer Isaac tendant ses mains suppliantes, l’ardeur de 
sa prière le soulevant de son bûcher, et Abraham, qui, venant d'apercevoir l’ange, 
garde encore sur sa figure la vive empreinte de la résignation, alors que dans son 


LE PÈRE JOSEPH 503 


* 
+ * 


Voilà, présentée dans une trop rapide esquisse, la psychologie 
du P. Joseph, extraite de ses Œuvres spirituelles. Son biographe 
nous assure que ses élèves du couvent Saint-Honoré « l’avaient 
en haute estime pour sa piété et pour la solidité et profondeur 
de sa doctrine » ; qu’ « il partageait la science en théorie et 
pratique, enseignait la philosophie d’Aristote, et montrait celle 
de Jésus-Christ, qui consiste aux vertus, sans lesquelles la doc- 
trine enveloppe les esprits de ténèbres ; » que, « s’il eût enseigné 
la métaphysique, il eût rendu ses écoliers très grands contem- 
platifs, les faisant passer par les hiérarchies célestes, pour les 
laisser dans les ardeurs des Séraphins selon les intentions et les 
sentiments de leur père saint François. (1) » Ces affirmations 
de Lepré-Balain n’ont rien qui puisse nous étonner. Sans doute 
le lecteur n’a fait qu’entrevoir les hauteurs auxquelles l’étude de 
la psychologie pouvait porter le P. Joseph. Mais le peu que 
nous avons produit de son enseignement philosophique, où 
nous avons une traduction si précise et si vive de la pensée de 
l'Ecole, suffit à faire comprendre que tous ceux qui de son 
temps et depuis ont étudié la spiritualité du P. Joseph, l’ont dû 
juger également solide et lumineuse. Mettre ainsi la philosophie 
à la base, au service de la théologie, c'était, du reste, la pratique 
universelle des directeurs spirituels du XVII° siècle. Et comme 
ils avaient raison ! Oh ! combien plus sûrement, combien plus 
facilement les âmes s’uniraient-elles toujours à Dieu, si, pour 
avoir acquis une connaissance approfondie d’elles-mêmes, elles 
pouvaient d'abord comprendre l’œuvre de leur Créateur en 


elles ! (2). 
Louis DEDOUVRES. 


regard brille déjà un éclair de joie. Le P. Joseph n'a pas donné une moins vive 
peinture de l’âme d'Abraham. 

(1) Lepré-Balain, Vie du P. Joseph, II, 16. 

(2) Cette étude parue d'abord dans la Revue des Facultés Catholiques de l'Ouest 
a été insérée dans les « Études » avec l'assentiment de l’auteur. (N. D. L. R.) 


JACOPONE DE TODI 


PRÉDICATEUR POPULAIRE 
(1230-1306) 


Dans la sacristie de la cathédrale de Prato se trouve, rapporte 
Henri Thode, en son ouvrage sur Saint François d'Assise et les 
origines de la Renaissance en Italie (1), « un tableau peu connu 
et dont l'impression, au premier coup d'œil est presque repous- 
sante, mais qui, si on le regarde de plus près, ne peut manquer 
de produire une profonde émotion (pl. 8, p. 104, t. II.) I 
représente un moine mendiant, tout décharné, qui vêtu d’une 
robe courte et étroite, considère le spectateur avec des yeux pleins 
de tristesse. De cruelles souffrances morales ont laissé leurs 
traces sut son visage. Dans ses mains 1l tient un livre où l'on 
peut lire : 


« KEÆ FARAI FRATE JACOPONE HOR SE GIUNTO AL PARAGONE. » 


À sa partie inférieure, le tableau porte l'inscription : Beato 
Jacobo de Todi. 

Si ce tableau ne datait pas du début du XV: siècle, « ayant 
été peint, à mon avis, (ajoute M. Thode) par ce même Antonio 
Vite duquel on a quelques médiocres fresques dans la chapelle 
de la Vierge, dans la même église, — on croirait voir devant soi 
un véritable portrait, tant il y a d’individualité et de vie dans les 
traits accusés de cette large tête. Mais en tous cas, tous ceux qui 
ont eu l’occasion de voir ce tableau sont forcés d’en garder l’em- 
preinte dans les yeux, et de se représenter sous cette forme le 
malheureux poète, enivré de Dieu, qui a écrit en prison le chant 
que nous rappelle son portraitiste. » 


(1) Ouvrage paru en allemand en 1885. Traduction française chez Laurens, 2 vol. 


JACOPONE DE TODI 505 


C’est cette originale figure dont nous voudrions tenter une 
esquisse, d’après ses œuvres, et les travaux déjà parus. (1) 

Les contrastes y abondent, et nous aurons à signaler le génie 
de ce fou, les révoltes de ce bienheureux. Né d’une grande 
famille, docteur et juriste de Bologne, en somme cultivé et mon- 
dain, nous le trouverons frère lai (frère convers), dans l'Ordre 
populaire des Mineurs. — Il a aimé une chaste et pure jeune 
femme, et devenu tragiquement veuf, cet amour de Ia terre ne 
fut pour lui que le prélude d’un haut amour mystique. — Des 
bizarreries et des excentricités de caractère semblent manifestes 
dans lés diverses aventures de sa conversion, et se retrouvent 
sans doute dans les excès de sa ferveur ou de sa conduite, que 
nous devons tâcher de comprendre en le replaçant parmi les 
préjugés et les passions de son époque et de son milieu. Il se 
trouve mêlé aux luttes contre Boniface VIII avec les Colonna, 
il est mis en prison, et n’en sort qu'à la mort du pontife offensé. 
Libéré, il continue de s’adonner aux œuvres de la charité, lui 
dont les chants avaient prêché au peuple de l’Ombrie la vie chré- 
tienne et l'amour de. Dieu. — D'’aucuns le rangent imprudem- 
ment parmi les hérétiques ; et un culte public lui fut rendu par 
les pauvres qu'il évangélisa. On voit mêrne en 1596 l’évêque 
Angelo Cesi élever dans l’église de Saint-Fortunat de Todi, un 
monument dont l'inscription désigne ainsi les restes vénérés : 
« Ossements du Bienheureux Jacopone de Benedetti, de Todi, 
Frère mineur, qui s'étant rendu insensé pour l'amour du Christ 
par un artifice nouveau, trompa le monde et ravit le ciel. » 

Si vous ajoutez que Jacopone est l’auteur présumé du Stabat 
Mater, ainsi que je me suis efforcé d'en présenter les preuves 
dans un article de la Revue du Clergé français du 15 février 
1904, — vous avez là une série de questions à vous poser pour 
susciter le désir de les éclaircir. Et c’en est assez pour montrer 
que notre curiosité avertie ne peut se désintéresser de ce person- 
nage original, qui touche des intérêts multiples : les origines 
de la littérature italienne, l’histoire médiévale de l’Église au 
siècle où se meut la descendance immédiate de saint François 
d'Assise, et enfin l’expression littéraire et mystique de l'âme 
franciscaine. 


(1) L'étude complète que je prépare sur Jacopone de Todi comprendra: I. Le 
Converti. — 11. Le Prédicateur populaire. — III. Le poète mystique. — IV. L'au- 
teur du Sfabat, — V. Le Spirituel de la Stricte Observance. — VI. Sa prison, sa 
mort, son influence posthume. | 


506 JACOPONE DE TODI 


: Ozanam dans les Poètes Franciscains lui consacraït une cen- 
taine de pages, et fut le premier à mettre en lumière ce converti, 
ce poëte populaire et satirique, ce mystique éperdûment amou- 
reux de Dieu, ce bienheureux de la famille franciscaine, qui né 
peu après la mort de saint François, mourut en 1306. On 
relira toujours avec plaisir et profit son charmant volume. En 
outre, de récents travaux en Italie, en France, ou en Allemagne 
ont renouvelé l'intérêt qui s'attache à Jacopone de Todi. 
MM. Mazzatinti, Percopo, Tenneroni, Moschetti, la Miscellanea 
francescana de M. Faloci-Pulignani, et d’autres, ont poursuivi 
sur les manuscrits, les travaux préparatoires d'une édition criti- 
que assez difficile à établir. M. d’Ancona à publié dans la Nuova 
Antologia une étude sur celui qu'il appelle le jongleur, ou le 
trouvère de Dieu : 1] giullare di Dio. M. Émile Gebhart, dans 
son Jftalie mystique, a effleuré le sujet incidemment. 

D'ailleurs la connaissance historique des troubles religieux de 
cette fin du x1iie siècle, qui croissent encore dans le xIv°, a été 
fort améliorée et renouvelée par les contributions du P. Ehrle 
dans l’Archiv für Literatur und Kirchengeschichte. Tout 
récemment, en 1911, nous est venue de Louvain une étude très 
approfondie sur Ubertin de Casale et l'idéal franciscain spirituel, 
qui met en œuvre les documents nouveaux, et y ajoute des 
recherches personnelles. L'auteur le P. Frédégand Callaey O. M: 
Cap., apporte une haute sagesse et une grande érudition, néces- 
saires pour se mouvoir dans le labyrinthe des dissensions entre 
conventuels et rigoristes, auxquelles sont mêlés le nom et la 
personnalité de notre Jacopone. Déjà le P. René de Nantes 
nous avait aussi donné une excellente et copieuse étude sur les 
Spirituels, qui utilise les documents publiés. On trouvera dans 
ces deux volumes une sûreté doctrinale et une impartialité qui 
fait souvent défaut au célèbre professeur, auteur de l'Italie 
mystique. (1) : 

Ces divers travaux peuvent servir à compléter ou à reviser le 


(1) Une mort chrétienne, et une mémoire sympathique, ne suffisent pas à baigner 
d'orthodoxie des ouvrages à bon droit suspects, et entachés de bien graves erreurs. 
J'en relevai jadis quelques-unes dans un article sur les études dantesques en France, 
et dans De Dante à Verlaine on retrouvera ce jugement motivé sur Émile Gebhart. 
Pour lui, saint François restaure le christianisme primitif, détormé par l'Église : 
entre Dieu et le fidèle s'est placée l'Église qui cache Dieu. Saint François porte 
remede à cette intrusion lamentable. [1 offre Jésus directement aux consciences, 
et nous fait goûter les beautés de cette hiérarchie à deux degrés qui supprime 
l'autre. 


JACOPONE DE TODI So7 


travail d’Ozanam, et nous aurons à tenir compte de certaines 
remarques, (v. g. de M. d'Ancona) dont les nuances sceptiques 
amènent à compenser des enthousiasmes un peu trop aveuglé- 
ment laudatifs. Nous espérons ainsi toucher le point juste, et 
rare, d’une calme vérité. Mais, après tout, Ozanam ne me 
semble pas mériter la défiance que lui témoignent surtout ceux 
qui ne partagent pas ses Croyances. 

- 11 semble donner crédit à la fable qui fait de Dante le lecteur 
des vers de Jacopone à la cour de Philippe le Bel. Il attribue à 
saint François deux belles odes, (ou cantiques, ou laudes) qu’il 
serait préférable de restituer à Jacopone. Par contre il attribue 
à ce dernier, le Stabat de la Crèche, dont j'abandonne volontiers 
la paternité à un auteur moins spontané, et plus précieux. Il 
juge le différend avec Boniface VIII d'après les travaux de 
Tosti, plutôt avec réserve et timidité, — plutôt en panégyriste 
de ce pape, qu’en historien impartial, auquel il est permis de 
regretter les défauts de caractère, sans porter atteinte à la ne 
du siège pontifical, et au respect qui lui est dû. 

… À part cela, — et encore est-il que ce sont des points sur 
lesquels on peut différer d'opinion, — le travail d'Ozanam, 
outre son rôle d'initiateur, garde un grand charme et une 
grande valeur. Mais c’est souvent le destin des travailleurs catho- 
liques de se heurter d’une part au mauvais vouloir des incroyants 
et parfois aussi à l’apathie, ou aux suspicions et à l’incompré- 
hension de leurs coréligionnaires. Si Ozanam a triomphé du 
second écueil, le premier ne semble pas non plus trop redou- 
table pour lui. 

Outre ces travaux de nos devanciers, nous avions d’ailleurs 
pour nous guider les Annales de Wadding, et les diverses édi- 
tions des œuvres de notre bienheureux. 

L'Académie de la Crusca, qui range Jacopone parmi les 
témoins de la langue, cite d'après l'édition du P. François Tre- 
satti (Venezia, 1617). Celle-ci renferme beaucoup de pièces 
d'attribution contestable, empruntées à la nombreuse école 
d’imitateurs, et le texte est loin d’être sans reproches. La vieille 
édition florentine de Bonnacorsi, parue en 1490, et réimprimée 
avec des éclaircissements judicieux par G. B. Modio, disciple de 
saint Philippe de Néri, à Rome en 1540, et à Naples en 1558, 
renferme un-moindre nombre de poésies, d’un choix plus sûr, 
d’une lecture plus conforme aux anciens manuscrits. Ce sont 
des pièces authentiques mais le recueil n’en est pas complet. 


508 JACOPONE DE TODI 


Après l'édition princeps, imprimée par Bonnacorsi, parue à 
Florence le 28 septembre 1490, voici les autres éditions indi- 
quées par Wadding : Florence, Bonnacorsi 1540 ; — Rome, 
Salviani, 1558 ; — Naples, Scorrigia, 1615 ; — Venise, 1514, 
1556, 1617 ; — et une à Bologne sans date. 

Rappelons que Paris possède deux manuscrits, dont l’un ap- 
partint à Luca della Robbia, et témoigne d’un commerce assidu. 

Depuis plus de trente ans quelques travaux ont paru, prépa- 
ratoires à une édition critique satisfaisante, qui est restée encore 
plutôt une promesse qu'un espoir d'avenir. La chose ne va pas 
sans difficultés. En attendant, nous avons cru pouvoir être utile 
aux lettrés ou aux âmes pieuses en leur donnant un choix de 
poésies de Jacopone, traduites en français, avec le texte italien tel 
qu’il se trouve dans le P. Sorio. Cela pouvait suffire à notre but. 

Actuellement l'édition la meilleure, et la plus accessible, — 
car les vieilles éditions sont rares et d’un prix excessif, — est 
celle de la Société filologica romana : « Laude di frate Jacopane 
da Todi, secundo la stampa fiorentina del 1.490 . a cura di 
Giovanni Ferri. » (1) Parue en 1910, elle reproduit l'édition 
princeps, de Bonnacorsi, qui partage avec ses filiales celle de 
J.-B. Modio à Rome en 1558, et celle de Naples en 1615 l'estime 
des critiques. 

Ce travail a été signalé et loué par le P. Livario Oliger (2) 
O. F. M. dans l’Archivum franciscanum historicum (in collegio 
S. Bonaventuræ. Quaracchi.) an IV, 1921. fasc 1. En attendant 
l'édition critique définitive, qui ne verra peut-être jamais le jour, 
celle-ci peut en tenir lieu. elle donne un excellent choix de pièces, 
et un texte sûr, elle est d'une exécution soignée, et contient des 
remarques grammaticales sur les formes propres à la langue de 
Jacopone, de nature à faciliter la lecture et l'intelligence de ses 
poésies à ceux qui ne sont point natifs de l'Ombrie. 


I. LE PRÉDICATEUR POPULAIRE. (3) 


Aujourd’hui c’est le prédicateur populaire que nous envisa- 


(1) Roma. Corso Umberto, pp. xv-350 in-8°. 

(2) Le P. Oliger a donné dans le Catholic Encyclopedia vol. vm. (New-York, 
1910) p. 263-265 un article sur Jacopone, où l'on trouverait une bibliographie com- 
plète, une critique des sources, et quelques indications sur l'iconographie, le culte, 
etc. de Jacopone. 

(3) Cf. d'Ancona. Il a très bien compris Jacopone chanteur populaire, et moins 
bien, semble-t-il, le poëte de la vie spirituelle, le mystique. 


JACOPONE DE TODI 509 


gerons, le trouvère du bon Dieu, tel que l’a rêvé saint François, 
se mêlant au peuple, et l’invitant par ses chants à vivre bien et à 
louer Dieu. 

Entre les prés et les collines de l’Ombrie, en telle belle vallée 
entre Pérouse et Foligno, en plein air et tout à la jubilation du 
cœur, notre Jacopone donne cours parfois à la louange divine : 
« Tout ici dans le monde m'invite à aimer, — les troupeaux, les 
oiseaux, — les poissons de la mer ; — ce qui est sous l’abîme, 
— et ce qui est dessus, — tous font des vers devant mon amour » 
— « Je veux inviter tout le monde à aimer, les vallées et les 
monts, et les peuples, à chanter, l'abime et les cieux et toutes les 
eaux de la mer, qui proposent des vers à mon amour. » 

Dans ce cadre nous l’imaginons aisément. Au milieu de ce 
sourire de la nature, comme dit d’Ancôna (in mezzo a quel riso 
di natura) le chanteur tantôt improvise dans le bouillonnement de 
la ferveur enthousiaste, tantôt répète ses précédentes composi- 
tions. La force de son accent, de ses gestes, des inflexions de la 
voix, leur communique la vie et la couleur, et un commentaire 
expressif que ne peut rendre un texte écrit. Il rit, il pleure, et 
soulève le rire et les pleurs. Comme dans les rapsodies popu- 
laires, il descend à des détails ou à des redites, qu'éviterait une 
muse plus académique. Il retourne et répète un argument mal 
compris, si l'effet n’est pas encore produit : souvent surabon- 
dant, sans mesure ni discrétion, il sait pourtant ramasser ét 
conclure en des raccourcis, et des mots brefs, puissamment 
ciselés. Ainsi son art suit la méthode populaire. 

Il n’invoque pas, comme l’eût fait tel gentil trouvère, le sourire 
bienveillant de la Dame, ou Ia libéralité du Chevalier, ni Apol- 
lon, ni les Muses, mais comme un voyant d'Israël il implore 
Dieu qui touchait d’un charbon ardent les lèvres des prophètes 
de Judée. It se tourne vers celui qui sut concéder la parole à 
Pânesse de Balaam. 


Ma ricorriamo a Dio che di l’ Sapere 
Et l'asin di Balaam fece parlare, 
| Ch'egli mi spiri degne cose a dire. 

._: En san désir de s’abaisser et de s’humilier, il se compare 
encore à de plus vils objets, qui répugneraient sans doute à notre 
délicatesse. Dans je ne sais quel ravissement de ferveur, dit 
l'antico' biografo, il va jusqu'à s'offrir à toutes les maladies, et le 


510 JACOPONE DE TODI 


voilà qui se livre à une énumération minutieuse et d’une crudité 
plutôt bizarre. Mais c’est pour mieux s’humilier, n'avoir plus 
souci ni de son corps, ni de sa réputation pour mieux aimer 
Dieu et le prochain. 


Jo mi voglio più odiare 
Perch'io posse piu amare. 


Et le bon peuple ne voit plus en lui le riche et puissant Ser 
Jacomo dei Benedetti, mais le bon Jacopone, le compagnon 
partageant ses maux et ses douleurs. Le poète est en pleine 
correspondance de sentiments et de pensées avec ces pauvres 
populations rurales, qui ne bénéficient guère des avantages 
concédés aux grandes villes, récemment érigées en communes. 
Et ces humbles comme nous dirions, ces miséreux, aiment 
l'homme de Dieu, répètent ses rythmes, ses sentences, ses bons 
mots, ses proverbes ; il est l’écho de leurs sentiments de piété 
et souvent aussi de leurs colères. 


II, IL S'AIDE DE LA MUSIQUE. 


Pour restituer au vif ces scènes d’apostolat plébéien dans les 
campagnes de l’'Ombrie,il faut nous rappeler la place qu'y tient la 
musique. Saint François y était fort sensible; tel récit de Thomas 
de Celano nous le montre près de Rieti, où il demeurait pour 
la guérison de ses yeux. « Il appela un de ses compagnons qui, 
dans la vie mondaine, avait été cithariste, et lui dit : « Frère, les 
fils de ce monde ne comprennent point les mystères divins.: car 
ces instruments de musique qui, jadis, avaient été destinés aux 
louanges de Dieu, voici que la badauderie humaine les emploig 
à une satisfaction toute sensuelle des oreilles ! Je voudrais, mon 
frère, que tu te procurasses secrètement une cithare, et que tu 
l’apportasses ici pour soulager mon pauvre corps de malade par 
un beau chant. » À quoi le frère répondit : « J’ai honte de faire 
ainsi, père, de crainte que les gens ne prennent mal la chose et 
ne croient que j'ai été conduit à cela par ma légèreté ! » Sur quoi 
le saint : « Soit, frère, renonçons à ce projet ! Il est bon de 
renoncer à beaucoup de choses, afin d'éviter de nuire à la bonne 
opinion d'autrui!» Mais la nuit suivante, comme le sainthomme 
veillait et méditait sur Dieu, voici que, tout à coup, une cithare 
résonna avec une harmonie merveilleuse et les mélodies les plus 


JACOPONE DE TODI 511 


douces, sans que l’on pât voir personne qui en jouût ; mais le 
changement d'intensité dans la musique faisait sentir que.les 
citharistes invisibles allaient et venaient. Et lorsque François, 
après avoir écouté, ramena de nouveau son esprit vers Dieu, 
cette douce musique le remplit d’un tel ravissement qu’il crut 
avoir quitté la terre (1) 

Aussi rien d'étonnant, si, comme nous J’apprend en sa chroni- 
que, Salimbene, (le petit moinillon pas très héroïque dont 
s'amuse tant M. Gehhart) la musique était cultivée avec ardeur 
dans les couvents. [1 nous cite, comme un maître éminent dans 
cet art, un certain frère André de Pise, homme richement doué, 
qui avait été son professeur de chant, et qui était devenu ensuite 
« ministre » en Grèce. « [] s’entendait à écrire, à enluminer, à 
écrire des notes de musique, à inventer les chants les plus beaux 
et les plus consolants, à moduler en perfection, aussi bien pour 
les fracti que pour les firmi. Lui-même était un chanteur 
admirable. Il avait une voix si puissante et si harmonieuse qu'il 
remplissait d'elle le chœur tout entier. Et il jouait aussi d’un 
violon qui était très haut, et clair, et doux, et tendre, et agréable 
par delà toute mesure. ». 

Un autre chanteur et compositeur éminent était un certain 
frère Vita de Lucques, qui pareillement en 1239 avait donné des 
leçons à Salimbené. « Il était le meilleur chanteur du monde en 
son temps, et pour les deux chants, le firmus et le fractus. I] 
avait une voix Charmante et fine, qui était un délice à l’entendre. 
Il chantait devant les évêques, les archevèques, les cardinaux et 
le Pape, qui tous l’écoutaient avec plaisir. Et lorsque quelqu'un 
parlait pendant que frère Vita chantait, aussitôt l'on entendait 
rappeler ces mots de l’Ecclésiastique : Non impedias musicam ! 
ou, parfois, lorsqu'un rossignol ou une fauvette chantait dans un 
buisson, l'oiseau se taisait dès que le frère Vita :se mettait à 
chanter, et. l’écoutait curieusement, sans bouger de place, et 
reprenait son chant: quand il avait fini ; et ainsi tous deux se 
répondaient, et rien n'était plus réjouissant et plus doux que 
leurs voix... Sa mère et ses sœurs. étaient aussi d'excellentes 
chanteuses. C’est lui qui a fait cette séquence Ave Mundi 
Spes Maria, aussi. bien les paroles que’ lé chant ; et il a fait 
encore maintes « cantilènes » en chant meloditus. autrement dit 


' «ts ; : : : an: 


(1) Cel. 2° Leg. 111, 66 pp. 180 et suiv. Bonav. V. p. 756 cité Thode II 146 (trad. 
française). | 


512 JACOPONE DE TODI 


fractus, qui ont été un plaisir infini pour tous les savants en 
musique. » (1) | 

Salimbene mentionne encore d’autres chanteurs de talent : 
un frère Johannin de Ollis, (bene sciebat musicam et bene canta- 
bat), un frère Guidolin-Janvier de Parme (opfime cantabat 
in cantu melodiato, id est cantu fracto et de cantu firmo 
melius cantabat quam vocem haberet, quia valde gracilem 
yocem habebaf) etc. Ces renseignements hous intéressent, car ils 
donnent à penser que Jacopone de Todi, le chanteur populaire 
par excellence n'avait point négligé ce talent, et joignait à la 
vivacité de la diction, à la spontanéité expressive de la mimique, 
et de ses rythmes improvisés, le charme et la variété de l’att 
musical : art populaire et vivant entte tous, qui porte danis les 
cœurs sinples et aimants l'intelligence des choses dites, plus 
profondément que leur dessin abstrait et quasi géométrique. 


III. SA LANGUE POPULAIRE. 


D'ailleurs cette popularité sé retrouve dans lé dialecte, dans 
les mètres, dans les compositions, dans les images, dont use 
fiotre humble auteur. Certains, il est vrai, se font de l'humilité 
de singulières idées, qu’ils appliquent à leur manière aux mani- 
festations littéraires de saints personnagés. M. Lagrange en cite 
un curieux exemple dans sa vie dé saint Paulin de Nole (2): « Le 
pieux P. Sacchini, dit-il, ne s’estil pas dvisé de dire que Paulin 
après sa conversion avait été moins bon poëté qu'avant, et cela 
par humilité : Nec vero poetae florentis facultas existimanda est 
ex his quae eéxstant carminibus ex Evangelica simplicitate 
conditis post abdicatas musas. (Vita S. Paulini c. 1. apud Boll.) 
Dom Gervaise ne manqua pas d'amplifier ce jugement en deux 
pages absolument niaises (p. 30-31). Le docteur Busé (S. Paulin 
et son siècle) a grande raison de s'étonner qu'il att pu être répété 
par Le Brun et par Tillemont. Mais qu'en sait donc le bon 
P. Sacchini, puisque toutes les poésies profanes de Paulin sont 
perdues, sauf les onze mauvais vers conservés par Ausone, et les 
deux petites pièces plus gracieuses à Gestidius? Post abdicatas 
musas, dit Sacchini : les musés profanes, oui, mais pas là poésie, 
puisqu'il a fait des vers toute sa vie. Et pourquoi donc le chris- 
tianisme l’eut-il moins bien inspiré que la mythologie ? Quant à 


(1) Chron. p. 64. 
(2) Vie, p. 102. 


JACOPONE DE TODI 513 


l'humilité, sans dire avec M. Ampère : « J’ai peine à croire que 
la mortification d’un poète puisse aller jusque là « nous pouvons 
bien demander, nous, pourquoi il n'avait pas la même humilité 
quand il écrivait en prose ? » 

Une remarque du même genre est appliquée à Jacopone par 
Wadding, selon lequel Jacopone par humilité aurait écrit en 
patois, affectant par là de porter un vêtement vil, et sur son corps, 
et dans ses vers, rythmo crassioribus verbis.. vilem vestem tum 
in corpore, tum in carmine affectans. Marc de Lisbonne, auteur 
de ménologes franciscains, parle dans le même sens que l’anna- 
liste Wadding. Il eut pu écrire élégamment. Mais il mêle pour 
d’humbles desseins, la todine, la sicilienne, la calabraise, la 
napolitaine et la romaine. « Les chants qu'il a faits ont grande 
conformité avec les fruits durs comme noix, pignons, châtaignes 
et autres semblables, vestus par la nature d’une écorce dure, 
pour nous donner à entendre qu'il n'en faut pas faire peu de 
cas .. » (1) 

En vérité, il parlait le dialecte de l’'Ombrie, mais ses chants 
souvent recopiés en diverses contrées, nous sont parvenus altérés, 
de manuscrits en manuscrits. Et c’est l’eflort d’une édition 
critique de les ramener à l’ombrien primitif. 

Ses rimes ne sont souvent que des assonances. Les syllabes, 
plus ou moins nombreuses qu'il ne faut, sont compensées par 
la musique comme dans tout chant populaire. Ses formes de 
composition sont celles de la poésie contemporaine : des ballades, 
des danses, des sérénades, des mafinate (aubades). « Va ma 
ballade, dit quelque part le poète, et de ma part — salue bien 
humblement — la Reine au parfum de rose — notre Mère la 
Vierge Marie » ou encore « Va-t-en, ma ballade, ne tarde point, 
— et de ma part incline-toi, et salue la Mère de piété, Notre- 
Dame. » 

Pourquoi s'étonner de son réalisme parfois trivial, qui est 
autant une condition de son apostolat populaire que de son art ? 
Il est assez relevé par la grâce et la délicatesse. Et ces inégalités 
nous choquent peut-être moins, qu'il y a soixante ans, quand 
Ozanam s'excusait qu’il n’eût point cette « pudeur de l’imagi- 
nation » que nous nommons le goût. Nous avons appris à sym- 
pathiser avec les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, ou 
même avec d’autres Chansons des gueux. Et le goût qu’il eut ne 


(1) M. L. Traduit en français sur l'espagnol, liv. VI, ch. 39, p. 193. 


E. F. — XxIX. — 33 


514 JACOPONE DE TODI 


fut-il point de s’adaptèr convenablement à son auditoire, et aux 
sujets qu'il traita, et à l'effet qu'il désira produire ? Et n’en pou- 
vions-nous concevoir d'autre que celui qui plaît à des classiques, 
ou à des raffinés d'élite ? Si nous avons élargi là-dessus quel- 
que peu nos vues, les poèmes de Jacopone se sont peut-être 
rapprochés de notre pouvoir d’assimiler et de comprendre. 


IV. LA MORT; LE JUGEMENT DE L’AME. 


D'ailleurs il est certains sujets où le réalisme est bien de mise, 
quand le trouvère du bon Dieu dépeint « la pâle Mort, laide, 
obscure et défigurée », la mort qui « fait mourir chevaliers, 
dames et demoiselles, sœurs et frères, prêtres et lais, vilains ou 


beaux … » 

Il n'hésite pas à décrire un cadavre, à évoquer les vers qui 
naissent de la pourriture et s’en repaissent, et par ces images 
violentes à entrer puissamment dans l'imagination du pécheur : 


Quando t'alegri, o uomo di altura, 
Va poni mente a la sepoltura … 


a Quand tu t’exaltes, homme d’orgueil — va, mène ton esprit près 
des sépulcres — et là, laisse ta contemplation suivre son cours. — 
Pense bien que tu dois retourner — à cet état, où tu vois réduit — 
l'homme qui git dans la fosse obscure. 

Réponds, toi qui gis dans la tombe — qui fus soudain arraché à ce 
monde, — où sont les belles étoffes, dont tu étais vêtu, — maintenant 
te voilà paré de fange Les 

Oùest ton chef si bien peigné ? — avec qui en vins-tu aux mains, 
jusqu'à t'arracher le poil ? — Est-ce de l'eau bouillante qui te rendit 
si chauve ? — Ah ! tu n'auras plus besoin de miroir. 

Cette tête mienne, que je connus blonde, — la chair en est tombée 
et les cheveux qui l'ornaient. — Je n’y pensais point, dans le monde, 
— quand j'y faisais si bien la roue, comme un paon. 

Où sont ces yeux si limpides ? — ils sont jetés hors de leur orbite, 

— les vers, je crois, les ont mangés, — et ton orgueil ne leur fit nulle 
pour. 

J'ai perdu les yeux, instruments de mon péché, — leurs regards 
jetaient des feux coupables. — Malheur à moi ! je suis dans le chagrin, 
— mon corps est dévoré, mon âme est en feu. 

Que sont devenues ces narines délicates ? — Quelle maladie les a 
rongées # — les vers n’y ont-ils pas travaillé ? — Il est bien abattu ton 


orgueil ! Z 


‘ 


JACOPONE DE TODI 515 


Ces narines si friandes de parfums — sont tombées en pourriture. 
— Je n’y pensais guère, quand j'étais épris — du monde si rempli de 
vanités décevantes. 

Ou est cette langue si mordante ? — Ouvre la bouche. Elle est 
vide. — etc. etc. » 


Et l’énumération continue, où le poète guide la très simple et 
très populaire méditation de ses auditeurs. 

Faut-il citer d’autres sujets de cette prédication populaire sur 
la mort, le jugement et l’enfer, où parfois notre joculator Domini 
atteint la vivacité et la vigueur de touche des fossoyeurs de 
Shskespeare, ou ses Nativités à la grâce enfantine, ou les mys- 
tères de la passion douloureuse ? A sa voix tout s’anime, il met 
tout en scène. Ces formes dramatiques furent les premières ori- 
gines du théâtre italien. Ozanam en parlait déjà ; cette idée fut 
reprise et approfondie par les recherches de M. d’Ancona. 


O corpo infracidato (DIALOGUE DU CORPS ET DE L'’AME.) 


L'âme. O corps, tourné en pourriture, — je suis ton âme misé- 
rable. — Lève-toi incontinent, — car ensemble nous sommes 
condamnés. 

L'ange est debout et fait retentir — une grande clameur d’épou- 
vante ; — c’est l'heure de se présenter — sans le moindre retard. — 
Lorsque tu cherchais à me persuader — que rien n'était à redouter, — 
j'eus le malheur de te croire, — et de m'unir à ton péché. 

Le corps. Est-ce bien là, Ô mon âme, — ta courtoisie et ta recon- 
naissance ?.... (pour abréger omettons ici quelques strophes). 

L'âme. Debout, Ô maudit, — car tu ne peux diflérer davantage — 
nous portons écrit au front — toute l’histoire de notre péché. — Ce 
que dans le secret de la nuit — nous voulûmes commettre, — il va 
falloir le dévoiler, — à la face de tous les hommes. 

Le corps. Quel est ce grand Seigneur, — ce Roi d'aspect si fier ? — 
Je voudrais rentrer sous terre, — tant il m'inspire d’effroi. — Jus- 
qu’où pourrais-je fuir, — son visage sévère ? — Terre recouvre-moi, — 
cache-moi l'éclat de son courroux! 

L'âme. Celui-là est Jésus-Christ, — c'est le Fils de Dieu. — En 
voyant son visage sombre — j'ai compris combien mes agissements 


lui déplurent. — Nous aurions pu gagner — de posséder son 
royaume. — Corps mauvais et coupable — maintenant qu'avons- 
nous gagné ? 


Le corps. Et pourquoi as-tu consenti — à satisfaire mes goûts cri- 
minels. — Car, continuellement, tu voulais — me donner quelque 


516 JACOPONE DE TODI 


délectation. — Tu pouvais me corriger en t’opposant à mon désir. — 
Tu as toujours méconnu — le bon jugement de la conscience. 

Tu reçus le don d'être conscient, — de vouloir et de comprendre — 
de juger et de choisir — entre vertus et vices. — Tu n’a pas voulu 
me contraindre, — ni fuir les vaines délices. — Voici que par ta faute 
je suis rejeté, — et mortellement condamné. 

Et c’est pourquoi, Ô mon âme, — si nous sommes damnés, — c’est 
grande vilenie de ta part — de m'imputer tous les péchés. — Tu m'as 
fait suivre telle route — et opérer des œuvres telles — que maintenant 
nous sommes jugés, — et c'est par toi que j'en suis venu là. » 


Dans O Signor Cristo pietoso, le Juge, le pécheur, le démon, 
sont en scène, ainsi que l'ange gardien, et l’on nous met sous 
les yeux le spectacle du jugement particulier. L’accusateur pour- 
suit son réquisitoire avec précision et 1ronie : 


« C'est toi Seigneur qui l’as créé, selon ton bon plaisir ; tu l'as orné 
de tes grâces — ainsi que d'un sens droit. — Cependant il n’observa 
rien — de ce que tu lui prescrivais. — Celui dont il embrassa le 
service, — doit en recueillir le bénéfice. 

Car il savait ce qu'il faisait — quand il pratiquait l’usure — et 
qu'au pauvre il donnait — beaucoup moins que sa mesure. — Aussi 
je veux à ma cour — le récompenser de telle sorte — qu'il n'ait 
jamais senti encore — les délices que je lui ferai goûter. 

Si quelqu'un tentait de lui dire : — « Frère, pense à l’heure de la 
mort, — il s'en riait alors — ne croyant pas qu'il dût mourir. — Je 
sais être courtois, chez moi — aussi le ferai-je bien servir. — Et puis- 
qu'il voulut venir, — je ne saurais m'en priver. 

S'il voyait une assemblée — de dames ou de demoiselles — il no 
manquait pas d'accourir — et par sa musique et ses chants variés — 
il faisait là quelque conquête — par des procédés de vagabond. — Il 
est, dans ma cour, des jeunes gens, — qui lui apprendront à chanter.s 


Et la scène continue, plutôt naïve que terrible, mais c’est 
aussi la naïveté de l’Angelico, qui l'empêche d'atteindre l'horreur 
dans son Jugement dernier. 


V. AUX PIEDS DU SAUVEUR. 


Mais bien entendu, selon les bonnes méthodes, avec Jacopone 
le rappel des terribles leçons de la Mort et du Jugement doit 
aboutir à courber le pécheur devant la Croix du Sauveur pour 
lui crier pardon. Le poète et prédicateur populaire interprète 
donc aussi les appels du Crucifié, de l'ami délaissé. 


JACOPONE DE TODI 517 


« Mirami sposa. Regarde-moi un instant, Ô âme — sur la croix où 
je fus mis à nu — dans un supplice cruel — pour te réchauffer au feu 
de mon amour. 

Sur moi désormais fixe ton regard — avant que passe le temps. — 
Tu sais, j'en suis certain, — que dès la première heure je t’appelai. — 
Mais tu l'as perdu — le temps de ta jeunesse … 

Or quand le temps aura passé — il sera trop tard pour la repen- 
tance. — Je n’ai cessé d’attendre — que tu portes vers moi les yeux. 
— Mais, tu ne peux l'ignorer, — jamais tu ne t'es émue — que je 
fusse pour toi mis en croix. 

O âme mienne, je t'en prie, — pense à l'honneur que te fit ton 
Créateur — en te formant à son image. — En mon cœur tu es mar- 
quée — avec des lettres de sang. — Et c’est pourquoi je languis — et 
meurs chaque jour un peu, pour toi. 

L'amour me contraignit — à venir en ce monde. — La mort ne 
rebuta point — mon cœur apitoyé et pur, tant était grande l'ardeur 
— qui me fit monter à la Croix. — Là dans une torture cruelle, — 
je t'appelai jusqu'à eu perdre le souffle. 

Mes pieds et mes mains —et ma tête sanglante — tout mon corps, 
tu l'as vu, — pour toi endurer grande peine. — Mais plus encore je 
souffre, — en voyant que la douleur — de ton Rédempteur, à pour toi 
— moins de prix qu’un grain de froment. » 


À un tel rappel, si pressant et si touchant, les auditeurs ne 
peuvent donner d'autre réponse que celle de la dernière strophe, 
où l’âme s’écrie : 


« À qui me donnerai-je, — si ce n'est à toi, mon Époux. — Toi 
seul peux me conduire — à l'éternel repos. — Ce monde plein de 
périls — ah! fais que je le méprise, — qu'en toi seul j'espère — et 
qu'en ton amour je me consume avec ferveur. » 

Jules PACHEU. 


APPENDICE 


GESU FIORE DI NAZARETH 


Ego flos campi et lilium convallium (Cant. 1) 


1. Le Christ a fleuri dans la chair virginale 
Voici que l’humaine nature est dans l’allégresse. 


2. O nature humaine, que ton éclat était obscurci ! 
Tu étais pareille à l'herbe desséchée, 
Mais ton époux t'a renouvelée. 
Ah ! ne sois pas ingrate pour un tel amant. 


518 


10. 


II. 


12. 


JACOPONE DE TODI 


. Un tel amant est fleur de pureté, 


NÉ dans les champs de la virginité. 
C'est le lys de l'humanité, 
Tout de suavité, et d’un parfum exquis 


. Ce parfum divin il l’apporte du Ciel, 


De ce jardin où il était planté. 
Il était Dieu, et de la Béatitude du Père 
Il nous fut envoyé couronné de fleurs. 


. Fleur de Nazareth se fit-il appeler. 


F1 voulut germer sur les branches de Jessé 
Et se manifesta au temps des fleurs, 
Pour attester son grand amour, 


. Amour immense, et vérité infinie 


Me furent témoignés par le Christ, ma vie ; 
Ï1 prit une humanité unie à la Divinité. 
Ma joie en est parfaite, l'honneur en est grand. 


. La gloire et l'humilité il les eut pour agréables, 


De la part des foules qui vinrent le fêter, 
Et fleurirent les chemins et toute la cité 
Pour le révérer comme leur Seigneur. 


. Vénéré Seigneur, environné de respects, 


Qu'’une lourde sentence allait bientôt condamner ! 
O peuple changeant et sans prévoyance, 
Ta grande folie te fit tomber dans l'erreur. 


. Tu préféras l'erreur à la vérité. 


Tes persécutions firent de lui une violette : 
La rose rouge du martyre 
Par la vertu de l’amour, transforma sa couleur. 


La splendeur native de sa beauté 

Avilie par les supplices, devint livide. 

Avec sérénité il supporta l'amertume, 

Et changea en bassesse sa puissance infinie. 


Elle tut humiliée son immense puissance ; 
La fleur parfumée, foulée aux pieds, 

Fut toute entourée d'épines aiguës. 

Et sa splendeur se trouva voilée. 


Cette splendeur qui illumina l’humanité dans les ténèbres 
Fut obscurcie par la dure souffrance, 

Et sa lumière se renferma toute 

En un sépulcre, au jardin des fleurs. 


13. 


14. 


15. 


16. 


17. 


18. 


19. 


JACOPONE DE TODI 519 


La fleur reposa couchée et s’endormit, 

Elle s'éveilla bientôt dans une résurrection : 
Le corps bienheureux et pur refleurit, 

Et se montra tout resplendissant. 


Tout resplendissant il apparut à Madeleine, 
Tandis que dans le jardin elle pleurait sa perte. 
Et de tant de larmes il lui donna réconfort 

Et absorba tout entier son cœur ardent. 


Il réconforta le cœur de ses frères, 

Et fit naître des fleurs nouvelles. 

Il demeura près d'eux, dans ce jardin, 

Chantant avec ces agneaux des cantiques d'amour. 


Par l’amour tu ramenas l’incrédule, 

Et lorsque tu lui montras les fleurs parfumées, 
Roses dont tes plaies gardaient la rougeur, 
Soudain il fit entendre un cri plein de ferveur. 


Enivré d’une amoureuse ferveur 

Son cœur demeura tout épanouïi de joie, 
Et, en la contemplation de ta gloire, 

Il s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu Î » 


Roi de gloire tu montas aux Cieux 

Accompagné, au son des instruments et des voix, par les 

Tu revins au ciel avec des trophées de victoire [ Anges ; 
Et tu pris place sur le trône de gloire. 


Cette gloire tu en fis don à tes vrais serviteurs, 
Tu montras la voie en tes disciples. 

Tu leur envoyas l'Esprit de flammes 

Dont le cœur des disciples fut l’ardent foyer. 


A PROPOS 
DE LA POLITIQUE RELIGIEUSE 
DE CH. MAURAS 


A Monsieur Carlos de R-G. 


Mon cher Carlos, 


Voici quelques notes prises & propos de la « Politique Reli- 
gieuse » de Mauras. C'était surtout en pensant à vous que je les 
prenais. Je vous prie de les recevoir en témoignage de mon 
amitié pour vous et de ma reconnaissance pour vos parents. 


Credidi, propter quod locutus sum. 


PREMIÈRE PARTIE 


I 


Vous me demandez, mon cher ami, ce que je penise du nou- 
veau livre de Ch. Mauras : La Politique religieuse. Mais j'en 
pense le plus grand bien et même, étant de loisir, il m'est agréable 
de vous le dire et de vous donner les raisons de mon sentiment. 
Je regrette seulement que mes yeux ne me permettent pas de 
relire le livre et de l’étudier, afin de pouvoir vous en parler avec 
une plus parfaite connaissance de cause. 

Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’attache aucune impor- 
tance aux criailleries qui, de certains milieux, s'élèvent contre le 
livre et son auteur. Je suis trop vieux pour m'en émouvoir. 
J'ai vu le temps où Louis Veuillot était accusé d’être l’auteur 
secret de certains ouvrages obscènes et j'ai eu entre les mains un 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 52r 


gros volume qui voulait me prouver que Drumont était juif,franc- 
maçon, très habile et persévérant ennemi de l’Église. Je crois 
que tout homme à qui Dieu donne la mission très noble de ren- 
dre service à l'Église et à ses semblables, en mettant en lumière 
quelque vérité, doit toujours s'attendre à rencontrer Sur sa route 
cette sorte d’obstacle ou mieux, d’ennuis et de désagréments. IL 
en arriva bien davantage à Notre-Seigneur lui-même... N'y 
faisons donc pas attention. : 

Mauras est plus exposé que d’autres à ces cris, parce que son 
livre, excellent, est accompagné d'action qui tend à faire passer 
ses idées dans le domaine des faits. — Revenons à son livre. 

Je le range au nombre des deux ou trois que chaque siècle 
lègue aux âges suivants et.que tout homme qui pense se doit 
d’avoir lu. Les jeunes et tous ceux qui peuvent encore perfection- 
ner leur formation et améliorer leurs méthodes, gagneraient à 
l’'étudier à fond. A cette étude, ils apprendraient à bien regarder 
les faits et les idées, les tenant à la lumière de principes sûrs, 
éprouvés par l'expérience des siècles ; à regarder ces faits et ces 
idées longuement, les examinant sur toutes les faces et les fouil- 
lant dans leurs profondeurs. Ce n’est pas chose petite et vulgaire 
que d'acquérir unetelle habitude. La plupart croient avoir bien vu 
qui n'ont pas su seulement regarder. Peut-être convient-il de 
signaler, ici, une illusion qu'il me semble entrevoir chez Mau- 
ras ; 1l paraît croire un peu trop que l’homme est ami de la rai- 
son et qu'il va vers elle volontiers ; qu’il compare le nombre des 
exemplaires de sa Politique, qui seront vendus en deux ou trois 
mois, au nombre d’exemplaires de la Colline Inspirée de 
Barrès qui se vendront en deux ou trois semaines, pour com- 
prendre qu'il fait trop d'honneur au genre humain. Par contre, 
si je viens à lire la Colline Inspirée de Barrès, dont le titre n’a 
rien dit de clair à mon esprit, peut-être ne parviendrai-je pas à 
penser ce que J'ai dit du livre de Mauras, que notre âge le 
lèguera aux temps à venir. 

Quoiqu'il en soit de Barrès, Mauras nous enseigne d’abord à 
penser.Ïl ne nous dit pas seulement,comme Boileau, de l’appren- 
dre ; il nous l’enseigne par son exemple. Ce n’est pas que la lu- 
mière dans laquelle Mauras étudie les faits et les idées soit la 
meilleure et la plus haute et surtout qu’elle le préserve de toute 
erreur et ne lui cache aucune vérité ; nous verrons cela plus tard. 
Mais telle qu'elle, la philosophie de Mauras lui permet de bien 
voir, de comprendre les faits et de rendre d’une manière excel- 


522 A PROPOS DE LA 


lente ce qui fait le sujet de ses réflexions. Il apprend donc à pen- 
ser juste. Je ne dis pas non plus que cela ne soit dû beaucoup 
plus aux qualités naturelles qu'il a reçues de Dieu en vue de la 
mission qu'il doit remplir ici-bas, qu’à la qualité de sa philoso- 
phie. Encore une fois, il apprend à penser juste et c’est beau- 
coup. 

 Ïl apprend peut-être encore mieux à exposer clairement ce 
qu'il a d'abord pensé avec justesse et cela aussi est un service qui 
mérite notre reconnaissance. Îl parle un vrai français, je veux 
dire une langue très claire, très loyale et qui n'oublie jamais que 
l'adjectif est l'ennemi du substantif, bien qu'il s'accorde avec lui 
en genre, en nombre et en cas — ou, si vous préférez — il sait 
trouver et employer le mot propre qui fait la lumière dans l'esprit 
du lecteur sans l’éblouir, ce qui est une manière de le tromper. 
San raisonnement s’enchaine et convainc à mesure qu'il se 
déroule ; un peu d'attention suffit pour voir les anneaux de cette 
chaîne et comment ils sont soudés les uns aux autres. I] va droit 
au butet l'atteint rapidement sans se laisser arrêter par les 
broussailles qui se peuvent rencontrer sur son chemin. Je le 
répète, c’est du vrai français et de la meïlleure qualité ; exemple 
excellent, surtout dans ce temps où le patois envahit, au moyen 
des journalistes, les salons les plus distingués. Cependant, il est 
quelque chose dont je lui suis plus reconnaissant encore que de 
m'apprendre à bien penser et à bien écrire : c’est de penser tou- 
Jours et par suite de parler et d’écrire avec respect de l'autorité, 
même quand l'action de cette autorité s'exerce en opposition avec 
notre conviction, notre préjugé et des intérêts plus chers à notre 
cœur que ne le sont nos intérêts personnels. De ceci, il y a un 
exemple admirable dans l’article qu'il consacra au pape Léon 
XIII, au lendemain de sa mort. 

Peut-être, aucune autre leçon n’est plus nécessaire à notre 
temps que celle-là. Sans doute, la grâce de nous donner cette 
leçon est la conséquence d’une autre grâce qu'il a reçue sans 
aucun mérite de sa part : celle d’être né dans une famille royaliste 
et d’avoir su, dès le berceau, en quelque sorte, pratiquer ce 
respect. Les bienfaits de Dieu sont sans repentance ; ils s’en- 
chaînent et s'appellent les uns les autres, avec une logique infi- 
niment plus belle que celle dont use Mauras. Espérons que ces 
miséricordes divines l'arracheront, plus tôt qu’on ne pense, à 
son malheureux agnosticisme. 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 523 


IT 


Je ne vais pas faire la faute d'entreprendre pour vous, l’analyse 
de l'ouvrage de Mauras. Vous l’avez lu à loisir, vous avez pu, à 
votre aise, revenir sur les passages qu’il vous a paru bon de 
relire. Moi, j'ai dû me contenter d'écouter une lecture faite rapi- 
dementet que plus d’une fois le lecteur interrompait par ces mots: 
« Je ne comprends pas ! » Il est pourtant fortintelligent, mon 
lecteur ; mais il n’a que l'instruction de l'école primaire. Lors- 
que ce qu'il lisait était de sa compétence, par exemple, ce qui 
est dit des protestants, qui sont nombreux ici, ou encore de 
l'organisation du travail et des syndicats, comme il comprenait 
et de quel ton il disait : « Oh ! que c’est bien cela ! » 

Voilà peut-être une chose à laquelle les écrivains et les orateurs 
ne songent pas assez. Leur mémoire est remplie de souvenirs 
classiques, de faits, d'idées, de formules puisées dans les hautes 
études, tout cela passe, sans qu'ils y prennent garde, dans leurs 
discours et leurs écrits et ils ne pensent pas que la grande majorité 
de ceux qui les lisent ou les écoutent ne peuvent les comprendre, 
quoique les plus intelligents, seuls, en aient conscience et le 
confessent. Les prédicateurs, surtout, ont besoin d’y prendre 
garde, dans l'intérêt des fidèles. 

Ainsi que je viens de vous le dire, ne vous attendez pas à une 
analyse suivie du livre de Mauras, je me contenterai de quelques 
observations, sans même prétendre les mettre en ordre, ni les 
compléter. 

Tout d'abord, j'ai été un peu déçu en m'apercevant qu'une 
grosse partie de la Politique religieuse se compose d'articles de 
journaux écrits à des occasions diverses, en plusieurs journaux et 
dans un espace de temps de huit à dix ans. On ne fait plus de 
livres aujourd’hui, si ce n’est, peut-être, des romans, et encore, 
quand on n’a pas le moyen de les placer en feuilletons. On 
trouve plus commode et plus avantageux de faire des articles de 
journal et de revue et quand ils sont en nombre suffisant. sur 
un même sujet, de les réunir en un juste volume. Incontestable- 
ment plus commode, le moyen est excellent aussi pour éviter 
des travaux approfondiset de longues méditations quipourraient, 
à la longue, fatiguer le cerveau. Il est encore plus évident que 
c’est de la bonne économie domestique ; on tire ainsi deux mou- 
tures du même sac de blé. Mais, est-il aussi certain que la pen- 


524 A PROPOS DE LA 


sée et son expression gagnent quelque chose à ce progrès de 
l’économie domestique appliquée. Pour mon compte, je serais 
porté à croire que l’une et l’autre y perdent beaucoup. La pen- 
sée perd souvent, dans le coup de feu du journal, quelque chose 
de sa beauté, de sa sérénité, même de son relief, quand l'exagé- 
ration qui accompagne presque toujours la polémique, ne lui 
donne pas un peu l’air de caricature. Quant à l’expression, je 
tiens que Maître Nicolas a raison quand il dit : « Cent fois sur 
le métier remettez votre ouvrage. — Ajoutez quelquefois et 
souvent retranchez. » Quelles que soient les pratiques en usage, 
ceux qui voudront faire œuvre de perfection feront bien de s'en 
tenir à ces maximes. 

Il n’est que juste d’ajouter à la louange de Mauras qu'il a, 
moins que la plupart, besoin d'entendre cette leçon. La pensée, 
chez lui, ne se contredit point elle-même, tant est ferme son 
attachement aux principes philosophiques qui le guident, et ses 
articles s’emboîtent, les uns dans les autres, comme le pourraient 
faire les uns après les autres les chapitres les plus médités et 
écrits à l’ancienne mode. Je ne parle pas de la clarté de la pensée 
et du bonheur de l'expression qui jamais ne lui font défaut. 

Cependant le défaut inhérent à cette manière de composer ne 
peut manquer d’apparaître quelque part, et, tel article qui sera in- 
séré dans le volume, exactement comme il fut écrit pour le jour- 
nal, aurait gagné considérablement à être refait et complété. 

C'est presque uniquement parce que je vous ai parlé de 
Mauras et de l’Action Française que vous avez entrepris de 
lire la « Politique religieuse. » Mais, je vous connais trop pour 
n'être pas certain que vous avez hésité avant d'ouvrir le volume 
et que vous vous êtes demandé si c'était entièrement bien, à vous, 
et sans aucun danger pour votre âme et votre intelligence, de le 
lire, en effet. Je réponds avec assurance à votre pensée et à votre 
scrupule de conscience. Oui, vous faites bien. Vous et tous ceux 
qui comme vous, avec la grâce de la foi, sont de plus nourris 
d’une philosophie meilleure, plus élevée et véritablement sûre : 
de la philosophie chrétienne, selon la méthode scolastique ; non 
seulement, vous le lirez sans danger,mais même avec un excellent 
fruit. 

Sans doute, l’agnosticisme de l’auteur s'y laisse voir ou s'y 
fait sentir de bien des manières. Peut-être, n’y trouverez-vous 
pas une seule proposition digne de censure; mais, vous ne 
pourrez, au moins, vous empêcher d'y remarquer l'absence de 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 525 


vérités certaines, chères à votre intelligence comme qu’à 
votre foi. Bien plus, il est nécessaire que cette absence de cer- 
taines vérités fasse, d’un bout à l’autre du livre, comme une tache 
d'huile, partout présente, partout sensible, quoique ne se voyant 
nettement nulle part. 

Comment ne sentiriez-vous pas que l’action providentielle de 
Dieu est absente de ce livre. Absente également, la grâce de 
Jésus-Christ et l'appui qu’elle donne au bien naturel et au bon 
ordre social ici-bas. Absente enfin et même quelque peu dédai- 
gnée, sous le nom de mysticisme, la sainteté catholique. 

Ici, Mauras confond, sous l'appellation de mystique deux 
choses bien différentes et qui, en français, ne portent pas le 
même nom : le mysticisme et le fanatisme. Le mystique est un 
homme qui vit de foi, qui craint, plus qu'il ne désire, les phéno- 
mènes de la vie surnaturelle, (lesquels sont au fond; Dieu connu 
expérimentalement) parce qu'il sait que, souvent, le démon se 
transforme en ange de lumière. Cependant, il est en sûreté 
parce qu’il est établi sur la foi, vivant selon la foi et non pas selon 
le mysticisme. Il demeure constamment soumis à l'autorité 
divinement constituée et obéit, de préférence, toujours à l’au- 
torité. Le fanatique, au contraire, part de l'erreur, entend la 
conserver malgré l'autorité de l’Église, s'enthousiasme pour un 
homme sans mission, lui obéit avec autant d’aveuglement qu'il 
met de persévérance à désobéir à celui qui a la charge de paître 
les brebis et les agneaux. Que l’homme auquel il obéit soit 
Mahomet, Wintras, Jean de Leyde, ou le diacre Pâris, ou un 
moderne quelconque, peu importe. — Les fanatiques créent le 
désordre, tandis que les saints mystiques, tel que fut sainte 
Thérèse, sont les meilleurs soutiens de l'ordre social divinement 
établi, et même de la tradition nationale du pays qui les a vu 
naître. Mais, précisément, parce qu'à la lumière de votre foi et 
de votre raison vous voyez nécessairement ce trou dans le livre, 
ou mieux cet abîime que creuse, en lui, l’agnosticisme, vous 
n'avez pas à craindre qu’il vous donne le vertige et vous précipite 
dans ce vide déplorable. Si l’horizon de Mauras est plus restreint 
que le vôtre, si son regard ne se porte pas aussi haut, en revan- 
che ce qu’il regarde il le voit plus clairement et le fait voir plus 
distinctement que personne. Sans lui vous ne verriez pas aussi 
bien ce que vous voyez, ni aussi nettement que, ce que vous voyez 
est à la place qui convient. De plus, il n’y a pas mal de choses 
que ni vous, ni moi, n’aurions su voir s’il ne n ous les avait pas 


526 A PROPOS DE LA 


montrées. On pourrait dire de lui qu’il est le plus clairvoyant des 
myopes et que, dès qu'il est assez près de ce qu’il regarde, nul 
n'y voit mieux et n'aide mieux à voir, comme lui, ceux qui pour- 
tant ont les yeux sains. 

J'ai lu quelque part que le maréchal Davoust était myope, 
mais tellement, qu'il fallait qu’il regardât de très près pour voir 
et qu'alors il voyait à merveille. Comme il aimait son métier et 
son corps d'armée, il regardait de très près tout ce qui concernait 
l’un et l’autre. Sans doute, les soldats et les fournisseurs ne man- 
quaient pas de murmurer de ce qu'ils appelaient ses manies, 
mais, résultat : son corps d'armée pouvait aller du Rhin à la Vis- 
tule sans laisser un seul traînard en arrière. 


11] 


Aujourd’hui, je me propose de vous parler de la mission de 
Mauras. Tous, nous avons une mission et même deux : l’une 
consiste à faire le salut de notre âme, l’autre à rendre service au 
prochain, ou à la société, ou à l'Eglise. Ces missions sont très 
inégales entre les hommes. Les uns, n’ayant que de petits dons, 
n'ont que peu à faire ; d’autres, au contraire, sont choisis et doués 
pour une œuvre immense ; ils la font, parce Dieu le veut ainsi, 
sans comprendre souvent eux-mêmes le but véritable de leurs 
actions, ni la grandeur de ce qu'ils accomplissent. Je doute beau- 
coup que Mauras lui-même ne se trompe sur la fin pour laquelle 
Dieu l’a prévenu des dons dont il l’a gratifié et pour laquelle il a 
donné le succès à son activité. Pour moi, sa mission spéciale con- 
siste à abattre le libéralisme et à le rendre ridicule. Il était chargé 
providentiellement de faire contre cette erreur ce que Joseph de 
Maistre a fait contre le gallicanisme et il a réussi sa mission 
comme Joseph de Maistre réussit la sienne. 

N'est-ce pas une charmante ironie des choses que de voir cet 
homme qui n’a pas la foi, devenir, par la volonté de Dieu, dé- 
fenseur d’une vérité capitale et, spécialement, le champion de 
cette série de papes qui, depuis Pie VI, ne cesse de combattre 
le libéralisme, sans que trop souvent, hélas ! de fervents catho- 
liques aient daigné y prendre garde, ni surtout obéir à l'ensei- 
gnement du Vicaire de Jésus-Christ. Louis Veuillot avait été 
chargé avant Mauras de cette même œuvre ; mais alors le Goliath 
libéral avait une certaine tenue, était bien vu dans le monde, et 
ses écuyers étaient plus populaires que celui qui attaquait leurs 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 527 


erreurs, en sorte que Veuillot ne fut compris et suivi que d'un 
petit nombre. Aujourd’hui, le libéralisme n'est pas si brillam- 
ment entouré, son crédit a beaucoup baissé et ses défenseurs ne 
sont plus très fiers de lui. Puis, ce n’est plus un catholique, c’est 
un mécréant qui l'attaque et c’est un spectacle réjouissant de voir 
ce petit David, sans foi, sans Dieu, sans espérance, culbuter 
l'énorme philistin, l’abattre au pied du trône pontifical et l’y lais- 
ser en telle posture qu'il devienne, à jamais, ridicule. 

Mauras, lui, est persuadé peut-être, que le but de sa vie est 
une sorte de réfection de la France par le retour du roi, et je 
conviens qu'il s’y emploie de tout son cœur. Mais, à mes yeux, 
les grands accroissements du royalisme, les succès de l’Action 
Française ne sont pas un but, mais le moyen, à l’aide duquel le 
but, c’est-à-dire la victoire sur le libéralisme, est atteint. 

Il est impossible de compter aujourd’hui le nombre d'hommes 
qui, par amour dela France, sont entrés dans l'Action Française 
et qui, jusqu'ici, n’y ont trouvé que la fin de leur libéralisme. 
Ïls y trouveront, peut-être, quelque chose encore plus tard, mais 
jusqu'ici ils n’y ont trouvé que cela et l'y ont trouvé en cherchant 
autre chose. Or, ceux qui ont accepté les doctrines de Mauras ne 
sont pas seulement en France 4 il y en a en Belgique, en Suisse 
et en Italie, même en Amérique, et tous ceux-là, de même que 
ceux qui sont en France, n’ont trouvé encore par leur adhésion 
à l'Action Française que la mort du libéralisme, qui auparavant, 
était très vivant chez eux, et, si l’on y prend garde, tout, dans la 
vie et l’action de Mauras, est coordonné vers cette lutte, et. cette 
victoire qui réussit à abattre une des têtes et peut-être la plus 
dangereuse de l’hydre révolutionnaire. Lui-même verra plus 
tard en réfléchissant à toutes ces choses que l’homme s'agite, 
mais que c’est Dieu qui le mène. Il s'est agité beaucoup pour le 
roi, et Dieu l'a mené à une victoire de l’Église sur.la révolution. 
Je suis convaincu que, si je.connaissais bien la vie de Mauras et 
la chaîne des évènements et des idées qui la constituent depuis. 
son enfance, je pourrais faire la démonstration que sa mission a 
été véritablement ce que je dis.et pas autre chose, car autre 
chose demeure possible encore, et, s’il plaît à Dieu, s'accomplira. 

Mais voici ce que j'imagine simplement à l’aide de deux faits 
certains, d’abord son voyage à Aix pour assister au sacre de 
Monseigneur Penot, son ancien professeur ; l'autre, que je viens 
d'apprendre il y a deux jours, à sayoir : qu’il a été le disciple sinon 
le secrétaire d’Anatole France. .Ce qui a dû se passer chez lui 


528 | A PROPOS DE LA 


d'après ces faits, et aussi parce qu'il est né d’une famille catho- 
dique et royaliste et qu’il est un homme de chair et d'os comme 
tous les autres, le voici : Il a dû subir, vers l’âge de quinze ans, 
une crise terrible, en proportion même de la richesse de sa nature. 
Qui ne connaît et qui n’a souffert une crise semblable ? IL fut 
alors romantique, c’est-à-dire, à peu près fou, et l'abbé Penot qui 
devait attendre ou augurer beaucoup de lui, dut se donner un 
mal extrême pour le ramener, par les écrivains classiques, au bon 
sens et à la foi. 

Je ne sais s’il réussit sur le second —. ; Mais, certainement, 
le succès fut parfait sur le premier. Un peu plus tard, Mauras, 
conscient de sa force, comptant sur ses coudes pour se faire une 
place au soleil, ne rêva plus que Paris, ce qui ne prouve pas qu'il 
fût dépourvu d’ambition, au moins littéraire. Là, prenant l'air 
du temps et la direction du vent ; sans doute aussi, séduit par 
quelque lecture antérieure, il voulut être un des disciples d’Ana- 
tole France, et il le fut. 

Je ne crois pas que depuis Voltaire, la Fi rance ait vu un 
homme aussi funeste qu'Anatole France. Certes, il est héritier 
direct du patriarche de Ferney ; mais, comme il a un peu plus 
de goût que lui, il a pris soin d'éviter le poème épique et la tra- 
gêdie. Mais après, entre les deux, j je serais porté à croire que c’est 
Anatole France qui l'emporte en impiété absolue et tranquille, 
en mépris de l’humanité, en haine spéciale de la France tradi- 
tionnelle et de Jeanne d'Arc. Anatole France a, en ce genre, une 
supériorité encore sur Voltaire, c’est qu'il exalte les Juifs autant 
que Voltaire les méprisait. ou En 

Auprès de lui, Mauras trouvait, en même temps un maître 
dans l’art d'écrire, un philosophe épicurien et sceptique dont le 
souffle empoisonné desséchait l’âme si on ne lui échappait pas à 
temps et lui imprimait un triste stigmate, alors même qu'on par- 
venait à s’arracher à sa fascination. Ce qui restait à Mauras 
d'atavisme chrétien et de foi royaliste dut souffrir étrangement 
à ce contact. Mais, bientôt, il dut sentir qu’il cessait de souffrir et 
que tout s’écroulait en lui, tout, excepté le désir de réussir dans 
les lettres. Après cela, le néant pour le passé, le présent et 
l'avenir. 

Devant ce gouffre qui Le fascinait, ce que Mauras avait reçu de 
sa famille et de l’abbé Penot, recula d'horreur. Sa riche nature 
également lui criait que sa vie pouvait être utilisée et qu'il avait 
en lui de quoi servir, au moins, la Frahce et le roi, mais qu'il 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 529 


était temps de s’arracher au scepticisme et de revenir à quelques 
vérités certaines. La philosophie d’Auguste Comte ne parut lui 
demander aucune foi et cependant conduire à la certitude, très 
spécialement en sociologie et en politique; les conclusions de cette 
philosophie étaient,d’ailleurs,identiques à celles qu'iltrouvait dans 
ses traditions de famille : et le voilà positiviste,agnostique. Pendant 
ce temps il faisait de la critique littéraire dans le sens classique, 
avec une netteté, un ordre, une force, un courage qu'on ne voyait 
guère autour de lui et sans nul respect pour les réputations usur- 
pées, lorsque la crise dreyfusienne éclata. Cette même netteté 
d'esprit, cette même vigueur et ce courage le jetèrent dans le 
journalisme politique et lui donnèrent de l'autorité. Quand le 
premier nationalisme eut montré son impuissance, ce fut lui qui 
donna, au second, la doctrine dont il vit, qui le dirige et qui lui 
assure de jour en jour des conquêtes plus nombreuses. Mais, 
encore une fois, tout cela jusqu'à présent, n’a donné qu’un seul 
résultat bien acquis et bien certain : la défaite du libéralisme et 
le ridicule des libéraux, surtout conservateurs et catholiques. Ce 
point est acquis et demeurera pour jamais. Le reste viendra ou 
ne viendra pas, Dieu le sait. Mais, alors même que la restaura- 
tion monarchique réussirait pleinement selon les vues de l’Action 
Française, le service rendu à la France, à l'Église, à l'humanité 
entière, serait-1l aussi grand que l'est la seule victoire sur le 
libéralisme. Il n’est pas certain, jusqu’à présent du moins, que la 
défaite du libéralisme suffise à faire triompher l’idée royaliste, et 
chacun peut voir que le succès de celle-ci n’a été que le moyen 
d'arriver à celle-là. 


IV 


Ce fut dans le Correspondant que je lus pour la première 
fois : « L'Église catholique doit être privilégiée en France et 
partout. » Je ne puis dire combien, au premier moment, je fus 
heureux de lire ces paroles. J'étais si fatigué des protestations 
faites, avec la dernière énergie, par ce brave Chesnelong qui 
s'imaginait faire quelque chose en opposant à des faits trop réels, 
quelques paroles trop creuses ; et maintenant j'étais encore plus 
écœuré d'entendre la masse des catholiques français se contenter 
de réclamer, sous le nom de droit commun, une trop petite place 
au soleil pour Notre Seigneur Jésus-Christ et son Eglise et, 
cela, sur un ton qui semblait dire : Nous serons bien sages, nous 


E. F, — xXUX. — 34 


530 A PROPOS DE LA 


ne ferons aucun bruit, supportez-nous seulement, et nous vous 
serons si reconnaissants. Or, le beau de l'affaire était que la 
parole qui me donnait pleine satisfaction était dite par deux 
hommes qui avouaient n'avoir pas la foi et qui reprochaïient au 
directeur du Correspondant, chrétien fervent, pratiquant, 
intelligent, académicien, cette attitude trop modeste pour l’Église 
catholique et même injuste, de la vouloir seulement dans le 
droit commun, car, ajoutaient les deux mécréants, il n’est pas 
possible de mettre sur le même pied la seule religion qui a civi- 
lisé le monde et les sectes qui ont failli ramener le monde à la 
barbarie. De fait, il saute aux Yeux que c'est là une injustice en- 
vers l'Église en même temps qu'un crime envers l’humanité, car 
on ne peut pas reprocher à Mauras de n’avoir voulu faire qu’une 
formule ou une parade en vue d’appeler les catholiques à l’aide, 
pour le triomphe de son idée politique. Il s’agit sans doute de la 
France. Il se peut que la France ait mieux profité de l’Église 
catholique et de tous ses bienfaits que les autres nations; il se 
peut aussi que l’Église ait traité la France en fille aînée et l’ait 
favorisée dans le partage de ses biens. Mais les deux positivistes 
établissent que c’est en France et partout que l” Église catholique 
doitètre privilégiée et l'Action Françaiseest revenue des centaines 
de fois sur ce partout. Aux yeux de Mauras, les gouvernements 
sont obligés de privilégier l’Église qui civilise ou civilisera les 
peuples qu'ils gouvernent et de l’élever dans leur estime et le 
traitement qu'ils lui font, bien au-dessus des sectes qui rendent 
les peuples pires de toutes les manières. Il ne s’agit donc pas de 
politique, alors même que celle de Mauras y trouverait quelque 
avantage, mais 1l s'agit de l'humanité toute entière. 

Qu'est-ce que cela signifie, sinon qu'aux yeux de Lucien 
Moreau et de Mauras, l'Église catholique est vraiment catho- 
hque c’est-à-dire qu’elle est une société ou une institution qui 
convient à tous les temps, à tous les lieux, et qui s’est montrée 
partout, seule capable d'améliorer les temps et les lieux. Et cela 
leur paraît ainsi, sans qu’ils comprennent rien ou que même ils 
essayent de comprendre quelque chose, à l’âme vivante de 
l'Église, aux principes intérieurs qui lui permettent d'agir de 
cette sorte et avec succès. Non, ils ne voient et n’apprécient que 
le fait extérieur. Ils voient que dns toute l’histoire des hommes, 
l'Église catholique, seule, a civilisé et magnifiquement civilisé 
l'humanité. Qu'est-ce à dire, si ce n’est qu'elle seule a réussi à 
rétablir les hommes dans la paix en les rétablissant dans la jus- 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 531 


tice ; qu'elle seule a réussi à faire de la mauvaise volonté 
humaine cette bonne volonté à qui les Anges ont promis la paix, 
à la naissance du Seigneur ; car la civilisation n’est pas autre 
chose qu’un état social dans lequel existe une force physique ou 
morale capable de protéger et de défendre les droits de chacun, 
de manière que tous puissent déposer les armes parce qu'ils n'en 
ont plus besoin pour défendre leurs droits. Or cela, depuis vingt 
siècles, n’a existé que là où l’Église catholique a joui de son pri- 
vilège de parler au nom de Dieu et d’obliger les consciences en 
ce nom sacré, et là où elle n’a pas eu cette liberté, qui est son 
grand privilège, aucune force publique, aucune gendarmerie, 
aucune police, n’y a réussi. (1) | 

Il est facile de voir, à tout homme qui veut regarder et qui ne 
s'étonne pas de trouver quelque excès ou quelque insuffisance 
dans une société humaine, à un homme capable de sourire 
quand on lui parlera du procès de Galilée et d’autres niaiseries ; 
il est possible à un tel homme de se rendre compte que, jamais, 
il n’y a eu sur la terre rien de semblable à l'Eglise catholique. 
Un chef infaillible qui affermit et assure la foi de tous, ainsi que 
la règle de la morale et de la prière ; au-dessous de lui, des évê- 
ques surveillant de très près les prêtres chargés d’administrer les 
sacrements et d'annoncer la parole divine, pouvant les récompen- 
ser ou les punir de peines ecclésiastiques, suivant leurs mérites 
ou démérites, et ceux-ci ayant le droit de recourir au Pape ; ces 
prêtres agissant directement sur les fidèles en chaire, d’une 
manière publique que les évêques et les fidèles peuvent contrôler, 
enseignant une religion partout la même, par le même catéchis- 
me, achevant au confessionnal la formation de la conscience 


È 
(1) J'aurais souhaité que Lucien Moreau et Charles Mauras, qui ont si bien vu que 
les sectes ramènent l'humanité à la barbarie, nous eussent dit à quel état au-dessous 
de la barbarie la conduit un gouvernement areligieux, c'est-à-dire séparé de l'Église 
et des sectes. Il n’est pas aisé de le deviner, un gouvernement semblable et une 
société faite à son image n'ayant jamais été observés puisqu'ils n'ont pas existé. — 
Peuvent-ils même exister ? à | 
Une analogie me fréppe.Le trou paren haut que Marcel Sembat reconnait dans nos 
institutions et qui conduit la France à la ruine et à la mort, trou que d'après Maures, 
seule la présence du roi peut combler, ressemble singulièrement au trou par en haut 
que la philosophie agnostique fait pour tout l'univers et très spécialement pour l’hu- 
manité, trou que la présence de Dieu seul peut remplir, etje me demande si les ré- 
sultats ne seront pas nécessairement les mêmes pour l'humanité et pour la France 
puisque en France rien ne remplace la présence du roi et dans l'humanité aucune 
expérience, aucune sociologie, si parfaite soit-elle, ne réussira à remplacer la pré- 
sence de Dieu. Résultat nécessaire dans les deux cas, la mort par voie d'absence de 
toute morale. | 


532 A PROPOS DE LA 


chrétienne en élevant son caractère, développant sa délicatesse et 
le sentiment de sa responsabilité ; non, il n’est pas possible de 
rien voir de plus efficace et de plus sûr pour établir la paix dans le 
bon ordre et améliorer perpétuellement les individus, les familles 
et toute la société. 

L'Eglise fait tout cela nécessairement parce qu'elle est telle et 
qu'elle est ainsi constituée. Il faut qu’elle le fasse, comme auto- 
matiquement, parce qu’elle est une et sainte comme elle est 
infaillible. I1 n’est pas nécessaire d’être catholique pour le voir. 
Il faut l'être sans doute, pour croire et apercevoir ensuite les 
divines réalités qui sont l’âme vivante de l'Église, mais non pour 
se rendre compte de sa construction, pour ainsi dire extérieure, 
de son fonctionnement et des bienfaits qui en résultent. Or, c'est 
sur ces faits extérieurs que nos positivistes basent leur maxime 
que l'Église catholique doit être privilégiée, tandis que les pro- 
pres enfants de cette Église croiraient presque blasphémer, s'ils 
prononçaient une parole semblable. Ah ! que la raison baisse, 
quand la foi elle-même a baissé dans les âmes baptisées. 

Il n’est pas moins facile de voir que toutes les sectes tendent 
à ramener l'humanité à la barbarie. Par ses principes et par son 
origine, le protestantisme y tend avec la dernière évidence ; ses 
deux principes sont : le libre examen, ou individualisme, guerre 
sociale, mort ; et la négation de la liberté individuelle, c’est-à- 
dire de la responsabilité, et de la morale. Que ces deux principes 
se battent entre eux, je ne dis pas non; mais Luther et Calvin les 
ont également admis l’un et l’autre. Quant aux origines, il suffit 
de rappeler que partout le protestantisme est né les armes à la 
main pour attaquer l'ordre de choses existant, qui est l’Église 
catholique. 

L'autre secte, les Juifs, ne tendent pas seulement à nous 
rendre barbares comme ils l'ont toujours été eux-mêmes ; mais ils 
vont tout droit à faire de nous leurs esclaves, à nous conserver, 
uniquement, dans la mesure où ils peuvent avoir besoin de nos 
services. Inutile de parler du mahométisme, qui est aujourd’hui 
en déliquescence. 

Si quelquefois l'Église catholique a été entravée dans sa tâche 
c'est toujours lorsque les pouvoirs civils ont réussi à se l’assu- 
jettir en lui enlevant quelques-uns de ses droits qu’ils rempla- 
cent par de faux bienfaits ; or, elle doit être indépendante, pro- 
priétaire par conséquent ; n’avoir besoin ni du gouvernement, 
ni des riches, ni des pauvres, afin de pouvoir avec une noble 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURAS 533 


fierté, servir pour l’amour de Dieu, les gouvernements, les pau- 
vres et les riches ; ces privilèges les hommes peuvent ou les lui 
donner ou les lui refuser ; mais quoiqu'ils fassent, ils ne peuvent 
empêcher qu'elle y ait droit et que ce droit lui vienne de Dieu. 
Cela, probablement Mauras nele comprend pas, maisil compren- 
dra mieux sans doute que ce droit qui lui vient de Dieu fait d’elle 
nécessairement toujours, où une reine qui comble le peuple de 
ses bienfaits, ou une persécutée qui, aux catacombes, en prison, 
sur l’échafaud, en versant son sang, fait naître de nouveaux 
chrétiens. 

Entre autres sujets de reconnaissance envers l’Église et d’une 
reconnaissance très spéciale, Mauras place, je crois, la conser- 
vation et par suite, la transmission de l’esprit grec et de l’ordre 
romain ; il est certain qu'elle n’a jamais voulu répudier ce qu'il 
y avait de bon dans les sociétés qui lui sont antérieures. Même 
elle a continué avec un succès, meilleur encore, le travail com- 
mencé par les prophètes et les hagiographes du peuple de Dieu, 
comme elle a accepté des peuples les plus antiques les traditions 
primitives : de la Grèce une logique et une poésie, une littéra- 
ture plus naturelle, etde Rome un gouvernement plus prévoyant, 
plus fort, plus juste, et peut-être Mauras pensait-il à l'alliance 


que son maître Auguste Comte aurait tenté de faire avec le Géné- 
ral des jésuites. 


(A suivre.) P. ExUPÈRE de Prats-de-Mollo. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE 
SCOLASTIQUE 


(SUITE) (1) 


B. Manuels. 


_Le choix d’un manuel est d'une importance capitale dans le pro- 
blème de l'enseignement philosophique. A ses élèves, le maître désire 
donner un livre de texte, clair, bien ordonné, assez explicite pour 
contenir l'essentiel de la doctrine, assez concis cependant pour laisser 
place à ses développements personnels. Mais où trouver le manuel 
idéal ? Il est bien peu de professeurs qui s’estiment assez heureux pour 
avoir mis la main sur cet oiseau rare. 

Le manuel idéal ! Chaque professeur de philosophie le conçoit 
d’ailleurs suivant ses propres rêves. Si tous l'écrivent, pour eux, dans 
leur pensée et sur leurs cahiers, la plupart résistent à la tentation de 
le produire en public. Il en est pourtant qui ont cette faiblesse ou ce 
courage. Ils affrontent la critique car ils estiment faire une œuvre 
louable en présentant à la jeunesse studieuse desinstruments de travail 
nouveaux, mieux appropriés aux besoins des temps, ou au but spécial 
poursuivi à chacun des degrés de l'enseignement. 

De ces manuels nouveaux, semés aux quatre coins du ciel par les 
éditeurs, quelques-uns se sont arrêtés, dans leur course, sur les rayons 
de ma table de travail. Je me permets de les présenter à mes lecteurs. 


Je commence par un PRÉCIS DE PHILOSOPHIE, conforme au pro- 
gramme du baccalauréat de l’enseignement secondaire, dont M. Leves- 


(1) Cf. Études Franciscaines, Avril 1913. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 535 


que, professeur au Grand Séminaire de Coutances vient de faire 
paraître le premier volume, consacré à la Psychologie. (1) 

Bien que le plan du volume soit imposé par le programme même 

du baccalauréat, l'auteur s'y meut d’une allure assez personnelle. Il 
est dominé par le désir de répondre aux « desiderata » du Ve Congrès de 
l'Alliance des Grands Séminaires et d’obéir aux décisions du Congrès 
de l'Alliance des maisons d'éducation chrétienne de Vannes. La pré- 
face en fait, d'ailleurs, l'aveu explicite. Elle présente ce Précis, comme 
« un essai de conciliation entre les exigences des Facultés et les direc- 
tions imposées par l’Église aux établissements catholiques. » En celà, 
rien qui puisse étonner. L'enseignement de la philosophie au Collège 
a'est-il pas destiné à préparer les voies à l’enseignement de la scolas- 
tique comme les théories philosophiques de l’École elle-même tendent 
à faciliter l'étude de la Théologie ? Et l’auteur me sembleparfaitement 
comprendre le rôle respectif de la philosophie du Collège et de la phi- 
losophie du Grand Séminaire, quand il écrit : « dans la préparation 
au baccalauréat, il est indispensable de s'arrêter surtout aux nouveau- 
tés, en les appréciant d’après les vieux principes ; au Séminaire on 
étudiera directement ces bases métaphysiques. » Son vœu a donc été 
de fournir aux élèves, avec un manuel qui puisse les préparer aux 
examens officiels, « un volume qui soit aussi le trait d'union de la 
philosophie universitaire et de la philosophie scolastique. » 
_ Ce vœu est réalisé, dans une grande mesure … dans toute la me- 
sure du possible ? je n’oserais pas l’affirmer. Sans doute, les points 
essentiels de la psychologie aristotélicienne et scolastique figurent en 
bonne place dans ce nouveau manuel. Ils sont exposés avec précision 
encore que très sommairement, car l’auteur cherche moins la profon- 
deur doctrinale que l'histoire exacte des doctrines. Et c’est dans cette 
érudition historique que se montre le défaut le plus sensible de l'ou- 
vrage de M. Levesque. | 

On y trouve en effet non seulement des extraits des auteurs classi- 
ques, mais encore de nombreuses citations empruntées aux écrivains 
les plus en vogue de nos jours, des coupures faites dans les périodiques 
de philosophie scolastique ou moderne. Une grande attention y est 
donnée aux représentants de la pensée contemporaine. Th. Ribot, 
A. Fouillée, H. Bergson, W. James y viennent exposer, par leurs 
textes les plus suggestifs, les nuances si variées de leurs doctrines. 

Loin de moi la moindre velléité de blâmer cette sollicitude à l'égard 
des besoins de la pensée moderne. On ne forme pas les esprits pour les 


(1) 1. vol., in-8, de 595 pages, prix 5 francs ; de Gigord, Paris 1912. 


536 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


luttes du passé, mais pour celles du présent. Il est donc nécessaire que 
les intelligences soient mises en contact avec les doctrines nouvelles 
pour en saisir la véritable signification et tout au moins en deviner la 
faiblesse. Toutefois 1l y a « la manière » et je crains que M. Levesque 
n'ait pas choisi encore la meilleure. Son manuel est trop touffu, trop 
plein : il éclate d'embonpoint. L'auteur lui-même le sent et s'en 
excuse. Il s'est pourtant efforcé de diminuer, autant que possible, ces 
inconvénients, par les soins qu'il apporte à la composition typogra- 
phique : paragraphes nettement séparés et annoncés par des manchet- 
tes en évidence, doctrines et noms d'auteurs soulignés par des carac- 
tères gras, rejet au bas des pages de notes nombreuses, où l'élève 
studieux pourra lire des extraits intéressants des livres et revues philo- 
sophiques. 

Malgré ces soins matériels, la lecture du texte reste assez dure et 
demandera, on peut le redouter, un effort trop considérable à la majo- 
rité des élèves des Collèges. M. Lavesque, il est vrai, ne veut offrir 
qu'un simple « instrument de travail » dont le professeur apprendra 
à se servir et que, par ses explications, il rendra évidemment plus ma- 
aiable. Je veux l'espérer et ne plus insister sur ce point, de peur qu'on 
ne porte, à la lecture de cette Chronique, un jugement trop sévère sur 
ce nouveau Précis de Philosophie. Je le tiens au contraire en grande 
estime, car j'y vois un essai très louable de restauration de la scolas- 
tique dans l'enseignement philosophique du Collège et d'exposition 
sérieuse des doctrines contemporaines à peine indiquées dans les ma- 
nuels antérieurs. | 

Le Précis de M. Levesque tient une place honorable à côté des 
manuels si répandus de M. Durand, du P. Sortais et du P. Lhar. S'il 
enseigne les mêmes doctrines, c'est avec une nuance particulière, et 
sur plusieurs points, il est vraiment « nouveau ». 


+ 

Parmi les manuels de philosophie scolastique purs, en voici un que 
nous envoie, de Rome, le R. P. Gredt, O. S. B., professeur de philo- 
sophie au Collège Saint-Anselme.Il a pour titre : ELEMENTA PHI- 
LOSOPHIÆ ARISTOTELICO-THOMISTICÆ. (1) L'ouvrage 
paraît en seconde édition. Les deux volumes, publiés il y a déjà une 
quinzaine d'années, se sont augmentés, (editio aucta) de façon à 
pouvoir servir de manuel pour un cours de trois ans, et d'assez 
grandes modifications se sont introduites dans le plan primitif, (editio 


(1) 2 vol. in-8°, de 496 et 447 pages. Fribourg-en-Brisgau. Herder 1909 et 1912. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 537 


emendata). Le P. Gredt dispose ainsi les matières de l’enseignement 
philosophique : Logique et Philosophie naturelle, t. I ; Métaphysique 
et Éthique, t. II. Dans ce cadre général, les matières sont distribuées. 
conformément à la tradition de la plus austère scolastique des XIV, 
XV et XVIe siècles. 

C'est avec la mentalité des auteurs anciens que le docte bénédictin 
conçoit la Logique ; il la divise en Logique formelle et matérielle ; 
dansla Logique matérielle, il donneune placeimportanteàla question si 
subtile des universaux et expose assez longuement la doctrine des pré- 
dicaments, scrupuleusement encadrée entre les notions des « antépré- 
dicaments » et des « postprédicaments ». — Comme l'ancienne Phy- 
sique, la Philosophie naturelle absorbe le traité de l'âme. Elle se 
fractionne en deux traités, De ente mobili in genere et De ente mobil; 
in specie, répondant ainsi aux traités désignés sous les noms plus 
modernes de Cosmologie et de Psychologie. — Les questions méta- 
physiques qui remplissent la Philosophie naturelle diminuent l'am- 
pleur de la Métaphysique Générale ou Ontologie. Aussi le P. Gredt 
a-t-il conçu sa Métaphysique sur un plan assez nouveau, assez. 
semblable même à celui que M. Audin préconisait dans son article 
de la Revue Thomiste résumé plus haut. Il distingue donc la méta- 
physique générale et la métaphysique spéciale. En métaphysique 
générale, il étudie l'être en sos d’abord, dans sa notion et ses propriétés 
transcendentales et sa division en acte et puissance ; puis dans ses 
rapports avec l'intelligence et sous cette rubrique se cache un traité 
de critériologie. De la métaphysique spéciale, une partie est consacrée. 
à l'être immatériel créé, au point de vue de l'essence et de l'existence, 
de sa division en prédicaments, de la causalité qu'il implique ; l’autre 
partie a pour objet l'être immatériel incréé et répond à la Théodicée. 
— Enfin un traité d’Éthique, dont la disposition n'offre aucune parti- 
cularité termine ces Elementa. 

Voilà pour le plan. Quant à la doctrine, le titre l'indique assez : 
elle est aristotélicienne mais surtout thomiste. Et le thomisme du 
P. Gredt ne connaît pas de nuances ; il est absolu. Toutes ses thèses, 
d'ailleurs énoncées avec précision, conduites avec une assez remar- 
quable vigueur dialectique et suffisamment développées, réflètent la 
doctrine la plus communément défendue par l'école du docteur angé- 
lique. Les opinions divergentes, scotistes, suarëziennes ou autres 
ont cependant les honneurs d’un signalement rapide. Mais c’est tout. 
Il est visible que l'auteur les croit suffisamment anéanties par les 
preuves qu'il apporte en faveur de la pensée thomiste. Quelques 
esprits trouveront peut-être que l'exécution est un peu sommaire. Le 


538 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


P. Gredt s’en excusera sans doute en répondant qu'il n’a voulu écrire 
que des Elementa et ne donner que la doctrine aristotélico-thomiste. 

A cette même préoccupation exclusive, j'attribuerais encore l’insuf- 
fisance des efforts de l’auteur pour donner une esquisse des théories phi- 
losophiques contemporaines.On ne sent point dans son ouvrage le souci 
des besoins intellectuels qui tourmentent les esprits de notre siècle. Les 
noms des philosophes modernes viennent évidemment parfois sous 
sa plume et en quelques lignes il indique leurs positions, mais d’une 
manière vraiment trop rapide et trop superficielle. Les Elementa pla- 
nent trop au-dessus de la vie intellectuelle présente. Ils sont de tous 
les siècles, comme les meilleurs commentaires d'Aristote : ils ne sont 
pas assez du nôtre. Le P. Gredt s’en excuse presque, en disant que ses 
Elementa supposent un cours d'histoire de philosophie, avec lequel ils 
no doivent pas faire double emploi. L'excuse est peut-être faible, car 
les thèses du manuel, conçues en dehors de toute erreur et de toute 
opinion étrangère à la scolastique, ne forment point suffisamment l’es- 
prit à la défense des doctrines traditionnelles. 

De là sans doute aussi, des lacunes assez nombreuses. On ne trouve, 
dans ces Elementa, presque rien sur l'induction et la méthodologie. 
Trop rares encore, les quelques notions scientifiques qui peuvent 
rendre plus attrayante et en quelque sorte plus sensible la doctrine de 
la matière et de la forme, centre de la Cosmologie scolastique. Aujour- 
d’hui tous les auteurs cherchent à élever les synthèses métaphysiques 
sur l'observation et l’'expérimentation: le P. Gredt s’affranchit de cette 
sollicitude, car avant d'étudier les phénomènes vitaux et les puissances 
végétatives, sensitives et intellectuelles, 1l traite expressément de la 
nature de l'âme, de son origine et de sa fin. Ce renversement est, de 
toute évidence, contraireà l’un des principes essentiels de la méthode : 
«Aller du plus connu au moins connu. » Dès lors, la voie s'ouvre assez 
large pour l’a-priori. En métaphysique, beaucoup de conclusions ne 
découlent point des principes premiers comme un corollaire découle 
d’un théorème. Le P. Gredt se comporte donc en ces circonstances, 
peut-être comme un parfait commentateur de saint Thomas, mais 
non comme un maitre qui conduit ses élèves avec ordre et veut leur 
faire voir avant de conclure. 

Parmi les lacunes de ce manuel, j'en signalerai encore quelques 
autres. La question de l’évolution y est si rapidement traitée qu'on a 
peine à croire qu'elle puisse tenir une si grande place dans la pensée 
et les recherches scientifiques de nos contemporains. Très diminuée 
aussi la Critériologie : 40 pages seulement ! L'auteur les a jugées suf- 
fisantes pour exposer la notion et prouver l’existence de la vérité, pour 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 539 


réfuter le scepticisme et le doute méthodique, pour affirmer l'objecti- 
vité des concepts et des perceptions sensibles. Mais il est bien évident 
aussi qu’un traité aussi raccourci ne munit point, comme il le faudrait, 
l'esprit des jeunes étudiants, contre les objections des subjectivistes et 
des positivistes qui s’acharnent sur cette question capitale, d’où dépend 
la valeur et le sort de la métaphysique. Au cours de son ouvrage, le 
P. Gredt défend, ici et là, plusieurs principes, qui, de près ou de loin, 
se rapportent au problème critique, mais ces exposés manquent de 
cohésion et ne permettent pas de saisir les adversaires dans leurs véri- 
tables positions. 

. Quelle question plus actuelle ique celle de l'existence de Dieu ? Et 
pourtant elle est traitée en moins de dix pages, sans autres preuves que 
celles de saint Thomas,sans allusion aux objections des philosophes et 
savants contemporains. En Éthique, une modeste thèse de cinq pages 
est consacrée au droit de propriété... Combien d’autres questions 
vitales écourtées, tandis que des théories plus vieillies et d’un intérêt 
contestable, en logique surtout, retiennent longtemps la plume de 
l'auteur. | | | 

C'est dommage, car ces Elementa se présententavec de bonnes qua- 
lités didactiques : clarté dans l’exposition, précision dans les termes, 
vigueur dans le raisonnement. On peut les recommander, sans crainte 
de tromper ceux qui veulent, avant toute autre préoccupation, avoir 
un manuel fidèlement thomiste. 


“* 
+ 


Assez différente, dans le plan, le but et la doctrine, est la SUMMA 
PHILOSOPHIÆ CHRISTIANÆ que publie à Insbruck, le P. J. Donat. 
S. J. L'ouvrage complet formera sept petits volumes, disposés suivant 
l'ordre communément reçu : Logica, Critica,Ontologia, Cosmologia, 
Psychologia, Theodicea, Ethica. Je ne parlerai ici que des trois pre- 
rniers et de la Psychologia, les seuls qui soient parus ou du moins 
qui soient arrivés jusqu'à moi. (1) | 

Dans sa préface générale, le P. Donat indique sa méthode : « résu- 
mer les résultats des recherches récentes, spécialement dans ledomaine 
scientifique, relatives aux différents problèmes philosophiques, afin 
d'appliquer aux questions nouvelles les principes toujours jeunes et 
vivants de la philosophia perennis, et d'accommoder les questions 
anciennes aux exigences de la science moderne. » Le programme est 


(1) Volumes petit in-8: Logica, pag. 149; Critica, pag. 180; Ontologia, pag. 182; 
Psychologia, pag. 288 ; chez Félicien Rauch Insbruck. 


540 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


fort beau mais difficile à exécuter. Un manuel de philosophie scolas- 
tique ne devrait point en effet se départir de la bonne méthode didac- 
tique, à laquelle sont, par exemple, scrupuleusement fidèles les 
Elementa du P. Gredt, méthode qui exige de la précision dans l'énoncé 
des thèses, de la brièveté dans l'exposé des opinions et de La dextérité 
dans l'emploi perpétuel du syllogisme. Les questions anciennes sou- 
mises depuis des siècles au travail d'une pensée pliée à cette méthode, 
se moulent parfaitement dans ses cadres rigoureux. Les problèmes 
nouveaux n'ont pas la même souplesse. De là de graves difficultés que 
connaissent tous les professeurs de philosophie scolastique. Il faut 
dont être indulgent pour ceux qui ont le courage de se livrer à cette 
entreprise. 

Mais au fait, le P. Donat a-t-il, et dans quelle mesure et avec quel 
succès, réalisé le programme qu'il s’est lui-même tracé ? Je ne sais 
comment répondre. Une certaine déception s'est emparée de mon 
esprit à la lecture de ces quatre volumes. La préface m'avait donné, 
un instant, l'illusion que j'allais trouver le manuel idéal que nous 
rêvons toujours et, à mesure que j’avançais, je voyais mon rêve se 
dissiper, au moins partiellement. L'auteur connaît assez bien les doc- 
trines des philosophes contemporains et il est au courant des questions 
scientifiques. Sa Psychologie surtout ne permet pas d'en douter. Il 
laisse voir fréquemment qu'il poursuit des adversaires réels et actuels 
et qu'il s'adresse à des esprits modernes. Et cependant l'exposé qu'il 
fait de la philosophie ne satisfera pas tous les professeurs, appelés à 
choisir un livre de texte pour leurs élèves. 

Pour moi, je voudrais un compendium à la fois plus concis et plus 
développé ; plus concis : en mainte page, le P. Donat écrit avec le 
laisser aller d'un professeur qui parle ; c'est trop ; à chacun son rôle : 
au manuel d'être un guide pour l'élève, au maître, de développer là 
question que suggère et résume le manuel ; plus développé, car des 
questions importantes, soit pour la théologie dont la philosophie sco- 
lastique est l'indispensable appui, soit pour l’exacte connaissance du 
système scolastique lui-même, sont parfois traitées en quelques lignes 
et ces quelques lignes ne suffisent point pour donner un schème 
assez complet aux leçons orales du professeur. 

Au point de vue doctrinal, le P. Donat est thomiste,mais de nuance 
suarézienne très accentuée. [1 ne jure pourtant pas in verba magistri. 
Si parfois, il fait l'exégèse de saint Thomas, pour paraître le suivre en 
s'écartant du chemin par où marchent les purs thomistes, il ne craint 
pas, en d’autres circonstances, de se montrer indépendant, assuré, sans 
doute, par de bonnes raisons, qu'on peut-être philosophe catholique 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 541 


et anti-moderniste, sans accepter toutes les conclusions de l'école tho- 
miste, dominicaine ou simplement suarézienne. Je n'en veux apporter 
pour preuve que son jugement sur la distinction réelle des facultés 
d'avec la substance, doctrine fondamentale qui a la valeur d'un dogme 
aux yeux de tout thomiste. Il écrit :« distinctionem realem intercedere 
probabile est, licet rationes convincentes afferri nequeant. » Ontol. 
p. 161. Le P. Donat se montre donc assez souvent moins affirmatif, 
moins absolu que beaucoup de ses devanciers. Probable encore seule- 
ment, à son avis, cette autre thèse importante de la psychologie qui 
établit l'existence de l’espèce intelligible et de l’intellect agent. Psych. 
P. 93. — Ailleurs il incline vers les opinions scotistes : la théorie qui 
admet une forme de corporéité dans les vivants : non est censenda 
improbabilis, parce que la doctrine opposée innititur rationibus non 
sat efficacibus et se trouve fatalement entrainée à admettre une forme 
cadavérique, au moment de la mort. Psych. p. 231 ; il se prononce 
contre l'animation du sang par l'âme, Psych. p. 236 ; il admet l’ani- 
mation du corps par l’âme raisonnable, dès la conception, Psych. 
p. 263. 

On le voit, une certaine liberté — que l'on appellera peut-être du 
libéralisme — circule au travers de la Summa du P. Donat. Pour les 
uns, ce sera une tare et un motif de condamnation ; pour les autres, 
une recommandation suffisante. Le verdict doit s'inspirer de raisons 
d'un autre ordre. Tout en étant reconnaissant à l’auteur d'avoir 
cherché à prendre contact avec les faits scientifiques et les doctrines 
modernes, d'avoir demandé ses conclusions aux preuves plutôt qu'à 
l'autorité d’un maître, on regrettera que son ouvrage n'ait pas cette 
sobriété nerveuse qui caractérise la méthode scolastique. 

La Summa Philosophiæ Christianæ est certainement un bon 
manuel, mais ce n'est point le manuel idéal. » 


* 
“+ 

Peut-être le trouvera-t-on dans un Cursus que semblent préparer, sans 
l'annoncer expressément, les Pères de la Compagnie de Jésus du sco- 
lasticat de Jersey. Quelques traités nous arrivent en effet de là. 

Voici d’abord une PHILOSOPHIA NATURALIS, du P. J. de la 
Vaissière. (1) L'auteur y développe les matières qui font l'objet des 
traités traditionnels de Cosmologie et de Psychologie. Elles y sont 
distribuées en six livres, sous ces titres : De corporibus et speciatim de 
inorganicis ; — de vita vegetativa ; — de vita sensitiva ; — de vita 


(1) 2 vol. in-16 de 344 et 400 pages Paris Beauchesne 1012. 


542 BULI.ETIN DE PHILOSOPHIE 


intellectuali ; — de composito humano ; — de mundo universo. Tous 
ces livres s’inspirent de la pensée scolastique, en présentent les thèses, 
en défendent les conclusions, mais rien cependant, en ces deux volumes 
qui ressemble, même de loin, à une réédition des traités déjà parus sur 
ces sujets. L'ouvrage du P. de la Vaissièré est vraiment nouveau. 

Il le paraît dès le premier coup d'œil par le nombre des références 
quise trouvent à chaque page. Aristote, Albertle Grand, saint Thomas 
et Suarez représentent la scolastique. À côté d'eux prennent places les 
philosophes étrangers à l’école, les célébrités scientifiques, les spécia- 
listes les plus marquants des sciences annexes à la philosophie, Et ce 
n'est pas là une vaine érudition, faite pour éblouir et pour en imposer. 

Le P. de la Vaissière a, en effet « repensé » le système scolastique 
en fonction de tous les systèmes modernes. Dans les cadres anciens 
déjà rajeunis par le choix des questions, il a condensé, avec une 
aisance et une richesse d’information remarquables, les opinions phi- 
losophiques les plus en vogue. S'il se trouve en ces opinions disparates 
une âme de vérité, loyalement elle est signalée et utilisée. Les théories 
fausses, étudiées à la lumière des principes aristotéliciens et scolas- 
tiques, se dissolvent et tombent. Les condamnations d'ailleurs sont 
modérées et l'auteur se garde bien de présenter comme absolues toutes 
les conclusions qu’il défend. La rigueur du raisonnement ne le cède 
en rien à l'intelligence des difficultés, des obscurités, qui trop souvent 
enserrent et parfois écrasent notre pauvre esprit. 

Facilement, le P. de la Vaissière ferait partager ses sentiments, par 
l’ordre même qui règne dans sa Philosophie naturelle. La division en 
est claire et logique. Je prends, sans chercher ailleurs, le premier 
article du livre ler : de essentia et existentia extensionis : il révèle suffñ- 
samment la marche de tous les autres. Trois paragraphes le divisent : 
1° notiones praeviæ, 2° de essentia, 3° de existentia extensionis conti- 
nuæ. Dans le premier paragraphe, tout d'abord declaratur conceptus 
objectivus extensionis ; puis l'on établit « stafum opinionum : » 
théorie objectiviste, théorie nativiste de Kant, théorie génétique de 
Hôffding, Bain, Stuart-Mill, Spencer, Lotze, Wundt ; théorie 
moyenne entre les deux précédentes de Ward, James, Bergson, et 
enfin, comme ayant moins d'intérêt, les théories dynamistes de 
Leibnitz et Boscovich, renouvelées par Ampère, Cauchy, Tyndall ; 
quelques-unes d’entre elles, les plus caractéristiques, sont exposées dans 
les textes mêmes des auteurs, en français ou dans une traduction fran- 
çaise. — L’essence de la quantité est déterminée, dans le second para- 
graphe, par une thèse, qui prend, dès les premiers mots, une allure 
très moderne bien qu'elle soit de la plus franche inspiration aristotéli- 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 543 


cienne. La voici : Anfinomiæ quæ dicuntur existere in notione objec- 
tiva extensionis continuæ solvuntur ex sequentibus propositionibus : 
1° ]n extensione continua nulla datur compositio actualis, nec ex 
partibus extensis, nec ex indivisibilibus. 20 Datur autem in ea compo- 
sitio potentialis quæ in eo consistit quod sit divisibilis in partes innu- 
meris modis et quidem in infinitum. — 30 Indivisibilia continui, 
quoad id quod formaliter dicunt, sunt merae negationes ; quoad id 
quod essentialiter connotant. non distinguuntur ab ipsa extensione 
quam determinant. La thèse est claire et cependant des prænotanda 
précisent encore la question dès le début : on donne la note de la cer- 
titude de la thèse : tres partes sunt metaphysice certæ ; on explique 
les termes principaux ; on rappelle le nom des adversaires ; puis vient 
la demonstratio. Elle est courte, car le problème a été strictement 
limité ; elle se présente sous un vêtement syllogistique de la coupe la 
plus sévère, dont toutes les articulations sont accentuées même par les 
dispositions typographiques. Enfin sont résolues, sans former de corol- 
laires, les antinomies que Renouvier et les néo-criticistes prétendent 
exister entre le simple et le composé, le fini et l'infini, l’existence et la 
non existence des parties. — Même procédé pour la thèse suivante : 
de existentia extensionis. Cet exposé schématique et sec laissera, je 
l'espère, deviner la méthode, la documentation et la valeur didactique 
de la Philosophia naturalis du P. de la Vaissière. 

Bien que d'inspiration thomiste et suarézienne, ce manuel garde, 
lui aussi, une certaine indépendance. On le voit surtout aux notes 
qui, suivant la pensée de l’auteur, déterminent le degré de certitude 
des thèses. Là où plusieurs énoncent, implicitement ou explicitement, 
des certitudes métaphysiques, il ne voit souvent que des certitudes 
physiques ou quelquefois de grandes probabilités. De ce soin, toujours 
en éveil, pour caractériser la valeur des affirmations, résultera une 
heureuse influence éducative, capable de donner aux élèves un esprit 
judicieux et modéré. 

La part notable faite aux citations françaises, par le P. de la Vais- 
sière, dans l'exposé des doctrines des auteurs modernes et des faits 
scientifiques, au cours de son manuel, chaque fois que ce procédé lui 
a paru préférable à une traduction difficile et souvent peu claire, ne 
lui a point semblé suffisante. En effet, le dernier tiers au moins de 
chacun de ses volumes est occupé par des annotations complémen- 
taires, presque toutes en français, qui n'auraient pu trouver place 
sans inconvénients dans le corps même du texte, et auxquels le texte 
renvoie. Il y a là des informations de tout ordre : notes sur la philoso- 
phie ancienne et scolastique, vues synthétiques des théories modernes, 


544 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


faits scientifiques, tirés de la physique, de la chimie, de la biologie 
et de la psychologie expérimentale, dont les uns servent d'appui aux 
doctrines péripatéticiennes et les autres lui opposent des objections. 
Ces annotations forment pour les élèves une mine précieuse de ren- 
seignements utiles et intéressants. 


* 
“# 


Mais le domaine de la psychologie expérimentale s'est tellement 
largi depuis 25 ans que ces annotations ont semblé trop réduites à 
l'auteur de la « Philosophia naturalis. » Il offre donc encore aux 
amis de la philosophie un autreouvrage, dont voici letitre : ELÉMENTS 
DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE. (1) 

Ce livre n'est pas un « manuel de laboratoire » ; il ne contient donc 
point la technique des expériences mais il les résume, il en expose la 
méthode et les résultats. Pour aider efficacement les élèves, le P. de la 
Vaissière a cherché, avant tout, à mettre de la clarté et de l’ordre dans 
<e vaste domaine où évoluent, avec la psychologie proprement dite, 
la psychophysique, la psychophysiologie, la psychométrie, la psychopa- 
thologie, la psychosociologie. 

Après quelques généralités sur la définition et la méthode de la 
psychologie expérimentale, il aborde son sujet qu’il divise en deux 
parties : psychologie animale et psychologie humaine. La première est 
enlevée rapidement : on y établit seulement l'existence de faits psy- 
chiques chez les animaux. Ces faits étant les mêmes que chez l'hom- 
me, il a paru préférable de les étudier en psychologie humaine. Dans 
<e domaine, l'introspection permet de les mieux connaïtre qu'en 
psychologie animale où nous sommes réduits à l'observation externe. 
La psychologie humaine fournit la matière de deux livres : la psycho- 
logie analytique consacrée aux éléments psychiques et la psychologie 
synthétique qui étudie les différents types psychiques, individus et 
sociétés. | 

Sans fatigue, malgré la sécheresse dont aucun manuel n'est exempt, 
le lecteur s’initie aux faits qui expriment et aux lois qui régissent, 
dans le monde de la vie sensitive, la connaissance, les états aflectifs, 
le mouvement, les tendances, les manifestations du conscient et de 
l'inconscient, — dans le monde de la vie intellectuelle, la connaissance, 
les sentiments, les tendances, les expressions de l'activité mentale, les 
phénomènes transcendants, (psychologie analytique) et enfin pour 


(1) 1 vol, in-16 de 382 pages, Paris Beauchesne, 1912. 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 545 


terminer, dans la psychologie synthétique, les caractères de l'individu 
et le psychisme spécial des collectivités. 

En des matières aussi différentes, il était difficile de suivre une 
méthode absolument identique. Et cependant avec ce grand souci de 
clarté qui caractérise ces Eléments non moins que la Philosophia na- 
turalis, le P. de la Vaissière revient presque toujours à un cadre assez 
simple : position du problème, faits d'expérience, lois induites, hypo- 
thèses diverses et conclusions. D'’ordre expérimental, ces conclusions 
préparent le travail du psychologue philosophe. Elles fournissent des 
pierres, pour élever l'édifice des synthèses rationnelles. Tel est d’ail- 
leurs le but poursuivi par cet ouvrage. Des remarques semées, çà et là, 
dans tous les chapitres, rappellent les liens qui doivent unir les con- 
<lusions de l'expérience et les spéculations de l'esprit sur les manifesta- 
tions et les causes de la vie psychique ou bien montrent, à l'évidence, 
l'impuissance de la psychologie positive pour rendre compte d'une 
manière complète des phénomènes dont elle formule les lois expéri- 
mentales. Dans ce même but encore, l'auteur est sobre sur la psycho- 
physique, car l'usage direct de la mesure des phénomènes psychiques 
paraît à peu près stérile pour la solution des vrais problèmes de 
psychologie expérimentale. 

Les Eléments de psychologie expérimentale seront accueillis avec 
empressement par les professeurs et les élèves de philosophie. Tout n'y 
est évidemment pas nouveau. Beaucoup de faits et de lois de psycholo- 
gie expérimentale ont pris place dans les manuels récents, particulière- 
ment dans les manuels écrits en langue vulgaire. Maïs nous n'avions 
encore aucun ouvrage qui présentât dans leur ensemble ces recherches 
et ces lois expérimentales. Le volume du P. de la Vaissière est donc 
assuré d’être bien reçu. Il le devra cependant plus encore à ses qualités 
intrinsèques, à la clarté de ses exposés, à la richesse de ses renseigne- 
ments, à la sagesse de ses conclusions. 

. 

Avec la Philosophia naturalis du P. de la Vaissière nous est encore 
arrivée une CRITERIOLOGIA du P. Jeannière, professeur, lui aussi, 
au scolasticat de Jersey. (1) Les deux ourages sont frères. Ils le sont 
par le format et les apparences extérieures. Ils le sont surtout par Île 
même souci des besoins intellectuels présents et parla même recherche 
méthodique de la vérité. 

Personne ne l'ignore, de tous les problèmes philosophiques de 


{1) 1 vol. in-16 de XVI — 616 pages. Paris Beauchesne 1912. 


E. F, — xxx. — 35 


546 BULLETIN DE PHILOSOPHIE 


l'heure actuelle, celui de la certitude tient, par son importance, le 
premier rang. Il est angoissant. DeJa solution qu'on y apporte dépend 
le sort de toutes nos connaissances. Il se pose donc avec une acuité 
extraordinaire. Bien qu'il n'ait pas été inconnu des anciens, il est 
nouveau par les formes qu'il revêt à notre époque. 

Aborder ce problème aujourd'hui, c’est s'engager à essayer une 
apologie de nos connaissances, à donner un traité rationnel de nos 
certitudes, à poursuivre un plaidoyer pour la défense des droits de la 
vérité objective. Mais en apologie, les procédés de discussion, pour 
aboutir, doivent partir de points communs admis sans contestation. 
Ces points indiscutables, le P. Jeannière les trouve simplement dans 
le fait initial de nos certitudes spontanées. Tout son manuel, dans ses 
éléments et dans l'ordre très rigoureux qui les relie, sort de là. Les 
questions s’y groupent en deux livres : r° De valore logico certitudinis, 
20 De revisione certitudinum. Ces titres, le premier surtout, peuvent 
paraître un peu vagues : quelques lignes d'analyse suffiront à les préciser. 

On sait le point de départ : la certitude estun fait et un fait irréduc- 
tible au doute et à l'opinion. Elle entre en nous avec les données expé- 
rimentales, les inductions idéales, les conclusions rationnelles et le 
témoignage. Elle s’installe dans notre esprit, tantôt par suite d’une 
nécessité intellectuelle, tantôt seulement sous la poussée de la volonté. 
Elle y produit enfin généralement la conviction qu'un objet, ou un 
non-moi, répond réellement ou idéalement à la connaissance certaine 
que nous avons. Cap. I. — Mais ces certitudes spontanées ne sont pas 
toujours objectivement vraies. De 1à naît le problème critique, pro- 
blème diffcile, peut-être, non cependant insurmontable, car l'esprit 
de l’homme est capable de réfléchir sur des certitudes spontanées. Il 
pourra peut-être trouver dans cette réflexion même un critere infail- 
lible de vérité qui soit en même temps un motif de certitude légitime. 
Cap. II. — Des essais tentés, beaucoup ont été infructueux : chaque 
solution mérite examen. Onen sait les noms génériques, le scepticisme, 
le cartésianisme, le psychologisme associationniste, le kantisme. La 
solution de la philosophie scolastique est autrement sage : elle admet 
que l'évidence objective est la marque de la vérité et le motif de la 
certitude. Cap. III. — Etce motif est inattaquable. Il n'y a pas, quoi 
qu'on dise, d’évidence trompeuse, car elle est d'ordre strictement intel- 
lectuel et ne peut exister vraiment que lorsque l'esprit saisit le lien 
intrinsèque qui, de fait, rattache nécessairement un prédicat à un 
sujet. Sans valeur suffisante sont donc encore tous les systèmes qui 
rejettent ce critère : le traditionnalisme, le pragmatisme, le fidéisme. 
Cap. IV. — La certitude réfléchie et guidée par l'évidence objective 


BULLETIN DE PHILOSOPHIE 547 


engendre seule la vérité et préserve de l'erreur : l'étude de ces deux 
notions occupe le dernier chapitre (Cap. V) de cette première partie. 

On devine plus facilement l’objet de la seconde. L'auteur y établit 
simplement,à la lumière du critère de l'évidence objective, la valeur de 
nos diverses connaissances, en les rattachant aux sources qui les pro- 
duisent, l’expérience interne, conscience et mémoire, l'expérience 
sensible et externe, l'intelligence dans ses différentes fonctions : l’abs- 
traction de l’universel, les jugements immédiats, les conclusions 
déduites ou induites, le témoignage humain ou divin. 

Sans peine on reconnait dans ce travail, clair, logique et très 
moderne, l'influence de laCritériologie Générale du Cardinal Mercier. 
Le P. Jeannière se fait expressément gloire d’être son disciple. Le 
Maître de son côté n'aura pas à rougir de son élève, car la Criterio- 
logia est un livre vraiment remarquable. Écrit en latin et sous forme 
de thèses, conçues, énoncées, démontrées et défendues, suivant les 
procédés scolastiques, elle peut être agréée comme manuel de cours. 
Le seul reproche qu'on lui doive faire, à ce point de vue, c’est son éten- 
due. Même abstraction faite des notes et références bibliographiques, 
ce manuel de 600 pages sera trop volumineux pour être adopté dans la 
plupart des établissements ecclésiastiques qui ne peuvent généralement 
pas consacrer deux années entières à l’enseignement de la philosophie. 

Je ne veux pas terminer cette récension sans noter une intéressante 
particularité. Après chacune de ses thèses, le P. Jeannière en donne, 
en français, un sommaire précis, alerte, dégagé de la forme scolas- 
tique, afin de montrer surtout le lien de sa pensée avec ce qui précède 
et préparer déjà ce qui doit venir dans la thèse suivante. Il en résulte 
pour l'ouvrage entier une cohésion plus grande et surtout plus sen- 
sible et plus captivante. Sa Criteriologia éveille dans l'âme le désir 
d’un apostolat intellectuel auprès de ceux qui, aujourd’hui trop nom- 
breux, sapent la raison par la base, et, à cause de ces erreurs naturelles, 
méprisent la vérité surnaturelle. Le livre du P. Jeannière ouvre des 
avenues lumineuses vers la réconciliation des esprits dans la vérité 
d'un intellectualisme modéré. 


Avant de déposer la plume, il me reste à demander pardon à mes 
lecteurs d'avoir abordé un sujet aussi aride que celui des manuels. Je 
n'en ai point d'autre excuse que le désir de compléter les notes que 
j'ai données dans un numéro précédent sur le mouvement scolastique. 
À eux de juger si ce motif est valable... et de me pardonner, s'il ne 
lest pas. Fr. RAYMOND. 

O. M. C. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


PHILOSOPHIE 


Le Monisme matérialiste en France, par M. J.-B. Sauzze, Pro- 
fesseur de Philosophie au Collège Stanislas, — 1 vol. in-16 de 182 pages. — 
Paris. Beauchesne, 1912. 


Si le monisme matérialiste s'affirme effrontément, il ne se met guère en 
peine de fournir ses preuves. L'ouvrage de M. J.-B. Saulze le montrera une 
fois de plus. Entre tous les représentants du monisme, il en choisit trois dont 
il expose et critique les doctrines. 

Le premier a un nom déjà célèbre. 11 le doit certainement plus à sa situa- 
tion (il est chargé du cours de Biologie générale à la Sorbonne) et à la fécon- 
dité de sa plume (21 volumes parus depuis 1897, sans compter les articles de 
revue,) qu'à la clarté, la cohérence et la profondeur de ses idées. C'est M. Le 
Dantec, un Breton. Sa foi matérialiste est tenace comme la foi chrétienne des 
vieux celtes, ses ancêtres. Est-ce une foi éclairée ? M. Saulze n'a pas de mal à 
faire voir qu’elle est surtout affirmative et tranchante. Et d'abord, il en résu- 
me le credo, d'un ton enjoué. « Je ne crois pas en Dieu. Je ne crois ni à la 
force n1 à la liberté ; je ne crois pas même à l’homme, c'est-à-dire à la per- 
sonne, à l'individualité. Je ne crois n1 au bien, ni au mal, ni à la justice, ni 
à la responsabilité, ni au mérite, Mais je crois à la matière de qui procède 
éternellement le fleuve de vie, — phénomène mécanique, — qui anime les 
végétaux, les animaux, l’homme enfin, l’homme tout entier avec son cerveau, 
sa science, sa pensée, ses modes de raisonnement, sa biologie. Amen. » 

Dans sa critique, M. Saulze s'attache moins aux principes fondamentaux 
de cette doctrine moniste et hylozoïste — d’ailleurs difficiles à découvrir, — 
qu'aux prétentions naïves et enthousiastes de l’auteur, toujours affirmatif, 
souvent en contradiction avec les plus célèbres représentants des sciences dont 
il invoque les données et parfois en contradiction avec lui-même. De là ce 
ton badin et ironique qu’emploie M. Saulze dans sa critique ; de là aussi ces 
coups frappés droit et fort, qui, par derrière les doctrines, atteignent, — 
peut-être un peu durement, — l'écrivain qui les a inventées. Mais M. Le 
Dantec s'y est exposé volontairement par la légèreté avec laquelle, sans 
philosophie et avec le mépris affiché de la philosophie, il discute sur les 
questions de biologie générale qui sont bel et bien du domaine philosophi- 
que. Lorsqu'il publia sa Théorie nouvelle de la vie (1897) Émile Duclause, 
successeur de Pasteur et son ancien maitre, lui dit avec franchise : « Mais, 
mon pauvre ami, il faut avoir 30 ans de laboratoire derrière soi pour oser 
écrire un livre comme celui-là. » Après avoir lu le livre de M. Saulze, on se 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 549 


sent le droit de reprendre cette parole et de dire à M. Le Dantec, « pour 
écrire vos ouvrages de biologie générale, Monsieur, il faudrait avoir fait quel- 
ques bonnes années de philosophie ou tout au moins six mois de logique. » 

En quittant M. Le Dantec et son monisme hylozoïste, M. Saulze présente 
et critique l'Ondulationnisme de Basile Conta. L'auteur est roumain de 
nationalité, mais tous ses ouvrages ont été traduits en français : quelques- 
uns même n'ont été publiés qu'en cette langue ; on est ainsi autorisé à le 
considérer comme l’un des représentants du monisme français. 

Sa doctrine a des allures plus synthétiques que celle de M. Le Dantec. On 
y sent un effort constant pour rajeunir le matérialisme. Aussi n'est-ce plus 
d'un ton badin que M. Saulze essaie d'exposer et de critiquer cette théorie 
nouvelle, franchement moniste et singulièrement simple dans son principe 
qui est « l'identification absolue de la matière et de la force », se développant 
dans l'espace suivant certaines courbes soumises au mécanisme d’une loi gé- 
nérale à laquelle tout obéit : l’ondulation universelle. Par cette loi s’expli- 
que le monde de la biologie, comme celui de la physique, la vie n'étant elle- 
même qu'une « évolution onduliforme de la matière ». Une théorie aussi 
« ondulante » et « ondoyante » ne brille point par sa clarté. Peut-être est-ce 
parce que son inventeur n'a pas eu le temps de la mürir. B. Conta est mort 
jeune, à 36 ans. La réflexion et les années lui auraient probablement appris 
qu'il jonglait avec des idées, nées dans son esprit sous la poussée d’une belle 
imagination. Quant au lecteur il trouvera ces idées vaines et sans fondement 
solide. Mais il sera indulgent. 11 faut pardonner aux jeunes et une fantaisie 
cosmogonique, découverte par un professeur de droit, n’a pas une grande 
importance pour l’avenir de la pensée humaine. 

Le troisième type de monisme choisi par M. Saulze est celui de Me 
Clémence Royer, une des gloires, presque inconnue, de Nantes, née en 1830. 
Avec une ardeur inlassable, elle crut au rôle libérateur de la « Science » 
qu'elle entendit vanter par tant de grotesques pontifes. A cette divinité, 
entre autres hommages, elle consacra un gros volume in-8 de 900 pages, 
portant en titre « Constitution du monde» et en sous-titre : « Dynamique 
des atomes ». Cette scientifique que Renan appelait « un homme de génie » 
y expose un « atomisme-dy namique » qui renouvelle, par beaucoup de côtés, 
les constructions des philosophes Ioniens auxquelles s’adjoignent les principes 
du mécanisme chimique. Mais ce n'est déjà plus le monisme pur, puisqu'un 
dualisme réel y est professé ouvertement, celui de la matière et de la force. 

De la lecture du livre de M. Saulze, on emportera la conviction que ces 
efforts des monistes aboutissent à un piètre échec. Pour être matérialiste, 
disait jadis le Professeur Huchard, il faut être aveugle ou fou. » Cette parole 
est toujours vraie. Fr. Raymonn. 


Science et Philosophie, par A. DE LAPPARENT. — 1 vol. in-16 de la 
collection : Etudes de Philosophie et de Critique religieuse. — pag. 255. — 
Prix : 3 fr. So. Bloud et Cie, Paris. — 1913. 


On n'entend jamais sans profit un grand savant parler de l’harmonie qui 
existe entre la science et la philosophie chrétienne. C’est pourquoi bon 
accueil sera fait au volume Science et Philosophie publié par la librairie 
B'oud. Les éditeurs y ont recueilli un certain nombre d’écrits de M. de 


550 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Lapparent : discours inédits et articles de revues déjà connus mais dispersés 
ici et là. 

Une même pensée apologétique inspire ces pages. Les deux premiers dis- 
cours sur la Philosophie des sciences et les Enseignements philosophiques de 
la Science concluent à la présence de l'ordre et de la finalité dans le monde, 
donc aussi à une cause d’ordre et à un principe suprême de finalité. L'étude 
sur /a certitude dans les sciences prêche l'humilité de l'esprit, la meilleure 
disposition intellectuelle pour arriver à la possession de la vérité. Sous le 
titre : l'Etat de nature et les îles coralliennes » une intéressante dissertation 
montre, par un exemple concret, la fausseté de la loi du progrès évolution- 
niste et fournit, sur un point, une excellente critique du Darwinisme. A ceux 
qui accordent au temps un rôle actif et fantastique dans la formation de 
l'univers, on peut faire lire la conférence sur le rôle du temps dans la nature : 
elle est pleine de faits et de raisons toujours valables. Deux articles docu- 
mentés, extraits des Questions scientifiques (1877-1878) racontent les mésa- 
ventures du Batybius. La notion de la Providence domine un travail synthé- 
tique sur le globe terrestre, dont l'ordonnance générale, l'évolution et la puis- 
sance énergétique ne s'expliquent que par un créateur vigilant résolu à mener 
à bonne fin l’œuvre de ses mains. Enfin toutes ces études aboutissent à une 
conclusion commune : l’harmonie de la science et de la croyance religieuse : 
c'est ce que redit en dernier lieu le discours prononcé au Congrès de Munich : 
Science et catholicisme. 

Formé de pièces empruntées à des phases diverses de la vie intellectuelle 
de M. de Lapparent, ce recueil manque évidemment d'unité : et ce sera son 
plus grand défaut. Parmi les faits scientifiques utilisés, on en trouverait peut- 
être aussi quelques-uns dont la valeur, aujourd’hui, est un peu diminuée mais 
ceux-là sont en nombre insignifiant et ils ne nuisent point à la légitimité des 
conclusions. 

En fermant ce volume, plus d'un lecteur se sentira éclairé et fortifié dans 
ses convictions religieuses et se dira, comme je me le suis dit à moi-même : 
ce livre est un bon livre. FR. RAYMOND. 


Les Nerveux. Comment les reconnaître. Comment les corriger, par 
M. l'abbé J. TouLEMONDE, licencié ès sciences. Préface par E. PEILLAUBS, 
directeur de la Revue de Philosophie, 1 vol. in-16 de 230 pages. — Prix : 3 
francs. — Bloud et Cie. Paris — 1913. 


Ils sont nombreux aujourd’hui les tempéraments nerveux, les hommes chez 
qui « le système nerveux a pris la prépondérance sur tout le reste de l’orga- 
nisme ». Comment les reconnaître et les corriger ? 

C'est à ces deux questions que répond M. Toulemonde. 

La première partie de son étude est consacrée aux indices du tempérament 
nerveux : elle en décrit les caractères psychologiques et les signes physiolo- 
giques. Au point de vue psychologique ce sont la défiance de soi et la facilité 
à se laisser impressionner par les idées. De là, beaucoup de défauts positifs : 
humeur fantasque, susceptibilité, craintes exagérées, audaces imprudentes, 
maladies imaginaires ; de là aussi quelques bonnes qualités : originalité 
d'esprit, sentiment de dignité et surtout un certain nombre de tendances, de 
soi indifférentes, susceptibles de devenir des vertus remarquables, si elles 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 551 


sont bien dirigées. Au point de vue physiologique, le nerveux est un désé- 
quilibré, dans le sens le plus bénin du mot, sans résistance à la fatigue, à 
l'estomac généralement paresseux, au sommeil habituellement léger, presque 
toujours remuant, sujet aux tics et à la mobilité extrême de la physionomie. 

Cette étude forme la partie la plus théorique du livre de M. Toulemonde. 
Par les traits nombreux qu'elle réunit, elle met en assez belle lumière le 
portrait « idéal » du nerveux, et les accentue particulièrement en mettant en 
comparaison, dans un chapitre spécial, le sanguin et le nerveux. 

Toutefois l’auteur a surtout voulu faire œuvre pratique et indiquer les 
remèdes les mieux appropriés pour corriger les excès du tempérament ner- 
veux dont la partie théorique analysait les éléments. Entre tous. il préconise les 
remèdes moraux, ceux qui s'adressent à la pensée et au bon cœur de l'enfant 
ou de l'adulte nerveux, Au premier rang, le choix d’un directeur. Ce remède 
prime les autres : il en conditionne l'application sage, discrète et persévé- 
rante. Et ces autres remèdes sont la réflexion et la méditation sur le devoir 
et la possibilité de se corriger, si on en prend les moyens, la douceur envers 
soi-même, l'insouciance ou plutôt l’optimisme dans le présent, la lutte contre 
les idées fixes et contre les scrupules. Pour les appliquer, parents et direc- 
teurs seront sans force, s'ils ne prennent pas d’ascendant sur lg nerveux. Ils 
y arriveront avec de la fermeté mitigée par de la sympathie, par l’indulgence 
à l'égard des gamineries sans portée et par la rigueur dans les occasions vrai- 
ment sérieuses, par la détermination fixe d’un idéal nettement conçu et chau- 
dement caressé. — A ces remèdes moraux doivent aussi s'ajouter, comme 
auxiliaires parfois indispensables, quelques remèdes physiques : ils ont trait 
à l'alimentation, au sommeil, au repos, aux exercices physiques. 

Ce simple exposé laisse entrevoir de quelle utilité peut être le livre de M. 
Toulemonde. Sans prétentions scientifiques, et cependant fruit d'une obser- 
vation psychologique bien informée, il fournit un guide très précieux aux 
parents des petits nerveux et à tous les éducateurs. — Pour les nerveux qui 
le liront, il sera déjà lui-même un excellent directeur et un ami très discret. 

Fr. RaymonD 


L'autre vie par Mgr ÉLie Méric.— 2 volumes in-12 de 337 et 400 pages. 
— 13e édition. — Paris, Téqui. — 1912. 


L'ouvrage de Mgr É. Méric, paraissant en treizième édition, est si connu 
qu'il est presque inutile d'en parler. 11 se recommande de lui-même, par son 
succès passé, par sa doctrine théologique, par son raisonnement clair et lim- 
pide. On le lira longtemps encore avec intérêt et profit. 

Plusieurs des problèmes qu'il traite ne sont plus suffisamment à jour. Les 
objections que l’on fait aujourd’hui aux doctrines qui concernent l’Au-delà 
sont un peu différents de ce qu’elles étaient, il y a trente ans. Si Mgr Méric 
n'y répond pas explicitement, les vérités qu'il expose peuvent toujours servir 
de principes de solution.D'ailleurs les objections les plus courantes n'ont sou- 
vent rien de scientifique ; elles appartiennent au domaine dela sensibilité et 
de l'imagination. Beaucoup d’esprits ne dépassent point les conceptions fan- 
taisistes de J. Reynaud et de Figuier, dont ils sont, sans le savoir, les disciples 
attardés. 

A tous donc, aux croyants qui ne doutent point, aux demi-chrétiens qui 


552 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


doutent par le cœur plus que par l'esprit, aux incroyants qui condamnent ce 
qu'ils ignorent, l'Autre- Vieoffre la lumière et ouvre le chemin de l’éternelle 
paix. Fr. Raymonn 


ÉCRITURE SAINTE 


Méditations sur l'Évangile selon S. Jean. — Les entretiens 
de Jésus avec ses disciples après 1a Cène (Ch. 18-17) par A. 
NouvELLE, ancien supérieur général de l'Oratoire. — 1 vol. in-12 de 248 
pages. — Paris, Bloud et Cie, — 1911. 


L'auteur a médité de longues années le quatrième évangile. Pour lui-même, 
d’abord, il s’est efforcé de pénétrer le sens des paroles du Verbe Incarné ; 
il offre maintenant, sous ce titre, le résultat de ses recherches exégétiques et 
de ses pieuses réflexions. Le titre est bien choisi, ces admirables discours 
demandent en effet à ètre médités vlutôt que commentés ; mais dans ces mé- 
ditations, on trouvera tout l'essentiel d’un sérieux commentaire. 

M. N. donne fréquemment, dans le texte ou en note, des citations fort 
belles et bien choisies de Bossuet et de Duguet, surtout. Peut-être, pensera- 
t-on cependant que l’une ou l’autre citation de ce dernier auteur eût pu être 
supprimée et qu'à sa place, le pieux écrivain eût exprimé, au moins aussi 
bien, la même idée. 

La note de la page 90 exprime une pensée juste mais qui, dans sa forme 
trop elliptique, parait, au premier abord, inexacte. 

Nous nous associons au vœu formulé par le pieux auteur : « Daigne le 
Seigneur donner bénédiction à ce petit livre afin qu'il aide les âmes à com- 
munier plus pleinement au pain de vie que son souverain Prêtre nous offre 
dans ses discours et dans sa prière ». | D À 


Saint Jean Chrysostôme, par ERMoNI. — 1 vol. in-16 de 192 pages. 
— 2 fr. 5o. — A. Tralin. Paris. — 1911. 


Ce volume est publié, d'après des notes laissées par le savant M. Ermoni, 
dans la collection : « La Pensée et l'Œuvre sociale du Christianisme — 
Études et documents ». 

L'éditeur a donné, et avec raison, dans cette étude, une grande place aux 
textes, et 1l les cite avec une ampleur suffisante, pour permettre de saisir 
exactement la pensée du saint Docteur qui fut aussi un grand, et abondant 
orateur. Cette pensée est souvent singulièrement énergique, d’une énergie 
qui va jusqu’à la rudesse, elle est bien, en cela même, évangélique. 

La prédication morale et sociale, dans l'Église, n’a pas toujours gardé ce 
ton, elle s’en éloigne souvent à notre époque, on peut penser que ce n'a pas 
été, que ce n'est pas toujours un bien. Il est bon, il est utile de mettre à la 
portée d’un plus grand nombre cette parole vigoureuse. En tout cas, suivant 
la pensée exprimée par l’auteur de ce recueil, parmi les textes réunis ici plus 
d’un constitue un document moral singulièrement instructif au double point 
de vue de l’histoire et de la sociologie. A. C. 


Commentaria in omnes 8. Pauli Epistolas. R. P. CoRneLit A 
LaPipe S. J. — Recognovit, subjectisque notis illustravit, emendavit et ad 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 553 


præsentem sacrae scientiæ statum adduxit Antonius Padovani. — 2 vol, 
in-8o ; T. 1, XV-565 pp. — 6 frs. T. II. 606 pp. — 6 frs. (1911) — Turin. 
P. Marietti, Editeur Pontifical, Via Legnano, 23. 


Le savant Jésuite, dans son épitre-dédicace à l'archevêque de Malines, nous 
dit avoir apporté un soin tout particulier à ses commentaires sur les Épîtres 
de saint Paul : « hisce commentariis conscribendis et limandis multis annis 
assiduo et ingenti labore incubui ». Il s’est efforcé d’être solide, bref, clair, 
méthodique. Et, de fait, ce commentaire travaillé avec amour, appuyé sur 
une érudition vaste et sérieuse est vraiment solide : en général, il dégage bien 
la vraie pensée de saint Paul. Généralement aussi, 1l est clair, Cornelis van 
den Steen est résolument pour la clarté et la façon dont il exprime son idée 
sur ce point (p. XIII) laisserait croire qu'il y avait déjà de son temps des. 
savants, ou au moins des érudits, dédaigneux de la clarté et fiers de rester 
incompris, Ô profondeur allemande ! 

Ce sont là deux grandes qualités, et de tout premier ordre, pour un com- 
mentateur, qui fut aussi un professeur. Quant à la brièveté, il faut recon- 
naître qu’elle est ici tout à fait relative. Cela vient sans doute, en partie, du 
goût de l'époque ; mais aussi de la méthode de l'auteur. J’en donnerai un 
exemple, pris entre plusieurs autres. 

Il s’agit d'expliquer le verset de l'Épiître aux Éphésiens (111, 18) : « Enra- 
cinés dans la charité et fondés sur elle afin que vous deveniez capables de 
percevoir avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur 
et la profondeur...» | 

Notre commentateur, après trois remarques assez prolixes, donne d’abord 
le sens vrai de l'expression de saint Paul : « dico ergo primo. caritatis Christi 
dimensiones hic describit ». Puis, dans sept longues colonnes il transcrit les 
sens allégoriques les plus divers donnés par les Pères. 

Parmi ces textes quelques-uns peuvent être fort beaux, mais la plupart 
n'ont aucune connexion sérieuse avec la signification vraie, indiquée plus. 
haut, du verset en question. C'est là un inconvénient de la méthode, mais 
cette méthode, il est juste de le dire, repose sur un principe, exposé dans la 
préface et rappelé ici même : « de ce passage les Pères apportent des expli- 
cations multiples, toutes probables, Admirez ici la fécondité de la Sainte 
Écriture » p. 275 (T. 11) et, à la fin, « tous ces sens paraissent vrais et assez 
bien rattachés à la proposition indéfinie de l’Apôtre » p. 279. Le principe est 
d'une vérité, au moins douteuse, ici spécialement. L'éditeur, imperturbable, 
lui porte un coup dangereux ainsi qu’à la longue énumération qui précède, 
par cette note brève : mais Lemonnyer le remarque à bon droit « il n’y a pas 
lieu de chercher pour chacun de ces mots un sens précis et positif. C’est une 
manière de décrire, métaphoriquement, l'amplitude de la charité du Christ ». 

Ce commentaire solide et clair a donc des longueurs et des longueurs par- 
fois tout à fait inutiles. D'autres fois son érudition patristique accumule de 
vrais trésors. Dans l’ensemble, il reste une mine très riche d’où l’on peut 
extraire d'excellentes pierres, mais non sans quelque déchet. 

L'éditeur a revu le texte et vérifié les références, travail aussi utile 
qu'ingrat. Il s'est efforcé aussi de compléter le commentaire, ou de le recti- 
fier, par des notes, généralement excellentes, de critique textuelle ou 
d'exégèse. Mgr P. y utilise, dans le tôme second, surtout, les travaux 


554 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


catholiques les plus récents et spécialement les travaux français. Ces notes 
brèves, éclairent en quelques mots, précisent, mettent au point les pas- 
sages obcsurs du texte, ou les endroits plus faibles ou moins exacts du 
commentaire. Elles le complètent très heureusement. Deux ou trois fois 
pourtant, dans leur rapide décision, elles manquent de nuances ou même 
d'exactitude. Ainsi la note de la page 424 (T. 1): « inepta prorsus est hujus- 
modi Maldonati explicatio atque omnino relinquenda. » Or l'explication 
de Maldonat a pour elle le contexte du verset (1 Cor. VII, 28) elle est 
adoptée par plusieurs exégètes modernes, de ceux que Mgr. P. cite volontiers. 
Bien plus, lui-même à propos de passages analogues (T. Il, p. 453...) ap- 
prouve cette même interprétation. 

La typographie est très soignée Les caractères sont vraiment bien petits, 
surtout dans les notes mais on nous donne en deux volumes in-&o, d’épais- 
seur très modérée, l’équivalent d'un in-folio — ils sont d'ailleurs très nets. 

P. HuGues 


FRANCISCANA 


Expositio regulæ Fratrum Minorum auctore F, ANGELO CLARENO 
quam nunc primum editit notisque illustravit P. Livarius OL1GER ©. F. M. 
Ad. Claras Aquas (Quaracchi) prope Florentiam, typis Collegii S. Bona- 
venturæ. — 1912. — in-8°, LXXX, 251 pp. 


L'Expositio Regulæ Fratrum Minorum par Ange Clareno, restée jus- 
qu'ici inédite, n'exerça point, en dehors du groupe des Spirituels, une in- 
fluence appréciable. Le but poursuivi par l'auteur n'est pas de résoudre 
des cas de conscience, ni de discuter le degré d'obligation des préceptes de 
la Règle ; c'est de rappeler l'esprit et les intentions de saint François. Pour 
atteindre ce but, il appuie son commentaire sur le texte de la première 
Règle, celle de 1210-1221, et sur les paroles et les exemples du saint Fon- 
dateur ; enfin, par de nombreuses citations des écrivains de l'Église grecque 
surtout et latine, 1l trouve le moyen de défendre et de corroborer l'idéal 
franciscain. 

Tel est, dans son ensemble, l'ouvrage d'Ange Clareno. En le publiant 
pour la première fois le P. L. Oliger, O. F. M. a rendu un service important 
à l’histoire de l'Ordre et déployé une érudition et une patience qui se ren- 
contrent rarement à ce point. Un rapide examen suffit pour se rendre compte 
que l'éditeur a choisi le meilleur texte et l’on ne peut qu’admirer le soin 
méticuleux avec lequel il a relevé toutes les variantes, même les plus insi- 
gnifiantes, comme de simples inversions de mots. — 11 est curieux qu'aucun 
des cinq manuscrits consultés par le P, Oliger ne donne une leçon satis- 
faisante des lignes 8 et 9 de la p. 8. Clareno y reproduit un récit attribué 
à F. Léon : les Ministres auraient fait enlever de la Règle ces mots de 
l'Évangile : Nihil tuleritis in via, et il ajoute : credentes nichilominus se 
teneri ad observantiam perfectionis sancti evangelii, Un autre codex a : 
nihilominus propter hoc non teneri... ce qui n'est pas meilleur, tandis que 
les textes édités par M. P. Sabatier et le P. Lemmens donnent la vraie 
leçon : credentes se propter hoc non teneri ad observantiam perfectionis 
evangelii. De même p. 33, |. 2 et 3, les mots in persona fratrum ne 
seraient-ils pas préférables à in presentia fratrum ? Ceux-ci, à la vérité, 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 555 


semblent plus naturels ; cependant le Ministre dont il est question dans 
cette narration paraît avoir causé seul à seul avec François : quidam Minister 
loquebatur secum de capitulo paupertatis. Le Saint ne lui répond donc pas 
en présence de tous les frères ; mais, s'adressant à lui en particulier, il parle 
à l’adresse de tous en général, in persona omnium fratrum, comme on le 
voit dans trois autres manuscrits de l’Expositio Regulæ, dans les mêmes 
textes publiés par le P. Lemmens et par M. P. Sabatier et dans Barthélemy 
de Pise (Anal, fr.t. V. p. 110, 1. 3). 

Le P. Oliger ne s'est pas borné à mentionner toutes les variantes, il a 
encore cherché à identifier, au prix de recherches laborieuses, les nombreux 
emprunts faits par Clareno tant aux écrivains latins et grecs qu'aux auteurs 
franciscains. C’est là un travail d'une très grande utilité pour l'étude des 
sources de notre histoire. — P. 12, 13, Angelo ne fait pas allusion, je crois, 
à l'épisode du Crucifix de Saint-Damien raconté par 11 Ce $ 10 et par saint 
Bonaventure (Leg. Maj. C. II $ 1}, mais à une autre vision du Crucifix que 
saint Bonaventure est seul à raconter (Leg. Maj. C. 1 fin du $ 5) et qui, 
bien qu'elle n'ait pas frappé beaucoup les historiens modernes, ne manque 
pas d'importance puisque le Séraphique Docteur fait dater de cette vision 
la vocation de saint François à la pauvreté. 

Enfin le savant éditeur a enrichi sa publication de notes historiques très 
précieuses. Telle la note 2 de la page 105 où l’on nous apprend que le 
supérieur local, le gardien, avait à l'origine le nom et le sceau de Ministre ; 
en sorte que tout sceau qui porte l'inscription Sig. Ministri n'est pas néces- 
sairement celui d'un Provincial. Citons encore les notes 1 de la p. 103 au 
sujet de la pécune, 2 de la p. 204 et 1 de la p. 219 où certaines opinions de 
M. P. Sabatier sont réfutées avec autant d'autorité que d'agrément. 

Je n'ai encore rien dit de l’Introduction qui n’est pourtant pas moins inté- 
ressante que le texte lui-même. Le P. Oliger y recueille d’abord les rares 
témoignages qui nous restent au sujet de l'œuvre de Clareno (C. 1), donne 
la description des cinq manuscrits connus et les raisons de sa préférence 
pour le cod. S. Isidori de Urbe 1/92, le plus ancien, le plus complet, le 
plus correct (C. 11). Le Chap. III décrit à grands traits la vie du chef spi- 
rituel ; le Chap. 1V énumère ses œuvres originales et ses traductions. Au 
passage le P. Oliger réclame, à bon droit, pour Clareno une place parmi les 
interprètes latins des Pères grecs. Dans le Chap. V il aborde la question de 
la date de composition de l’Expositio Regulæ qu'il place entre 1318 et 1326 
et plus précisément encore entre 1321 et 1323. Il admet du reste que cet 
ouvrage peut n'être pas sorti d’un seul jet de la plume de Clareno ; quelques 
parties ont sans doute été rédigées bien avant 1318. Le fait que la Bulle 
Exivi (1312), regardée par Clareno comme un triomphe pour le parti des 
Spirituels, n’est citée nulle part dans cette Exposition de la Règle, pas même 
à l'endroit où il est question des greniers et des celliers (p. 102), donne une 
certaine vraisemblance à cette hypothèse. Vient ensuite l'étude des sources 
(C. V1). Outre les opuscules de saint François, Clareno a utilisé les écrits 
de Thomas de Celano et de saint Bonaventure, la plupart du temps, sans les 
nommer, comme cela se faisait alors couramment. Mais le fonds où il a puisé 
le plus est celui des écrits attribués au Fr. Léon et aux autres compagnons 
de saint François, sans cependant citer une seule fois la Légende tradition- 
nelle des Trois compagnons ; par contre on retrouve dans l'Expositio deux 


556 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


opuscules presque entiers de Fr. Léon dont le P. Oliger croit devoir recon- 
naitre l'authenticité : l’Zntentio Regulæ et les Verba Sancti Francisci. Il 
croit également à la réalité des autres écrits que Clareno attribue à Fr. 
Léon, bien qu'on ne les trouve pas ailleurs, et qu’il a pu puiser dans la tra- 
dition orale. La Legenda vetus attire ensuite notre attention. Le P. Oliger 
semble la regarder comme un document ayant vraiment existé sans que 
personne puisse dire ce qu'il est. À propos des Dicta sociorum on nous 
montre l’aberration des Spirituels et comment, par une loi psychologique 
universelle, les souvenirs laissés par les premiers compagnons allèrent 
en s’amplifiant et en se colorant au fur et à mesure des polémiques si vives 
dans lesquelles ils étaient apportés comme des armes invincibles. 

Les autres sources franciscaines d'Angelo Clareno sont l'Exposition des 
Quatre Maîtres, le traité de finibus paupertatis d'Hugues de Digne, les 
ouvrages de Pierre Jean Olivi. 

Le P. Oliger décrit enfin la méthode de son auteur, traite de la valeur et 
de l’autorité de l'Expositio (C. VII) et termine l’Introduction en énumérant 
les principes suivis dans son édition (C. VIII). 


Le principal intérêt de cette publication, digne à tout point de vue de tout 
éloge, ne consiste pas dans l’apport de faits nouveaux. Ils sont peu nombreux. 
A noter cependant quelques données sur les origines de la vie religieuse 
(pp. 18, 20) ; l’aveu que la seconde Règle est substantiellement la même que 
la première et l'approbation de la première Règle au Concile de Latran 
sont à retenir (p. 6 16, 101). La persécution des Mantellati (p. 64) 
est mise au compte de Fr. Élie et non de Crescence de Jési. Clareno rap- 
porte encore une ordonnance de Jean de Parme sur le jeûne (p. 91) et donne 
quelques détails inconnus sur la réforme du bréviaire (p. 87-89). 

Le butin que l’on peut faire au point de vue historique dans l’Expositio 
Regulæ est donc assez mince. Tout autre est le parti que l'on peut en tirer 
au point de vue de la critique des sources. 

Nous avons vu que Clareno fait de nombreux emprunts aux écrits de 
Fr. Léon. J1 est remarquable qu'aucun de ces écrits n’est cité par Angelo 
sous les titres avec lesquels ils nous sont parvenus. Il introduit toujours dans 
son texte les extraits qu’il en fait par ces mots : ait fr. Leo ou scribit fr. Leo, 
ou encore sicut Leo testatur. Ce qui nous invite tout naturellement à penser 
que Fr. Léon a réellement rédigé, mais non pas sous les noms qu'on leur a 
donnés plus tard, des souvenirs, des notes, des cédules comme les appelle, 
avec autant d’imprécision, Ubertin de Casale ; souvenirs destinés à perpétuer 
la véritable pensée de saint François. Ces notes ont été ensuite recueillies 
avec des récits oraux, amalgamées avec plus ou moins d'art à d’autres docu- 
ments tels que des extraits de Thomas de Celano, et classées sous des titres 
divers : Legenda trium sociorum, Speculum perfectionis, Intentio regulæ, 
Verba Sancti Franscisci, Dicta sociorum. De ces œuvres nouvelles on forma 
ces vastes recueils, au contenu si variable, appelés Legenda antiqua, parce 
qu'une portion considérable provenait des documents utilisés par Celano 
et de ses deux légendes désignées alors du seul nom de Legenda antiqua 
ou Legenda vetus. 11 paraît, en effet, à peu près certain qu'au commence- 
ment du XIVe siècle on ne connaissait sous le nom de Legenda vetus que 
les écrits du biographe officiel, et il n’y a vraiment aucune bonne raison 


À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 557 


de croire à l'existence d'une autre Legenda vetus, bien que M. P. Sabatier 
ait apposé cette étiquette sur six chapitres énigmatiques d'un Ms. de Legnitz 
et quelle que soit d'ailleurs la provenance de ces six chapitres. On finira 
peut-être, un jour, par s’apercevoir que la question franciscaine n'était, en 
partie, si compliquée que parce que l’on s’obstinait à chercher une Legenda 
antiqua qui n’a jamais été, en dehors des écrits de Thomas de Célano et des 
volumineuses compilations auxquelles, en s’y incorporant, ils ont donné leur 
nom. 


Un autre avantage de l’Expositio Regulæ est de nous permettre d'appré- 
cier la valeur de Clareno comme historien et comme chef des spirituels, de 
mesurer parcimonieusement notre confiance au premier et de douter de la 
rectitude d'esprit du second, 

Les faits qu'il raconte, on le savait déjà, sont souvent par lui transformés. 
Il nous montre, par exemple, saint François Christo sibi familiariter 
apparente et jubente (p. 3) s’en allant avec ses douze premiers disciples vers 
Innocent III pour obtenir confirmation de la Règle. Les Ministres récalci- 
trants avaient réussi, dit-il encore, (p. 9) à soustraire la seconde Règle, à 
celui qui en avait la garde, pour empècher qu'elle ne fut approuvée par 
Honorius III lequel avait été dès le commencement gouverneur et protecteur 
de la Fraternité (ibid.). P. 204-6 il fait un récit de l'approbation que le P. 
Oliger n’a pas de peine à démontrer inexact. 

A la rigueur, les erreurs de Clareno historien sont excusables ; mais son 
attitude comme chef des Spirituels ?.. En plusieurs endroits on ne peut 
qu'applaudir au langage qu'il emploie pour exprimer l'obéissance due à 
l'Église romaine. « Saint François, dit-il, comprit que l'union inséparable à 
l'Église et l'obéissance jusqu’à la mort au Vicaire du Christ et aux prélats 
étaient le chemin de la vie et du salut éternel, et qu’au contraire refuser de 
se soumettre au Vicaire du Christ c'est se placer en dehors de l’Église, loin 
de l'unité vivifiante de la Foi catholique » (p. 10). « Admirable témoignage 
d'orthodoxie ! » dit en note le savant éditeur. Oui, certes, mais malheu- 
reusement démenti par les faits ; soumission purement verbale qui ne l'em- 
pêchait pas de conserver au fond du cœur son sentiment et de ne tenir 
aucun compte des décisions de l’Église. Ne continue:t-il pas dans cette même 
Expositio Regulæ d'affirmer, malgré la Bulle Quo elongati, que l'Évangile 
tout entier est obligatoire pour les F. M. en vertu de leur vœu (p. 15, 33, 

63) ? et que la Règle et le Testament ont la même autorité (p. 234, 235) 
Ailleurs 1l proteste contre le mode d'élection du Ministre général instauré 
par la même Bulle qui est en somme un de ces privilèges que le saint Fon- 
dateur a interdit de solliciter (p. 189, 190). Et ceci nous permet d'évaluer 
l’effrayante responsabilité de cet homme qui sous le couvert d'une docilité 
apparente et sous prétexte d'obéir au Christ, entraîna dans une révolte 
fanatique des troupes généreuses et vaillantes. Peut-être fut-il sincère? alors, 
le moins qu'on en puisse penser c'est qu'il fut un esprit faux. Le grand tort 
des Spirituels, dirons-nous avec le P. Oliger, fut d'avoir préféré la pau- 
vreté à l'obéissance. Aussi ne purent-ils pas atteindre la fin qu'ils s'étaient 
proposée et ils roulèrent dans les erreurs des Fraticelles (p. XXXI). 

Je terminerai ce long compte-rendu en souhaitant comme Mgr Faloci- 
Pulignani (Miscellanea francescana t. XIV, fasc. 3) et le P. Michel Bihl 


558 OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


(Archiv. hist. franc. t. VI p. 170) que le P. Oliger nous donne bientôt, avec 
la même érudition patiente et sûre et le même luxe de notes historiques, une 
édition complète de la Chronique des Tribulations et des Lettres d'Angelo 
Clareno. P. GRATIEN. 


Pour la Fête-Dieu. 

Adoration de réparation au Très-Saint-Sacrement, par D. 
ATHANASE VIiNCART. O. S. B. — In-16 de 48 pag. — Prix o fr. 25 l'unité, 
5 fr. les 25. 20 fr. le cent. — Abbaye de Maredsous, par Maredret-Sosoye. 


Cet opuscule à pour but d'aider les âmes à offrir au Dieu de l’Eucharistie 
des hommages d'amour et de réparation, surtout à l'occasion des adorations 
du Jeudi-Saint et de la Fête-Dieu. Plus que jamais le devoir de la réparation 
s'impose. Aux blasphèmes de l'impiété opposons les hommages réparateurs 
de ceux qui adorent en esprit et en vérité. Prions pour les pécheurs. S'inté- 
ressant d’une façon plus particulière à la Belgique, l’auteur a placé à la fin de 
son opuscule, la prière pour la paix et celle pour la Belgique. 

Nous recommandons ce petit livre à Messieurs les Curés pour leurs adora- 
tions paroissiales, ainsi qu'aux pensionnats et aux communautés religieuses. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION 
DES ÉTUDES (1) 


E. PANNIER (Chanoine). — Le Nouveau Psautier du Bréviaire romain. 
Traduction sur les originaux des Psaumes et des Cantiques avec les princi- 
pales variantes des Septante, de la Vulgate et de la Version de saint Jérôme. 
In-8° de XXVI-360 pp. Prix : 4 fr. René Giard, 2, rue Royale, Lille. 
Lethielleux, 22, rue Cassette, Paris. 


AcH. VANDER HEEREN, S. T. L. in majori Seminario Brugensi S. Scrip- 
turae professore. Psaimi et Cantica Breviarii explicata in ordine ad Reci- 
tationem Breviarii. 1n-8° de 336 pp. Prix, broché 6 fr.; cartonné, 7 fr.; 
chagrin 8 fr. Charles Beyaert, 6, rue Notre-Dame, Bruges. 


Duprzessy (Abbé. — Les Dictées d'un Instituteur. Grand in-8° de 48 pp. 
Prix: ofr. 50 l'exemplaire; les 12, 3 fr. 50.; le 100, 22 fr. Téqui, libraire- 
éditeur, 82, rue Bonaparte, Paris, VIe. 


(1) L'annonce de ces ouvrages ne constitue pas par elle-même une recommanda- 
tion. Nous ne faisons que les signaler ici, en attendant que les rédacteurs des 
Études en fassent le compte-rendu, s'il y a lieu, dans le bulletin bibliographique. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 559 


Maurice Souriau. — Deux mystiques Normands au XVIIe siècle M. de 
Renty et Jean de Bernières. — La compagnie du Saint Sacrement de l'autel 
à Caen. — In-12 de 400 pag. Prix 5 francs. Librairie Académique Perrin 
et Cie, 35, Quai des Grands-Augustins, Paris. 


Petit mois de Saint Joseph, par une CARMÉLITE exilée du Monastère de 
Lille. — 1n-18 de 64 pages. Prix franco, 1 franc. — René Giard, 2, Rue 
Royale, Lille et Lethielleux 22, rue Cassette, Paris. 


D. VigiLarn-Lacarme. — L'Église catholique aux premiers siècles. 
Conférences données à Saint Louis des Francais, à Rome, Carême de 1912.— 
In-12 de 376 pages. Prix 3 fr. 50. Téqui, Libraire-Éditeur, 82, Rue Bona- 
parte, Paris. 


Rue P. D. Pauz RenaupiN (abbé de Saint Maurice de Clervaux). — 
Questions théologiques et canoniques. — In-12 de 208 pag. Prix 2 francs. 
Téqui, 82, Rue Bonaparte, Paris. 


CHarLes GRiMAUD (abbé) Défendons-nous. — In-12 de 260 pag. Prix 2 fr 
Téqui, 82, Rue Bonaparte, Paris. 


Henri Le Camus (abbé) La Vocation ecclésiastique. — In-12 de 130 pag. 
Prix 1 fr. Téqui, 82, Rue Bonaparte, Paris. 


Louis CARLIER (R. P.) Histoire de l’Apparition de la Mère de Dieu sur 
la montagne de la Salette. — x vol. in-8 carré de XVIII-602 pag. Prix 
franco 4 francs. Chez les Pères Missionnaires de la Salette, Chemin du Cram- 
pon, Tournai (Belgique). 


La Parfaite Tertiaire de Saint François ; Recueil de Conférences pour 
l’année du noviciat par une Marrresse pus Novices.— 1 vol.in-32 de 500 pag. 
Broché 1 fr. 50, relié 2 frs. Librairie S. François, 4, Rue Cassette, Paris, 
et Œuvre S. François, Couvin (Belgique). 


AuGusrTINUS GEMELLI (R.P.)—De Scrupulis, psychopathologiæ specimen in 
usum confessariorum. — In-8 de 350 pag. « Libreria Editrice Florentina », 
Florentiæ, prix 5 fr. 


Domenico Lanna.— La Teoria della conoscenza in S. Tomaso d'Aquino. 
— 1n-8 de 300 pag. « Libreria Editrice Florentina ». Florence. 


MaARTHE RicarDière, — Madame Julie Lavergne et le Devoir de la 
femme contemporaine. (Conférence faite à l’Institut catholique de Paris). 
Grand-in-12, de 50 pages.— Taffin Lefort, éditeur, 11, Rue de Savoie, Paris. 


Louis GRIMAULT., — Histoire des Arènes de Doué.-la-Fontaine.— In-8° de 
14 pag. Prix 1 fr. Plon-Nourrit. 8, Rue Garancière. Paris. 


JosePH DE TONQUÉDEC. — Immanence. Essai critique sur la doctrine de 
de M. Maurice Blondel, — 1 vol. in-16 de XV-307 pag. Prix 3 fr. 50. franco 
3.75. Beauchesne, 117, Rue de Rennes. Paris VIe, 


J. M. LAMBERT (R.P.) Ad vos o Sacerdotes ! Méditations sacerdotales sur 
l'Exhortation de S.S. Pie X au clergé catholique. Préface de Mgr de la 


560 OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


Porte. — In-16 couronne (XII-281 pag.) Prix 3 fr., franco 3 fr. 25. Beau- 
<hesne, Paris. 


JosepH THERMES. (S. J.) Un apôtre de la Charité ; Le Bon Père Serres, 
Jondateur des Petites-Sœurs des Malades. — 1n-8 de VIll-443 pag. Prix 
4 francs. Beauchesne, Paris. 


Louis-Étienne Rabusier de la Compagnie de Jésus (1831-1897). — In-12 
de X1-364 pages. Prix, 3 fr. 5o. Paris, Beauchesne. 


FERNAND Nicozay. — La vie compliquée, étude d'actualité ; exemples 
typiques. — 1n-12 de 340 pages. Prix 3 fr. 50. Librairie Académique Perrin 
et Cie, 35, Quai des Grands-Augustins. Paris. 


LÉoPozp DE CHÉRANCÉ (R. P.) — Jeanne d'Arc racontée aux petits enfants 
de France et de Lorraine. — In-16 illustré de XVI-164 pag. Prix 2 fr. 50. 
Paris, Beauchesne. 


Dom J.-B. CHauTaR», abbé de Sept-Fons. — L'âme de tout apostolat. — 
In-12 de 142 pp. Prix, 0.70 franco. Paris, Téqui et Abbaye de Sept-Fons, 
par Dompierre (Allier). 


Orro KaAumsHorr. — Johann Ernst Schôsser von Embleben doktor beider 
Rechte und Kônigl Primator der Stadt Aussig, ermordel am 20 November 
1618 Verlag von Otto Kamshoff, Prôdlitz. 1912. In-8 de 40 pp. Prix 1 krone. 


. Orro KausHorr. — Prôdlitz einstund ietz. Für Schule und Haus darges- 
æellt von Otto Kamshoff, Pfarrer. Verlag : Otto Kamshoff, Prüdlitz. — In-8 
-de 96 pp. Prix, 2 kronen. 


ADoLF BERTRAM. — Weibliche Jugendpflege Winke für schulentlassene 
Mädchen und ihre Eltern. M. Gladbach. 1913. In-12 de 55 pp. Prix : 15 Pf. 


Dr Koscx. — Melchior von Diepenbrock Führer des Volkes. M. 
Gladbach, 1913. In-8, 40 pp. Prix : 60 Pf. 


FR. Scxmipr. — Der christlich-soziale Staat der Jesuiten in Paraguay 
in wirtschafilicher und staatsrechtlicher Bedeuntung. M. Gladbach. 1913. 
In-8° 60 pp. Prix : 40 Pf. 


EuiL DimmLer. — Franz von Assisi Führer des Volkes M. Gladbach. 
1913. In-8 de 72 pp. Prix : 60 Pf. 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


TAMINES. — 1IMP. DUCULOT-ROULIN. 


SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS ! 


L'IDÉE DE CRÉATION D'APRÈS 
S. BONAVENTURE ET DUNS SCOT 


Du point de vue spiritualiste et chrétien, il n’est peut-être 
pas en philosophie une question, dont la solution doive importer 
davantage. L’ennemi contre lequel le croyant doit lutter depuis 
des siècles, n'est-ce pas le matérialiste ? 

Peut-il, dès lors, accorder sans inconvénient, qu’une chose 
finie, la matière par exemple, aurait pu ne pas commencer ? 

Je sais que des philosophes très orthodoxes, à la remorque 
d’Aristote et de saint Thomas, ont envisagé la possibilité d’une 
durée du créé, illimitée par en haut, en harmonie avec le 
devenir, la contingence, la limite, l’imperfection et la dépen- 
dance de Ia créature, sans que soit possible, en un mot, le 
parallélisme de Dieu à l'univers. Il convient même de retenir 
que Duns Scot, ou plus exactement, son École, est sur ce point 
en parfait accord avec les disciples de saint Thomas. 

Saint Bonaventure se fait pourtant ici le défenseur résolu des 
droits de la raison : « Supposer, dit-il, (1) que le monde est 
éternel ou, si l’on veut, créé de toute éternité, est absolument 
faux et déraisonnable,... et déraisonnable à tel point que je 
n'aurais Jamais osé croire qu un philosophe, fut-il d'intelligence 
médiocre, ait émis une semblable supposition. » Ce sentiment 
était partagé par les plus connus de ses contemporains, 
Mathieu d’Aquasparte, Alexandre de Hales, Pierre de Tarentaise, 
Ulrich d’Argentan, Richard de Midletown, Henri de Gand. 

L'opinion aristotélicienne, patronnée par saint Thomas, et 
apparemment favorisée par Duns Scot, devait faire prévaloir au 
sein de l'Ecole, en regard du fait de la création temporelle, la 


(1) Saint Bonaventure, Sent. 1. 2 d. s art, 1 q. 2 


EH. F. — XXIX. — 30 


562 L'IDÉE DE CRÉATION 


thèse fidéiste de l’Aquinate. Celle-ci est professée de nos jours 
par un certain nombre de néo-scolastiques. Au jugement du 
savant P. Sertillanges, « c’est une gloire philosophique de 
saint Thomas » de « s’être placé au même point de vue » que 
le Stagyrite. « Ce qui, ajoute-t-il, le sépare uniquement 
d'Aristote, c'est une question de fait justiciable à ses yeux de la 
seule foi. Cette thèse, reprise par sept fois dans les œuvres de 
l’Aquinate, et chaque fois avec une énergie plus grande contre les 
murmurantes, donne la preuve la plus évidente de sa pénétration 
singulière. » Aussi le P. Sertillanges s’étonne-t-il de ce que 
« nombre de scolastiques, voir de thomistes éminents » n’aient 
point réussi à s’assimiler la thèse nouvelle et qu’ainsi « quelques- 
uns ont nié », tandis que « d’autres ont distingué, là où il fallait 
simplement comprendre. » (1) 

Le but de ces pages est strictement objectif : exposer, textes. 
à l'appui, l’idée de création dans saint Bonaventure et Duns 
Scot ; me rendre compte, sans parti pris, si les scotistes n’au- 
raient pas fait violence à la lettre du Subtil en marquant ses 
préférences dans le sens aristotélicien. 

On m'accordera, tout au moins, que, reléguer parmi les 
vérités qui ressortissent uniquement au domaine de la foi, 
le fait de la création temporelle, n’est pas pour faciliter la tâche 
de l’apologiste plus que jamais assailli en chacune de ses posi- 
tions. N'y aurait-il pas quelque profit à reprendre le procès ? 
Une opinion n'atteint pas aisément l’autorité de la chose jugée. 
L’exposé des arguments, que les maîtres de la pensée chrétienne 
ont fait valoir en des sens opposés, mérite, ce me semble, 
l'attention réfléchie de quiconque met au premier rang l'évidence 
ordinairement inhérente aux vérités fondamentales. (2) 

L’apparentement d’une durée limitée avec l’idée de création 
a été jugé nécessaire par saint Bonaventure, et à un certain 


(1) Tout cela peut être bien dit, Mais ne serait-ce pas un abus paradoxal d’appa 
renter en ceci Kant à saint Thomas ? — Cf. Sertillanges, O. P. — L'idée de création 
dans saint Thomas d'Aquin, dans Revue des Sciences philosophiques et théolo- 
giques, avril 1907, p. 259-251. 

(2) Nous dirions ici volontiers avec M. Sentroul : Amicus Aristoteles, amicus 
Thomas, magis amica veritas,.… sola amica Veritas ! — Cf. Rivista ds filosofia neo- 
scolastica, 1909, p.'38, l’article : Che cos’é la filosofia neo-scolastica ? — M. Sentroul 
y dit de fort belles choses. Mais pourquoi classe-t-il Duns Scot parmi les fauteurs 
d'erreurs philosophiques : Platon, Descartes, Hume, Kant, Auguste Comte, 
Lamennais, Darwin « e tanti altri di cui rifiutiamo come alsi i sistemi? » J'estime 
que le premier devoir de l'écrivain est de ne parler que de ce qu'il connai 


suffisamment. 


D'APRÈS S. BONAVENTURE ET DUNS SCOT 563 


point de vue par le Docteur Subtil. Une étude impartiale et 
désintéressée de la lettre de ces deux maîtres justement célèbres 
aidera sûrement à l'intelligence du problème. Afin de ne pas 
isoler la thèse de son cadre traditionnel, nous grouperons nos 
références autour de deux questions auxquelles saint Bonaven- 
ture et Scot répondent l’un et l’autre : 


1. — Une créature peut-elle créer ? 
2. — Le monde peut-il être éternel ? 


PREMIÈRE QUESTION 


UNE CRÉATURE PEUT-ELLE CRÉER ? 


1. — La question résolue par saint Bonaveniure. 


I. — Sentiment général des scolastiques au moyen-âge. — 
Saint Thomas, saint Bonaventure, Duns Scot et, avant comme 
après eux, la généralité des auteurs qui ont inauguré et conti- 
nué la tradition scolastique, sont unanimes à monopoliser au 
profit de Dieu l’action de créer. 

Durand de Saint-Pourçain (1) et le maître des sentences (2) 
conviennent que, de fait, Dieu a tout créé par lui-même. 
Toutefois, le premier ne croit pas qu'il soit impossible au 
Très-Haut de produire certains êtres par l’intermédiaire des 
créatures, telles que les anges et l'âme humaine. Il conçoit donc, 
dans un sens objectivement restreint, la possibilité de causes 
créatrices dépendamment de la cause première. Pierre Lombard, 
plus réservé, reconnaît seulement à la créature le pouvoir 
d'intervenir à titre d'instrument pur et simple. Enfin, quelques- 
uns, s’il faut en croire les savants éditeurs de Quaracchi, (3 
distinguent dans la créature deux sortes d’aptitudes instrumen- 
tales : l’une, naturelle; l’autre, obédientielle. Conséquemment à 
cette distinction, ils opiñent qu'aucune créature n’est pas naturel- 
lement apte à servir d'instrument créateur, mais qu’elle doit 
recevoir de Dieu cette aptitude, dont elle est originairement 
dépourvue. 

Ces discordances sont plutôt exceptionnelles. A Paris comme 


(1) Durand, Sent. 1. Ï d. 1. Q. 4. 
(2) P. Lombard, Sent. 1. IV d. 5. 2. 3. 
(3) Saint Bonaventure, Opera omnia. t. 2 p. 50. 


564 L'IDÉE DE CRÉATION 


à Oxford, l'unanimité des voix se rallient à cette conclusion 


irrévocable : 
« Créer est le propre de Dieu. » 


IT. — L'idée de creation dans saint Bonaventure. — Saint 
Bonaventure (1) définit comme il suit l’idée de création : « une 
production selon laquelle le produit existe présentement en sa 
totalité, tandis qu'il n'était rien auparavant. » D'où il résulte 
que le créé est en exclusion complète de la cause matérielle : ce 
de quoi une chose est faite. 

Un peu plus loin, le Séraphique (2) explique que, dans ce 
passage du néant à l'être, aucun intermédiaire n’est possible 
entre Dieu et la créature, encore que l’on ne puisse identifier 
l’un à l’autre l’acte et l’effet, ce par quoi le créé devient et les 
éléments qui le constituent. Il signale d’autres différences suivant 
que l’on discerne dans le devenu le créé du concréé, l'être 
indéterminé de l’être-substance, la substance de ses propriétés. 
L'on peut, sans doute, inférer de toutes ces données une prio- 
rité de nature entre exister et être ceci ou cela. Mais parce que 
la distinction de l’un à l'autre est de pure raison, pour la créa- 
ture exister c’est donc être ceci ou cela. 

L'effet de l’acte créateur est, par suite, instantané et total, 
c'est-à-dire que, en regard de l’origine par création, les choses 
ne doivent pas être situées hors le néant par une série d’actes 
successifs. Le créé devient, et il est instantanément ce qu'il 
doit être. 


III. — Élimination des faux systèmes. — Saint Bonaventure 
exclut de ce chef l'intervention quelconque des « causes pri- 
mordiales », sortes d’esprits créés et coëéternels que Scot 
Érigène (3) avait introduits dans sa conception panthéiste de 
la genèse. Amaury de Bène et David de Dinant, au cours du 
XIIIe siècle, ayant repris pour leur compte les erreurs de 
Jean Scot Érigène, le concile de Sens de 1224 fit brûler publi- 
quement le De divisione naturæ « dans lequel, explique M. de 


(1) Saint Bonaventure, 1. 2 d. 1 p. 1 art. 3 q.1 

(2) Ibid. q. 2 

(3) L'on doit pour éviter certaines méprises désigner Scot Érigène par son 
appellatif distinctif. D’aucuns, en ces derniers temps, ont affecté de l'appeler 
Jean Scot tout court, donnant ainsi à M. G. Sortais. — Histoire de la philosophie 
ancienne, p. 557, — l’occasion de rapporter au Subtil une référence de la Revue des 
sciences philosophiques et théologiques, qui ne le concerne pas. 


11 


D'APRÈS S. BONAVENTURE ET DUNS SCOT 565 


Wuilf, (ce dernier) réédite le néo-platonisme, en l’accommodant 
à la doctrine catholique. » Un peu plus tard, 25 janvier 1225, 
Honorius III dut édicter à nouveau la mesure prise par les 
évêques réunis à Sens, sans parvenir toutefois « à jeter l'ouvrage 
hors de la circulation littéraire. » (1) 

L'hypothèse d’une création par intermédiaire est au jugement 
de saint Bonaventure (2) une extravagance pure et simple : 
« Supposer cela, dit-il, est non seulement opposé à la croyance, 
mais à la raison. » Il serait « déraisonnable au suprême degré » 
d’imaginer que Dieu ait agi de cette façon. Car est-il possible 
qu’une cause, « dont le pouvoir est limité, puisse extraire quoi 
que ce soit de rien ? » — Au fait, insinue-t-il charitablement, 
aucun philosophe n’a soutenu pareille énormité. » 

Il fait aussitôt allusion aux systèmes des néo-platoniciens, 
Plotin (205-270), Proclus (411-485) et des philosophes à la 
mode, de son temps, Alfarabi, Avicenne, Avicebron, Averroës 
et autres, « qui, du moins, avaient admis, au préalable, l'éter- 
nité de la matière. » Et encore que cette éternité supposée soit 
un vice originel, — falsum fundamentum, — toutefois elle rend 
possible, du point de vue rationnel, l'intervention de causes 
secondes instruméntales ou efficientes. 

Saint Bonaventure retient encore, à la charge de ces philoso- 
phés, qu’ils ont ainsi restreint arbitrairement l'acte créateur à un 
seul effet, à savoir la production d’un esprit supérieur, pour 
cette raison précise que Dieu, étant très simple, 1l n’a pu créer 
directement qu’un seul être. « Du moment, dit-il, que la 
puissance d’un agent s'accroît en raison de sa simplicité ascen- 
dante, sa vertu doit proportionnellement s'étendre à des effets 
plus nombreux ; et donc Dieu, parce qu’Il est souverainement 
simple, peut tout par lui-même. » 


IV. — Argumentation. — Le célèbre franciscain ne se 
contente pas de cette exécution sommaire. Voici son raison- 
nement. 

Une première preuve est de pure convenance : « L’on est 


(1) M. de Wulf, Hist. de la philosophie ancienne, 4° édition, p. 194 et 199. — 
Cf. saint Bonaventure opera omnia. Quaracchi, t. 2 p. 36 au Scholion. Le « De 
divisione naturæ » a été jugé récemment une « œuvre contestable sans doute, mais 
vigoureuse, au demeurant la seule synthèse philosophique et théologique du haut 
moyen-âge. » M. Jacquin ©. P. — Le néo-platonisme de Jean Scot dans Revue des 
sciences phil. et théol. octobre 1907 p. 685. 

(2) Saint Bonaventure loc. cit. art. 2 q. 2 


566 L'IDÉE DE CRÉATION 


obligé envers quelqu'un dans la mesure où l’on bénéficie de ce 
quelqu'un. Or la créature se doit toute entière à Dieu, l’homme 
doit l'aimer de toute son âme, de préférence à tout. C’est que la 
créature reçoit tout par Dieu. La création étant ce par quoi elle 
devient en sa totalité, Dieu doit la produire seul, sans concours 
d'aucune sorte. » 

Un second argument est déjà plus direct et, dirai-je, plus stric- 
tement rationnel : « C’est une action plus considérable de pro- 
duire un être avec rien que de le conserver et le parfaire. Si donc 
Dieu devait produire les choses par le moyen d'un autre, cet 
autre devrait de plus veiller à leur conservation et à leur perfec- 
tionnement. Conséquemment, celles-ci n’auraient aucun besoin 
de Dieu ; et, par suite, elles ne tendraient plus vers Lui. 
Pourtant, toutes sont bonnes en raison de cette inclination ou 
orientation finale, si bien que, en dehors de cette destination, 
aucune ne serait dans l’ordre, dans la bonté ! Ce vers quoi un 
être tend principalement n'est-ce pas, en effet, le bien pour lequel 
il a été fait ? » 

Une troisième preuve est déduite de la « simplicité absolue » 
de l’Être Divin. Nous l'avons indiquée plus haut. L'on retien- 
dra, cependant, que « simple » est ici synonyme de spirituel. 
Et cela revient à dire que plus un être participe de la nature 
immatérielle, plus il doit bénéficier de la vertu efficiente. Dieu 
étant la plénitude de l'Esprit, son pouvoir est donc sans limite. 

L'on arrive ainsi à une quatrième et dernière preuve : « I] 
est impossible à une créature d'exercer un pouvoir infini. 
Du néant à l'être la distance est telle, que seul un agent, doué 
d'une puissance illimitée, est à même de la franchir. Cet agent, 
c'est exclusivement Dieu. Donc seul, il peut créer. » 


V. — Une constatation : saint Bonaventure (1) comparé a 
Duns Scot. — L'on a de la sorte une certaine idée de la manière 
propre à saint Bonaventure dans l'emploi des arguments 
empruntés à la raison. I] semblerait que l'apport théologique y 
dirige les spéculations de l'esprit et le fides illuminans intellectum 


(1) Il n'entre pas dans mes vues d'établir le parallélisme entre saint Bonaventure 
et saint Thomas. Le séraphique a adopté la terminologie aristotélicienne et n'en 
accepte le fond que dans la mesure où ilse voit obligé de rompre avec les hésitations 
de saint Augustin, Il est donc augustinien avec une dose suffisante d’aristotélisme. 
Duns Scot, plus aristotélicien, reste cependant augustinien et certes il s'est bien 
gardé de travailler à arracher de son piédestal cette grande et inoubliable figure de 
Docteur et de Saint. 


D'APRÈS S. BONAVENTURE ET DUNS SCOT 567 


s'y manifeste avec un relief très évident. Toutefois, la force des 
preuves a bientôt saisi l'entendement et l’on a vite compris que, 
pour les âmes mystiques, l'intelligence évolue dans une région 
sereine, d’où le scepticisme est manifestement banni. Pour peu 
que l’on y prenne garde, dans l'affirmation de l'emprise que la 
raison exerce sur les certitudes rationnelles, saint Bonaventure 
est plus résolu que Duns Scot et saint Thomas. 

Cette constatation, de prime abord, peut et doit paraître 
paradoxale. Sans doute, l'allure d'un Duns Scot est autrement 
caractérisée. Celui-ci se garde bien d'enregistrer telle quelle et 
sans la discuter la démonstration élaborée par ses devanciers. 
Il soumet les preuves à une analyse minutieuse, sonde les 
points faibles, met à nu les fissures par lesquelles l'adversaire 
pourrait entamer la démonstration, et il conclut soit à une 
élimination, soit à un redressement de l’argument. Il entend 
par là se défendre contre ces dissertations à perte de vue, où 
l’apparente solidité de l'édifice syllogistique recèle des illogismes 
imperceptibles à un esprit superficiel. Ce procédé, certes, n'est 
pas pour nous déplaire. Comment lui faire un grief de s'être 
tenu en garde contre les dangers d’un apriorisme abusif? Mais 
parce que son procédé est ce que l’on pourrait appeler une 
méthode de contrôle, il lui arrive de réserver son adhésion 
définitive, alors que saint Bonaventure se fait un jeu de l’em- 
barras motivé chez Scot par les fluctuations réfléchies d’un 
saint Augustin, d’un Aristote ou d’un saint Thomas. De cette 
façon, nonobstant le tempérament plus sévère et plus rigou- 
reux de Duns Scot, le dogmatisme de saint Bonaventure est 
néanmoins plus dégagé, plus catégorique et plus étendu. Moins 
vigoureux dans la démonstration, 1l est habituellement plus 
décisif dans les conclusions. 


VI. — Suite de l'argumentation. — Eu égard à l’impossibilité 
pour un être fini de devenir cause ou instrument de création, il 
n'est pas sans intérêt de suivre saint Bonaventure dans sa 
chasse aux arguments de la thèse adverse. 

La première objection est ainsi formulée : « La libéralité de 
l'agent est plus grande s’il donne à un autre, non pas unique- 
ment l'existence, mais le pouvoir de la multiplier et de la 
répandre. Dieu étant la libéralité même, pouvait-il ne pas 
octroyer à sa première créature le pouvoir de créer à son tour 
avec transmissibilité illimitée ? Objecteriez-vous que la créature 


508 L'IDÉE DE CRÉATION 


est inapte à recevoir cette puissance ? L'on vous répondra qu’un 
effet s'obtient plus aisément là où l’on se heurte à une résistance 
moindre, surtout si cette résistance, (et c’est le cas d’une 
création ex #1hilo) fait totalement défaut. 

Ce raisonnement, riposte saint Bonaventure, part d’une 
supposition toute gratuite, à savoir que, vue la différenciation 
des êtres par degrés progressifs, il ne répugne pas qu’une 
créature plus parfaite soit, par voie de création, l'instrument ou la 
cause seconde d’une autre moins élevée qu’elle en dignité de 
nature. Et l’on devrait, de fait, se rendre à l’évidence de la 
preuve s'il était démontré que pour « extraire une âme de rien » 
il fallait moins de pouvoir que pour en tirer « un ange ». Cette 
démonstration est manifestement impossible. L'âme et l’ange, 
parce qu'ils partent de rien, exigent l’un et l’autre absolument 
l'intervention d’une « cause infinie. » 

Conséquemment, c’est en pure perte que l’on dit : la cause 
agit d'autant plus facilement qu’elle se heurte à une moindre 
résistance. Car s’il est exact que la « matière » sur laquelle les 
causes naturelles doivent s'exercer est difficilement soumise, cette 
« matière » est néanmoins le fond indispensable hors duquel 
leur action s’évanouirait dans le vide. La matière, eu égard aux 
causes de second ordre, est donc ce qui doit en rendre l'exercice 
difficile mais possible. 

Saint Bonaventure a par le fait répondu à une remarque sur 
laquelle il n’a garde de s'arrêter longuement : « Un prince, 
dit-on, qui a conscience de sa dignité, se réserve les fonctions 
les plus nobles, tandis qu’il confie à ses serviteurs les occupations 
moins honorables. Qu'un monarque rende la justice, rien de 
mieux !... Mais lui siérait-il de s’abaisser à l'office de cuisinier ? » 
— Or comparaison n’est pas raison, et l’on conçoit que l’humble 
vermisseau est à la distance du néant autant que l'éléphant. 

Abordant une troisième difficulté, le Séraphique rappelle à 
nouveau que la restriction serait injurieuse et arbitraire si l’on 
limitait l’action de Dieu sur le monde à un vouloir universel 
qui, pour réaliser ses intentions particulières, devrait recourir à 
d’indispensables instruments. 11 trouve puéril que l’on ait pu 
alléguer à l'appui l'impossibilité de déduire le nombre de 
l'unité. Car c’est précisément parce qu'il épuise, à son seul 
profit, la puissance infinie que la causalité de Dieu est sans 
limites d'aucune sorte. 


D'APRÈS S. BONAVENTURE ET DUNS SCOT 569 


VIT. — Conclusion. — L'on pensera, sans doute, que les 
matériaux mis en œuvre par saint Bonaventure sont de valeur 
inégale et que les raisons de convenance s’y juxtaposent à des 
preuves aptes par elles-mêmes à forcer l'adhésion de l'esprit. 
Mais pour conclure péremptoirement 1l doit suffire d’un bon 
argument. Présentement l’opposition extrême entre le néant et 
l'être est ce qui monopolise entre les mains de Dieu le pouvoir 
incommunicable de créer. Saint Bonaventure procède, d’ailleurs, 
à un travail de sélection et il échelonne le plus souvent ses 
preuves selon des degrés ascensionnels de probabilité et d’évi- 
dence. Ici, l'attribution à un pouvoir nécessairement infini de 
l’action créatrice, conformément au principe : l’effet est propor- 
tionné à la cause, arrive tout à la fin à la suite de raisonnements 
moins coërcitifs, si on les prend isolément. 

Le Docteur Séraphique est classé à bon droit parmi les re- 
présentants les mieux attitrés du mysticisme chrétien. Nousavons 
déjà remarqué que, à l’occasion, il sait revendiquer avec énergie 
les droits de la raison aux certitudes selon lui fondamentales. 
Serait-il, dès lors, au rang de ces « mystiques de jadis, précur- 
seurs lointains (de) tous les pragmatistes qui portent les couleurs 
d’un idéalisme quelconque (et qui) ont pour ancêtre direct, 
Kant (et pour) proche parent, Auguste Comte? » (1) Il est, 
sans doute, indéniable qu’il entre beaucoup de son cœur dans 
les considérations spéculatives de l’émule de saint Thomas. Or, 
à supposer qu’il fut devenu « tout à coup moins naïvement 
croyant », il eut sûrement moins mérité les hommages que 
l'Église réserve à ceux qui ont saintement vécu. Il n’est pas 
incontestablement de « meilleure forme du pragmatisme » que 
la sainteté ! Toutefois, il y a loin du scepticisme de l'esprit au 
mysticisme catholique, encore que l'on puisse prononcer en un 
sens que « le christianisme est bien plus qu’une spéculation, une 
vie. » Le savoir n'est rien, s’il n’est accompagné par une 
conduite irréprochable. A quoi servirait-il donc si l’on devait 
néanmoins éprouver un échec dans l’importante affaire du salut? 


S. BELMOND. 


(:) Albert Leclerc. Pragmatisme, Modernisme, Protestantisme, chez Bloud, 
1909, p. 6 


RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÉTE 
DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 


1221-1238 (suite) (1) 


IT. 


LE PAYSAN. — Le paysan allemand, nous l'avons noté dans 
notre article précédent, est une création de Église. Dans l’an- 
cienne Germanie, la société païenne se composait de l’homme 
libre qui passait alternativement son temps dans la guerre et 
dans le désæœuvrement, et de l’esclave qui travaillait pour lui. 
L'Église avait affranchi l'homme libre du joug de sa paresse, 
l’esclave de celui de son esclavage, et de l’un et de l'autre trans- 
formés elle avait pétri, par l’action des monastères, le paysan. 

Créé ainsi par le monastère, le paysan resta quelque temps 
soumis à sa bienfaisante influence. Maintes fois les rapports entre 
celui-ci et celui-là cContinuèrerit pendant de longs siècles. En 
voici un exemple choisi entre mille. Le lectéur connaît peut- 
être cette abbaye de Benediktbeuern située dans un coin char- 
mant de Ja Bavière, éntre le Würmsee et le Walchensee. Au 
sud de l'abbaye, à l'est du Walchensee, se creuse une vallée à 
laquelle sa fraîcheur reposante avait fait donner autrefois le nom 
de Nazareth, et qui porte aujourd’hui celui de Jachenau. Voici 
l’histoire de cette vallée telle que le P. Michael, dans son œuvre 
monumentale que j'ai déjà citée, la raconte d’après les documents 
du temps. En 1185 le couvent avait fait commencer par ses 
bûcherons les premiers travaux de déboisement. Ces hommes 
se construisirent alors des huttes, défrichèrent la place tout 
autour et y plantèrent des jardins. Les dimanches et jours fériés 


(1) CF. Études F ranciscaines, Mai 1915. 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 571 


avant de se rendre à l’abbaye pour y assister aux offices, ils 
décoraient leurs demeures des fleurs de leurs jardinets, pour 
leur donner, à elles aussi, un petit air de fête. Ils cultivaient 
quelques légumes dont les plants ou les semences leur étaient 
fournis par le jardin du couvent. L'abbé se réjouissait de l’ini- 
tiative intelligente de ses bûcherons. Pour les encourager, il leur 
fit cadeau de quelques moutons et de quelques bêtes à cornes. 
Ils avaient donc maintenant de la laine pour se faire des vête- 
ments, de la viande, du lait et du beurre pour se nourrir, et ils 
n'eurent plus désormais la peine d'aller jusqu'au couvent cher- 
cher leur nourriture. Bientôt l’abbé Othon leur bâtit une église. 
L'instinct de la civilisation se développait de plus en plus 
parmi eux. À l'instigation et sur les instances des religieux nos 
bûcherons cultivèrent bientôt en champs et en prairies des terres 
vides que le monastère leur avait octroyées, leurs troupeaux se 
multiplièrent et les champs leur fournirent une nourriture variée 
et abondante. Les semences nécessaires à la mise en état de ces 
terres nouvellement défrichées étaient toujours fournies, et 
gratuitement, par l’abbaye. Le blé vint merveilleusement. Dans 
un élan de reconnaissance les bûcherons fétèrent la première 
fête de la moisson à l’abbaye et ils y vinrent apportant dans 
leurs mains ces premiers fruits de la terre. Immédiatement 
l'abbaye installa à ses propres frais un moulin, une scierie 
mécanique et une hôtellerie, traça des sentiers et des routes, 
munit les habitants des choses nécessaires ou même simplement 
utiles, si bien qu'au bout de peu de temps des maisons claires 
et gaies avaient remplacé, au fond de la vallée, les huttes primi- 
tives ; et dans ces maisons, naquit la race saine, solide, coura- 
geuse et travailleuse que nous y admirons encore aujourd'hui. 
Bientôt l’abbaye ajouta à la propriété de chacun de ces fonds 
celle d’une part de forêt sur la montagne qui ne devait jamais 
en être séparée, et elle fit don en plus à la communauté d’une 
forêt commune dans laquelle chaque famille avait droit d’abattre 
du bois en proportion de ses besoins. En plus, comme il fallait, 
pour la canalisation de la petite rivière, la Jachna, qui court 
dans la vallée, de nombreuses pièces de bois; comme il en 
fallait pour l'établissement des rigoles et pour la construction 
des ponts, pour les barrières et pour les garde-fous, l'abbaye 
réser va à cet effet spécial des quartiers de la forêt où l’on puisait 
pour ces travaux d'intérêt commun. 

À Jachenau, ces bons rapports de voisinage durèrent aussi 


572 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


longtemps que l’abbaye. On constate qu'ils ne s’arrêtèrent 
qu'avec sa suppression, en 1803. Mais Jachenau est une excep- 
tion. Trop souvent le paysan, une fois enrichi, se séparait de 
l'abbaye. La lumière contemplatrice qui y brillait s’éteignait 
pour lui. Les trésors spirituels qu’elle renfermait lui devenaient 
étrangers. La pensée du Christ et en même temps la pensée 
humaine vivifiée par le Christ, s’évanouissait à ses yeux. Le 
village devenait un monde obscur, séparé du reste de l’univers. 
Non pas que le bourg allemand ressemblât à l’agglomération 
ronde du village slave; non, il n’était pas concentrique ; il 
s'étendait largement au fond de la vallée, le long du ruisseau, 
ou sur les deux côtés de la grand’route. Quiconque a mis le 
pied sur la terre germanique connaît cette disposition des choses. 
L’allemand n’a jamais aimé un voisinage immédiat. « Quicon- 
que, dit un vieil article de droit westphalien, construit une 
maison sur un terrain où il n’en existait pas auparavant ne 
peut le faire qu’à conditior de laisser entre elle et la propriété 
de son voisin le plus proche une distance égale à celle qu’une 
perdrix domestique peut parcourir d’une envolée, ce qui doit 
être estimé à environ trois cents pas d’un homme. » Le village 
s’espaçait donc ; mais quoique construit sur ce plan, il n’en 
restait pas moins, au moyen-âge encore plus qu’aujourd'hui, 
un monde à part, le monde du paysan, où dominait cette 
sombre ignominie : la superstition. 

Une superstition dont nous ne pouvons nous faire aucune 
espèce d'idée, Un professeur de l’École Normale, mort depuis 
longtemps, avait l’habitude de dire à ses auditeurs : « Quand 
vous expliquerez Homère à vos élèves, n'oubliez pas de leur 
rappeler de temps en temps qu’alors les chemins de fer n'exis- 
taient pas encore. » Cela, il faut le rappeler aussi quand on 
parle du moyen-âge. Non pas que la superstition ait disparu ; 
même aujourd'hui elle fleurit et chez le paysan, et chez le 
bourgeois, et chez le politicien. Voici deux cas qui le prouvent ; 
je ne crois pas qu'ils soient connus du public. Il y a quelques 
années, un des hommes de nos jours qui a été le plus souvent 
ministre, est invité à dîner dans une maison. Il était alors 
président du conseil. Au moment d'entrer dans la salle à manger, 
il s'arrête sur le seuil, compte d’un œil inquiet le nombre des 
couverts, constate qu'ils sont treize, se met à trembler, puis, 
sans dire un mot, abandonne le bras de la maîtresse de maison 
ahurie et sans mettre le pied dans cette salle au milieu de laquelle 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 573 


s'élève une table menaçante chargée de treize couverts, il se 
dirige vers l’antichambre et fuit les jambes à son cou. Il courrait 
encore si depuis il n’était pas mort. Voilà le premier cas ; voici 
le second. Presqu’au même moment, c’est-à-dire il y a une paire 
d'années, l'élite des députés appartenant aux partis avancés 
avait été réunie à diner par une de nos Egérie modernes. La 
chère avait été excellente et, de la salle-à-manger on passait 
gaîiment au salon, quand subitement, sans cause apparente, 
la glace qui s'élevait au-dessus de la cheminée de celui-ci se fend. 
Instantanément, la conversation tarit, un froid glacial se fait 
sentir, puis, sous un prétexte quelconque, un, deux, trois, qua- 
tre, cinq des assistants disparaissent ; au bout d’un quart d’heure 
le salon est vide. 

La superstition est donc de tous les temps, et de tous les. 
milieux où la religion ne fait pas sentir suffisamment son 
influence salutaire. Et si, en plein Paris du vingtième siècle, 
dans un appartement éclairé à l'électricité, où le téléphone 
s'étale dans l’antichambre, auquel on est monté par l’ascenseur 
après être arrivé en automobile, des hommes dont l’un a détenu 
un portefeuille ministériel peut-être pendant dix ou douze ans. 
— je n’ai pas le temps de faire le compte — dont les autres sont 
présidents ou vice-présidents de groupes parlementaires, anciens 
ministres ou futurs ministres, cherchent leur salut dans une 
fuite éperdue parce que, sous l'empire du courant d'air produit 
par l'ouverture de la porte de communication entre une salle à 
manger et un salon, la glace de celui-ci s’est fendue ; comment 
voulez-vous qu’un paysan allemand du treizième siècle, s’il 
avait rompu avec le foyer de lumière qu'est l'Eglise, ignorant 
des choses de la religion, privé de toute communication avec le 
monde extérieur, ne sortant pas de son village, n’entendant 
presque jamais la parole de Dieu, comment voulez-vous qu'une 
telle loque humaine, livrée à son imagination, n’enfantàt pas 
des horreurs ? 

Car il enfantait des horreurs. En voici quelques-unes. 

Le paysan allemand du treizième siècle croyait au loup-zarou. 
Cette croyance persista jusqu’au seizième siècle au moins. J'ai 
sous les yeux au moment où j'écris ces lignes, une feuille 
volante de 1589 représentant l’exécution d’un paysan condamné 
cette année-là à mort comme loup-garou. En haut, à gauche, 
l’homme, métamorphosé en loup, attaque et met à mort des 
passants. En bas, toujours à gauche, commence le supplice. Le 


574 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


paysan est attaché sur une roue. A côté de lui des pinces rougis- 
sent au feu. Le bourreau en saisit une et lui tenaille le corps 
tout entier jusqu’à ce qu'il ne soit qu'une plaie. Puis le même 
bourreau saisit un maïllet et rompt les os du malheureux qui, 
dans un geste d’indicible détresse cherche à s’arracher tout 
pantelant de la roue, qu’il soulève à moitié de son eflort déses- 
péré. Ensuite le bourreau lui découpe avec la hache de grandes 
entailles dans les bras et dans les jambes. D’un coup d’une 
large épée à deux tranchants il lui détache enfin la tête. Et dans 
le haut de la feuille, à droite, le corps décapité brûle sur un 
bûcher entre deux femmes, qui, elles, sont brûlées vives. Une 
longue inscription, au bas de la feuille, nous instruit de ce que 
sont ces deux femmes : en même temps que le loup-garou on 
avait jugé à propos de brûler sa fille... et sa commère ! Après 
un semblable exemple il est inutile d’aller plus loin, n'est-ce pas? 
Je ne citerai donc plus que quelques menues superstitions. Le 
paysan s’imaginait que certains hommes, les sbires surtout, 
jouissaient de la puissance occulte d’immobiliser sur place les 
personnes qu'ils poursuivaient. Il croyait aussi qu’en barrant 
d’une certaine façon la route à un ennemi on attirait sur lui 
les plus grands malheurs. L’un avait foi aux fées, l’autre 
aux sorcières. Communier, en cas de nécessité, avec du pain non 
consacré, avec de l’herbe ou avec de la terre semblait chose licite. 
« Plus d’un, dit Berthold de Ratisbonne, quand il va mourir 
sur le champ de bataille, au moment où on le conduit au gibet 
ou s'il se sent en danger de mort, s’écrie: mets-moi dans la 
bouche un morceau de pain, ou, si tu n’en as pas sous la main, 
un peu de terre. Et il est persuadé d’avoir ainsi reçu le corps 
de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Et l’ardent prédicateur conti- 
nue : « Du pain est du pain, de la terre de la terre, et le corps 
de N.-S. le corps de N.-S. Mange tant que tu voudras de 
pain, tant que tu voudras de terre, tout ce qui en résultera c'est 
que tu pèseras plus lourd au gibet. » Je ne parle ni des enchan- 
tements, ni des envoûtements, n1 des herbes magiques, ni des 
philtres, ni des sorts auguraux, ni des incantations qui pullu- 
laient ; je me contente de constater que le paysan allemand, par 
suite de son ignorance religieuse, en était revenu à un odieux 
paganisme. Et sous l'empire de son paganisme, ses mœurs 
s'étaient corrompues. Îl était envieux, batailleur, avare, sour- 
nois, cauteleux. « Nul ne trompe avec autant d’entrain que le 
paysan, dit Berthold. » Sa voracité était devenue hideuse, son 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 575 


orgueil stupide et révoltant. Le mal était si intolérable que tout 
le monde fuyait les champs. « On ne respire que dans les villes. » 
Ce proverbe date de cette époque. Dans son isolement de Dieu 
le paysan retournait à la bête. 


LA PRÉDICATION POPULAIRE. — Pour le relever, il fallait 
d’abord lui apporter cette parole de Dieu, qu'il ne voulait plus 
aller chercher à l’abbaye, et il fallait surtout que, cette parole, 
il la comprit. 

Qu'il la comprit. Il y avait au treizième siècle une prédication 
savante. Le P. Gratien nous en a donné un modèle ici même 
dans les sermons du cardinal Eudes de Chateauroux qu'il vient 
de publier avec un soin si diligent. Je traduis les premières 
lignes de l’un d’eux : « Ceux-la sont les Cinéens qui descendent 
de la chaleur de la maison de Réchab. I. Par. IT. 55. Par ces 
paroles l’Esprit-Saint nous apprend deux choses, d’abord quels 
frères vous devez être, quand il dit : ceux-la sont les Cinéens ; 
secondement quel et combien grand fut celui dont vous descen- 
dez et de qui vous avez pris naïssance ; et de qui, comme de sa 
source, cet ordre a Jjailli, est montré par ces mots : qui descen- 
dent de la chaleur de la maison de Réchab. Au pied de la lettre 
il parle de certains religieux de l’ancien Testament qui furent la 
forme la plus expresse des Frères-Mineurs. Et ce que c'était 
que ces Cinéens et aussi les Réchabites, quels ils furent, est 
déterminé par l’Esprit-Saint dans ce même passage quand, peu 
auparavant, il dit: parents des Scribes demeurant à Jabes, chan- 
tant, et jouant de leurs instruments, et demeurant dans les 
tabernacles. » 

Il est bien entendu, n'est-ce pas ? que ce n'est pas de ce style 
qu'il était permis de parler à des paysans, au treizième siècle. 
Peut-être, même aujourd'hui, vaudrait-1l mieux éviter de leur 
montrer ce genre d’éloquence. Récemment un ami de celui qui 
écrit ces mots assistait à la grand’messe dans un petit village de 
trois cents âmes. Le curé monta en chaire et commença en ces 
termes : « Ouvrez Sénèque, mes frères ! » Ce fut, dans l’assem- 
blée, un indicible émoi ; les paysans se penchaient l’un vers 
l’autre en demandant : « Qu'est-ce qu'il a dit qu’il faut que nous 
ouvrions ?»; les vieilles femmes s’effaraient, et les enfants, ne 
sachant comment s’y prendre pour ouvrir Sénèque, ouvraient 
tout ronds leurs yeux candides. 


576 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


L’« Ouvrez Sénèque, mes frères ! » n’avait pas cours parmi les 
Mineurs, au treizième siècle. 

Rien n'est pénétrant, rien n'est touchant, rien n’est émouvant, 
comme le soin pieux avec lequel ils s’ingénièrent à incliner 
leurs hautes intelligences au niveau des pauvres déshérités. 

Un écrivain protestant a pu écrire que les allocutions des 
Franciscains du treizième « siècle peuvent encore valoir 
aujourd'hui comme des modèles de prédication populaire 
efficace, et qu'elles mériteraient d'être lues encore aujourd’hui 
du haut des chaires de nos églises de village. » 

J'ai parlé déjà, autrefois, dans cette même Revue, de Fr. 
Berthold de Ratisbonne ; ses œuvres ont reçu l’épithète de 
« magnifiques » et, elles sont considérées comme un des orne- 
ments éternels de la littérature allemande ; qu’il me soit permis 
de résumer en deux mots leur signification pour le sujet qui nous 
occupe. Elles sont les plus merveilleux chefs d'œuvres d’efjicacité. 

Fr. Berthold avait pris l’habit du Poverello à Ratisbonne, 
semble-t-il, et dès 1240 son entrée dans une ville est signalée 
par la chronique locale comme un événement. Il passe dans 
la vallée du Rhin, en Alsace, en Suisse, en Autriche, en Silésie, 
en Moravie, en Bohême, à la façon d’un météore. Ses missions 
avaient un succès prodigieux ; il réunissait autour de lui, disent 
les historiens, non sans peut-être beaucoup d'’exagération, 
cinquante, cent, deux cent mille auditeurs. Aucune église n'était 
assez vaste pour contenir le peuple qui se pressait autour de lui ; 
aussi parlait-il le plus souvent en plein air. Ses sermons en 
témoignent : « Je vais vous dire une grande parole, s'écrie-t-il 
dans son onzième sermon sur l’éminente sainteté du sacrement 
de l’autel : supposons que Notre Dame Sainte Marie, mère de 
Dieu, soit ici, devant nous, sur cette belle prairie, et que tous 
les saints et tous les anges soient avec elle... » Et dans son 
vingt-sixième sermon, voulant faire entendre à ses auditeurs que 
la vue du démon est si terrifiante qu'on se jetterait dans le feu 
pour y échapper, il dit: « S'il nous était donné de le voir de 
nos veux de chair sans mourir et qu'il passât devant le bois, là, 
devant nous, et que cette ville, ici, sous nos yeux, füt un four 
enflammé, rougi de part en part, 1l se produirait vers ce four 
flamboyant la poussée la plus forte que Jamais la terre ait vue 
ou verra. » On montrait encore à Graz, au À VII: siècle,je crois, 
le tilleul sous lequel il prêchait. 

Son langage emprunte toujours le langage de ceux auxquels 


DE L’ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 577 


il parle. « Moi aussi, disait-il, j'ai ma fonction : prêcher, voilà 
ma fonction. » Mais prêcher pour être compris. « Je parle, c’est 
pour qu'on m'entende » disait un de ses compatriotes. Il aurait 
pu dire comme lui. Devant un paysar, ses images seront 
empruntées au monde de la nature. Veut-il, devant un auditoire 
rural, faire le portrait de l’avare, il le comparera à la sauterelle 
de l’Apocalypse. Déjà ce simple mot de sauterelle éveillera dans 
l’idée de ses auditeurs l’image du fléau et de la dévastation : 
« La sauterelle, dit-il, passe ses journées tapie dans l'herbe 
profonde qui suffirait à engraisser des troupeaux entiers de 
bœufs et de chevaux : elle la ravage, reste maigre, etn'en a 
jamais assez. Ainsi de l’avare : de même que la sauterelle ne 
devient jamais grasse, il lui semble qu'il gagne toujours trop 
peu... Avare, comme la sauterelle de l’Apocalypse encore, tu 
portes une cuirasse d’airain ; elle colle à tes os, et rien ne peut 
l’en arracher. Tous les marteaux du monde ne l'en détacheraient 
pas, ta poitrine s’est pétrifiée dessous. Elle est si dure que rien 
n’y fait: ni sermon, ni confession, ni admonestation, ni 
plaintes, ni reproches ; elle est plus résistante que le diamant. 
Celui-ci cependant est ferme au point que si tous les marteaux 
du monde le frappaient et le broyaient de heurts et de coups, ils 
n’en détacheraient pas la grosseur d’un grain de mil. Eh bien! 
tu es plus dur encore ! Car on a trouvé le moyen de briser le 
diamant, mais nul ne trouvera celui de t'amener à restitution ! 
même ces coups lamentables qui frappèrent N.-S. J.-C. sur la 
tête avec un roseau, — sur ses flancs si purs, sur son corps, sur 
tous ses membres à la colonne, — les heurts douloureux du 
marteau qui, sur la sainte croix, poussèrent les clous dans ses 
pieds et dans ses mains ne t’ébranleront pas, ils ne t’enlèveront 
pas le plus petit bien mal acquis. » 

Ün jour il montre aux femmes mariées ce que sera leur vie 
après la mort de leur mari: «Tout vous opprimera. Les 
parents de votre mari: lui mort, ils voudraient vous prendre 
tout ; ils tireront tout à eux, ils vous traineront devant le juge. 
Ils s’inchinaient, vous appelaient : ma chère sœur, quand votre 
vaillant homme était là. Maintenant, ils se dressent contre vous, 
ils vous traînent devant le juge. Le Juge, au temps de votre 
mari, vous ménageait, à cause de lui; maintenant il vous 
opprime. Vos propres parents, autrefois, vous recevaient bien. 
Maintenant, si vous vous dirigez vers leur maison, ils se cachent, 
ils craignent que vous ne leur demandiez de vous accompagner 


E. F. — XXX. — 37 


578 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


en justice ou de vous prêter quelque chose. Etils vous pren- 
draient plutôt quatre sous que de vous en prêter un. Votre 
enfant lui-même se lève, et vous presse, et vous pressure. « Oui, 
clame-t-il, c'est mon bien, mon père me l’a laissé ! » Chien ! 
car tu agis comme un chien ! Aussi longtemps que sa mère tend 
à celui-ci sa mamelle et lui donne à têter, il remue la queue, et 
frétille, et cajole. Et dès qu'il est grand et ne tète plus, il mord 
sa mère, sous la table, pour un os. Veuves ! voilà ce que vous 
fera l'enfant que vous avez porté sur votre cœur ! Chien ! quand 
il était petit, il courait vers vous et s’enroulait dans le pan de 
votre manteau. Et maintenant qu’il devrait vous être conseil et 
consolation, 1l vous prend ce que vous avez... veuves de 
douleur !.. » 

Ce langage était efficace, les paysans vivant au milieu de leurs 
animaux, le comprenaient;ils ne comprenaient pas « les Cinéens 
qui descendent de la chaleur de la maison de Réchab. » Il 
comprenait, aussi, ce paysan qui vivait près du château et 
voyait tous les jours son seigneur en armes passer devant le pas 
de sa porte, il comprenait aussi, ce paysan qui fréquentait les 
marchés à bestiaux, il comprenait aussi cette description de la 
coquette : « Celle qui plaît au démon à un degré éminent, c’est 
la vierge impertinente qui se peint, comme le fabricant de 
boucliers ses boucliers, qui s’orne comme un paon, ambulante 
de la coquetterie, qui colporte sa jeunesse dans les bals et dans 
les fêtes, l’expose, comme le courtier sa marchandise, et brûle 
du désir d’être désirée. Celui qui veut vendre un cheval, que 
fait-il ? [1 le signale d’un brin de verdure ou d’un bouquet, lui 
redresse la queue, et chacun sait qu'il est à vendre. Ainsi la 
coquette s'affiche avec ses couleurs et ses fleurs, et les hommes 
la recherchent. Démons de l'enfer ! comme elle vous plaît ! » Il 
sait d’un autre côté, l’orateur populaire qui connaît son public 
rural et qui n’ignore pas qu'il faut parler fort, il sait, à l'impro- 
viste, faire éclater le tonnerre qui secouera les âmes rudes comme 
le vent secoue les roseaux au bord d’un marais. Un jour il vient 
de parler longuement des devoirs de l’époux et de l’épouse et il 
voudrait exposer encore ceux du veuf et de la veuve ; mais il 
craint que son auditoire où les hommes et les femmes mariées 
dominent, ne devienne inattentif ; écoutez le détour qu'il 
prendra : « Je vais apprendre, s’écrie-t-il, aux veufs et aux veuves 
leur devoir; pendant ce temps-là, vous, hommes et femmes 
mariées, dormez !.. ou plutôt, non, ne dormez pas! Ecoutez : 


DE L'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 579 


vous êtes unis aujourd hui, demain la mort vous aura désunis ; 
votre siège est vertical aujourd’hui, il sera horizontal demain ; 
vous ignorez quand se lèvera le vent qui doit vous renverser ; 
les morts d’aujourd’hui étaient debout hier ; ce que je vais dire 
n’est pas votre chose maintenant, mais elle le sera demain ; 
écoutez !..» Et comme il sait décrire avec une verve campa- 
gnarde, depuis le buveur solitaire, couché, le soir, ivre, au 
travers de la route « tandis que le troupeau l’enjambe pour 
rentrer à l’étable », jusqu'au ménage qu'une commune passion 
pour la boisson a conduit à la gêne, qui vend ses dernières 
hardes et qui, attablé « boivent, le mari son sabre et la femme 
son couvre-chef, tandis que l'enfant pleure et veut aussi devenir 
ivre. » 

Et Je dis que le paysan comprenait ce langage, puisqu’au 
rapport de Jean Boëme Aubanus dans son Omnium gentium 
mores « en aucun cas il ne sortait sans avoir son sabre au côté ». 
Il comprenait même autre chose encore. Surtout il sentait plus. 

Le sermon, en effet, n'était pas simplement autrefois ce qu'il 
est aujourd’hui. Aujourd’hui, quand nous en sortons, nous 
l'oublions. Nous l’oublions, parce que le train même de la vie 
fait de toute intelligence moderne un caléidoscope où rien ne 
persiste et où les images se superposent avec une rapidité décon- 
certante. Toute impression, quelque vive qu’elle soit, est 
immédiatement recouverte par une autre. Au sortir du sermon 
le chrétien achète son journal ; et à peine l’a-t-il ouvert que son 
attention est éparpillée aux quatre coins du globe. L'Amérique 
présente à sa fantaisie le discours que vient de prononcer son 
président nouvellement élu et la lutte violente qu’il annonce 
contre les trusts ; l’Asie, lui montre le recul ou les dernières 
convulsions de l'Islam ; la Chine, l’écroulement d’une civili- 
sation deux fois millénaire ; l’Inde, la révolution qui couve ; 
et tout près de lui, l’Europe agite ses armes et les ministères 
croulent avec fracas ; tout cela passe sur l'impression fraîche que 
vient de recevoir son âme et la ternit. Rentré chez lui, ce chrétien 
trouve le livre qu'il doit lire, parce qu’il lui faut connaître les 
courants de la pensée moderne ; l'invitation pour la conférence 
qui se fera au patronage auquel il s'intéresse et à laquelle il est 
impossible qu’il manque ; la revue chrétienne qu'il lui faut 
feuilleter pour être à même de répondre aux amis qui lui 
demanderont : que faut-il penser de tel mouvement, boys-scouts 
ou autre ; y a-t-il lieu de s’y prêter ou faut-il lui barrer la route 


580 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


Et sur tout cela se superpose l'emprise des affaires qui se fait 
toute puissante. Et remarquez que je ne parle ici que du chrétien 
à l'existence exemplaire ; que dirais-je des autres ? Or ce phéno- 
mène de désagrégation, d’annihilation du sermon par la vie se 
produit du haut en bas de l'échelle sociale. Le paysan lit son 
journal, a sa bibliothèque paroissiale, va à son patronage, lit 
sa revue du tiers-ordre comme nous, et il n'oublie même pas 
toujours la séance au cinématographe. Et, ici encore, je ne parle 
que du paysan sérieux. Chez lui, comme chez nous, la parole 
de la chaire s’évapore dans l’atmosphère ambiante infiniment 
plus vite que la laque de garance fraîchement posée sur la toile. 

Au treizième siècle rien de tout cela n'existait. Il n’y avait 
pas de journaux, pas de livres, pas de conférences, pas de 
cinématographe. Üne seule ouverture sur l'idéal : le ser- 
mon. Aujourd’hui, le sermon est une chose qui passe ; au 
XIII- siècle le sermon est une chose qui reste. Avec lui, 
le paysan vit toute la semaine dans son monde hermétique- 
ment clos du village. Il ne respire du côté de la lumière 
que le dimanche. Mais cette lumière, il la garde toute la semaine. 
Selon qu'elle aura été claire ou trouble, vive ou morte, sa 
semaine sera vivante ou languissante, sombre ou joyeuse. 
Le sermon donnera à la semaine sa teinte générale. C'est le 
lac de la plaine qui conserve pendant la nuit la lumière de ce 
soleil qui s’est couché depuis des heures sous l’horizon. Dans 
le silence de la pensée solitaire du paysan du treizième siècle la 
parole tombée des lèvres du prêtre a des retentissements infinis. 

Le Mineur ne l’ignore pas. Et il fait entendre du haut de la 
chaire clairement et distinctement tout ce qui peut être d’un 
profit intellectuel et moral pour cet humble qui, pendant huit 
jours, jusqu’au dimanche suivant, va vivre la vie de sa propre 
pensée. 11 voudrait, par tous les moyens, élever et améliorer 
son âme. Il enchantera son imagination pour lui découvrir les 
charmes que Dieu a cachés dans l'existence qu'il lui a faite : 
« Le Dieu tout-puissant nous a donné à nous, clercs, deux 
grands livres dans lesquels nous étudions, nous lisons et nous 
chantons : l’un est de l’Ancienne Alliance, et l’autre de la 
Nouvelle ; et nous lisons l’un de nuit et l’autre de jour... Et à 
vous aussi Dieu a donné deux grands livres, dans lesquels vous 
devez étudier la sagesse : le ciel et la terre ; et vous devez les 
étudier, celle-ci de jour, et celui-là de nuit. » Et il montre les 
beautés de la création « où tout est fait pour notre utilité et pour 


DE L’'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 581 


notre bien » ; le charme de l'arbre, nu et dépouillé en hiver, et 
qui, à l'approche des chaleurs pousse les feuilles qui le proté- 
geront contre les ardeurs du soleil ; puis le fruit qui se montre 
« frais odorant » ; la vigne d'aspect humble, qui donne le bon 
vin « qui fait tant de bien et rend si gai» ; et la beauté des 
plantes, où tout est bon, la racine, la semence, l'herbe, la fleur ; 
et la variété de leurs couleurs, rouge, jaune, brune, blanche, 
diaprée, multicolore ; et leur aspect, si différent, ample, ramassé, 
trapu ou élancé. Et la noblesse de la nature, le soleil, les claires 
étoiles, la fraîcheur des nuits ; la terre aux nuances infinies, sa 
fécondité, ses parfums, la richesse de ses forêts, son monde 
souterrain, où dorment les pierres précieuses et où rampent les 
racines ! Et quoi de comparable à la joie des choses au prin- 
temps, aux voix de l'univers, au chant des oiseaux et au plaisir 
que donne à l’homme l'aspect de l’homme ? Et à la vue de ces 
merveilles, il faut honorer Dieu d’une prière «car Dieu veut 
être loué pour ses œuvres ». Et après « avoir ainsi lu au psautier 
du jour, lisons dans le ciel de la nuit : Dieu y a écrit pour nous 
d’admirables leçons. » Et l'hymne à la nuit commence, avec les 
« adtmirables leçons » qu’elle nous apporte. 

Je ne puis pas tout citer. Quel rafraîchissement, pour le 
paysan solitaire et abandonné, que de semblables leçons ! 
Fr. Berthold ne se contente pas d’ailleurs de lui révéler les 
merveilles dont sa vie rustique est entourée et le psautier divin 
qu'il a sous les yeux et qu’il doit épeler jour et nuit ; il s’efforce 
de lui enseigner le mécanisme de ces merveilles. Car il sait que 
la superstition qui le dévore cédera devant de semblables 
lumières. Il pratique la théorie des antidotes que l'Église a 
toujours si merveilleusement mise en pratique. Un esprit qui a 
saisi, même confusément, les harmonies des sphères célestes, est 
bien près de ne plus croire au loup-garou. Je ne connais rien 
de plus clair, de plus limpide, de plus lumineux et de plus 
touchant en même temps que ce petit cours de vulgarisation 
astronomique professé sous le ciel bleu, au treizième siècle, par 
un fils de saint François, à des paysans : « Cette terre: sur 
laquelle reposent nos pieds, leur explique-t-il, a la forme d'un 
globe. Le firmament qui l’enveloppe, c’est-à-dire ce ciel que 
nous avons là, sous nos yeux, et auquel, la nuit scintillent les 
étoiles, celle d'un œuf. La coquille est le ciel ; le blanc qui 
entoure le jaune, l'atmosphère ; le jaune, au milieu, la terre. 
Or, le ciel tourne sans cesse comme une roue ; mais sa course 


582 RÉFLEXIONS SUR LA CONQUÊTE 


est oblique dans une voie oblique, et voilà ce que les ignorants 
ne comprennent pas. Lors donc que Dieu créa le firmament, il 
lui ordonna de tourner... Il roule de l’est à l’ouest, de l’orient 
à l'occident. Et voilà comment le ciel court avec les étoiles, et 
tourne, et avec lui la plus grande partie des astres. Ceux qui sont 
ence moment sur nos têtes,seront,à minuit au-dessous de nous. 
Et ce monde ne s'appuie sur rien ; et quelque grandes que 
soient les montagnes, et quelque lourdes qu’elles soient, elles 
ne reposent, en fin de compte, sur rien, car tout flotte librement. 
Exactement comme un oiseau qui, en ce mornent, serait dans les 
airs et planerait ; ainsi le monde plane, ne reposant sur rien que 
sur la puissance de Dieu. Et s’il était possible de percer la terre 
de part en part, en ce moment où il fait jour ici, vous verriez 
à travers le trou, au-dessous de vous, sous vos pieds, les étoiles 
au ciel, comme vous les voyez, de nuit, sur vos têtes ; car le ciel 
se déploie aussi bien au-dessous de nous, qu’au dessus. Et le 
soleil est au ciel, au dessous de nous, lorsque la nuïit s'étend sur 
nos têtes. Et voilà comment la terre nous empêche de voir le 
soleil, pendant la nuit, jusqu’à ce qu’il reparaisse à l'Orient. » 

Réfléchissez à la prodigieuse difficulté que présente toute 
vulgarisation scientifique, et vous serez émerveillé de cette 
explication du système sidéral faite, pour des paysans, au moyen 
de choses que le paysan a journellement sous les yeux : du jaune 
d'œut qu’il gruge, du blanc au milieu duquel le jaune flotte, 
de la coquille délicate et fine qu’un enfant broie de ses doigts 
minces, et qui cependant n’est pas autre chose que l’espace sans 
limite, de l’oiseau qui plane, du trou qui se creuse et qui, s’il 
était continué longtemps, longtemps, ferait voir des étoiles 
brillant dans des cieux inconnus. Quelle révélation que toutes 
ces choses splendides pour le pauvre paysan abandonné ! Et quel 
trésor d'efficacité ! 

Mais, à ce même paysan, dont le château-fort domine l’exis- 
tence, pour qui le château-fort est le symbole de toute puissance 
et de toute félicité, qui croit, le naïf, que le seigneur qui l’habite 
et qu’il voit passer dans son armure étincelante accompagné de 
sa femme vêtue de brocard d’or et suivie d’une suite somptueuse, 
nage dans un océan de félicité sans borne, à ce paysan, qui, dès 
qu'il lève les yeux de son sillon, voit le château-fort se profiler 
à l'horizon, à ce paysan, comment Fr. Berthold peindra-t:il cet 
autre ciel supra-sensible, le paradis auquel il doit tendre ? Vous 
l'avez deviné : sous la forme d’une forteresse, mais d’une forte- 


DE L’'ALLEMAGNE PAR LES MINEURS 583 


resse dont les murs d’or pur flamboient d'émeraudes et de 
diamants et où lui, le pauvre paysan, vêtu de soleil, vivra une 
éternelle jeunesse dans l’accomplissement de tous ses vœux, 
dans une joie sans tristesses, dans une richesse sans pauvreté, 
dans une vi: sans mort, dans une santé sans maladie, dans un 
amour sans haine, dans une beauté sans défaut. Ce paradis, le 
paysan le comprend ; tout autre paradis, il ne l'aurait pas 
compris. 

Résumons-nous ; avant les Mineurs, le sermon, même 
lorsqu'il tombait de la bouche d’un homme à l’âme aussi haute 
qu'Innocent III, n'était trop souvent qu’un tissu de textes 
choisis de parti pris parmi les moins clairs et brodés de gloses 
alambiquées, un étalage d’érudition, une recherche de concor- 
dances bizarres entre l’Ancien et le Nouveau Testament, en un 
mot, un inextricable écheveau d'idées obscures auxquelles le 
paysan ne comprend rien. Dans le sermon, au contraire, 
apporté par le Mineur, le paysan comprend tout. La seule 
polémique qui y ait place, c'est la polémique contre le péché. 
Le sujet est clair, la phrase courte, l’image abondante. Et cette 
image est toujours empruntée au milieu dans lequel le paysan 
vit. Aussi le paysan voit-1l pour ainsi dire son sermon. Depuis 
la sauterelle jusqu'au château-fort, depuis le petit chien qui 
tète jusqu’au buisson qui frissonne, depuis l’œuf dont le jaune 
fait boule jusqu’à l'oiseau qui plane, depuis le monde souterrain 
où rampe l'humble racine jusqu'au ciel étincelant d’étoiles, 
tout sert à élever son âme; tout est mis en œuvre. Mais rien 
n'est mis en œuvre qu'il ne puisse sans relâche contempler, 
revoir et voir encore et où il ne puisse à tout moment balbutier 
ce divin psautier du jour et de la nuit. Le Mineur en un mot 
apporte au paysan la parole divine sous la forme où elle lui est 
accessible. I] l’incorpore, pour ainsi dire, de force à son imagi- 
nation. Îl l’en imbibe. Par là, il le transforme, car il le remplit 
de divin. La caracteristique du sermon franciscain au XIII 
siècle est d'etre efficace. 

Est-ce, cette fois, tout ! Non. Poussons donc plus loin la 
série de ces investigations. 


(À suivre.) H. MATROD. 


LE DURBAR DE DELHI. 


L'autre jour je passais par Delhi me rendant à Mussoorie où 
j'allais, pour un mois, respirer l’air pur et vif des premiers contre- 
forts des Himalayas. Delhi me rappelait une foule de souvenirs qui 
pendant les quelques heures que j'étais contraint de passer dans 
cette ville historique, se présentèrent en foule à ma mémoire. 

Il y aura bientôt un an, le roi d'Angleterre malgré, — je 
serais tenté de dire, à cause de —, ce que les Anglais ont appelé 
« the unrest in India » et que nous pourrions traduire par « le 
malaise dans l’Inde », le roi d'Angleterre vint au ceur même 
de ses colonies des Indes se faire proclamer Empereur. 

Le coup était joli, risqué diront quelques-uns. 

Comme on le sut le jour où le héraut d’armes lut solennelle- 
ment devant plus d’un million d'hommes, de toute couleur, 
le message de l'Empereur à son peuple, il s'agissait de transférer 
le siège du Gouvernement de l’Inde de Calcutta à Delhi. 

Au premier abord la chose semble peu importante ; mais 
quand on réfléchit que découronner Calcutta c'était, en quelque 
sorte, décapiter le Bengale; que faire passer Delhi au premier 
rang c'était flatter l’élément musulman en faisant revivre les 
gloires de la domination des Mogols, et cela en reléguant 
au second rang la capitale des Bengalis, la ville d’où était parti 
ce mouvement d’insurrection que nous appelons par euphé- 
misme « le malaise dans l’Inde, » quand on réfléchit à tout cela, 
on comprendra l'importance du message du Durbar(1) de Delhi. 


(1) On appelle Durbar dans l'Inde une assemblée présidée par un prince 
entouré de ses ministres, conseillers et personnes influentes de son État, 
ou encore une audience officielle donnée par un prince. On étend cette 
expression au Conseil du Gouvernement Général de l'Inde ainsi qu’à toute 
autre réception officielle donnée par le représentant du Gouvernement dans 
chaque province ou État indigène, 


LE DURBAR DE DELHI 585 


Le Gouvernement anglais allait faire subir aux Bengalis qui 
semblaient vouloir personnifier l'esprit indien une opération 
plutôt douloureuse : il fallait le baume pour guérir la blessure; 
ce baume fut bien choisi pour opérer sûrement sur la plaie faite 
au cœur des Bengalis. 

La principale cause de mécontentement venait de la division 
du Bengale en deux provinces distinctes. Le Gouvernement 
anglais depuis de longues années avait travaillé à développer 
l'instruction et pour cela multiplié les écoles et donné toutes 
facilités à l'élément indigène d’en suivre les cours. Le Bengali, 
travailleur, entreprenant, intelligent, fut un des plus ardents à 
s'assimiler les différentes sciences enseignées dans ces écoles; 
l'étude élargit ses horizons, l'histoire du passé de l'Inde 
comparée à son présent éveilla dans son cœur des regrets 
d’abord, puis des aspirations nouvelles. 

Des idées d'indépendance fermentaient dans les têtes, les 
jeunes Bengalis devenaient des enfants terribles qui en savaient 
trop... Faire machine arrière il n’en n'était plus temps. 
Lord Curyon croyant que la maxime « diviser pour régner » 
était vraie en tout temps et en tout lieu, crut faire œuvre de génie 
en séparant en deux la province du Bengale, ou plutôt en 
faisant une nouvelle délimitation de territoire qui mettrait en 
présence de l'élément bengali un élément musulman assez 
puissant, pour lui servir de contrepoids. 

Les faits vinrent prouver que là n'était pas le remède; le 
« malaise » ne fit qu'augmenter ; à n’en pas douter, il y avait de 
l'orage dans l’air. 

C'estalors que dans une correspondance télégraphique secrète, 
et tenue strictement secrète jusqu’au lendemain du Durbar, on 
négocia entre Londres et Calcutta la réunion du Bengale; 
mais... (il y a un mais, et un mais qui peut compter), mais au 
prix de sa décapitation. 

L’Angleterre prenant en pitié les membres séparés qui ne 
pouvaient vivre l’un sans l’autre les rapprochait, les regreffait 
l’un sur l’autre, se réservant en suite une opération plus délicate 
encore, une opération capitale. 

Le malade à opérer, dans la joie de retrouver ses membres, 
serait peut-être insensible à l’autre opération : l’ablation du chef. 
Pourtant un doute subsistait et on comprendra que dans la 
circonstance, Georges V ne pensa pas trop faire en venant. 


586 LE DURBAR DE DELHI 


lui-même proclamer à Delhi la réunion du Bengale et le trans- 
fert du Gouvernement de Calcutta à Delhi. 

Devant la gravité des circonstances, étant donnée la valeur de 
l’atout qui était en jeu, le Gouvernement anglais ne semble pas 
avoir eu beaucoup d’hésitation à laisser son roi s'éloigner de la 
métropole pour plusieurs mois, s'exposer même aux bombes que 
certains mécréants pourraient être tentés de jeter sur sa route. 

De fait tout était à craindre : l'anarchie et la bombe ne sont 
pas choses inconnues aux Indes, et l’autre jour, en passant sous 
les voûtes de la porte de Cachemire que le roi devait franchir 
pour se rendre au camp du Durbar, je me souvenais de ces 
vagues sentiments de crainte et d’appréhension que partagaient, 
avant l’arrivée des hôtes royaux à Delhi, beaucoup des invités à 
ces fêtes grandioses et inoubliables. 

Pour jeter dans l’air une note plus mélancolique, voici que 
la veille de l'entrée solennelle des souverains, un baldaquin 
immense sous lequel le roi avec sa suite devait s'asseoir, à la 
descente du train, pour recevoir les souhaits de bienvenue de la 
municipalité, est soudain la proie des flammes. Ce baldaquin, 
valait plusieurs milliers de francs, tissé de soie et d’or, il était, 
dit-on, l’exacte reproduction d’un baldaquin ayant servi à 
quelque souverain mogol du passé. Cet accident fut attribué à 
la malveillance. 

Puis le bruit circula que des anarchistes venus de Calcutta 
avaient été arrêtés. Simples racontars, dira-t-on, c’est possible, 
mais racontars qui ne furent pas sans influence dans le chan- 
gement apporté au programme du lendemain. 

D'après les prospectus répandus à profusion, et les brochures 
donnant l’ordre des différentes cérémonies, le roi devait faire 
son entrée solennelle à Delhi dans une voiture de gala, avec à 
ses côtés la reine Marie. Lorsque l'équipage apparut, tous les 
spectateurs cherchèrent des yeux le roi ; la reine était seule 
dans la voiture, le roi était déjà passé, et passé inaperçu, au 
milieu d'officiers supérieurs, à cheval, comme lui, se confondant 
avec eux, pouvant être pris pour l’un d'eux avec son simple 
dolman rouge et son casque à plumes blanches. 

Ettous les braves soldats qui étaient depuis trois heures du ma- 
tin sous les armes, avec l’espoir, comme compensation, de voir 
de près leur souverain, n’en virent même pas l'ombre. Aussi se 
demandaient-ils si on ne leur avait pas joué un touren escamotant 
leur roi; ils étaient d’ailleurs aux premières places pour le voir, 


LE DURBAR DE DELHI 587 


formant une double haie tout le long des routes que devait 
parcourir le cortège royal. Et nous autres, les privilégiés, avec 
billets de faveur, nous n'avons pas vu davantage l’empereur des 
Indes le jour de sa réception officielle. 

Je me souviens encore de cette impression de soulagement et 
de contentement que chacun ressentit quand on sut Georges V 
en sûreté dans sa tente; la partie semblait gagnée et les 
appréhensions ne recommencèrent qu'au moment de nous 
séparer des gracieux souverains, montant dans le train qui 
devait les conduire à Calcutta. N'allaient-ils pas se jeter entre 
les griffes du lion? Il n’en fut rien, le bengali sembla n'être, 
du moins pour un temps, qu'à la joie d'avoir retrouvé son unité, 
succès qu’il ne manqua pas d'attribuer à ses agitations, à ses 
quasi-menaces. 

La porte de Cachemire franchie, je me dirigeai vers l'immense 
plaine où était installé, il y a douze mois, le camp du Durbar; 
avant d’y arriver il me fallut escalader ou contourner le « Ridge » 
ou sorte de petite colline allongée, rempart naturel qui protège la 
ville sur un de ses côtés. Cette colline joua un grand rôle dans 
la bataille de Delhi à l'époque de la révolte des Cipayes; les 
troupes révoltées, embusquées derrière sa crète, firent de l’armée 
anglaise un véritable carnage : le général Micholson, un grand 
nombre d'officiers et de soldats tombèrent sous les balles des 
mutinés. 

Un monument d'un goût douteux rappelle cet épisode tragi- 
que et donnesur des plaques de marbre le nombre des victimes, 
les noms des plus marquantes et le rang respectif des autres. 

Je préfère comme souvenir de cette époque troublée la porte 
de Cachemire sans marbre ni inscription, mais qui, dans son 
silence éloquent, rappelle mieux l'énergie de la lutte et l’ardeur 
des combattants. On a eu le bon goût de laisser cette porte dans 
le piteux état où l’a mise la guerre, ses murs criblés de balles et 
d’obus redisent encore la valeur de ses braves défenseurs. 

Pour revenir au « Ridge », l’an dernier c'était du haut de cette 
colline qu’on pouvait jouir du plus beau coup d'œil sur le camp 
du Durbar. De ce point d'observation, la vue s’étendait sur la 
plaine couverte de tentes, d’une blancheur éclatante, qui s’allon- 
gaient à perte de vue en lignes régulières laissant entre elles des 
taches vertes produites par des pelouses et des jardins verdoyants 
poussés là en quelques mois, séparées elles-mêmes par des 


588 LE DURBAR DE DELHI 


lignes rouges que dessinaiïent des allées bien proprettes, sablées 
de gravier rouge. 

La nuit l’aspect changeait, mais c’est ici encore qu'il fallait 
venir pour jouir du spectacle le plus féerique. Les lampes 
électriques jalonnant toutes les routes formaient d’interminables 
lignes scintillantes; puis devant chaque camp les illuminations 
les plus diverses, toutes à l’électricité, traçaient dans la nuït de 
charmants dessins lumineux. 

Aujourd’hui que tout est changé! les routes noires de monde 
et de véhicules de toutes sortes sont devenues désertes; les 
routes subsistent, du moins un grand nombre a survécu au 
Durbar, mais les lignes de tentes et de décorations luxueuses 
ont fait place en bien des endroits à des champs, car on avait 
pris sur des champs pour établir ce camp improvisé; aussi 
le maïs et le millet ont-ils repris la place des tentes et des 
parterres. Seules les allées rouges qui serpentent encore à 
travers ces champs font souvenir des splendeurs éphémères de 
cette plaine devenue historique. 

Par endroits le fameux camp de Delhi disparaît sous l’eau; 
il y a eu récemment de grandes pluies qui ont transforméen lac 
une partie de la plaine et, il faut mouiller sa chaussure pour arri- 
ver à l’élégant pavillon sous lequel le roi et la reine se sont 
assis, dans des fauteuils d’or massif, pour entendre proclamer 
Georges V Empereur des Indes. 

Ce pavillon demeure encore; mais « quantum mutatus ab 
illo »; ce n’est plus le gracieux dôme doré miroitant au soleil, 
supporté par de sveltes colonnes en imitation de marbre, puis 
formant prolongement sur les quatre côtés un dais de velours 
brodé et frangé d’or. Le riche dais de velours a été retiré 
après la cérémonie, et le temps s’est charg“ de dégrader le 
pavillon lui-même : le dôme ne reluit plus, la pluie de la 
mousson n’a épargné les feuilles d’or que par endroits, la pein- 
ture des colonnettes s’est traîtreusement retirée, laissant à nu le 
bois qui jadis semblait du marbre le plus pur. 

Pourtant du haut de ce kiosque élevé auquel des escaliers de 
marbre donnaient accès des quatre côtés, je me plais à jeter les 
regards tout à l’entour et je me souviens encore: ici à cette place 
ont eu lieu l'an dernier d’impressionnantes et inoubliables 
cérémonies. 

Je voyais là le grand pavillon semi-circulaire, léger dans sa 
construction, assez élevé pour permettre aux spectateurs munis 


LE DURBAR DE DELHI 589 


de cartes spéciales de prendre place sur les vingt-cinq rangées de 
chaises échelonnées en amphithéâtre. 

Faisant face à cet amphithéâtre couvert, et de l’autre côté du 
pavillon royal je voyais encore cette multitude incalculable 
pressée sur les degrés en terre battue d’un amphithéâtre à ciel 
ouvert. Ce dernier était réservé aux indigènes venus des 
différents districts des environs et même de plus loin; chaque 
district occupait un quartier spécial et ses hommes portaient 
un turban de même couleur, différant seulement pour chaque 
district ; l’effet était ravissant. De nos places sous l’amphithéà- 
tre couvert, à la grande distance où nous nous trouvions, on ne 
pouvait distinguer aucune figure, mais les petits points colorés 
de différentes teintes produits par les turbans donnaient 
l'illusion de parterres de fleurs. Ici un carré jaune, là un carré 
rose, puis un vert, un autre entremélé de rouge, de noir, de 
blanc et de différentes couleurs et teintes. 

Je voyais encore, séparant le pavillon royal du grand amphi- 
théâtre à ciel ouvert, les rangs serrés des soldats européens et 
indigènes formant une épaisseur de plus de 400 mètres. Le roi 
était bien gardé. 

Puis j'entendais l’écho des hurrahs enthousiastes de la foule à 
l’arrivée des souverains en habits royaux. Le roi, d’un geste de 
la main, relevait sans cesse sa couronne que pourtant on avait 
faite, pour la circonstance, la plus légère possible. La gracieuse 
impératrice ne ménageait pas ses sourires à l'assemblée, mais 
le manteau royal bordé d’hermine semblait pénible à porter et 
le soleil commençait à chauffer. 

C'étaient alors les chefs indigènes, les gouverneurs des 
provinces qui venaient prêter hommage à leur souverain; les 
rajas plus ou moins européannisés se contentaient d’une 
inclination médiocre et d’un salut de la main; était-ce pour 
montrer leur degré de civilisation? étaient-ils animés d’autres 
sentiments? je ne suis pas allé voir, mais, après la cérémonie, 
le vice-roi fit savoir à l’un de ces chefs, qui avait négligé mé- 
me le minimum qu'on pouvait demander, qu’il devait faire des 
excuses pour cette incartade. 

Les autres, les non civilisés, faisaient plus de démonstrations : 
tel le vieux raja de Jaipur de notre mission qui, après avoir 
salué le roi vint jeter son long sabre recourbé aux pieds de la 
reine et se prosterna la face contre terre; il eut beaucoup de 
succès près du public qui l’acclama longuement. 


590 LE DURBAR DE DELHI 


Ce geste pourtant ne fut pas du goût de tout le monde : 
j'avais sous les yeux l’autre jour un numéro de la Revue 
indienne ; une dame indigène, dont la prose sent le bengali, 
rend compte dans un article de ses impressions sur le Durbar 
dont elle fut témoin. 

Parlant de l’attitude des différents princes indigènes se pré- 
sentant devant les souverains anglais, elle trouve fort mal que la 
plupart des spectateurs aient applaudi les rajas d’autant plus 
chaudement qu'ils s’inclinaient plus profondément. 

Cette même dame nous dit les impressions que fit sur elle la 
double proclamation qui suivit cette cérémonie des hommages. 
Laissons-lui la parole : « La division du Bengale était annulée 
et la capitale transférée de Calcutta à Delhi! Le sang bouillonna 
dans ma poitrine ; pour une minute je fus incapable de pronon- 
cer une parole. J’eus comme l'impression que quelqu'un me 
donnait d’une main le ciel tandis que de l’autre il me donnait 
une formidable claque devant toute l'assemblée. Étais-je 
contente ou fâchée? après trente secondes d’hésitation je redevins 
maitresse de moi-même et je composai ma figure pour n'y 
faire paraître que la joie. » 

N'est-ce pas là l’état d’âme d’une partie de l'Inde? Mais, 
passons...., plus loin je revois la vaste plaine bien égalisée 
et devenue en quelques semaines une pelouse verdoyante où se 
jouaient chaque jour des parties de polo. Je ne m'arrêterai pas 
à décrire les magnifiques chevaux qui semblaient avoir une cer- 
taine fierté d’être admis à pivoter, tournoyer, galoper à toute 
vitesse devant les nombreux spectateurs qui garnissaient les 
gradins réservés aux invités du Durbar; je ne parlerai pas non 
plus des cavaliers émérites, européens et indigènes qui montaient 
ces fiers coursiers. 

Je veux seulement donner un souvenir à une cérémonie aussi 
touchante qu'imposante qui eut lieu sur cette plaine : la béné- 
diction des drapeaux. Trois régiments d'infanterie devaient 
recevoir des mains du Roi lui-même leurs nouveaux drapeaux. 
Parmi eux était le régiment fameux des « Connaught Rangers » 
composé presque exclusivement d'irlandais catholiques. 

L'Eglise catholique a dans son rituel des prières spéciales 
pour la bénédiction des drapeaux et étendards; mais en 
Angleterre, depuis la Réforme jusqu'aux dernières années du 
règne de la reine Victoria, les ministres anglicans ou presby- 
tériens étaient seuls admis à procéder à cette bénédiction. 


LE DURBAR DE DELHI 591 


On fit un accroc à cette règle au temps de la guerre des Boërs, 
puisqu'un chapelain catholique reçut la permission de bénir 
un drapeau à remettre à un régiment irlandais. Les soldats du 
« Connaught Rangers » n'étaient donc pas les premiers à voir 
leur drapeau aspergé d’eau bénite par un prêtre, mais ils étaient 
certainement les premiers à voir cette cérémonie déroulée devant 
une assemblée aussi imposante. 

Tout ce qu’on avait pu masser de l’armée du Durbar compo- 
sée de cinquante mille hommes était là présent sous le comman- 
dement de Sir O’Moore Creagh, l'irlandais qui a succédé à 
Lord Vritchener comme général en chef de l’armée des Indes. 
Les régiments qui devaient recevoir leurs drapeaux formaient 
les trois côtés d’un carré; les gradins qui s’élevaient sur l’un des 
côtés du terrain du polo et destinés à recevoir douze mille person- 
nes étaient couverts de spectateurs en rangs serrés; C’étaient les 
invités du Durbar, les princes indigènes, les gouverneurs euro- 
péens des différentes provinces, les hauts fonctionnaires civils et 
militaires, les visiteurs de marque venus de tous les pays du 
monde, au centre Sa Majesté le Roi Georges V accompagné 
de l’Impératrice Marie et d’une suite brillante comprenant 
Lord Hardinge, vice-roi des Indes, et Lord Crewe, secrétaire 
d’État pour l’Inde. 

Les ministres anglican et presbytérien qui devaient prononcer 
sur les drapeaux de deux régiments les paroles de la bénédiction 
prennent place en face de ces régiments respectifs; ils portent 
l’un la grande robe des docteurs en théologie, noire, relevée de 
blanc dans laquelle il se drape élégamment, l’autre la robe de 
forme spéciale que les ministres presbytériens ont adoptée. 

Pendant ce temps l’archevêque catholique d’Agra et ses deux 
assistants, deux prêtres capucins, ont revêtu le surplis. Ces 
derniers dans leur modeste accoutrement amènent des sourires 
de pitié sur quelques lèvres, des remarques supposées spirituelles 
ou piquantes dans quelques bouches, les rochets ou surplis en 
crochet suggèrent d’irrévérencieuses comparaisons, d’aucuns les 
baptisent du nom de moustiquaires. 

Mais tout à coup le ton change. Quand les deux ministres, 
anglican et presbytérien, ont récité à mi-voix les prières de la 
bénédiction, l’archevêque capucin, revêtu d’une chape en drap 
d’or, et coiffé d’une mitre étincelant au soleil, s’avance grave- 
ment vers le drapeau qu'il doit bénir, escorté de ses deux 
assistants l’un portant l’eau bénite, l’autre le rituel. 


592 LE DURBAR DE DELHI 


L’archevêque d’Agra est un homme de taille ordinaire, mais 
il en impose par sa vénérable barbe blanche, par son port 
majestueux bien que non affecté ; il possède outre cela une 
voix forte, sonore et juste, aussi quand :il entonna de toute 
la force de cette voix le Dominus vobiscum on sentit comme 
un frisson religieux parcourir l'assemblée, les rieurs devinrent 
sérieux, toutes les têtes s’inclinèrent respectueusement sous les 
paroles de la bénédiction et l’on put entendre des protestants 
faire ensuite tout haut leurs réflexions et avouer qu'après tout 
l'Eglise catholique seule était capable de faire des cérémonies 
imposantes et qui empoignent l'âme. 

En ce moment solennel nos gros gaillards irlandais présentant 
les armes à leur nouveau drapeau, béni par leur archevêque sous 
les yeux de leur souverain, avaient une magnifique revanche 
des sarcasmes et des railleries qu'ils doivent parfois subir pour 
leur foi catholique. 

En traversant la plaine témoin de la touchante cérémonie dont 
je viens de parler, nous atteignons l'extrémité du camp du Durbar, 
à plus de sept milles de distance de la porte de Cachemire ; toute 
cette partie est transformée en marécage, Je distingue pourtant 
à travers les arbres l'emplacement où se dressaient impeccables 
dans leur blancheur, parfaites dans leur alignement les tentes 
du Gouverneur d’Indore. 

Cet officier du Gouvernement qui doit surveiller sans en 
avoir trop l'air tous les rajas de la province qu’on appelle 
« Central India » est un irlandais qui a gardé au cœur la foi 
robuste de ses ancêtres, et qui, de plus, la met en pratique. Il 
avait eu la délicate attention d'emmener avec lui son « padri » 
et celui-ci revoyait l’autre jour, par la pensée, la tente gentille et 
coquette dans sa belle robe blanche où le dimanche il eut à dire 
la messe pour le Gouverneur et sa dame ainsi que pour les 
catholiques de sa suite; le second dimanche du séjour à Delhi 
cet ofhcier lui-même fit l'office de servant de messe. 

Je n'’allais pas revoir l'immense terrain où fut passée par 
le Roi lui-mème la grande revue finale, l'emplacement était 
bien choisi mais assez loin du camp; je ne m'attarderai pas non 
plus à décrire cette revue, spectacle grandiose, sans doute, mais 
qui n'apprendrait pas grand chose à qui a été témoin de nos 
revues de Longchamp. 

Üne mention seulement pour ce qui lui donnait la couleur 
locale : à côté des soldats anglais étaient les troupes indigènes 


LE DURBAR DE DELHI 593 


au service du Gouvernement Britannique; les Gurkhas, gars 
du Nord de l'Inde, courts mais robustes, leur petite toque 
ronde flanquée sur l'oreille, défilaient allègrement dans leurs 
culottes courtes et leurs tuniques vert sombre faisant contraste 
avec les uniformes aux couleurs voyantes que portaient 
gaillardement les troupes indigènes de différentes armes; le 
corps des chameaux de Bikanir s’avançait gravement, ces 
animaux peu esthétiques allongeant le pas en cadence sous la 
conduite d’un jeune raja, un bambin de huit ans, perché 
fièrement sur un de ces quadrupèdes aux longues pattes. 

Mais je m'arrête; j'ai revu avec vous les principales fêtes et 
cérémonies qui se sont déroulées au Durbar de Delhi; laissons 
maintenant la vaste plaine dormir tranquillement sous son voile 
de brouillard d’hiver en attendant qu’elle revienneà la vie et voie 
s'élever sur son emplacementune villenouvelle,la capitale de l’In- 
de, à côté de la cité ancienne. La première page de cette nouvelle 
phase de l’histoire des Anglais dans l'Inde sera l’entrée solen- 
nelle du Vice-Roi dans l’ancienne capitale des Mogols. Ce jour- 
là, le 23 décembre, le Lieutenant-Gouverneur du Punjab remet- 
tra à Lord Hardinge la ville de Delhi qui, avec une certaine 
étendue du terrain environnant, passera sous le gouvernement 
direct du Vice-Roi des Indes. 1l y aura à cette occasion un 
cortège qui n'aura rien de comparable à celui qui a inauguré 
les fêtes du Durbar, il aura pourtant un cachet particulier : 
cinquante éléphants richement caparaçonnés serviront de mon- 
tures au Vice-Roi, aux membres du Gouvernement et aux 
quelques princes indigènes qui y pendront part. 

Je finissais de jeter ces quelques lignes sur le papier lorsque 
le télégraphe a répandu aux quatre coins des Indes et de 
l'univers cette nouvelle déconcertante: le Vice-Roï a été blessé 
par les éclats d’une bombe à son entrée officielle dans Delhi. 
Puis le lendemain les journaux donnaient des détails sur 
l'attentat : alors que le Vice-Roi monté sur un énorme éléphant, 
et ayant à ses côtés la Vice-Reine se rendait de la gare au fort 
de Delhi, une bombe lancée, pense-t-on, du toit d’une maison 
vint éclater dans le dos de Lord Hardinge. Deux suivants sont 
morts, l’un sur le coup, l’autre peu de temps après, des suites de 
leurs blessures. 

Que penser de cet attentat? Faut-il y voir l’œuvre d’un fou 
<omme plusieurs le disent, mais sans trop y croire? Fautäl y 


E. F, — XXIX. — 38 


594 LE DURBAR DE DELHI 


voir une preuve de ce que certains journaux appellent Ja 
« fièvre des bombes » qui travaille l’esprit indien? 

Naturellement les télégrammes de condoléances ont afflué à 
la résidence du Vice-Roiï; les protestations de fidélité sont 
venues de toutes parts. Je crois ces protestations et condoléances 
assez sincères, en tout ou en partie, je m'explique : 

D'abord, par tempérament, l’indien n’aime pas à voir couler 
le sang et le Vice-Roi inondé du sang de son domestique réduit 
presque en miettes derrière lui, criblé lui-même des blessures 
que lui ont faites les clous et les vis remplissant la bombe, 
suscitera des sympathies même du côté où on s’y attendrait 
le moins. 

Puis à compatir officiellement il y a les chefs de second 
rang, qui se trouvent très bien du gouvernement de l’Inde 
par les Anglais; ils ont, grâce à lui, la paix assurée dans leurs 
États. Le Gouvernement les flatte en leur donnant l’occasion 
de se « faire un nom », (grande chose pour un indien); leur 
permettant de souscrire largement pour l'érection de quelque 
monument commémoratif de la venue du Roi aux Indes, leur 
suggérant la construction de quelque hôpital à l’entrée duquel 
leur nom sera écrit en grosses lettres sur une plaque de marbre 
commandée à Bombay, leur concédant quelques travaux pour 
l’embellissement de leur capitale, donnant des deux mains l’auto- 
risation de construire des routes abordables aux automobiles 
de Messieurs les officiers anglais; que sais-je encore? 

Par ailleurs, qu’une révolution éclate, ils n’ont guère d’espoir 
de trouver une place autour de l'assiette au beurre; alors, 
pourquoi changer? ils estiment le gouvernement anglais et le 
trouvent très pratique, sinon par sympathie du moins par intérêt. 

Il y a ensuite les grands chefs, les princes descendant des 
anciens maîtres de l’Inde; leurs ancêtres ont eu leurs jours de 
gloire avant l’arrivée des Anglais et certains des arrièrre-petits- 
fils sont convaincus qu’ils ne feraient pas trop mauvaise figure 
sur le trône dont on a chassé leurs aïeux. Une insurrection leur 
donnerait des chances d’avoir une bonne part du gâteau sinon 
le tout. Ceux-ci détestent le joug anglais; ils le subissent comme 
une nécessité au moins temporaire. Mais user des bombes pour 
réaliser leurs désirs d'indépendance, jamais ils ne le feront, 
et je m'imagine que le mécréant qui en a jeté une sur le 
Vice-Roi s’attirera les anathèmes mêmes de ceux-là. Où est 


LE DURBAR DE DELHI 595 


le fâcheux qui a jeté cette bombe ? s’écrieront-ils, qu'on le 
pende haut et court pour avoir risqué de gâter notre jeu! 

Et voilà, je crois, dans quel sens les condoléances des grands 
chefs, ainsi que celles des associations ou confédérations (dont 
ces derniers sont bien souvent l'âme), sont sincères; ils regrettent 
certainement l’acte de violence commis. 

Voilà, pour les chefs, les gens qui comptent; quant aux gros 
de la population, l'immense majorité se trouve bien du régime 
actuel; même dans les États où le raja a tous ses pouvoirs, mais 
sous la haute surveillance d’un officier anglais, l’arbitraire, les 
exactions ont moins de part dans l’administration qu'ils n’en 
avaient autrefois lorsque le chef était complètement indépendant 
et n'avait à rendre compte qu’à lui-même des affaires de son 
État. Les guerres, qui tropsouvent venaient troubler les com- 
merçants dans leurs affaires, les cultivateurs dans leurs travaux 
agricoles, ne sont plus à craindre; l’agriculteur, le commerçant 
trouvent que tout va aussi bien que possible. 

A côté de cette majorité, il y a les gens remuants, comme on 
en trouve dans tous les pays, friands de la nouveauté; ils n'ont 
rien à gagner à une révolution, mais ils en voudraient une 
parce qu’ils n'ont rien à perdre non plus. Dans cette catégorie 
il y a les meneurs qui veulent faire l'opinion; ils vont de ville en 
ville faisant des conférences, montant la tête au « populo », lui 
faisant crier jusqu’à extinction de voix « L’Inde aux Indiens! »; 
ils sont supposés intelligents, de fait la plus grande preuve 
d'intelligence qu’ils donnent, c'est de se garer au moment voulu 
et de se tenir coi quand il y a danger de casse. 

A leur suite il ya les « gogos » qui les ont crus et ont répété 
bêtement après eux, sans savoir pourquoi « l’Inde aux Indiens! »; 
ils continuent à marcher croyant que leurs chefs de file sont 
encore avec eux; ils ne s’aperçoivent pas qu'ils sont traîtreu- 
sement lâchés, ils vont jusqu’au bour:; ils font les bombes dont 
les meneurs leur ont donné la formule. C’est parmi cette 
dernière catégorie qu'il faut chercher l'individu qui en a lancé 
une sur le Vice-Roi ; le pauvre diable qui a fait ce mauvais coup 
n'est pas le plus coupable, c’est lui pourtant qui, s’il est pris, 
subira la peine du crime, parce qu’il est une personnalité; la 
main qui l’a armé est anonyme, par là-même insaisissable. 

Le vrai coupable c’est le bengali dont l’amour-propre plutôt 
provincial que national a été blessé par le transfert de la capitale 
de Calcutta à Delhi; ou peut-être le musulman d’Aligar qui 


596 LE DURBAR DE DELHI 


voyait déjà en rêve son université toute florissante dans son indé- 
pendance et qui s’est trouvé dépité par les restrictions imposées 
par le (Gouvernement Anglais. D'ailleurs faut-il aller chercher si 
loin lecoupable ? A Delhi,dans certains milieux,on raconte encore 
le soir autour du feu les atrocités qu'auraient commises les sol- 
dats anglais après leur entrée victorieuse dans la ville en 1875 ; 
quelque descendant des vaincus ou des victimes ne se serait-il 
senti appelé à venger ces prétendus excès; n'’aurait-il pas choisi 
pour cela le jour où le représentant du Gouvernement Anglais 
entrait à Delhi en pacificateur? L’imagination peut travailler 
sur ces différentes hypothèses. 

Il semble difficile que le Gouvernement, aidé de la police 
n'arrive pas à découvrir les coupables, les vrais; mais peut-être 
jugera-t-il plus prudent de les ignorer. 

P. SYMPHORIEN. 


BULLETIN 
DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


MONOGRAPHIES THÉOLOGIQUES 
(suite) (1) 


Le problème du salut des infidèles, est un de ceux qui ont le 
plus excité l’attention des théologiens : mais c’est un problème 
complexe, dont la solution inclut celle d'autres questions qui s’y 
enchevêtrent. 

M. Caperan, nous donne sur ce sujet une double étude. L'une 
est une thèse de théologie, où l’auteur, après avoir réfuté les 
théories qu’il juge inadmissibles, établit la solution qui lui paraît 
la plus convenable. L’aütre était destinée à servir d'introduction 
à cette thèse, mais elle s’est dilatée en de telles proportions, 
qu'elle en est venue à former un immense volume, volume qui 
fera bonne et sérieuse figure dans la Bibliothèque de théologie 
historique. 

Occupons-nous d’abord de l’Essai historique. 

Le problème du Salut des Infidèles. Essai Historique par 
Louis Caperan, professeur au Grand Séminaire d'Agen. Paris, 
Beauchesne, 1912. 

Est-il donc vrai, comme le veut M. Auguste Sabatier, dans 
son Esquisse d’une philosophie de la religion, d'après la psy- 
chologie et l'histoire, que la théologie a échoué ici lamentable- 
ment dans sa tâche ? Non, prétend M. Capéran, et il va, pour le 
montrer, suivre à travers les divers siècles de l'Église, l’ensei- 
gnement qui aboutit d’après lui, à une solution, très humaine, 


(1) Cf. Études Franciscaines.., Mai 1913. 


598 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


d'une part, et d'autre part, très correspondante au sacrifice du 
Christ. 

Nous ne saurions donner meilleure idée de ce livre, qu’en en 
esquissant une sérieuse analyse. Apprenons donc de M. Capéran, 
ce qui a été dit de cette question, dans les temps anciens et dans 
les temps modernes. 


L’Ancien Testament contient déjà une doctrine universaliste 
du salut : la race de la femme doit briser la tête du serpent ; 
en Abraham doivent être bénies toutes les Nations ; le peuple 
juif doit être principe de salut pour le monde tout entier. Sans 
doute, dans l’Ancien Testament, et surtout dans le judaïsme, 
l’universalisme ne se montre que sous une perspective spéciale ; 
les juifs ne voient le salut que par eux et par leur Loi; mais 
l'élection d'Israël leur apparaît nettement comme le moyen pro- 
videntiel de la conversion de tout le genre humain. 

Jésus-Christ inaugure son enseignement, et voici qu’il prêche 
un royaume spirituel, indépendant de toute race et de toute 
nation. [sraël, il est vrai, a des préférences : Jésus-Christ ne 
prêche qu’à lui ; mais, dans le plan du Royaume, les peuples 
ont une place ; la porte leur est ouverte, et les Apôtres ont pour 
mission d’aller enseigner toutes les Nations. 

Ils commencent leur œuvre. Ils prêchent d’abord aux juifs, 
mais le Concile de Jérusalem déclare que l’on peut arriver au 
salut sans passer par le judaïsme, et bientôt, saint Paul enseigne 
la substitution des gentils au peuple choisi. On sait l'importance 
du témoignage de saint Paul dans l'affirmation de l’universalité 
de l’appel au salut : M. Caperan résume ainsi l’enseignement 
du grand Apôtre p. 29 : « Tous les hommes sans exception sont 
appelés au salut, et Jésus-Christ est mort pour tous ; en se choi- 
sissant autrefois un peuple, Dieu n’a pas frustré les autres de ses 
faveurs ; au contraire, il préparait pour l'humanité une plus 
abondante effusion de grâce, et s’il laissait les Nations s’égarer 
dans leurs voies, il donnait toujours aux âmes de bonne volonté, 
des témoignages suffisants de son existence et de sa Providence. 
La foi, enfin, a été de tout temps l'indispensable condition à 
rempiir, afin de profiter du bienfait divin. » | 

Si on considère en bloc tous ces enseignements de l’Ecriture, 
on arrive facilement à les condenser en cette formule : le salut 
est destiné à tous, et il est accessible à tous, mais le salut, comme 
il est dit dans l’Ancien Testament, doit venir par Israël, c’est-à- 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 599 


dire, comme précise le Nouveau Testament, par ce descendant 
d'Israël qui est le Christ. 

Le salut est possible à tous, mais il n’est possible que par le 
Christ : il faut concilier ces deux affirmations, et ça été la tâche 
des premiers Pères. | 

Lorsqu'ils venaient prêcher la nécessité de la foi en Jésus- 
Christ, les adversaires et les récalcitrants leur objectaient : Tous 
les paiens ont donc été damnés, eux qui n’ont pas connu le 
Christ, et s’il en est ainsi, pourquoi le Christ est-il venu si 
tard ? 

Les Apologistes répondirent par une distinction : 1° Si on 
considère les temps actuels, dirent-ils en substance, l'évangile 
est répandu partout, donc, tous les païens le connaissent ou 
peuvent le connaître. C’est par mauvaise volonté, ou au moins 
par ignorance coupable, qu'ils ne sont pas chrétiens : ils portent 
donc leur responsabilité. Sans doute, ils peuvent avoir des ver- 
tus naturelles, mais, regardez au fond, vous verrez toujours, 
derrière ces vertus, l’ostentation et la vaine gloire. 

2° Si au contraire on considère les temps passés, — et la ques- 
tion se pose spécialement pour les grands hommes et les anciens 
philosophes, — il ne faut pas les condamner en bloc, comme le 
voudra le rigoriste Tertullien ; mais il faut expliquer comment 
on a pu parvenir à la foi sans connaitre le Christ. Saint Justin 
montre le Verbe, diffusant par toute la terre une lumière qui l'a 
manifesté : les premiers Alexandrins considèrent la philosophie 
comme une sorte de révélation qui a éclairé les grandes âmes ; 
enfin, partie de légendes, et amorcée par un texte de la [® Petri, 
JIT. 10, commence à poindre la théorie de l’évangélisation des 
morts : Jésus-Christ est descendu aux enfers pour instruire les 
anciens des vérités de la toi, et leur ouvrir ainsi les portes du 
Ciel. 

Deux choses sont à relever dans cet enseignement des pre- 
miers Pères : 1° La distinction entre les païens qui ont vécu 
avant Jésus-Christ, et ceux qui ont vécu après. Avant Jésus- 
Christ, on a pu ne pas avoir de Lui une connaissance précise ; 
après Jésus-Christ, cette connaissance est absolument requise, 
mais aussi tout le monde peut l’avoir. Ce principe basé sur cette 
idée que dès le début le christianisme a été manifesté à tous les 
homines, restera dans l’enseignement classique à l’âge patristi- 
que, et sera transmis par le Moyen-Age, jusqu'aux temps 
modernes. 


600 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


2 L’affirmation fondamentale de la possibilité du salut pour 
tous. Cette affirmation se trouve nettement exprimée en saint 
Irénée : Le Christ n’est pas venu seulement pour ses contem- 
porains « mais pour tous les hommes sans exception, qui dès le 
commencement par son secours, chacun en sa génération, crai- 
gnant et aimant Dieu, pratiquèrent la justice et la bonté envers 
le prochain, désirèrent voir le Christ et entendre sa voix » p. 69. 

Les Pères du IV: siècle, suivent la tradition des mêmes ensei- 
gnements. Ceux qui ne se convertissent pas, dit Arnobe, sont 
responsables de leur incrédulité ; quant aux anciens, ajoute 
Lactance, ils ont connu le Verbe par Trismégiste, les svbilles et 
les poètes ; le Verbe Divin, dit à son tour Eusèbe, a disséminé 
partout des principes religieux dans l’humanité, si bien que la 
religion [a plus ancienne et la première de toutes, est celle qui 
fait connaître la doctrine du Christ. Saint Athanase parle de la 
même manière ; mais à cette époque, l'importance des grandes 
hérésies fait passer au second plan les préoccupations relatives 
au salut des infidèles, 

Deux noms toutefois méritent une mention : saint Jean 
Chrysostome et saint Augustin. 

Saint Chrysostome combat nettement la théorie de l’évangé- 
lisation aux enfers : tous peuvent se sauver, dit-il, et tous ont 
été a même de fixer leur sort alors qu'ils étaient sur la terre. La 
grâce est distribuée à tous ici-bas ; les païens ont pu parvenir 
en tout temps à la foi, non sans doute à la connaissance explicite 
de Jésus-Christ, mais à des connaissances qui les ont poussés à 
fuir l’idolâtrie pour adorer le vrai Dieu.Y en a-t-il beaucoup de 
sauvés ? c'est une autre question : saint Chrysostome ne croit 
guère à la vertu des païens ; maïs enfin, si cette vertu a été 
réelle, les païens ont pu se sauver, et en tout cas, s'ils se sont 
perdus, c’est leur faute. 

Saint Chrysostome, on le voit, a posé des principes larges, 
mais il en a fait une application assez étroite. Saint Augustin, 
ayant à défendre contre les Pélagiens la nécessité de la grâce, va 
resserrer les principes mêmes de saint Chrysostome. 

Appelé à donner son avis sur une demande de Deo gratias, 
saint Augustin exclue comme hérétique la théorie de l'Evangé- 
lisation aux Enfers. Que penser alors du salut des sages de l’an- 
tiquité ? Le saint Docteur semble embarrassé. Le salut, dit-il, n'a 
jamais manqué à qui fut digne, et qui ne l’obtint pas ne fut pas 
digne. Il faut croire à Jésus-Christ pour être sauvé, mais si quel- 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE Go 


qu’un s’est trouvé en quelque temps dans l'impossibilité d'y 
croire, c’est parce qu'il s’en était rendu indigne. 

Les formules sont ici hésitantes, et sauf ce qui a trait à la con- 
naissance du Christ, se rapprochent assez de celles de saint 
Chrysostome. Mais voilà que les Pélagiens proclament les vertus 
naturelles suffisantes pour le salut : non, non, répond Augustin, 
le salut toujours possible par le Christ, n'a jamais été possible 
que par lui ; pas de salut sans foi au Christ, et le saint Docteur 
ajoute : pas de vraie vertu sans le Christ. Si l’on pouvait en 
effet parvenir à la vraie vertu sans le Christ, c’est pour rien qu’Il 
serait mort. Est-ce à dire que tous les païens sont damnés ? 
Non, ils ont pu croire au Christ, et la volonté salvifique de Dieu, 
si restreint qu’on suppose le nombre des élus, a étendu ses 
bienfaits à tous les temps et à tous les peuples. 

Après saint Augustin, la discussion roulera principalement sur 
l'interprétation des textes du saint Docteur. Les Semipélagiens 
voudront adoucir certaines expressions, ils prétendront que 
l’homme peut au moins certains commencements du salut : 
saint Prosper et saint Fulgence maintiendront la totale gratuité 
de la grâce, et Césaire d'Arles, argumentant ab austero ad aus- 
terius, posera des thèses vraiment déconcertantes sur le salut 
des infidèles. Le Concile d'Orange fixera que l’/nitium fidei, 
est totalement de la grâce ; les bons désirs naturels ne peuvent 
agir efficacement pour le salut ; d’ailleurs tous les baptisés ont 
la grâce suffisante pour se sauver. 

Plus tard, les préoccupations se transportent sur la Prédesti- 
nation. Saint Augustin a-t-il soutenu la gratuité de la grâce, à 
ce point que Dieu prédestine à l'enfer, ceux qu'il ne prédestine 
pas au ciel : Gothescalc l’affirme, damnant les infidèles sans 
pitié : des idées plus modérées l’emportent avec Hincmar. 

Pendant que l’on discute ainsi en Occident, et que l’on y 
incline vers la sévérité, les docteurs orientaux enseignent en paix 
des doctrines plus adoucies. Le pseudo Denys nous montre 
Dieu employant le ministère des Anges pour amener à la foi les 
ignorants bien disposés. Et saint Jean Damascène introduit, au 
sujet de la volonté salvifique, la distinction si heureuse de volonté 
antécédente et de volonté conséquente. 

Nous arrivons ainsi à la scolastique. 


602 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Deux affirmations surnagent au milieu de la diversité des 
points de vue patristiques. En dehors de Jésus-Christ et de son 
«glise, point de salut, — et cependant, tous les hommes ont eu 
toujours le moyen de se sauver. Mais faut-il entendre la première 
affirmation en ce sens qu’il faut croire explicitement à Jésus- 
Christ, même avant sa venue ? Saint Augustin semble l’exiger, 
tandis que saint Chrysostome se contente de l’abstention de 
l’idolâtrie, basée sur un acte de foi au vrai Dieu. Les deux Doc- 
teurs se rencontrent d’ailleurs de nouveau pour douter ensemble 
du salut des sages du paganisme. 

Les premiers scolastiques vont porter leurs recherches sur 
deux questions : quelles sont les vérités qu’il faut croire explici- 
tement pour être sauvé, et quelle est la nécessité du baptême ? 

Au sujet des vérités de foi nécessaires, Hugues de Saint-Victor, 
saint Bernard et Pierre Lombard se rapprochent de saint Chry- 
sostome. Ï1 faut croire, disent-ils, à un seul Dieu, créateur et sou- 
verain maître ; il faut croire à la bonté essentielle de ce Dieu, 
dont la miséricorde saura remédier à nos maux, mais il n'est 
pas nécessaire de connaître le mode de notre Rédemption. Ils 
expliquent ainsi facilement comment le salut a été possible à tous 
et toujours. 

Abélard est plus exigeant, et en cela, il se rapproche d’Au- 
gustin : on doit connaître tous les mystères chrétiens ; d’ailleurs, 
ajoute-t-il, et ici il est aux antipodes du Docteur d'Hippone, cela 
ne comporte pas de difficulté, puisque les sages de tous les temps 
les ont connus et cela par la seule raison. Hugues de Saint- 
Victor lui répond en exprimant des doutes sur la connaissance 
qu'auraient eu les sages de nos mystères chrétiens, et en préci- 
sant en tous cas, que s'ils ont connu ces mystères, ils n’ont pu 
les trouver par la raison, ils les ont trouvés dans les vestiges épars 
de Ia révélation. 

Au sujet du baptême, tous les hommes actuels le connaissent 
assez pour le désirer, et ce désir suffit, quand on ne peut rece- 
voir le sacrement. 

Cet enseignement sera celui d'Alexandre de Halès, d'Albert le 
Grand et de saint Bonaventure. 

Ecoutons maintenant saint ‘Thomas : Au sujet de la volonté 
salvifique il n’y a d’élus que ceux dont Dieu veut le salut. Dieu 
veut d’une volonté antécédente que tous soient sauvés, mais non 
d’une volonté conséquente ; Il accorde le salut à toutes les caté- 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 603 


gories d'individus, mais non à tous les individus de chaque 
catégorie. 

Au sujet de la nécessité de la grâce, saint Thomas précise la 
formule de saint Augustin : L'homme ne peut rien sans la grâce, 
disait celui-ci : rien dans l’ordre surnaturel, distingue saint 
Thomas, mais il peut quelque chose dans l'ordre naturel. 
L'homme n'ira pas au ciel sans la grâce ; les enfants incapables 
de la recevoir iront aux limbes, mais les adultes du paganisme, 
s’ils observent ce qu'ils peuvent de la loi naturelle, recevront des 
secours pour observer cette loi toute entière, et s'ils correspon- 
dent à ces secours, Dieu leur donnera les moyens d'arriver aux 
actes vraiment surnaturels. 

Ces moyens, Dieu les a distribués avant Jésus-Christ. Les ves- 
tiges conservés de la Révélation primitive pouvaient donner une 
connaissance surnaturelle de Dieu rémunérateur, connaissance 
qui contenait implicitement la foi au Rédempteur : alors, c'était 
suffisant. Depuis Jésus-Christ la foi est assez répandue partout, 
pour que l’on dise nécessaire la connaissance explicite de la Tri- 
nité et de la Rédemption : que si, par impossible, un enutritus 
in sylva existait quelque part, Dieu lui enverrait un ange ou un 
prédicateur pour lui révéler ces mystères. 

Ces principes vont être à peu près universellement admis jus- 
qu’au XVI: siècle, et Le Dante les exprimera avec une exacte 
rigueur théologique. 

Parmi les voix discordantes, citons Grégoire d’Arimini qui 
condamne les enfants à l'enfer, et ne peut concevoir chez les 
païens d’actes qui ne soient des péchés, parce que les païens 
n'ont pas la bonne délectation, n'ayant pas la foi. Citons encore 
Toetas, qui, en sens opposé, veut que le péché originel soit effacé 
par la première bonne action, et dit la connaissance purement 
naturelle de Dieu suffisante au salut. 

M. Caperan résume ainsi les données fournies par la scolas- 
tique sur le salut des infidèles : La foi implicite à la Rédemption 
suffit dans l’Ancien Testament, au moins pour la grande majo- 
rité des hommes. La foi explicite à Jésus-Christ, et le vœu expli- 
cite du baptême sont nécessaires dans le Nouveau Testament, 
mais aussi le christianisme est assez connu pour que cette foi 
soit possible à tous. Si, par impossible, il se trouvait un enutri- 
tus in sylva, Dieu pourvoirait à son salut par une intervention 
surnaturelle. 


604 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Hors de l’Église point de salut : mais Dieu ne manque pas 
à qui le premier n’a pas manqué à Dieu. 


* 
* * 


La théologie moderne, se trouve en face d'un fait nouveau : 
l'existence que ni les Pères ni les Scolastiques n’avaient soup- 
sonnée, de peuples nombreux, auxquels il n’est parvenu aucune 
connaissance de Jésus-Christ. Comment ont-ils pu se sauver, s’il 
est nécessaire depuis l'Évangile de croire explicitement au mys- 
tère de la Rédemption par le Christ ? 

La question était compliquée encore de tendances qui se 
manifestaient alors, d’une part à un rigorisme outré, dans le 
protestantisme et le jansénisme, d’autre part, à la canonisation 
globale des païens dans l’humanisme de la Renaissance, ou au 
moins à l’accusation de cruauté dans l’Église, chez les impies du 
XVIIIe siècle. 

Brisant ici l’ordre de l’auteur, nous allons voir d’abord ce 
qu'ont pensé du salut des infidèles ces courants opposés, l'un 
et l’autre hétérodoxe. Nous dégagerons plus facilement ensuite 
la série des solutions de plus en plus précises, élaborées dans 
l’enseignement classique de la théologie. 

Protestants et Humanistes : Le protestantisme primitif re- 
garde la diffusion du christianisme comme universelle, mais 
cette universalité n’a pour lui qu’un effet : damner les infidèles. 
Calvin l'enseigne positivement : Dieu n'’accorde des lumières 
aux païens, que parce qu'il veut les damner à cause de ces 
lumières. 

Si on en appelle à la vertu des païens, pour exprimer à leur 
sujet quelque espoir : parler des vertus des païens, disent en 
chœur luthériens et calvinistes, c'est une absurdité. La nature 
étant foncièrement viciée, ne peut rien de bon sans la grâce, et 
il n’y a pas de grâce sans la foi. Or, les païens n’ont pas la foi, 
et comment pourraient-ils l'avoir, eux qui ne connaissent pas 
Jésus-Christ ? Dira-t-on que la connaissance implicite de Jésus- 
Christ suffit ? Non, répondent Chemnitz et Calvin, il faut la foi 
explicite, et cela, non seulement pour être sauvé, mais encore 
pour devenir capable d’une œuvre moralement bonne. 

Cette position rigoureuse n’étonne point, elle est dans l'esprit 
du protestantisme. Mais elle provoqua chez les Humanistes un 
sursaut d'indignation. Les sages et les grands hommes païens 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 605 


en enfer ! pareille idée ne peut entrer dans l'esprit d’un admira- 
teur de l'antiquité, comme l'était Erasme, et le voilà qui par 
réaction, se met à canoniser les anciens. Bientôt on en arrive 
aux litanies de saints païens, avec invocations. 

Et voilà qu’une voix s'élève du milieu protestant, en faveur 
des Humanistes. Zwingle prend aussi le parti de canoniser les 
grands hommes. 

Cette discussion aura des répercussions dans la théologie ca- 
tholique. Collius, dans son livre De animabus paganorum, ins- 
tituera le jugement des anciens sages, et La Mothe le Wayer 
reprendra le sujet en pleine crise janséniste, attirant sur sa tête 
les foudres d’Arnauld. 

Mais, revenons au protestantisme. La double tendance y sub- 
siste, et pendant longtemps, la sévérité l'emporte. Quand les 
Arminiens viennent soutenir qu'il y a des sauvés, au moins 
extraordinairement, parmi les infidèles, le synode de Dordreck 
les condamne. Amyrault lui-même, qui ne soutiendra pas le fait, 
mais la pure possibilité sera aussi condamné. 

Un jour viendra cependant, où le rigorisme du Protestan- 
tisme primitif perdra la faveur. Les sectes latitudinaristes, grâce 
à l'intervention du sentiment, feront large part aux païens, en 
supprimant la nécessité de la foi en Jésus-Christ, pour le salut. 
Le protestantisme libéral conciliera la double tendance, en 
remettant à jour, basé sur le texte de saint Pierre, l'évangéli- 
sation aux enfers. C’est une doctrine qui serait devenue cou- 
rante dans les Universités ; elle y serait enseignée sous une 
double forme : Universalisme, salut universel, et Conditiona- 
lisme, salut ou anéantissement : au choix. 

Le protestantisme ira plus loin dans la voie du libéralisme : 
Sabatier n'’a-t-il pas déclaré avec fracas, qu’on peut se sauver 
sans croire à aucun dogme, même à l'existence de Dieu. Dans 
ces conditions, la théorie de la prédication aux enfers apparaît 
bien dogmatique et bien surannée. 

Le Jansénisme est apparenté de très près au Protestantisme à 
tendances sévères. Il a même sur lui l'avantage, si on peut appe- 
ler cela un avantage, de n'avoir jamais rien relâché de sa sévérité. 

Baiüs enseignait que loin d’être une préparation à la grâce, 
les œuvres des païens ne pouvaient être que des péchés. Il fut 
condamné par Pie V et Grégoire XIII, mais son erreur persis- 
tait sourdement dans certains milieux théologiques et voilà que 
par la publication du fameux Augustinus, elle éclate en orage : 


606 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


tout acte fait sans la grâce est un péché ; pas de grâce sans foi 
chrétienne ; les païens n’ont certainement pas la foi ; donc ils 
n'ont pas la grâce ; donc tous leurs actes sont des péchés. 

Les païens n’ont pas la grâce : c’est trop dire ; ils ont la grâce 
suffisante, une delectatio victa ; mais cette grâce-là est un mons- 
tre de grâce, Dieu la donne aux hommes qu’il veut damner, 
car Dieu ne veut pas le salut de tous, et Jésus-Christ n’est pas 
mort pour tous les hommes. 

Le grand Arnauld, mis en verve par l'ouvrage de La Mothe 
le Wayer dont nous avons parlé tout à l’heure, reprend la même 
thèse : le salut n’est possible que par les grâces spéciales, (la de- 
lectatio victrix) et comme ces grâces font défaut à qui n’a pas la 
foi en Jésus-Christ, tous les païens sont damnés. 

Les théologiens catholiques défendent l’universalité de la 
mort du Christ et de la volonté salvifique ; ils établissent que les 
actes des païens, ne sont pas nécessairement des péchés, mais le 
jansénisme est puissant, et toute exagération des catholiques est 
pour lui une occasion de reparaître. 

C’est d’abord le livre du Cardinal Sfondrate. Cet auteur ensei- 
gnait beaucoup de principes admis par tous, mais il avançait en 
outre certaines théories malsonnantes : les infidèles qui ne con- 
naissent pas Dieu, s'il en existe, sont incapables de pécher ; la 
plupart, en tout cas connaissent Dieu, et cette connaissance 
suffira pour leur salut, etc. Le livre est déféré à Rome par cinq 
évêques français, mais la condamnation se fait attendre. Entre- 
temps, on discute en France pour et contre; l'assemblée du clergé 
n'ose se prononcer sur une affaire déférée à Rome, et la question 
reste pendante. 

Mais une nouvelle affaire surgit : Les Mémoires de la Chine 
du Père Le Comte. Les Missionnaires de la Chine et du Japon 
rencontraient à l’'évangélisation de ces pays un obstacle considé- 
rable dans le culte des ancêtres. On avait cherché à éluder cette 
difficulté en canonisant ces ancêtres, et en reconnaissant ainsi la 
légitimité de leur culte. II était paru sur ce point des théories 
avancées que Rome avait dù proscrire. Les Mémoires du P. 
Le Comte remirent au vif cette discussion : il sauvait les Chinois 
et canonisait Confucius. Le livre, condamné par la Sorbonne 
trouva un défenseur dans le sorboniste Coulau. Le jansénisme 
fit rage, et Bossuet lui-même intervint dans une lettre à M. 
Brisacier. 

Ces faits manifestent à l'époque du jansénisme, deux tendances 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 607 


exagérées : d’un côté latitudinarisme, et de l’autre, sévérité. 
Nous verrons tout à l’heure, comment l’enseignement théolo- 
gique des écoles, quoique tâtonnant, se tenait dans un plus juste 
milieu. Mais auparavant, il faut montrer le choc qui se pro- 
duisit au XVIIIe siècle, des tendances jansénistes avec l’incré- 
dulité. 

Jusqu'au XVIII: siècle, la question du salut des infidèles se 
posa au point de vue théologique, et si on excepte les prerniers 
temps du christianisme, où elle fut objectée aux apologistes, 
elle n’était pas abordée dans le but d’en faire une arme contre le 
christianisme lui-même. Les déistes du XVIIIe siècle vont 
l’alléguer dans cette intention, et il faut avouer que la sévérité 
exagérée du jansénisme, leur donnera partie belle. 

Le P. Berruyer, dans son Histoire du Peuple de Dieu, essaye 
de répondre aux objections des impies, en ressuscitant une 
théorie, avancée déjà à plusieurs reprises : le salut est possible 
aux infidèles de bonne foi, soit par la loi naturelle, soit par des 
actes surnaturels sans la foi. Aussitôt, levée de boucliers jansé- 
nistes : on réclame la nécessité pour le salut, de la foi explicite en 
Jésus-Christ. 

Jean-Jacques Rousseau fait enseigner par son Vicaire Sa- 
voyard que tous les hommes de bonne foi sont sauvés, même en 
dehors de la vraie religion, même en dehors de toute religion. 
M. Legrand, sulpicien, rétablit la thèse catholique : pas de salut 
sans la foi, mais la foi est toujours possible. Les jansénistes trou- 
vent cette solution trop large, et 1l s'engage une polémique entre 
M. Legrand et le gazetier du journal janséniste : les Nouvelles 
Ecclésiastiques. 

Le Bélisaire de Marmontel reprend la canonisation des héros 
païens. Les théologiens protestent, mais l’auteur de répondre 
malicieusement, qu'il n’y a rien dans son enseignement de con- 
traire à la théologie. Les théologiens n’enseignent-ils pas la pos- 
sibilité d’illumination par un ange, et même parfois, la suffisance 
de la fides in voto. Pourquoi, ajoutait-il, ne pas aller plus loin, 
et dire que l’observance de la loi naturelle est suffisante, et que 
dès lors il n’est pas nécessaire pour être sauvé de se faire chrétien. 

L'objection, épaulée par Voltaire, nelaissait pas d’être sérieuse 
et délicate. La Sorbonne intervient, condamnant 37 proposi- 
tions. Un bachelier malicieux rétorque la condamnation en éta- 
blissant qu’elle oblige à admettre des contradictoiresimpossibles. 
La Sorbonne réduit les propositions à 17, et donne les raisons 


608 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


de leur condamnation ; mais la solution de la Sorbonne, :in- 
fluencée par le jansénisme, ne contente personne. 

La mentalité janséniste, on le voit, s’est trouvée mal à l'aise 
pour répondre aux objections de l’incrédulité. La théologie dé- 
gagée de tendances trop sévères se trouvera en de meilleures 
conditions au XIX° siècle, quand les journalistes Pierre Fourrier 
et Jean Reynaud, réchauffant les idées voltairiennes, viendront 
se moquer des théologiens cruels et imaginatifs. Pie IX d’ailleurs, 
interviendra alors pour fixer la doctrine : Hors de l’Église, point 
de salut, dira-t-il, mais aussi on peut faire partie de l’Église sans 
la connaitre explicitement. 

11 nous reste à montrer, d’après M. Capéran, comment l’en- 
seignement théologique, au milieu d’efforts plus ou moins heu- 
reux, et de tendances plus ou moins larges, en est venu aux pré- 
cisions que nous possédons aujourd’hui. 


* 
+ * 


Deux questions commandent la solution du problème du 
salut des infidèles : quelle est la nécessité de la foi pour les actes 
surnaturels ? Est-ce que l’objet de cette foi inclut la connaissance 
explicite de Jésus-Christ ? 

L'antique théologie s’est montrée facile pour les hommes qui 
ont précédé la venue du Christ, elle n’a exigé d'eux qu'une con- 
naissance implicite de Jésus-Christ. Mais elle s'est montrée 
difficile pour les infidèles depuis le christianisme, puisqu'elle a 
demandé la connaissance explicite de la Rédemption.Sans doute, 
ni les Pères, ni les Scolastiques n'ont vu là un grand obstacle. 
Pour eux, la foi chrétienne était partout suffisamment connue 
pour que tout homme de bonne foi la pût embrasser. Mais il 
s’est produit un fait nouveau : on a découvert des peuples im- 
menses auxquels n’est parvenue aucune connaissance de l’évan- 
gile. Ils ne sont donc pas coupables de l’ignorer : quel sera leur 
sort ? 

Les uns les traitent comme des enfants, et leur accordent le 
bonheur naturel : tels Trithemius et Claude Seyssel. D'autres, 
Véga, et un instant Soto, les font passer au ciel par la seule con- 
naissance de Dieu, auteur de la nature ; Vega va même jusqu'à 
dire : sans aucune connaissance de Dieu, si l'ignorance n’est pas 
responsable. Mais ces théories larges n’ont pas de succés. 

La division est plus profonde encore, sur la nécessité de la toi 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 609 


en Jésus-Christ. Les uns réclament la connaissance explicite : 
Soto et Grégoire de Valence ; les autres se contentent de la foi 
implicite : Pighius, Vega etc. Melchior Cano propose un com- 
promis : la foi explicite est nécessaire pour le salut, mais non 
pour la justification. Ce compromis assez curieux, où on sup- 
pose une justification non ordonnée encore au bonheur surna- 
turel, reste d’ailleurs sans écho. 

Au milieu de ces divergences, Suarez propose une solution qui 
concilie bien des exigences. De tout temps, dit-il, il a fallu la foi 
en Dieu, rémunérateur surnaturel ; de tout temps aussi, 1l a fallu 
la foi implicite au Christ, et cette toi implicite, dont il détermine 
le mode et la nature, suffisait avant l'Évangile. 

Depuis l'Evangile, la foi explicite au Christ est nécessaire : 
mais il précise : nécessaire positivo jure divino. Voilà déjà une 
distinction heureuse : la foi au Christ n’est pas de nécessité de 
moyen, elle est de nécessité de précepte. Bien plus, cette foi, 
comme d’ailleurs le baptême qui lui est connexe, est nécessaire 
seulement in re vel in voto. 

Que de choses conciliées par ces heureuses distinctions ! on 
conserve la nécessité de la foi en Jésus-Christ, et remarquez, de 
la foi explicite en Jésus-Christ : mais cette nécessité n’est que de 
précepte, et elle suffit #7 voto. 

T'elles ont été les précisions apportées par le XVI: siècle sur les 
moyens que possède l’infidèle de parvenir au salut. Avant de 
parler du XVII< signalons une discussion, qui mit aux prises 
Louvain, soutenu par les Dominicains, et les Jésuites. L'école 
dominicaine, appuyait davantage sur la gratuité de la grâce. 
Elle ne voulait en aucune manière la mettre en rapport avec les 
vertus naturelles. Molina au contraire, mettait les œuvres natu- 
relles en rapport direct avec la grâce, non pas qu’il vit dans ces 
œuvres un mérite ou même une préparation au surnaturel, mais 
il les mettait en rapport, moyennant un contrat, passé entre Dieu 
et le Christ, en vertu duquel la grâce était donnée, lorsque 
l’homme remplissait la loi naturelle. 

Suarez trouva encore ici une solution intermédiaire. Le païen, 
dit-il, peut se préparer négativement à la grâce, mais il ne le peut, 
car 1l faut pour cela observer toute la loi naturelle, qu'avec le 
secours d’une grâce d'ordre naturel, méritée toutefois par le 
Christ. 

Au XVIIe siècle, plusieurs points se trouvent fixés, à la suite 
des erreurs protestantes et jansénistes. Les bonnes actions des 


E.F,— XXUX. — 39 


610 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


infidèles ne sont pas nécessairement des péchés ; le Christ est 
mort pour tous, et tous ont la grâce suffisante. Mais il reste 
deux points obscurs, autour desquels gravitent les préoccupations 
des théologiens : Comment se fait la jonction entre les bonnes 
œuvres naturelles et la justification ? Quelles sont les vérités de 
foi qu’il faut croire de nécessité de moyen ? 

Comment se fait la jonction entre les bonnes œuvres et la jus- 
tification ? Vasquez et Suarez opéraient cette jonction par une 
grâce d'ordre naturel. Ripalda va aller plus loin : pour lui, il 
n'y a point d’acte bon qui ne soit aussi surnaturel : celà même 
avant la foi ; et il imagine un surnaturel qui n’est tel ni dans 
son objet matériel, ni dans son objet formel, mais seulement 
dans sa cause efficiente. C’est un acte, naturellement bon, mais 
qui devient surnaturel parce qu’il est posé sous l'influence de la 
grâce surnaturelle. 

Ripalda étend même cette explication à la foi, il prétend établir 
que la foi à Dieu créateur et providence dans l’ordre naturel est 
suffisante, pourvu qu’elle procède d’une grâce surnaturelle. 

Cette position de Ripalda est nouvelle, elle est périlleuse. 
Ripalda le sent, et procède prudemment. Lugo vient protester 
en établissant qu'il n’y a pas avant la foi, de grâce entitativement 
surnaturelle, tout en reconnaissant par ailleurs que les infidèles 
ont des moyens d’arriver à la foi. Ripalda risposte : il faut la foi 
d’abord, soit, mais, n'exigez pas la foi stricte. Cette théorie reçoit 
un coup de la condamnation d’Innocent XI : Fides late dicta 
ex testimonio creaturarum, similive motivo ad justificationem 
sufficit. 

Lorsqu'il fut bien entendu que l’objet de la foi nécessaire au 
salut devait être surnaturel, on s'occupa d’en déterminer le con- 
tenu. Les Dominicains demandaient la foi explicite à l’Incarna- 
tion et à la Rédemption ; ils avaient derrière eux le grand nom- 
bre des théologiens. Mais les Jésuites enseignaient que l’Incar- 
nation et la Rédemption n'étaient pas de nécessité de moyen, et 
cette école faisait du progrès. On allait même jusqu’à dire que la 
foi à Dieu rémunérateur suffisait implicite, ou que cette foi por- 
tait seulement sur Dieu rémunérateur naturel. Innocent XI dut 
condamner encore cette proposition : Nonnisi fides unius Det 
necessaria videtur necessitate med ad salutem. 

Dans ce choc des idées, 1l y avait, on le voit, des exagérations, 
mais il y avait aussi de bonnes et heureuses solutions. Il est re- 
grettable que les influences jansénistes les aient forcées à se con- 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 6x1 


finer dans l’enseignement latin des écoles, et à n'être regardées 
qu'avec une défiance outrée. 

Est-ce que cette défiance n'a point été cause qu’on a vu repren- 
dre, au début du XIX° siècle, par les cardinaux La Luzerne et 
Du Voisin, la théorie du bonheur naturel des païens, théorie 
précisée par M. Emery, Frayssinous et Bergier, en ce sens que 
les adultes païens sont dans la situation des enfants sans bap- 
tême : ils ont la peine du dam, ils n’ont pas celle du sens. 


+ 
* * 


Nous voici parvenus au XIX°: siècle. Nous allons tout de suite 
y distinguer trois groupes : 

1° Groupe de théories plus ou moins hétérodoxes, se rattachant 
au siècle précédent. Les Démonstrations Évangéliques de Migne, 
promettent, d’un côté, la béatitude naturelle aux adultes païens, 
etsoutiennent, d’un autre côté, que tous les hommes peuvent par- 
venir à la foi. Même incertitude dans le catéchisme du Concile 
de Trente de Doney. L'abbé Lenoir affirme très nettement l’exis- 
tence d’un double ciel et d’un double enfer ; il les complique 
même d’un double purgatoire.Balmès, sans aller jusque-là, doute 
que beaucoup d'adultes païens, aient la connaissance suffisante 
pour commettre une faute grave, et il les compare aux enfants. 
Nouvelle et récente discussion du même genre entre l’abbé de 
Broglie et le docteur Bezeau. 

Mais, ce sont là débris épars de tendances définitivement con- 
damnées à disparaître. 

2° L’Apologétique du milieu du XIX°* siècle était beaucoup 
moins hésitante. Pour elle, les infidèles ou du moins ceux que 
nous nommons tels, n’ont aucune difficulté à connaître toutes les 
vérités nécessaires. N'y a-t-il pas partout des restes de la révéla- 
tion primitive. Chaque peuple et chaque philosophie ont leur 
conception de la Trinité et de l’Incarnation, et partout on trouve 
le sacrifice, qui n'est autre chose que la traduction d’une croyance 
à la Rédemption. Tous les hommes et tous les peuples ont donc 
pu avoir et ils ont eu, les connaissances surnaturelles nécessaires. 

Si on poussait ces affirmations jusqu’au traditionalisme, c’est- 
à-dire à la nécessité d’une révélation pour arriver à la vérité 
quelle qu'elle soit, on tombait dans l'erreur. Tous n’allèrent pas 
jusque là, mais tous exagérèrent l'importance des vérités con- 
servées. 


612 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Plus tard, Hettinger attribua une grande part à la raison, 
dans la connaissance qu'ont eue les peuples de la vérité chré- 
tienne ; le Cardinal Franzelin recourut à la révélation intérieure 
mais ces noms évoquent l’enseignement de la théologie propre- 
ment dite du XIX'° siècle. 

3° La théologie classique contemporaine, dégagée définitive- 
ment du jansénisme, se rapproche des théories trop longtemps 
condamnées au silence, des théologiens des XVI-et XVII: siècles, 
en particulier de Suarez. | 

Elle réduit définitivement à deux, les vérités de nécessité de 
moyen : Deus est, et est remunerator. Le docteur Gutler veut 
ressusciter la théorie d’une foi qui ne serait pas surnaturelle dans 
son objet, mais seulèment dans sa cause efficiente : il n’a pas de 
succès. Plus heureusement, Perrone étend à tous les peuples qui 
n'ont pas encore entendu la prédication chrétienne, les facilités 
de salut que toute la tradition avait accordées aux infidèles avant 
Notre-Seigneur. Le christianisme n’est pas encore publié par- 
tout, dit-il, et la connaissance explicite de Jésus-Christ ne devient 
nécessaire, même depuis le christianisme, qu'à mesure de sa 
promulgation chez les différents peuples. Cette solution de bon 
sens est universellement acceptée. 

L'abbé Doney distingue à son tour, entre le corps et l'âme de 
l'Église. Il interprète facilement la formule extra Ecclesiam : en 
dehors de l’âme de l'Eglise, dit-il, mais pas en dehors du corps. 
Le cardinal Dechamp, l'abbé Perreyve, le P. Monsabré suivent 
cette distinction. D’autres toutefois, veulent préciser davantage. 
La formule extra Ecclesiam doit s'entendre du corps de l’Église, 
mais il suffit d’y entrer in voto. Le désir, et encore le désir im- 
plicite suffit ; or il est contenu dans la volonté de se soumettre 
en tout aux ordres divins. 

Tels sont les éclaircissements apportés dans les temps mo- 
dernes à la question du salut des infidèles. Ils continuent en 
les précisant, les solutions apportées par les grands théologiens 
du XVII: et du XVI: siècles, lesquels avaient puisé, sinon toutes 
les solutions de détail, du moins tous les principes de solutions 
dans la scolastique et l’enseignement des Pères. 

Les principes ont toujours été substantiellement les mêmes ; 
seules les applications ont varié. L'Eglise a donc bien toujours 
la même foi, mais les travaux de ses docteurs et de sesthéologiens, 
suscités par les polémiques des adversaires, ont fait scruter le 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 613 


dogme, toujours identique, pour l'appliquer aux faits nouveaux, 
et le considérer sous ses divers points de vue. 

Reconnaissons que M. Capéran a exposé sans aucune crainte, 
et avec une grande loyauté les constructions théologiques succes- 
sives qui ont été édifiées sur la question du salut des infidèles, 
et contrairement à certains historiens modernes du dogme, loin 
de chercher à les mettre en opposition, il a su dégager les points 
essentiels pour en montrer la persévérante identité, au milieu 
des divergences de détail, et des tâtonnements explicatifs plus ou 
moins heureux. De cela, nous devons lui être reconnaissants. 

Faut-il rappeler que ce gros volume dont l'analyse nous 
a retenu si longtemps, n’était primitivement, dans la pen- 
sée de l’auteur, qu’une introduction à une thèse de théologie ? 
I] faut présenter maintenant cette thèse au lecteur. Disons tout 
de suite pour le rassurer qu’elle tient en une centaine de pages, 
et la brève étude que nous en ferons aura l’avantage de condenser 
thétiquement les théories éparses à travers les siècles de l’histoire, 
et d’en établir la valeur. 


Le problème du Salut des Infidèles, Essai théologique, par 
Louis Capéran. Paris Beauchesne 1912. 

Deux hypothèses sont d’abord à éliminer définitivement : 
l’Évangélisation des trépassés, et l'admission des païens aux 
Limbes. 

L’évangélisation des trépassés expliquerait facilement com- 
ment tous les hommes peuvent arriver à la connaissance des 
vérités nécessaires. On voulut voir cette évangélisation insinuée 
en saint Mathieu, où le péché contre le Saint Esprit est déclaré 
irrémissible, soit en cette vie, soit en l’autre ; on voulut la voir 
enseignée en propres termes dans la [* Petri III 19 où il est dit 
de Notre-Seigneur : His qui in carcere erant spiritibus veniens 
prædicavit, et IV 6, Mortuis evangelizatum est. Les Docteurs 
d'Alexandrie interprètent ces textes d’une véritable prédication 
faite par Jésus dans les enfers. Le Sauveur vint y instruire les 
âmes qui attendaient, des vérités requises pour l’acte de foi né- 
cessaire. 

Cette exégèse laissa des traces dans la patrologie grecque pos- 
térieure. Plus tard, on donnera à Notre-Seigneur des précur- 
seurs dans cette œuvre ; on lui donnera aussi des successeurs : 
ne faut-il pas évangéliser ceux qui, depuis la rédemption, sont 
morts sans connaître la foi. 


614 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Totalement abandonnée par les catholiques, cette théorie a été 
relevée récemment par la théologie protestante. Les docteurs 
modernes ont été heureux de trouver là un moyen de conciliation 
entre les principes rigoureux du protestantisme traditionnel et la 
mentalité moderne qui se trouve inclinée vers la miséricorde. Le 
texte de saint Pierre a fourni les arguments. 

M. Capéran n'a pas de peine à renverser les prétendus fonde- 
ments scripturaires de cette imagination, et si la tradition a fourni 
quelques textes en sa faveur, ce sont des textes isolés, contreba- 
lancés par d’autres, absolument opposés : saint Chrysostome 
rejette l’évangélisation aux enfers, saint Augustin la déclare 
hérétique, saint Grégoire la condamne, ses partisans orientaux 
la restreignent aux élus, et dès lors conservent ce principe, re- 
connu maintenant essentiel dans la théologie catholique, à 
savoir : le sort des hommes se trouve définitivement fixé quand 
ils sont sur la terre. 

Les Protestants sont acculés à des impossibilités : à celle-ci en 
particulier que le sort des méchants est préférable à celui des 
justes. Ils peuvent s’en donner à cœur joie sur la terre : il leur 
restera la ressource de se convertir lors de la mission qu'on leur 
fera prêcher à la mort. 

L’admission des païens aux Limbes, se présente de prime 
abord avec des caractères plus sérieux, et la solution serait bien 
commode. Malheureusement, elle ne concorde pas avec l’Écri- 
ture. Au jugement dernier, tous les adultes comparaissent : or 
deux altérnatives seulement sont proposées : le ciel ou l'enfer. 
D'ailleurs, lorsque la question des anciens païens se présente 
aux Apologistes, et on sait que pour eux elle fut grave, aucun 
ne tente de la solutionner par les Limbes. Tous au contraire 
s'appliquent à montrer que les païens ont eu le moyen de par- 
venir à la véritable foi surnaturelle. Saint Augustin repousse 
avec horreur la Vita æterna des Pélagiens, parce qu’en dehors 
du Ciel il n’y a que l'enfer. Les scolastiques, à leur tour, tout 
en adoucissant les formules d’Augustin, affirment d’un commun 
accord qu'il n’y a pas de salut, sinon surnaturel. 

L'hypothèse des Limbes pour adultes a été reprise, c’est vrai, 
dans les temps modernes, mais elle l’a été par une apologétique 
aux abois, obscurcie d’une part par le jansénisme, surprise 
d'autre part, par le fait nouveau de la découverte de l'Amérique, 
et par les objections de l’incrédulité. 

Aujourd'hui, la théologie catholique a bien précisé la doctrine 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 615 


sur ce point : les Limbes ne sont pas la béatitude naturelle, 
même pour les enfants ; la béatitude naturelle n'existe plus pour 
personne. Aux Limbes, il y a un bonheur équivalent à ce qu’au- 
rait été la béatitude naturelle, mais les Limbes sont un séjour 
de damnation : ce n’est donc pas un sort à généraliser. Les 
enfants, et les adultes dont la raison n’a pas été assez développée 
pour décider de leur sort, y sont enfermés sans souffrir ; mais 
tous les adultes parvenus au développement suffisant de leur rai- 
son, ont été mis en demeure d’agir selon leur conscience. Ils ont 
reçu des grâces : ils ont pu en user, ils ont pu en abuser. 
Comment ces grâces leur sont-elles parvenues ? nous l’ignorons ; 
mais ce que nous n'’ignorons pas, c’est que la grâce ne leur a 
point manqué, elle les a conduits à la fin surnaturelle si eux- 
mêmes n'ont point manqué à la grâce, se condamnant ainsi 
volontairement à l'enfer. 


* 
+ * 


Le chemin dégagé par la réfutation de cette double hypothèse : 
prédication aux enfers et limbes des adultes, M. Caperan va éta- 
blir la solution catholique du problème. 

Il y a deux points dans sa démonstration : 1° Le salut surna- 
turel est à la disposition de tous les hommes ; 2° Comment expli- 
quer la manière dont l'infidèle peut arriver aux actes surna- 
turels nécessaires pour le salut ? 

Dieu veut sauver tous les hommes ; Jésus-Christ est mort 
pour tous : Voilà les deux principes définis qui fixent la croyance 
catholique. L'auteur rapproche heureusement ces principes de 
la consécration du genre humain au Sacré-Cœur. Léon XIII 
a pensé que cet acte était un des plus grands de son pontificat. 
N'était-il pas, en effet, l'affirmation de l’extention du règne du 
Cœur de Jésus, et par conséquent des bienfaits de son amour et 
de sa Rédemption sur tous les hommes, même les infidèles. 

Les infidèles ne sont donc en dehors ni de la volonté salvi- 
fique ni de la mort rédemptrice. Ils y sont inclus par un acte 
divin. Or, cet acte n’est pas platonique, il est véritablement 
effectif, et dès lors il faut conclure que tout infidèle a des grâces 
surnaturelles. Sans doute, la première grâce est la grâce de la foi, 
mais ce mot doit s'entendre en ce sens que les premières grâces 
sont ordonnées, au moinsen quelque manière à l'acquisition dela 
foi : or, l’infidèle est capable de recevoir ces grâces là : il les reçoit. 


616 BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 


Pour ce qui est du principe : Facienti quod in se est Deus non 
denegat gratiam on sait que Îles théologiens l'ont expliqué de 
bien des manières : deux solutions sont spécialement opposées : 
Facienti quod in se est cum viribus naturæ (et gratia medicinali) 
Deus ex merd benevolentid (seu ex pacto cum Christo) non dene- 
gat gratiam. Cette interprétation met les bonnes œuvres en rap- 
port infaillible avec le don de la grâce, par l'intermédiaire, soit 
de la seule miséricorde divine, soit d’un pacte entre Dieu et le 
Christ. 

M. Caperan n'accepte pas cette explication. Pour lui il faut 
interpréter : facienti quod in se est cum gratiä, Deus non denegat 
novam gratiam. Toute bonne œuvre qui dit rapport avec la 
réception de la grâce suppose déjà la grâce ; et voici la raison : 
Dieu n’est jamais en retard pour distribuer ses bienfaits, et l’on 
peut être sûr que si un homme fait ce qu'il peut, il a été déjà 
prévenu par une grâce surnaturelle. 

Nous remarquerons en passant que cette solution, vraie peut- 
être en elle-même, ne prend pas à fond la discussion qui existe 
entre Thomistes et Molinistes sur l'interprétation du principe. 

À quel moment de la vie l’infidèle arrivera-t-il aux actes sur- 
naturels ? M. Caperan affirme nettement : dès le début de la vie 
raisonnable. Alors en effet, il est appelé à prendre la direction 
de sa vie. I] l’oriente au bien ou au mal, mais il est dès lors pré- 
venu de la grâce surnaturelle pour l’orienter à sa véritable fin. 

L’infidèle est appelé au salut ; cet appel est positif ; il est in- 
dépendant en droit et en fait de toute bonre œuvre naturelle ; il 
existe dès le début de la vie raisonnable : voilà les principes. 
Mais comment se produit cet appel ? et comment l’infidèle, 
étant données par ailleurs les conditions requises pour parvenir à 
la fin surnaturelle, arrive-t-il à en avoir la possibilité pratique ? 
M. Caperan va maintenant nous l’expliquer. 

D'abord, il est absolument certain qu'il faut un acte explicite 
de vraie foi surnaturelle. La connaissance naturelle de Dieu ne 
suffit pas. Bien plus, cette foi doit être surnaturelle, non seule- 
ment en ce sens qu’elle est produite avec le concours de la grâce 
(in caus& efficiente), mais encore en ce sens qu’elle porte sur 
une vérité surnaturelle en elle-même, et révélée de Dieu (in 
causä materiali et formali). M. Caperan regarde ce point comme 
acquis définitivement dans l’enseignement théologique. 

Cet acte doit avoir pour objet Dieu, connu explicitement 
comme principe et fin de l'ordre surnaturel ; il doit avoir pour 


BULLETIN DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE 617 


objet, le Christ ; mais ici il suffit d’une connaissance implicite, 
qui se trouve suffisamment inclue dans la foi à Dieu rémunéra- 
teur surnaturel. La connaissance des autres mystères n’est pas. 
nécessaire, même depuis Jésus-Christ. L’auteur montre, à la 
suite de Perrone, que si les Pères l’ont dite nécessaire, ce n’est 
pas d’une manière absolue puisqu'ils ont admis exception pour 
les temps prémessianiques ; c’est de plus, fondés sur un fait qui 
s’est trouvé faux, à savoir l’universalité de la prédication évangé- 
lique. 

Après avoir exposé les connaissances nécessaires au salut, M. 
Caperan se demande comment les infidèles ont pu et peuvent y 
parvenir. Ils ont des moyens, et ces moyens, s'ils ne sont pas la 
voie normale, ne doivent être dits ni rares, ni extraordinaires. 
L'auteur en énumère quatre que nous énoncerons en citant Mgr 
d’Hulst. « En réunissant ces quatre moyens: tradition primitive, 
évangélisation authentique constatée, évangélisation oubliée 
mais qui a laissé des traces, enfin, action surnaturelle d’une 
grâce intérieure, il n’est pas impossible d’admettre que pas une 
âme sincère n’a manqué des ressources nécessaires à la genèse 
de ce minimum de foi qui est la condition du salut. » L'auteur 
fait sienne cette conclusion, en remarquant qu'il en a effacé 
d'avance la nuance d’hésitation qui diminue la valeur de ces. 
paroles. 

Nous nous sommes arrêtés longuement aux deux ouvrages de 
M. Caperan. Il nous a semblé qu'ils méritaient cette étude. 
Aussi bien ne sera-t-il pas permis de les ignorer, à quiconque 
s’occupera désormais du Salut des Infidèles. 

Nous souhaitons que la Bibliothèque et les Études de théo- 
logie Historique nous fournissent encore, et promptement, de 
nombreux travaux de ce genre. Elles rendront ainsi un efficace 
service à la théologie, et prépareront les voies à ceux qui vou- 
dront entreprendre l’œuvre difficile de synthèse dans le futur 


manuel de théologie moderne. 
Fr. DIEUDONNEÉ. 


AMBASSADEURS DE FRANCE 


ET CAPUCINS FRANCAIS 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 


D'APRÈS LE JOURNAL DU P. THOMAS DE PARIS 


(Suite). (1) 


CHAPITRE III. 


Mr ROBOLY RÉSIDENT 1661-1665. 


« Les Turcs envoyez du Vizir et du Tefterdar à Saint-Pierre, mesu- 
rèrent l'Église, la cour, les jardins et escrivirent combien il y avait de 
picqs. (2) Le Sr Fornetti servait de droguemant. Ils fisrent le mesme à 
toutes leséglises tant franques que grecques; allèrent même à Saint- 
Benoît où voyant l'église entière ils ne mesurèrent point.On dist qu'ils 
trouvèrent à Saint-François 14446 picqs. Ils avaient passé Saint-Geor- 
ges, quelques Turcs ayant dist qu'il n’y avait point d'église mais seu- 
lement des maisons ; mais un grenadin les y feit retourner. Ils entrè- 
rent à la maison oùse bastissait et Maître Manoli et Jousouf n’y estant 
pas ils demandèrent si la maison appartenait à l'église et Maitre 
Marvo leur ayant dict que non mais qu’elle appartenait à une femme 
veuve, ils repartirent qu'on monstrast le Kodjet et que si elle n'appar- 
tenait point à l’église on continuast à bastir. » 

Ces lignes sont datées du 29 juillet 166r ; elles sont rédigées par le 
P. Jacques de Paris frère du P. Thomas lequel sans doute étant tenu 
par son rhumatisme chronique céda pour quelques mois la plume à 
son frère. Nous trouvons de suite exposée la situation compliquée dans 


(1) Cf. Études Franciscaines, Avril 1913. 
(2) Le picq est l'unité de mesure turque pour les terrains, les étoffes, etc. ; sa lon- 
gueur est d'environ o,"75c, 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 619 


laquelle se trouvaient et les Religieux et la religion elle-même. Une 
église brülée était une église perdue pour la religion, il fallait des for- 
malités nombreuses, pour la réédifier, encore échouait-on souvent. De 
plus il fallait pour rebâtir même une simple habitation verser des frais 
considérables, le terrain étant censé demeurer propriété du Grand- 
Seigneur et devant être racheté ou du moins payé de sommes souvent 
très fortes. Dès que l'on se mettait à l’œuvre pour reconstruire, les 
délations pleuvaient et chaque officier ministériel cherchait à « man- 
ger quelque argent » suivant l’expression consacrée. Seule l’interven- 
tion d'une puissance reconnue était capable de faire cesser pareilles 
avanies. 

Or, depuis l'incendie de Galata en 1660, les catholiques avaient 
perdu presque toutes leurs églises dévorées par le feu ; pour ne nom- 
mer que les principales, Sainte-Marie, Saint-François et Saint-Georges 
n'existaient plus ou du moins ne présentaient que des ruines. A Saint- 
Pierre, l'église n'était plus utilisable, mais le P. Thomas, Jésuite, 
chapelain du comte de Leslie, ambassadeur d'Allemagne à Constanti- 
nople en 1665, nous donne sur ce point un intéressant détail. Dans un 
extrait cité par notre P.Thomas dans son journal, il nousexplique com- 
ment les Dominicains purent garder leur position et continuer en par- 
tie « leur lieu de prière. » Nous traduisons cet extrait rédigé en latin : 
«a Voyant brûler la maison et l'église, persuadés qu’on ne leur permet- 
trait pas ensuite de relever l'édifice, sans être vus des Turcs, ils trans- 
formèrent dans un instant en chapelle une partie du réfectoire que le 
feu n'avait pas atteint et que l'on pouvait protéger ; ils y transportèrent 
l'autel et se hâtèrent de l’accommoder avec ce qui restait des orne- 
ments. Ainsi, par une pieuse fraude, ils conservèrent sans être troublés 
par les Turcs, le lieu où ils excercent le ministère. » Saint-Benoît 
restait seul intact, les Jésuites y continuaient les exercices du culte. 
Enfin à Péra dans la partie de la maison des Capucins transformée en 
chapelle provisoire nous pourrions dire intermittente, si nous ne crai- 
gnions d’écorcher le français — il y avait aussi culte public et célébra- 
tion des offices divins. 

Chacun des Ordres aurait voulu rétablir son église, sauvegarder 
ses propriétés; il n’y avait plus le protecteur ordinaire de la reli- 
gion, l'Ambassadeur de France. Un Résident, M: Roboly, marchand 
français, représentait surtout les intérêts du négoce. Pour les autres 
questions il se heurtait à des difficultés que nous allons dire. Les Am- 
bassadeurs des autres puissances travaillèrent passagèrement pour sau- 
vegarder les intérêts religieux et réclamer le rétablissement des églises, 
ils n’obtinrent point de résultat efficace. 


620 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Cette période de cinq années ne sera donc pas très riche en événe- 
ments, elle ne manque pourtant pas d'intérêt. Renvovantà des appen- 
dices les détails plus intimes, nous chercherons surtout à mettre en 
relief les faits principaux, relatifs aux intérêts de la religion et à ceux 
de la France, sans omettre ce qui concerne spécialement les Capucins. 

Transportons-nous de suite à Saint-Georges ; les Capucins réduits 
au nombre de quatre Pères et d'un ou deux Frères sont tous à Péra, 
mais le P. Custode, P. Jacques veille au grain. Il s’agit d'aménager 
vaille que vaille les restes de l'église. 

Très complaisant, Mr Roboly prète son concours. Après la visite 
relatée au début de ce chapitre il envoie porter au Cadi le Kodjet 
demandé ; le P. Jacques voudrait bien lui persuader de dire au Kaïa, 
puis au Reïsketab que Saint-Georges est une petite chapelle pour les 
Francs; le Résident n'ose entrer dans cette voie. Les drogmans jouent 
un rôle important dans la question. Le Sr Draperis, drogman d’Angle- 
terre, traite pour Saint-Pierre et Sainte-Marie, donnant une assez forte 
commission au chaoux. Pour Saint-François, déjà se répand le bruit 
qu'on en veut faire une mosquée, ce qui d’ailleurs arrivera plus tard. 
Quand Mr Roboly envoie le drogman Fornetti s'inquiéter du sort de 
Saint-Georges, l'enchère est déjà mise et plus forte que celle annoncée. 
On remet l'opération après le Baïram. Le P. Jacques donne minu- 
tieusement le détail des pièces données par lui au drogman, asselanis, 
piastres de neuf dragmes,sequins «sultanins », sequins vénitiens, lions, 
etc,se plaignant de ce que la valeur des différentes pièces varie suivant 
le caprice des officiers de l’État. Le prix de rachat semble avoir atteint 
350 piastres sans compter les divers suppléments: MrAntoine Roboly, 
frère du Résident, Mr Griasque notable marchand français et Made- 
moiselle Fonzibée veuve d’un ancien drogman de France voulurent 
bien quêter l'argent nécessaire. Le Résident d'Allemagne contribua à 
cette acquisition par une aumône de 6 sequins, l’Ambassadeur d’An- 
gleterre offrit pour le même effet un sequin vénitien auquel il ajouta 
un don en nature, savoir 15 pains, cinq poulets et 3 ocques (1) de vin. 
Charité à laquelle le P. Jacques répondit aussitôt par deux lettres 
l’une en français, l’autre en italien, cette dernière accompagnant « un 
panier de pistaches de notre jardin. » Le « Kodjet d’achapt » avait été 
remis aux Pères le 3r juillet 1661. 

Ce n'était pas tout d’avoir racheté Saint-Georges, il fallait l’aména- 
ger sans éveiller les susceptibilités turques. On enlève donc tout ce qui 
pourrait donner l'idée d’une église ; on fait de la partie principale un 


(1) L'ocque, unité de poids ; équivalant à 1200 et quelques grammes. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 621 


dépôt de marchandises et dans le reste du local on installe des cham- 
bres.Un Juif, acheteur provisoire, cède une partie du terrain à un turc 
avec promesse de rétrocession de la part de ce dernier. Mais le turc 
aussi bien que le Juif cherchent leur intérêt et empiètent sur le terrain 
qui n'est point de leur part. Toute «cetteaffaire, écrit le P.Thomas,est 
une vache à laict » sur laquelle tout le monde veut tirer. Notons quel- 
ques incidents. Le 26 Septembre 1661 : le Meremetgi-Bachi (1) est 
venu à Saint-Georges et demande un présent disant qu’on bâtit une 
église. Une intervention du frère du Résident a pour résultat l’arres- 
tation des Mastori(2) dont plusieurs sont conduits prisonniers « à Cons- 
tantinople, au camp de la Validé. » (3) Le don « d’une veste de satin » 
arrange l'affaire. En Avril 1662, le chaoux qui a vendu l'église et le 
Naïb (4) du Cadi escortés de gens de justice viennent, conduits par un 
grec,ules Turcs ayant veu des femmes et des horologeurs loger dedans 
voulaient s’en aller mais le grec les faict monter en hault où estaient 
le R. P. Becheram jésuite et le P. Pierre (en visite) ; ils feirent com- 
me un procez-verbal, qu’ils avaient trouvé une table et une image au 
dessus hors de la cellule, et un peu de vin dans une burette dans la 
cellule, et sortirent sans aultre chose demandant à veoir le Kodjet de 
la maison pour seavoir si elle n’estait pas de l’église.» Thomaso Navone 
drogman croit avoir terminé l'incident : douze jours plus tard les 
Turcs sont encore là et le lendemain procèdent à une démolition en 
règle, « personne n’y estant pour parler n’y pour la déffendre. » 

Ce même mois, (Mai 1662) arrivaient MM. du Pressoir et G. Fon- 
taine avec des lettres royales « en response à celles du Vizir qui deman- 
dait un Ambassadeur. » Or le lendemain même « les Turcs allèrent 
mesurer Saint-Georges. Mr Roboly s’y trouva et faisant instance que 
c'estait sa maison faist escrire au Naïb quel estait l’estat des lieux où 
les voultes des autels avaient esté ruinées ; que le dessus avaist esté 
ruiné et qu’il y avait des chambres. » Prévenu, le Sr Fontaine 
parle de la question au Reisketab qui promet de faire quelque chose. 
Paroles en l’air suivies d’une nouvelle avanie : le 31, « les Turcs allè- 
rent ruiner le reste du bastiment faictsurles muraïllesde Saint-Georgesn. 
Tout ce qu'on put faire fut de donner « une monstre à Assa Bachi 
afin qu'il ne touchast point à la maison d'autant qu'on avait rompu 
la porte qui allait au bain. » Les envoyés du Roi croyant avoir gain 
de cause estaient partis par terre pour Smyrne ; le P. Alexis accompa- 


(1) Meremetgi-Bachi : inspecteur des constructions. 

(2) Mastori : maçons. 

(3) Validé, nom donné à la mère naturelle ou adoptive du Sultan. 
(4) Naib. : juge, lieutenant ou remplaçant du Cadi. 


622 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


gnait MM. Fontaine et du Pressoir. « Ne s'estant pas faict accom- 
pagner selon leur passeport » ils tombèrent entre les mains d’une bande 
de voleurs qui les dépouillèrent si bien que le P. Alexis « estait tout 
nud sans habit. » (Juin) 

Après bien des péripéties nos Pères avaient enfin obtenu la paix du 
côté des autorités, mais les questions de location forcèrent plusieurs 
fois Mr Roboly à intervenir, il ne put le faire que discrètement ayant 
lui-même des intérêts en jeu. Ces détails nous mèneraient trop loin, 
citons seulement les noms des principaux locataires MM. Favre mar- 
chands français. On les avait reçus préférablement à des « horologierss 
qui convoitaient ces boutiques, et le P. Thomas qui connaissait les 
habitudes de la belle-mère de ces messieurs, se plaint que toujours 
en lessive, « par ses lavements elle gaste plus la maison que n'auraient 
faits les dits horlogers. » (Novembre 1663.) Un nouvel acte d'achat 
fut passé au nom de Mr Richard, chancelier de France, mais aussitôt 
fut fait dépôt en chancellerie d'un acte de réversibilité attestant que la 
maison contigue à Saint-Georges avait été pæyée avec l'argent donné 
aux Capucins et était leur bien propre (1664). 

Pour épuiser cette question de Saint-Georges, il est nécessaire de 
signaler les difficultés faites par quelques religieux d’une autre bran- 
che franciscaine, lesquels ayant quêté pour les églises brülées de Cons- 
tantinople refusaient tout subside aux Capucins sous le prétexte que 
Saint-Georges n'était pas paroisse. L’autorité dut intervenir. De son 
côté le Sr Ballarin, résident de Venise, transmit aux Capucins 350 
piastres sur les 2000 écus envoyés pour les églises brülées par la 
S. Cong. de la Propagande. 


* 
+ 


Rares sont les interventions de Mr Roboly dans les questions reli- 
gieuses, celles-ci n'étant point proprement de son ressort. Pourtant 
sous son administration, mais grâce surtout au savoir faire de Mr Ba- 
ron, consul de France à Alep, une vraie victoire fut remportée au 
moins pour un temps. On sollicita et obtint un bérat « en faveur de 
André,Archevêque Syrien d'Alep, pour le faire patriarche de Mardin.» 
Un intrus intrigua si bien qu'il obtint un décret contre ce représen- 
tant des catholiques Syriens, mais de sérieuses démarches de Fornetti 
réparèrent le mal. « Un Capigi (r) eust ordre du Caïmacan d'aller en 
poste restablir le Patriarche André sur son throsne et dans tout son 
district. Fornetti lui accorda 600 piastres pour cela ; il mène six 


(1) Capigi, Portier. Mot sans doute estropié. 


A CONSTANTINOPLE AU XVII° SIÈCLE 623 


hommes à sa suyte ; il va à Alep et Diarbékir et fera de l’intrus usur- 
pateur tout ce que l’intrus voudra » (31 Janvier 1664). La demande 
de bérat (1)en faveur de M. Augustin du Puy, Archevêque de Naxie, ne 
fut pas agréée malgré les instances du même Fornetti ; il fallut plus 
tard recourir à l'Ambassadeur allemand. Les passeports demandés par 
les religieux Théatins se rendant en Mingrélie ne leur furent pas 
octroyés ou du moins ils ne purent partir « qu'avec d'autres noms et 
qualité de marchands. » (Avril 1663). 

Il manquait à Mr Roboly ce je ne sais quoi qui donne l'autorité 
morale. Serviable, il prêtait volontiers ses bons offices, maïs il ne sa- 
vait pas s'imposer. On le vit bien dans une discussion assez vive entre 
les Capucins et les Jésuites. Ceux-ci avaient acheté « un petit terrain 
inutile » sans en préciser la raison ; mais nos Pères après une 
acquisition d’un lopin de terre vendu par la Signora Bon voulurent 
fermer au public une porte donnant sur le quartier de Top-Hana. Le 
« petit terrain inutile » était, paraïit-il, destiné à ménager aux Jésuites 
le passage par cette même porte. Il ÿy eut échange de paroles assez 
vives, le P. Jacques « s'eschauffa un peu ». Quelqu'un des Jésuites lui 
ayant dit : « Vous n'avez plus maintenant Mr de La Haye » et laissant 
des doutes sur l’impartialité de ce dernier. Il ÿ eut transaction, après 
sentence arbitrale des drogmans de Venise et octroi d’une porte diffé- 
rente assez large pour « un cheval avec deux paniers ». L'acte fut 
donné en chancellerie, encore par Mr Richard (Décembre 1664) ins- 
tallé avec ses meubles dans le palais de France. Ce Mr Richard était 
un bienfaiteur des Pères et chaque samedi il leur envoyait une poule 
« toute plumée et fort grasse. » Une seule fois il est question d’un 
« levrault rosti » offert par Mr Roboly. Celui-ci avait par ailleurs toute 
confiance dans les Pères et chaque fois qu'il allait « aux Isles » (2) en 
villégiature, il apportait en dépôt son argenterie et ses économies, et 
cela plusieurs fois par saison. Il leur confiait aussi « son grand Orloge 
rond. » 

Par lettres P. Jacques et P. Thomas recommandaient en France 
_ leurs amis d'Orient, ne trouvant plus ici le même soutien. Le nom du 
consul d'Athènes Mr Giraud, celui de Négrepont (3), Mr Vidalène, gen- 
dre de Mlie de Belfonds, celui de Mr Richard le chancelier qui aurait 


(1) Bérat. Pièce officielle turque, donnant l'investiture, c'est-à-dire le droit d'inter- 
venir dans les affaires civiles, aux Patriarches et Évêques de l'empire ottoman. 

(2) Les Iles des Princes, Prinkipo, Halki, etc. situées dans la baie d'Ismidt sont 
encore un lieu de villégiature très fréquenté. 

(3) Capitale de l'ile de ce nom, près la presqu'ile d'Eubée ; autrefois place forte 
appartenant aux Turcs. 


624 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


bien voulu le consulat de Gallipoly, (1) celui de Mr Baron d'Alep dont 
on parla un instant pour l’Ambassade de France — « mais c'estait là 
racontars d'Anglais », — reviennent souvent dans le journal. Nous 
y voyons aussi figurer Mr Castagnères remplaçant de Mr Giraud à 
Athènes. Nos Pères prenaient alors solidement pied à Napoly de 
Romany (2) ; les Jésuites avaient bien une sorte de recommandation 
pour ce poste, mais elle était sur papier ordinaire, dit le P. Thomas, 
«a nostre sur vélin»! Nous pouvons aussi constater qu'à Seyde,à Chio, 
à Smyrne, il y avait encore plus d'une difficulté et la solution en était 
souvent renvoyée au Roi lui-même. Le 24 Janvier 1664, le P. Jaques 
écrit au P. Provincial à Paris « d'envoyer pour Smyrne une lettre du 
Roy qui ordonne au consul de nous maintenir en la Chappelle Royale 
en tous les droits dont nous avons jouy jusqu’à présent et ne permettre 
aucune nouveauté qui puisse porter préjudice à la dite Chapelle ou 
causer quelque avanie à la nation à peine d'en respondre en propre et 
privé nom. » 

Mr le Résident Roboly était-il de taille à soutenir les intérêts fran- 
çais ? La chose semble douteuse. Notable marchand, il connaissait la 
valeur de l'argent et prétendait ne pas le gaspiller. Ne pas savoir dé- 
penser en temps voulu est au pays du bacchiche une infériorité. Or 
nous voyons poindre à chaque pas cette idée d'économie. Il veut se 
faire rembourser l'argent avancé, mais il ne calcule pas la manière. De 
plus les drogmans, vu la rareté des affaires, voient diminuer d’autant 
leurs petits profits et en témoignent leur mauvaise humeur au Résident. 
Plus que cela, ils lui tiennent têteet lui font au besoin la leçon. A l’un 
d'eux, le Sr Journot, il réclame une dette « 900 piastres qui luy sont 
dues par le consul de la nation du Caire » pour lesquelles Journot 
aurait « respondu verbalement et il s'est fié à sa parole. » — « Le dit 
Journot est venu me prier d’en parler audit Sr Roboly ce que j’ay faict 
lui représentant qu en cela il se faict juge et partye. MM. Richard et 
Fabre sont aussy venus luy en parler à l'instance du dit Journot et 
n'ont rien gaigné sur luy. » Ces lignes sont du P.Thomas qui décidé- 
ment a repris sa plume et à qui nous céderons souvent la parole. Il 
continue à se tenir au courant de tout, son journal est même plus 
détaillé encore que par le passé. Quand il s'aperçoit qu'il a été mal 
renseigné il corrige ses dires précédents. Une intermédiaire lui donne 
souvent les nouvelles qu’elle a pu récolter à l'Ambassade d’An- 
gleterre où elle fréquente assidûment, c’est Melle d'Acier appelée 


(1) Sur la côte européenne de la Marmara à quelque distance des Dardanelles. 
(2) Ville de la Morée. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 625 


plus ordinairement Melle ja Colonelle. (1) Étaitelle parents du 
colonel Voullemot que nous avons vu aux débuts procureur des 
Capucins ? Impossible de le dire. En tout cas, cette personne 
parait avoir eu la langue bien pendue. Le P. Thomas ne donne parmi 
les renseignements tenus d'elle, que les plus sérieux, et sait remettre 
les choses au point. « Melle la Colonelle m’a demandé si Mr Robolyÿ 
nous avait mis en conte une monstre qu'il avait donné pour sauver 
nostre église de Galata. Je luy ai dit qu’il ne nous avait pas donné ses 
contes mais qu’il me l'avait dict et que nous luy sommes redevables. 
Elle m'a répliqué me le demander parce qu'elle scayt qu'il a mis la 
dicte monstre sur la prétention des 900 piastres qu’il demande au 
S. Sr Journot et Roussen pour le Caire, et l’a mis pour 150 piastres 
quoyque la boëste ne fust que d’argent doré, disant au Sr Journot que 
l'ayant donné pour les pauvres Capucins la nation du Caire dans une 
aflaire qu’il avait faict pour elle pouvait bien payer cela. » Cette ma- 
nière de rendre service était donc un peu intéressée, sans compter qu'il 
prêtait son argent à 20 pour cent, taux que peuvent excuser les grands 
risques courus alors. 

Les questions d’intérêt arrêtaient la bonne volonté du Résident et 
malheureusement avaientun retentissement dans la gestion des affaires. 
Le Caïmacan se plaignait de ne pas recevoir visite de Mr Roboly ; 
Celui-ci s'en explique avec le P. Thomas. « Mr le Résident m'a dist 
avoir faict représenter au Caimacan par une créature du dit Caimacan 
les raisons pourquoy luy ne l'allait pas veoir ; qu'en même temps For- 
netti se présentant au dit Caimacan avec la dite excuse, le dit Caïma- 
can lui repartit ne la recevoir point pour valable et estre bien informé 
que c'est par mespris que le dit Sr Roboly ne le va pas veoir. Le dit 
Fornetti tirant de son sein une monstre d’or pour la présenter au dit 
Caïimacan au nom du Sr Résident il la refusa et luy dist ne vouloir 
rien. Mais luy repartant la-dessus qu'il debvait donc l'aller voir pour 
l’asseurer qu'il ne le mesprise pas, il m'a reparty qu'il fallait les pré- 
sens. J'ai dist ne luy donnez que la dite monstre. — Ouy, dist-il, mais 
il fault en mesme temps le présent à tous les officiers et je ne veux pas 
les faire de ma bourse. » 

Qu'il voulut être remboursé, cela était légitime ; mais onle trouvait 
trop thésaurisateur et cela même empêchait qu'on ne réalisât ses dé- 
sirs. « Jusqu'à présent, Mr le Résident a receu au moins 8000 piastres 
de conte faict par les marchands ; qu’il en a receu seulement 2000 du 

(1) Nous retrouvons son nom dans les actes des Baptèmes faits à la chapelle de 
l'Ambassade ; elle y est marquée comme marraine. Suivant l'usage du temps elle 


portait le titre de Mademoiselle bien que mariée, étant personne de qualité. 


E. F, — XXIX. — 40 


626 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


consulat de Gallipoly ; qu'il est venu 31 voiles français depuis le départ 
de Mr l'Ambassadeur outre les tours de bastons sur les bérats et com- 
mandements ; qu'il n’a de train qu’un janissaire plus que les drogue- 
mans ; il pourrait faire les présents requis au Caïmacan et aultres, 
que s’il n'eust pris sur les vaisseaux ce qu'il prenait oultre ce que des- 
sus, au commencement la ville de Marseille prétendait lui donner 
quelque chose mais que cela l’a retenu, et que les Français ne sont 
nullement protégés par luy, faulte des dits présents au Caïmacan » 
(Janvier 1664). 

Pour la même raison le Caïmacan refusa d’abord de lui accorder le 
vin (7000 mitres) ordinairement accordé aux ambassadeurs disant 
« qu'il n'est pas ambassadeur et n’a pas de train pour en boire autant 
et ne lui en a point du tout accordé » (Nov. 1664). La décision fut 
peu après rapportée. 

Malheureusement ces difficultés perçaient au dehors ; Journot me- 
nacé de sévices s'était refugié à l'Ambassade d'Angleterre. Grande 
colère de Mr Roboly qui se plaint à l'Ambassadeur disant « que cela 
ne se pratique pas qu'une chancellerye d’une nation soit ouverte à un 
suject d’une aultre nation contre son représentant. » Puis réplique 
hautaine de l'Ambassadeur répondant : « que leur chancellerye est 
tousiours ouverte à tout le monde même contre le Roy son Maistre. 
que cela ne debvait pas empescher qu'il ne voulust servir Mr le Rési- 
dent. » Le P. Thomas pria humblement Mr Roboly « que l'affaire en 
restât là », ainsi fut fait. 

Même difficulté avec un notable marchand Mr Griasque. Celui-ci 
avait de grandes discussions avec les préposés à la douane qui com- 
pensaient le manque de présents en dépréciant les monnaies et ensuite 
déclaraient que les Français se plaignaient et non les Anglais. A la 
suite d’une altercation, Mr Roboly prétendit contraindre Fornetti a 
demanderun ars d'expulsion contre Mr Griasque. A quoi Fornetti 
répond « estre ici pour servir les marchands de la nation et non pour 
agir contre ; il est mis droguemant par celuy qui a mis Agent eta un 
Bérat du Vizir pour cela que Mr l'Ambassadeur luy a faict avant de 
partir. » On voit l'attitude de Fornetti qui parle d'Agent et non de 
Résident. Cet interprète ne se gênait pas pour dire en effet que Mr 
Roboly n'était pas véritable Résident ; il appuyait son assertion sur 
une lettre adressée de Paris par un amy de Mr Roboly. Il y était dit 
que Mr de Lyonne (1) faisait l’ignorant sur l'existence d’un représen- 
tant du roiici. Mr Roboly avait maladroitement montré cette lettre 


(1) Ministre du roi de France. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 627 


dans laquelle il était aussi question de la pension qu'il réclamait du 
roi. L'Angleterre ouvrit également ses portes à MrGriasque ; cette fois 
se furent les Pères Jésuites qui rétablirent l'harmonie et firent que 
Mr Roboly et Griasque « s'entrembrassèrent. » 

C'était une consolation pour le Résident quand parfois venait de 
France quelque lettre où l’on disait « qu'on est fort content de luy 
Résident et qu’il est confirmé en sa charge jusqu’à ce qu'il vienne un 
ambassadeur ». De toutes manières, il souffrait de ce malaise. Un jour 
« l’escrivain de la doüane voulant quelque marchandise de Mr Roboly 
pour le Grand-Seigneur qu'il avait veu et pesé dans un magazin de 
nostre maison de Galata et Mr Roboly ayant trop différé de la luy livré 
a esté à la dite maison et n’y trouvant personne a rompu la porte pour 
y entrer, puis les portes de deux magazins pour la trouver et l’a em- 
portée. » Mr Roboly en avertit le P. Thomas et lui dit son embarras ne 
sachant « comment s’en plaindre au Caïmacan pour ne luy avoir point 
faict le présent et n’ayant pas de drogueman. S'il souffre cela il n’y a 
plus de protection pour les Français. » (27 Décembre 1663). L'injus- 
tice était trop criante, les coupables sont « venus demander pardon, il 
n’a pas voulu leur donner audience ni les veoir. » Fornetti est envoyé 
exprès à Andrinople. « Si cela eust été faict à un autre marchand fran- 
çais, il (Mr Roboly) aurait esté luy-mesme sur l'heure s’en plaindre 
au Caïmacan, mais estant pour luy il ne l’a point voulu faire pour ne 
point faire dire qu'il ne protège par les aultres et n’a soing que de ses 
intérests. » 

Le Caïmacan sut bien reconnaitre en temps voulu le caractère offi- 
ciel de Mr Roboly. « Mr le Résident a esté au Capitan Bascha appelé 
par luy pour luy dire que le Grand-Seigneur avec le Grand-Vizir devait 
faire une puissante armée contre Candie etluy avait pour cela ordonné 
de l’appeler pour luy dire qu'il escrive au Roy que le dit Grand-Sei- 
gneur le prie de luy envoyer des vaisseaux, ne luy important qu'ils 
soient de guerre ou marchandise n'estant que pour porter du monde » 
(Août 1665). Pour plus de süreté on avait déjà opéré à Smyrne « la 
détention des vaisseaux pour porter de la milice en Candie. » Étrange 
position, les Français combattant pour les chrétiens sur des vaisseaux 
arborant la bannière du pape et leurs bateaux conduisant des secours 
aux ennemis de la religion chrétienne. 

Les apparents dédains de Mr du Pressin qui au cours de ses expédi- 
tions diplomatiques et des audiences d’Andrinople écrivait à tout le 
monde sauf à Mr Roboly, étaient particulièrement sensibles à celui-ci. 


k 
* + 


628 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Notre Résident prenait d'ailleurs son rôle au sérieux. Pas une céré- 
monie religieuse à laquelle il ne soit présent, guidé par sa piété et aussi 
par le sentiment de sa dignité. La rareté des églises simplifiait un peu 
la besogne. A Saint-Pierre, il solennise l’Annonciation de la Sainte 
Vierge et le Saint Rosaire. A Saint-Benoît, il figure à la procession du 
Très-Saint-Sacrement et à la fête de saint Louis, roi de France, qui se 
célébrait solennellement en cette église. Nous trouvons sa présence 
signalée chaque année chez les Capucins de Péra pendant les Offices 
de la Semaine-Sainte, aux Ténèbres du Jeudi et du Vendredi Saint ; 
le matin de ce même jour, il écoute dévotement le sermon de la Pas- 
sion ; il ne se plaint même pas de ce que le P. Martin « a presché en- 
viron deux heures »! La curiosité ne le pousse pas à aller écouter com- 
me tout le monde à Saint-Benoït « un enfant de dix ans qui fist une 
petite oraison d'un quart d'heure composée, dit-on, par le P. François 
Jésuite. » Il assiste dans cette église Saint-Benoît à la lecture faite le 
19 décembre des patentes par lesquelles Mgr Ridolfi, Évêque de Çala- 
mine et suffragant, était constitué vicaire patriarcal de Constantinople. 

Les petites prédications faites à certaines époques par des enfants à 
Saint-Benoît, une séance littéraire donnée par les élèves des Jésuites et 
où l’on joua « quelque chose de l'Empereur Constantin » piquèrent 
l'amour-propre de Mr Roboly. Son fils Antoine avait, paraît-il, adressé 
à ce sujet quelques doléances à son père et celui-ci songea à mettre cet 
enfant comme avait déjà fait le Sr Draperis (1) chez les Jésuites 
« pour le faire paraistre en quelque acte public et pour luy donner de 
l'asseurance. » (1665) Mr Roboly suggéra donc au P. Thomas « que 
nous fissions quelque représentation pour les enfants ; qu’elle se ferait 
dans la salle comme je lui dis estre mieux et qu'il en fera la despense. » 
Mission est donnée au P. Bernard d’Abbeville de préparer une pièce 
sur le « Baptesme de Saint Genest; il promet d'en venir à bout. » Le 
deux Mars,ce Père déclare « qu'il a entretenu par rencontre Mr le Ré- 
sident de la tragi-comédie qu'il prépare pour nos enfants. [l mord, 
dit-il, à la grappe et sont convenus que le théatre se fera au bout de la 
grande sale vis-à-vis de la chancellerÿye et à ses despens, quand les 
enfants sauront leur affaire ; qu'il prétend être au nombre de dix-huit 
personnages. » À peine cette nouvelle connue,on vient faire inscrire à 
l'école de Péra de nouveaux élèves entre autre un jeune Tarsia. Des 
jaloux prétendaient que les Capucins étaient seulement capables d’en- 


seigner l'a. b. c. » 
(1) Ce fut ce drogman ou du moins un membre de sa famille qui céda aux F. M. 


de l'observance le terrain sur lequelest bâtie l’église Sainte-Marie appelée en sou- 
venir du donateur : Santa Maria Draperis. 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 629 


Le succès répondit aux espérances. « La tragi-comédie de Saint 
Genest composée par le P. Bernard d’Abbeville s’est jouée dans la 
grande Sale du Roy en présence d’un nombre innombrable d'hommes 
et de femmes. Celles-ci occupaient la chappelle, la 2° sale et la chan- 
cellerye ; les hommes la grande sale. Tous les acteurs ont parfaite- 
ment bien faict et chascun est resté très content et édifié » ; si bien 
qu’on recommença le lendemain « en présence de beaucoup de monde 
et satisfaction universelle. » Le fils du Résident avait eu le rôle d'Em- 
pereur. Enthousiaste, Mr Roboly déclara que quand nous voudrons 
faire une autre tragédie il en fera encore très volontiers la despense. 
On se met donc à l’œuvre en vue de fêter ainsi le futur ambassadeur. 
Pour le Sr Tarsia, il prétendit que « le succès de nostre tragédie estait 
capable de faire enrager les Jésuites » (1). 


“ 
» 


. Au moment de cette représentation les Capucins étaient en deuil. 

Sorti de charge et remplacécomme Custode par le P. Épiphane (lequel 
en faisant la visite avait donné des lettres d’affiliation à Mr Roboly) le 
P. Jacques de Paris s'était éteint pieusement.Le P. Thomas,son frère, 
écrivait au 9 Février 1665 : « Une petite fiebvre se manifesta hyer au 
soir au P. Jacques, avec laquelle Sr Marcellino l’a trouvé ce matin et 
ne jugeait pas à propos qu'il dist la Messe, qu'il n’a pas laissé de dire 
à cause du Dimanche et qu'il n’y avait plus d’aultre à dire moy ayant 
dist la mienne. » Puis, suit jour par jour le bulletin du malade: « la 
dicte fiebvre l’a quitté » — « le médecin l'en a trouvé net » — «ila 
trouvé ce matin la main et le pied gauche enflé » — « trouvant le 
P. Jacques avec un peu de reste de süeur il en a trouvé bon augure » 
— « les remèdes profittent au P. Jacques qui se fortifie et en espère 
bien. » etc. 

Vain espoir : nous lisons au 19 Février: « Dieu a retiré de ce monde 
l’âme du P. Jacques à 4 h. 1/4 du matin, après avoir receu le Viatique 
et l'Extrême-Onction. Mr le Résident a donné l'ordre à Manoli le por- 
tier d’aller advertir tous les Français de se trouver à l'enterrement et 
de faire faire la fosse. Tous y sont venus et tous les Pérotes avec les 
cierges de Sainte Anne, de leur courtoysie et les jeunes Kiriaki (2) ont 
voulu porter le corps ; les deux fils de Tarsia ont commencé dès ici. 


() Le P. Thomas parlant du P. Bernard dans une lettre ajoute à l'occasion de 
cette fête : « cecy répara le rabais et mortification que nous avions resenti de ses 
rédications esquelles il était demeuré court jusqu'à trois fois pendant l’Advent. » 

(2) Les jeunes gens de bonne famille. 


630 AMBASSADEURS DE FRANCE ET CAPUCINS FRANÇAIS 


Le R. P. Supérieur des Jésuites et trois aultres PP. du mesme ordre, 
les deux P. P. Dominicains, le P. Antoine Marie Conventüel, le 
P. Jean commissaire de Terre-Sainte, le Prêtre chappelain du Baigne 
y ont assisté. Le P. Pierre-François de Paris a faict le Curé, le 
P. Bernard d'Abbeville et F. Pierre de Chasteau-Thierry l'ont accom- 
pagné ; Fr. Humble et moy estant restés à la maison incommodés, 
Les messes se sont distes en présence du corps au nombre de quatre. 
Mr le Résident s'est trouvé à la dernière. Deux janissaires ont accom- 
pagné le convoy autant honorable qu'il se pouvait et a duré depuis 
onze heures jusqu’après midy. Le P. Supérieur des Jésuites cheminait 
après le P. Bernard sans avoir prétendu rang de Pro-Vicario qui luy 
eust peut-estre esté disputé. Les cierges donnés aux PP. nous ont été 
rendus. Nos PP. avaient pensé joncher le corps de fleurs, mais on 
leur a dist que cela serait trouvé mauvais et ne se faisait ici que de 
rosmarin au plus. Son enterrement a esté si honorable que ceux du 
pays qui y ont assisté avec grand concours et dévotion disent n’en 
avoir Jamais veu de semblable à aucun religieux de quel ordre et di- 
gnité qu'il füst. Mr le Résident a payé et donné toute la despense. » 

Dans cette description des funérailles du P. Jacques, on aura remar- 
qué ce que dit le P. Thomas du P. Supérieur des Jésuites qualifié de 
Pro-Vicario. En eftet Mgr le Vicaire patriarcal se rendant à Smyrne 
avait distribué les charges et fonctions spirituelles d’une façon peu 
banale. La cause en était dans la diminution du nombre des religieux 
depuis l'incendie. C'était quinze jours seulement avant la mort du 
P. Jacques, Mr le Résident avait reçu du prélat les pièces authentiques 
de ces attributions. Le Curé de Sainte-Marie, le P.Joseph, observantin, 
était privé de la Cure et de tout ministère pour des motifs politiques et 
autres ; Mr Roboly était prié de le faire embarquer au plus tôt pour 
Palerme, ce qui d'ailleurs eut lieu. Cette cure était remise entre les 
mains du P. Commissaire de Jérusalem. En l'absence de P. Conven- 
tuel, un Capucin, le P. Thomas ou autre devait administrer la Cure 
de Saint-François. Enfin en attendant le retour du P. Mansueto, con- 
ventuel retenu à Andrinople près du Résident de Venise, le P. de 
Sainte-Geneviève, supérieur des Jésuites détiendrait le pro-vicariat. 
Celui-ci venant montrer ses pouvoirs au P. Thomas lui déclara avoir 
été choisi comme « plus portatif » ! 

Ceci explique pourquoi en divers actes de nos registres se trouve des 
remarques de ce genre : le P. Pierre « a fait le curé». En conséquence 
le P. Thomas et ses confrères administraient librement les sacrements 
malgré quelques réclamations des Dominicains et Observants l'appe- 
lant le « curé mal faict ». Le P. Supérieur des Jésuites avait prié les 


A CONSTANTINOPLE AU XVIIe SIÈCLE 631 


Capucins de faire dans la chapelle de Péra les enterrements et services 
d’Obit; le P. Thomas répondit « que Mr l’Évesque n'a pas dist que 
nostre chappelle fust cure mais seulement que nous fissions les actes 
parrochiaux en vertu de nos facultés. » Il ne voulait pas introduire des 
cérémoniesqui auraient troublé le service de l’école etgêné les habitants 
du palais de France. Le P. Pierre est ainsi marqué faisant le curé au 
baptême du jeune Gentil fils d’un médecin-chirurgien français. 

Nous avons insisté sur ce point parce que dans certaines archives 
d’autres religieux cette nomination des Capucins comme curés provi- 
soires aussi bien que l’administration pro-vicariale du P. Thomas citée 
dans un chapitre précédent ont été soigneusement omises. Des pièces 
officielles demeurées dans nos archives en établissent la vérité. 


(A suivre) P. BRUNO. 


A PROPOS 
DE LA POLITIQUE RELIGIEUSE 


DE CH. MAURRAS. 
(Suite). (1) 


V 


Cette vue de Maurras, que l'Église catholique mérite d’être 
privilégiée et par conséquent doit l'être partout, vue purement 
basée pour lui sur l’histoire, mais qui répond si exactement à la 
note de catholicité que tous les théologiens constatent dans 
l'Église, et mieux encore, si c’est possible, à la volonté manifeste 
de Notre Seigneur Jésus-Christ de sauver tous les hommes par 
la prédication universelle de l'Évangile; cette vue, si profonde 
parce qu’elle est si vraie, ne pouvait manquer d'imposer à 
l'esprit logique de Maurras, au moins ses principales consé- 
quences. C’est ce qui est arrivé. 

La première de ces conséquences a été de lui montrer combien 
funestes et odieux, sont nécessairement tous les particula- 
rismes. J'entends par là tout ce qui a ou tend à prendre aspect 
d’ Église nationale. [1 ne marque cela qu’à l'égard du gallicanis- 
me et il se devait de le faire expressément sur ce point, autre- 
ment son amour pour la tradition nationale l’eût fait accuser de 
vouloir ressusciter cette erreur, qui est loin cependant d’être une 
tradition nationale! Ce n’est qu’une folie, née dans un temps de 
troubles, et qu’on galvanisait à chaque mauvaise époque, pour 
tâcher d'en tirer parti contre l’ordre et la vérité. Mais, encore 


(1) Cf. Études franciscaines, Mai 1913. 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 633 


que Maurras se borne à parler du gallicanisme, il est facile, par 
l'éloignement qu'il exprime, de comprendre tout le mépris et 
toute l'horreur qu’il doit éprouver à l’égard du Joséphisme et 
plus encore de l’orgueilleux et vain Germania docet. Pour lui, 
les Germains, en général, sont encore des tudesques qui ont 
du chemin à parcourir avant d'arriver à la civilisation. Leurs 
prétentions ne les en dispensent pas, au contraire. 

Il ne dit pas non plus, et je ne sais s’il a remarqué, que la 
France, la plus catholique des nations par tempérament et par 
sa vocation apostolique, a été la moins atteinte de toutes par ce 
fléau infernal du particularisme, qui n’en a épargné aucune. Il 
a vu sans doute, dans le retour à la barbarie. de tout l'Orient, 
une conséquence de ce fléau; mais, s’est-il rendu compte que la 
déchéance en décadence actuelle et si prolongée de l'Espagne, 
n’a pas d’autre cause. Philippe IT n'aurait pas admis qu'un 
homme qui n’était pas sujet du roi d’Espagne, fût capable d'être 
Carme déchaussé ou d’adopter la réforme de saint Pierre 
d’Alcantara; il n’eut point souffert qu’un religieux, son sujet, 
pensât à porter son zèle apostolique ailleurs que sur les terres du 
roi d'Espagne. Cependant vers la fin de son livre, Maurras dit 
une parole qui révèle son sentiment à l'égard des Églises et des 
clergés vraiment nationaux, c’est-à-dire schismatiques. 

Maurras a trouvé un mot très heureux, lapidaire même, pour 
nous dire l’état d’esprit destructeur et même mortel dans lequel 
tombe nécessairement un clergé schismatique ou national : Dès 
qu'il se détourne de Rome, dit-il, il marche vers Jérusalem. 

Et cela veut dire: dès qu'il n'admet plus l’autorité vivante, 
infaillible du juge de la foi, il faut qu'il cherche son point 
d’appui dans le texte mort du livre. Aussitôt, par ses soins, le 
sens du livre s’obscurcit, chacun l’attirant à son sentiment 
personnel, toujours opposé ou au moins différent de celui de 
son voisin, et personne ne juge entre le voisin et lui : discorde, 
désordre, préférence du sens qui s'appuie sur une vaine science, 
division, puis à la longue, mort de la foi religieuse elle-même. 
De tout cela, les rabbins avaient donné l’exemple ; les traditions 
humaines et pharisaïques s'étaient, par leurs soins, substituées 
à l’enseignement de Moïse et des prophètes. Les modernes les 
imitèrent avec plus de pédanterie sans doute et de suffisance, 
avec moins de subtilité aussi, de crainte de Dieu et d'autorité, 
avec le même résultat enfin, qui est la mort, après quelque 
temps, de tout esprit chrétien dans le scepticisme rationaliste. 


634 . À PROPOS DE LA 


C'est qu'en effet ce ne sont pas les Écritures qui ont fait 
l'Église vivante, mais, c est d'elle que les Écritures sont nées et 

ont reçu leur autorité. L'Église donc, c’est-à-dire le Pape est 
juge du sens véritable des Écritures, nullement l'inspiration 
personnelle, ni la vaine science. 

J'ai grand regret de n'avoir rencontré nulle part, au moins 
assez explicitement, une pensée qui seule, cependant, donne 
une idée de ce qu'est réellement le Pape. Cette observation la 
voici : Notre Seigneur pour fonder l’Église a fait exactement ce 
qu'il fait pour créer un homme. Il crée directement l'âme 
humaine et il laisse tout le reste à faire pour cette âme selon les 
lois qu’il a lui-même établies et qu'on appelle les lois de la 
nature. Quand il a voulu fonder l'Eglise il n’a également créé 
que le Pape et il lui a laissé le soin de faire tout le reste, selon 
les lois naturelles et surnaturelles que lui seul a également 
établies. 

Remarquez bien en effet, que malgré tous les dons surna- 
turels, les préceptes et les conseils dont 1l a enrichi les Apôtres 
et les Disciples, il n’a fixé dans la hiérarchie aucune place 
distincte pour aucun. Mais à Pierre, il dit d’abord : « Sur cette 
pierre, sur elle seule, je bâtirai mon Église ». C'est pour Pierre 
seul qu’il prie afin que sa foi ne défaille jamais, lorsque Satan a 
demandé à cribler, comme du froment, tout le collège aposto- 
lique. Enfin c’est à Pierre seul qu'il dit : « Pais mes agneaux. 
Pais mes brebis.» Par conséquent, il lui donne une égale autorité 
et sur les brebis qui étaient alors les Apôtres et sur les agneaux 
qui, à ce moment, étaient les disciples. Üne seule objection 
pourrait être faite contre cette théorie évidente, c’est le texte : 
« Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie — et — 
qui vous écoute, c’est moi-même qu'il écoute. » Mais, il est aisé 
de faire, au moins, trois réponses péremptoires à cette objection 
et voici la quatrième. Personne dans l'antiquité ne pensa jamais 
que Jérusalem, quoique gouvernée par saint J acques le Mineur, 
fût une église patriarchale, ni Éphèse, s’il est vrai que saint Jean 
mourut à Éphèse où il vécut certainement très longtemps. Tout 
le monde, au contraire, je parle de la plus haute antiquité 
chrétienne, reconnut ce titre à Antioche, parce que saint Pierre 
l'avait gouvernée quelque temps, et aussi à Rome, parce que 
saint Pierre y vécut longtemps et ÿ mourut. Enfin, à Alexandrie, 
parce que saint Pierre y avait envoyé saint Marc non pas 
seulement comme son disciple; mais, à titre de son délégué. 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 635 


Et, admirez la magnifique conscience que saint Pierre avait 
de la primauté universelle que Notre Seigneur lui avait confiée 
et dont il l’avait investi, en le faisant son vicaire; il prend pour 
lui les trois métropoles du monde antique et de l’antique civili- 
sation : Rome, Alexandrie, Antioche. 

Non moins dangereuses pour la civilisation et déplorables, 
sont les petites Églises qui s'élèvent dans la grande au nom d’un 
homme qui n’est ni le pape, ni le délégué du pape; d’un homme 
que Dieu n'a pas envoyé, mais qui s’envoie lui-même et qui 
trouve dans les qualités et dans les vertus qu'il se reconnaît, la 
raison de sa mission, ou bien celles qui se créent au nom 
d'idées et de méthodes nées en pays protestants et importées en 
terres catholiques par snobisme puéril et vain. Outre que tout 
particularisme s'oppose par définition à ce qui est universel ou 
catholique, chacune de ces oppositions se donne toujours à elle- 
même, pour raison d’être et de durer la persuasion où elle est 
d'avoir plus de vertu, d'intelligence ou de science que l’Église 
catholique; moyennant quoi, on ne tarde pas à s’égarer. Eux 
seuls ne le voient pas, ce qui est le fait du fanatisme. 

Je ne crois pas que les modernistes et les sillonistes pardon- 
nent jamais à Maurras, de leur avoir montré qu'il connaissait 
leur religion et aussi leur erreur mieux qu’eux-mêmes, et de les 
avoir avertis, plusieurs années à l’avance, qu'ils seraient con- 
damnés par le Saint-Siège. Il est vrai que Maurras n'a pas été 
seul à leur prodiguer cet inutile avertissement. 

L'abbé Barbier et d’autres encore, en avaient fait autant, 
avec pareil insuccès. Il ne fallait pas plus écouter les chasseurs 
d'hérésies ou de vipères, que les mécréants; qu'importe qu'ils 
eussent raison, et, qu'importe la raison même, à certaines gens. 

À ce propos, j'aurais été curieux de savoir ce qu'aurait dit 
Maurras de certaines tendances que j'aperçois avec chagrin chez 
les meilleurs esprits du xviI* siècle. — Je veux parler de cet appel 
fatigant, parce qu'il est incessant, à l’antiquité, aux anciennes 
mœurs, aux anciens canons, comme si l'Église avait eu depuis 
les temps anciens, quelque défaillance dont elle ne se serait 
jamais relevée et qu'on ne saurait assez déplorer. Je suppose 
qu’il aurait considéré cette manie, comme une infiltration du 
protestantisme dans ces excellents esprits et qu'il en aurait 
seulement souri. Il est si difficile pour les meilleurs et les plus 
intelligents de ne pas se laisser prendre quelque peu aux idées 
courantes de leur temps. Mais vraiment, se cantonner dans les 


636 . À PROPOS DE LA 


quatre articles de 1682, n’est assurément pas le moyen d’avoir 
une idée plus juste et plus vraie de l’Église, toujours vivante, 
toujours capable de répondre aux exigences de toutes les épo- 
ques et de tous les pays. 

A l'encontre, une intelligence droite et ferme, qui s’est établie 
ainsi que dans une forteresse inexpugnable, sur ce principe que 
l'Eglise catholique mérite d’être partout privilégiée, est toujours 
une intelligence supérieure, qui, selon le général Bomnal, touche 
parfois au génie, et qui selon moi, serait un génie, en effet, si elle 
s’achevait dans la lumière de la foi; une telle intelligence com- 
prendra a priori,que si l’ Église catholique publie un Syilabus, ce 
Syllabus est digne d’être et mérite, comme elle, d’être privilégié 
par l'intelligence, c’est-à-dire étudié avec amour, confiance et 
même, avec passion. Si cette intelligence s'applique à l’étudier, 
elle ne tardera pas à voir que ce Syilabus est une merveille 
de sagesse éternelle, venue opportunément visiter l’époque 
qui a besoin d’elle et de lui. Pour ne pas affliger ses amis catho- 
liques ni réjouir les libéraux, il ne dira pas — tout en le disant 
— que le Syilabus est le chef-d'œuvre de la raison humaine. 

Lisez, relisez même ce chapitre. Il vous sera difficile de penser 
que des vérités aussi claires, aussi évidentes et dont Maurras se 
plaît à démontrer l’évidente justesse aient pu, au moment où le 
Syllabus fut publié, exciter l'émotion violente et hostile que cet 
admirable document, chef-d'œuvre de la raison divine, excita 
partout et surtout en France, qui donnait alors le ton au mon- 
de. Ce fut une vraie frénésie. Ceux qui, comme moi, ont vu cet 
emportement d’impiété et de mauvaise foi, n’ont pu l'oublier. 
A leur habitude, les catholiques libéraux et les conservateurs, 
c'est-à-dire ceux qui aiment à dormir tranquilles et ceux que le 
virus de 89 a intoxiqués, en avaient honte, — cela dure encore 
— pour l'Eglise et pour le Pape. Ils déploraient — comme 
l’a fait depuis Monsieur Aynard à propos du rejet des cul- 
tuelles — que le Pape se fût livré à un tel acte de provocation 
envers le monde moderne. Il en est qui en rougissent encore, 
du moins en public et dans les assemblées politiques. 

Quant aux autres, ils écumaient et avaient perdu, avec toute 
retenue, toute apparence de bon sens, de raison, de logique. Un 
exemple entre cent. Une des propositions condamnées était 
celle-ci : « Le suftrage universel est la seule source du droit. » 
On sait que la contradictoire d’une proposition condamnée est 
seule tenue pour vraie, donc, pour tout homme de bon sens 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 637 


celle-ci ne signifie pas que le suffrage universel n’est ou ne peut 
pas être une source de droit, mais seulement qu'il n’en est pas 
l'unique source, qu'il y en a d’autres; par exemple le travail, 
la conquête légitime, l’hérédité, etc. ce qui n'empêche nullement 
le suffrage universel d’être, lui aussi, une source de droit, à 
l’occasion. Le Pape avec la raison et les faits, ne voulait pas 
qu'il fût l'unique; et c’est tout. « ZL’Opinion Nationale », le 
« Siècle », le chœur des journaux reptiliens criaient à tue-tête : 
« Le Pape déclare la guerre au suffrage universel, par conséquent 
à l'Empire qui en est issu, à l’Empire qui fait garder le Pape 
à Rome. Oh !ingratitude ! Oh! folie!» Et l’on partait de là pour 
sommer l’Église de se réconcilier avec la société moderne, qui 
elle, évidemment, n'avait aucun besoin de se réconcilier avec 
l'Eglise et raoins encore de lui obéir. 

Quand on est loin de ces débauches de déraison, on s’étonne 
qu'elles aient pu se produire.Et cependant!.....cela dure toujours 
et recommence de plus belle dès que l’Église se permet de 
défendre l’humanité contre sa propre folie. Seulement, pour 
varier, aujourd’hui ce n’est plus la France c’est l'Allemagne qui 
prend soin de corriger et d’instruire le Vicaire de Jésus-Christ 
et le Saint-Esprit avec lui. Pourtant, avant la publication du 
Syllabus, avec sa prudence ordinaire et maternelle, l’Église avait 
cherché à préparer les esprits à l’acte nécessaire qu'elle allait 
accomplir. En France, Monseigneur Gerbet, évêque de Perpi- 
gnan, avait publié un mandement très remarquable, portant 
condamnation des principales erreurs du temps présent. En 
Italie, le futur Léon XIII, alors cardinal-archevêque de Pé- 
rouse, avait dès 1849, d'accord je crois, avec ses suffragants, 
fait un acte public analogue ; je ne sais quelle en fut l'influence 
sur l'opinion publique italienne. En ce qui concerne la France, 
Monseigneur Gerbet disait des choses trop élevées, dans une 
langue trop pure, pour être compris du grand nombre. Monsei- 
gneur Pie, vers la même époque, publiait sa troisième synodale. 
Mais elle eut le même sort que le mandement de Monseigneur 
Gerbet, pour les mêmes raisons. Après la publication de l’Ency- 
clique (8 décembre 1864) je n'ai pas souvenir qu'aucun acte 
retentissant fut opposé par les catholiques à la déraison univer- 
selle. S'il y en eut, ils eurent le sort du mandement de l’évêque de 
Perpignan. Seul, Monseigneur Dupanloup publia une brochure; 
mais elle réfutait les insanités débitées par la presse, plutôt 
qu’ellenejustifiait le Syllabus. Le Pape le félicita, lui demandant 


638 A PROPOS DE LA 


de faire aussi ce qu’il n'avait pas fait encore et qui ne s'est fait, 
du moins complètement que cinquante ans après, par les soins 
de Maurras. Alors, d’un seul coup, le temps perdu a été 
rattrapé. 

Cette étude du Sy!llabus qu'il faut absolument lire en entier, 
est le coup le plus fort et le plus efficace que Maurras ait porté au 
libéralisme, le coup qui le jette, pour toujours, pantelant et 
ridicule au pied du trône pontifical. 

Celui qui gouverne l'Eglise ne se contente pas de lui suggérer 
toute la vérité, il la lui fait dire au moment opportun. 

Jamais la France et le monde ne furent en proie au libéra- 
lisme autant que dans la période qui va de la guerre d'Italie à 
celle de 70. On pourrait rééditer le mot de saint Jérôme — et le 
monde gémissant s’étonna d’être devenu libéral à ce moment, 
comme d’être arien après le concile de Rimini. Tout était au 
libéralisme; les uns par attache aux faux dogmes de 89, les 
autres par une secrète tendresse pour l’unité italienne. Monsieur 
de Mun nous a révélé dernièrement, que bien des catholiques 
alors, dans le secret de leur oratoire, priaient pour le triomphe 
de l'unité italienne, sans se douter, je pense, qu'ils priaient pour 
la défaite de l'Eglise, de la civilisation, de la France. 

Les royalistes, à la suite de Berryer et du comte de Falloux, 
les orléanistes, avec Thiers, Guizot et autres, les bonapartistes, 
avec leur gouvernement qui ne cessait de se réclamer de la révo- 
lution et de travailler à l’unité de l’Italie, tout ce qui tenait salon 
ou se piquait de penser, était libéral. Quant aux masses, le 
« Siècle » et « l'Opinion Nationale » d’abord, et tous les autres 
journaux après, leur disaient ce qu’il fallait penser. La folie était 
universelle. Pascal, naïf comme un homme de génie qu'il était, 
a écrit que l'opinion est reine du monde. Il ne se doutait pas 
qu'un seul homme, un Cavour ou un Bismarck, serait maître de 
l'opinion pourvu qu'il ait peu de conscience et des décorations 
à distribuer. 

Seuls, au nom de l’Église, Louis Veuillot et quelques évêques 
luttaient contre le courant, sans se faire illusion sur le succès 
qui les attendait. 

Hors de l'Église et pour la France, deux hommes seulement, 
Drouyn de Lhuys, dans les conseils du gouvernement, et seul 
dans la presse, semblable à un titan, Prudhom. 

Au-dessus des combattants, calmes dans la possession de la 
vérité et le droit de l’autorité, deux hommes encore dominaient 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 639 


tout de leur majesté : le Pape et le roi de France, les deux seuls 
hommes qui importent à tout l’univers, alors : Pie IX et 
Henry V. 

Il y a longtemps que je le pense, et il faut que je me donne la 
consolation de le dire une fois. Il n’y a jamais que deux 
questions qui intéressent tous les hommes, sans exception; qui 
gouverne l'Église et qui gouverne la France? qui est le Pape et 
qui est le roi de France? qui est le successeur de saint Pierre et 
qui dirige le peuple ? qui a succédé à saint Paul dans la mission 
d’instruire les nations ? 


VI 


Le chapitre consacré par Maurras au pape Léon XIII, au 
lendemain de la mort de ce pontife, m'a fait passer par toute une 
gamme d'idées et de sentiments tellement variés, qu’il me semble 
bon de les noter dans leur ordre; pourtant qu'on ne s’attende 
pas à me voir suivre l’ordre du livre qui me les a inspirés. 

Le premier sentiment a été une admiration sans réserve. Je 
trouvais vraiment beau qu’un homme qui ne cesse de nous 
rappeler qu’il est hors de l’Église et qui, d’autre part, au moins 
comme royaliste, aurait pu garder quelque rancune à Léon XIII 
de la politique du ralliement, ait su au contraire, d’un bout à 
l’autre de son article, rendre à la politique de ce grand pape 
l'hommage d’une admiration entière et motivée. Lui, si anti- 
libéral, ne voit que les grands et beaux résultats de sa politique 
mondiale; et, sur le point même auquel il ne croit pouvoir 
adhérer, ni comme royaliste ni comme français, il trouve le 
moyen de tout excuser. La politique de Léon XIII a été 
toujours et partout exactement la même, et a consisté notamment 
dans le dessein d'attirer à lui tous les cabinets de l’Europe et du 
monde catholique, sans paraître tenir compte du sentiment de la 
masse des croyants! Il ne peut pas en être autrement. La raison 
de l'opposition rencontrée par Pie IX, à Pérouse, avait unique- 
ment pour cause la politique contraire du Pape de l’Immaculée- 
Conception, du Sy'labus et du concile qui proclama l’infaillibi- 
lité. C’est là‘un fait certain. Quand Pie IX mourut, tous les 
cabinets de l’Europe lui étaient hostiles, et, plus que tous les 
autres, l’Empire français qui venait de tomber et l’Empire 
allemand qui venait de naître. Nous français, nous ne devrions 
pas oublier ce dernier point : ce fut par affection pour la fille 


640 A PROPOS DE LA 


aînée de l'Église, qu'après avoir été seul entre tous les souverains 
à demander inutilement, au roi de Prusse, le ravitaillement de 
Paris assiégé, 1l fut seul également à ne pas se hâter d'envoyer 
son hommage au pape luthérien, devenu empereur. Cette poli- 
tique de Pie 1X qui regardait plutôt du côté du ciel que du côté 
des puissances terrestres, était si évidente que lui-même en riait 
parfois. Après avoir, un jour, dans un discours public, pris à 
partie la Russie schismatique et persécutrice, il s’asseyait et disait 
tranquillement, tout en prenant une prise de tabac : « À présent 
Giacomo (cardinal Antonelli) arrangera cela comme il pourra. » 
Cette politique de Pie IX et les actes pontificaux qui l'ont 
accompagnée, avait excité, parmi les peuples catholiques, un 
enthousiasme dont il est impossible, aujourd’hui, de se faire 
une idée. Heureux ceux qui, comme moi, ont vécu les journées 
inoubliables du centenaire de saint Pierre et de saint Paul; ceux- 
là ont vu et éprouvé ce qu'est l'enthousiasme, l'admiration, la 
vénération pour la personne du Vicaire de Jésus-Christ. Nous 
étions, au moins, dix mille prêtres français à Rome, courant 
partout où allait Pie IX, et partout l’acclamant. Il nous semblait 
avoir payé peu cher le bonheur de le voir, par les fatigues d’un 
voyage fait, pour le plus grand nombre, sur un misérable 
paquebot qui servait d'ordinaire à transporter autre chose que 
des humains. Chaque soir, sur notre aftreux bateau, cinq ou six 
d’entre nous prêchaient en autant de langues différentes le 
Pape roi, le Pape infaillible, le grand et saint Pie IX. Nous 
étions assez récompensés si nous avions le bonheur de le voir en 
audience publique et de lui baiser la main. 

Cet enthousiasme pour la papauté, que la définition de 
l'infaillibilité amena au plus haut point de perfection en même 
temps que de raison d’être, est surtout ce qui a permis à 
Léon XIII d’inaugurer et de poursuivre, pendant vingt-cinq 
ans, sans détriment pour l'institution sainte qu'il incarnait, une 
politique exactement opposée à celle de Pie IX. J'étais à Rome 
lorsqu'il en posa le premier acte : sa lettre aux évêques belges. 

Vers la même époque, parut la protestation de Léon XIII 
contre J’usurpation, par le gouvernement italien, des Etats 
pontificaux. Cet acte était attendu, non sans inquiétude, par la 
meilleure partie de la Rome papale. Il donna pleine satisfac- 
tion. C’est avec le seul cabinet italien et sur ce point seulement, 
que l'attitude de Léon XIII a été constamment intransigeante. 
Mais, qui pourra expliquer pourquoi l’intransigeance de Pie IX, 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS Ga 


sur ce point, fut si odieuse aux partisans de l’unité italienne, et 
devint, à la mort de ce saint pontife, l’occasion de tant d’actes 
ämpies, tandis que la même politique, suivie par Léon XIII ne 
l’a rendu odieux à personne. 

Partout ailleurs qu’à Rome même, la politique de Léon XIII 
me paraît être toujours la même et les résultats à peu près 
toujours égaux. Elle a consisté en ceci : rendre aux gouverne- 
ments des services réels, et recevoir comme en échange, des 
visites de souverains ou le droit d'envoyer des nonces ou des 
légats. Les rapports entre les puissances et le Saint-Siège sont 
devenus singulièrement plus faciles. C'est à l’Allemagne, 
surtout, que le pape rendit d’éminents services, soit en 
défendant aux nombreux abbés devenus journalistes, de conti- 
nuer leurs publications nettement hostiles au gouvernement 
luthérien, soit en obligeant le Centre catholique à voter le 
septennat comme le voulait Bismarck; enfin, en acceptant de 
prononcer le jugement, à l’occasion des îles Mariannes, entre 
l’Allemagne et l'Espagne. 

En Angleterre, au Canada, aux États-Unis, à l’occasion du 
rapt des Philippines, l'action des nonces ou des envoyés ponti- 
ficaux eut toujours pour résultat de seconder les désirs des 
cabinets et de leur donner le succès qu'ils poursuivaient. 

Je me demande si Maurras s’est rendu compte de tous ces faits, 
comment il s'en est rendu compte à l’égard de la France? Je 
comprends très bien, que la beauté des résultats obtenus dans 
l'ensemble, par l'emploi de l'autorité en faveur de l'autorité, ait 
séduit un homme qui aime l'autorité et l'ait par conséquent 
empêché de voir l’unité de la politique pontificale partout, en 
France aussi bien qu'ailleurs; plus qu'ailleurs, peut-être, car il 
semble difficile que Léon XIII ait fait pour un autre gouver- 
nement la moitié de ce qu’il a fait pour le gouvernement de la 
République française. 

Maurras a très bien vu et signalé le trouble des consciences 
provoqué par le ralliement; mais il ne dit pas assez, pour en 
carter de Léon XIII la responsabilité. C'était, non à Léon XIII, 
mais aux exagérations d’une partie de la presse française, à 
l'activité bruyante de quelques abbés démocrates ou républi- 
cains, dont plusieurs ont, hélas! si mal tourné, et surtout au 
cynisme du gouvernement et de ses employés, qui faisaient un 
abus, un trafic infâme du nom de Léon XIII et de sa politique, 
qu'est dù, principalement, le désordre et le trouble de beaucoup 


E. F.— XXIX. — 41 


642 A PROPOS DE LA 


de consciences signalé par Maurras. Ce qui m'étonne de sa part, 
c'est qu'il n'ait pas insisté davantage sur ce qui peut justifier 
les directions pontificales, même à ses yeux. Pour quelqu'un 
d’étranger à la France, rien n’était plus simple que cette pensée : 
les royalistes de Versailles ayant tous les atouts dans la main ont 
perdu la partie contre les républicains qui, eux, n’avaient que 
des chances contraires. Maintenant, comment ces mêmes rova- 
listes, pourraient-ils réussir lorsque ce sont les républicains qui, 
avec le pouvoir, ont désormais tous les atouts dans leur jeu. De 
ceraisonnement 1l ne pouvait que conclure:« Donc la république 
estétablie pourtoujoursen France ou au moins pour un tempstrès 
long. Ce pays étant en majorité catholique, il sera possible avec 
de la sagesse, de la concession opportune, du temps et de la 
patience, d'établir en France une république chrétienne. En 
d’autres termes : tirons de la situation présente le plus de bien 
possible pour l'Église et pour les âmes; empêchons le plus de 
mal que nous pourrons et soutenons Les institutions, afin de 
pouvoir, à leur ombre même, changer l'esprit qui les anime. » 

Il est certain que Bismark avait établi en France la république, 
et par Gambetta l’anti-cléricalisme, en vue de perdre la France, 
de la livrer aux divisions de toutes sortes, pour amener la fin de 
la fille aînée de l’Église, et que Léon XII] n'eut jamais l’inten- 
tion de le seconder et qu’il crut toujours servir l’Eglise et la 
France, dont les intérêts sont toujours, en effet, parfaitement 
d'accord. 

Je crois que les catholiques ne se rendent pas suffisamment 
compte de la situation que le monde moderne a faite au Vicaire 
de Jésus-Christ. S'ils la comprenaient, rien n’égalerait leur véné- 
ration pour le Pape et leur admiration pour la manière dont il 
remplit la charge que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a confiée. 
Pour ma part, je ne connais rien de plus émouvant, de plus 
beau, de plus divin. Voyez en effet! qui le soutient sur la terre? 
qui, au contraire, ne le combat, ne le trahit. Pour l’entourer de 
leur chaude sympathie et de leur prière constante, quelques vieux 
prêtres cachés dans le sanctuaire,quelques religieux ou religieuses 
oubliés dans le cloître, quelques pauvres vieilles femmes qui ont 
toujours le chapelet en main : c’est tout, car la masse des fidèles 
ne comprend pas le Vicaire de Jésus-Christ. Cependant, par un 
instinct secret du Saint-Esprit,elle se détourne de quiconque se 
détourne de Pierre. Loisy l’a bien vu; d’autres le sentent et se 
tiennent pour avertis. Voilà, humainement, toute la force du Pape. 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 643 


Maintenant, si vous pouvez, comptez ses ennemis. 

Vous verrez d’abord contre ce vieillard désarmé et sans res- 
sources, les trois plus puissants souverains du monde, qui se 
croient ses égaux et papes comme lui. Cependant, ce n'est 
ni aux Romanoff, ni aux Hohenzollern, ni aux successeurs 
d'Henri VIII que Jésus-Christ a dit : « Tu es Pierre et sur cette 
pierre je bâtirai mon Église, c’est à toi que je donne les clefs du 
royaume des cieux. » Ceux-là, ouvertement ou d’une manière 
sournoise persécutent les fidèles et favorisent tout ce qui est 
contre l'Église romaine, et ils ne sont pas les plus redoutables. 
Les rois des nations catholiques, l'Autriche seule exceptée, font 
au Père commun une guerre encore plus cruelle; les peuples, 
qu'une presse enfiévrée enivre d'erreurs et de mensonges, se 
montrent, de plus en plus, ennemis de l'Eglise et du Pape. Et 
par dessus tous, dans leur orgeuil, quelques savants modernistes 
se glorifient de leur sagesse qu'ils croient bien supérieure à la 
sagesse de celui à qui Jésus-Christ a dit : « J'ai prié pour toi; 
confirme tes frères. » Si, par hasard, il se trouve un chef catho- 
lique prêt à vouer au Pape une obéissance absolue, la franc- 
maçonnerie le tue aussitôt. C’est ainsi qu’elle a su enjuiver et 
maçonniser à peu près tous ceux qui gouvernent la terre. 

Ils n’envient pas le sort de Garcia-Moreno. C’est donc, contre 
le Vicaire de Jésus-Christ, d’un bout du monde à l’autre un 
souffle de révolte. Presque tous semblent répéter la parole 
antique : « Délivrons-nous de leurs liens et loin de nous, 
rejetons leur joug » — pourtant suave et léger, car c’est le joug 
du Christ. 

Je ne rappellerai pas une phrase, plus que malheureuse d’un 
journaliste, contre le pape Léon XIII, me contentant de 
répondre : « Ni Léon XIII, ni aucun pape n'a jamais sacrifié, 
pour aucune raison, la moindre parcelle du dépôt sacré que 
Jésus-Christ confia à Pierre et que le dernier Pape rendra à 
Jésus-Christ intact, après que la chaîne des pontifes qui sépare 
le premier du second Pierre, aura constamment donné à tout le 
peuple chrétien une intelligence toujours plus claire et plus 
complète de ce dépôt divin, si fidèlement gardé. La malheureuse 
phrase à laquelle je fais allusion est peu de chose encore à côté 
de ce qui a été rapporté et attesté par le Père de Pascal. — Je 
pourrais peut-être nommer ce zélé des directions de Léon XIII 
dont voici les tristes paroles : « Nous lui avons fait avaler 
(au Pape) le mot (démocratie), nous lui ferons avaler la chose. » 


644 A PROPOS DE LA 


Celui-là dispensait le Saint-Esprit d'assister le Vicaire de Jésus- 
Christ, et se trouvait capable de remplacer avantageusement son 
influence divine sur le successeur de Pierre. Oh ! que l’obéissance 
d'esprit et de cœur est rare et que souvent, quand nous préten- 
dons obéir au Pape, c'est à nos propres idées, à nos préjugés, à 
nos passions que nous obéissons. 

Attaqué et circonvenu de tous côtés le Pape n’a pas toujours, 
ni de tous, la respectueuse sincérité dont il a besoin et cette 
fidélité prompte au dévouement désintéressé qui lui serait si 
utile! C’est dans cette situation qu'il doit défendre le trésor divin 
que le Seigneur lui a confié, la charte du salut pour tout le 
genre humain. Et il y réussit. Ce trône qui tient si peu de place 
et qui semble si fragile, est cependant un roc inébranlable, et le 
vieillard contre lequel les grands et les puissants lèvent la main, 
les yeux au ciel, dit avec une foi invincible : « Vous êtes le Christ, 
fils du Dieu vivant! » Les portes de l’enfer conjurées n’ont 
jamais prévalu contre la confession de Pierre. Pour quiconque 
sait réfléchir, il n’y a, je le répète, rien de si grand, rien de si 
beau, rien de si divin dans le monde. ; 

Cela dure depuis vingt siècles. C’est depuis vingt siècles que 
les meilleurs répandent leur sang, avec leurs prières, pour 
l'Église romaine pour la foi du Pape infaillible et, quand il 
semble que le royaume spirituel du Vicaire de Jésus-Christ 
diminue en étendue, il gagne en profondeur, comme l’avouait 
un ennemi de l'Eglise, Hippolyte Taine. L’admiration de 
Maurras pour la papauté sera peu de chose en comparaison de 
l'amour, de la vénération, de l’enthousiasme qui soulèvera tous 
les cœurs catholiques, le jour où ils voudront comprendre la 
merveille divine qu'est l’histoire de la papauté. Car tous les flots 
révoltés se briseront toujours contre le roc qui porte la Papauté 
et contre celui qui conduit la barque de Pierre, la barque qui 
ne fait jamais naufrage. 


* 
* * 


On s’expliquerait, je crois, l'admiration de Maurras pour le 
résultat total de la politique de Léon XIIT, en se rendant compte 
de l'identité de certaines idées qui ont présidé à l’action du Pape 
etqui gouvernent la pensée de l'écrivain. Deux idées surtout leur 
sont communes : la confiance au succès de l'autorité, et la 
défiance envers l’opinion ou les mouvements d'opinion de la 


POLITIQUE RELIGIEUSE DE CH. MAURRAS 645 


multitude qui manquent de direction et n’ont pas de but pratique 
immédiat. 1] y a cependant cette différence entre eux, que 
Maurras ne fait l'honneur de sa confiance qu'aux gouvernements 
héréditaires et que Léon XIII a paru se fier, même aux gouver- 
nements élus et par conséquent, de partis. 

Mais tandis que le penseur, dans sa tour d'ivoire, peut suivre 
tranquillement la logique, émettre des conclusions, en démontrer 
la justesse, le Pape doit agir et tirer le meilleur parti possible de 
l’état de choses existant. Certainement le gouvernement hérédi- 
taire fera, dans le corps politique, la fonction d’un cerveau sain 
dans le corps de l’homme et, à la longue au moins, le dirigera 
à son gré. Cela ne saurait arriver au même degré dans un 
gouvernement de parti et d'opinions, changeant par définition. 
Néanmoins, on comprendra mieux la conduite de Léon XIII 
envers le gouvernement français, si on tient compte de ce fait 
inouï, que le gouvernement de la république aura été capable 
de gouverner, pendant un tiers de siècle, contre la nation, son 
intérêt général et sa paix intérieure, et contre le propre intérêt 
des gouvernements aussi bien que contre l’honneur de la patrie 
française qui a tout supporté. 

Mais il n'aurait pas fallu que cette admiration pour la poli- 
tique, fit oublier à Maurras le Pape des encycliques. Il ne dit pas 
un mot de ce côté, le plus glorieux pourtant du pontificat de 
Léon XIII ; à peine s’il loue la beauté de son latin; ce n’est pas 
assez. Peu de Papes ont autant de fois élevé la voix pour avertir 
les savants et les sages, les rois et les peuples, des dangers vers 
lesquels ils se précipitent. De même que tous les autres Pontifes, 
Léon XIII a été le porte-voix sûr, infaillible de la tradition et de 
la vérité catholique. Il a défendu la saine raison, protégé la 
science contre ses propres excès et ses audaces, rappelé la 
sainteté du mariage chrétien, et par là même, défendu la société, 
la civilisation et la morale. Tous, par conséquent, lui doivent 
beaucoup et l'avenir lui rendra justice. Mais, c’est peut-être dans 
la forme qu’il a donnée à ses encycliques que Léon XIII révèle 
surtout la pensée qui a dominé son pontificat. Il n’a pas voulu 
se contenter d’être le bon samaritain qui lave les plaies, applique 
le baume, ouvre l’hôtellerie au voyageur blessé ; il s’est efforcé 
d'empêcher qu’il ne tombât entre les mains des voleurs et qu'il 
ne fût blessé. Il a travaillé à prévenir le mal, pour n'être pas 
obligé de le guérir. Aimant la civilisation moderne telle que le 
temps l’a faite, sans se faire illusion, il a couru, en quelque 


646 A PROPOS DE LA POLITIQUE RELIGIEUSE 


sorte, au devant d’elle en ami clairvoyant et dévoué. Il lui a dit 
quels dangers l’attendaient sur sa route, il lui a montré une voie 
plus haute et plus sûre, libre de toute embûche; il l’a prisecomme 
par la main, pour la faire entrer dans cette voie de paix et de 
bien. S'il était permis à Maurras de ne pas voir cela lorsqu'au 
lendemain de la mort de Léon XIIT il écrivait son article, il 
aurait dù y penser et compléter cet article lorsqu'il a résolu d'en 
faire un chapitre de son livre. Il n’a pas tenu compte, non plus, 
de l'effort si long et si persévérant qu'a fait Léon XIII, pour 
rappeler les catholiques à une vie d’austérité plus grande et de 
meilleure pénitence, en les exhortant à s’enrôler sous la bannière 
du Séraphin d’Assise, à donner une plus large part à l’esprit de 
prière en s’associant au saint Rosaire, dont il établissait la réci- 
tation publique durant tout le mois d'octobre, comme un moyen 
de salut pour la société. Il m’a toujours semblé que ce grand 
Pape voyait une absolue ressemblance entre les besoins du 
temps présent et ceux qui s'étaient fait sentir dans la seconde 
moitié du x11i° siècle. Alors, l’action combinée de saint Domi- 
nique et de saint François avait donné la solution; il a espéré 
que ce remède du passé servirait efficacement au présent. Mais, 
hélas! les deux saints ne sont pas sortis de leur tombe pour 
diriger de nouveau l’action de leurs familles spirituelles. 

En cela, et en tout le reste, dans un temps de foi affaiblie et 
d'obéissance à peu près nulle, Léon XIII n'a obtenu qu'un 
demi succès. Mais sa voix retentira longtemps après sa mort, et 
le succès grandira d'année en année. Il faut du temps pour que 
le grain de froment jeté en terre, germe et donne son fruit. 
L'Église n'est-elle pas éternelle? 


(À suivre.) P. ExuPÈRE de Prats-de-Mollo. 


SERMONS FRANCISCAINS 


DU 
CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 


(1273) 
SUITE (1) 


SERMON IV 


Ce sermon a pour objet saint Antoine de Padoue. Il a déjà 
été partiellement publié par le P. Edouard d'Alençon dans les 
Analecta Ordinis Min. Cap. t. XVII (1901) p. 319-20, d’après 
un manuscrit des Archives générales des Frères Prêcheurs à 
Rome (2). Nous le publions ici en entier d’après le Ms. lat. 


(1) Cf. Études Franciscaines, Février 1913. pp. 171-195. 

(2) Le P. Édouard a publié aussi dans le même recueil des fragments de trois 
autres sermons du même orateur sur le même saint. En voici les passages les plus 
intéressants au point de vue historique : 


19 Une allusion aux études faites par S. Antoine de Padoue avant son entrée 
dans l'Ordre franciscain (loc. cit. p. 250) : 

Non enim legimus Apostolos studuisse, excepto beato Paulo, nec ab hominibus 
doctos fuisse, sed Dominus dedit eis os et sapientiam quibus non poterunt resistere 
et contradicere adversarii vestri (Luc X XI, 15) ; et hoc fecit Dominus ut crederetur 
eis et appareret quod verbum eorum non erat fabricatum ab homine sed quod Deus 
loquebatur in eis. Licet etiam Apostolus longo tempore studuisset et sedisset ad 
pedes Gamalielis, sicut ipse testatur in Actibus Apostolorum (Act. XXII, 3) tamen 
quod evangelizavit non habuit ab homine sed a Deo tantum, sicut dicit ad Galatas 
19 : Notum enim vobis facio fratres, evangelium quod evangelizatum est a me, quia 
non est secundum hominem, neque enim ego ab homine accepi illud, neque didici, 
sed per revelationem Jesu Christi (Gal. I. 11-12.) 

29 Une allusion au premier sermon de S.Antoine qui fut pour ses frères la révéla- 
tion de ses talents et pour lui-même le point de départ de son ministère apostolique 
(loc. cit. p. 251) : 

Beatus Antonius totus ardebat desiderio salutis animarum et ideo desiderabat 
proponere verbum Dei. Sciebat enim quod dicitur in psalmo : misit verbum suum et 


648 SERMONS FRANCISCAINS 


15947 de la Bibliothèque Nationale de Paris (fonds de la Sor- 
bonne). 

Il ne faut point s'attendre à trouver dans ce discours des faits 
inconnus de la vie du célèbre thaumaturge. S'il ne nous apprend 
rien de nouveau, Eudes de Châteauroux a du moins le mérite 
de mettre en relief la grandeur du renoncement accompli par 
S. Antoine lorsqu'il quitta les chanoines réguliers de Coïmbre 
pour devenir Frère Mineur. Et il le fait par toute une suite de 
remarques fines et de fortes pensées : 

Le renoncement des Apôtres fut admirable, non pas par la 
quantité des biens qu'ils abandonnèrent mais parce qu'ils répu- 
diaient même la volonté d'acquérir. 

Être riche n’est pas un péché ; c’est d'aimer la richesse qui 
est mauvais. . 

L'amour des richesses est l’obstacle qui empêche d’en tirer 
du profit puisqu'il empêche de les distribuer autour de soi. 

C’est à ceux qui lui avaient dit : « Voici que nous avons tout 
abandonné pour vous suivre », que le Sauveur a déclaré : 
« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » 

De ce nombre est S. Antoine de Padoue. I] a été le sel de 
la terre par l’exemple de son renoncement. Il a été la lumière 
du monde par son éloquence et sa doctrine. 

De même que le sel est tiré de l’amertume des eaux par la 
chaleur des rayons solaires, de même le Bienheureux Antoine a 
transformé en sel par l’ardeur de sa charité, tout ce qui, avant 
sa conversion, lui paraissait fade ou amer. C’est ainsi qu'il a 
accepté la pauvreté volontaire, les mépris, les fatigues, la faim. 
De tels exemples de patience et de courage sont le sel qui nous 
rend acceptables ces choses insipides ou répugnantes. 

Le sel ne donne pas seulement de la saveur, 1l préserve encore 
de la putréfaction, il stérilise les germes morbides. Ainsi en 
est-il de la vertu des Saints. 


sanavit eos (Ps. CVI, 2); et ideo tantus populus ad eum confluebat. Unde legitur de 
eo, quod licet longo tempore fuisset apud fratres ignotus, ad ultimum quadam occa- 
sione et inductus per obedientiam proposuit quaedam verba quae audientibus placue- 
runt, et ex hoc concepit desiderium praedicandi et proponendi singulis diebus 
quadragesimae verbum Dei. 

3° L'efficacité de ses prédications (le miracle du sermon aux poissons ?) (ibid.) : 

Sequitur : virtute multa. Hoc apparuit in beato Antonio, cujus praedicatio fuit 
magnae efficaciae etiam apud eos qui eum non intelligebant. 

4° L'amour de S. Antoine pour la solitude à la fin de sa vie (loc. cit. p. 319) : 

Hoc beatus Antonius attendens circa finem vitae suae magis cavebat a tentationi- 
bus, et ab aspectibus hominum et a familiaritatibus amplius sequestrando. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 647 


Tous les clercs et les religieux devraient être le sel de la terre. 
Hélas ! le sel s’affadit. 

Eudes de Châteauroux se lance alors dans une assez longue 
diatribe. Outre des reproches véhéments contre les clercs dont 
la vie était loin d’être édifiante et qu’il voudrait voir privés de 
leurs bénéfices ; outre une toute petite phrase qui dans sa con- 
cision terrible nous révèle que le lamentable fléau de la stérilité: 
volontaire n'était pas inconnu au moyen-âge (1), la dernière 
partie de ce sermon présente encore un autre intérêt. Elle 
s'adresse aux clercs et aux religieux qui se laissent aller aux rêve- 
ries décevantes du joachimisme. Il expose brièvement en quoi 
consiste ce système et 1l le réfute en le rapprochant des systèmes 
tout aussi faux du Talmud et de Lactance. Ce passage nous fait 
croire qu'Eudes de Châteauroux dut composer ce sermon au 
moment où il présidait la Commission d’Anagni chargée d’exa- 
miner l'Introduction à l'Évangile Éternel (1255) (2). 

Le célèbre cardinal propose, en terminant, une interprétation 
différente des textes apocalvptiques et il recommande, de ne 
s'attacher, comme S. Antoine de Padoue, qu'aux choses certai- 
nes afin de ne point s’affadir en de folles rêveries. 


[Fol. 191:] (3) DE SANCTO ANTONIO DE ORDINE FRATRUM MI- 


NORUM. 

Vos estis sal terre... vos estis lux mundi (4). Hoc dixit Domi- 
nus discipulis suis qui, omnibus relictis, eum secuti fuerant, in 
quorum nomine dixit Petrus Domino, Mat. XVIII: Ecce nos 
reliquimus omnia et secuti sumus te. (5) Ecce dixit quia mirabile 


(1) Potione efficiuntur mulieres steriles et fiunt homicidae omnium eorum quos: 
generare potuerant. 

(2) Cf. Archiv. für Litt. und. Kirchg. t. 1. pp. 49 et suiv.; René de Nantes, His- 
toire des Spirituels dans l'Ordre de S. François, Chap. VII p. 174-197. 

(3) Au bas de ce folio, en marge, on lit cette rubrique, de la même écriture que 
le texte : Sermo de Sancto Antonio de Ordine Minorum, in Pso. Dominus dabit 
verbum evangelizantibus XXIT. — Item sermo de eodem LXXXXVI°, in Ps: Æcce 
elongavi fugiens. — Item sermo de eodem LXXXXVII°, Marco XIIIo : Videte, viri- 
late et orate. — \tem sermo de eodem XXIXo, Ecc°, XXXIX : Si enim magnus 
Dominus voluerit, Isti quatuor sermones sunt in volumine quod incipit : Multi 
tyranni, sub N° 9° signati sunt. — Item sermo de eodem Ia Petri V° : Sobrii estote: 
et vigilate, etest primus sermo ipsius voluminis quod incipit : Sobrii estote et vigi- 
late. 

En réalité le deuxième et le troisième sermons se rapportent à S. Antoine Ermite 
et figurent dans le Ms. N° 156 de la Biblioteca Angelica de Rome. (Communication 
du P. Frédégand ©. M. Cap.). Les trois autres ont fait l’objet des publications du P. 
Édouard citées plus haut. 

(4) Marc. XIII, 35. 

(5) Matth. XIX, 27. 


650 SERMONS FRANCISCAINS 


<rat quod fecerant. Videtur non fuisse mirabile quia pauperes erant 
et pauca reliquerant ; sed in hoc fuit mirabile quia voluntatem 
habendi dereliquerant. Habere divicias non est malum, sed amare, et 
ideo dicit Psalm. : divicie si affluant nolite cor apponere (1); non 
dicit : nolite habere, sed dicit : nolite cor apponere, eas diligendo, 
quia ut dicitur Prov. XII Qui amat divicias fructum non capiet ex 
eis (2); ipse enim amor impedit ne, dando eas, fructum inde habeat. 
Iste etiam amor facit ut homo eas contra Deum retineat, contra Deum 
eas augeat ; sed difficile est eas habere et non amare ; quis enim habet 
unum caniculum et eum non diligat ? si eum non diligeret eum 
abiceret vel saltem de eo non curaret. Îpsa vero voluntas habendi 
amor est et magnum, est et rarum relinquere voluntatem habendi, sed 
sicut relinquuntur diviciæ non ad tempus sed ad semper, sic voluntas 
habendi debet relinqui ad semper ; et sicut proprietarius esset qui 
relicta resumeret, sic proprietarius videtur qui voluntatem habendi et 
etiam habendi majora [1912] resumit. Uxorem semel repudiatam non 
licebat iterum assumere vel ad minus indecens reputabatur et inhones- 
tum juxta illud Jere.[IIo : vulgo dicitur : si dimiserit vir uxorem suam, 
et recedens ab eo, duxerit virum alterum, numquid revertetur ad 
eam ultra ? numquid non polluta et contaminata erit mulier illa (3)% 
Viri ergo religiosi voluntati habendi libellum dederunt repudii et ideo 
eam resumere non debent. Item quod semel oblatum fuerat Deo resu- 
mere non licebat. Ipsi enim voluntatem habendi a se abdicaverunt et 
Domino tulerunt, et ideo eam resumere non debent. Sed quid dicam 
de nobis ? nec habita relinquimus, et non habita concupiscimus, et 
voluntatem habendi retinemus et eam quando possumus producimus 
in actum. 

Illis qui reliquerant omnia et secuti fuerant Dominum dicitur : 
vos estis sal terre, vos estis lux mundi. De numero istorum fuit 
beatus Antonius. Sal fuit sue sancte conversationis exemplo, lux 
doctrine spiritualis affluenti eloquio. Sal insipida reddit sapida ; 
sic exemplum vite beati Anthonii amara reddit dulcia, et aspera 
suavia. Job VIlo : numquid mugiet bos cum ante plenum presepe 
steterit ? aut poterit comedi insulsum quod non est sale conditum ? 
aut poterit aliquid gustare quod guslatum affert mortem (4). 
Anime enim esurienti etiam amara dulcia esse videntur : quϾ prius 
nolebat tangere anima mea, nunc præ angustia cibi mei sunt (5). 
Non habent causam mugiendi, id est, conquerendi qui habent quicquid 
desiderat [fol. 191*] anima eorum. Insulsa et insipida sunt opera peni- 
tentie, paupertas, similiter vilitas, despectus, opprobria subsannacio- 


(1) Ps. LXI, 14, 
(2) Eccl. V. 9. 

(3) Jer. 111, 1. 
(4) Job. VI, 5. 6. 
(5) Job. VI, 7. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 651 


nes, persecutiones et consimilia : labores, fames, inedia, nuditas ; et 
gustantes talia clamant : mors in olla (1); sed si farina apponatur, que 
idem significat quod sal, id est exemplum Christi et aliorum sanctorum 
qui tot et tanta sustinuerunt, et maxime lignum crucis, predictorum 
amaritudo in dulcedinem commutatur, vel ad minus temperatur ; 

ideo dicitur : Levitico [lo : Quicquid obtuleris sacrifici, sale condies, 

nec auferes sal federis Dei tui de sacrificio tuo. In omni oblatione 
offeres sal (2). Sacrificium offert Domino qui offert ei corpus suum, 

hostiam viventem, Deo placentem, juxta illud Apostoli ad Ro. XI : 

obsecro vos per misericordiam Dei ut offeratis corpora vestra hostiam 
vivam, sanctam, Deo placentem (3), qui scilicet mortificat membra 
sua super terram cum viciis et concupiscenciis. Sed in hac oblatione 
debet offerri sal predictum. 

Facta precedencium recolamus, et gravia non erunt que sustine- 
mus, sic Mathatias condiebat hoc sale tribulacionem filiorum suorum 
exemplo Abrahe et Joseph et aliorum antiquorum patrum : Io Mach. 
Ilo ; sic et Judas, I° Mach. IIIe : ait Judas viris qui secum erant : 
ne timueritis multitudinem eorum, impetum eorum ne formidetis. 
Mementote, qualiter salvi facti sunt patres nostri in mari rubro (4); 
et Judith VIIIo : Memores [1914] esse debetis quomodo pater vester 
Abraham temptatus est, et per multas tribulaciones temptatus, ami- 
cus Dei effectus est. Sic Ysaac, sic Jacob, sic Moyses et omnes qui 
placuerunt Deo, per multas tribulationes transierunt fideles. Illi 
autem qui temptationes non susceperunt cum timore Domini et 
impatientiam suam et improperium murmuracionis sue contra Domi- 
num protulerunt, exterminati sunt ab exterminatore et a serpen- 
tibus perierunt (5). Simile facit Apostolus dicendo ad Hebr. XI : 
Sancti per fidem (6) etc. Sed quia magis movent visa quam audita 
ideo et nostris temporibus data sunt nobis exempla sustinencie et 
tolerancie, ut beati Anthonii et aliorum quibus quasi sale deberent 
insipida condiri unde et eis dicitur : vos estis sal terre. 

Sed videtur mirabile quod sal de insipido sit et de amaro, id est de 
mari. Sed hoc fit beneficio caloris solis vel ignis. O quomodo amara 
et insipida erant beato Anthonio ante conversionem suam paupertas, 
vilitas et cetera antedicta ! Sed calore caritatis excocta facta sunt ei 
sal et ipsum fecerunt sal juxta illud Job XXVIIIo : lapis calore solu- 
tus,in es vertitur (7) ; sic etiam et in sal; Caritas omnia suffert, 


(1) IV Reg. IV, 40. 41. 
(2) Lev. IL, 13. 

(5) Rom. XII. ! 

(4) I Mach. IV, 8, 0. 
(5) Judith VIII, 22-25. 
(6) Hebr. XI, 33. 

(7) Job. XXVIII, 2. 


652 SERMONS FRANCISCAINS 


omnia sustinet, I: ad Cor. XIII (1). Nisi enim beatus Anthonius et 
alii sancti, caritate excocti, tot et tanta sustinuissent, nunquam 
exempla eorum nostra insipida sapida reddidissent. 

Sacrificium quod offertur Deo non debet esse insipidum, sic nec 
debet esse putridum ; sal enim marcet putredinem ; sic exempla 
sanctorum arcent illam putredinem de qua Joel Ile : [fol. 192: ] com- 
putruerunt jumenta in stercoribus suis (2) ; et in Psalmo putrue- 
runt et corrupte sunt cicatrices mee (3). Eis ergo recte dicitur : Vos 
estis sal terre. Et nota quod dicitur terre. Sicut enim celi dicuntur 
viri spirituales et amatores celestium juxta illud : celi enarrant glo- 
riam Dei (4) ; sic terra, amatores terrenorum. Hujus terre, beatus 
Anthonius et sibi similes facti sunt sal. Ut hec terra fiat sterilis a 
malis operibus, Beatus Anthonius predicabat et docebat dicens ad 
exemplar Salvatoris, Luc. XXIII0 : beate steriles et ventres qui non 
genuerunt et ubera que non lactaverunt (5); Sap. Ile: felix est 
sterilis et incoinquinata quæ nescivit thorum in delicto, habebit fruc- 
tum in respeccione animarum sanctarum (6). Sicut inter animam 
fidelem et Christum est matrimonium spirituale juxta illud ad Ephe- 
sios : Ilo Despondi enim vos uni viro virginem castam exhibere 
Christo (7); sic inter animam peccatricem et dyabolum est contu- 
bernium et adulterium, unde Dominus per Ysa. dicit anime pecca- 
trici : discooperuisti et suscepisti juxta me adulterium (8); et Eze. 
XVIo: fornicata es cum filis Egipti id est cum demonibus, et post 
pauca : facta est quasi mulier adultera que super virum suum inducit 
alienum. Omnibus meretricibus dantur mercedes, tu autem dedisti 
mercedem cunctis amatoribus tuis (9). Diabolus adeo pauper est et 
miser quod nihil potest dare anime peccatrici, et sicut de matrimonio: 
quod est inter Christum et animam bona proveniunt, sic de contu- 
bernio inter diabolum et animam mala innumerabilia generantur. 
[deo beatus ! 1922] Anthonius hortabatur ad divorcium hujus contuber- 
nii, et exemplo suo animas, quo ad hujus maledictam generacionem, 
sterilesefficiebat. Potione efficiuntur mulieres steriles et fiunt homicide 
omnium eorum quos generare potuerant ; sic beatus Anthonius 
extinctor fuit omnium malorum que oriri ex tali contubernio potue- 
runt Juxta illud : concepit dolorem et peperit iniquitatem (10).Et ideo: 


(1) I. Cor. XIII, 7. 

(2) Joel. 17. 

(3) Psal XXXVII, 6. 

(4) Psalm. XVIII, 2. 

(5) Luc XXIII, 20, 

(6) Sap. IIT, 13. 

(7) 11 Cor. XI, 12. 

(8) Is. LVII, 8. 

(9) Ezech. XVI, 26, 32, 33. 
(10) Psal. VII, 15. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 653 


recte sal terre dicitur, id est, eorum qui terrena diligebant, quia eos 
exemplo suo et doctrina steriles efficiebat. 

Sic clerici et religiosi deberent esse sal aliorum, hoc est sal quod 
positum in vase noyo sanat aquas gerocuntinas (1). Sed dicitur, 
Matth. Vo : Quod si sal evanuerit in quo salietur ? ad nihilum valet 
ultra, nisi ut mittatur foras et conculcetur ab hominibus (2) ; 
et in Luca dicitur : quod si sal infatuatum fuerit etc (3) ; ad Rom. 
Io : qui cum Deum cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt, 
aut gratias egerunt, sed evanuerunt in cogitationibus suis et obscu- 
ratum est cor insipiens eorum (4). Hoc verum est de quibusdam 
clericis et religiosis qui evanuerunt et infatuati sunt, sed beatus qui 
non respexit in vanitates et insanias falsas (5) ! De talibus sic infatua- 
tis dicitur ad Rom. Ie : dicentes se esse sapientes stulli facti sunt (6); 
Evanescunt enim altiora se perscrutando contra illud Ecclesiastici 
IIlo : Zn supervacuis rebus noli scrutari multipliciter (7). Item 
evanescunt et infatuantur divinando futura et predicendo ; volunt 
enim videri prophete et ideo de eis dicitur in Jere. XXIIIc [fol. 1923] : 
Nolite audire verba prophetarum qui prophetant vobis et decipiunt 
vos et visionem cordis sui locuntur, non de ore Domini ; et parum 
post : quis enim affuit in consilio Domini, et vidit, et audivit sermo- 
nem ejus (8) ? Propter tales deplorat Jere. Tren. Ilo: Prophete tui 
viderunt tibi vana et falsa (9). De talibus, Deutero. XVIII : guod non 
est locutus Dominus hoc habebit signum : quod in nomine Domini 
phropheta ille predixerit et non evenerit, hoc Dominus non est 
locutus sed per errorem animi sui propheta confixerit. 

Similiter sal iste infatuatur, maxime clerici, per luxuriam, sicut 
legitur de Salomone Ecclesiastico XLVIIo quod inclinavit femora sua 
mulieribus (10), et tamen repletus fuerat omni sapientia et scientia et 
utinam nostri litterati non inclinant pejus femora sua. Dalida San- 
sonem infatuavit. Sanson sol eorum ; hii sunt clerici qui deberent alios 
illuminare et alios regere. Dalida ficula (11), cupiditas que intenta est 
haurire aqua temporalium et quantum haurit ex una parte et impletur 
tantum evacuatur ex altera, expensas faciendo ut magnificetur. Hec 
infatuat clericos. Nonne magna fatuitas esset si quis magnis debitis 
obligatus vellet super se assumere debita aliena? Sic tales fatui sunt qui 

(1) IV Reg. II, 20. 

(2) Matth. V, 13. 

(3) Luc XIV, 34. 

(4) Rom. I, 21. 

{5) Psalm. XXXIX, 5. 

(6) Rom. I, 22. 

(7) Eccli, III, 24. 

(8) Jerem. XXIITI, 16, 18. 

(9) Thren. Il, 14. 

(to) Eccli. XLVII, 21. 


(11) Ficha, canalis, ut videtur, palis munitus, unde nomen per quem aqua occur- 
rit, (Du Cange, Glossarium, Parisiis, 1843). 


654 SERMONS FRANCISCAINS 


non sufficientes pro se rationem reddere, ingerunt se et obligant ad 
reddendum pro aliis rationem. Illi qui infatuati sunt per luxuriam 
eici deberent a beneficiis quae habent et etiam a curia et conculcari 
et vilificari ; sed si habeant quid, dent, introducuntur, osculantur et 
exaltantur cum dicat dominus per [1924] Malach. Ilc : Ecce dedi vos 
contemptibiles omnibus hominibus (1). 

Quidam vanis subtilitatibus intendentes et generationes XLIIo 
texentes et eas secundo statui adaptantes quarum quamlibet dicunt 
XXX® annorum, quarum summa est MCCLX annorum (2). Hu 
timere debent ne evanescunt in cogitationibus suis, licet videan- 
tur ista fundata esse supra Scripturam ut, in Apoc. XII (3). Et 
date sunt mulieri ale due aquile magne ut volaret in desertum 
in locum suum, nec aliter pro tempore et tempora et dimidium 
temporis (4), hoc est per tres annos et dimidium, lunares scilicet, 
qui faciunt mille CCXL: dies et in Apo. XI civitatem sanctam 
calcabunt mensibus XLIT (5) ; et intelligitur de mensibus lunaribus 
qui reddunt summam dierum antedictam. Super hoc fundatur eorum 
intentio et asserunt quod per tantum temporis deberat durare secun- 
dus status et tunc debet incipere tempus Spiritus sancti et incipere 
quedam mirabilis religio et quod in hac ultima generatione debeant 
omnia Zizania expurgari. 

Certe in Talmuz (6) dogmatizum est quod seculum debet durare 
per XII milia annorum, et hanc assertionem videntur Judei fundare 
supra Scripturam que dicit quod Jacob habuit duodecim filios et 
Deutero. XXXII legitur : constituit terminos populorum juxta nume- 
rum filorum Israel (7) et sumuntur termini non locorum sed tempo- 
rum, unde unus de libris Talmuz intitulatur liber terminorum, id est, 
festorum. Item constat quod ab Abraham usque ad Christum sunt 
multo plures generaciones quam XLII, sed quedam generaciones 
pretermisse sunt tum ratione mysterii tum ratione peccati [fol. 
193'] sicut generationes illorum regum pretermisse sunt qui fuerunt 
de genere Achap impiissimi, sed constat quod filii Israël non fuerunt 
plures quam XII, ergo quantum ad hoc magis est firmum istud quam 
illud, et tamen istud vanum est et falsum. 

(1) Mal. II, 0. 

(2) Cf. la Sentence de la commission d’Agnani dans Arch. für Litt. u, Kirchg. 
t. 1. pp. 135. 6. 

(3) Apoc. XII, 6. 

(4) Dan. XII, 7. 

(5) Apoc. XI, 2. 

(6) Eudes de Châteauroux s'était employé très activement, en qualité de Légat, 
à obtenir la condamnation du Talmud en 1247-1248 cf. Denifle-Chatelain, Chartu- 
larium Universitatis Parisiensis, t. X, n°5 172, 173, 178. Pour démontrer le danger 
que ce livre rabbinique contenait il en fit recueillir des extraits traduits en latin. 


Cf. Elie Berger, Les Registres d’Innocent IV, t. II, introduction p. CCXVII. 
(7) Deut. XXXITI, 8. 


DU CARDINAL EUDES DE CHATEAUROUX 655 


Item Lactentius cujus vitam et religionem mirabiliter commendat 
Beatus Augustinus in libro De civitate Dei (1) dogmatizavit sicut 
ibidem dicit beatus Augustinus quod tempus protenditur ab inicio 
mundi usque ad diem judicii, non durabit nisi per sex millia annorum 
et fundat intentionem suam super Scripturam dicens quod Dominus 
fecit mundum sex diebus et septimo quievit ab omni opere quod 
patrarat (2), et I[2 Petri, in fine scribitur : #num vero hoc non lateat 
vos, charissimi quia unus dies apud Dominum sicut mille anni et mil- 
le anni sicut dies unus (3). Ex hoc ergo accipit Lactencius quod 
seculum istud laboriosum durabit per sex milia annorum tantum 
et post hec erit sabbatum de quo ad Hebreos [III : relinquitur 
sabbatismus populo Dei (4). Hoc dixit Lactencius tempore suo 
et multi crediderunt verum esse cum ad hec restarent de sexto 
millenario plusquam CCti anni et utitur verbis Sibille sicut et isti 
et etiam verbis Mellini ; sed modo apparent falsa esse que dixit 
cum post illum millenarium in tanta tribulacione fuerit mundus 
sicut et ante. Ideo beatus Augustinus plenus Spiritu sancto predicti 
Lactencii dogma reprobat in predicto libro licet falsitas illius 
assercionis non appareret tunc sicut modo. Sic nos talibus assertio- 
nibus fidem adhibere non debemus ne evanescamus et infatuemur 
sed sequentes sanctorum vestigia et eorum doctrine adherentes ante- 
dictum, nostrum MCCLX intelligamus de diebus non de annis [1932] 
qui mille CCLX dies faciunt tres annos et dimidium in quibus regna- 
bit antechristus,quo destructo, reddetur pax et tranquillitas Ecclesie et 
erit judicium post destructionem ipsius ; sed ignoratur per quantum 
temporis a destructione antichristi dies judicii differatur, quia de die 
illa nemo scit nisi Pater et Filius qui in Patre est et in Patre intelligi- 
tur similiter et Spiritus sanctus. 

Simus ergo, karissimi, sal per discretionem et intellectus sobrie- 
tatem et non evanescamus et infatuemur per inanes subtilitates ; sed 
incerta dimittentes, certa teneamus sicut fecit beatus Anthonius ut ad 
illum statim pervenire mereamur in qua nichil erroris erit, sed 
pura veritas et cetera et manifesta ad quam nos perducere dignetur 
Dominus noster Jhesus Christus qui vivit in secula secu'orum. 


F. GRATIEN. 
O0. M. C, 


(1) Cf. Si Aug, De Civitate Dei, Lib. XX, cap. 7. Patr. Lat. t. 41, col. 667. Lac- 
tantii. Divinarum institutionum, liber VII de Vita beata, Cap. XIV, Patr. Lat. t. 6. 
col, 781-4. 

(2) Gen. Il, 2. 

(3) IL Petr. III, 8. 

(4) Hebr. IV, 9. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


FRANCISCANA 


L'Ame Franciscaine, par le P. Usazp d'Alençon. Extrait de la Revue 
de Philosophie. — Paris, Marcel Rivière, 1912. — Prix : 1 fr. 


Le P. Ubald définit ainsi l'esprit franciscain : « C'est un esprit de retour à 
l'observance primitive du saint Évangile, un esprit de paix, de soumission 
profonde à l'Église, c'est un amour personnel et passionné de l'humanité de 
Jésus-Christ, — voilà l'élément matériel, — le tout animé d'un esprit de dé- 
tachement absolu poussé jusqu'à la pauvreté la plus extrême, — voilà l’élé- 
ment formel. » 

C'est au développement de ce double élément, matériel et formel, que 
l’auteur consacre les 45 pages de sa brochure. J'ignore si cette thèse a plei- 
nement convaincu ceux qu'intéresse ce problème. Quand on cesse de consi- 
dérer la charité, L'AMOUR SÉRAPHIQUE, — Seraphicus Pater, Seraphicus 
Ordo — comme la caractéristique de l'Ordre franciscain, comme le souffle 
qui doit animer et pénétrer toute la vie du Frère-Mineur, on s'expose fatale- 
ment à tomber dans une complexité de langage qui entraîne la confusion et 
l'obscurité. Aussi ne serais-Je pas étonné que ces pages, d’ailleurs intéres- 
santes et très documentées, n'aient pas porté la conviction dans tous les 
esprits. La définition donnée par notre savant confrère manque évidemment 
de précision et de clarté. On ne saisit pas bien, par exemple, comment 
l'esprit franciscain serait « un esprit de retour à l’observance du saint Évan- 
gile.. animé d’un esprit de détachement absolu... » Est-ce que cet esprit de 
détachement n'est pas renfermé lui-même implicitement dans l'observance 
intégrale de l'Évangile ? Pourquoi, dès lors, ne rentrerait-il pas dans ce que 
l'auteur appelle l'élément matériel de sa définition ? Certes, je conçois très 
bien saint François vivant « selon la forme du Saint Évangile », acceptant 
toutes ses maximes, embrassant tous ses conseils, reproduisant dans sa vie et 
faisant entrer dans celle de ses Frères, la vie pauvre et détachée du Fils de 
Dieu. Mais, encore une fois, quel esprit particulier anime sa conduite, domine 
ses pensées, sanctifie et perfectionne toutes ses actions ? Quelle marque spé- 
ciale le distingue au milieu de tous ceux qui, comme lui, se sont efforcés de 
marcher sur les traces de Jésus-Christ ? Voilà, ce me semble, le problème à 
résoudre. 

Le P. Ubald, nous venons de le dire, distingue deux éléments constitutifs 
de l'esprit franciscain : l’un matériel, l’autre formel. Le premier est multiple ; 
il comprend l'esprit évangélique, l'esprit de paix, d’obéissance, de pénitence, 
-d'oraison. Et l’auteur, appuyé sur les historiens de saint François, s'applique 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 657 


à prouver que le vrai franciscain possède éminemment toutes ces choses. Il 
aurait pu ajouter, ce me semble, l'esprit de simplicité, d'humilité, de zèle 
etc. Après tout, cet élément matériel ne peut être l'apanage exclusif de saint 
François et de ses Frères. Tous les saints ont possédé, dans un degré plus 
où moins élevé, ces vertus ; tous ont été des hommes évangéliques, des 
hommes de paix, d'obéissance à l’Église, de pénitence et de prières ; tous 
ont pratiqué l’humilité, la simplicité, le zèle des âmes. Aucun doute n'est 
possible à cet égard. Mais, reste l'élément formel, c'est-à-dire ce qui 
anime et informe, en quelque sorte, l’ensemble de ces vertus surnaturelles 
écloses sous le souffle de la grâce, ce qui donne à celui qui les possède un 
caractère spécial, une marque de race qui le distingue de tous les autres. 
Quelle sera cette marque dans saint François? A quel signe devra-t-on recon- 
naitre le vrai Frère-Mineur ? Le P. Ubald répond : a l'esprit de détachement 
absolu poussé jusqu'a la pauvreté la plus extréme. Tel est, l'élément formel 
ou, si l'on préfère, la différence spécifique de sa définition de l'esprit francis- 
çain. « Cet esprit, fond et forme, élément générique et élément spécifique, 
est entièrement franciscain celui qui le possède tout entier, et l’est plus ou 
moins celui qui le possède plus ou moins. » (p. 42) 

Encore une fois, je persiste à croire que le détachement absolu des biens de 
la terre, comme les quatre autres vertus énumérées par l’auteur, doit entrer 
dans le genre de la définition de l'esprit franciscain. Il est le corollaire néces- 
saire, indispensable de l’esprit évangélique. Il convient à tous ceux qui, par 
profession, s'engagent à embrasser l'Évangile, et par conséquent il ne sau- 
rait servir de diflérence ou de modalité spécifique pour désigner le vrai 
Frère-Mineur, La pauvreté peut bien être, et est en réalité, le caractère exté- 
rieur de l'Ordre franciscain, mais elle n’en est pas l'esprit; elle en est l'écorce, 
si Je puis m’exprimer ainsi, mais elle n’en est pas la moelle. L'esprit de 
saint François, nous devons le chercher, ce me semble, dans la partie la plus 
haute de son âme, dans la région la plus élevée de ses aspirations et de ses 
désirs. 

A vrai dire, en voyant l'amour de saint François et de ses premiers com- 
pagnons pour la pauvreté évangélique, on serait tenté de croire qu'à leurs 
yeux toute la perfection est là, et que les autres vertus comptent à peine pour 
eux. Ne nous y trompons pas cependant : car, si nous lisons la vie de saint 
François, si nous parcourons les enseignements qu'il donnait à ses disciples, 
nous voyons que si ses préférences étaient pour cette vertu, c'est qu'il la 
considérait comme la mère de toutes les autres, comme le chemin le plus 
infaillible de la sainteté, comme la clef qui ouvre le trésor des biens spirituels 
mais non comme la perfection elle-même. Il disait que la vraie pauvreté est 
la racine del'obéissance, la mère du renoncement, la mort de l’amour-propre, 
la ruine de la vanité et de la cupidité. Pour lui, le vrai prix de la pauvreté est 
en ce qu'elle sépare le cœur des biens périssables pour le donner à Dieu 
tout entier, en ce qu'elle dépouille l’homme totalement pour l’immoler sur 
la croix, comme une victime choisie. Saint François n’aimait pas la pauvreté 
pour elle-même, mais parce qu’elle brisait tous les obstacles qui pouvaient 
empêcher son union avec Dieu, mais parce que seule elle pouvait donner à 
son amour sa plus haute perfection. Oui, l'amour de Dieu, l'amour simple, 
joyeux, désintéressé, l'amour poussé jusqu’à une sorte d'excès, voilà, en 
somme, toute la vie de saint François, voilà ce qui a pénétré, animé, impré- 


E. F, — XXIX. — 42 


658 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


gné toutes ses pensées, tous ses désirs, toutes ses actions, voilà la marque de 
race qu'il a léguée à ses enfants, et à laquelle on devra les reconnaitre par- 
tout et toujours. 

C'est cet amour avec ses qualités spéciales, qui fait le fond de l'âme fran- 
ciscaine : c'est lui qui brille avec éclat dans la vie de tous les saints de l'Ordre, 
en fait des êtres à part et les distingue entre tous les autres héros de la 
sainteté. Il laisse ses traces, même sur les miracles qu’ils opèrent, même 
sur les œuvres ou les écrits qu’ils produisent. Son nom est gravé en lettres 
d'or sur les moindres de leurs gestes, comme sur les plus sublimes de leurs 
actions. Aussi, l’Église elle-même a-t-elle consacré, en quelque sorte, cette 
marque distinctive de l'esprit franciscain, en donnant à saint François et à 
son Ordre le nom de séraphique. À ses yeux, c'est bien, en effet, l'amour des 
séraphins qui domine la vie entière du pauvre d'Assise; c’est aussi cet amour 
qui, passant du cœur du Père dans celui de ses fils, traverse les siècles et 
fait encore de l'Ordre franciscain un Ordre séraphique. 

Je ne veux point terminer sans reconnaitre cependant que le travail du 
P. Ubald est loin de manquer d'intérêt. Si je ne partage par son sentiment 
sur la nature de l'esprit franciscain, je rends hommage néanmoins à la pro- 
fonde connaissance de son sujet et à la vaste érudition qui distingue ici, 


comme dans tous ses autres travaux, notre excellent confrère. 
P. R. 


Une fille aînée de saint François. Sainte Claire d'Assise, sa 
vie et son œuvre, par L. Moisson. — Préface de Téodor de Wyzewa. — 
Paris, Librairie des Saints Pères. — Prix : 3 fr. 50. 


Le livre de M. Moisson est de ceux qui charment en même temps qu'ils 
édifient. On sent tout de suite que l’auteur est un écrivain de profession. 
Écrit dans un style simple, clair, souvent imagé, il captive le lecteur, force 
son attention et lui rend attrayante et aimable la douce physionomie de la 
Vierge d'Assise. Tels récits, par exemple, bien connus pourtant par les légen- 
des de Thomas de Celano ou les Fioretti, acquièrent, sous la plume de l’au- 
teur, une vivacité de ton et une puissance de relief qui saisissent et qui 
charment. 

Pourtant, d’une valeur très réelle quant à la forme, cet ouvrage laisse 
beaucoup à désirer au point de vue de l’histoire. Il est regrettable que M. 
Moisson n'ait point tenu compte des derniers travaux de la critique sur la 
règle de sainte Claire. Il eut évité bien des confusions et des erreurs que, 
depuis trois siècles, tous les biographes de la Sainte ont servilement repro- 
duites jusqu’à nos jours. Il est impossible, par exemple, d'admettre l’exis- 
tence d’une règle écrite par saint François, en 1224. Le P. Oliger dans l’Ar- 
chivum franciscanum, etle P. René de Nantes dans les Études Francis- 
caines, n’ont pas eu de peine à démontrer la fausseté de cette assertion. On 
sait cependant quel rôle a joué jusqu'ici, dans la vie de sainte Claire, cette 
prétendue règle de saint François ! 

Je souhaite que M. Moisson, quia si bien compris l’âme de la sainte 
nous donne bientôt une nouvelle édition de son travail, dégagé cette fois des 
erreurs historiques qu'il a inconsciemment acceptées. 7. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 659 


THÉOLOGIE 


u Jésus-Christ étudié et médité, » par L. GRimaL, prêtre de Saint- 
Sulpice et docteur en théologie. — Paris, Lethielleux. — 2 vol. in-8, 


C'est un traité assez complet sur Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses Mys- 
tères où l’auteur a voulu réunir, dans une certaine mesure, les avantages des 
meilleurs ouvrages de ce genre précédemment parus. Œuvre entièrement 
théologique, mais au lieu de la composer selon la méthode ordinaire, exclu- 
sivement didactique et aride, des manuels classiques, c'est-à-dire sans onction 
ni agrément littéraire, l’auteur y a joint ces deux dernières qualités qui en 
rendent l'étude plus souriante et plus facile. 

Ce travail se compose de deux forts volumes in-8°. Le premier a pour 
objet spécial le Verbe incarné, ou théologie de l’Incarnation et de la Rédemp- 
tion avec ses principales conséquences. Tout en présentant l’enseignement 
doctrinal traditionnel, ce traité comprend encore les questions qui intéressent 
particulièrement, à l'heure actuelle, la science et la piété, par exemple : la 
divinité de Jésus-Christ, le cultedu Sacré-Cœur, une marialogie abrégée, etc. 

Le tome II offre à notre attention les mystères du Christ, c'est-à-dire, les 
grands actes de sa vie suivant l'Évangile et d'aprèsla tradition; actesenvisagés 
spécialement au point de vue des enseignements dogmatiques et moraux qui 
en découlent. 

Grâce aux derniers et remarquables travaux sur ce même sujet, l’auteur a 
pu aisément replacer les faits évangéliques dans leur cadre naturel, ce qui 
par là même en facilite l'intelligence. 

De nombreuses références servent de justification à la doctrine exposée, 
donnent aux lecteurs studieux des indications utiles pour faire eux-mêmes des 
recherches ultérieures et des études personnelles, 

Quant à la rédaction, œuvre d'un maître et d'un docteur en théologie, on 
ne peut qu’en admirer l’ordre et la méthode, unis à un style pur,sobre, con- 
cis et toujours parfaitement approprié. 

A notre avis, cet ouvrage ferait particulièrement bien entre les mains des 
jeunes étudiants en théologie qui y trouveraient un agréable et parfait com- 
pendium, un memento constant des leçons reçues en classe ; et aussi entre 
celles des vétérans qui par son moyen se remémoreraient facilement et avec 
un plaisir nouveau les enseignements classiques d'autrefois. Chacun y 
recueillerait en même temps, pour son esprit et son cœur, lumière et vie. 

Ce même ouvrage n'est pas seulement destiné aux membres du clergé et 
aux théologiens amateurs, mais aux simples fidèles eux-mêmes qui y puise- 
ront une connaissance plus ample et un amour plus fécond du divin Maitre. 

« Toute notre ambition, dit l’auteur, est par ce travail de contribuer à 
étendre le règne de celui qui, selon la parole de saint Paul, devrait « nous 
être toutes choses » et à qui tous les cœurs devraient appartenir. » Or, 
« Jésus-Christ étudié et médité » peut certainement beaucoup aider à réali- 
ser cetteextension du Royaume de Jésus-Christ, qui, bien que royaume spi- 
rituel et intérieur, doit cependant se répandre par toute la terre, informer 
tout individu et toute société. « {nstaurare omnia in Christo » : but direct et 
spécial que s’est proposé le docte et zélé sulpicien, en écrivant cet ouvrage. 


FR. LÉONARD. 


660 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Questions théologiques et canoniques. — Par le Re P. D. Pau 
Ranaupin, Abbé de Saint-Maurice de Clervaux. — T. Ier in-12 de 212 pag. 
Prix 2 fr. — Téqui, libraire-éditeur, 82, rue Bonaparte, Paris. 


Quatre études d’inégale longueur mais d’un pareil intérêt forment ce 
volume, premier d’une collection. 

Dans la première étude : Le dogme de l'Eucharistie au moyen âge, l'hé- 
résie de Bérenger, le Rae P. Abbé de Clervaux s’est efforcé de mettre en 
lumière la pensée de l’hérésiarque sur la présence réelle. Deux causes ren- 
daient cette tâche particulièrement difficile ; d’une part, l’absence d’une ter- 
minologie rigoureusement scientifique, de l’autre, le caractère très spécial de 
Bérenger. Incapable de comprendre les problèmes métaphysiques, il voulait 
néanmoins passer pour savant et dans ce but s’ingéniait à donner aux mots 
reçus des significations nouvelles. Onne pouvait dans ce cas faire fond sur un 
enseignement oral pour découvrir sa pensée. Le meilleur moyen, celui em- 
ployé avec bonheur par l'auteur, était de se reporter aux doctrines de Jean 
Scot Érigène dont se réclamait Bérenger, et de chercher dans les professions 
de foi à lui imposées par différents conciles, les points précis sur lesquels ces 
assemblées exigeaient son adhésion. En prenant alors la contradictoire de 
ces propositions conciliaires on a toutes les chances possibles de comprendre 
quels furent les sentiments de cet hérétique. 

Dans la seconde étude : Formation ascétique de saint Thomas d'Aquin, 
il est intéressant de constater que saint Thomas, Frère-prêcheur, se rétère la 
plupart du temps, quand il traite de la vie religieuse à la règle Bénédictine. 
Le saint docteur a fait ainsi, sans peut-être s'en être douté, un plus magnifi- 
que éloge des premiers maîtres qui l'avaient formé à la piété. 

La troisième étude : L'action de la vie religieuse dans l'Église, n'est sous 
une forme discrète et voilée, qu'une apologie de la vie contemplative et de 
l'Ordre Bénédictin en particulier. Personne ne fera difficulté pour admettre 
que toute vie active a besoin, pour rester surnaturelle, de la prière, del'oraison 
ou si l'on préfère en donnant au mot son sens large, de la contemplation, 
nous sommes persuadé aussi que toute vie contemplative est nécessaire- 
ment active sous une forme ou sous une autre ! 

La dernière étude historico-canonique : Lanomination aux bénéfices ecclé- 
siastiques et l'indult du parlement de Paris, est consacrée aux indults de 
Paul 11! et de Clément IX adressés au Parlement de Paris et conférant à 
certains de ses membres des droits sur la nomination aux bénéfices ecclé- 
siastiques. Ce point d'histoire étaità remettre en lumière pourla compréhen- 
sion des abus qui plus tard désoleront les églises et même les cloitres. 

Fr. J. de P. 


APOLOGÉTIQUE 


« Essai d’Apologétique intégrale, ou la Religion expliquée à 
un incrédule par plusieurs théologiens par A. DETILLIEUX. — in-12. 
— Librairie de l’Action Catholique, 21. rue de l'Industrie, Bruxelles. 


Lecoffre, Gabalda, 90, rue Bonaparte, Paris, 


Cet Essai comprendra cinq volumes ou cinq parties principales, dont voici 
les titres : 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 661 


I. L’Incrédulité et les Temps prémessianiques : Preuves de l'existence et 
de la nature de Dieu et de l'âme, etc. — Historique de l'Action providen- 
tielle du Gouvernement divin dans son but préparatoire à l’Incarnation du 
Verbe. — Caractère figuratif et prémessianique du Peuple hébreu et des 
Prophètes. — La conservation plus ou moins altérée de la Révélation parmi 
les autres nations. — Tel est le sommaire abrégé du premier volume seul 
paru jusqu'ici. Voici le titre des autres : 

IT. L'Incrédulité et la Divinité de Jésus-Christ. 

IT. L’Incrédulité et le Catholicisme pratique. 

IV. L’Incrédulité et l’Église de Jésus-Christ. 

V. La Religion et l'Incrédulité devant la Science et le Progrès. 

Si nous en jugeons par la première publication, la seule que nous 
connaissions, nous devons dire que, dans leur ensemble, ces cinq parties for- 
meront une excellente et ingénieuse compilation de textes des meilleurs 
auteurs. Théologiens, philosophes, historiens, érudits et savants, — non seu- 
lement catholiques mais dissidents, — viennent chacun à leur tour démolir 
de fond en comble les préjugés, les erreurs, les sophismes et les fausses 
théories formu:ées par les incrédules contre la Religion en général et l'Église 
catholique en particulier, et démontrer en même temps, la vérité de notre 
sainte Religion. Cette démonstration s'adresse surtout à ceux qui la mécon- 
naissent, la nient ou l’attaquent comme à ceux qui, l’ignorant plus ou moins, 
désireraient, de bonne foi, l’apprendre, savoir ce qu’elle est véritablement et 
ce qu'elle n'est pas. 

Ce travail a été précisément entrepris pour répondre à toutes leurs diff- 
cultés, résoudre toutes leurs objections. 

Cet ouvrage peut rendre de grands services aux prédicateurs, aux con- 
férenciers et aux apologistes. Ils y trouveront « abundanter » les arguments 
dont ils ont besoin quand ils s'adressent aux foules. 

C'est comme un vaste répertoire où tous les textes cités se suivent dans un 
ordre parfait, admirablement reliés entre eux par le précieux fil qu'a su y join- 
dre l’auteur pour leur donner avec de la cohésion, une plus éclatante lumière, 
une force nouvelle. 

Il nous paraît donc que l'écrivain a atteint le but qu'il s'était proposé. Par- 
Jant tout à la fois à l'intelligence et au cœur, réunissant les exigences de la foi 
et les droits de la raison dans un langage théologique, philosophique et 
scientifique irréprochable, sans négliger les charmes du style, on peut dire 
que cet ouvrage est de nature à rassasier l'esprit le plus difficile, le plus avide 
et à faire disparaître les doutes qui le tourmentent, 

À lire ce travail, on se convaincra de plus en plus que seule la Religion 
catholique repose sur des preuves solides, inébranlables ; que, seule, elle 
donne satisfaction aux légitimes exigences de la raison, aux aspirations des 
âmes désireuses de s’instruire de leur origine et de leur fin. 

Avant de clore ce pâle compte-rendu, nous formons le souhait que l'auteur 
ne nous fasse pas trop longtemps attendre le plaisir de lire avec le même pro- 
fit, que leur aîné, les quatre autres volumes (ou parties) qu’il nous promet. 

Fr. LÉONARD. 


Y a-t-il un Dieu ? Y a-t-il survie de l’Âme après la mort ? — 
par À. Hucon. — in-12. — Téqui, 82, rue Bonaparte, Paris. 


662 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


Deux questions des plus importantes et des plus angoissantes auxquelles 
répond affirmativement M. Hugon. — Pour en démontrer la vérité, la réalité, 
celui-ci ne recourt à aucune preuve métaphysique, mais à la simple consta- 
tation historique, au consentement universel de l’humanité. Comme preuve 
de ce consentement universel, l’auteur fait, pour ainsi dire, défiler devant 
son lecteur les hommes de toutes les époques, de toutes les latitudes, de tous 
les pays. Tour à tour, depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours, les 
hommes de toutes races et de toutes couleurs, de toutes les contrées du globe, 
ceux d'une civilisation raffinée et ceux plongés dans l'ignorance et la bar- 
barie sont interrogés. Tous, individus et peuples, répondent unanimement 
qu'ils ont cru et croient encore à l'existence de Dieu et à l’immortalité de 
l'âme. Les documents, 1l les trouve dans les textes laissés par les vieux écri- 
vains, dans les inscriptions funéraires, sur les monuments religieux et civils. 

Pour nous faire connaitre ce qu'en pensent les peuplades plus ou moins 
arriérées de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie qui n'ont ni écrits, ni 
monuments, l’auteur le demande aux explorateurs qui racontent les senti- 
ments et usages de ces peuplades, relatifs à la divinité et à l'immortalité de 
l'âme. 

Puis, très brièvement, il expose comment la raison explique et approuve 
cette croyance des hommes et des peuples. 

Enfin, après cette course à travers le monde et cette consultation univer- 
selle, la conclusion s'impose d'elle-même à tout esprit loyal et réfléchi : 
L'existence de Dieu et l’immortalité de l’âme restent choses certaines, vérités 
indubitables et l’athéisme, tant au point de vue rationnel qu’au point de vue 
historique, apparaît comme une monstruosité, une immense sottise, une folie. 

Ce livre de M. Hugon est en quelque sorte une espèce de procès-verbal 
d'après lequel le lecteur peut se rendre compte de ce qu'a été, vis-a-vis du 
sujet ici indiqué, la croyance de l’humanité à travers les siècles. 

Fr. LÉONARD 


ASCÉTISME 


Les Tentations du jeune homme, étude théorique et pratique, par 
ÉuiLe BRUNETEAU, professeur à l’École de Théologie de Poitiers. — 1n-12 de 
XIV-370 pag. Prix 3 frs.50o — P. Lethielleux, éditeur, 10, rue Cassette, 
Paris. 


Depuis tantôt un an que ce livre est paru, pas une note discordante ne s’est 
fait entendre ; la presse a été unanime dans ses éloges, L'auteur doit être 
satisfait et voir réalisé au delà de ses espérances l’humble souhait formé en 
dernières lignes : « Ces pages n’atteindraient-elles qu’une demi-douzaine de 
Jeunes gens, à qui elles inspireraient un haute idée de leur devoir moral, 
cela suffit, Je ne regrette pas ma peine. » 

L'ouvrage débute par un portrait de jeune homme parfaitement au point 
et qui dénote chez l’auteur en même temps qu’un grand talent d'observation 
une science psychologique très avertie. C'est là à n'en pas douter ce qui fait 
sa force et son succès, Le reste du livre est un remarquable traité théologique 
sur Îles tentations, leur nature, leurs causes, leur utilité, les moyens de les 
combattre puisqu'elles sont universelles, le relèvement quand la nature suc- 
combe, etc. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 663 


M. Bruneteau dit la vérité, toute la vérité ; mais sans offenser personne 
tant sa plume est légère et délicate. Son livre, nous aimons à le croire, ira 
grossir le nombre des volumes choisis, dans ces bibliothéques de jeunes gens 
dont il donne un arrangement si judicieux et si pratique. FR. J. de P, 


PRÉDICATION 


La Confirmation, allocutions préparatoires et explications catéchis- 
tiques, par le CHANOINE Micor, vicaire général de Versailles. — In-12 de 
316 pages. — Prix 3frs So. — P. Lethielleux, éditeur, 10, rue Cassette, 
Paris VIe. 


Un vide de plus est comblé dans la nombreuse collection des sermonaires ! 
Nous ne dirons pas que le besoin s'en faisait sentir, mais la variété des 
sujets traités, le choix toujours si judicieux de M, l’Abbé Millot qui a pré- 
sidé à la formation de ce recueil, le fera apprécier de plusieurs. 

A côté d'orateurs illustres se rencontrent des noms moins connus, parfois 
d’humbles anonymes, tous pourtant unissent leurs efforts, leur science et 
leur piété pour dire ce qu'est la confirmation, les effets qu'elle produit, les 
dispositions avec lesquelles 1l faut la recevoir. 

Les prédicateurs de retraites de confirmation sauront gré à M. Millot 
d’avoir le premier pensé à eux. Son recueil, en même temps qu'il facilitera 
leur travail, leur fournira des matériaux variés pour leurs instructions. 

FR. J. de P. 


LITURGIE 


Sacræ Liturgiæ Compendium opera F. X. Coppin et L. STIMART 
eccl. cathed. Torn. canon. honor. sedulo recognitum, novissimæ rubricarum 
reformationni ad normam Bullæ « Divino À fflatu » accommodatum. Editio 
quinta. 1912. — In-8o de XX-684 pages, broché 7 frs, relié demi-basane raci- 
née 9 frs.— Établissements Castermann, Paris, 66, rue Bonaparte. Tournai 
5, rue de la Tète d'or. 


Cet ouvrage, écrit en latin, n’envisage pas la sainte Liturgie dans le sens 
plein et complet du mot, mais seulement dans une de ses parties les plus 
importantes : les rubriques et les cérémonies qui règlent les rapports offi- 
ciels et publics du prêtre avec Dieu. 

Une première partie traite des rubriques en général, de leur obligation, de 
l'autorité de la S. Cong. des Rites et des rubricistes, de la coutume en matiè- 
re liturgique. 

La 11° partie explique et précise toutes les rubriques du bréviaire romain 
d'après la réforme du Psautier par la Const. « Divino À fflatu » du 1er nov. 
3911. Notions générales sur l'Office divin, rubriques concernant les fêtes, 
dimanches, féries, vigiles et octaves ; occurrence et concurrence : tout y est 
étudié et mis au point. 

La 111° de beaucoup la plus longue, s'occupe du Missel. Après des notions 
succinctes mais très sutfsantes sur ce qui est requis pour le saint sacrifice : 
autel, luminaire, vases sacrés, etc., l’auteur explique les rubriques concer- 
nant les différentes Messes conformes ou non à l'Office ; une autre section 
traite des différentes parties de la Messe : mémoires, épitre, graduel etc. ; 


664 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


une paraphrase claire et simple expose toutes les cérémonies de la messe 
privée; le texte des rubriques du Missel imprimé en italique se détache 
nettement des explications de l’auteur. Ensuite, ce sont les cérémonies et 
rites spéciaux à la Messe chantée, à la Messe solennelle, aux différentes 
Messes des défunts, à la Messe Pontificale. L'exposé des rubriques concer- 
nant le Propre du Temps et le Propre des saints, forme une dernière section. 

La IVe partie traite des rubriques du Rituel; toutes ne s'Vtrouvent pas, 
car bien souvent la lecture attentive du Rituel suffit. L'auteur y parle de l’ad- 
ministration des sacrements, l'Ordre excepté, des funérailles, des bénédictions 
des processions et exorcismes. Le Memoriale Rituum de Benoit XIII et l’ins- 
truction clémentine sur les XL Heures terminent le volume. 

Cet exposé rapide et succinct montre la valeur et l'importance de ce livre 
pour les prêtres adonnés au saint ministère et pour les clercs qui doivent 
étudier les rubriques « Hujusmodi manualis præcipua laus est quod legen- 
tibus brevem, certam ac facilem discendi viam præbet » (Mgr l'évêque de 
Tournai.) C'est un manuel complet, un véritable « compendium » sans lon- 
gueur, clair et précis. « Faciliori concisiorique methodoet stylo lucido Ritus 
sacros exponere et explanare : tel était le désir de l’auteur: il l’a pleinement 
réalisé. — Une double table alphabétique et analytique très développée, 
permet de trouver rapidement et facilement la solution d’un doute ou d'une 
difficulté. 

Cependant, nous nous permettons de soumettre quelques remarques à la 
judicieuse appréciation des auteurs : en liturgie, l’un ou l’autre décret 
échappe avec tant de facilité ! 

L'office du dimanche même mineur a ses 1res vêpres entières si on célè- 
bre le samedi l’otfice double majeur d’un saint, ce qui semble nié au n° 86 10 
les exceptions sont assez rares (Divino À fflatu. tit V. 2). — Aux dimanches 
de l'Avent, si l’on fait mémoire d’une fête de la sainte Vierge simplifiée ou 
du Jour octave de l'une de ses fêtes, la conclusion des hymnes est la con- 
clusion ordinaire et non Jesu... qui natus es. Le même principe s'applique 
au ÿ du R) bref à Prime, et la Préface est de la Sainte Trinité (no 165. 1e — 
382. a). (S. R. C. 30 déc. 1911 ad I et II. Divino Afatu tit X. 4.) 

Nous ne pensons pas qu'un autel fixe changé de place soit exécré si la 
table reste unie à la base, (Bargilliat 1291. Reiffenstuel in tit. de consecrat. 
eccles. n° 38.) Au n° 212 c le contraire est affirmé. — LaS. R. C. tolère 
l'antependium noir à l’autel, aux messes des morts, si le conopée est violet 
ou blanc (S. R.C. re déc. 1882. — Questions liturgiques 1911 p.311.) Au 
n° 215, on dit que l’antependium doit être violet. 

Le curé qui est seul dans sa paroisse et dit la Messe de la solennité trans- 
férée en vertu de l’Indult du card. Caprara en 1802, satisfait à l'obligation de 
la Messe pro populo : un décret du 2 déc. 1891 prescrit de suivre cet induit, 
et le décret du 27 mai 1911 pour Bayonne ad VIII, a été modifié dans le 6e 
volume de la collection authentique de la S. R. C. par un « nisi habeatur 
indultum. » Or le 5 juillet 1912, le Préfet de la S. R. C. a déclaré que 
« in casu consSuetudo longæva... æquivalet indulto » ce qui vaut pour la 
Belgique comme pour la France. De plus, ces solennités transférées peu- 
vent être célébrées dans les oratoires semi-publics. (S. R. C. 27 mai r9rr 
ad IX.) Il faut donc modifier un peu les nos 263. 287 et 289. 

L'Octave du Saint Sacrement jouit de tous les privilèges de l’Octave de 


À TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 665 


l'Épiphanie et n’admet pas la messe pro sponsis (S. R. C. 28 juillet r9rr. 
ad V). — Si l'on doit à la messe pro sponsis faire mémoire d’un double, il 
n'y a pas de troisième oraison du temps, (24 mai 1912 ad VII). — On ne 
dit pas toujours et nécessairement le dernier évangile de saint Jean à la fin 
d’une messe votive. (Divino À fflatu. tit. X. 3. Quoties).. 

Aux messes de la férie où il y a mémoire d’un semi-double « sumi nequit 
collecta ex devotione celebrantis addenda » (S.R.C. 19 avril 1912. ad VIII) 
[nos 307. 306. 274 et 386. 352.] 

Le n° 346 qui traite de l’indulgence de l’autel privilégié est insuffisant : it 
n’y est pas question de la messe de la férie ou de la vigile et de l’oraisom 
pour les défunts, messe et oraison requises en Carême, aux vigiles etc., lors 
de l'impression du livre, pour gagner l'indulgence précitée. (Divino À fflatu. 
tit X. 5. S. R. C. 12 juin r9r2). Notons ici qu'un récent décret du saint 
Office (20 février r913) déclare que ce n’est plus requis » sub pæna 
nullitatis... id tamen laudabiliter fieri. » — La doctrine du n° 366 sur 
« l’oraison impérée » est à modifier d’après le tit. XI de Divino ÀAfflatu rap- 
porté du reste au n° 352. 7° — De même au n° 537 les décrets du 2 mars et 
19 avril 1912 rapportés à la page 133 auraient avantageusement remplacé 
l’ancienne rubrique. 

Malgré ces petits oublis qui pourraient être réparés dans un appendice, le 
« Compendium » de MM. Coppin et Stimart garde toute son actualité et 
nous lui souhaitons large diffusion. FR. JUSTINIEN. 


Annus Liturgicus cum introductione in disciplinam litur- 
gicam, in-12 de XVI-424 pag. Editio tertia juxta novissimas rubricas 
emendata. Auctore MicHAELE GATTERER S. J. sac. théol. doct. et disciplinae 
liturgicae professore. Oeniponte. Typis et sumptibus Feliciani Rauch 
(L. Pustet) 1412. — 


La première édition manuscrite servait de manuel, dit l’auteur dans sa 
préface, à ses étudiants de l’Université d'Innsbruck. Ia seconde édition était à 
peine imprimée que paraissaient les nouvelles normes de S. S. Pie X, sur 
les fêtes de précepte et le bréviaire réformé. Une troisième édition devenait 
nécessaire « xt opus accuratum et practico usui accommodatum esset. 

L'auteur a sûrement atteint le but qu'il s'était proposé ; ce livre fruit d’une 
grande science liturgique, est exact et pratique. Nous le voudrions dans les 
mains de tous les séminaristes et de tous les prêtres. Tout marcherait alors. 
selon l'esprit de l'Église, dont la législation liturgique est l'expression, et le 
peuple catholique ne manquerait pas d’en recueillir de multiples avantages 
spirituels car : « celebratio liturgica festorum optime docet, quomodo popu- 
lus fidelis dominicos et festa ageret debeat ». 

Dans le première partie, après avoir défini ce qu’il faut entendre par litur- 
gie, l’auteur explique le but des cérémonies, et trace un conspectus histori- 
que de l’évolution liturgique. Parlant du pouvoir de porter des lois liturgi- 
ques il est amené à traiterde la S. C. des Rites et deson autorité. Vient ensuite 
la question des Livres liturgiques et de leur force obligatoire ; le tout exposé 
avec autant de précision que de clarté. 

Au n° 19 l’auteur énumérant les lois pratiques régissant les rapports entre 
les diverses liturgies actuellement en usage, écrit: « sed communicare ir 


666 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


ritu qui diversis speciebus utitur, solummodo licetin casu impossibilitatis 
communicandi secundum proprium ritum» Ce point est à corriger d'après la 
Constitution : De Sanctissima Eucharistia promiscuo ritu sumenda, en date 
du 19 sept. 1912 accordant à tous les fidèles de communier dans n'importe 
quel rite pietatis causa. Nous ne faisons point grief à l’auteur de cette inex- 
actitude, son livre étant déjà paru lors de la publication de ce document. 

La seconde partie traite : 1° de anno liturgico in genere — 2° in specie. 
Suivent les deux appendices ordinaires sur l'occurrence et la concurrence des 
fêtes, le catalogue des fêtes primaires et secondaires, le tout couronné par 
une table aphabétique suffisamment complète. 

Une petite remarque : au n°97, nous lisons : Quodsi moniales nullum 
chorum habent, vel solum officium parvum B. M. V. recitant, peculiare 
kalendarium non habeant, sed in earum ecclesiis seu oratoriis publicis 
kalendarium dioecesanum viget — nisi forte indultum speciale habent. etc. 

Au n° 101 : « Si oratorta semipublica inserviunt communitati religiosae 
pro officio divino in choro recitando, (v. g. monialibus) non directorium 
rectoris sed istuis communitatis servandum est. Quod probabiliter etiam 
valet si moniales solummodo officium parvum B.M. V. recitare volent. » 
Un peu plus de clarté concernant les moniales qui récitent le petit office de 
la Sainte Vierge ne serait pas à dédaigner ! 

Des remarques pratiques insérées çà et là méritent de retenir l’attention. 
Observées, elles aideraient à vivre davantage avec J.-C., divin soleil autour 
duquel gravite toute l'année liturgique. Fr. Marc de Vortum 


HISTOIRE 


La Démocratie Révolutionnaire. — De la Constituante à la Con- 
vention. Par Gustave Gautherot, docteur ès lettres, professeur d'histoire de 
la révolution française à l’Institut catholique de Paris. — in-8 écu de XVIII 
426 pag. Prix 5 frs. Beauchesne, éditeur, 117, rue de Rennes, Paris. 


Déjà M. Gautherot nous avait donné l’Assemblée Constituante ; la Démo- 
cratie révolutionnaire continue avec le même bonheur et le même esprit la 
série deses travaux historiques relatifs à la Révolution. Il nous semble pour- 
tant, vu le contenu du présent volume, qu'il eut été préférable de lui donner 
pour titre l’Assemblee Législative puisque 150 pages au moins sont con- 
sacrées à démontrer son impuissance, son incapacité et sa déchéance, trois 
choses malheureusement trop réelles. On en jugera par les lignes suivantes 
que nous extrayons entre mille à titre de curiosité. 

« En 1792, l'assemblée législative était capable d'annexer à son procès 
verbal et d'envoyer aux 83 départements une délibération de la Croix-Rouge 
annonçant qu’elle renonçait « à l'usage du sucre et du café » pour déjouer 
les manœuvres des accapareurs ; elle accepta selon les expressions d'une 
adresse de 72 citoyens du Faubourg-Saint-Denis de « poursuivre jusqu'au 
fond des enfers » et « d’écraser de la massue nationale... les bas jockeys du 
trône » dénoncés, par « la voix tonante du civisme qui a fait tout à coup 
retentir ces voûtes sacrées » de la salle du Manège, car le peuple « lion super- 
be pour dissiper ces légions aériennes de farfadets, n’a eu besoin en s'éveil- 
lant que de froncer le sourcil ». Quand un parlement s’accommode de telles 
imbécillités, il est mür pour les pires servitudes. 


A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 657 


L'assemblée était au service du peuple et par le fait privée de tout pouvoir 
législatif ; le pouvoir exécutif à son tour était au service de l’assemblée, c'est- 
à-dire au service de tous et par là même nul et sans effet. 

Les causes de cette anarchie, l’auteur nous les montre par ce qui se passe 
en Angleterre et par l'influence de la franc-maçonnerie ; ses moyens d'action 
se trouvaient dans la dictature des sections, vrais foyers de révolutionnaires 
où une poignée de « braillards » imposaient leurs volontés à la capitale et 
aux 83 départements ; ses effets, l’'émeute du 20 juin. 

La seconde partie de l’ouvrage nous présente pour caractériser les événe- 
ments les portraits des deux premiers maires de Paris, l’académicien Bailly et 
le «roi Pétion», en plus celui du marquis de Condorcet. Les sinistres figures 
de Danton, Robespierre et Maratachèvent de donner son cachet à cette pério- 
de agitée ; tout est prêt pour l’émeute qui bientôt éclatera ! 

Tous les faits rapportés dans ce volume sont appuyés sur une documents- 
tion sérieuse et abondante : les travaux de M. Gautherot méritent certaine- 
ment de prendre rang parmi les meilleurs historiens de la Révolution. Le 
style est alerte, parfois légèrement ironique. A la lecture même on ressent 
quelque chose de la chaleur, de l’éloquence persuasive que doit avoir le con- 
férencier de l'Institut catholique de Paris. Fr. J. de P. 


Lamennais, sa vie et ses doctrines. T. 111. — L'éducation de la 
Démocratie (1834-1854), par l'Abbé CHarLes BoUTARD. — In-8 de 484 pag. 
Prix : 5 fr. — Perrin et Cie, Libraires-Éditeurs, 32, Quai des Grands- -Augus- 
tins, Paris. 


Le troisième volume de M. Charles Boutard embrasse les vingt dernières 
années de Lamennais (1834-1854). Rome a parlé réprouvant les doctrines de 
l'A venir et de l’école mennaisienne.Son Directeur, le cœur ulcéré, parce que 
incompris, il le pense du moins, n'a rapporté de son voyage dans la ville 
éternelle, que des sentiments de colère à l’égard du vieux pontife et d’une 
hiérarchie refusant obstinément la planche de salut qu'il leur offrait pour 
réconcilier l'Église avec la société. N’avait-il pas rêvé d'une sorte de répu- 
blique universelle, d'une théocratie ayant à sa tête le pape, tous les autres 
monarques ne devant être que des vassaux ! Et voilà que s'écroulaient tous 
ses plans de pacifiques conquêtes et de réformes l'Église avait dit : non. Il 
ne lui pardonnera jamais d’avoir refusé ses avances. Confiant malgré tout 
dans la bonté de sa cause, il n’attendra plus que de Dieu et du peuple la 
réalisation de son idéal. « C’est pourquoi toute cette ardente passion que, 
depuis son entrée dans le sacerdoce, il avait mise au service de l'Église, il 
songeait à la mettre désormais au service de la démocratie. » 

Le peuple, il l'avait toujours sincèrement aimé ; c'est pour lui, que malgré 
ses promesses, il va reprendre la plume et lancer aux quatre coins de l'hori- 
zon, toutes ces brochures remplies d’invectives, parfois grossières, contre 
l’autorité, de sarcasmes et de railleries à l’adresse de Grégoire XVI et du 
clergé catholique. 

M. Boutard nous donne une analyse assez détaillée de ces œuvres diverses; 
elles débutent par : Les paroles d'un Croyant et se terminent par Une intro- 
duction à la Divine Comédie. L'une d'elles : l'Esclayage moderne, — Le 
pays et le Gouvernement, valut à l’auteur d’être déféré en cour d'assises et 


668 A TRAVERS LES LIVRES NOUVEAUX 


condamné à un an de prison. Enfermé à Sainte-Pélagie, il continue d'écrire, 
autant peut-être pour passer ses longues heures que pour faire triompher 
l'idéal entrevu. N'est-ce pas durant cette réclusion forcée qu'il traçait les 
lignes suivantes : « Oh! qui me rendra ma vallée natale, et mes rochers, et 
les grands pins semés sur leurs pentes, et les prés verdoyants où dans une 
eau limpide cachée sous l'herbe en fleurs, mes pieds se mouillaient à la 
fonte des neiges. » 

Cette vallée et ces prés verdoyants, il les avait quittés, talonné par l'ennui. 
Peu à peu, la solitude s'était faite autour de lui à la Chesnaie; il abandonna 
ces lieux témoins de tant de souvenirs qui, pour le torturer, se rassemblaient 
en foule dans son cœur toujours aimant. Il vint à Paris. C’est de là qu'après 
bien des vicissitudes, plusieurs déménagements nécessités par la pauvreté, 
le 27 février 1854, son âme partit rendre compte de ses actes au souverain 
Juge. Le 17 mars, dès l’aube, le corbillard des pauvres, sans aucun signe 
religieux, sans un prêtre, escorté par la police et suivi de quelques amis, 
conduisit sa dépouille mortelle au Père-Lachaise. En silence, elle fut des- 
cendue dans la fosse commune, puis quand la funèbre besogne fut terminée, 
le fossoveur se hasarda à demander : « Faut-il mettre une croix ? » Auguste 
Barbet répondit : « Non ». Les dernières volontés du disparu étaient exécu- 
tées : « On ne mettra rien sur ma fosse, pas même une simple pierre. » 

On a dit que le prêtre avait été empêché de s'approcher de lui à ses 
derniers moments. Sans doute il était gardé, mais on ne faisait que suivre 
ses ordres. C’est lui-même qui refusa de recevoir le P. Ventura et l’abbé 
Martin de Noirlieu : « Je ne veux pas les recevoir. » D’autres tentatives 
furent faites sans plus de succès. Presque au moment suprême, au soir du 
26 février, sa nièce accourue de Bretagne (son frère retenu par la maladie 
n'avait pu venir) n'écoutant que sa foi se laissa tomber à genoux et les mains 
tendues vers lui, elle jeta ce cri : « Mon oncle, mon oncle Féli, veux-tu un 
prêtre? Tu veux un prêtre n'est-ce pas? Lamennais répondit : « Non. 
Craignant de ne pas avoir assez fait, la pauvre femme reprit : « Mon oncle 
je t'en supplie. » Alors se raidissant, et retrouvant pour un instant toute son 
impérieuse énergie, Lamennais Une d’une voix forte : « Non, non, non; 
qu'on me laisse en paix. » 

Pendant la nuit, la déni qui suivit cette scène douloureuse, on vit, 
dit-on, à un certain moment une larme, une longue larme couler sur la joue 
amaigrie du mourant. Est-il défendu d'espérer que cette larme aura pesé 
d'un grand poids dans la balance de la justice divine ? 

Nous nous sommes attardé à dessein sur ce compte rendu, car le livre de 
M. Boutard nous paraït donner la note juste sur ce que fut Lamennais après 
sa défection. Il faut en chercher les causes de cette défection, nous dit 
l’auteur, ailleurs que dans un orgueil froissé. La psychologie complexe de 
Lamennais, telle qu’elle nous est présentée dans ces pages, éclaire bien des 
actes de-cet homme étrange, et au lieu d’exciter notre indignation, fait éclore: 


dans notre âme un profond sentiment de pitié. Fr. J. de P. 
ÉDUCATION 
La Question Scolaire, par le R. P. Dom BEsse. — In-80 de 72 pages. 
— Prix: o fr. 75. — Nouvelle Librairie nationale, 11, rue de Médicis, 


Paris, VIe. 


OUVRAGES ENVOYÉES A LA RÉDACTION DES ÉTUDES 669 


C'est un exposé complet de la question scolaire que le R. P. Dom Besse 
nous donne sous une forme extrêmement condensée. La liberté d’enseigne- 
ment ! Tel est le mot de ralliement pour les catholiques, mais liberté entière, 
complète, avec subventions proportionnelles au nombre des élèves. La 
gratuité, la neutralité de l'école, telles qu'elles existent aujourd’hui, sont 
de vains mots. L'auteur après nous avoir rappelé les droits de l’Église, 
de la famille, ainsi que les obligations des pères de famille, nous parle du 
corps enseignant, des Universités, dans le but de prouver que l’État-Maître 
d'École est une aberration. Cette thèse qui est la vraie thèse de l'école, nous 
est présentée avec précision et clarté. Ceux qui la liront en tireront grand 
profit; et ils trouveront même (ce qu'ils s’attendent à trouver dans les écrits 
du savant bénédictin) quelques virulentes sorties contre la démocratie et la 
République. Fr. CAMILLF. 


OUVRAGES ENVOYÉS A LA RÉDACTION 
DES ÉTUDES (1) 


J. Mirror (Abbé). — La Confirmation. Allocutions préparatoires et 
explications catéchistiques. Paris, Lethielleux, 1913. In-12 de 312 pp. 
Prix : 3 frs. 50, 


F.-X. Coppin. L. STIMART. — Sacræ Liturgiæ Compendium Sedulo reco- 
gnitum novissimæ Rubricarum reformationi ad normam Bullæ « Divino 
A fflatu » et recentissimis S. R. C. decretis accommodatum novoque ordine 
digestum Editio quinta. Établissements Casterman, Paris et Tournai. 1912 
In-8° XIX-684 pp. 


E. BRUNETEAU. — Les tentations du jeune homme, — Étude théorique 
Étude pratique. Troisième Édition. Paris, Lethielleux. In-12 de 370 pp. 

J. ScHryvers, C. S. S. R. — Les principes de la vie spirituelle. Bruxelles 
Albert Dewit, 1913. In-12 de 590 pp. Prix : 3 frs 50. 


L. Wicuer. — La Bruyère en feu. Préface d'Émile Chardome. Paris, 
Dorbon, Bruxelles, Oscar Lamberty. In-8° de 283 pp. Prix 5 frs. 


C. Teck. — Epitome Theologiæ Moralis universae per Definitiones, 
Divisiones et summa Principia pro Recollectione Doctrinæ Moralis et ad 
immediatum usum confessarii et parochi, excerptum ex Summa Theol. 
mor. R. P. Hier. Noldin S.J. Œniponte, F. Rauch. In-12 de XXXII-539 
pp. Prix : 4 frs. 

Ur8. HoLzMEIsTER, S-J. — Orationes liturgiciae meditationibus Exer- 
citiorum S, Ignatii de Loyola accommodatæ. In usum clericorum exercitia 
peragentium. Œniponte, Fel. Rauch. 1912. In-32. Prix : 20 Pf. 

M. GATTERER, S.J.— Annus liturgicus cum introductione in disciplinam 

(1) L'annonce de ces ouvrages ne constitue pas par elle-même une recommanda- 


tion. Nous ne faisons que les signaler ici, en attendant que les rédacteurs des 
Études en fassent le compte-rendu, s’il y a lieu, dans le bulletin bibliographique. 


670 OUVRAGES ENVOYÉS À LA RÉDACTION DES ÉTUDES 


liturgicam. Editio tertia juxta novissima rubricas emendata, Œniponte. 
Fel. Rauch. 1912. In-12 XIV-424 pp. Prix : 2 Kr. 90. 


Mic. GATTERER S. J. — De Breviario Reformato Pii X Constitutione 
« Divino afflatu » Brevis instructio in clericorum gratiam conscripta. 
Œniponte-Fel-Rauch. 1912. In-12 de 43 pp. Prix : 25 Pf. 

MALIGE (R. P.) — Nouveau Mois de Marie ou Marialogie des âmes 
pieuses. Paris, Lethielleux. [n-12 de 1V-338 pp. Prix : 2 frs 5o. 

L. Dessrus. — Cas de Conscience à l'usage des Personnes du monde. 
Paris, Téqui 1913 In-12 de VI-412 pp. Prix : 3 frs. 5o 

R. M. Mai LoyoLa. — La communion des enfants. Traduit de l'anglais 
par Mme Émile Paris. Paris, Poussielgue, 1913 in-12 de V111-468 pp. 

P,. Ramon Ruiz Amano. — La Education moral. — Segunda Edicion. — 
Barcelona Libreria Religiosa, Calle Avino, 2° 1913. In-12 de 576 pp. Prix 
4 ptas. 

C. AuGé de SainT-Vicror. — Divine Emprise ou la Vocation de sainte 
Claire. Drame en 3 actes. Préface de M. Gonin. Paris, Bloud. In-8° de 62 
pp. Prix: fr. 25. 

P. TESNIÈRE. — Les Mystères du Rosaire proposés pour l'Adoration du 
Très Saint Sacrement, nouvelle édition. Tourcoing, Bureaux du petit mes- 
sager du Très Saint Sacrement, 12, rue de Toulouse. 1913. In-18 de 274 
pp. Prix : 1 fr. 

P. TESNIÈRE. — Manuel de l'adoration — Deuxième série : les Titres 
divins et humains de l’Eucharistie, nouvelle édition. Tourcoing, 12, rue de 
Toulouse. 1913. In-18 de 477 pp. Prix : 2 frs. 

P. E. Couet. — Les miracles Historiques du Saint-Sacrement. Troi- 
sième Édition. Tourcoing, 12, rue de Toulouse. In-8° de 400 pp. Prix : 3 frs. 


Publications de la société Bibliographique: M. Barrès: Tableau des égli- 
ses rurales qui s'écroulent. — H. Joly : La Crise de la Domesticité. — H. 
Taudière : Les lois françaises contre la famille. -- G. de Lamarzelle : À la 
recherche d'une morale laïque. Chaque brochure : o fr. 25. 

P. Usazo d'Alençon. — Sacrum Commercium.— Les noces Mystiques 
du Bienheureux François d'Assise avec Madame la Pauvreté (1227) 
Première traduction française. Paris, Librairie Saint-François, Couvin 
(Belgique) In-12 de XXII-80 pp. Prix 1 fr. 

Henry Jouy. — Ozanam et ses Continuateurs. Paris. Lecoffre. 1913. In- 
12 de 1X-235 pp. Prix : 3 frs. 

TH. MAINAGE (R-P) — Introduction à la psychologie des Convertis. Paris 
Lecoffre 1913, In-12 de VI-129 pp. Prix : 1fr. 50. 

Sieb;ehnter Jahresbericht über die Nordtirolische Kapuziner Mission 
van Bettiah und Nepal. Innsbruck, Felizian Bauch, 1912. In-12 de 142 pp. 


© 


Avec la permission des Supérieurs. Paul Duperrey, Gérant. 


TAMINES. — IMP, DUCULOT-ROULIN. 


TABLE DES MATIÈRES 


DU TOME XXIX°: 


JANVIER 1913. 


Duns Scot et le Modernisme ; P. Raymond. | 

Le Rationalisme et la jé de l'histoire bangélique:: ; 
P. Hugues : 

La valeur des lois de succession ; P. Consnt | : 

Trois Mosaiïstes franciscains au XIIIe siècle ; H. Matrod , 

Notice et Extraits d'un manuscrit du musée britannique. 
À dd. 19994 relatif aux Cordelières de Noyen; P. Ubald. 

Un confesseur de la foi au XIX° siècle ; F. C. 

Bulletin d'histoire franciscaine ; P. Ubald . : 

Lettre a M. E. B. de « La Critique du Libéralisme » ; 
P. Michel-Ange : , : à ë ; 

À travers les livres nouveaux 


FÉVRIER 1913. 


Duns Scot et le Modernisme ; P. Raymond. ; 

De la Synagogue au Couvent. Notes bio-bibliographiques 
sur le P. René de Modène, d'abord Rabin puis Capucin- 
P. Édouard . : 

La Règle Primitive des Frères-Mineurs de saint François 
(1909) ; P. Cuthbert ; : 

Les Franciscains dans le Grand-Duché de Luxembourg ; ; 
M. de Villermont . 

Sermons franciscains du Cardinal Eudes de Châteauroux 
(f 1273) ; P. Gratien 

Bulletin Canonique ; P. J. de Dee 

À travers les livres nouveaux 


MARS :1913 


La Perfection séraphique d'après saint ae (SUITE) ; 
P. Césaire de Tours 

Ambassadeurs de France et Caniche français à a Constanti- 
nople au XVIIe siecle ; P. Bruno . 

Une Réparation : Le chanoine Jean-Joseph Loue du 
diocèse de Tournai (su1T&) ; P. Prosper d’'Enghien. 

Les Franciscains dans le Grand-Duché de Luxembourg 
(suiTe) ; M. de Villermont 


131 
140 
194 
171 


196 
210 


225 
232 
260 


288 


672 


VII. 


VIII. 


TABLE DES MATIÈRES 


De la méthode traditionnelle de l'oraison au moyen âge; 
P. Ubald d’Alençon 
À traversles livres nouveaux 


AVRIL 1913 


Le Père Joseph, lecteur en HU (1603 - 1604) ; 
L. Dedouvres. 

Deux épitaphes satiriques sur P Émi inence Zn P. F rédégand 

Bulletin de philosophie ; P. Raymond. 

Notes de théologie morale ; P. Constant à 

Ambassadeurs de France et Capucins français à Constanti- 
nople au XVIIe siècle (suire) ; P. Bruno 

Notes et documents : Une lettre inédite de Pierre de Jean 
Olvi ; P. Gratien . . 

La poésie épique ; A. Charaux 

À travers les livres nouveaux 


MAI 1913. 


À propos d'Antinomies conciliantes ; S. Belmond : 

Réflexions sur la conquéte de l'Allemagne par les Mineurs 

(1221-1238) ; H. Matrod 

Bulletin de théologie dogmatique ; PS Dieudonné 

Le Père Joseph, lecteur en philosophie (1603-1604) Gus): ; 
L. Dedouvres 

Jacopone de Todi, prédicateur Échilae 30506): - 
J. Pacheu 

A propos de la politique Pelisiense de Ch. Maures: ; 
P. Exupère ; . : , 

Bulletin de philosophie Fo . : P. Raÿaiond 

À travers les livres nouveaux 1. . 


JUIN 1913. 


L'idée de création d'apres saint Bonaventure et Duns Scot ; 
S. Belmond . : 

Réflexions sur la conguéte de l'Allemagne par les Mineurs 
(1221-1238) (suiTE) ; H. Matrod 

Le Durbar de Delhi ; P. Symphorien . 

Bulletin de théologie dogmatique (suiTE) ; P. Dicidonné 

Ambassadeurs de France et Capucins français à Constanti- 
nople au XVIIe siècle (suiTe) ; P. Bruno 

À propos de la politique religieuse de Ch. Maurras: , 
P. Exupère . 

Sermons franciscains du Cardinal Eudes de Chatsairoise 
(1273) (suITE) ; P. Gratien 

À travers les livres nouveaux 


305 
318 


475 
491 
504 
520 


534 
548 


561 
570 
584 
597 


618 


632 


647 
656 


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